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VOLTAIRE, SA FAMILLE ET SON INHUMATION.

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François-Marie Arouet de Voltaire dit Voltaire.

François-Marie Arouet de Voltaire dit Voltaire.

 

Avant de rapporter le procès-verbal, en grande partie inédit, de l'inhumation de Voltaire, il nous a semblé intéressant, au point de vue historique, de rectifier et de résumer ici ce que beaucoup d'écrivains, dont les travaux sont généralement restés incomplets et inexacts, ont dit de la famille Arouet. Dans la généalogie qu'ils en ont donnée, ils ne s'accordent que sur son origine poitevine, mais ils diffèrent complètement sur les degrés antérieurs à François Arouet, aïeul de Voltaire, qui quitta avant 1625 le village de Saint-Loup près de Parthenay, son berceau, pour venir s'établir à Paris, où il mourut de 1668 à 1670. On apprend en outre par les actes de l'Etat civil de Paris que ce François Arouet avait un frère, Jean Arouet, apothicaire à Poitiers, père, par Renée Bertrardeau, d'Helenus Arouet, marchand à Paris, où il s'était fixé comme son oncle, et qui épousa à Saint-Germain-l'Auxerrois le 6 septembre 1668 Marie Demion. De ce mariage naquirent :
1. Helenus-Mathieu Arouet, baptisé le 17 novembre 1673,
2. Marie-Charlotte Arouet, baptisée le 15 mars 1678, dont on ignore la destinée.

Mais quels étaient les père et mère de François et de Jean Arouet, le premier, aïeul et le second, grand-oncle de Voltaire ?

Suivant Beauchet-Filleau [Note : Dictionnaire généalogique du Poitou, T. I, p. 97], ces deux frères étaient issus d'Helenus Arouet, marchand à Saint-Loup, et de Jacqueline Marcheton ; tandis que Borel d'Hauterive [Note : Annuaire de la noblesse, annee 1869, p. 199] les fait naître de François Arouet, syndic, puis bailli de Saint-Loup, et de Catherine Barlaud. Ces deux généalogistes ont-ils consulté les registres de l'État civil de Saint-Loup, avant d'avancer des faits aussi contradictoires ?

— C'est ce qu'ils ont négligé de nous dire.

Aucun des biographes de Voltaire n'est plus exact en ce qui concerne le lieu et la date de naissance de cet homme extraordinaire, puisque, à commencer par Condorcet, son premier panégyriste par rang de date, ils le font naître invariablement à Châtenay, près de Sceaux, le 20 février 1694. S'ils avaient pris la peine d'ouvrir le registre des naissances de la paroisse de Saint-André-des-Arts, pour cette même année 1694, ils y eussent lu ce qui suit :

« Le lundy 22e jour de novembre 1694, fut baptisé dans l'église de Saint-André-des-Arts, par M. Boucher, Pbre, vicaire de la dite église, soussigné, François-Marie, né le jour précédent, fils de Me François Arouet, conseiller du roy, ancien notaire au Chastelet de Paris, et de Damoiselle Marie-Marguerite Daumart, sa femme : le parrain, Messire François de Castagnier, abbé commendataire de Varenne, et la marraine Marie Parent, épouse de M. Symphorien Daumart, escuyer, controlleur de la gendarmerie du roy. (Signé) : M. Parent, François de Castagnier de Châteauneuf, Arouet, L. Boucher ».

Voilà la preuve péremptoire que Voltaire n'est pas né à Châtenay le 20 février 1694, mais bien à Paris le 21 novembre, puisque son acte de baptême, du 22, porte qu'il est né le jour précédent. S'il avait vu le jour à Châtenay, le registre de cette paroisse aurait renfermé son acte d'ondoiement, qui n'y figure pas. Les habitants de Châtenay doivent donc renoncer à l'honneur que leur aurait fait Voltaire en venant au monde parmi eux. Qu'il ait, ainsi que son père, habité Châtenay, personne ne le conteste, mais c'est Paris qui a donné naissance au patriarche de Ferney.

