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ABBAYE DE PRIERES

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L'ANCIEN FIEF DE L'ABBAYE DE PRIERES

Le duc Jean Ier, en constituant la dotation de l'abbaye de Prières, lui donna ses biens « en toute liberté et sans aucune réserve ». Il ne retint pour lui ni la propriété du fonds, ni la justice sur les habitants. Le tout était cédé au monastère.

L’abbé ne pouvant pas exercer la justice par lui-même, chargea, suivant l’usage, un sénéchal de le remplacer, avec l’assistance d’un procureur fiscal et d’un greffier. C’est ainsi que la juridiction civile et criminelle de l’abbaye sur ses sujets remonte à sa fondation.

Dès le mois de juillet 1274, on trouve un accord fait entre Eudes, seigneur de la Roche-Bernard, et Rivallon, abbé de Prières, stipulant que les malfaiteurs coupables d’un méfait commis sur les terres de l'abbaye et arrêtés par le seigneur seraient rendus à l’abbé, pour être jugés par sa cour (Cart.).

En 1371, on rencontre un mandement du duc Jean IV, qu’il importe de reproduire ici :

« Jehan, duc de Bretaigne, comte de Montfort, à nos séneschaulx et allouez de Broérec et de Guérande, salut. Nos amez chappelains l’abbé et le convent de l'abbaie de Prières, de l’ordre de Cîteaux, nous ont signifié que, combien que nostre prédécesseur (Jean I), duc de Bretaigne, leur eust donné toute la dotation de la d. abbaie franchement et libéramment, sans rien y retenir à luy ni aux siens, affin que les d. religieux, en poursuivant les cours séculières, ne fussent empeschés de faire l’office divin pour leurs fondateurs et autres bienfaiteurs vifs et morts, et aient tousjours usé d'exercer juridiction, haulte, moyenne et basse, par tant de temps que mémoire n’est du contraire, comme leur appartient à cause de la d. dotation, et sans faire aucune manière de retrait de leurs hommes par nos courtz né de nos prédécesseurs, — néantmoins vous vous efforcez et de nouvel de faire adjourner en action personnelle leurs hommes et subgiez, et les arrester, justicier et enprisonner en nos courts et prisons, non obstant que ils soient et dient estre hommes de la d. abbaie et demandans tourner à la justice et seigneurie de la d. abbaie, et disans que ils ne sont pas tenuz aller par nos courtz, né procéder vers nostre court né autre partie, veu que sont hommes de la d. abbaie franchiz comme dict est, et que ils en doibvent requérir la court par manière de retrait, et ce avez fait à leur grant grieff et préjudice de leur d. franchise et liberté, comme ils dient, suppliantz leur en pourvoir de remède, par quoy leurs hommes et subgiez soient lessez s’en venir et tourner à la court des d. religieux, touchant l’action personnelle et délict commis au terrouer du d. moustier, selon la coustume du pais, considérées leurs d. franchises et libertez et l’usement dessus dict ; Si vous mandons et à chacun de vous que ainsin lessiez aller et tourner leurs d. hommes à leur court, si autrement n’a été usé pour nous et nos ancestres raisonnablement par nos courtz ou temps passé. Donné à Vannes, le 24ème jour de septembre, l'an 1371. Par le Conseil, présents le Déan de Nantes et M. Alain Raoulin. — Gieffroy » (Cart.).

La haute justice avait rarement l’occasion de s’exercer : on cite une exécution capitale en 1426, une autre en 1446, une troisième à une autre date. Ces exemples empêchaient la prescription, et faisaient réfléchir les survivants. Il résulte d’une enquête faite au mois d’août 1486, par Pierre Kerboutier, alloué de Vannes, à l’occasion de la construction d’un colombier au Bois-du-Roy en Limerzel, que 27 témoins affirmèrent unanimement que l'abbaye de Prières avait juridiction haute, moyenne et basse sur ses sujets dans les paroisses de Billiers, Bourg-Paul, Noyal, Questembert et Limerzel.

