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PRIEURS DE L'ABBAYE DE SOLESMES

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Deux grands Prieurs : Guillaume Cheminart et Jean Bougler.

On ne peut pas n'être pas frappé, en pénétrant dans l'église abbatiale, du caractère très différent de la partie inférieure des murs massifs et de la voûte élégante qui les recouvre. Les murs sont ce qui reste de l'édifice primitif du XIème siècle, les voûtes représentent le travail exécuté au XVème pour réparer les dommages causés par la guerre. Le prieur était alors Philibert de la Croix : dès 1470 il avait commencé la construction de la voûte : il la poussa jusqu'à l'achèvement, et ses armes parlantes : une croix entourée des instruments de la Passion, se voient sur la clé de voûte, à l'ancien chevet de l'église, qui est aujourd'hui la travée entre le transept et le nouveau choeur.

La chapelle du transept de droite était depuis le XIIème siècle consacrée à la sainte Croix : elle fut le point de départ de la décoration artistique de l'église. Le prieur Guillaume Cheminart, à qui l'unanimité des Mémoires anciens en attribue la première phase, aurait, paraît-il, commencé les travaux vers 1494. Ce prieur qui appartenait à une famille riche et considérée est peu connu, mais l'oeuvre à laquelle il attacha son nom suffit à l'illustrer. Il avait fait exécuter un précieux reliquaire pour la relique de la sainte Épine ; c'était un tube de cristal enchâssé dans une couronne d'épines portée par un ange ; le tout d'argent doré. A l'insigne relique il donna un reposoir dans la chapelle de Notre-Dame de Pitié : c'est, nous l'avons dit, un pendentif du sépulcre de Notre-Seigneur élevé à droite de l'autel au fond du bras droit du transept. Là on l'expose aux jours d'ostension solennelle. Aucun trône, certes, ne peut être digne des instruments de la Passion du Sauveur, mais il faut reconnaître que l'art a consacré à celui-ci un de ses plus beaux efforts. La croix, une grande croix nue, portée par un ange, et qui touche à la voûte, domine le tombeau ; elle est entourée des deux larrons crucifiés, d'anges porteurs des instruments de la Passion et de deux figures de prophètes déployant leurs banderoles. Dans le bas, sous l'arc surbaissé qui forme la grotte du sépulcre, un Christ d'une admirable majesté dans la mort est porté dans son linceul par deux puissants personnages, dont l'un représente certainement un contemporain de l'artiste. Au fond on voit un groupe au centre duquel saint Jean soutient Notre-Dame prête à défaillir, mais dont la douleur intense est maîtrisée par la soumission à la divine volonté ; enfin, en avant, une sainte Madeleine assise captive le regarde : « elle médite, elle prie, elle pleure ; ses mains jointes pour l'oraison compriment sur ses lèvres les sanglots qui la secouent et l'on sent dans son attitude recueillie, dans son immobilité frémissante, la violence intérieure de sa douleur domptée et prosternée devant Dieu ». Ainsi s'exprime un historien de l'art qui n'avait pas hésité, quelques lignes plus haut, à présenter l'ensemble du tombeau comme « le plus significatif des tendances de la sculpture française à la fin du XVème siècle et vraiment situé, par sa date comme par sa situation géographique, au coeur même de l'art national ».

Solesmes : abbaye de Solesmes

Ce chef-d'oeuvre fut achevé, comme en témoignent deux inscriptions sculptées au bas des deux pilastres placés aux côtés du tombeau et dont l'exécution parait un peu plus récente que celle du reste, Karolo VIII regnante, l'an 1496. Charles VIII dont le nom figure ici avait, à trois reprises, honoré le prieuré de sa visite, lors des séjours qu'il fit au château de la Roche-Talbot. Les trois fois, le 25 août et le 1er septembre 1488, et le 31 août 1491, le roi tint à Solesmes des séances de son grand conseil ; tout porte à croire que Charles VIII fut non seulement un ami, mais aussi un bienfaiteur du monastère. Le tombeau du Christ porte, en effet, avec l'écu royal, les armes de la reine Anne de Bretagne sa femme et de leur fils le Dauphin.

