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LE YAUDET EN 1778.

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On regarde généralement l'archéologie comme une science née en notre siècle : opinion à peu près vraie si on la restreint aux monuments architectoniques du moyen-âge ; très fausse au delà, surtout en ce qui touche l'époque gallo-romaine.

Sans parler de dom Montfaucon, le vrai père de l'archéologie, nous avons eu en Bretagne au dernier siècle un archéologue fort distingué, le président de Robien, dont il faudra bien quelque jour exhumer les travaux très importants, enterrés en manuscrit à la bibliothèque de Rennes.

Robien, s'il est le plus connu, n'était pas le seul, il avait dans notre province plus d'un disciple. Voici, par exemple, un prêtre trécorois fort modeste ? car il ne nous a laissé de son nom que les initiales, Y. K. — vivant à Morlaix, au fond de la Basse-Bretagne, presque sans livres, mais instruit, regardant autour de lui, comparant, réfléchissant, et qui un beau jour, lisant le premier volume frais paru de l'Histoire ecclésiastique de Bretagne de l'abbé Déric, y trouve un passage qui le choque, et du coin de son feu se donne la satisfaction de réfuter ce passage dans un joli petit mémoire, dont la partie archéologique, c'est à dire descriptive, est sur tout fort bien traitée.

Il s'agit d'une ville antique, dont on voit encore les traces sur la côte à deux lieux nord-ouest de Lannion, en la paroisse de Ploulec'h, à l'embouchure de la rivière de Leguer, rive gauche, sur un promontoire, où il reste une ferme et une chapelle, et qui au moyen-âge se nommait Coz-Quéoudet, Coz-Guéoudet ou Coz-Guéodet. Aujourd'hui, et depuis une centaine d'années, on écrit plus volontiers Coz-Guéaudet, et l'on dit dans l'habitude Coz-Yaudet, souvent le Yaudet tout court, en négligeant l'affixe Coz, simple épithète qui marque l'antiquité du lieu et signifie à la lettre le Vieux Guéaudet ou le Vieux Yaudet.

Pour comprendre le mémoire inédit du Prêtre trécorois que nous allons publier, il faut connaître le passage de Déric qui y a donné lieu, le voici :

« On prétend qu'autrefois il y avait une ville à Cozgueuded [Note : Cette orthographe est une fantaisie individuelle de Déric par lui pour arriver à une étymologie du nom qui, comme toutes celles de cet auteur, n’a rien de sérieux], à douze mille pas environ de Treguer. Le nouvel historien de Bretagne, dom Morice, dit que l'on en aperçoit encore quelques vestiges, et qu'elle fut ruinée par les Danois au commencement du IXême siècle. Il ajoute que les peuples qui en dépendoient sont les Lexobii de César. Les monumens anciens ne déposent pas en faveur de l'existence de cette ville, et l'on ne voit pas qu'elle ait figuré du temps des Romains. Tout ce que nous pouvons raisonnablement accorder, c'est que des Bretons de l'isle qui se seront réfugiés à Cosgueuded du tems des Saxons, y auront fondé une petite ville ; mais nous sommes trop amis du vrai pour tenter d'enlever les Lexobii au diocèse de Lisieux. Les meilleurs auteurs laissent ce peuple à la Normandie, nous ne devons pas la troubler dans sa possession » [Note : Histoire ecclésiastique de Bretagne par Déric, t. I contenant l'Introduction (paru en 1777), p. 62-63].

Déric avait fort raison de repousser les Lexobii ou Lexovi du Yaudet ; il avait encore plus tort de nier l'existence en ce lieu d'une ville antique. En réfutant sur ce dernier point, et d'une façon premptoire, l'erreur de Déric, le Prêtre trécorois n'évita malheureusement pas de tomber dans celle de D. Morice sur les Lexobiens. Sa petite dissertation, divisée en trois lettres adressées à Déric, n'en est pas moins bonne à lire et par endroits fort intéressante.

Dans la premiere de ces lettres, il décrit l'état des lieux et des ruines du Yaudet en 1778, avec une exactitude d'autant plus louable que bien des traits relevés dans cette description se sont effacés depuis ; il termine par l'examen étymologique du nom de Cos Kéaudet (ainsi écrit-il) ou Coz-Yaudet.

La seconde lettre est consacrée à rechercher l'origine de la ville antique dont la première vient de décrire les débris. Là reparaissent les malheureux Lexobiens. Malgré la faiblesse des arguments, la conclusion est bonne : c'est que la ville romaine du Yaudet avait été précédée, sur le lieu même, d'un établissement gaulois. L'auteur veut que c’ait été un établissement religieux, un temple des druides. A l'appui de ce système contestable, il cite des faits, des usages, des croyances d'un âge plus moderne, peu probants pour la thèse, mais qui ont par eux-mêmes leur intérêt.

Dans la troisième lettre, après avoir tenté de déterminer la divinité gauloise honorée au Yaudet, notre prêtre trécorois esquisse l'histoire de ce lieu, jusqu'au XIIIème siècle de notre ère. Là encore, à des opinions fort hasardées, surtout en fait d'étymologie, sont mêlés des faits curieux et d'ingénieux aperçus.