L’acquisition de l'Isle en 1487 étendit considérablement la juridiction de l'abbaye. La seigneurie de l'Isle avait droit d’épaves et gallois, rachat et obéissance sur les gentilshommes qui en dépendaient, en Arzal, Marzan et Péaule.

Les aveux de 1496 et de 1504 mentionnent, en passant, le fief ou la juridiction de l’abbaye ; mais celui de 1642, rendu par l’abbé Jean Jouaud, entre dans des détails intéressants :

« Ont les abbé et religieux le fief, juridiction et seigneurie, dits de Prières, avec droit d’establissement de juges et officiers, de receveurs pour la récolte des rolles et rentes, apposition de sceaux, lodes et ventes, approprimens, tutelles et curatelles, deshérences, successions de bastards, espaves et galloys et tout ferme-droit, de justice et jurisdiction haute, moyenne et basse, qui s’étend, tant sur les hommes et sujets de la paroisse de Billiers généralement, sans rien excepter en tout ce qui est du costé de la mer et rivière de Vilaine, depuis le long du grand chemin qui conduit du passage de Tréhiguer au pont d'Avellac, et du dit pont jusques au moulin-à-mer de Biliers, et de là jusques au port et havre de Penlan, qu’aux paroisses de Bourg-Paul-Mesuillac, Noyal-Mesuillac, Arzal, Marzen, Péaule, Limerzel, Questembert et ailleurs, et s’exerce en la ville de Mesuillac, immédiatement après l’audience de la jurisdiction royalle ;

Comme pareillement les d. abbé et religieux ont four à ban au bourg de Biliers, droit de cep et collier, et justice patibulaire, tant au d. bourg qu’à la lande de Bérien, au joignant du grand chemin qui conduit de Mesuillac à Tréhiguer.

Item confessent tenir les obéissances et droits de corvées à faner tous les foins de la d. abbaye, en la d. paroisse de Biliers, sur tous les hommes généralement de cette paroisse ; plus le droit de dixme, à raison du douziesme, sur toutes les terres qui s’ensemencent, en la d. paroisse.

Item le port et havre de Penlan en la d. paroisse, avec pouvoir par droit de seigneurie d’empescher tous matelotz, poissonniers et chasse-marées, qui relâchent et viennent au d. Penlan, de vendre ou enlever le d. poisson qu’au préalable la d. abbaye n’en soit suffisamment pourveue et fournie ; les quels matelotz et poissonniers sont obligés à ce sujet, et peuvent estre contraints d’apporter toutes leurs pesches en la d. abbaye, à ce que l’on en puisse prendre la provision, et à faute de ce faire, les d. abbé et religieux peuvent faire prendre et exécuter sur les d. pescheurs et matelotz la somme de dix livres. d’amende, et confisquer tout leur poisson. (Il reste encore à Prières une pierre, donnant en creux la figure et la grandeur des poissons à livrer).

Item confessent tenir et avoir droit de charger et mettre hors du d. havre de Penlan et à Mesuillac les sels, grains, et autres marchandises quelconques, provenant du temporel de la d. abbaye, franchement et quittement, sans payer aucuns debvoirs ny subsides ; comme aussi pareillement ils ont tousjours jouy et eu droit d'estre quittes et exempts de tous debvoirs pour la descharge, l’entrée et sortie des vins, grains, ardoises, matériaux et autres marchandises nécessaires à leur usage tant au d. port de Penlan et Mesuillac qu’ailleurs, suivant leurs privilèges.

Item ont les d. abbé et religieux le droit d’impôt et billot qui se lève sur les taverniers, vendant vin en détail, en toute la paroisse de Billiers (et ailleurs), aux maisons qui dépendent d’eux.