Solesmes : abbaye de Solesmes

Solesmes : abbaye de Solesmes

Le prieur Guillaume Cheminart, dont la santé déclinait, avait dû donner sa démission dès 1495, mais il vécut au moins quelques années encore et put voir son oeuvre achevée. Son second successeur, Jean Bougler, devait donner à celle-ci un digne complément en élevant dans le transept gauche de l'église le mystique tombeau de la très sainte Vierge et les monuments qui l'entourent.

Jean Bougler fait honneur à la ville du Mans où il naquit et où il s'engagea dans la vie monastique au monastère de la Couture. C'était un savant et un grand prédicateur : il était docteur de Sorbonne, et lorsque l'illustre abbé Michel Bureau l'eut envoyé gouverner le prieuré de Solesmes, un de ses premiers soins fut de réorganiser l'enseignement dans sa maison qu'il porta en peu de temps à un degré de prospérité inouï jusque-là. Nous pouvons en juger par l'oeuvre artistique exécutée sous son inspiration dans l'église du prieuré.

La « Belle Chapelle », comme on l'appelait autrefois, groupe cinq scènes qui se rapportent toutes à Notre-Dame. La première, derrière l'autel, représente la dernière communion reçue par la très sainte Vierge des mains de Notre-Seigneur lui-même. La seconde est son ensevelissement, dans un tombeau qui fait face à celui du Sauveur placé au fond de l'autre bras de l'église. La troisième figure l'Assomption ; la quatrième le triomphe de la Vierge sur les abominations décrites par l'Apocalypse ; la cinquième, enfin, ajoutée après coup et placée en face de l'autel, est consacrée à Jésus au milieu des docteurs et retrouvé par Marie et Joseph dans le temple.

La merveille et le centre de tout cet ensemble est la figure de la Vierge au tombeau, « cette Vierge si doucement endormie, si gracieusement posée, si chastement drapée, » comme écrit Dom Guéranger, et qu'on ne peut voir sans se sentir porté à la prière. La dévotion est en effet la marque distinctive de toutes ces sculptures dont Jean Bougler a sans doute inspiré la pose et le groupement en même temps qu'il leur juxtaposait des inscriptions mystiques pour en expliquer le sens. Un moine bénédictin tient un des coins du linceul de la Vierge : il est manifeste que cette statue est un portrait. La tradition met sur elle le nom de l'illustre prieur, de même qu'elle identifie l'abbé de la Couture, Michel Bureau, avec l'autre moine placé derrière les apôtres qui entourent Notre-Dame recevant le saint viatique : rien de plus vraisemblable, et le Mauriste qui au début du XVIIIème siècle envoyait ces détails à Mabillon ne pouvait être que bien renseigné sur ce point.

Solesmes : abbaye de Solesmes

A quels artistes les sculptures de Solesmes sont-elles dues ? La question a été maintes fois agitée sans être jamais résolue définitivement, et bien des noms ont été proposés, depuis celui de Germain Pilon, jusqu'à celui de Michel Colombe, sans qu'aucun ait réussi à s'imposer. Le résultat le plus clair des discussions engagées à ce sujet, aussi bien pour le tombeau de Notre-Seigneur exécuté au XVème siècle, que pour l'ensemble des sculptures, terminées en 1553, dont le tombeau de Notre-Dame forme le centre, a été l'affirmation du caractère nettement français de l'oeuvre et de son indépendance vis-à-vis des écoles italienne et flamande dont quelques critiques avaient cru y reconnaître l'influence. A ce point de vue, les « Saints de Solesmes » tiennent une place de premier rang dans le patrimoine artistique de la France.

