Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue ! 

ABBAYE SAINT-MATHIEU DE PLOUGONVELIN

  Retour page d'accueil       Retour page Monastères   

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Abbaye Saint-Mathieu de PLOUGONVELIN - Plougonvelin

C’est sur le territoire de Plougonvelin que se dressent les vestiges de l'abbaye de Saint-Matthieu ou Saint-Mathieu ou Saint-Mahé de Fine-Terre (Loc Mazé Pen-ar-Bed ou Fin ar Bed) ou de Fine-Poterne établie, d'après la tradition, au VIème siècle par saint Tanguy, en expiation du meurtre de sa soeur sainte Eode ou Haude. Saint Tanguy est un prince guerrier de la cour du roi Childebert. 

Abbaye de Saint-Mathieu, Finistère (Bretagne)

 Dessin du Sr De La Belle Veue-Dumains, 1691 (Musée de la Marine, Paris)

Abbaye de Saint-Mathieu, Finistère (Bretagne)

Gravure de P. Ozanne (XVIIIème siècle) - Musée de la Marine, Paris 

 

Trois siècles plus tard, des navigateurs du Léon revenant d'Egypte, ramènent le corps de saint Mathieu et le déposent en un lieu nommé Loc-Mahé-Traoun. Les reliques de l'apôtre, sont enlevées par les Normands au Xème siècle. L'abbaye (Abbatia Sancti Matthoei in finibus terroe) est à nouveau reconstruite vers la fin du Xème siècle, grâce au soutien des vicomtes de Léon. L'abbaye est fondée pour six religieux et l'abbé jouit d'un revenu annuel de 3500 francs. Hervé Ier, vicomte de Léon, rapporte le Chef de saint Mathieu, à son retour de la Palestine, en 1206. C'est d'ailleurs ce que nous apprenons d'une charte datée de l'an 1206, et qui commence par ces mots : "Hervoeus de Leoniâ, qui primus dominorum Leonensium receptioni et venerationi SS. capitis B. Matthoei apostoli interfui, ...". Après le siège et le pillage du monastère par les Anglais en 1294, les moines de l'abbaye se décident à élever des fortifications vers 1332 pour la défense de l'abbaye. Vers 1558, l'abbaye souffre à nouveau du pillage des Anglais. 

La réforme mauriste y est imposée en 1655. Cette réforme est fondée au XVIIème siècle pour lutter contre le relâchement de la discipline dans les abbayes. Le 22 mai 1790, on y trouve plus que 4 religieux et un domestique. L'abbaye (hors église abbatiale) est vendue comme bien national, à Provost du Conquet, le dimanche 24 juillet 1796. Des bâtiments initiaux, il ne reste plus que des ruines de l'abbatiale et un pan de mur du cloître. 

Abbaye de Saint-Mathieu, Finistère (Bretagne)

 Lithographie extraite de "Voyages pittoresques et romantiques d'une ancienne France, Bretagne" de J. Taylor, Ch. Mordier, A. Cailleux, 1830.

Siméon est nommé abbas Leonensis dans une charte de Redon datée du 25 août 870. Cela ne peut convenir qu'à un abbé de Saint-Mathieu ou à un abbé du monastère de Batz, bâti par saint Paul de Léon. Mais on n'a aucune preuve que ce dernier ait subsisté jusqu'en 870. Eudon, abbé de Saint-Mathieu, meurt le 25 mai, selon l'obituaire de Landévennec. Tiritien meurt le 20 mai, selon le même obituaire. Curion meurt le 6 juin, suivant le même obituaire. Daniel approuve en 1110 une association faite entre ses religieux et les habitants de la ville de Morlaix, où il y avait un prieuré dépendant de cette abbaye. Pérennès obtient, le 10 juillet 1157, de Hervé, comte de Léon, l'affranchissement de tous les biens dépendants de son monastère. Inisant meurt le 25 septembre, selon l'obituaire de Landévennec. Hervé meurt le 11 décembre 1218, suivant le nécrologe de Quimperlé. Rivallon, fils de Haeluc, religieux de Quimperlé, succède à Hervé, et meurt le 14 janvier 1229, suivant le même nécrologe. Yves de La Palue ou du Marais, de Palude, meurt le 9 mars, suivant l'obituaire de Landévennec, qui indique également le décès des trois abbés suivants. Yves de La Palue, neveu ou parent du précédent, meurt le 12 juin. Even meurt le 19 décembre. Yves meurt le 22 juin 1315. Guillaume tient, le lundi après la translation de saint Benoît en 1332, un chapitre général, dans lequel il est dit que les prieurs de Goeloforêt diraient à perpétuité trois messes par semaine pour les seigneurs de Léon, bienfaiteurs de ce prieuré et de l'abbaye de Saint-Mahé. Philippe fait dresser le cartulaire de son abbaye en 1343. Il reconnaît dans la préface de cet ouvrage que les comtes de Léon sont ses fondateurs et bienfaiteurs. Guillaume, dit Dogan, meurt le 13 septembre, suivant l'obituaire de Landévennec. Even Glebeuf meurt le 30 juin, selon le même obituaire. Jean, abbé de Saint-Mathieu, est trésorier général de Bretagne en 1408, et premier président de la Chambre des Comptes en 1420. Guillaume de Kerlec'h occupe le siége abbatial en 1430, suivant un acte de son monastère, et vit encore en 1467. Il est commis par le duc en 1462 pour gouverner l'abbaye de Redon, à cause des infirmités de l'abbé Le Sénéchal, qui le rendaient incapable de toute administration. 

Les Anglais descendent à Saint-Mahé la même année, et font beaucoup de dégâts sur les biens de l'abbaye. Jean Nouel succède à l'abbé de Kerlec'h et meurt vers l'an 1486. Le pape nomme à sa place Antoine de Grassiis, évêque de Thuile, l'un de ses référendaires. Le duc, pour favoriser son confesseur, engage Antoine à se démettre, et lui accorde, le 24 avril 1486, la permission de posséder en Bretagne des bénéfices jusqu'à la valeur de 300 ducats. Jean de La Forest, confesseur du duc François II, obtient l'abbaye en 1486 sur la démission d'Antoine de Grassiis, et meurt vers l'an 1487. Jean Brunet, prieur d'Aindre, au diocèse de Nantes, est abbé en 1487, et meurt en 1515. Henri Le Jacobin, docteur en théologie, obtient mainlevée des revenus de l'abbaye de Saint-Mahé, le 15 juin 1515. Hamon Barbier, chanoine de Nantes et de Saint-Paul de Léon, recteur de plusieurs paroisses et conseiller au Parlement de Bretagne, archidiacre de Quiminidili dans l'église de Léon, obtient en 1533 les bulles de l'abbaye de Saint-Mahé, et les présente à la Chambre des Comptes. Frère Hervé de Kermeno lui dispute ce dernier bénéfice, mais on ne voit pas à qui il est enfin adjugé. Le temporel de l'abbaye est saisi dans le mois de décembre 1543, à la requête du procureur général. Claude Dodieu, chanoine et archidiacre dans l'église de Rennes, vicaire général du même diocèse, fait serment de fidélité au roi pour l'abbaye de Saint-Mathieu en 1353. Il en est pourvu en 1552, et la possède encore en 1571. François de Kernechriou succède, suivant quelques mémoires, à M. Dodieu, mais on ne sait, combien d'années il tient cette abbaye. Côme de Roger, Florentin, conseiller et aumônier du roi, prieur de Saint-Nicolas de Josselin, fait serment de fidélité au roi pour l'abbaye de Saint-Mathieu en 1607. Ses moeurs et ses discours impies le rendent suspect d'athéisme, il est exclu par arrêt du nombre des abbés. André de Liza succède au précédent, et se démet en 1617. Jean Roger de Foix est pourvu en 1617 sur la démission du sieur de Liza, et vit encore en 1628. Louis de Jant ou de Jouhan succède au précédent. N. L'Alat, originaire de Bordeaux, succède au précédent : il meurt en 1633. Louis de Fumée, seigneur des Roches en Touraine, rend aveu au roi, en 1634, pour le temporel de son abbaye, consent à l'introduction de la réforme en 1655, et meurt dans son château des Roches-Saint-Quentin le 7 avril 1657. Louis de Menou, originaire de Touraine, prend possession de l'abbaye par procureur le 20 septembre 1658, et meurt en 1702. Claude de Menou, frère du précédent et chanoine de Loches, est pourvu de l'abbaye le 16 juillet 1702, et meurt le 24 novembre 1721, après avoir comblé son abbaye de ses bienfaits. Léonor de Romigny, docteur et syndic de Sorbonne, chanoine de l'église de Paris et vicaire général, est nommé à l'abbaye au mois d'octobre 1725. Il meurt subitement le 4 août 1759 à l'âge de 59 ans. Son zèle pour la conservation de la pureté de la foi en France lui attira la haine des Jansénistes. Jean Louis Gouyon de Vaudurant est nommé en 1739 à l'abbaye de Saint-Mahé et en 1745 à l'évêché de Saint-Paul de Léon. Il se démet de son siége en 1763, et conserve son abbaye jusqu'en 1779, époque de sa mort. N. de Robien, breton d'origine, vicaire général d'Auxerre, succède à M. Gouyon en 1780. La Révolution le dépouille de son abbaye en 1790.