Si des erreurs de cette force ont pu s'accréditer depuis un siècle, lorsqu'il s'agit d'un personnage aussi célèbre, combien de fausses attributions de lieux et de dates de naissances chez des sujets moins marquants, ne trouve-t-on pas à relever dans les biographes, dont l'usage constant est de se copier religieusement les uns les autres, sans jamais remonter aux sources, c'est-à-dire aux registres de l’Etat civil !

Les ouvrages de MM. Jal [Note : Dictionnaire critique de biographie et d'histoire. Paris, Plon, 1872] et de Chastellux [Note : Notes prises aux archives de l’Etat civil de Paris, Paris. Dumoulin, 1875] ont corrigé un nombre infini de ces erreurs et la filiation ci-dessous, empruntée à leurs recherches consciencieuses, contrôlées et complétées par les Almanachs royaux et par les Etats de la France, au dernier siècle, va faire connaître tous les alliés de Voltaire, imparfaitement désignés dans ses œuvres et dans celles de leurs annotateurs.

François-Marie Arouet de Voltaire dit Voltaire.

FILIATION CERTAINE

I

François Arouet, marchand de draps de soie et de laine, originaire de Saint-Loup, mort à Paris de 1668 à 1670.

Femme, Marie Mallepart, mariée à Paris, paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois, le 28 janvier 1626, fille d'André Mallepart, marchand bourgeois de Paris. Elle mourut le 14 octobre 1688 et fut inhumée à Saint-Etienne-du-Mont.

1. André Arouet, baptisée à Saint-Jean-en-Grève, le 31 mars 1631.
2. Guillaume Arouet, baptisé le 18 juillet 1637.
3. Etienne Arouet, baptisé le 21 juillet 1638.
4. Philippe Arouet, baptisé le 13 septembre 1642.
5. François Arouet, qui suit.
6. Marie Arouet, baptisé à Saint-Germain-l'Auxerrois, le 15 juillet 1634, mariée à Mathieu Marchant, bourgeois de Paris, dont :

François Marchant, fermier général des poudres et salpêtres, époux de Françoise Regnault, père et mère de :

I. Philippe-François Marchant, seigneur de Varennes, maître d'hôtel ordinaire du Roi, puis fermier général, père de :

Victoire-Louise Marchant de Varennes, mariée à Gabriel Senac de Meilhan, maître des requêtes, puis intendant des finances et auteur d'un grand nombre d'ouvrages de philosophie et de littérature, fils de Jean-Baptiste Senac, 1er médecin du roi, conseiller d'Etat en 1752. Elle mourut à Paris le 14 mai 1789, âgée de 41 ans, et lui à Vienne (Autriche) le 5 avril 1803.

II. Mathieu-Henri Marchant, seigneur de la Houlière, major au régiment de Lyonnais en 1749, puis brigadier des armes du roi, chevalier de Saint-Louis et commandant à Salées en 1778.

François-Marie Arouet de Voltaire dit Voltaire.

II

François Arouet, baptisé à Saint-Germain-l'Auxerrois le 22 août 1649, conseiller du roi, notaire au Châtelet de Paris, de 1675 à 1692, et acquéreur en 1696 de la charge de payeur des épices et receveur des amendes de la chambre des comptes ; mort à Paris le 1er janvier 1722 et inhumé dans l'église de Saint-Barthélemy.

Femme Marie-Marguerite Daumart, mariée à Saint-Germain-l'Auxerrois le 7 juin 1683, fille de Nicolas Daumart, ci-devant greffier criminel du parlement de Paris, et de Catherine Carteron. Elle mourut à Paris le 13 juillet 1701.

1. Armand-François Arouet, né le 18 mars 1684.
2. Armand Arouet, né le 22 mars 1685, payeur des épices de la chambre des comptes, en 1721, sur la démission de son père, et janséniste ardent, auteur d'un ouvrage ascétique, manuscrit passé de la bibliothèque de Voltaire dans celle de l'impératrice de Russie. Il mourut le 18 février 1745.
3. Robert Arouet, baptisé à Saint-Germain-le-Vieil, le 18 juillet 1680.
4. François-Marie Arouet de Voltaire , faisant l'objet principal de cette étude et sur lequel nous reviendrons.
5. Marie-Catherine Arouet, née le 18 décembre 1686, mariée à Saint-Barthélemy, le 28 janvier 1709, li Pierre-François Mignot, conseiller du roi, correcteur en sa chambre des comptes, fils de François Mignot et d'Anne Sellière. Elle mourut en septembre 1726 et lui en 1737.