Malgré ce mélange de vrai et de faux — où l'erreur est aisée à reconnaître [Note : Nous avons jeté çà et là au pied du texte quelques notes qu'on reconnaîtra à nos initials A. L. B.] — on lira, croyons-nous, avec plaisir cette petite dissertation bien écrite, bien ordonnée, et qui ne sent pas son pédant (Arthur de la Borderie).

 

LETTRE D'UN PRÊTRE TRÉGOROIS

à M. l'abbé Déric, vicaire-génpéral de Dol, sur l'ancienne ville du Yaudet, ou Lexobie, en Basse-Bretagne.

Première Lettre.

Jusqu'ici, Monsieur l'abbé, je conservois quelque respect pour mon breviaire ; j'avois jusqu'ici la bonhomie de croire, avec le Propre de mon diocèse, à l'existence d'une ville jadis située près l'embouchure de la rivière de Lannion ; j'y lisois avec une pieuse crédulité que saint Tudual avait tenu son siège épiscopal au Yaudet [Note : Bonis omnibus adhortantibus ipsoque adeo Childeberto rege annuente, sivit se in episcopum conservati urbis Lexobii, cujus jam olim ad ostium Legueri site, hand procul ......, nihil modo superest vestigiis præter ædem Dei paræ Virgini sacram. Proprium Trecorense].

Mais votre Introduction à l'histoire ecclésiastique de Bretagne vient de paroitre et j'y vois, page 63, que « les monumens anciens ne déposent pas en faveur de l'existence de cette ville : l'on ne voit pas qu'elle ait figuré du tems des Romains ».

Voilà donc, Monsieur, un point d'histoire controversé et un point assez intéressant, puisqu'il concerne la capitale d'un canton considérable. Voilà désormais la tradition, les d'Argentré, les dom Morice, les Samson, aux prises avec la critique éclairée d'un docteur en théologie, d'un vicaire général qui fait des histoires dédiées à NN. SS. les Évêques de Bretagne. Vous rejettez dans la classe des préjugés populaires une opinion, qui avoit constament passé pour une vérité historique.

Le moyen de ne pas balancer dans une pareille diversité de sentimens ? Je m'appliquois déjà le Non nostrum inter vos... lorsque relisant votre ouvrage, j'ai remarqué ces mots à l'endroit qui causait ma perplexité : « Le nouvel historien de Bretagne dom Morice dit que l'on en aperçoit encore quelques vestiges ».

Le premier éclaircissement (ai-je réfléchi aussitost) doit être de vérifier d'abord ces vestiges : sans ce préalable, ou renouvelle la dispute de l'enfant à la dent d'or.

J'ai donc volé sur les lieux, je les ai visités avec la plus scrupuleuse exactitude, et je prends la liberté de vous adresser le résultat de mes observations sur le Cos Quéaudet, autrement le Goz Guéaudet, ou le Yaudet : car on lui donne indifféremment toutes ces dénominations. Vous serez à même, Monsieur, de décider ensuite si le problême historique est résolu.

Le Yaudet (c'est le nom le plus commun, auquel je donnerai la préférence) est situé à une lieue de Lannion dans la paroisse de Ploulech, sur une pointe très-escarpée, que baignent la rivière du Leguer à son embouchure et la mer qui reflue jusqu'à Lannion.

Inhérente à la terre ferme vers le midi par un endroit autrefois coupé de fossés larges et profonds, cette éminence offre dans sa totalité un espace d'environ 40 journeaux, mesure de Bretagne, figurée à peu près en fer de lance.

La partie antérieure vers le Nord est actuellement diminuée par les ravages de la mer, qui ronge insensiblement les côtes voisines et que rejette encore sur le Yaudet un parc de pêcherie, pratiqué sur les grèves de la baye au préjudice de la navigation.

Le rétrécissement de l'entrée vers la terre, deux grandes vallées environnantes des trois autres côtes et l'escarpement de la rive rendoient la place inexpugnable dans les siècles où l'on ignoroit l'usage du canon.

Tel est, Monsieur l'abbé, le premier aspect du terrain : je m'imagine y retrouver déjà la position de l'une de ces villes armoricaines, que décrit Cæsar au troisième livre de ses commentaires [Note : Erant ejusmodi feré situs oppidorum, ut, posita in extremis promontorius linguisque, neque pedibus aditum haberent.... neque navibus, quod rursus, minuente æstu, naves in vadis afflictarentur].

Le conquérant des Gaules assiégea, prit plusieurs de ces villes : compluribus expugnatis oppidis. La nôtre fut peut-être de ce nombre, c'est une simple conjecture ; mais il est certain qu'elle tomba sous la puissance du vainqueur, avec l'Armorique entière.

La bonté de son port, l'importance de sa situation, durent inviter les Romains à fortifier cette clef du païs contre les Bretons insulaires, dont les Armoricains avaient reçu des secours [Note : Auxilia ex Britannia, quæ contra eas civitates posita est, accersunt. Cæsar. Ibidem].

La politique romaine négligea-t-elle une précaution aussi naturelle ? N'abandonnons pas l'examen des mines du Yaudet : peut-être répondra-t-il quelque jour sur la question.

L'emplacement du Yaudet est aujourd'hui couvert à l'entrée vers le midi de huit à dix maisons, évidemment construites des débris d'anciens édifices. L'on remarque à la surface de plusieurs pierres les traces adhérentes du ciment, qui les lioit à l'intérieur d'une autre construction.

