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Les démêlés entre l'Abbaye de BEAULIEU et la seigneurie d’YVIGNAC

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Les démêlés, parfois amusants, entre l'Abbaye de Beaulieu et la seigneurie d'Yvignac intéressent l'Histoire locale. Une carte présente la paroisse d'Yvignac et ses environs tels que l'on peut les imaginer aux 16ème et 17ème siècles.

Les paroisses de :

Languédias avec sur son territoire l'abbaye de Beaulieu,

Trédias sont des « prieurés-cures » à la présentation de l'abbé de Beaulieu.

Sainte Urielle est un « prieuré-cure » desservi par un chanoine régulier de l'abbaye.

Mégrit est à la présentation du chapitre des chanoines réguliers de l'abbaye et en général attribué à un religieux de l'abbaye.

A la limite des territoires de Languédias et de Trébédan on trouve le manoir de Quérinan et la chapelle de Saint-René [Note : En 1578 le village est appelé Saint-Ronan] qui, sans doute, fut la chapelle castrale du manoir. Située à une lieue de Mégrit, elle est considérée comme écart de cette paroisse et fut érigée en trêve par un acte du 23 avril 1601 parce que « il y a beaucoup de personnes dans le quartier qui ne peuvent vue leurs infirmités ou leur faiblesse assister aux offices de Mégrit ». Jusqu'en 1660 les recteurs de Mégrit s'opposèrent à cette érection.

La cure de la paroisse de Plumaudan est à l'ordinaire mais l'abbaye de Beaulieu y possède de nombreux fiefs, y récolte les 2/3 des dîmes et surtout y possède des droits de foires et marchés.

Au nord la grande route royale de Broons à Dinan traverse la paroisse d'Yvignac avec de part et d'autre :

— le village important de Couaclé relevant de la juridiction de Beaulieu ;

— le château d'Yvignac à une lieue de l'abbaye ;

— la maison noble de Garrouet, transformée en métairie et qui dépend avec son bois et ses landes de la juridiction de Bécherel ;

— le village de La Nouée, siège d'une commanderie des Chevaliers de Saint Jean de Jérusalem, partagé à peu près par moitié entre les juridictions de la Commanderie et de Beaulieu ;

— enfin toute une série de villages : Querdy, Carvaguen, la Cour Bague, la Ville-es-Anges, Couettauvé, le Boudou dépendant de la juridiction de Beaulieu.

Un chemin, (encore appelé sur l'ancien cadastre de 1836 « chemin de Plumaudan ») part de la route royale un kilomètre avant La Nouée et rejoint la route La Nouée-Plumaudan un peu avant ce bourg. La liaison Beaulieu-Plumaudan est facile... mais... il faut cependant passer à proximité du château d'Yvignac...

***

Les terres relevant de la juridiction de Beaulieu ceinturant presque complètement celles de la Seigneurie d'Yvignac, les possesseurs de cette terre et leurs voisins « seigneurs religieux » ne pouvaient vivre en bon voisinage perpétuel. Des difficultés durent exister de tout temps. Au cours du XVIIème siècle, avec la puissante famille d'Espinay, elles s'aggravent et à cette époque les deux seigneuries sont constamment en procès.

Ceux qui vont être évoqués rapidement ont tous pour but de conserver des droits, en général féodaux, acquis depuis longtemps :

— foires et marchés ;

— bois de justice ;

— pêche... etc...

Ces procès sont compliqués, les solutions difficiles à trouver car tout en respectant le droit féodal et le droit coutumier il faut tenir compte des parties en présence.

***

La première pièce à verser au dossier est une enquête faite les 8 et 9 mai 1544 à la requête de la Cour de Rennes. Messire François Brullon chevalier, seigneur de la Muce Conseiller de Monseigneur en la Cour de Rennes conteste les droits de Messire Mathurin Glé, abbé de l'abbaye et du couvent de Beaulieu, allégués dans « sa tenue, mynu et dénombrement » présentés en la Chambre des Comptes le 10 janvier 1544.

Certains titres ont disparu par suite des guerres et l'enquête a pour but de prouver que de temps immémoriaux Beaulieu a le droit de tenir foires et marchés à Plumaudan et d'avoir ses bois de justice dans les chênes de la Feuillée.