I. François Mignot, né en 1711, correcteur à la chambre des comptes après son père, mort en juin 1740.
II. Jacques-François Mignot, né à Châtenay près de Sceaux, le 12 septembre 1721, et baptisé le même jour à l'église de Saint-Germain de Châtenay ; mort le lendemain.
III. Alexandre-Jean Mignot, né le 30 juillet 1725, conseiller clerc au grand conseil du roi en 1750, grand rapporteur en la chancellerie de France et abbé commendataire de l'abbaye de Scellières au diocèse de Troyes, de 1755 à 1790, mort à Paris en septembre, 1791.
IV. Marie-Louise Mignot, née vers 1712, mariée à Saint-Germain-l'Auxerrois le 25 février 1738 à Nicolas-Charles Denis, ancien officier, commissaire des guerres, fils de Nicolas Denis, échevin de Paris en 1706 et doyen des huissiers du conseil d'Etat. Il mourut en avril 1744 et sa veuve, qui tint ensuite la maison de Voltaire son oncle, jusqu'à la mort de celui-ci, se remaria en 1779 à N. du Vivier et mourut en 1790.
V. Marie-Elisabeth Mignot, née en 1715, mariée 1° en mai 1738 à Nicolas-Joseph Dompierre, seigneur de Fontaine, maître des comptes en 1744, mort le 1er mai 1756 ; 2° le 7 mai 1762 à Philippe-Antoine de Claris, dit le marquis de Florian, ancien capitaine au régiment de Lusignan, oncle du fabuliste. Elle mourut en février 1771, laissant de son 1er mariage : Alexandre-Marie-François-de-Paule Dampierre, seigneur de Fontaine, d'Hornoy et de Blanche-Maison, conseiller au parlement de Paris, époux de Louise-Sophie Savalette, père et mère d'un député de l'arrondissement d'Amiens en 1828 et aïeux du vice-amiral Dompierre d'Hornoy, ministre de la marine en 1874.

Voilà la famille de Voltaire nettement établie avec ses attaches.

Elle n'était pas de tout point recommandable, car l'abbé lie Châteauneuf, parrain de Voltaire, passait pour être le père de son filleul dont il achevait l'éducation morale au sortir du collège, en le présentant à Ninon de Lenclos qui avait compté l'abbé parmi ses nombreux amants, et en introduisant son pupille dans la société débauchée et frondeuse du prieur de Vendôme, au Temple. Ces leçons portèrent leurs fruits et les deux nièces de Voltaire, Mesdames Denis et de Fontaine, devinrent aussi les maîtresses publiques de leur oncle.

Nous n'avons pas à refaire sa vie ; elle n'a offert qu'une suite de palinodies jusqu'aux derniers moments de sa longue existence, et le poème de la Henriade ne l'absoudra jamais de celui de la Pucelle. Il avait commencé sa réputation d'auteur par des vers contre le Régent qui le firent une première fois exiler à Tulle et en récidive renfermer à la Bastille. « Le petit Arouet, dit le Journal de Dangeau, (à la date du 13 mai 1716), poète fort satirique et fort imprudent, a été exilé ». Et plus tard (18 novembre 1718) : « Les comédiens jouèrent la nouvelle comédie d'OEdipe, faite par Arouet qui a changé de nom, parce qu'on était fort prévenu contre lui, à cause qu'il a offensé beaucoup de gens dans ses vers ». C'est donc à l'année 1718 qu'il faut faire remonter l'époque ou Voltaire prit ce pseudonyme, et cette date est corroborée par le journal de Mathieu Marais (juin 1720) : « Arouet, poète, auteur du nouvel OEdipe, est fils d'Arouet ci-devant notaire, qui n'a jamais pu guérir son fils de la poësie. Le fils a changé de nom et s'appelle Voltaire à présent ». On voit que l'avocat Marais n'est pas très enthousiaste de ce talent naissant ; le duc de Saint-Simon ne le cite que deux fois dans ses mémoires (années 1716 et 1717) et avec plus de dédain encore : « Arouet, fils d'un notaire, qui l'a été de mon père, fut exilé et envoyé à Tulle, pour des vers fort satiriques et fort imprudents. Je ne m'amuserois pas à remarquer une si petite bagatelle, si ce même Arouet, devenu grand poëte et académicien, n'étoit devenu, à travers force aventures tragiques, une manière de personnage dans la République des lettres et même une manière d'important dans un certain monde ».