La majeure partie du reste du terrain consiste en champs labourés, et si l'on excepte ces maisons, et une chapelle assez vaste, dont j'aurai soin de vous entretenir bientôt, l'on peut s'écrier à la vue de cet emplacement : Nunc seges ubi Troja fuit.

Parcourant ensuite les rebords du Yaudet en commençant par la maison la plus voisine de la mer, on découvre, parmi les épines sauvages et les ronces, les restes d'un épais rempart dont l’assise fondamentale est formée de briques. Le mur de pierre qu'elle portoit est lié par un ciment partout très compact, rouge dans la partie extérieure et blanc dans le côté intérieur de la même muraille.

La maçonne est en dedans composée de pierres assez petites, jettées en tout sens et noyées, pour ainsi dire, dans le ciment : mais le dehors présente un revêtement de pierres dures avec une surface d'un pied en quarré. L'on vérifie la solidité de l'ouvrage par l'inspection d'un grand plan de mur, que la mer a renversé en avant la rive sur laquelle il posoit. Battu des flots, lavé chaque jour par le flux et le reflux, il se conserve dans son intégrité depuis sa chute ; le ciment semble même en avoir acquis plus de tenacité. Pour l'éprouver j'ai voulu en détacher quelques morceaux à coups de caillou ; ils se sont rompus par le milieu des pierres plutôt que par la liaison du mastic.

En rentrant de l'enceinte dans le centre du terrain, on remarque une fontaine, qui d'une excavation horizontalement pratiquée dans le roc coule dans un bassin de pierres de taille. Le creux du rocher est voûté de pierres taillées en arc de cercle, rangées sans mortier ni ciment parallèlement l'une à côté de l'autre ; des connaisseurs prétendent y découvrir la manière romaine. Un peu au dessus au couchant, l'emplacement se termine en angle taillé dans le roc et poli de main d'homme à la hauteur d'environ trente pieds Les gens du canton appellent cet endroit le Château ; il est attenant à une hauteur prolongée vis-à-vis des fossés d'entrée, hauteur que forment les débris de murs et d'édifices détruits, dont on découvre les pierres façonnées et les morceaux de ciment entassés pêle-mêle.

A mon retour du Yaudet, on m'a fait passer par un chemin ferré, bombé et couvert de pierres très grandes, qui aboutit à un faubourg de Lannion, et j'ai appris qu'une route pareille, maintenant interceptée par des clotures, mais dont il subsiste des vestiges, conduisait de Morlaix à notre ancienne ville par les derrières du château de Coatredrez, appartenant à la maison de Rosambo.

J'ai cru remarquer des traces de ces chemins, ou de leurs embranchemens, dans les routes actuelles de Lannion à Carhaix par le Vieux Marché et Lanascol. Là se bornent, Monsieur l'abbé, mes découvertes sur les monumens aujourd'hui subsistons du Coz-Yaudet : car je ne puis vous rendre compte des médailles d'or que des paysans y déterrèrent il y a sept ou huit ans. Vous regetterez sans doute, avec tous les gens de lettres, que ces découvertes numismatiques, si propres à débrouiller le chaos de nos annales dans les premiers siècles de l'Ere chrétienne, ayent passé directement des mains ignares de ces paysans dans le creuset de l'orfèvre qui les acheta.

Malgré cette perte, dont on seroit vraisemblablement dédommagé par de nouvelles fouilles, vous êtes trop équitable, Monsieur, pour vous refuser, dans le cours de votre Histoire, à nous réintegrer dans la triste possession, ou nous étions, d'avoir les ruines d'une cité antique.

Il n'est pas jusqu'à la rivière dont les eaux vont sous ses murailles se perdre dans la mer, qui ne serve à rappeler son existence. Elle s'appelle depuis longtemps le Leguer, nom générique composé de Ler-guer, ou (ce qui est exactement identique) de Leff-guer, qui signifient en langue celtique Rivière de la ville.

De la même source dérive l’étimologie du port du L’guer près Saint-Brieux de Chateau-lin, en breton Castel-lin, Château sur la rivière. Telle est également celle du fleuve Liger, la Loire, que les anciens Celtes s chez lesquels la prononciation gr étoit inusitée, articulaient Liguer. La différence des mots radicaux Lin et Len n'embarasse points les littérateurs, qui connoissent la reremarque de Davics sur le mot « Dyn homo, armoricanè Den ; antiqui enin et Armor ani E scribebint pro Y.

Vous vous êtes par contre mépris, Monsieur, sur l'origine du mot Liger en lui atribuant, page 146 votre introduction, la signification bizarre de ...... [Note : A peine est–il besoin le dire que les étymologies données ici de Leguer, Castel-lin n’ont rien de plus sérieux que celles de l’ abbé Déric. - A. L. B.].

Vous avez aussi mal à propos rejetté l'explication étimologique du Cos-queaudet de Dom Morice. Coz-quer signifie réellement vieille cité, et le mot complexe de Cos-quer-yaudet est la vieille cité du Yaudet, que l'on nomme en breton par syncope Coz-guéaudet : preuves ulterieures et de son existence et de son antiquité au rang des cités Armoriques.