Une vingtaine de personnes sont interrogées. Toutes confirment les droits de Beaulieu. Parmi ces déclarations deux sont particulièrement explicites :

— Dom Guillaume Le Moigne, prêtre de la paroisse d'Yvignac demeurant au village de la Griponnière atteste que le seigneur abbé a droit de cohüe au bourg de Plumaudan « auquel lieu a jour de sabmedi par chacune sepmaine l'on y vent marchandise comme chère, bledz et aultres provisions ». Il certifie aussi que l'abbaye a droit de « foyre et marché au jour et feste de saincte Croueix en septembre icelle foyre sextendante tant audit bourg de Plumaudan que en certains champs allant vers le bourg d'Yvignac, il dict que à raison de la dite foyre le dit abbé a droit de coutumes, estaulx, estalaiges, debvoirs de boutellaiges sur les vendants et exposants vins et aultres brevaiges vendus au bourg de Plumaudan ». Il ajoute que l'abbé a le droit d'étalonnage des mesures à vin, cidre ou autres breuvages ainsi que de la mesure à blé que l'on appelle « mesure de Plumaudan » et que le seigneur abbé « a haulte justice, basse et moyenne de tout cas réservé des cas appartenant à la souveraineté du Prince et que l'intersigne de justice est levée à trois pots estant sur la paroisse d'Yvignac aux Landes de Lambrun près les Chesnes de la Feuillée ».

— Dom Geoffroy Robidel prêtre de la paroisse d'Yvignac âgé de 80 ans atteste lui aussi les droits de l'abbaye à la foire de Ste Croix et aux marchés du samedi à Plumaudan. Il s'en rappelle car dans sa jeunesse il allait à l'école au bourg de Plumaudan. Tant qu'aux bois de justice « il dict qu'il vit pendre à la justice patibulaire étant aux Landes de Lambrun en la paroisse d'Yvignac ; au quartier de Travaloir près des Chênes de la Feuillée il y a environ 60 ans un nommé Colleu et que depuis il a veu pendre plusieurs autres dont il ne scait les noms ».

Le siècle s'achève sans histoires. La famille « d'Yvignac » est disparue, le château est habité par le sénéchal.

En 1570, Anne de Guitté, fille de Guy de Guitté et de Jacqueline de Boisriou, héritière de Vaucouleurs et d'Yvignac épouse Louis d'Espinay, seigneur de la Marche. C'est un valeureux chevalier et un saint homme, chantre en la cathédrale de Rennes. Il fait des dons au prieuré de St-Georges (paroisse de Trémeur) mais il semble que Beaulieu ne bénéficie pas de ses largesses.

En juillet 1602, Charles d'Espinay, son fils, obtient du Roi Henry IV des lettres patentes autorisant l'établissement à Yvignac d'un marché par semaine et d'une foire annuelle. Elles sont enregistrées au Parlement de Rennes :

« Veu par la Cour les lettres patentes obtenues par Messire Charles d'Espinay sieur de la Marche et Divignac, marquis de Vaucouleurs par lesquelles le dict seigneur roy faict, ordonne et establye au bourg dudit Evignac une foire chaque an au jour de la saint Louis et un marché aux grains par semaine... à la condition toutefois qu'à trois lieues à la ronde dudict bourg Divignac il ny ait aucune foire et marché aux jours ci dessus ».

Le jour de la saint Louis est choisi par Charles d'Espinay en souvenir de son père Louys, le marché est fixé au samedi déjà jour de marché à Plumaudan.

La réaction de l'abbaye ne se fait pas attendre, mais, c'est à ce moment sans doute, que l'on s'aperçoit que le jour du marché de Plumaudan n'est fixé que par l'usage et la tradition.

L'abbé de Beaulieu doit demander des lettres patentes. Il les obtient en février 1603 : elles sont postérieures à celles du châtelain d'Yvignac.

Le 27 juin 1603 Messire Claude Glé abbé commandateur de Beaulieu « deffandeur entame une procédure contre escuier Charles d'Espinay qui a obtenu l'établissement d'un marché public au jour du samedy et une foire par chaque an au jour de la saint Louys alors qu'il existe déjà une foire le samedy à Plumaudan ».