Et plus loin : « Je ne dirois pas ici qu'Arouet fut mis à la Bastille pour avoir fait des vers très effrontés, sans le nom que ses poësies, ses aventures et les fantaisies du monde lui ont fait. Il étoit fils du notaire de mon père, que j'ai vu bien des fois lui apporter des actes à signer. Il n'avoit jamais pu rien faire de ce fils libertin, dont le libertinage a fait enfin la fortune sous le nom de Voltaire, qu'il a pris pour déguiser le sien ».

Aux raisons vraisemblables données par Dangeau et par Sainte-Simon du changement de nom d'Arouet, il faut ajouter que celui de Voltaire sonnait mieux que le précédent, pour un jeune homme qui voulait se pousser dans le monde et se mêler aux gens de la cour, sauf à se faire bâtonner, comme il le fut plusieurs fois, par les laquais des grands seigneurs et par leur ordre, quand il s'était montré trop familier ou trop insolent envers leurs maîtres [Note : A propos de la correction que le chevalier de Rohan avait fait administrer à Voltaire, on lit dans une lettre de Mathieu Marais, du 15 février 1726 : « On ne parle plus des coups de bâton de Voltaire ; il les garde. On s'est souvenu du mot du duc d'Orléans à qui il demandoit justice sur pareils coups et le prince lui répondit : On vous l'a faite. Le pauvre homme se montre le plus qu'il peut, à la cour, à la ville, mais personne ne le plaint et ceux qu'il croyait ses amis lui ont tourné le dos » (Journal de Mathieu Marais, de 1715 à 1737, Paris, Didot, 1864, T. III, p. 393)]. D'ailleurs le nom de Voltaire dissimulait le notaire et le de qui le précédait avait un certain air de qualité qui recommandait le poète. C'est pour achever de s'élever, qu'il sollicita et obtint une charge de gentilhomme ordinaire de la maison du Roi, avec permission de la vendre, ce qu'il ne tarda pas à faire, en conservant le titre et les immunités de cet office. Il figure en cette qualité dans l'État de la France de 1749 ; mais les fonctions de gentilhomme de la maison du Roi ne doivent pas être confondues avec celles de gentilhomme de la chambre, toujours remplies par les premières familles de France et dont les titulaires en exercice, en 1749, étaient les ducs de Gesvres, d'Aumont, de Fleury et de Rochechouart.

Les gentilshommes de la maison du Roi, au nombre de vingt-six, se recrutaient particulièrement au contraire dans la bourgeoisie ; leur charge ne conférait pas la noblesse et s'ils avaient bouche en cour, ils n'étaient pas plus distingués que les vingt-quatre violons de la musique de la chambre, à la suite desquels ils figurent dans l'Etat des officiers de la maison du Roi.