Le fief de l'Isle et jurisdiction haute, basse et moyenne, laquelle s'exerce en l’auditoire de Mesuillac ; la dite seigneurie comprenant tout ce qui est le long de la rivière de Vilaine, depuis la maison de Noue jusqu’au manoir et bois de Quistillic et au grand chemin qui conduit du bourg de Péaule à la Roche-Bernard, et s’étendant ès paroisses de Marzen et d'Arzal.

Item le droit de patronage, de chapellenie, rachat, sous-rachat, hommes et hommages, fuye, garenne, montages, épaves et galoys, le droit de visite et réformation des mesures dont se servent les taverniers vendans vin en détail ou autres breuvages ès d. paroisses de Marzen et Arzal.

La terre et seigneurie de Lenclis, en Guérande, avec ses appartenances et dépendances.. A cause de laquelle terre et maison de Lenclis ont les d. abbé et religieux tout ferme-droit, seigneurie et jurisdiction haute, basse et moyenne, rachats et obéissance à cour et à moulin sur leurs hommes et sujets... Fait en la d. abbaye de Prières, le 25ème jour de juillet 1642 ».

Cet aveu fut présenté, avec les pièces justificatives, à la Chambre des comptes de Bretagne, qui l’approuva le 12 mai 1643, en supprimant le droit d’exercer la juridiction dans l’auditoire de Muzillac. Il fallut en conséquence se procurer une salle d’audience au bourg de Billiers.

Un autre aveu, du 18 novembre 1678, présenté par l’abbé D. Hervé du Tertre et ses religieux, donne quelques renseignements sur le personnel judiciaire. « Les abbé et religieux ont fief, jurisdiction et seigneurie, dite de Prières, qui s’exerce an bourg de Billiers par les juges et officiers qu’ils instituent à cet effet, scavoir : séneschal, alloué et lieutenant, procureur fiscal, greffier, procureurs postulants, et notaires au nombre de dix-sept, qui sont ordinairement establis, scavoir : quatre en la paroisse de Billiers, trois en Bourg-Paul, deux en Noyal, deux à Péaule, trois à Marzen et trois à Arzal ; deux arpenteurs, des sergens, forestiers et autres, pour le service de la d. jurisdiction de Prières. L’auditoire de la d. jurisdiction et les prisons au-dessous, et le four à ban contiennent vers le couchant sur la rue vers l’église 51 pieds, sur la rue de Bréhondec au nord 37 pieds, et en tout trois cordes et un quart, et joignent au levant le presbytère, et au midy des particuliers ».

Si les religieux de Prières fournissaient des aveux au roi, ils recevaient aussi à leur tour les aveux de leurs sujets.

Un aveu, rendu le 18 décembre 1777 par les habitants du bourg de Billiers, à Prières, reconnaît que les abbés et religieux possèdent, à cause de leur seigneurie, haute, moyenne et basse justice, droit de plaids généraux au dit bourg le lendemain de la fête de saint Maxent, patron de la paroisse (26 juin), et qu’ils sont tenus d'y assister, sans assignation préalable. Ils reconnaissent en outre que l’abbaye a droit d’avoir au bourg un sergent et receveur des rôles rentiers, prééminence à l’église paroissiale, four banal, suite de moulin, prison, carcan, et fourche patibulaire à trois piliers dans le lande de Berrien.

Il est bon de remarquer que les trois piliers de justice étaient l’indice d’une juridiction relativement étendue.

Outre la juridiction féodale, l'abbaye avait le monopole du passage de la Vilaine : c’était un côté utile du fief. Ce droit appartenait primitivement au seigneur de la Roche-Bernard : le duc Jean Ier l’avait acheté de Guillaume, seigneur du lieu, et l’avait cédé en 1252 à l'abbaye. Il comprenait tout le cours inférieur de la rivière, depuis Tréhiguier jusqu’au port des Alliers en Béganne. Le principal passage était celui de la Roche, dit aussi de Guédas.

