|
Bienvenue ! |
La ville dIs et la Lexobie de César |
Retour page d'accueil Retour page Yaudet
A une époque fort reculée de notre histoire, sélevait en Bretagne une cité maritime puissante et belle, défendue par de bons remparts des attaques de ses ennemis et protégée des envahissements des flots par des digues, dont on ouvrait à certains moments les portes pour laisser entrer ou retenir la mer dans le port. |
La légende nous représente Is si grande et si magnifique « que pour faire léloge de la capitale des Galots (les français, par opposition aux bretons qui ne parlent pas français), dit Emile Souvestre, les hommes de lancien temps nont rien trouvé de mieux que de lappeler Par-Is, cest-à-dire égale à la ville dIs ».
Cest dailleurs ce quindique ce proverbe rapporté dans le Foyer breton :
A baouë beuzet ar gwoer a Is, Ne deus quet cavet par da Paris. |
Cest-à-dire :
Depuis que la ville dIs a été noyée On na pas trouvé dégale à Paris. |
Si lon en croit la tradition, dit la Presse Littéraire, « cétait une ville splendide, babylonienne. Elle était bâtie de marbre, peuplée de palais, toute étincelante dor : des remparts dune hauteur colossale la défendaient des attaques de ses ennemis dun côté, et des digues, dune solidité à toute épreuve, la protégeaient de lautre contre les irruptions de lOcéan ».
Mais il est un moment où tombent les cités les plus magnifiques : Dieu suscite un fléau dévastateur qui les couche dans la poussière. Tantôt cest un conquérant formidable dont la valeur ne rencontre point dobstacles qui puissent arrêter sa marche triomphale, tantôt une peste ou un incendie viennent décimer les habitants ou anéantir les maisons : ou bien encore, les flots se soulèvent pour engloutir ces tours altières restées imprenables. Telle fut jadis la ville dIs et telle elle fut renversée par les ondes, au point quil en reste à peine quelques traces . Cest du moins ce que dit la légende : il faut bien se garder de rire de ces contes populaires que la tradition nous a transmis par les diverses générations qui nous ont précédé : il existe au fond de sages vérités. Il en est qui ont revêtu une autorité impérissable et parmi eux, nous plaçons celui de lexistence de la ville dIs qui est aujourdhui un fait incontestable.
Mais si cette ville fut puissante, sa fin fut bien terrible. Nous ne pouvons mieux faire pour raconter brièvement sa dernière heure que de laisser parler un élégant écrivain de nos jours : M. Zaccone, dans un feuilleton intitulé La Ville aux Diamants, sexprime ainsi : « A Is, il ny avait rien à craindre, et sûre de limpunité, la cour du bon roi Grallon se livrait avec emportement à ces ténébreux excès qui avaient autrefois attiré la colère du ciel sur Sodome et Gomorre !. Un jour cependant, Dieu ne pût voir, sans être courroucé, le spectacle que la ville dIs donnait à la Bretagne et au monde entier et il résolut de la détruire. Ce ne fut pas long. La ville dIs sendormit la nuit suivante du lourd sommeil de lorgie et ne se réveilla plus. LOcéan avait brisé ses digues puissantes, et lon ne voyait plus à sa place quune immense nappe deau, silencieuse et morne . »
Trois villages de Bretagne surtout revendiquent lhonneur dêtre bâtis sur ses ruines. Ce sont Saint-Michel-en-Grève et le Yaudet dans notre département et Tristan dans la petite île de ce nom, à lentrée de la baie de Douarnenez. Quelques-uns prétendent quelle embrassait tout le pays où sont aujourdhui les communes de Trédrez et de Ploulech et quelle était assez vaste pour quune extrémité occupât lendroit où sélève le hameau actuel du Yaudet et que lautre extrémité dépassât la lieue de grève. Sans ajouter foi à cette étendue prodigieuse qui nous semble le fruit de lexagération populaire, examinons quels sont les titres sur lesquels sappuient les trois villages que nous venons de citer pour se prétendre situés sur lemplacement de lantique ville dIs.