Les suppliques de Messire Claude Glé au Parlement sont nombreuses. Dans l'une d'elles il résume le différent et conteste même à Charles d'Espinay le droit de s'intituler « seigneur d'Evignac ». Il écrit :

«… l'abbaye de Beaulieu possède le baillage de Cloaclerc s'étendant sur la paroisse divignac affirmé par les adveuz renduz au roy aux années 1543, 1552, 1583 et le dit Espinay est son vassal... et pour le regard de la qualité de seigneur du bourg divignac aussy employé audittes lectres lequel il maintient par ses escriptures il est impossible de la vérifier car il est certain et bien véritable que le seigneur de Laval a cause de sa terre de Bécherel et la dame de la Hunaudaye a cause de celle de la Bouyère y ont grand nombre de subjects qui relèvent d'eux en proche fief... et le dit Glé y a plusieurs hommes en raison ddt baillage de Cloarclerc...

En laquelle paroisse divignac le dit opposant a haulte justice a trois pots naguère es landes de Lambrun comme il est justifié tant par les adveux ci dessus que par deux enquêstes faictes en l'an 1544 et 1586 ou il a (été) exécuté de mort plusieurs délinquants condempnez par les officiers de ladite juridiction de Beaulieu... laquelle justice patibulaire a pu tomber par l'injustice du temps qui consomme toute chose mais ledit opposant proteste comme il en a le droit de la faire bientot relever... Et n'a le dit opposant aucune cognoissance de l'étendue du fief de l'opposé, de son prétendu droit de péaige, coustume et trépas ny des gentils hommes qu'il dit estre ses subjects qui sont choses qui se doibvent vérifier par actes comme messieurs les gens du roy scauront bien requiert...... et quand tous les droitz que ledit opposé s'attribue par ses lettres et ses escriptures lui appartiendraient... il serait néanmoingt déboutable de la vérification dicelles qui ne lui donnait un marché si non à cette condition qu'atroy lieues à la ronde divignac il n'y ait aultre aux jours du samedy auquel jour est celuy de Plumaudan a deux lieues dudit Evignac... mais ledit opposé répond à cela que ses lettres sont du mois de septembre 1602, que celles de l'opposant ne sont que du mois de mars dernier qu'il est par ce moyen « prioritaire » et conséquamment que les lettres dudit opposé doibvent donc être véryfiées et le dit opposant débouté de ladite vérification des siennes qui sont postérieures (ce) qui est le faict de la difficulté principale du procès... ».

La Grand'Chambre du Parlement rend son arrêt le 7 octobre 1603 et déclare que « le dit Glé à bonne et juste cause formé sa dite opposition à l'érection par ledit d'Espinay d'un nouveau marché chacune septmaine au jour du samedi au bourg d'Evignac dont elle a déboutté et déboutte ledit d'Espinay et néanmoins luy a permis et permet suyvant lesdittes lettres du mois de juillet avoir chacun an au jour Saint Louys audit bourg d'Evignac une foire et assemblée publicque sans aprobation (du titre) de marquise….

... Les lettres et titres concernant ladite qualité de marquis (de Vaucouleurs) devaient être communiquées avant un mois à la Cour pour dire ce qu'il appartiendra de faire et a faulte de le faire durant ledit temps et icelluy passé lui est des à présent défendu de prendre la dite qualité... Condamne ledit d'Espinay aux dépens desdites oppositions lesquelles elle a modéré et modère à cent cinquante livres... ».

La comtesse de Laval, dame Anne Allègre, curatrice de Guy comte de Laval son fils (suzerain du seigneur d'Evignac) avait fait elle aussi opposition, les droits de foires et marchés l'intéressaient...

Elle est déboutée de son opposition.

Charles d'Espinay dut fournir les lettres et titres demandés car par la suite ses descendants sont indifféremment appelés « marquis d'Espinay » ou « marquis de Vaucouleurs ». Lors de la Réformation, les arrêts des 3 janvier 1669 et 30 mars 1671 confirment d'ailleurs dans ce titre « Urbain d'Espinay, chef de nom et d'armes, seigneur et marquis de Vaucouleurs, demeurant en son château d'Yvignac... ».

L'absence d'archives ne permet pas de connaître la renommée de la foire de la Saint Louis, mais elle dut avoir une existence éphémère.

La foire de la Sainte Croix à Plumaudan le 14 septembre (ou le jour suivant) dura jusqu'à la Révolution. Elle fut ensuite rétablie, elle avait encore un certain renom vers les années 1920-1930, actuellement elle n'existe plus.