C'est par erreur que M. Jal (Dictionnaire de Biographie, p. 1287) dit que le père de Voltaire, « cédant au mouvement de vanité qui entraîna toute la bourgeoisie chez d'Hozier, avait pris des armes ». Il y était contraint sous peine de 300 livres d'amende, pour se conformer aux prescriptions de l'Edit de novembre 1696, portant création de l'Armorial général de France. Cet édit enjoignait « à tous les officiers d'épée, de robe, de finances et des villes, bourgeois et autres sujets jouissant, à cause de leurs charges, états et emplois, de quelques exemptions et droits publics, » de se présenter devant d'Hozier, garde de l'Armorial général, qui leur délivrait un brevet d'armoiries dont l'enregistrement coûtait 20 livres et les 2 sols pour livre. (Voyez l'Abrégé chronologique de Chérin). Ce serait donc une grande erreur de croire que ce port d'armoiries enregistrées constituât une marque de noblesse. L'édit de 1696 ne laisse subsister à cet égard aucune équivoque et spécifie formellement au contraire que « ces brevets ou lettres ne pourront en aucun cas être tirés à conséquence pour preuve de noblesse ». La pensée qui dicta la création de l'Armorial général fut exclusivement fiscale, quoique déguisée dans le principe sous le prétexte « de retrancher les abus qui s'étaient glissés dans le port des armoiries et de prévenir ceux qui s'y pourraient introduire dans la suite ».

Les armes de François Arouet furent ainsi réglées au mois de janvier 1697 : d'or à 3 flammes de gueules [Note : Bibliothèque nationale. — Cabinet des Titres. Armorial général de France. Reg. 1 de la généralité de Paris, p. 115]. Les familles Daumart, Mignot et Denis, alliées à Voltaire, reçurent de leur côté des brevets d'armoiries, ainsi que toutes les notabilités bourgeoises de l'époque et de ce nombre : Malebranche, Racine, Boileau, Renaudot, Hardouin-Mansart, Le Nôtre, Pagan, etc. Mais il n'entra jamais dans

La pensée du législateur d'anoblir, moyennant 20 livres, les 60000 sujets dont les armes sont consignées dans l'Armorial général avec celles des villes, des abbayes, des universités et des corporations d'arts et métiers. Les anoblissements moyennant finances, mesure que la pénurie du Trésor ne saurait excuser, étaient autrement onéreux pour les bourgeois, traitants ou robins voulant s'affilier à la noblesse, après s'être enrichis par le négoce, les fermes ou les épices si chèrement payées par les plaideurs. D'ailleurs les rois ne se faisaient pas scrupule de révoquer ce genre d'anoblissements ou de ne les confirmer que moyennant le paiement d'une nouvelle finance. C'est ce qui explique cet aphorisme de La Bruyère : « Il y a des gens qui n'ont pas le moyen d'être nobles » [Nota : Caractères, chap. De quelques usages].

Ainsi Voltaire, né petit bourgeois non fieffé, devint gros bourgeois fieffé par l'acquisition des seigneuries de Ferney et de Tourney, mais ne reçut jamais de lettres d'anoblissement avec ou sans finance et ne fut qu'une copie du bourgeois-gentilhomme de Molière.

Nous ne rapporterons pas toutes les contradictions dont sa vie est semée ; contempteur de la royauté, il sollicitait la faveur de Louis XV par l'entremise des favorites de ce prince dont il était le plus plat courtisan et adulait le roi de Prusse, alors, comme aujourd'hui, le plus mortel ennemi de la France. Au milieu de ses déclarations en faveur de l'égalité, il singeait les grands seigneurs à Ferney, et, tout en préconisant dans ses œuvres philosophiques le progrès des lumières, il voulait laisser le peuple dans la plus profonde ignorance. Ce n'est pas lui qui eût voté la loi Ferry ; aussi doit-on être surpris qu'il soit resté le coryphée de nos réformateurs modernes, à moins qu'ils ne lui pardonnent toutes ses bassesses, eu égard à sa haine pour la religion. On sait avec quelle violence il l'attaqua dans ses écrits les plus obscènes, que son hypocrisie lui faisait désavouer ensuite, et l'ostentation sacrilège avec laquelle il osa approcher des sacrements. Seulement, à la différence des libres-penseurs de nos jours, il ne voulut point d'enterrement civil, c'est-à-dire d'un enfouissement qu'il considérait, ainsi que ses copains, comme une honte pour sa mémoire. Il se prêta donc à recevoir à ses derniers moments l'abbé Gaultier, prêtre de Saint-Sulpice, ce qui ne l'empêcha pas de mourir comme un damné, fou de terreur et de rage, et portant à sa bouche son vase de nuit, pour étancher la soif ardente qui l'étouffait. « Rappelez-vous les fureurs d'Oreste, écrivait, quelques jours après la mort de Voltaire, son ami le médecin Tronchin, témoin de cette effrayante agonie : Furius agitatus obiit. ». Pour éviter des difficultés avec l'archevêque de Paris, qui paraissait disposé à refuser aux restes de Voltaire la sépulture religieuse, son neveu l'abbé Mignot les fit transporter dans son abbaye de Scellières, où il lui fit faire de pompeuses funérailles.