Saint-Michel-en-Grève na pour lui que lautorité dune légende ancienne qui assigne pour berceau à Is la lieue de grève « immense plage déserte, où lon ne voit à gauche que la pleine mer, à droite que des champs pour la plupart incultes, ou des rochers nus bizarrement taillés par lOcéan dans un jour de puissante fantaisie ». Comme nous venons de le dire, les flots engloutirent cette ville superbe qui est demeurée enfouie au-dessous de ces sables arides, éternel monument des vengeances divines et dont laspect désolé remplit le cur dune vague tristesse et plonge lâme dans une mélancolie amère. Elle na pas été entièrement détruite : elle existe là, cachée aux regards des mortels : la nuit de la saint Jean chacun peut y descendre par un escalier magnifique pratiqué au fond dune grotte qui se trouve à lentrée de la baie, derrière un rocher, lequel cette nuit là sébranle pour en livrer laccès au premier coup de minuit et se referme au dernier son de la cloche. Malheur à celui qui na pas été assez prompt à enlever hors de ces lieux souterrains tout lor dont il sest chargé, il est à jamais enseveli dans les entrailles de la terre : la condition est expresse et telle est la cupidité humaine quon ne dit pas que jamais personne en soit revenu. Saint-Michel na point dautre titre pour réclamer Is que cette légende : nous allons trouver pour les deux autres villages rivaux des preuves beaucoup plus imposantes.
Il existe au Yaudet des traces certaines de la domination Gallo-Romaine dans le pays, telles que les débris dun mur qui a dû être fort épais, bâti en ciment près du poste des douanes, à lembouchure du Guer et ceux dune voie Romaine plus dans lintérieur des terres, reconnaissable aux pierres immenses dont elle est pavée. Ces ruines attestent le séjour des Romains dans cette contrée, qui y formèrent dabord des camps militaires ; ces camps sagrandirent successivement par des constructions qui vinrent se grouper à lentour et formèrent des cités entières.
Létablissement des Romains au Yaudet semble avoir dû être assez considérable en raison de létendue de terrain dans lequel on a trouvé ses ruines. Mais était-ce là la ville dIs ? Nous ne pouvons laffirmer, surtout quand Douarnenez paraît avoir plus de titres à la revendiquer. Nous ne pensons pas non plus que jamais la Lexobie de César ou la Lexobie des antiquaires ait été à lembouchure du Guer. Le passage cité des commentaires de César, livre 3, ne démontre nullement le fait. Cest une thèse générale et non une description particulière de la capitale des Lexoviens. Lhistorien latin a dit : « Erant ejus modi ferè situs oppidorum, ut, posita in extremis lingulis promontoriis que, neque pedibus aditum haberent, quam ex alto se oestus incitavisset, quod bis accidit semper horarum duodecim spatio, neque navibus, quod rursus minuente oestu, naves in radis afflictarentur » cest-à-dire que les peuples dalors avaient pour habitude (ferè, dordinaire), en bâtissant leurs forteresses et leurs villes, de choisir les extrémités des langues de terre et des promontoires, de manière quelles fussent inaccessibles aux troupes de terre, à la marée montante, ce qui arrive deux fois dans lespace de douze heures, et inabordables des navires qui sabîmaient dans les sables à mer basse.
Ce mode de construction sappliquant parfaitement au Yaudet, est-ce une raison pour déshériter Lisieux de la gloire dêtre fille de lantique Lexovie : nous le croyons dautant moins que ce passage de César peut en partie sadapter à Lisieux. La mer est venue baigner deux fois en douze heures les murs de cette ville : cest ce que prouvent les ruines dun mur quon a trouvé aux environs portant scellés dénormes anneaux de fer qui ont dû servir à lamarrage des barques et bateaux, et auparavant des galères Romaines. Quant à la mobilité des sables, il est difficile de la reconnaître sous le sol uni et émaillé des prairies qui les recouvre depuis que la Manche sen est retirée. La distance de la ville actuelle de Lisieux, vingt kilomètres, nest pas un obstacle à ce que cette cité ait été un port de mer : Aigues-Mortes, où saint Louis sembarqua pour la terre sainte est aujourdhui distant de la Méditerranée de dix à douze kilomètres. Dun autre côté, la partie de lancien Lisieux est bâtie sur un terrain assez élevé, tandis que la vallée qui sétend sur les rives de la Tougue est plate et inclinée vers la mer. Quand bien même, on ny retrouverait pas les extrémités de langues de terre, les promontoires de lhistorien latin, extremoe linguloe et promontario, il nen faudrait pas conclure pour cela quil ny a pas eu de ville Gallo-Romaine. Cétait une habitude prise de bâtir daprès un tel système de défense : mais il est probable que souvent les accidents du terrain forçaient de déroger à cette règle générale.