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Il serait intéressant de comparer les pièces des archives de Beaulieu avec celles de la seigneurie d'Yvignac. Malheureusement, le 23 novembre 1792, une charretée des archives des juridictions d'Yvignac de Quérinan, de Vaucouleurs est envoyée au greffe du Tribunal de Dinan et depuis... elles sont disparues [Note : Si un membre de la Société connaissait l'existence de ces archives je serais heureux d'apprendre leur lieu de dépôt].

Après le mariage d'Urbain d'Espinay le 1er septembre 1635 avec Servanne Frotet, veuve de René de Trémigon vicomte de Quérinan et en 1646 le mariage de Gabriel d'Espinay fils d'Urbain avec Servanne de Trémigon, comtesse de Quérinan, fille de Servanne Frotet et de René de Trémigon, les terres de Quérinan deviennent propriété des seigneurs d'Yvignac et les frictions entre châtelains et abbés sont de plus en plus fréquentes.

Des terres de Quérinan sont fiefs de Beaulieu et jouxtent celles de l'abbaye et en particulier certaines bordent la queue de l'étang de Beaulieu, les propriétaires de Quérinan considèrent avoir le droit de pêche d'où d'innombrables requêtes contre les sieurs d'Espinay.

Le 12 août 1669, l'une d'entre-elles est adressée au présidial de Rennes. On y trouve toujours la même formule : «… supplie humblement le prieur et les religieux de l'abbaye... disant que cette abbaye possède un étang dans lequel depuis trois années et notamment depuis le mois de may de la présente année Messire Gabriel d'Espinay pêche avec ses domestiques et autres, armés de fusils... ce qui porte notable préjudice aux suppliants lesquels s'ils observaient le silence sans se plaindre, avec le temps le dit sgr. d'Espinay prétendrait s'aroger une possession de pêche dans ledit étang... Qu'il complaise mes dits seigneurs leur permettre faire devant tous appeler par tous sergent — ledit seigneur d'Espinay et dame Servanne de Trémigon dame d'Espinay sa mère et tutrice... et au cas d'aveu soient condamnés aux dommages qu'ils attestent à la somme de trois cent livres pour la valeur du poisson... ».

Dans une autre supplique datant de 1678, humble et discret frère Jean Le Vicomte chanoine de Beaulieu se plaint d'avoir reçu des coups de bâton donnés par deux valets de la maison de Quérinan qui pêchaient dans l'étang.

Cette question du droit de pêche est très compliquée et en 1705 elle n'est pas encore réglée. Une consultation établie à cette époque la résume :

En 1602 le sgr. de Quérinan voulant faire ériger lesdites terres en vicomté obtient la permission de faire une enquête sur les droits et prérogatives de la dite terre. Il ne lui fut pas difficile de trouver des personnes qui déposèrent avoir oüi dire que la terre de Quérinan avait droit de « pesche dans l'étang de Beaulieu avec bateau, sennes et filets avoir droit de moudre franc aux moulins sur ledit étang et chapelle prohibitive dans l'église abbatiale ».

Il est à remarquer que parmi les signatures on trouve noble et discret messire François de Taillefer prieur de Mégrit demeurant en l'Abbaye de Beaulieu qui se rétracte le 19 mars 1607, et noble et discret messire Bernard d'Angoulevant religieux de l'Abbaye de Beaulieu.

L'objet de cette enquête qui est de faciliter l'érection de Quérinan en vicomté sert par la suite de fondement aux prétendus droits des héritiers de cette terre.

En 1632, les possesseurs (pas encore les d'Espinay) rendant aveu à l'abbaye glissent dans cet aveu les droits ci-dessus mentionnés. L'abbé de ce temps « l'empuni » et le Parlement condamne les de Quérinan à réformer leur aveu.

Cette sentence n'empêche pas les d'Espinay de récidiver et l'abbé de Beaulieu doit faire arrêter des pêcheurs en 1669. En 1695, dans un aveu les d'Espinay prétendent avoir les mêmes droits que ceux qui avaient été « empunis » en 1632. Or, les servitudes pouvaient être acquises au bout de quarante ans, et ce laps de temps expirait au mois de mars 1705.

A cette époque Quérinan appartient à Barthélémy d'Espinay comte d'Espinay, (fils de Gabriel) Colonel du régiment de Charolais. Il est aux armées pour environ deux ans... il faut donc attendre son retour pour régler la question du droit de pêche.

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Autre sujet de contestation : les redevances.

Les d'Espinay refusent de payer les rentes foncières ou seigneuriales dues à l'abbaye ou s'en acquittent avec des retards importants. Ces rentes pourtant peu élevées sont d'environ 15 livres et 15 boisseaux de froment.