Abbaye de Saint-Mathieu, Finistère (Bretagne)

Abbaye Saint-Mathieu - Archives Nationales - Plan au 1/325

 

" A la pointe extrême du Finistère, à cinq lieues à l'ouest de Brest, dans la paroisse de Plougonvelin, à trois kilomètres au sud de la petite ville du Conquet, se dressent les ruines de l'église abbatiale de Saint-Mathieu. C'est là que saint Tanguy, après avoir fondé l'abbaye de Gerber ou du Relecq, vint établir un autre monastère, à l'endroit même où la tête de l'apôtre saint Mathieu avait été débarquée par des marchands léonais qui l'avaient apportée du pays d'Egypte. La partie la plus ancienne de la construction que nous avons maintenant sous les yeux est la façade Ouest, avec le mur du bas-côté Nord et les deux premières travées de la nef. Cette façade Ouest, bâtie en appareil moyen, est une oeuvre simple et noble à la fois, bien dessinée et indiquant la disposition intérieure. La porte est surmontée d'une arcade trilobée qu'encadrent deux rangs de voussures à plein-cintre autour desquels règne un cordon saillant orné d'une série de boutons et portant sur un bandeau horizontal dont la gorge est remplie par des crochets ou feuilles de nénuphars à extrémités recourbées. Cette partie du milieu forme un petit avant-corps saillant de 0m30, et se termine en glacis. Aux angles de la façade montent deux petits contreforts de même saillie, et à six mètres de hauteur existe un retrait en glacis, au-dessus duquel sont percées trois fenêtres à plein-cintre, celle du milieu plus grande, mesurant 5 mètres de haut sur 0m80 de large, et celles des côtés ayant seulement 2m50 sur 0m50. Ces fenêtres sont séparées par des contreforts peu saillants, et le rampant du gâble, au lieu d'avoir des chevronnières, est terminé par des pierres à assises horizontales. Les deux premiers piliers de chaque côté de la nef sont cylindriques, surmontés d'arcades ogivales en tiers-point, mais qui sentent absolument la construction romane. Les chapiteaux sont composés de deux assises donnant deux rangs de feuilles à crochets, avec corbeilles carrées, plus une troisième assise pour les tailloirs. Les baies sont bien profilées, avec griffes aux angles. Il est à remarquer encore que ces colonnes avec leurs arcades sont construites en pierres calcaires, par conséquent en matériaux étrangers, provenant peut-être de la Normandie. Les cinq autres travées ont des chapiteaux très bas, formés d'une couronne de feuilles, et les arcades ogivales sont plus pointues, à double rang de claveaux moulurés. Il semble qu'on doive les attribuer au XIVème siècle. Le double bas-côté sud a dû être ajouté au XVème siècle. Le transept et le choeur sont d'une architecture plus riche et plus monumentale. 0n y trouve quatre grosses piles et deux autres secondaires, cantonnées de nombreuses colonnettes, à bases et chapiteaux d'excellent style XIIIème siècle, ayant un air de parenté avec la nef de la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon, et sentant également l'influence normande. Cette partie est couverte d'une voûte sur arcs ogives, haute de 18 mètres et défoncée par endroits. Au-dessus des voûtes des chapelles absidales règne une terrasse en dalles de granit. Le reste de l'édifice est dépourvu de sa charpente et de sa toiture, et les murailles sont là en partie ébréchées, mais toujours solides et résistant vaillamment aux assauts des vents d'ouest. En dehors de l'église, au côté Nord, quelques chapiteaux incrustés dans des pans de murailles, quelques arcatures indiquent le tracé de l'ancien cloître ; une longère de fenêtres et de lucarnes dessine la structure du réfectoire et du dortoir, quelques restes de murs marquent l'emplacement des bâtiments, des cours et des jardins de ce vaste monastère qui était à la fois abbaye et forteresse. Tout autour s'était établie une vraie ville ; il ne reste désormais que quelques chaumières formant un pauvre hameau " (l'abbé Abgrall, 1901).

Plan de l'église abbatiale de l'abbaye Saint-Mathieu

Voici ce que dit l'historien P. LEVOT :

 

Rien de plus confus, de plus contradictoire, que les origines assignées par nos anciens chroniqueurs à l'abbaye de Saint-Matthieu. Celui qui semble en avoir parlé le premier est Paulin ou Paulinien, évêque de Saint-Paul-de-Léon, au Xème siècle, dans son Histoire de la translation des reliques de saint Matthieu qui, selon lui, auraient été apportées en Bretagne vers 419, sous le règne du prétendu Salomon Ier. Le texte original de ce document ne nous est point parvenu, mais on le trouve en très-grande partie, p. 47-50 de l'Histoire de Bretagne, de Le Baud. Il a été reproduit dans la dissertation solide et approfondie à laquelle s'est livré M. de La Borderie au sujet de ce Salomon Ier, dans la Biographie bretonne, t. II, p. 825. Nous ne pouvons mieux faire, à notre tour, que d'insérer ici cette dissertation, parce qu'à côté du récit de Le Baud, on en trouve la réfutation. « On ne peut, dit M. de La Borderie, accuser Le Baud d'infidélité, mais le manuscrit qu'il suivait était visiblement interpolé. Voici les principales circonstances qu'il en a extraites. Le roi Salomon épousa une fille de Flavus, patrice des Romains, consul, suivant Le Baud, en 419. De son temps, furent apportées en Bretagne les reliques de l'apôtre saint Matthieu, enseveli au Caire. Celle gent du Caire, dit Le Baud d'après Paulinius, laissa la foy de Jésus-Christ et s'addonna aux concupiscences charnelles, par quoy elle emeust contre elle les diuerses nations de la terre, c'est à sçavoir les Sarmates, les Numidiens, les Arabes, les Trocodites, les Egyptiens et les Maures, lesquelles entrant en cette région la pillèrent et dégastèrent et en déboutèrent les Chrestiens. Et ainsi que ces choses se faisaient aucuns mariniers bretons applicquèrent à la dite cité du Caire, ainsi qu'ils auoient accoustumé auxquels le benoist saint Matthieu s'apparut ». Ils emportèrent avec eux les reliques de ce saint et vinrent aborder aux côtes de Léon, où, « pour célébrer l'arrivée d'un tel trésor en Bretagne, le roi Salomon, sur la demande de Rivallus, duc de la province de Cornouailles, abolit dans ses Etats l'usage de vendre aux étrangers des enfants en esclavage pour satisfaire au paiement des impôts publics ».

« Après un long règne, Salomon fut tué en l'église, à la suite d'une révolte qui eut lieu dans le pays de Léon. Le patrice Flavus s'employa à venger la mort de son gendre, et, à son instigation, l'empereur Valentinien III, qui d'ailleurs était l'allié de Salomon, " adresse ses mandemens à toutes les citez marines de Pouille, de Calabre, de Brisie, de Lucanie et de Tuscie, qu'ils envoïassent nefs cursoires avecques grandes tourbes d'ennemis à perdre celuy royaume et sa gent ; lesquels ainsi venans par mer et entrans en Bretagne, occirent premièrement les exercites des hommes forts, destruisirent le païs par homicides et par pillages et desrompirent les citez et les chasteaux. Et comme ces choses ainsi se fissent, les nefs des Brisians apportées ignellement par sus les ondes, arrivèrent à la cité de Legionense.... ...... Mais combien que 6666 hommes approuvez es faits de la bataille se fussent assemblez dedans les murs de la dite cité, et ississent contre les Brisians, les 6000 furent occis, et les autres prindrent la fuite " et les vainqueurs emportèrent avec eux le corps de saint Matthieu ».

Le Baud dit encore, toujours d'après son texte, que les évènements ci-devant rapportés eurent lieu du temps de Paulinien, auteur du récit, lequel fut le premier évêque de la cité de Legionense après la destruction que mentionne le récit. Paulinius aurait donc vécu et il aurait été évêque de Léon dans le Vème siècle. La fraude se trahit déjà par là, puisqu'il est certain que l'évêché de Léon ne fut fondé que dans le VIème siècle, par saint Paul-Aurélien. En outre, de l'aveu de Gallet, le seul évêque du nom de Paulin ou Paulinien, auquel on puisse attribuer ce récit, vivait dans le Xème siècle et s'était réfugié en France pour échapper aux calamités dont les hordes normandes accablaient alors notre péninsule. (D. Morice, Histoire de Bretagne, t. I, Pr., col. 619). Il paraît d'ailleurs que ce Paulin du Xème siècle avait effectivement composé une histoire de la translation des reliques de saint Matthieu en Bretagne, mais, puisque cette translation s'était faite de son temps, elle n'avait pu se faire dans le Vème siècle. Dans le vrai, elle avait eu lieu sur la fin du IXème siècle, sous le règne de Salomon, successeur d'Erispoé, c'est-à-dire de 857 à 875, comme le dit (sous l'an 857) la Chronique de Bretagne, publiée par Dom Morice en tête de ses Preuves. C'est cette translation que Paulin avait racontée, et si l'on écarte du récit de Le Baud l'alliance du souverain breton avec le patrice Flavus et l'empereur Valentinien, et l'expédition maritime dirigée contre la Bretagne sur l'ordre de cet empereur, par les villes de la Pouille, de la Brisie, de la Lucanie , etc., toutes circonstances qui, dans tous les cas, sentent la fable d'une lieue, et où je vois des interpolations frauduleusement faites au récit de Paulin, pour en rehausser la date et le caractère : — si l'on écarte ces circonstances, celles qui restent conviennent parfaitement au Salomon du IXème siècle. Ce prince, en effet, fut tué dans un oratoire ou petit monastère (monasteriolum) du pays de Léon, situé non loin de Brest. (Voyez la Chronique de Vannes, la Chronique de Redon, citée par Le Baud, les Annales de Saint-Bertin et l'Histoire de Bretagne de Lobineau sous l'année 874). Après la mort de ce Salomon, la Bretagne fut ravagée par des pirates qui, à la vérité, ne venaient pas du Midi, mais du Nord, comme l'atteste leur nom de Normands. Sous le règne de ce Salomon, le comte ou duc de Cornouaille s'appelait aussi Riwelin, qui n'est qu'une forme du nom de Riwal, comme on le voit par l'hymne du moine Clément en l'honneur de saint Gwennolé, rapportée au cartulaire de Landévennec (f° 128), où on lit : Tempore quo Salomon Britones regebat, Cornuliæ rector quoque fuit RIWELEN.

« Il n'est pas invraisemblable que l'on ait continué jusqu'au IXème siècle de faire, dans quelques ports de Bretagne, le trafic des esclaves, et la formule que Le Baud, d'après Paulin, met dans la bouche du roi Salomon pour prononcer l'abolition de cet odieux commerce, convient bien mieux au IXème siècle qu'au Vème » [Note : Le roy Salomon …. leva promptement son sceptre et mist sa main sur la sépulture d'iceluy saint corps (celui de saint Matthieu) disant en ceste manière : « Je te donne glorieux apostre Matthieu, par concession de mon privilège ; que ceste coutume laquelle a esté toujours exercée en mon royaume, soit d'oresnavant ostée pour la reuerence de toy, et afin que moy ni mes successeurs ne le puissent enfreindre ny violer, je te confirme ce privilège par l'impression de mon anneau : C'est à scavoir que ceux qui pour accroistre le trésor du Prince estoient vendus aux estrangers soient et demeurent d'oresnavant sujets à ta seigneurie et à ceux qui seruiront en l'église à laquelle reposera ton corps » (Le Baud, Histoire de Bretagne, p. 48)].