Ces petites notes grammaticales suffiront, Monsieur, pour vous prémunir contre l'interprétation alambiquée du mot Keaudet qu'imagine dom Pelletier ; selon lui Coz-Kéaudet (c'est précisément le même nom que Cos-Queaudet différemment écrit) veut dire vieille cité : et rien de plus exact si l'on se bornoit à traduire le Coz-Ker qui commence le mot : mais Coz-ker-Yaudet, dans sa totalité, signifie, je le répète, Vieille cité du Yaudet. Dom Pelletier confond encore le nom de notre ville avec celui de Keodet de Quimper; cependant la différence est aisée à saisir. La rivière de Quimper est l'Odet ; la pointe à son embouchure s'appelle Ben-Odet, ou comme l'écrit Albert Le Grand, Pen-Odet. Il étoit bien naturel, dans une langue où tous les noms propres sont significatifs, de désigner par celui de Keodet la cité que l'Odet arrose [Note : Étymologie un peu plus spécieuse, mais non plus fondée que les précédentes]. Si cette dénomination a quelque ressemblance, elle n'a aucune identité avec le nom de Coz-Ker-Yaudet.

J'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Morlaix, le 1er août 1778. Y.... K.... prêtre.

Poscriptum. On m'assure qu'un membre de l'Académie françoise vient, ces jours derniers, de descendre au Yaudet. Je suis désolé de n'avoir pas rencontré ce savant : j'eusse profité de ses lumières et je n'aurais pas manqué de vous faire part de ses observations.

 

Seconde Lettre.

Tout me semble, Monsieur l'abbé, marqué au coin de la certitude dans ma précédente lettre ; la critique la plus sévère ne permet de récuser le rapport des yeux. Mais quelle est l'époque de la création du Yaudet, son nom véritable et primitif, celui du peuple qui habitait les campagnes voisines ? quels sont les auteurs qui en parlent, les monumens qui nous en instruisent ? quel est enfin le temps de sa destruction ?

Ici commencent les doutes, inséparables de recherches sur l'histoire très obscure de la Basse-Bretagne.

La difficulté de les éclaircir ne m'empêchera point, Monsieur, de hasarder mes conjectures : je m'enhardis par l'exemple des compatriotes qui viennent de vous détromper sur l'origine de Carhaix.

La dénomination primitive de notre ville paroit être celle du Yaudet, formée d'yau et Tet, hauteurs, pointe du Tet, nom propre que portait originairement la rivière, qu'on a depuis la création de la ville appellée le Leguer, nom qui convient également à une divinité adorée par les Gaulois. Je puise mon idée dans la situation même du Yaudet, combinée avec le passage de la description des Gaules, où Claude Ptolemée place l'embouchure de la rivière de Tet, Teti fluvii ostia sur la côte septentrionale de l'Armorique, entre le port Staliocan et Arrigenus Biducesiorum, dans une position qui revient à celle du Yaudet.

Je pourrois, Monsieur l'abbé, embrasser ici l'opinion de d'Argentré qui met les Biducesii dans le païs de Saint-Brieuc et fonder ce sentiment, contraire au vôtre, sur le rang que Ptolemée leur assigne, plus voisin de le Basse Bretagne que l'embouchure de l'Orne, Olinœ fluvii, et la ville de Lisieux, Neomagus Lixubiorum.
Je pourrois même, en pressant les analogies grammaticales, avancer que l’Ar-Rigenus Biducesiorum est la ville Rhegina de la table de Peutinger, le port d'Erqui ou, suivant la prononciation du païs, Arquy, à quatre lieues de Saint-Brieuc. L'on y a découvert beaucoup d'antiquités, et les distances astronomiques marquées par Ptolemée viendraient à l'apui de mes conjectures.

Mais la tâche n'est déja que trop forte pour ma faible érudition de m'embarrasser dans des recherches sur le Yaudet : j'y reviens et je me reproche d'avoir un instant abandonné mon objet.

J'ai avancé, dans ma première lettre, l'assertion de la prééxistente de notre ville à l'arrivée de Cæsar dans les Gaules : j'y ai présumé qu'après la guerre de Vannes le général romain fortifia ce port essentiel et le garnit de remparts dont les vestiges subsistent jusqu'à nous.

Un demi-siècle après cette époque, je vois le Yaudet cité par Strabon, comme l'entrepôt du commerce des Romains avec la Grande Bretagne. Ce géographe nous apprend que leurs marchandises remontoient de la Méditerrannée dans le Rhône et la Saône, d'où transportées par terre jusqu'à la Seine, elles descendoient sur cette rivière in Oceanum, et in Lexovios et Yadetos, unde in Britaniam diurno brevior est incursus. Je me flatte, en dépit des objections que je prevois, de trouver dans ce passage mon cher Yaudet [Note : Il est aujourd'hui admis par les érudits les plus versés dans la géographie gallo-romaine que le peuple désigné ici sous le nom de Yadeti est le même que les Caleti ou Caletes, peuple du pays de Caux, à droite de l'embouchure de la Seine ; il n'a donc aucun rapport avec le Yaudet. C'est cependant ce passage de Strabon qui a déterminé les légendaires et les anciens historiens à faire du Yaudet la capitale des Lexobiens. - A. L. B.]. Vous me confirmez vous même dans cette idée par votre Introduction, page 133. J'y apprends, et dans les notes de Monsieur Gallet inserées à la fin du premier volume de dom Morice, que le principal objet du commerce de la Bretagne insulaire, l'étain, provenoit de la Demnonée, précisément située vis-à-vis du Yaudet. On sait que les Romains naviguoient terre à terre, pour partir de la dernière relâche droit au but de leur voyage.