Dans un mémoire de 1688 le marquis d'Espinay reconnaît devoir les rentes depuis 29 ans et la clause suivante est ajoutée à l'acte : « ... sans que les parties puissent prétendre à la prescription depuis les 36 ans précédents, intervalle d'un projet d'accommodement entre lesdites parties par devant les arbitres pris à l'amiable de part et d'autre... ».

Le 28 mars 1664, le marquis envoie ses « excuses » au prieur de Beaulieu « ... vos religieux me disent que mon petit-fils et le sieur de la Vallée (sénéchal de Quérinan et Yvignac) étaient allés prendre un blaireau dans votre garaine de Beaulieu et qu'ils avaient fait huit ou dix tranchées... ils m'on dit qu'ils croyaient que cela était permis de prendre les renards et blaireaux qui ruisne et gâte les garaines... et puis... nos voisins et bons amis ont pris plusieurs fois de ces animaux dans mes garaines sans m'en parler... ».

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A partir de 1670-1672 outre les questions de droit de pêche les causes de querelles sont innombrables. A cette époque, depuis 1666, Urbain d'Espinay [Note : Urbain, fils d'Urbain et de Servanne Frottet (2ème épouse)] Abbé de Boquen est recteur d'Yvignac. Il est l'oncle de Gabriel Sylvain [Note : Gabriel Sylvain, fils de Gabriel et de Servanne de Trémigon, petit-fils d'Urbain et d'Amaurye de Briqueville (1ère épouse)] seigneur d’Yvignac dont il va être question. Messire le Recteur conseille-t-il son neveu pour certaines affaires ? c'est possible — mais l'on s'amuse aux dépens des moines.

Daté d'octobre 1676 on trouve un véritable réquisitoire intitulé « Faits contre Mr. d'Espinay d'Evignac et le sieur de la Vallée » qui énumère tous les griefs de l'Abbé de Beaulieu contre la seigneurie d'Evignac. En voici quelques extraits : « ... Monsieur d'Espinay d'Evignac et ses gents sont fort portez aux voies de faict qui n'ont pour menaces que de couper les bras et les jambes à leurs voisins — Aux derniers Etats de 1675, l'huissier Clairet lui ayant fait civilité à Dinan pour lui donner ung exploit à la requeste de Madame de Vaucouleurs [Note : Servanne Frottet décédée le 1er mai 1677] sa grand-mère, il battit honteusement le dit huissier dans sa chambre en présence de gentils hommes et ledit huissier allant pour en faire sa plainte à Monseigneur le Duc de Chaunes, il en fut dissuadé par plusieurs gentils hommes qui l'appaisèrent... Il y a deux mois, il fit quérir, l'un après l'autre Julien Réhault et Guillaume Pinsart paroissiens de Mégrit, trève de St-René et les battit à coups de canne dont le dernier en prit un vilain coup à la tête... Comme mauvais voisin il ne peut se tenir en repos... et il y a six mois il maltraita Messieurs de Couatcouvran et de Sainte Croix [Note : Escuyer Michel Geslin sgr. de La Ville Morel (Broons) et de Couetcouvran et escuyer Pierre Lechat sgr. de Ste-Croix qui avait épousé Servanne d'Augoulevant dame de Frémeur], ce qui amena la brouille entre Monsieur le comte de Broons (Antoine d'Espinay) et son neveu... ».

« Il gourmande, non seulement ses tenanciers mais ceux des autres, surtout ceux de Beaulieu qui n'osent obéir à leurs maitres naturels de peur d'être estropiés... ».

« Le prieur de Beaulieu et de Mégrit voulant faire une sacristie audit Mégrit en fut empesché par ledit d'Espinay qui quoique déboutté par arrest de 1613 de la qualité de fondateur de l'église de Mégrit voulait y mettre ses armes contre tout droict... et comme il n'y a un seul maçon de cinq lieues à la ronde qui n'ose y travailler parce qu'il y va de leur vie, tous les matériaux qui avaient été mis en avance pour ce travail ont été perdus au détriment de la pauvre église de Mégrit a qui il doit deux boisseaux de froment de rente sans l'avoir jamais voulu acquitter » [Note : Sont compris dans l'état des rentes non payées depuis 29 ans].