Abbaye de Scellières (Romilly-sur-Seine).

PROCÈS-VERBAL D'INHUMATION DE VOLTAIRE A SCELLIÈRES

Transcrit sur l'original, déposé en l'Etude de Me. Courjean, notaire à Romilly-sur-Seine (Aube).

REGISTRE pour servir aux actes de sépultures de la maison conventuelle de l'abbaye royale de Notre-Dame de Scellières, diocèse de Troyes, pour l'année mil sept cent soixante dix-huit, contenant deux feuilles cottées et paraphées par première et dernière, par nous Théodore-Nicolas Ricard, avocat au Parlement, conseiller du roy et son procureur au bailliage royal de Pont-sur-Seine, exerçant la juridiction pour l'absence de M. le Bailly, audit siège de Pont-sur-Seine, le quatre janvier mil huit cent soixante-dix-huit. (Signé) RICARD.

Cejourdihui deux juin mil sept cent soixante-dix-huit, a été inhumé dans cette église Messire François-Marie AROUET DE VOLTAIRE, gentilhomme ordinaire de la maison du Roy, l'un des quarante de l'Académie Française, âgé de quatre-vingt-quatre ans ou environ ; décédé à Paris, le trente-un mai dernier, présenté à cette église le jour d'hier, où il est déposé jusqu'à ce que, conformément à ses dernières volontés, il puisse être transportè à Ferney, lieu qu'il a choisi pour sa sépulture ; lad. inhumation faite par nous, Dom Gaspard-Germain-Edme Potherat de Corbière, prieur de lad. abbaye, en présence de Messire Alexandre-Jean Mignot, abbé commendataire de ladite abbaye, conseiller du Roy en ses conseils et en son grand conseil, grand rapporteur de la chancellerie de France, neveu : de Messire Alexandre-Marie-François de Paule de Dompierre, chevalier, seigneur d'Hornoy, Fontaine, Blanche-Maison et autres lieux, conseiller du Roy, en sa cour du parlement de Paris, petit neveu : de Messire Philippe-François Marchant, seigneur de Varennes, écuyer, ancien maître d'hôtel ordinaire du Roy, cousin issu de germain : de Messire Mathieu-Henri Marchant de la Houlière, écuyer, chevalier de l'ordre royal et militaire de St. Louis, brigadier des armées du Roy, commandant pour le Roy à Sallèes, aussi cousin issu de germain avec nous soussignés. (Signé) : L'abbé Mignot, Marchant de Varennes, de Dompierre d'Hornoy, Marchant-Lahouliére, Potherat de Corbière, prieur.

Tombeau de François-Marie Arouet de Voltaire dit Voltaire à l'abbaye de Scellières  de Romilly.

RAPPORT DU PRIEUR DE L'ABBAYE DE SCELLIÈRES A L'ABBÉ DE L'ABBAYE DE PONTIGNY.