Solesmes : abbaye de Solesmes

Solesmes : abbaye de Solesmes

On imagine facilement les grandes dépenses que l'exécution de ces oeuvres d'art dut entraîner, et les deux tombeaux ne furent pas les seules que laissèrent les prieurs d'alors : les stalles sculptées du choeur datent de cette époque, ainsi que d'autres travaux importants entrepris dans l'intérieur du monastère, sans parler de vitraux remarquables aujourd'hui détruits et qui ornaient les fenêtres de l'église. Solesmes était donc alors dans une période de grande prospérité. Il est d'autant plus intéressant, après cette constatation, de jeter un coup d'oeil sur la vie intime de la communauté à cette époque. Précisément nous possédons un tableau détaillé des usages observés sous l'abbé Michel Bureau dans le monastère de la Couture et, par suite, dans les prieurés qui en dépendaient ; nous y verrons que la richesse des moines n'avait nui en rien à leur bonne observance.

Solesmes : abbaye de Solesmes

En tout temps on se levait à minuit pour les Matines. Les religieux se rendaient tous à l'église devant l'autel de Notre-Dame où ils faisaient quelques prières privées et où le supérieur leur donnait l'eau bénite ; de là on allait au choeur où on chantait Matines de la très sainte Vierge et Matines du jour ; suivait un office de cinq psaumes, pour les morts. Toutes ces prières se faisaient debout ou appuyés sur les stalles : on ne s'asseyait que durant la lecture des leçons. L'office prenait fin à 2 heures les jours de férie, à 3 heures les fêtes de douze leçons, vers 4 heures les jours de grande fête où on s'était levé dès 11 heures de la nuit. Les moines pouvaient alors se recoucher et le réveil avait lieu à 6 heures. La communauté entendait tout d'abord une messe de la sainte Vierge, puis on disait les messes privées et, pendant ce temps, les jeunes gens vaquaient à l'étude de la grammaire, de la rhétorique et de la logique.

Solesmes : abbaye de Solesmes

A 8 ou 9 heures, suivant les saisons, avait lieu l'office de Prime, suivi du Chapitre des Coulpes après lequel chacun allait à son travail. Les jeunes religieux entendaient alors la leçon qu'un moine plus âgé leur faisait sur le service divin. Vers 10 heures, grand'messe précédée et suivie des petites Heures canoniales. A 11 heures, ou, durant le carême, à midi, repas pris au réfectoire commun.

Le régime était frugal ; cependant l'usage de la viande était permis trois fois par semaine, sauf durant le Carême et l'Avent, et, détail curieux, sauf aussi les jours de grandes fêtes où aucun plat de viande ne devait paraître sur les tables. Le repas était toujours accompagné d'une lecture ; il était suivi d'une conversation ou collation qui se tenait dans le cloître sous la présidence du supérieur ; après quoi chacun regagnait sa cellule et se livrait au travail, lecture, écriture, étude ou métier qui lui avait été assigné et dont il devait fréquemment rendre compte. La porte des cellules était d'ailleurs munie d'une petite fenêtre toujours ouverte et par laquelle il était facile de voir si le moine travaillait ou s'il était oisif.

A 3 heures de l'après-midi, on récitait None, puis les religieux revenaient au cloître où ils attendaient en silence que l'on rentrât au choeur pour l'office de Vêpres. Comme la nuit, cet office était triple : on chantait d'abord les Vêpres de la très sainte Vierge, puis celles des Morts, puis celles du jour. Enfin, on récitait encore un office de neuf leçons pour les défunts, et la communauté quittait l'église pour revenir dans le cloître ; là, ceux qui devaient durant la nuit lire des leçons préparaient leur lecture, tandis que les jeunes gens s'exerçaient au chant et que les autres moines faisaient quelque lecture.