« Il existe une chapelle subscursale à Quérinan sous Mégrit érigée à la règle des autheurs sous deux conditions :

— de la dotter ;

— que le prieur de Mégrit en soit le maître ;

mais il n'y a ni presbytère ni dotation depuis 60 ans et quand le prieur de Mégrit veut y aller faire ses fonctions de pasteur ce ne sont que des menaces de tuer lui et ses gents et le jour de Saint Jacques de juillet dernier Urbain Chenu, palfrenier ddt sieur d'Espinay poursuivit longtemps à cheval et à pied l'homme ddt prieur recteur qu'il avait mené audit Quérinan pour l'y accompagner et le dit prieur (qui) avait eu bien de la peine à sauver son homme des mains de ce violent blasphémateur fut obligé de s'en retourner à Beaulieu. Les pauvres âmes ne purent ainsi être secourues de leur pasteur qu'autant qu'il en plait à Monsieur d'Espinay. Il fit dire la messe à Pâques par son chapelain d'Evignac... ».

« Je pense que le prieur de Beaulieu veut nous tromper, car de 1671 à 1678 dom Vincent Leroy, prêtre d'Yvignac fait de nombreux baptêmes, mariages, enterrements soit dans la chapelle de La Nouée soit dans l'église d'Yvignac et il signe tantôt curé ou subcuré, tantôt recteur de Saint-René ».

Et la liste des griefs continue :

« ... Une jeune fille de 18 ans de Trédias fut enlevée par un paroissien de Mégrit. Le père de la jeune fille se pourvut criminellement devant la juridiction de Beaulieu, mais le jeune homme bénéficiant de l'appui de Mr. d'Espinay ce dernier menaça tellement le père qu'il retira sa plainte et qu'on lui extorqua son consentement au mariage... En conséquence de quoi on manda au recteur de Ste-Urielle, pasteur de la fille de la marier — sans bancs — ny certificat du prieur de Mégrit — Ce mariage étant clandestin le prieur se pourvut contre le recteur de Ste-Urielle lequel — « vint apaiser ledit prieur en lui demandant pardon et en disant qu'on l'aurait assassiné sur son refus et qu'on aurait ruiné sa famille ».

Deux autres mariages de paroissiens et paroissiennes de Mégrit vassaux de Beaulieu sont célébrés par le subcuré de St-René par ordre de Mr. d'Espinay malgré les défenses du prieur de Mégrit parce que les fiancés sont des filleules de Madame Servanne de Trémigon mère de Mr. d'Espinay.

En marge on trouve diverses annotations se rapportant à d'autres griefs et en particulier celle-ci : « Messire Claude Glé Conseiller à la Cour a contesté il y a plus de soixante dix ans à son bisaïeul d'Espinay la qualité de marquis... ».

Et le réquisitoire s'attaque cette fois au sieur « de la Vallée » sénéchal de Quérinan et d'Yvignac : « ... quant audit sieur de la Vallée il n'est pas moins violent que son maître duquel il s'authorise pour ses entreprises... Il y a environ deux ans qu'un paroissien de Trédias fut tué dans le fief de Bécherel (Garrouet). Ledit La Vallée étant supposé d'estre l'un des complices à cause de plusieurs procès qu'il avait tous perdus contre ledit paroissien, il s'avisa de feindre que cet homme avait été tué dans le fief de Quérinan... Quand il vit que les juges de Bécherel ayant eu connaissance de ce crime voulaient le juger comme juges naturels il fit écrire par un stratagème nouveau un des juges roïaux de Dinan afin de créer un conflit de juridiction... et l'affaire en est la depuis deux ans...

Il y a quelques temps, les religieux de Beaulieu, suivant l'ordre de Mr. l'abbé du Tremblay (abbé commendataire) faisaient planter de petits chênes dans leur fief de la Feuillée. Ledit la Vallée vint à cheval, le pistolet à la main sur leurs gents, rompit sur eux l'un des chênes et pris l'une de leur besches... Un autre témoin déposait plus tard : « le sieur la Vallée avait l'espée à la main, jurait le saint nom de Dieu et poursuivi fors loing l'un des ouvriers pour le maltraiter et dit au témoin qu'il était bien insollent de venir planter du bois si proche d'une maison comme celle d'Yvignac et qu'en cas de retour il lui couperait les bras... ».

Et l'on termine en accusant le sieur de la Vallée de vénalité dans son office de sénéchal.