Je n'ignore pas que Dom Morice, met le Tetus fluvius à l'endroit du Trieu dans sa carte de l'ancienne Gaule ; la distance du Yaudet n'est que de six lieues, et c'est déja se raprocher.

Le savant Bénédictin ne s'appuie d'ailleurs sur aucune raison pour autoriser cette situation, et l'embouchure du Trieu ne fournit nul ancien monument qui puisse lui assigner le rang distingué qu'occupent les Teti fluvii ostia dans la géographie de Ptolemée. Ces motifs, soutenus par la liberté que Dom Morice laisse (note 3 du tome premier) de ne pas suivre aveuglément sa carte géographique, joints à la dissemblance des mots Tet et Trieu, déterminent à fixer la position du premier auprès du Yau-det. La différence de Tet à Det est une minutie pour un Bas-Breton, ainsi que pour les savans qui réfléchissent avec Dom Pelletier, avec Chapelin, que la lettre T habet cognationem quamdam, cum D. J'en citerois mille exemples dans l'écriture des noms actuels ; ils ont oû être plus frequens dans les tems où les Celtes n'écrivoient rien, où conséquemment le nom du Yaudet ne fut écrit que par des étrangers [Note : Le tome 2 de l’Histoire, de M. Deric vient de nous mettre à l’aise sur ce point : Le D et le T se mettant l'un pour l'autre dans le celtique, porte une note au bas de la page 214].

Pardonnez-moi, Monsieur l'abbé, quelques idées ultérieures, sur la coutume annuelle où sont toutes les familles du canton à deux ou trois lieues à la ronde, de se rendre durant le mois de mai au Yaudet par dévotion et par partie de plaisir : car, fidèles imitateurs de leurs pères les anciens Gaulois, les Bas Bretons savent allier l'une et l'autre fin dans leurs assemblées. Le pèlerinage ne vaut rien si le Yaudet n'est visité durant le mois de mai. N'est-ce point là positivement l'assemblée du Champ de Mai, la plus solennelle des anciens Celtes, assemblée de religion et de réjouissance, dont parle savament Simon Pelloutier ?

Cet auteur, vous-même, Monsieur qui eussiez pu le citer en le copiant dans votre ouvrage, nous instruisez que les Gaulois se réunissoient pour leurs cérémonies religieuses sur les montagnes, et le Yau-det est la montagne du Tet. Ils s'assembloient armés, et les nobles, equites, conduisoient leurs cliens : il reste encore de cet usage des traces dans le droit qu'exerce, au mois de mai, le seigneur de Kergomar de mettre ses vassaux sous les armes à Loguivi, sur le chemin et à une demie lieue du Yaudet, et que prétendent, au Yaudet même, le seigneur de Kerninon et quelques autres propriétaires de fiefs voisins.

Si ces lieux sacrés habités par l'ordre des Druides furent originairement des forêts, il est aussi certain que le relâchement de ces pontifes, l'afluence du peuple qui les visitait, le nombre des disciples qui se rendoient auprès d'eux, ont transformé plusieurs de ces réduits en villes. Quantité de nos monastères ont éprouvé le même changement. Tout annonce au surplus que le Yaudet fut primitivement une demeure affectée aux Druides et environnée de bois.

Des pierres longues, placées autour du Yaudet à une distance à peu près d'une lieue et quart, existent encore aujourd'hui au nombre de cinq à six, et la tradition apprend qu'elles furent autrefois en plus grand nombre. Ces pyramides, telles que vous les décrivez (page 177 et 178 de votre Introduction), forment depuis Lannion jusqu'à la mer de Tredrez un arc de cercle qui a le Yaudet au centre. Dans l'intérieur sont les terres de Coatredrez c'est-dire Bois de Tredrez, de Kerbeusit, la Boissière, de Kernecgwez, la Ville au haut bois [Note : Kerneguez pour Kernevez répond littéralement au nom de Ville-Neuve que portent tant de villlages en pays français. — A. L. B.].

Cette colonnade était une enceinte religieuse qui séparoit le domaine des prêtres celtes des terres profanes, ou la cernure extérieure d'un de ces camps romains qu'on appeloit hyberna et qui sont la plupart devenus des villes fortifiées. L'un et l'autre seroient toujours un titre à la plus haute antiquité : cependant je prefererois la première présomption, parceque j'ai rencontré des pierres semblables, mais isolées, sur des hauteurs tout-à-fait écartées ; parceque d'ailleurs l'on ne peut douter, sur le témoignage des anciens auteurs et le vôtre, que ces pierres ne fussent un objet de culte chez les Gaulois.

Aux indices, dont je viens de rendre compte, ajoutons, Monsieur l'abbé, la superstition qui règne dans le païs : elle consiste à porter au clair de la lune ou à la première aube du jour la chemise d'un enfant dont on veut connoitre le sort ; on l'étend sur l'eau de la fontaine près du bourg de Loguivi, dans l'enceinte des pierres dont nous avons parlé, à une demie-lieüe du Yaudet. Si la chemise surnage, l'enfant vivra ; si elle se mouille et s'enfonce, il mourra incessamment.