« Une autre circonstance qui ne peut absolument convenir au Vème siècle, mais qui convient au IXème, est celle où on nous montre la population du Caire, après avoir abandonné la vraie foi de Jésus-Christ, subjuguée par diverses nations barbares, entre lesquelles on nomme les Numidiens, les Arabes et les Maures. Evidemment l'auteur de ce récit entend parler en ce lieu de l'hérésie jacobite (Note : « Cette hérésie n'était autre que celle des Monosophysites, appelée d'abord Eutychianisme, du nom de son auteur Eutychès, et condamnée pour la première fois en 451, au concile de Chalcédoine. Au siècle suivant, un moine appelé Jacques Zanzale, dit aussi Jacques Buradée, releva et développa cette erreur, et organisa la secte dont les adhérents prirent de lui le nom de Jacobites. Ce Jacques devint évêque eutychéen d'Edesse, où il mourut en 578 ») embrassée au VIème siècle par les Cophtes d'Egypte et de la conquête de ce pays exécutée au VIIème siècle (638-640) par les sectateurs de Mahomet, d'où il suit que cet auteur et les faits qu'il raconte, loin d'appartenir au Vème siècle, sont forcément postérieurs au milieu du VIème ».

« Ma conclusion, la voici : Paulin ou Paulinus, évêque de Léon au Xème siècle, avait écrit une histoire de la translation du corps de saint Matthieu en Bretagne, translation qui se fit véritablement au IXème siècle, sous le règne de Salomon, c'est-à-dire de 857 à 875, comme l'atteste non-seulement la Chronique de Bretagne, citée plus haut, mais encore celle de Quimperlé et du Mont-Saint-Michel (Note : Ph. Labbe Mss t. 1, p. 349 ; Baluze ; Miscell., t. 1, p. 520, et D. Bouquet, Recueil des historiens de France, t. VII, p. 273). Il avait ajouté à cette histoire le récit des invasions normandes qui suivirent la mort de Salomon et causèrent à la Bretagne la perte de ces précieuses reliques transportées effectivement en Italie, comme l'affirme la chronique de saint Maixent (Note : Voir Dom Morice. Histoire de Bretagne, t. 2, p. XCVI et XCVII, au commencement du catalogue des abbés de Saint-Matthien ; la chronique de saint Maixent y est citée d'une manière fort embrouillée. Au t. IX, p. 9, du Recueil des historiens de France, on trouve, dans un fragment de la même chronique de saint Maixent, cette mention: anno DCCCCLIV (954), corpus sancti Mathæi translatum est, sans autre renseignement). Mais l'oeuvre originale de l'évêque Paulin, avant d'arriver aux mains de l'historien Pierre Le Baud, fut interpolée à une époque inconnue par un écrivain prévenu de l'idée que l'abbaye de Saint-Matthieu du Finistère remontait au moins au VIème siècle, et trompé d'ailleurs sur la véritable date de l'établissement des Bretons en Armorique, par les fables fort en vogue de Geoffroi de Montmouth. Sur ces malheureux fondements l'interpolateur, pour bien établir la date qu'il voulait marquer, introduisit dans le récit véritable de l'évêque Paulin, le patrice Flavus, l'empereur Valentinien III, et remplaça les pirates Normands par une expédition maritime dirigée de l'Italie contre notre Péninsule, sur les ordres de l'empereur. Par là le roi Salomon, qui figurait dans le récit de Paulin, se trouve transporté du IXème siècle dans le Vème, et nos anciens historiens lui donnèrent place en ce siècle, sous le nom de Salomon Ier, parmi les prétendus rois de Bretagne, successeurs de Conan ».

Après Paulin, ou plutôt après Le Baud, est venu notre charmant chroniqueur Albert Le Grand, qui ne pouvait manquer de surenchérir sur le récit de son devancier. Puisant dans les archives de la collégiale du Folgoat, riche arsenal de légendes fabuleuses, il y a trouvé le germe de celle qu'il a consacrée à saint Tanguy, et qui n'est pas la moins merveilleuse, à coup sûr, de celles qui sont écloses de son cerveau inventif. Prenons la quintessence de cette légende.

Vers 525, Galonus résidait au château de Trémazan, ainsi que deux enfants qu'il avait eus d'un premier mariage avec Florence, fille d'Honorius, prince de Brest. Ces deux enfants étaient une fille, nommée Haude, et un fils du nom de Gurguy, élevés l'un et l'autre par leur mère dans les principes et la pratique d'une grande piété. Florence étant morte, Galonus se remaria à une femme anglaise, riche et de bonne maison, mais infectée de l'hérésie pélagienne. Marâtre impitoyable, elle réduisit Gurguy à s'éloigner, du consentement de son père, trop faible pour résister à la persécutrice de ses enfants. Il se rendit à la cour du roi Childebert, où il séjourna douze ans, et ce prince « ayant reconnu les belles perfections qui estoient en luy, le retira près de soy et luy donna honneste appointement en son palais ».

Après le départ de son frère, Haude s'était résignée à souffrir en silence les mauvais traitements de sa belle-mère, dont la rage augmentait à proportion de la docilité de sa victime. Elle l'avait réduite aux plus infimes travaux de la domesticité. Elle l'empêchait d'assister à l'office divin et de recevoir les sacrements. Elle allait jusqu'à ne pas, la laisser dire ses prières, ce qui réduisait la pauvre fille à passer une partie des nuits dans l'accomplissement de ce devoir. Un jour, furieuse de la voir faire l'aumône, elle la battit, la foula aux pieds, et jeta aux chiens le pain qu'elle portait. Haude ne faisait entendre aucune plainte.

Plusieurs seigneurs l'avaient demandée en mariage, et son père, qui gémissait de ses souffrances, était disposé à l'accorder à l'un d'eux, mais l'impitoyable belle-mère y mit obstacle en l'envoyant dans une ferme d'où elle lui défendit de revenir à moins qu'elle ne la rappelât elle-même. Il y avait deux ans qu'elle y était lorsque son frère revint incognito chez son père. Ne voyant pas sa soeur, il demanda où elle était. Sa belle-mère, le tirant à l'écart, lui dit que Haude était une fille perdue qui avait manqué à ses devoirs, et que pour éloigner une telle infamie de la maison, on avait été contraint de l'envoyer aux champs. Sans plus amples informations, Gurguy court à la ferme et trouve sa soeur occupée, comme Nausikaa, à laver du linge. Il l'appelle par son nom, mais Haude qui, par suite de la longue absence de son frère, ne le reconnaît pas, s'enfuit. Gurguy, prenant pour une preuve de culpabilité ce qui n'est chez sa malheureuse soeur que l'effet d'une modestie alarmée des desseins qu'elle suppose à l'homme qui l'appelle, la poursuit, la rejoint et lui tranche la tête. Informé aussitôt par les voisins des calomnies de sa belle-mère, il revient, accablé de douleur, au château, où Haude rentre peu d'instants après, tenant sa tête dans ses mains « laquelle ayant posée sur son col, se réunit à son tronc, Merveille qui estonna toute l'assistance ».

Haude, ainsi restaurée, se tourne aussitôt vers sa marâtre, lui reproche ses perfidies, son opiniâtreté dans l'erreur, et lui annonce que puisqu'elle ne veut pas s'amender, Dieu va la punir à l'instant. La prédiction s'accomplit. La méchante femme est en effet saisie d'un mal de ventre si violent qu'elle rend tous ses intestins, les foule aux pieds et tombe épuisée. La foudre éclate dans l'appartement et l'achève. Gurguy, plus mort que vif, se jette aux pieds de sa soeur ; elle lui pardonne et meurt aussitôt après (18 novembre 545). Le premier acte du drame est fini, la toile tombe. Passons au second acte.

A peine Haude a-t-elle rendu le dernier soupir, que Gurguy s'en va trouver saint Paul de Léon qui lui impose une pénitence de quarante jours. Pour mieux l'accomplir, il se retire dans une forêt entre Landerneau et Brest, s'y battit une cellule ou cabane, tout près des chapelles actuelles de Sainte-Barbe ou du Relecq, et y passe la quarantaine prescrite dans les prières, les veilles et les larmes, ne se nourrissant que de racines, de glands, de mûres et autres fruits sauvages jusqu'au dernier jour de sa pénitence. Ce jour-là, une corneille, qui nichait près de sa cabane, lui apporta un beau pain blanc, après quoi Gurguy retourna vers saint Paul de Léon. Lorsqu'il entra dans le manoir épiscopal où le prélat était avec cinq ou six chanoines, sa tête était entourée d'un globe de feu, en forme de guirlande ou de cercle flamboyant. Ce nouveau miracle détermina saint Paul à changer son nom de Gurguy en celui de Tanguy, dont la première syllabe signifie feu en breton. Tanguy se jeta aux pieds du saint prélat qui lui donna sa bénédiction et lui permit de se retirer dans le monastère qu'il avait fondé à l'île de Batz. Il y vivait si saintement que quand saint Paul fonda le monastère de Gwer-ber ou Gherber, à trois lieues de Morlaix, là-même ou s'établit en 1132 l'abbaye du Relecq, il l'en nomma premier abbé.

Ayant appris que son père était bien malade et près de sa fin, Tanguy vint le voir avec l'intention de le préparer à bien mourir. Laissons maintenant Albert Le Grand raconter lui-même les faits qui donnèrent lieu à la fondation de l'abbaye.

« Le bon vieillard fut fort réjoui de voir son fils et luy donna plusieurs terres et héritages, tant pour son monastère de Gher-ber que pour en fonder d'autres s'il le jugeoit à propos ; et, entre autres, lui donna depuis le Cap de Pennarbed, en bas Léon (qu'à présent on nomme Saint-Matthieu de fine-terre, ou du bout du monde), le long de la mer, qui du grand Océan occidental entre dans le goulet du golfe de Brest, jusqu'à la rivière de Caprel (c'est-à-dire le havre de Brest), comprenant partie du bourg de Recouvrance, au-dessus duquel se voit, encore à présent, une ancienne tour ronde à demie ruinée, que les anciens appelloient la bastille de Quilbignon, et à présent s'appelle la Motte-Tanguy, sous laquelle il y a quelques maisons qui appartiennent aux seigneurs du Chastel Trémazan.

Quelque temps après, une flotte de navires léonnois, qui estoit allée trafiquer en Egypte, trouva moyen d'enlever subtilement le chef du glorieux apostre et évangéliste saint Matthieu, lequel ils emportèrent en Bretagne. Ayant passé le Raz de Fontenay sans danger, comme ils vouloient doubler le cap de Pennarbed, l'Admiral qui portoit la sainte relique, heurta de roideur un grand escueil qui paraissoit à fleur d'eau. Alors ceux qui estoient dedans, crièrent miséricorde, pensans estre tous perdus ; mais (chose merveilleuse ) le roc se fendit en deux, donnant libre passage au vaisseau qui estoit chargé d'un trésor si précieux, lequel ils mirent à terre à la pointe du dit cap et allèrent rader au havre du Conquet, qui est là auprès ; et en mémoire de ce miracle, ce cap fut appelle Loc-Mazhé-Traoun, c'est-à-dire, lieu occidental consacré à saint Matthieu, auquel saint Tanguy (à qui cette terre appartenoit), se résolut de construire un monastère par la permission de saint Paul.