En 1602, Messire Claude Glé menace de faire réédifier les bois de justice de l'abbaye dans les landes de Lambrun. Ce n'est qu'en 1676 que ce projet est mis à exécution.

En septembre 1676, l'abbé de Beaulieu conclut un marché avec un maçon de Dolo « pour faire la maçonnerie nécessaire à la construction de trois piliers pour un gibet patibulaire dans un clos appelé « le clos de l'église » sur le bord du grand chemin qui conduit de Dinan à Broons, au coin des bois de Garrouet et d'Ivignac... ».

Le maçon est prévenu par un ami qu'il risque de s'attirer les foudres du marquis d'Espinay et on lui conseille d'aller le voir au chateau.

Il s'y présente, mais ni le marquis ni sa grand-mère ne sont là. Le lendemain il s'achemine donc vers le clos de l'église avec ses ouvriers et deux charrettes, l'une contenant de la pierre l'autre les outils et le sable.

En arrivant aux environs du lieu de travail ils aperçoivent des hommes armés de bâtons et de fusils qui sortent du bois. Le maître-maçon retourne en hâte à Beaulieu mais, en revenant avec l'alloué il trouve une charrette complètement hachée et brûlée et l'autre avec une roue brûlée.

Voici ce que les témoins déclarent :

« Pendant que l'entrepreneur courait à Beaulieu les charrettes avaient été assaillies par 18 ou 20 personnes armées de fusils, d'épées, de hallebardes, de mousquets, de bâtons, de haches. Certains avaient le visage teint de noir, les autres de blanc, mouchetés jusqu'à dans les cheveux. Ils coururent aux harnois en criant : tue ! tue !... ».

Un des ouvriers reconnut son cousin : Guy Henry boulanger au château et le supplia : « ne me tue pas... ne me tue pas.. ». Il reçut quelques coups de bâton et prit la fuite.

Un autre crût aussi reconnaître un parent : le palefrenier du marquis, le fameux Urbain Chenu, déjà nommé, celui qui avait poursuivi l'assistant du Prieur de Mégrit.

Ils s'échappent en laissant sur le terrain l'un des leurs à demi assommé par des coups de bâtons.

Claude Philippe du Tremblay seigneur abbé de Beaulieu porte plainte et adresse une supplique au Siège Royal de Jugon. Une enquête est faite le 22 janvier 1677. Les témoins de l'abbé sont interrogés, ce sont leurs déclarations qui sont résumées ci-dessus.

Dans sa supplique, l'abbé de Beaulieu se plaint en outre que le 14 septembre, jour de la foire de la Ste. Croix le seigneur d'Espinay ayant dit « tenir un droist de coutume sur tous les bestiaux des hommes et vassaux ddt. suppliant qui passaient dans lld. landes de Lambrun pour aller à Plumaudan, ces vassaux furent maltraités cruellement avec épées et bastons faute de vouloir païer ledit droit ».

Quelle fut la suite donnée à cette affaire ? Les archives du Siège de Jugon n'existant pas pour cette époque, nous ne le saurons pas.

Que disent les gens du peuple ? peut-être s'en gaussent-ils ? En tous cas le 13 mars 1677 aux plaids généraux du Liège tenus à Dinan une sentence est prise contre les vassaux de Beaulieu : « ..... faisant droit à la demande du procureur fiscal de Beaulieu, il a été enjoint aux vassaux de ladite juridiction des paroisses de Plumaudan, Evignac, Mégrit, Languédias de porter des pierres pour la construction des justices de ladite seigneurerie de Beaulieu dans les landes de Lambrun à peine de 60 sols d'amende contre chacun contrevenant... ».

60 sols représentaient à cette époque le prix d'un boisseau de blé.

Les fourches patibulaires furent-elles réédifiées ? Je ne le pense pas. En effet, à cette époque les seigneuries laïques ou religieuses sont en général dessaisies de leurs droits de haute justice au profit des justices royales : Dinan ou Jugon.

Un aveu de Messire Botherel de la Bretonnière abbé de Beaulieu daté de 1723 est muet sur cette question. Il y est fait mention en termes vagues « des landes de Lambrun contenant les espaces entre les villages de Couasclet et Garrouet se poursuivant jusqu'aux chênes de la Feuillée au lieu ou était autrefois le village de « Brouillardais » à présent planté de bois par les possesseurs de la terre d'Yvignac... ».