Vous savez, Monsieur l'abbé, combien les Celtes vénéroient l'eau et les fontaines ; celle de Loguivi est proprement celle du Yaudet, située sur l'ancien chemin de cette ville et dans son domaine. Aux ouvrages qui l'accompagnent je serais tenté de croire qu'elle servoit de thermes aux Romains, qui ne pouvoient en établir d'eau douce au Yaudet.

Mes présomptions sur l'affectation originaire de ce lieu aux superstitions gauloises reçoivent un nouvel appui d'un préjugé populaire, très enraciné dans le pais. Les gens du peuple s'imaginent qu'il passe chaque nuit un Teut, un esprit, dans le carrefour voisin de Lannion, près de la Villeneuve-Corbin, d'où partent deux chemins conduisant aux ruines de notre ville ancienne.

Quelle est donc me demanderez-vous la divinité principale qu'on y adoroit ? Je crois l'entrevoir et je vais rassembler mes preuves pour vous les communiquer dans une prochaine lettre. J'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, Y. ... K..... prêtre. A Morlaix, le 15 décembre 1778.

 

Troisième Lettre.

Je sens, Monsieur l'abbé, que j'ai entrepris une grande tâche. Je veux cependant dégager ma parole et découvrir, conjecturer au moins, quelle étoit la divinité dont le culte dominoit au Yaudet. Au défaut de l'histoire, je vais encore sur ce point recourir aux étimologies, moins trompeuses dans le celtique qu'en aucune autre langue.

Rappelons-nous d'abord que Yaudet est le même mot que Yau-tet, je crois l'avoir prouvé.

Ressouvenons-nous aussi que antiqui et Armoricani E scribebant pro Y. Ainsi l'on doit avouer que le Yau-tet était précisément et se prononçoit dans l'antiquité Yau-tit. Je touche à ma découverte.

Ce dernier nom en effet signifie hauteur consacrée à la terre, que les Celtes adoraient sous la domination de Tit, suivant l'observation du père Pezron, dans ses Antiquités Gauloises, page 59 et 60. Tit signifie également de la terre parmi les Hébreux, remarque Pezron, et l'on connaît l'analogie de la langue celtique avec l'hébreu.

Il est très vraisemblable que le temple de Rennes dédié à Thétis, dont vous faites mention d'après Albert Le Grand et le mémoire rapporté dans cet auteur, étoit dédié à Thet. Thet-ti en celtique est précisément une maison, un temple de Thet ; la ressemblance du mot avec celui de Thetis a pû très aisément induire en erreur, surtout après la destruction de l'édifice ; mais on se persuaderait difficilement que les Rennais se fussent particulièrement adonnés au culte de la mer, dont ils sont éloignés, dont il n'avaient rien à espérer ni à craindre, au lieu que celui de la terre était en vogue chez les Gaulois.

Vous identifiez d'ailleurs la Thétis de Rennes avec Isis, qui présidoit tellement à la terre qu'on la confond sauvent avec Cybelle.

Tenons-nous donc à la déesse Tet, autrement dit Tit, et conjecturons que les Romains ont ensuite donné le nom de Tetus à la rivière du Yaudet.

Le nom du peuple qui formoit la cité de cette ville s'accorde exactement avec ces présomptions ; il s'appeloit Lexobii, d'où le Yaudet s'est aussi appelé Lexobie. Vous en serez moins surpris que tout autre, Monsieur, en vous rappellant ce passage de votre excellent guide, Simon Pelloutier, tome 2, page 122 : « Il arriva un changement considérable dans les Gaules sur la fin du quatrième siècle et au commencement du cinquième. La plupart des villes des Gaules perdirent alors leur ancien nom et prirent celui du peuple dans le territoire duquel elles étoient situées ». Au fond Lexobie signifie la même chose que le Yaudet. Ce premier mot est composé de lech, lieu, et d'opis, lieu dédié à la terre, qui dans la mythologie la plus antique portait aussi le nom d'Opis et d'Ops.

Peut-être me direz-vous, Monsieur, que ces analogies grammaticales sont les jeux du hasard. Je n'en suis point enthousiaste, mais en vérité elles me frappent et pour me servir des expressions judicieuses de votre préface : « Ces différentes espèces de noms peuvent nous tenir lieu de l'histoire des premiers âges ; à l'aide de ces archives toujours ouvertes et presque jamais consultées, on découvre le territoire de chacun des peuples de la Bretagne, l'origine de leurs villes » [Note : Rien de plus dangereux qu'un tel principe. Même traitée par la prudente et rigoureuse méthode qui prévaut de nos jours, l'étymologie ne peut fournir sur les points dont il est ici question que des lumières fort incertaines. Avec la méthode tout imaginative de l'abbé Deric, elle donnait nécessairement des résultats tout à fait fantastiques. — A. L. B.].

Il est au reste des personnes qui vont encore plus loin que moi dans le vaste champ des conjectures. Un de mes amis prétend que la statue de la Vierge, placée au maître-autel de la chapelle du Yaudet, pourroit être une effigie d'Isis. La sainte y est representée couchée dans sa longueur, allaitant l'enfant Jésus, et toutes les marques caractéristiques d'une nourrice sont à découvert. Or (reprend-il) Isis ou la terre étoit ordinairement représentée sous la figure d'une femme en couche et d'une nourice donnant la mammelle à son enfant.