St Tanguy vouloit édifier au même endroit auquel le chef du saint apostre avoit esté posé lorsqu'on le descendit du navire, tout sur la pointe et dernière extrémité du cap ; mais plusieurs jugèrent ce lieu incommode, pour estre sur le bord de l'Océan, et, par conséquent, exposé aux furies des vents, et sujet aux descentes des corsaires, et estoient d'avis de le bastir plus avant en terre ferme à cinq ou six cents pas au-delà : saint Tanguy se laissa aller à leur opinion, fit charroyer les matériaux en ce lieu et ouvrir les fondements ; mais Dieu montra, par un miracle évident qu'il vouloit que ce monastère fust édifié au lieu que le saint avoit premièrement choisi ; car, quand ils commencèrent à travailler au massonnage, ce qu'ils avoient fait en un jour, ils le trouvoient, le lendemain, miraculeusement transporté au premier lieu : ce qu'estant arrivé plusieurs fois, ils continuèrent l'édifice au dit lieu avec telle diligence qu'en peu de temps l'édifice fut accompli, et saint Paul bénit le cimetière, dédia l'église et ordonna que saint Tanguy le peupleroit de moines de son abbaye de Gherber, et en seroit seigneur en titre d'abbé.

Il accomplit promptement cette obéissance et fit venir huit des religieux de Gerber, ausquels, avant le bout de l'an, il associa grand nombre d'autres qui y prirent l'habit. Une fois entre autres, le saint abbé voulant aller à Occismor, voir son maître et père saint Paul, le rencontra en la paroisse du Drénec, ès rabines d'une maison noble. Après s'estre saluez, ils se retirèrent tous deux seuls dans le bois de cette Noblesse, ayant laissé leurs compagnons quelque peu à quartier ; et après une longue conférence, s'estans mis en oraison, ils furent recréez d'un concert melodieux de voix angéliques, et, en même temps un ange leur apparut, leur donnant avis que, dans peu de jours, ils sortiroient de cette vallée de larmes et iroient jouir de la couronne préparée à leurs mérites. Les saints se réjouirent extrêmement de cette bonne nouvelle ; et, à cause de cette apparition angélique, cette maison noble fut nommée Coat-Elez, c'est-à-dire, bois aux anges, nom qu'elle retient encore à présent, et est distante de la ville de Lesneven de deux lieues.

Saint Paul ayant pris congé de son cher Disciple, se retira à Occismor, et saint Tanguy en son monastère de Gerber, où il fut receu par ses Religieux avec un extrême contentement ; mais leur joye ne fut gueres longue, car il leur donna avis de la révélation qu'il avait eue et leur nomma le jour qu'il décéderoit.

Dès le lendemain, il tomba malade, receut ses sacrements, mit ordre aux affaires de son monastère, et ayant donné sa bénédiction à ses religieux, rendit son âme ès mains de son Créateur, le 12 mars l'an 594, le mesme jour que mourut saint Paul en son monastère de Bâaz. Son corps fut lavé et revestu de ses ornements abbatiaux, et porté à l'église, en attendant l'appareil de son convoy ; lequel appresté, il fut reveremment porté de son dit monastère de Gerber à celuy de Loc-Mazhé, ou il fut ensevely dans le cimetière que saint Paul avait bény, où Dieu a fait plusieurs miracles par son intercession. On admira en ce convoy, qu'encore bien qu'il fist un vent du nord fort violent, toutesfois, jamais aucune des torches, ou luminaires qu'on portoit, ne s'esteignit, le long du chemin, qui estoit d'environ quinze lieues, ny aucun de la compagnie ne se sentit incommodé. Ce saint a esté fort revéré en Bretagne, et le pèlerinage de son abbaye de Saint-Matthieu est l'un des plus célèbres de la province, etc., etc. ».

Comparés l'un à l'autre, les récits de Paulinien et de Le Baud nous apprennent : le premier, — et tout ce qui a été dit ci-dessus, ne permet, croyons-nous, de conserver aucun doute à cet égard, — que la translation du corps de saint Matthieu en Bretagne n'eut lieu que de 857 à 875, sous le règne de Salomon, tué le 25 juin de cette dernière année, dans l'église de Ploudery, ce qui fit donner le nom de Merzer Salaun ou martyre de Salomon (aujourd'hui La Martyre), au lieu où il avait été assassiné ; — le second, — que cette translation, limitée au chef de l'apôtre, eut lieu du vivant de saint Tanguy, au VIème siècle, d'où une différence de trois cents ans dont Albert Le Grand ne s'embarrasse en aucune façon. Quant à la date de 875, il ne la rejette pas ; elle aurait été, selon lui, non celle de l'apport des reliques, mais de leur enlèvement par une armée que le patrice Flavus, de concert avec Valentinien, envoya en Bretagne pour venger la mort de Salomon, son gendre. Appliquant à cette fabuleuse expédition le récit de Le Baud, il s'exprime ainsi (Vie de St Salomon) : « Il (Flavus) fit armer ès havres de la Pouille et Calabres plusieurs galères et grands vaisseaux, sur lesquels il mit une bonne armée, qu'il envoya en Bretagne pour venger ce crime. L'armée romaine y arriva, par un bon temps, au commencement du printemps de l'an 875, et se ruant sur les terres de Pastheneten (Note : Pasketen ou Pasqueten, on trouve aussi Paskweten, etc., gendre de Salomon, que lui et Gurvand avaient assassiné), ils pillèrent toute sa comté de Léon, prirent Lesneven, Le Conquet, Saint-Mahé, Saint-Paul, Roscow, et la riche ville de Tollente, située sur la rivière de Wrakh, laquelle ils brûlèrent et razèrent, ayans enlevé le corps de saint Matthieu, — Albert Le Grand ne s'inquiète nullement de se contredire lui-même, — qu'ils portèrent dans leurs galères qui les attendoient à Roscow ; puis allèrent à Brest qu'ils assiégèrent par terre et par mer ; mais ayant eu avis que le Pastheneten les venoit combattre avec une forte armée, ils levèrent le siège et s'en retournèrent en Italie, chargés de pillage et de prisonniers ».

Ainsi la disparition des reliques de saint Matthieu s'expliquerait, d'après Albert Le Grand, par l'invasion d'une armée romaine dans la péninsule armoricaine, au IXème siècle, et pour faire concorder sa vie de saint Tanguy avec celle de Salomon, il se tire d'affaire en transformant les Normands en Romains. Ce sont, en effet, les Normands qui, dans une de leurs incursions en Bretagne, avaient enlevé le corps de saint Matthieu, ou en avaient été mis en possession. Dans le XIème siècle, on voyait les reliques de l'apôtre dans la cathédrale de Salerne où les Normands les avaient apportées. Ce fait, attesté par une lettre que le pape Grégoire VII écrivait, en 1080, à l'évêque de cette ville, est confirmé par Baronius, Muratori et plusieurs autres écrivains, notamment par Gabriel Du Moulin et Bruzen de La Martinière. Voici comment s'exprime le premier, p. 94 de ses Conquestes et trophées des Normands-François aux royaumes de Naples et de Sicile, etc., Rouen, 1658, in-f° : « Salerne estant venue en la possession des Normands après un siège de sept mois (1075), le duc Robert Guiscard, pour retenir les habitants dans le devoir, répare les brèches de la citadelle, et fait bastir un chasteau sur la mer avec un temple superbe qu'il fit dédier sous le nom de l'apostre saint Matthieu par la déposition solennelle des reliques de ce bienheureux apostre, retenant pour soy et ses enfants un des os de son bras ». Bruzen de La Marlinière, t. V, de son Grand Dictionnaire géographique, publié en 1768, dit de son côté, V° Salerne : « L'église cathédrale est sous l'invocation de saint Matthieu, dont on y conserve le corps dans une chasse très-riche, au-dessous de son grand autel ».

Quand l'abbaye avait-elle été dépossédée de ces reliques ? Etait-ce lors de l'incursion des Normands en Bretagne, en 919, incursion signalée par de tels ravages qu'au dire des chroniqueurs du temps (Chronique de Bretagne, dans D. Morice, Pr. t. 1er, col. 4 ; — Chronique de Frodoart, anno  919 ; — D. Bouquet, Histoire de France, t. VIII, p. 176 C.), il ne resta pas un seul breton en Cornouaille, et que les indigènes, emportant avec eux les reliques des saints pour les soustraire aux profanations, abandonnèrent le pays aux envahisseurs, qui purent y établir leur domination sans résistance ? Etait-ce plutôt lors des incursions de 944 ou de 952 (cette dernière est, à deux ans près, celle qui est indiquée dans la Chronique de saint Maixent, précédemment citée, p. 320), ou le précieux dépôt aurait-il été l'objet d'une cession volontaire — peu probable toutefois — des Bretons aux Normands convertis, et devenus leurs alliés et leurs amis, à telle enseigne qu'à son départ pour la Terre-Sainte, Robert, dit le Diable, chargea le duc de Bretagne (1034), du gouvernement de ses Etats, et que bon nombre de Bretons suivirent Guillaume Le Bâtard à la conquête de l'Angleterre ? Ce sont là des questions qu'il n'est pas possible de résoudre en l'absence de documents permettant de les élucider. Quant au recouvrement du chef de saint Matthieu, il ne serait pas téméraire, croyons-nous, de conjecturer qu'on le dut à quelqu'un des Bretons qui avait participé à la quatrième croisade terminée en 1204, et qui était animé du désir de restituer à son pays ce précieux dépôt, objet d'une grande vénération en Bretagne. La date de ce recouvrement est en effet très-rapprochée de celle de la réintégration du chef du saint apôtre, accomplie en 1206, comme le démontre l'acte de donation souscrit par Hervé Ier, vicomte de Léon, et ses trois frères, Alain, Salomon et Guyomarch (D. Morice, P., t. I, col. 807), où nous lisons : « Ego, H. de Leonia, qui primus dominorum Leonensium tunc temporis receptioni ac venerationi sacrosancti capitis beati Matthæi, apostoli et evangelistæ, interfui, etc., etc. ».