On invoque encore une autre preuve : « Il est certain que dès les premiers siècles de léglise, la juridiction des évêques était restreinte par des délimitations territoriales aussi bien quil est constant que les divisions et l étendue des évêchés se formaient suivant le local que chaque peuple occupait». Ce peuple, cétaient les Lexoviens, tributaires des Venètes : les Venètes étaient la nation la plus puissante de lArmorique : quy a-t-il dimpossible à ce quils aient étendu leur joug jusque aux Lexoviens ? Les provinces de Bretagne et de Normandie ne sont-elles pas limitrophes ? Ensuite, de temps immémorial il exista un évêché à Lisieux où lon voit lancienne cathédrale et le palais de lévêché, orné dun magnifique jardin connu sous le nom de Jardin de lévêché et qui sert aujourdhui de promenade publique. En 1572, Jean Hennuyer, son évêque, simmortalisa par sa courage opposition aux ordres quil reçut de faire périr les calvinistes de son diocèse à lépoque de la Saint-Barthélemy.
Une dernière preuve encore en faveur de Lisieux : pourquoi si Lexobie était sous les Gallo-Romains au Yaudet, a-t-on appelé du nom de Lisieux, traduction française du latin Lexobia, une ville située à environ 280 kilomètres de lancienne cité du même nom. Par tout ce que nous venons de dire, nous croyons que jamais Lexobie ne fut ailleurs que dans les parages de Lisieux : cette dernière ne sera élevée que sur les ruines de lantique capitale des Lexoviens, détruite à une époque que nous ne pouvons préciser.
Lextrait suivant du Dictionnaire géographique et historique dOgée vient confirmer ce que nous venons de dire. Voici ce quon lit au mot Ploulech : « La partie le plus intéressante de Ploulech est le village de Guyaudet, ou mieux dYaudet, où quelques antiquaires ont voulu placer lancienne Lexobie, ville principale des Lexoviens. Le premier auteur de cette idée semble être le père Lebaud, qui dit dans son Histoire de Bretagne : « Ces lexoviens étaient ainsi nommés de leur cité de Lexoviense, laquelle était située sur la rive de la grande mer, en la partie de septentrion, en un lieu que les trécorenses nomment en leur langue Cozqueondet, qui est interprété vieille cité, où jusques à maintenant en apparent les vestiges ». Cette assertion, répétée parmi les auteurs qui ont écrit après Lebaud, a passé parmi les faits reçus, à tel point quil importe de la combattre et de la réduire à sa vérité géographique. Pline et Strabon, qua cités le chanoine Lebaud, nous servirons mieux ici que tous les autres à le combattre. Pline, le premier, parle en effet des Lexoviens, dans sa description de sa seconde Lyonnaise, mais voici en quels termes : « Lugdunensis habet Gallia Lexorios, Vellocassos, Galletos, Venetos » (Liv. IV ch. 82) « La Lyonnaise Gauloise comprend les Lexoviens, les Vellocassiens, les Galètes et les Venètes ». Or, il faut remarquer que Pline, dans ses descriptions, part du Nord, et termine presque toujours par le Midi. Dans ce cas, il est évident quil place les Lexoviens à lest de lembouchure de la Seine, la partie la plus nord de la seconde Lyonnaise. Cest aussi ce quexprime nettement Ptolémée en ces termes : « Les Caleti occupent le côté nord du fleuve Seine ; leur cité est Juliobona (aujourdhui Lillebonne) ; après eux les Lexoviens ». Les Calètes occupaient donc la rive droite de lembouchure de la Seine, et les Lexoviens la rive gauche. Cest en effet ce quexprime Strabon lui-même. Cet auteur, parlant des avantages que présente le midi de la Gaule, qui, par des fleuves, peut alternativement jeter ses produits dans les deux mers, suit ces mêmes produits remontant le Rhône, puis au besoin le Doubs, enfin , gagnant la Seine par terre, suivant ce fleuve, jusquà lOcéan, entre les Lexoviens et les Calètes, et gagnant la Bretagne en moins de deux jours ». Il nen faut pas davantage pour confirmer ce qui est admis par les auteurs sérieux, à savoir, que les Lexoviens étaient, non un peuple de la Petite-Bretagne, mais le peuple dont la ville principale était Lisieux, appelée alternativement Noviomagus et Lexoviorum civitas. Il reste donc un seul fait, cest la tradition qui rapporte quil y a eu une ville en lendroit dit aujourdhui Coz-Yaudet ; mais que ce soit Lexobie, nous ne saurions ladmettre un seul moment ».