En 1792, lors de la vente des biens écclésiastiques, l'Abbaye de Beaulieu ne possédait plus à Yvignac que le bois taillis de Couetauvé. Même l'ancien cadastre (1836) ne permet pas de positionner le « clos de l'église », il est compris dans un ensemble de landes communales s'étendant de la Feuillée à La Nouée.

***

Une dernière affaire reste à évoquer. Débutant avec la seigneurie de Bécherel elle se termine avec celle d'Yvignac. En voici la genèse :

En 1507, noble homme Guillaume Gédouin, sieur de la Dobiays et de la Bouexière rend aveu pour le fief et juridiction qu'il tient sous l'Abbaye de Beaulieu. Ce fief fait partie du Maillage de Couasclerc et comprend :

— la métairie de la Courbague,

— les maisons nobles de Querdy et Villeneuve,

— diverses propriétés dans les villages de Querdy et de la Bouexière.

Outre le devoir de foy et hommage le vassal doit à l'abbaye 7 sols 6 deniers.

Le fief est vendu. En 1540 un aveu est rendu par Dame Renée La Vache dame de la Touche, la Gibonnaye, la Boissière, veuve de Messire Guy de la Motte sgr. desdits lieux et capitaine de Dinan.

Le 30 avril 1613 nouvelle vente. Il est acheté par Messire Jean Glé sgr. de la Costardais.

Le 14 février 1626 Mre. Jean Glé achète à Mr. de la Trémouille la seigneurie de Bécherel. Par cet acquêt, il y a consolidation du fief servant au fief dominant et le fief de la Boissière passe dans la mouvance du Roi.

Le Roi ne devant jamais de rentes à ses sujets, le sgr. de Bécherel ne doit rien à l'abbaye de Beaulieu.

Vers 1728, environ 100 ans après l'achat de Mre. Jean Glé un procès commence. On ignore la date à laquelle les dernières rentes ont été payées. Sept sols six deniers représentent une somme si minime que l'on a considéré pendant longtemps qu'il n'est pas nécessaire d'engager un procès pour la récupérer. Il ne faut pas oublier que depuis la fondation de l'abbaye il y avait eu dévaluation. Entre 1450 et 1475 un bœuf gras vaut 50 sols, en 1760 il vaut 30 livres et 7 sols représentent le prix d'une poule et d'une douzaine d’œufs.

En 1752 le prieur de Beaulieu fait assigner Guy Marc de Lopviac sgr. de Bécherel et Caver devant les juges de Beaulieu pour payer les lods et ventes et les arrérages des rentes dues depuis 30 ou 40 ans. On a transigé...

Personne ne se présente aux audiences et en décembre 1752 le sgr. de Bécherel est condamné par défaut à la saisie féodale de ses biens et des fruits suivant la coutume et aux dépens soit 14 L. 3 s. 6 d.

En mars 1763 nouvelle assignation pour payer les dépens s'élevant à 17 L. 3 s. 6 d.

En 1767 on trouve une lettre de Mr. de Kerhouard, nouveau propriétaire de Bécherel, à l'abbé de Beaulieu : « ... si on n'a pas fourni l'aveu demandé il ne faut vous en prendre qu'à votre prédescesseur... En 1763 il est venu me voir à mon hôtel, nous eûmes une longue conversation à ce sujet, nous en conférâmes encore le lendemain et il fut arrêté entre nous que l'on s'en rapporterait à l'avis de trois avocats... Il devait m'envoyer un mémoire de ses prétentions, je devais en dresser un autre pour ce que j'avais avancé... mais depuis ce temps je n'ai eu aucune nouvelle... ».

Vers 1768, le prieur de Beaulieu désirant prendre un parti définitif confiait à un « ami juriste » les pièces du procès qui durait depuis plus de 40 ans. Je n'ai trouvé ni le nom de l'ami ni l'avis qu’il a pu émettre.

Enfin, le 15 novembre 1770, Mr. et Mde. de Bruc seigneur et dame d'Yvignac achètent toutes les terres, fiefs, rentes dépendant de Bécherel et situés sur la paroisse d'Yvignac.

En rendant aveu au Roi le 15 novembre 1777, Mr. Guéheneuc de Boishue époux de Mlle de Bruc héritière des terres d'Yvignac mentionne le fief de la Boissière comme appartenant à la mouvance royale.

Cette affaire était-elle liquidée ? la question reste sans réponse, en tout cas 12 ans plus tard la Révolution mis fin à ce litige.

(R. Plessix).

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