De tout ce qui précède, il résulte que saint Tanguy, dont l'existence au VIème siècle n'est pas contestable, n'a pu être contemporain de la translation, non moins incontestable, en Bretagne au IXème siècle, du corps de saint Matthieu. Nous ne voulons pas dire par là que saint Tanguy n'ait pas été institué par saint Paul supérieur de quelques solitaires qui ont formé le noyau de la future abbaye. Mais, comme le fait remarquer avec beaucoup de raison notre savant ami, M. Miorcec de Kerdanet, « il ne faut pas croire que les monastères fussent dans ce temps ce qu'ils ont été depuis. Ils se composaient de quelques cabanes, au milieu desquelles se trouvait un oratoire où l'on célébrait les offices. Ces cabanes, qu'on appelait cellules, étaient construites de matériaux grossiers, pris sur les lieux. On y avait un enclos, dans lequel on semait de l'orge, du seigle, des légumes ; on y faisait paître aussi quelques vaches, dont le lait servait à la nourriture des moines, qui vivaient comme les plus pauvres de nos paysans ; ils étaient vêtus de peaux de chèvres ou de moutons (Annotations de la vie de saint Tanguy) » (Note : « Ma croyance, dit Dom Mars, est qu'ils (les religieux) vescurent en ce monastère comme ils faisoient par toute la Bretagne jusqu'en 818 qu'ils prirent tous la règle de notre bienheureux père saint Benoist »). Tels ont dû être nécessairement les humbles débuts de l'abbaye de saint Matthieu dont l'importance se sera graduellement accrue et aura déterminé, au IXème siècle, la construction d'une église digne du précieux dépôt qui lui fut confié. Et dans l'impossibilité de préciser un nom de fondateur et une date de fondation, il est peut-être bon d'imiter la prudente réserve de l'historiographe officiel de l'abbaye, Dom Simon Le Tort, qui se borne à dire : « On ne peut, à proprement parler, assigner à ce monastère d'autre fondateur que Celui qui a affermi la terre sur les eaux ».

Dom Le Tort, bénédictin, avait été envoyé en 1681, à Saint-Matthieu, par ses supérieurs, avec mission d'extraire du chartrier de l'abbaye son histoire particulière destinée à être insérée dans l'histoire générale des maisons de l'ordre. Nous reparlerons tout-à-l'heure de son travail.

Ou le judicieux Dom Lobineau ne connaissait pas le travail de son confrère, ou il ne le jugeait pas digne de créance, car il n'en fait aucune mention dans l'article qu'il a lui-même consacré à saint Tanguy dans ses Vies des Saints de Bretagne. Mais si, volontairement ou non, il a ménagé Dom Le Tort, il n'en a pas été de même d'Albert Le Grand. En effet, il dit crûment que ce dernier « a fabriqué sans doute les actes de sa légende pour flatter les seigneurs du Châtel, dont il y a plusieurs qui ont porté le nom de Tanguy, et qu'ils sont un tissu de fables si dénuées de toute apparence, qu'on doit les mettre au rang des plus misérables romans ». Puis, comme le savant hagiographe est convaincu que la majestueuse vérité de la religion a plus à perdre qu'à gagner, quand un zèle mal avisé l'affuble d'aussi ridicules oripeaux que ceux dont Albert Le Grand a surchargé ses deux personnages, il ajoute : « Aux fables près, il serait à souhaiter que le reste de l'histoire fût bien assuré. Nous aurions dans sainte Haude un modèle admirable des vertus chrétiennes, surtout une patience à l'épreuve des emplois les plus vils, des travaux les plus pénibles, de la persécution la plus constante, etc., etc. ».

Revenons à Dom Le Tort. Son histoire, écrite en latin sous le titre de : Compendium historiæ abbatiæ sancti Matthæi in finibus terrarum, se composait de quatre feuilles de velin, maintenant réduites à trois (Note : M. Filleux, inspecteur de la marine, nous ayant dit un jour, il y a plusieurs années environ, qu'il venait de vendre à M. Hébert, relieur à Brest, des feuilles de parchemin dont quelques-unes contenaient une histoire et une vue de l'abbaye de Saint-Matthieu, nous nous empressâmes de courir chez l'acquéreur qui, malheureusement, avait déjà mis en pâte une feuille de l'histoire, et qui nous abandonna généreusement ce qui lui restait de son acquisition), dont chacune comprend, en moyenne, trente lignes à la page d'une belle écriture majuscule. Elle se divise en onze paragraphes dont voici les titres : 1° Commencements de l'abbaye (11 lignes) ; ce titre est inexact ; car ce paragraphe n'est qu'une introduction au suivant, et ne parle, comme lui, que du nom et de la situation de l'abbaye ; — 2° Nom et situation du monastère (46 lignes) ; — 3° Fondation du monastère (les trois lignes que nous avons rapportées plus haut) ; — 4° Epoque et motif de la fondation (50 lignes) ; — 5° Règle (20 lignes) ; — 6° Eglise et sa dédicace (10 lignes) ; — 7° Principales reliques (54 lignes) ; — 8° Droits et prérogatives spirituels et temporels (47 lignes) ; — 9° Ici se plaçait la feuille détruite, c'est-à-dire, la troisième où se trouvaient le récit des évènements remarquables et le catalogue des abbés réguliers, catalogue qui devait être fort incomplet, comme autorisent à le penser les vingt-six lignes qui le terminent, et par lesquelles commence la 4ème feuille. Nous réunirons ces abbés et les abbés commendataires dans ce paragraphe 9, sous ce titre commun : Catalogue des abbés ; — 10° Bienfaiteurs (15 lignes) ; — 11° Sépultures remarquables (27 lignes) ; — Nous y ajouterons un douzième paragraphe intitulé : Evènements historiques. Au Compendium était annexé un dessin à la plume présentant une vue de l'église et de l'abbaye, très-défectueuse sous le rapport de la perspective, mais donnant une idée approximative de l'ensemble des lieux. Nous joindrons aussi à notre travail un fac-similé de ce dessin, contemporain du Compendium et dû à Yves L'Hostis.

Lorsque nous devînmes possesseur du travail de Dom Le Tort, notre première pensée fut de nous borner à le reproduire et de nous contenter d'y joindre les annotations que nous auraient suggérées nos propres recherches ; mais, à mesure que ces recherches se sont poursuivies, nous avons senti notre résolution fléchir, et nous avons fini par renoncer à notre projet primitif, non-seulement parce que Dom Le Tort est le copiste trop servile d'Albert Le Grand dans les parties essentielles de son travail, mais encore parce que, dans les autres, il est tellement bref et incomplet, qu'en suivant notre premier plan, nous eussions fait de l'accessoire le principal, et couru le risque d'être confus. Sans doute Dom Le Tort n'a pu faire usage des documents que ses deux confrères Dom Lobineau et Dom Morice ont publiés plus tard comme Preuves de l'histoire de Bretagne, et, sous ce rapport, il serait injuste de lui adresser des reproches. Mais on a lieu d'être surpris des autres lacunes que présente le Compendium, puisque, maintenant encore, malgré les causes diverses qui ont concouru à la dispersion ou à la destruction des titres de l'abbaye, on a les moyens, avec un peu de patience, de les combler, sinon en totalité, au moins sur beaucoup de points. Infidèle aux traditions de son ordre, Dom Le Tort, nous le disons avec regret, n'a dore fait preuve dans son travail ni de cette ténacité d'investigation ni de cette sagacité qui ont assuré un caractère de durée impérissable aux oeuvres des Mabillon, des Montfaucon, des Bouquet, des Clément, des Le Gallois, des Lobineau, des Rivet, des Sainte-Marthe, des Vaissette, des Tassin et de tant d'autres membres de cette illustre congrégation des Bénédictins, qui se sont acquis des droits immortels à la reconnaissance du monde savant en défrichant le vaste champ de la science historique, aride, et à bien dire inculte jusqu'à eux. Ce n'est pas que nous rejetions dans son entier le travail de Dom Le Tort. Loin de là. Adoptant pour notre sujet la même division que lui, nous ferons au Compendium de très-larges emprunts, que nous placerons entre guillemets afin de restituer à son auteur ce qui lui appartient, et nous les compléterons au moyen de divers documents qui se trouvent avec le Compendium lui-même dans le Monasticon Benedictum XXVI (Bibl. nat. Les Blancs-Manteaux), et dont nous devons la communication à notre savant ami M. A. de Blois, qui en a fait une analyse d'après une copie prise sur les originaux par M. A. de la Borderie. Ce sont : 1° Le Compendium de Dom Le Tort ; 2° une histoire française de l'abbaye ; ce n'est pas une traduction du Compendium, mais une paraphrase dont l'auteur a suivi le même plan que l'historiographe officiel de l'abbaye ; 3° Brièves remarques sur le monastère de St Mahé ou St Mathieu, faites en l'an 1646, par Dom Noël Mars, premier vicaire général de la société des Bénédictins réformés de Bretagne ; 4° Lettre de Dom Louis Lepelletier à Dom Mabillon, sur le reliquaire de Ste Hélène, à St Mahé, du 2 avril 1696 ; 5° Inventaire des reliques de St Mahé, de 1634, envoyé au Révérend Père Supérieur général. La fusion de ces documents, la reproduction de l'aveu du 6 octobre 1686, dont il sera parlé plus loin, et les notes que nous avons puisées à diverses sources, nous permettront de présenter une histoire aussi complète que possible de l'ancienne abbaye léonaise.

 

§ I. — Origine du Monastère.

Devant écrire une histoire succincte de l'illustre et très ancienne abbaye de Saint-Matthieu, je ne me servirai d'aucun préambule qui convienne mieux à mon sujet que ces vers tirés de l'histoire d'Enoch et Elie, dans la Chronique de Godefroy de Viterbe (Panthéon, 2° partie) : Aux confins de l'Océan, il y a un lieu, le dernier du monde ; il n'est jamais troublé par les maladies ; le climat y est tempéré, le repos perpétuel ; de saints moines Galiléens, enseignant aux Bretons les dogmes de la religion chrétienne, ont élevé, dans cette contrée, une église à St Matthieu (Note : Finibus Oceani maris est locus ultimus orbis - Quo penitus nullis agitantur ternpora morbis ; - Est ibi temperies, perpetuata quies. - Ecclesiam sub ea regione Matthæi - Sanctifici tenuere uiri Monachi Galilæ - Dantes Britanniæ dogmata sancta Dei).

 

§ II. — Nom et situation du Monastère.