A 5 heures, la cloche appelait tous les frères à une conférence où on lisait les Collations de Cassien, les Vies des Pères ou quelque autre livre « contemplatif » ; puis, à moins que ce ne fût jour de jeûne, on se rendait au réfectoire pour le repas du soir. Celui-ci terminé, la communauté se rendait immédiatement à l'église pour l'office de Complies et la journée se terminait comme elle avait commencé, par l'aspersion de l'eau bénite ; après quoi les moines allaient chanter à genoux l'antienne de Notre-Dame devant son autel. Un De profundis encore pour les défunts et le grand silence de la nuit commençait vers 7 heures du soir. Le lit était formé d'un matelas rempli de crins ou de bourre de laine, de gros draps et d'une couverture : la plume, le lin étaient interdits à tous.

Le vêtement des moines excluait lui aussi le lin, la soie et les étoffes fines ; il se composait d'une chemise, d'un petit vêtement de dessous en étoffe blanche, qui portait le nom de jaquette, d'une tunique noire descendant jusqu'aux pieds. Par-dessus, un scapulaire de la largeur des épaules et propre ; sur la tête un bonnet noir descendant jusqu'au cou et sur le tout une coule d'étoffe velue, nommée froc, et couvrant la tête et le corps entier : le froc devait toujours être porté et personne ne pouvait paraître dans la communauté sans en être revêtu.

Le manuscrit du Mans qui nous a conservé ces règlements ajoute que sous l'abbatiat de Dom Michel Bureau ils étaient observés à la lettre. Plût à Dieu qu'on eût pu en dire autant des années qui suivirent !. Malheureusement la plaie de la commende guettait déjà la Couture et ses prieurés, et elle ne devait pas tarder à y faire, comme partout alors, son oeuvre dissolvante.

On appelle commende la remise à un supérieur non régulier de l'autorité et de l'administration temporelle dans un monastère. Ce fut, pour les pouvoirs souverains, surtout pour les pouvoirs séculiers, un moyen commode de procurer des revenus à leurs créatures. L'abbé ou le prieur commendataire, non soumis à la règle, prélevaient sur les revenus de la maison les sommes nécessaires à l'entretien de celle-ci et au maintien des moines ; tout le reste leur appartenait. On imagine facilement les abus qu'un pareil régime pouvait engendrer. Le Concordat passé à Bologne entre Léon X et François Ier faisait, en quelque sorte, la part du feu ; il portait que la commende ne serait pas étendue aux monastères du royaume de France où elle n'avait pas encore été introduite ; elle était cependant confirmée dans ceux où elle existait déjà. Or, l'abbé Michel Bureau étant mort en 1518, les moines de la Couture élurent pour le remplacer comme supérieur régulier le prieur de Solesmes, Dom Jean Bougler. Mais la Couronne avait d'autres vues : si, en effet, l'abbé Michel Bureau et ses trois prédécesseurs immédiats étaient des réguliers, le monastère de la Couture avait eu cinquante ans plus tôt un abbé commendataire dans la personne de Guillaume de Malestroit, archevêque de Thessalonique et conseiller du roi, à qui le bénéfice avait été conféré par le pape Paul II lui-même : le pouvoir civil ne voulut connaître que celui-là, et François Ier nomma pour succéder à Michel Bureau l'évêque de Senlis, Jean Colluaut. Dom Bougler résista, mais ce fut en vain : après avoir été maltraité, emprisonné même, il dut céder la place à l'adversaire et revint à Solesmes où il vécut encore de longues années, jusqu'à 1556. Il avait, lorsqu'il mourut, soixante-quinze ans d'âge et cinquante et un ans de gouvernement prioral. Il fut enterré sous l'autel même de la chapelle de Notre-Dame qu'il avait si magnifiquement décorée. Après lui, la commende, malgré le Concordat, s'empara du prieuré de Solesmes où elle n'avait cependant jamais existé jusque-là ; elle devait le tenir jusqu'en 1753 (H. Quentin).

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