En 1273, Eudes, seigneur de la Roche, prétendit s’être réservé des droits féodaux sur la moitié de la rivière et une rente annuelle de 35 sous sur le passage. Trouvant sans doute de la résistance, il brisa ou coula, en 1274, les chalands des moines, avec le secours des soldats de Payen de Malestroit et de Guillaume de Rochefort, vicomte de Donges. L’année suivante, il fit sa paix avec l’abbé Riallen, en présence de Rivallon du Temple, sénéchal de Nantes et de Guérande.

Lorsque s’ouvrit la guerre de Succession en 1341, Guillaume, seigneur de Rochefort et vicomte de Donges, voulant avoir une communication libre entre ses deux châteaux, fit établir un bac au Village des Gerbes, entre Péaule et Nivillac. Les habitants de ces deux paroisses en profitèrent aussitôt. C’était une perte pour le passage de la Roche ; aussi l’abbé Guyomar se plaignit-il auprès de Pierre du Bois-de-la-Salle, sénéchal de Charles de Blois. L’affaire traînant en longueur, à cause de la guerre, il y eut une transaction provisoire entre le seigneur et l’abbé. Mais le procès reprit plus tard ; en 1392, deux commissaires furent nommés par la cour ducale de Vannes pour faire une enquête sur le passage contesté, et en 1396 le duc Jean IV donna mandement au sénéchal et à l’alloué de Broérec d’empêcher l’établissement du passage des Gerbes, prétendu par le seigneur de Rochefort.

Le passage de la Roche-Bernard ou de Guédas restait donc obligatoire. Le seigneur de l’endroit veillait soigneusement au paiement de la rente des 35 sous qui lui étaient dus, et quand les passagers de l’abbaye oubliaient de la payer, il s’emparait d’un bateau, et ne le rendait qu’après satisfaction, comme cela se fit en 1380 et 1467.

En 1634, le seigneur prétendit au droit pour lui et ses domestiques, pour les gens de la ville et leurs marchandises, de passer la rivière, moyennant un denier annuel par ménage, qu’un religieux irait chercher de porte en porte, le 22 septembre. Une sentence des Requêtes du Parlement de Rennes, du 11 janvier 1636, mit à néant toutes ces prétentions, mais exigea de l'abbaye le paiement annuel des 35 sous et la fourniture d’un bateau, conduit par six hommes, pour courir la quintaine les jours de Noël et de Saint-Etienne. — Même difficulté et même résultat en 1677. Enfin un mémoire de 1790 constate que les religieux de Prières ont fait construire, d’après les délibérations des Etats de la province, deux cales sur les deux rives de la Vilaine, pour embarquer et débarquer les voitures ; que leurs fermiers sont obligés, en vertu de leurs baux, de les tenir en bon état et de s’en servir ; qu’un bateau est continuellement à flot pour les voyageurs à pied ; qu’une pancarte est affichée aux deux bords pour indiquer les prix fixes du passage, et que les juges de la Roche-Bernard ont mandat de l'abbaye pour recevoir toutes les plaintes, afin de punir les infracteurs du règlement, surtout les fermiers qui se permettraient d’y manquer.

Le passage de la Roche-Bernard et la ferme de la maison de Guédas sur la rive de Marzan étaient évalués en 1790 à la somme de 2.100 livres. Il y avait un autre passage de la Vilaine, situé à l'Isle ; il était bien moins important que le précédent, puisqu’en 1790 il ne rapportait à l'abbaye qu’un revenu annuel de 60 livres environ.

En 1839, on a construit à la Roche-Bernard un magnifique pont suspendu, d’après les plans de M. Le Blanc, ingénieur en chef ; son tablier est élevé de 33 mètres au-dessus du niveau des plus hautes marées, en sorte que des navires de 500 tonneaux peuvent passer dessous à pleines voiles. Les culées du pont ont été construites en grande partie avec les pierres provenant de l'église de Prières ; en sorte que l'abbaye, même après sa destruction, a contribué à l’établissement du nouveau passage de la Roche-Bernard (extrait des notes de J.-M. Le Mené).

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