« Les vers qui précédent contiennent en germe les premiers et les principaux chapitres du sujet que nous nous proposons de traiter. C'est d'abord le nom très célèbre donné à cette illustre abbaye qui, depuis son origine jusqu'à nos jours, a été appelée l'abbaye de St-Matthieu de Fine-terre. Et c'est avec raison, car au delà il n'y a plus rien, puisqu'elle est située sur le cap de Pen-ar-Bed (bout du monde), vulgairement Saint-Matthieu, du diocèse de Léon, à l'extrémité non-seulement de la Basse-Bretagne, mais encore du royaume de France. De même qu'on ne saurait imaginer rien de plus admirable que les mouvements de la mer, et de plus agréable que ce site, de même aussi rien de plus admirable que Dieu dominant de sa hauteur l'Océan, et, s'élevant au loin sur lui, en longueur et en largeur, ce qui fait que là est l'extrémité ou la tête de la péninsule, voisine du port du Conquet, situé à une demi-heure au nord, et auquel elle se relie par une continuité de petites métairies. Au midi, mais à quatre lieues environ, se trouve ce célèbre et fameux port de Brest, principal arsenal de la marine française. Le sol y est fertile et abondant, et comme la mer l'entoure de tous côté, le climat y est si doux et si salubre que ni l'été ni l'hiver n'y sont jamais extrêmes, mais tempérés, et agités seulement par quelques tempêtes que souffle celui qui tire les vents de ses trésors. C'est bien justement que les vents de cette côte sont nommés trésors, car ils font aborder sur nos rivages les richesses de l'univers, surtout quand ils soufflent de l'Est (ab oriente), ce qui fait que les habitants lui donnent le nom de vent d'argent. C'est une chose étonnante, en effet, de voir la multitude de navires qui viennent jeter l'ancre au pied de ce monastère, non-seulement de toutes les provinces et royaumes de l'Univers, mais de toutes les mers, et qui ne peuvent continuer leur route, à moins que le vent ne change. Ce qui fait que ceux qui descendent le matin dans ces navires, et qui ont vu par eux-mêmes les plus grandes oeuvres de Dieu, attestent qu'aucune côte n'est plus fréquentée, ni plus agréable que celle-ci, route nécessaire vers toutes les mers ou côtes, et plus rapprochée que toute autre du grand Océan, des Espagnes et de la Grande-Bretagne. A l'ouest, mais à dix lieues de distance, se voit le gouffre ou le fameux Charybde que les marins nomment le Ras. Au nord, à une lieue seulement, est le commencement ou l'entrée de la mer de Bretagne, vulgairement la Manche, qui coule entre la grande et la petite Bretagne. Aussi la beauté de ce site a-t-elle fait connaître et rendu ce monastère très célèbre à l'étranger, comme en France, et il ne faut pas omettre de dire ici qu'à cause des agréments de cette situation, il y eut autrefois en cet endroit une grande ville, dont l'existence est constatée par les ruines qu'on en voit encore, et, qui, comme nous l'apprend l'histoire, a été détruite par le feu et le glaive des féroces Anglais ».

L'auteur des Brièves remarques donne, de son côté, la description suivante du monastère : « Il y avoit autresfois sur le cap une forte ville qui n'est plus qu'un gros bourg. Le monastère estoit basti comme un chasteau, comme il paroist encore des restes des murailles, lesquelles sont hautes et faites comme celles d'une ville, et furent faictes un peu après l'an 1419, comme il conste d'un acte expédié le 1er juillet de la mesme année ….. Le cloistre est petit et passable ; au bout duquel à l'occident il y avoit un dortoir où il paroist dix fenestres. Le réfectoire estoit tout proche, comme l'on voit par ses murailles et celles de la cuisine proche les murailles de laquelle il y a une très belle et très bonne fontaine. Le monastère est si proche de la mer qu'il s'est faict une concavité dessous l'église où la mer va la longueur de 40 ou 50 pieds sans danger toutes fois à raison que c'est un rocher et que ceste ouverture n'est large. Tout autour du monastère c'est un des pays des meilleurs de la Basse-Bretagne pour les bleds ; mais l'on n'y voit ni hayes ni buissons. Le monastère est tout entouré de mer, excepté d'un côté, etc., etc. ».

 

§ III. — Fondateur du Monastère.

Nous avons vu, précédemment, qui, d'après Dom Le Tort, serait ce fondateur.

 

§ IV. — Epoque et motif de sa fondation.

Ce que nous avons dit précédemment des origines de l'abbaye nous dispense naturellement de reproduire ici cette partie du travail de Dom Le Tort qui, du reste, n'est qu'une copie, à bien dire littérale, du récit d'Albert Le Grand, d'où il a eu toutefois le bon sens d'élaguer ce qu'il y avait de par trop miraculeux dans les miracles dont ce dernier a enjolivé la légende de saint Tanguy.

 

§ V. — Règle.

« Le monastère ayant été promptement terminé, saint Tanguy fit venir huit moines de son monastère de Gerber d'après l'ordre de son maître et évêque le bienheureux Paul, et tous, avec les compagnons et les frères qui a se joignirent à eux, vécurent ensemble très-saintement sous la règle vivifiante de saint Tanguy et selon l'antique usage. Leurs successeurs, également obéissants aux abbés qui lui succédèrent, n'ayant d'autre volonté que celle de leur abbé, suivirent la règle approuvée jusqu'à ce que le diplôme royal de Charlemagne ou de son fils Louis-le-Pieux, eût ordonné, vers 808, que la règle du patriarche saint Benoît serait observée dans tous les monastères de la Bretagne, ce qui a eu lieu depuis cette époque jusqu'à nos jours. Quant au nom de Galiléens donné aux moines de Saint-Matthieu dans les vers rapportés plus haut, je crois que c'est une expression poétique, par respect pour le saint Apôtre, qui était en effet Galiléen, comme si, par conséquent, lui appartenant, et suivant la discipline plus sévère des Apôtres, ainsi que les traces de Jésus-Christ, ils ont de là été appelés hommes Galiléens ».

 

§ VI. — L'Eglise et sa Dédicace.

« Cette église du très-saint apôtre Matthieu, est comptée parmi les belles églises de Bretagne. Elle est en effet grande et fort remarquable, ayant 170 pieds de longueur, 60 du sol à la voûte et 30 de largeur. Elle fut solennellement consacrée par le même saint Paul, premier évêque de Léon, sous le vocable, comme il a été dit, du saint apôtre et évangéliste Matthieu, dont la fête se célèbre le 6 mars de chaque année ».

La description de l'église, contenue dans l'histoire française, plus complète que la précédente, en diffère sur quelques points : « L'église de Saint-Matthieu comme elle se voit à présent, y est-il dit, est très-belle et grande. Elle fut dédiée par saint Paul, environ l'an 590. Sa longueur est de 140 pieds ; sa largeur entre les piliers 20 pieds ; les aisles 12 pieds ; les chapelles vers le sud 15 pieds de largeur. La nef n'est que lambrissée ; mais la croisée (ici une lacune) et au-dessus est une belle voûte haute de 60 pieds, comme aussi les aisles et les chapelles. La chapelle de Notre-Dame de Lorette derrière le grand autel a de longueur 30 pieds ». « Le tout, dit à son tour Dom Mars, fut reblanchi, l'an 1644. Les chaires du choeur furent faictes l'an 1592, comme il paroit par cette inscription qui est en haut d'icelles : Fr. Jehan Treuet fict faire cestes six chaires céans l'an 1592 ».

Il eût été désirable qu'à l'indication des dimensions intérieures de l'église, les divers auteurs que nous venons de citer eussent ajouté quelques détails sur son caractère architectural dont on ne peut se faire aucune idée par la vue jointe au Compendium. Nous suppléerons à leur silence par la description que M. Pol de Courcy a donné de cette église dans son intéressant Itinéraire de Saint-Pol à Brest (Extrait de la Revue de Bretagne et Vendée), Nantes, Vincent Forest, 1859, in-8° de 78 pages.

« De l'église paroissiale, dit-il, il ne reste qu'un beau portail du XIVème siècle et le transept nord ; mais l'église abbatiale, à l'ouest de la précédente, présente encore des ruines imposantes, et beaucoup de ses parties doivent avoir été élevées du temps des principaux bienfaiteurs de l'abbaye, Hervé, comte de Léon, mort en 1169, et autre Hervé, petit-fils du précédent, mort en 1208, c'est-à-dire, de 1157 à 1208.

Le gable occidental a une porte en plein-cintre, garnie d'une archivolte à crochets à l'extérieur et dont l'intrados est trilobé. Au-dessus s'ouvre une grande fenêtre aussi en plein-cintre, accostée de deux petites en entonnoir. La nef se compose de six arcades ; les deux premières en plein-cintre brisé et en pierres de tuffeau, les suivantes en lancettes, en pierres de granit. La première arcade est supportée d'un côté par un pilastre avec chapiteau en chanfrein, de l'autre par une colonne cylindrique à chapiteau formé de feuilles d'eau. Les autres colonnes avec leurs corbeilles en feuilles de trèfle sont également cylindriques, à l'exception de deux plus modernes dont le fût est octogone. Le collatéral nord, joignant les cloîtres, est percé de fenêtres en entonnoir ; le collatéral sud, élargi au XIVème siècle, a un second rang d'arcades en tiers-point et des pignons percés de fenêtres (Note : A l'intérieur d'une de ces fenêtres, du côté droit, se voit une plaque portant la date de 1610, laquelle, d'après la tradition, serait celle de l'érection, sous cette fenêtre, d'un autel, en action de grâces de son salut, par un capitaine de navire échappé à un naufrage), à tympans rayonnants dont les meneaux inférieurs sont, à l'imitation du style perpendiculaire anglais, coupés par un meneau horizontal. Les transepts, beaucoup plus élevés que la nef, sont décorés d'un triforium en ogive trilobé, ainsi que le choeur qui a de chaque côté deux arcades reposant sur un groupe de huit colonnettes et se termine par un chevet droit percé d'une fenêtre flanquée extérieurement de deux arcs-boutants. Derrière les déambulatoires existait la chapelle de la Vierge et à l'extrémité du transept nord le clocher aujourd'hui ruiné. La voûte du choeur et du pourtour, quoique privée de toiture, subsiste encore avec ses nervures croisées. La nouvelle édition d'Ogée signale à la clef de voûte un écusson aux armes de Menou. Ce serait alors une voûte bien moderne, car Saint-Mathieu n'a pas eu d'abbé de ce nom avant 1658. Nous n'avons pas remarqué cet écusson ; mais parmi les ruines de l'église, nous avons à noter un autel en Kersanton, dont l'arcature simulée en talon annonce le XVème siècle et qui porte ces inscriptions gothiques :

Vous qui par ici passez, Priez pour les trépassez. Miserere mei Deus.

Une pierre d'enfeu aux armes des du Chastel, timbrées d'un heaume ayant trois tours pour cimier, se remarque encore dans les débris, et les clefs de voûte de deux enfeux dans le collatéral nord, portent des écussons sur l'un desquels est une face surmontée et soutenue d'un lézard, et sur l'autre mi-parti un aigle et deux épées en barre. Nous n'avons pu réussir à retrouver l'attribution de ces deux blasons ; mais nous avons été plus heureux pour un autre écu surmonté d'une crosse en pal et chargé d'une bande accompagnée de deux lions. Cet écu appartenait à Claude Dodieu, évêque de Rennes et abbé de Saint-Matthieu, etc. ».

 

§ VII. — Principales reliques.