Ainsi, quoiquen disent nos adversaires, nous aurons pour nous lopinion de tous les géographes anciens ; des hommes tels que Pline, Strabon et Ptolémée ne peuvent être accusés dignorance ; et aussi lopinion dOgée, dont les savantes recherches sur la Bretagne, consignées dans le Dictionnaire de Bretagne, ont jeté une lueur nouvelle sur la topographie historique de ce pays.
En résumé, nous pensons plutôt que la ville dIs fut jadis à lemplacement où est aujourdhui le hameau du Yaudet ; et cependant Douarnenez est généralement regardée aujourdhui comme voisine des lieux qui virent les splendeurs passées de la capitale du roi Grallon : elle a dû se trouver entre le cap de la Chèvre et la pointe du Raz dans la baie de Douarnenez. Voici, en effet, ce quon lit dans le Catalogue des objets échappés au vandalisme dans le département du Finistère :
« Il existe sur lIle de Tristan (dans la baie de Douarnenez) des pans de mur dun mètre carré environ, indestructibles, restes de bâtiments de la plus haute antiquité ; ils sont formés dun mélange de petits carrés de granit de quinze à dix-huit centimètres sur toutes les faces, régulièrement assemblés dans un mastic Il est certain également que jai trouvé dans une anse de la baie de Posgat, à trois mètres de profondeur en terre, des quartiers de maçonnerie de lespèce de ceux que je viens dindiquer dans lîle Tristan et de superbes briques de cinquante centimètres de long sur quarante-cinq de largeur. Tous les environs de la baie offrent de semblables débris des époques les plus reculées Il est certain que lhonnête Hervé Chenay, municipal et pêcheur de Douarnenez, trouva, à la pointe du Raz, des murs à quatre ou cinq brasses de profondeur. Près de Ris, sous sept mètres de terre, à sept mètres au-dessus du rivage, jai trouvé des débris dune telle antiquité, dune telle beauté, quaucune ruine dItalie noffre un travail plus curieux. Cest un parquet de cinquante centimètres dépaisseur, espèce de marqueterie composée de petits carrés de pierres et de briques, couverts dun bel enduit dont le temps na pu détruire le poli. Sur la gauche de ce débris est un mur épais formé de carrés de granit recouvert dun enduit poli comme les stucs de Cumes et de Pouzzoles ». Selon le chanoine Moreau, à lépoque de la Ligue, on pouvait distinguer la trace de deux routes pavées allant de labbaye de Douarnenez à Quimper et à Carhaix ; et aussi des tombeaux en pierre daprès le même système de construction, entre Cléden et Plogoff (Foyer Breton).
De tout cela, on en a conclu que ces ruines, seuls restes dune grande cité Gallo-Romaine, étaient celles dIs, connue aussi sous le nom de Ker-Is, Belle-Is, dans les légendes. On a prétendu aussi que cétait de cette cité que le passage qui se trouve en dehors de lentrée de Brest, entre Ouessant et la Chaussée des Saints, avait tiré son nom dIroise, en breton Canol Is, Canal dIs.
Quoiquil en soit de toutes ces assertions, nous concluons que la ville dIs, plutôt que Lexobie, occupa jadis les hauteurs qui sélèvent à lentrée de notre rivière. Nous navons nullement la prétention de vouloir trancher une question aussi difficile. Sil était possible de faire des fouilles au Yaudet, on pourrait arriver à des résultats plus positifs et trouver des preuves plus convaincantes que celles qui existent aujourdhui. Il y a là un vaste champ ouvert à la science archéologique : témoin les précieuses découvertes dues aux savantes recherches faites sur cette terre, que les Romains firent résonner jadis du poids de leurs pesantes armes ; car ils y ont séjourné longtemps , comme lindiquent toutes ces ruines dont nous venons de parler . (M. Ed. D )
© Copyright - Tous droits réservés.