Cette statue aura été ensevelie lors de la destruction de la ville ou, si l'on veut, au renversement des idoles, lorsque le christianisme devint la religion dominante. Déterré depuis, soit quand on a construit la chapelle actuellement subsistante, soit en d'autres fouilles, ce simulacre a paru une statue de la Vierge parfaitement conservée : et comme en Basse-Bretagne il n'y en a point de plus respectables que celles qu'on trouve en terre, elle est en si grande vénération qu'on a, suivant le Propre trécorois, érigé quelques autres églises sous l'invocation de Notre-Dame du Yaudet [Note : Nihil modo superest vestigii, præter ædem Dei paræ Virginis sacram, adeo celebrem, ut ex similitudine vocabuli sacris aliquot ahis locis multum quæsitum sit religionis. Proprium Trecorense].

Je ne saurois dissimuler que, suivant la tradition la plus commune, les Lexobii de Cæsar et des anciens géographes sont les habitants de Lisieux en Normandie. Bien examinée, ce n'est là qu'une pure question de mots. Cæsar en effet [Note : De Bello Gallico, livre 2, et au commencement du 3ème] place un peuple Sesuvii, autrement Gusubii, dans l'Armorique, auprès des Osismiens et des Curiosolites, parmi les cités quœ sunt maritimœ Oceanumque attingunt.

A l'adoucissement près de la prononciation dans Sesuvii (et l’on sait que près du païs de Léon elle est très douce), ce mot est le même que Lexobii, Lexuvii [Note : Cette prétendue identité est une pure chimère. — A. L. B.]. La différence est néanmoins suffisante pour désigner deux cantons dans la Gaule, qui, portant la même dénomination, la prononçaient différemment : Non usque quâque linguâ utuntur omnes (assure Strabon), sed paululum variata.

Il n'est pas surprenant au reste que dans une grande nation, superstitieuse à l'exces [Note : Commentaires, livre 6 : Natio omnis Gallorum admodum dedita religionibus], deux peuples un peu éloignés ayent pris leur dénomination de la divinité favorite des Gaules, la déesse Opis.

Il y a donc eu deux Lexobies ; les monumens nous obligent de le croire et cette multiplicité concilie les deux traditions [Note : Landouar, où est aujourd'hui l'abbaye de St Jacut, signifie en breton Finum Terrœ, temple de la Terre].

Des légendes anciennes, des actes du XIIème siècle donnent ce nom au Yaudet. J'ose même dire que le rang d'ancienneté appartient à cette ville : le Neomagus Lexubiorum de Ptolemée semble en effet déceler sa modernité au tems de cet auteur [Note : Neo-mag, en celtique, nouvelle ville. Etymologie plus que contestable. — A. L. B.], au lieu que le Yaudet a retenu le titre de Vieille cité, Coz-quer-audet, nom qui s'est constamment conservé dans le pais, depuis même qu'on a aussi employé celui de Lexobie [Note : Jamais le nom de Lexobie n'a été appliqué au Yaudet dans l'usage vulgaire ; c'est une invention de clerc savant ou soi-disant tel. — A. L. B.]. Cette multiplicité de noms, singulière et coexistante, prend sa source dans la signification identique de l'un et l'autre terme.

De là vient que les évêques du païs de Tréguier ont pris dans quelques actes la qualité de Lexobiensis Episcopus [Note : On ne rencontre cette qualification dans aucun acte authentique. — A. L. B.]. (D'Argentré, Histoire de Bretagne, livre Ier). De là provient encore le nom de Ploulech, Peuple du lieu, par antonomase, que porte la paroisse où est situé l'emplacement de Lexobie.

Vous remarquerez sans doute, Monsieur l'abbé, que le défaut de connaissances intermédiaires me fait ici sauter de plein vol aux cinquième et sixième siècles, au tems de l'érection des paroisses, nécessairement postérieure à la propagation de la foi chrétienne.

Vous avez raison d'observer, dans votre second volume, que le christianisme fut d'abord annoncé dans les villes principales, d'où les dogmes en furent répandus dans les campagnes. Il suffit de suivre en partant du Yaudet, la gradation des paroisses de Ploulech, Plou-berre, Plou-aré, Plou-nevez, Plou-gras ou plutôt Plou-croas, pour se convaincre que la lumière de l'Évangile est sortie de la cité pour se propager dans ces lieux contigus les uns aux autres [Note : Peuple du lieu par excellence, Petit peuple, Encore un Peuple, Peuple nouveau, Peuple de la croix, gagné à la croit. Voilà l'explication de ces noms. Plou, ploué, en breton signifie, à proprement parler, la paroisse, les gens de la paroisse ; quant à la seconde partie des cinq noms de paroisses cités dans le texte, l'interprétation est bonne pour les deux derniers, non pour les autres. — A. L. B.].

Aussi son église passe-t-elle pour la primitive du diocèse. La chapelle relève immediatement de l'ordinaire, sans dépendance du recteur.

L'on a cependant voulu contester au Yaudet la qualité de ville épiscopale ; l'on a soutenu quelque fois qu'elle n'a jamais eu d'évêques.

Cette erreur, qu'on appuie sur ce que Nominoé établit à Tréguier un siége épiscopal, lorsqu'il érigea l'église de Dol en métropole de son royaume, a été combattue récemment avec succès par l'auteur des Annales Briochines. Sans transcrire ici ses notes, une réflexion résout la difficulté tirée de cette érection du neuvième siècle.