S'il est vrai, comme le fait judicieusement observer Dom Le Tort, que les reliques des saints conservées dans une église en forment le trésor, on peut dire que celle de St-Matthieu était très riche, car elle en possédait de nombreuses et de très-précieuses, comme le prouve la nomenclature suivante dressée au moyen des divers documents existants dans le fond des Blancs-Manteaux.

1° Une grande croix d'argent doré, à l'antique façon, ouvragée fort artistement et ornée de quelques cristaux et autres pierreries. Cette croix, d'environ deux pieds de longueur, et dont le pied était d'argent simple, était couverte d'un ancien filagramme. Elle était d'après la tradition l'oeuvre de saint Eloi lui-même. Au milieu de la croix, sous un émail, il y avait un morceau d'un pouce carré de la vraie croix de N.-S. ;

2° Dans une autre croix, d'argent doré, mais plus petite que la précédente, une autre parcelle de la croix de N.-S. ;

3° Un grand vase d'argent vermeil où est une notable portion du cheff (l'occiput) de saint Matthieu. — Au bas était une inscription formulant l'anathème contre quiconque aurait dérobé, mis en gage, vendu ou fait vendre ce reliquaire ;

4° Un grand bras couvert d'argent à l'antique façon, ouvragé par-dessus avec pierreries, qui contient une portion (une phalange) d'un doigt de saint Matthieu ;

5° Un globe en forme de boulle, d'argent vermeil, d'un demy pied, dans lequel il y a du chef (sic) de saint Estienne, avec cette inscription : De capite St Stephani protho-martyris ;

6° Autre vase d'argent en façon d'église, aussi en vermeil doré, où est pendue une petite grille en mesme étoffe où est une partie du cheff de saint Laurens ;

7° Une image de sainte Claire, couverte d'argent, dont les deux mains sont détachées des bras qui ont esté (mises) dans un calice ; au col de laquelle est pendue, par une petite chaisne d'argent, une coste de la dite sainte. — Cette statuette était l'ouvrage d'un abbé de Saint-Matthieu ;

8° Item une autre image, de même grandeur et grosseur que la précédente, couverte d'argent, de la Magdelaine, portant entre ses mains une petite bouëte où il y a une portion de ses reliques, estant une de ses mains destachée qui a esté mise pareillement dans un calice. — Cette statuette au bas de laquelle on lisait : S. Magd. avait été faite par le même abbé que la précédente (Note : Deux autres religieux, les frères Rupert et Jean Thibaut s'étaient occupés avec sollicitude des moyens d'assurer la célébration du service divin, le premier en renouvelant les ornements tels que les chasubles, chapes, dalmatiques, etc., et en faisant faire un ciboire d'argent au moyen d'une vieille coupe qui était dans le trésor ; le F. Thibaut — nous le retrouverons parmi les bienfaiteurs de l'abbaye — en faisant faire un calice sur lequel on lisait : Fr. Jean Thibault, chantre de Sainct-Matthieu a faict faire ce calice en 1522. — Nous trouvons ces détails sur l'inventaire de 1634 qui énumère tous les objets d'argenterie, de lingerie et autres servant à l'exercice du culte. Ce document prouve que les désastres de 1558 avaient été amplement réparés) ;

9° Une planchette en bois, couverte d'argent doré, avecq figures où est attaché un ossement de sainte Hélaine ;

10° Une statuette récente, en argent, de saint Robert, abbé de Citeaux et de Molesnes, ornée d'une phalange d'un de ses doigts ;

11° Une autre statuette de saint André, en argent, d'un travail moderne contenant une portion notable d'un de ses os ;

12° Une caisse de leton, d'antique fabrique, contenant plusieurs relicques de divers saints avecq billets d'iceux, et d'autres relicques d'un très-grand prix, savoir : des fragments du tombeau de N.-S. J.-C. et des reliques des saints apostres Pierre, Paul et Philippe ; de saint Jean-Baptiste, de saint Corentin, évêque de Cornouaille ; de saint Maudet, aussi évêque ; de saint Yves, avocat bas-breton ; de saint Pierre, martyr ; de saint Augustin, évêque, et l'un des principaux docteurs de l'Eglise, et de plusieurs autres ;

13° Une grande bague d'argent doré, fort antique, contenant une pierre que l'on ne cognoit pas (c'était une agathe), et qui estoit, croit-on, l'anneau pastoral de saint Matthieu, et que l'on révère comme une sainte relicque, et que l'on donne (à toucher) aux femmes qui sont prêtes (sic) d'accoucher ;

14° Un reliquaire d'argent doré massif, fait en rose, d'un costé duquel il y a un crucifix et de l'autre une Notre-Dame. — C'était une croix pastorale nommée agnus que portaient les abbés réguliers. Elle renfermait des parcelles des relicques dont il a déjà été parlé. Les dames nobles, près d'accoucher, sollicitaient la faveur de la toucher, et pour l'obtenir, elles envoyaient des prêtres connus auxquels seuls elle était confiée sur reçu ;

15° Autre reliquaire, de même forme et de même métal que le précédent, mais d'une plus grande dimension. D'un côté Notre-Seigneur en croix, avec une croix à sa droite une autre à sa gauche. De l'autre côté une Notre-Dame. Il ne contient pas d'authentique, mais une relique tellement oblitérée qu'on ne peut en préciser ni l'origine ni la nature.

Les articles 13, 14 et 15 se trouvent vers 1875 à la sacristie de Plougonvelin.

Ces reliques ont la même destination qu'autrefois, et l'on vient toujours y recourir, même de fort loin. Quant aux autres reliques, nous ignorons ce qu'elles sont devenues.

« Et l'on ne doit pas omettre ici, dit Dom Le Tort, que si les fidèles affluent de toutes parts pour prier dans ce lieu saint, cependant leur principale et continuelle dévotion est pour les saintes reliques, et qui sont un remède journellement éprouvé pour les infirmités tant corporelles que spirituelles, particulièrement pour les femmes enceintes qui viennent continuellement, et de très-loin demander qu'on leur place ces relicques sur la tête afin d'avoir une heureuse délivrance ».

Les pèlerinages à l'église de Saint-Matthieu étaient non moins méritoires que ceux qui se faisaient à la cathédrale de Saint-David de Mennevie, dans le pays de Galles. Elles étaient l'une et l'autre d'un accès difficile en raison de leur situation. Aussi pouvait-on appliquer à l'église du bas-Léon ces vers d'une vieille légende latine où deux pèlerinages à Saint-David sont représentés comme équivalant à un pèlerinage à Rome : Meneviam pete bis, Romam adire si vis : AEqua merces tibi reditur hic et ibi ; Roma semel quantum dat bis Menevia tantum.

 

§ VIII. — Droits et prérogatives spirituels et temporels.

Ces droits et prérogatives sont énumérés dans un aveu que le prieur et les religieux, agissant tant pour eux que pour messire Louis de Menou, abbé commendataire, rendirent le 6 octobre 1686, devant messire René de Lohéac, commissaire préposé à la réformation du domaine (Archives de France. — Domaine de Brest et Lesneven, vol. Ier, p. 1157). Nous ne pouvons donc mieux faire que d'insérer textuellement ici, en plaçant entre guillemets, les articles dont il se compose, et en faisant suivre des détails et explications qui s'y rapportent, ceux d'entre eux à l'égard desquels nous en avons recueilli passim, dans les titres encore subsistants de l'abbaye, notamment dans un cahier portant le titre d'Inductions. Ce cahier, que l'abbé et les religieux présentèrent à l'appui de l'aveu de 1686, et qu'ils représentèrent en 1690, en réponse aux prétentions de Bougis, fermier du domaine, contient l'analyse des actes, lettres ducales ou royales, bulles, sentences, aveux, minus, contrats, partages, etc., qu'avait possédés l'abbaye, analyse destinée à tenir lieu des titres originaux perdus par la faute de l'un des abbés, ou détruits dans les diverses attaques qu'elle avait subies, principalement en 1558.

Aveu du 16 Octobre 1686.

1. — « En la paroisse de Saint-Matthieu, la dite abbaye, chasteau et monastère du dit Saint-Matthieu, située sur une pointe de rocher advançant dans la grande mer Océanne, à l'extrémité du bas-Léon, consistant en leurs église, maison, jardin, colombier, fontaines, viviers, écuries, issues et franchises, servitudes dépendances et appartenances dont le circuit contient soixante-dix chaisnées ou cordées ».

2. — « La dite abbaye avoir esté autrefois le siège des Evesques de Léon ».

3. — « Leurs abbés estre en possession, à cause de leur dite abbaye, d'user de crosse, mitres et autres marques de la dignité épiscopale ».

A l'appui de leurs prétentions aux droits épiscopaux, l'abbé et les religieux invoquaient une charte authentique et juridique, qu'ils ne purent représenter, et d'après laquelle l'église de Saint-Matthieu aurait été la première du diocèse après la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon. Ils ajoutaient que les Souverains Pontifes leur avaient conféré le droit d'accorder des indulgences, de consacrer et de bénir. Ces droits auraient été attribués nominativement à l'abbé Gurhedius, et une bulle de Léon X, datée de Rome en 1521, les aurait confirmés, en permettant aux abbés de porter la mitre et la crosse, de bénir les églises et les chapelles polluées, les calices et autres objets à l'usage du service divin, de bénir aussi les peuples, etc. Mais, d'après Dom Le Tort, les abbés ne jouissaient plus de ces droits depuis qu'ils avaient cessé d'être réguliers.

4. — « Estre en droit et possession des prieurés et vicariats suivants, avec droit de visite en iceux, comme membres dépendants de la dite abbaye :

-  Prieuré de St Renan de Molène ;

-  Prieuré de Lambol-Plouarzel  (ou Lampaul-Plouarzel) ;

-  Prieuré de Beuzit Cognonan (ou Conogan) ou de la Boëssière ;

-  Prieuré de la Sainte-Croix de Lochrist-Lesneven ;

-  Prieuré de St Matthieu de Bréneventez (Breventec, trêve de Plabennec) ;

-  Prieuré de St Matthieu de Morlaix ;

-  Prieuré de St Renan (ville) ;

-  Prieuré des Septs-Saints de Brest ;

-  Prieuré de Lanthunon (ou Lothunou), trêve de Lannilis ;

-  Prieuré-cure de Goëlo-Forêt ou Forêt-Goëlo (aujourd'hui La Forêt, près de Landerneau).

Vicariat de la B. V. Marie de St Matthieu (c'était l'église paroissiale), dédiée à N.-D, de Grâce.

-  de Lambol-Plouarzel (ou Lampaul-Plouarzel) ;

-  de Beuzit-Cognonan (ou Beuzit-Conogan), etc. ;

-  de St Renan de Molène ;

-  de St Renan (ville) ;

-  des Septs-Saints de Brest ».