Cejourd'hui, huitième jour de juin 1778, nous, Dom Gaspard-Germain-Edme Potherat de Corbière, prieur de la maison conventuelle de l'Abbaye royale de Scellières, ordre de Cîteaux, au diocèse de Troyes en Champagne, et Dom Nicolas Meunier, religieux conventuel de lad. maison soussignés, capitulairement assemblés au son de la cloche, en la manière ordinaire et accoutumée, en conséquence des ordres à nous donnés par le Révérendissime Nicolas Chanlatte, abbé de l'abbaye de Pontigny, dud. ordre de Cîteaux, portés en la lettre missive du cinq du présent mois de juin, pour satisfaire tant auxd. ordres do mond. Révérendissime abbé, en lui rendant compte de toutes les circonstances relatives et particulières à l'inhumation de messire François-Marie Arouet de Voltaire, écuyer, gentilhomme ordinaire de la maison du roy, l'un des quarante de l'Académie Française, faite en cette église de l'Abbaye de Scellières, que pour justifier notre conduite à cet égard ; disons, déclarons, certifions et attestons, à tous qu'il appartiendra et particulièrement à notre Révérendissime abbé, ainsi que nous en sommes par lui requis, que Messire Jean-Alexandre Mignot, conseiller du Roy en ses conseils et en son grand conseil, grand rapporteur en la chancellerie de France, abbé commendataire de notre dite abbaye de Scellières, est arrivé en icelle abbaye, le dimanche trente-un mai dernier, environ sept heures du soir, à l'effet d'y occuper un appartement qu'il tient de nous à loyer, à défaut de son abbatiale, laquelle est inhabitable, et nous a dit que Messire Arouët de Voltaire, son oncle, décédé à Paris, devant, conformément à sa dernière volonté, être inhumé à Ferney, lieu par lui choisi pour sa sépulture, son corps non enseveli que l'on transportait aud. Ferney, ne serait pas, quoiqu'embaumé, en état de soutenir un si long voyage. Pourquoi, mond. Sr Mignot et la famille du défunt sieur de Voltaire désireraient que nous, dits prieur et religieux, voulussions en recevoir le corps, en dépôt, dans le caveau de l'Eglise de notre monastère, lequel corps, non enseveli, comme dit est, en effet, arriva à la cour de ce monastère environ l'heure de midi, le premier du mois de juin dans son carrosse, lequel était suivi d'un autre carrosse, contenant Messire de Dampierre, chevalier, seigneur d'Hornoy, conseiller au parlement de Paris, petit neveu du défunt ; Marchant de Varennes, ancien maître d'hôtel ordinaire du Roy ; Marchant de la Houlière, brigadier des armées du Roy, cousins issus de germains dud. défunt, qui, à l'instant, nosd. Srs Mignot et de Dampierre d'Hornoy, nous ont exhibé et fait lecture : 1° d'une lettre de M. Amelot, ministre de Paris, à eux adressée, laquelle les a autorisés à transporter le corps de leur oncle et grand-oncle à Ferney ou ailleurs ; 2° de la copie collationnée, certifiée véritable et conforme à son original et signée du Sr Terssac, curé de Saint-Sulpice de Paris, le 24 mai dernier, d'un acte signé dud. Sr de Voltaire, contenant sa profession de foi catholique, apostolique et romaine et déclaration qu'il a été entendu en confession par M. Gauthier, prêtre approuvé sur lad. paroisse de Saint-Sulpice, led. acte fait et signé comme dit est, le deux mars aussi dernier ; 3° d'un certificat délivré et signé par le sieur Gauthier prêtre, en date du trente du mois de mai dernier, portant que led. Sr Gauthier a été requis par led. sieur de Voltaire de l'entendre de nouveau en confession, ce qu'il n'a pu faire, l'en ayant trouvé hors d'état ; 4° du consentement par écrit, donné et signé par led. sieur curé de Saint-Sulpice, le jour suivant trente-un mai, que le corps dud. défunt sieur de Voltaire fût emporté sans cérémonie, se départant à cet égard, led. sieur curé de Saint-Sulpice, de tous ses droits curiaux ; qu'en effet, le lendemain, premier juin, environ quatre heures, le corps dud. feu Sr de Voltaire, enfermé dans un cercueil ordinaire, a été présenté à la porte principale de l'église de notre susd. monastère, à nousd. prieur et religieux, par mond. sieur abbé Mignot, en soutane, rochet et camail, accompagné de nosd. Srs Marchant de Varennes, de la