Dés 837, Lexobie n'existait plus ; elle fut détruite par les mains des Normands, qui ravagèrent la Bretagne, particulièrement la côte septentrionale, d'où Nominoë eut beaucoup de peine à les écarter, après les avoir poursuivis jusque dans le païs de Léon [Note : V. les Chron. Bret. dans Dom Morice, tome 1er de ses Preuves, et Albert Le Grand, d'Argentré]. Tel est le motif de la translation du siège épiscopal à Tréguier en 848 [Note : Sur les origines de l'évêché de Tréguier et les changements introduits par Nominoë en 848, voir notre Annuaire historique de Bretagne , année 1862, p. 146 à 152 et 178 à 180].

Si l'on en croit Albert Le Grand, Lexobie avait été précédemment prise en 786, par Astulphe, lieutenant de Charlemagne. J'ignore où il a puisé cette particularité [Note : Nous l'ignorons aussi tout à fait ; nous savons seulement que le lieutenant de Charlemagne ici mentionné s'appelait, non pas Astulphe, mais Andulfe], d'autant plus vraisemblable qu'Astulphe soumit réellement les Bretons, les poursuivit jusques dans les lieux les plus inaccessibles, s'empara de leurs forteresses et de leurs châteaux [Note : D. Morice, tome 1er de son Histoire, page 25].

Ce siège du Yaudet en facilita peut-être la destruction par les barbares du Nord, au commencement du siècle suivant.

Mais en perdant sa grandeur et son existence, il conserva au moins son titre d'ancienne cité. Un accord passé entre le duc de Bretagne, Jean le Roux, et Main évêque de Tréguier [Note : Au XIIIème siècle. V. les Preuves de D. Morice, t. I, col. 1006, année 1267. Le Yaudet est désigné dans cet acte latin sous le nom de Vetus Civitas] le désigne par les termes de Veterem Civitatem, et le place avec la ville de Tréguier, la campagne de l’Eveque dite Ruradenac, en français le Fougerai-rouge, dans la classe privilégiée des domaines de la manse épiscopale non sujets au droit de régale.

Si vous me demandez, Monsieur, comment et dans quel temps des prêtres sont devenus seigneurs d'une ville capitale, bâtie, ou plustost fortifiée par les Romains, je répondrai d'abord qu'une pareille mutation de propriétaires n'est pas inoüie dans les annales de l'Europe. Je sens néanmoins que j'élude la question et ne la résous pas.

Sans prétendre à l'espoir de vous satisfaire entièrement, j'ajouterai qu'à la naissance du Christianisme, les princes chrétiens transportèrent aux ministres de l'Evangile les biens dont le clergé payen était en possession [Note : Simon Pelloutier — tome 7, page 114].

Si cette réponse vous paroit encore trop vague, veuillez observer que Childebert, roi de France, donna à saint Paul Aurélien Leonensem Agnensemque pagum, qu'occupait une légion romaine avant la réduction de ces guerriers par les Armoriques, arrivée, suivant Procope, environ l'an 409. Libéral par caractère et facilement enclin à donner ce qu'il n'était guère en état de conserver par lui-même, ce qui auroit d'ailleurs trop accrû la puissance de ses lieutenans armoricains, Childebert abandonna aussi sur la même côte une autre ville romaine à un autre évêque. Tudual lui devait, comme Paul, son élévation à l'épiscopat, et l'histoire nous apprend que tous deux en furent comblés de caresses et de dons [Note : Childebertus, prout erat vir callidissimus, plurimas libertates et franchisias quibusdam ecclesiis, et monasteriis Britanniæ concessit : et presertim monasteriis Sancti Tuguali, Sancti Brioci, etc. — Chronicon Briocense, dans D. Morice, Preuves, I, 16].

Je pencherais beaucoup à fixer l'époque primitive des droits de l'évêque sur le Yaudet au règne de Childebert et au pontificat de saint Tudual. On voit ses successeurs en jouir tranquillement à titres d'anciens propriétaires, ils en ont même actuellement la directe féodale, ou le domaine utile, sans posséder d'autres mouvances dans le canton que sur le terrain qui sert d'arondissement au Yaudet et un petit ravin de l'autre côté de la rivière dans la paroisse de Servel.

Ces lieux s'appellent minihis : ils furent durant plusieurs siècles exempts de toutes impositions ; tellement que vers la fin du XVIème siècle il fallut créer pour eux des mandements particuliers du fouage, qui sont jusqu'à ce jour distingués des mandemens et des rolles généraux de la paroisse.

Contentez-vous, Monsieur l'abbé, de ces chétives notes : elles renferment toute la science d'un prêtre bas-breton. Ayez surtout assez d'indulgence pour lui pardonner les incorrections du langage. Satisfaits de savoir un peu penser, nous n'affectons point un style brillant dans une langue étrangère aux fonctions de notre ministère ; nous parlons, nous prêchons en bon celtique, cela nous suffit, et l'on nous pardonne d'ignorer le françois, lorsque nous n'entreprenons point d'effacer les peuples et les cités des fastes des nations.

J'ai l'honneur d'être, Monsieur l'abbé, votre très humble serviteur, Y,.... K.... prétre. Morlaix, le 20 novembre 1778.

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