Houlière et de Dompierro d'Hornoy, en habits de deuil, et de Maître Marc-Etienne Baudouin, prêtre, curé de la paroisse de Saint-Nicolas de Pont-sur-Seine ; lequel corps, déposé dans le chœur de notre dite église, étant environné de cierges et flambeaux, nous, dits prieur et religieux, avons chanté les vêpres des morts, et y est resté gardé toute la nuit, par led. Dom Meunier, religieux, l'un de nous, et par les nommés Millet et Payen, l'un fermier et l'autre meunier de notre dite abbaye de Scellières ; que le lendemain, deux susdit présent mois de juin, à commencer de l'heure de cinq du matin, led. Me Marc-Étienne Baudouin, curé dud. Saint-Nicolas de Pont, Me Baudouin, vicaire de lad. paroisse, maître Bouillerot, prêtre, curé de la paroisse de Romilly-sur-Seine, maître Guénard, curé de Crancey, frère Denisard, religieux cordelier, prêtre desservant l'église de Saint-Hilaire de Faverolles, et Maître Simon Dauche, curé de la paroisse de Saint-Martin dud. Pont-sur-Seine, tous invités par led. Sr abbé Mignot, aux obsèques dud. sieur de Voltaire, son oncle, ont célébré chacun une messe basse, lesquelles messes basses finies et les vigiles étant chantées, environ les onze heures du matin du même jour, nous dit, Dom de Corbière, prieur, led. Denisard, diacre, et Baudouin, vicaire, sous-diacre, lesd. Maîtres Guinard et Dauche, chantres, tous revêtus des ornements noirs, appartenant à la fabrique de la paroisse de Romilly, envoyés à notre dite abbaye de Scellières à notre réquisition, par led. sieur curé de Romilly, avons célébré solennellement une messe haute de Requiem, le corps présent, avant son inhumation, à laquelle messe haute le curé de Romilly et Me Blain, vicaire de lad. paroisse de Romilly, tous deux revêtus de leurs surplis, ont assisté ; s'étant rendus et transportés en notre dite église, accompagnés de leurs choristes, porte-croix, thuriféraires, bedeau, suisse, sonneurs et fossoyeurs, tous lesquels led. curé de Romilly avait offerts à nous, prieur et religieux, par la lettre dud. jour, premier juin, présent mois ; finalement qu'en présence dud. Sr curé de Romilly et de tous les ecclésiastiques ci-dessus dénommés dud. lieu, abbé Mignot et autres parents ci-dessus dits dud. défunt Arouet de Voltaire, devant une nombreuse assemblée et incontinent après lad. messe haute, nous, prieur susd. célébrant, avons fait l'inhumation du corps dud. défunt sieur de Voltaire dans le milieu de la partie de notre église séparée du choeur et en face d'icelui, après laquelle inhumation, nous dit, Dom de Corbière, avons dressé acte d'icelle, led. jour, deux de juin, sur les registres destinés à cet effet, portant que le corps dud. Sr de Voltaire, inhumé en lad. église, y est en dépôt, jusqu'à ce que conformément à sa dernière volonté, il puisse être transporté aud. lieu de Ferney, où il a choisi sa sépulture. Et, pour justifier à mond. sieur abbé dud. acte de sépulture, il en sera par nous, Dom de Corbière, envoyé extrait, certifié véritable et conforme à son original, dont et de tout ce que dessus, les jour et an susdits, avons fait et rédigé le présent procès-verbal, en la forme que de dessus, que nous avons signé et, autant qu'il nous a été possible, fait signer par les ecclésiastiques et autres personnes y dénommés.

(Signé) G. POTHERAT DE CORBIÈRE, prieur, BOUILLEROT, curé de Romilly, BLIN, vicaire de Romilly-sur-Seine, F.-H. DENISARD, vic. de Saint-Hilaire, BAUDOUIN, prêtre, GUINARD, curé de Crancey, DAUCHE, curé de Pont, et F. MEUNIER.

Château de Ferney et la mausolée de Voltaire.

A la sécularisation de l'abbaye de Scellières, en 1791, un décret de l'Assemblée nationale ordonna la translation des restes de Voltaire dans l'église de Romilly et un second décret les fit déposer au Panthéon, où ils sont restés jusqu'à ce jour. Toutefois, on n'est pas certain que l'exhumation faite à Scellières ne soit pas celle d'un moine de cette abbaye, aux reliques duquel les admirateurs de Voltaire, qui ne croient cependant pas aux reliques, adresseraient depuis un siècle leurs stériles hommages.

(Pol. de Courcy).

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