(Note : A la différence du Compendium, qui attribue à l'abbé la présentation aux six vicariats ci-dessus, l'Histoire française dit que l'évêque de Léon s'était attribué, pleno jure, la collation de ceux de Brest et de Saint-Renan, et qu'il faisait tous ses efforts pour s'emparer de des vicariats de Molène et de Beuzic-Conogan).

5. — Item, droit de haute, basse et moyenne justice dans toute l'étendue de leurs fiefs et seigneuries avec pouvoir d'établir les juges et autres officiers.

La haute justice, en vertu de l'axiome qui peut le plus, peut le moins, comprenait les deux autres qui lui étaient subordonnées, et la moyenne comprenait la basse ; il en résultait que les juges, ou, pour mieux dire, le juge nommé par les abbés, statuait sur toute espèce d'affaire, même sur celles qui entraînaient la peine capitale. En un mot, il prononçait sur tout ce qui est aujourd'hui du ressort des cours d'assises et des tribunaux civils, correctionnels et de simple police. La justice s'exerçait à Saint-Matthieu, le mercredi de chaque semaine par un sénéchal, ou son lieutenant, un procureur fiscal, un greffier, des notaires publics, des huissiers et des recors. L'office de sénéchal, seul juge de Mahé, fut baillé le 7 septembre 1675, à Gabriel Millon, sieur de Kerjean, pour 350 livres ; ceux de procureur fiscal et de greffier furent affermés à deux autres personnes, le premier pour 15 liv., le second pour 60 liv. Quant à l'exécution des jugements criminels dans la juridiction de l'abbaye, une information faite, le 19 octobre 1395, par la cour de Saint-Renan, nous apprend que le voyer de cette ville était obligé de venir y procéder.

6. — « Droit de police civile et criminelle exercé par les dits juge et officiers dans toute l'étendue de leurs dits fiefs et seigneuries ».

7. — « Droits de prisons, fourches patibulaires et autres droits de haute justice ».

Les fourches patibulaires étaient des poteaux en pierre ou en bois, sur lesquels on posait une traverse de bois. On y pendait les criminels condamnés à la strangulation. Par ce mode de supplice, on ajoutait à la peine de celui qui le subissait, en rendant son corps le jouet des vents, en le privant de toute sépulture, et en l'abandonnant aux animaux carnassiers.

Lorsqu'on se rend de Plougonvelin à l'abbaye, en entrant dans le bourg de Saint-Matthieu, à droite et à la bifurcation de deux routes, dont l'une conduit au phare, et l'autre à Lochrist, s'élèvent deux menhirs, distants l'un de l'autre de deux mètres environ. La piété chrétienne les a maintenant couronnés de deux croix. C'était, dit la tradition du pays, le gibet des moines.

8. — « Droit de mesure de vin et de bled, ladite mesure consistant dans un quart de moins que celle de Brest, appelée mesure Mahé, et six hannapées ou hauterellées ».

A Brest, Saint-Renan et Ploudalmézeau, l'unité de mesure de capacité était la paquettée, hannapée ou hauterellée, représentant en mesure métrique environ un décalitre et pesant quinze livres. Le boisseau de Brest et de Saint-Renan, qu'on appelait crublé carn, contenait huit hauterellées et pesait conséquemment 120 livres, d'où il suit que le boisseau de Saint-Matthieu, composé de six hauterellées ne pesait que 90 livres. Le droit de mesurage s'appelait minage du mot mine employé dans beaucoup d'endroits pour désigner le boisseau qui servait à mesurer les grains, farines, légumes et autres denrées vendues au boisseau dans les foires et marchés, et même dans les maisons particulières. Le fermier de ce droit, appelé minager, l'exerçait au moyen d'une mesure ou boisseau, et prélevait pour son paiement une quantité de grains qui variait suivant les localités. Ce droit, malgré les abus auxquels il donnait lieu, fut maintenu en 1721 par un arrêt du Parlement de Bretagne, comme très-ancien.

9. — « Dîmes des brieux aux ports de Saint-Matthieu, Brest et Conquet ».

Ce droit qui consistait, à proprement dire, dans le dixième de la coque, du gréement et de la cargaison du navire, avait été attribué à l'abbaye, en 1390, par des lettres patentes du duc Jean IV et reconnu par une sentence de la cour de Saint-Renan et Brest.

10. — « Droit de percevoir les dépouilles de ceux qui viennent périr aux costes des paroisses de Saint-Matthieu, Plougonvelin et trefve de Lochrist ».

Le droit de dépouille, annexe habituelle de celui de bris ou brieux, avait été confirmé par des lettres-patentes de 1602. Il était reconnu de temps immémorial, comme si notoirement fondé, que dès 1498, l'official de Léon n'avait fait aucune difficulté d'accorder un monitoire pour qu'il fut exercé sans obstacle. Peut-être, en cette circonstance, l'official n'avait-il fait que prescrire l'exécution des lettres-patentes du 24 janvier de la même année, par lesquelles Charles VIII avait déclaré « confirmer aux religieux le droit de dépouille de ceux qui périssent dans la mer, la dixième partie des brieux des ports et havres de Brest et du Conquet, et ordonner qu'il fût procédé contre ceux qui troubleroient les abbés et couvents dans la jouissance et libre possession de leurs droits et héritages, entr'autres du moulin et étang du Vicompte et évoquer tous les procès des d. religieux en son conseil de Bretagne ».

11. — « Droit de cohue et accessoires, foires et marchez, avec droit sur iceux, appelé coustume, consistant dans la valeur de 5 sols par chaque esteau, comme aussi droit de descharge sur les marchandises qu'on apporte dans la ville de Saint-Matthieu, tant par terre que par mer, consistant dans la valeur de 5 d. par livre ».

Les halles établies primitivement sous le nom de cohues par les seigneurs féodaux dans l'intérêt de leurs vassaux, afin de protéger leurs marchandises et eux-mêmes contre l'intempérie des saisons, avaient motivé ce droit qu'on trouve aussi désigné parfois sous le nom de cohuage. Dû, à leur entrée, sur les marchandises qu'on apportait au marché, il avait fini par n'être perçu de fait que la veille et le jour du pardon de Saint-Matthieu. — Henry IV, par ses lettres-patentes du mois de novembre 1602, avait institué, dans la ville de Saint-Matthieu, cinq foires annuelles et un marché hebdomadaire. Les foires se tenaient : la première, la veille, le jour et le lendemain de la fête de saint Matthieu ; la seconde, le lendemain de l'Annonciation de N.-D. ; la troisième, le lendemain de la Visitation ; la quatrième, le jour de la saint-Laurent ; la cinquième, le lendemain de la présentation de N.-D. Le marché se tenait le jeudi.

12. — « Droit d'obliger tant les paroissiens de la ville et paroisse du dit Saint-Matthieu, paroisse de Plougonvelin, que trefviens du dit Lochrist, de venir faire la garde près le chasteau et le monastère du dit Saint-Matthieu, dans un corps-de-garde y construit pour cet effet, après que MM. les gouverneurs de la province auront ordonné de la dite garde ».

Le duc Jean V ayant passé le 1er juillet 1409, avec l'abbé et les religieux, un contrat, par lequel ces derniers lui avaient permis de clore la ville de murs, ce prince avait assujetti les paroissiens de Saint-Matthieu et les tréviens de Lochrist à y monter la garde à perpétuité. En dédommagement du terrain pris pour la construction du château et du corps-de-garde, il avait donné à l'abbaye le moulin à mer sur l'étang au Vicomte, et pour témoigner à l'abbé et aux religieux sa reconnaissance de leur concession, il avait déclaré qu'il les prenait sous sa protection, et qu'ils relevaient de lui tant en chef qu'en membres. Par ses lettres datées de Rennes, en 1420, il renouvela cette déclaration et ordonna à son sénéchal de Saint-Renan d'informer contre ceux qui les troubleraient et leur feraient du mal, même contre ceux qui refuseraient de faire la garde, nuit et jour, au château de Saint-Mahé.

13. — « L'abbaye et les fermes en dépendant, exemptes du logement des gens, étant seulement de l'honnêteté des prieur et religieux de leur fournir vivres en cas de nécessité et en payant ».

Charles VIII, par ses lettres datées du château de Nantes, le 8 novembre 1496, et confirmatives du logement des gens de guerre, exonéra l'abbaye de la charge d'un canonnier qui lui avait été envoyé en vertu de lettres de la chancellerie.

14. — « Item, le fief et seigneurie générale, tant dans la dite ville de Saint-Matthieu qui consiste dans les dits abbaye et chasteau, église paroissiale, chapelle de Saint-Laurent et dans une vingtaine de maisons et quelques mazières, tristes restées d'une ville à trente-six grandes rues, consommées par les flammes et les fers des estrangers, que dans toute l'étendue de la paroisse qui est renfermée au couchant par la grande mer Océanne, au nord par le ruisseau de Gouazéla ; au levant par les villages de Troufferne, Kerouman et Saint-Merzin ; au midi par le bras de mer qui conduit à Brest ».

L'aveu mentionnait, comme existantes encore en 1686, quatre rues appelées : Neuve, Ruguen, du Four et des Orfèvres. De notre côté, nous avons trouvé les quatre suivantes mentionnées dans divers titres : Auquerne, Angevine, des Cordonniers, et petite rue Saint-Mahé.

15. — « Item, droit de lods et ventes, chambellenaiges, rentes, droict de succéder à leurs vasseaux dans toute l'étendue de leur fieff au quart denier, deshérences, droit de taille et censives féodalles, tant sur la dite ville, paroisses et mettes qu'en tous les autres lieux dépendants de leur juridiction, comme aussi de commettre un noble pour sergent féodé pour faire la cueillette des dits droits et généralement tous autres droits de fieff ».

Les lods et ventes étaient un droit dû sur la vente de tout objet tenu en fief. Le chambellenage, chambellage ou chambrelage, était un droit de 5 sols monnoie dû à chaque mutation de vassal, conformément à l'article 347 de la Coutume de Bretagne. La taille, — nous ne parlons ici que de la taille annuelle correspondant à la contribution personnelle et mobilière, — était payée par les serfs à leur seigneur qui fixait la quotité imposable à chaque taillable et qui la recouvrait soit directement, soit en l'affermant. Par une transaction du 30 décembre 1300, entre l'abbé, les religieux et les habitants de Saint-Matthieu, ces derniers s'étaient obligés à payer, le 29 septembre de chaque année, la somme de cent vingt livres pour la taille que les religieux avaient droit de lever sur eux. Ce chiffre de cent vingt livres est encore mentionné dans un acte d'assemblée tenue, le 1er décembre 1410, par tous les habitants de la ville de Saint-Matthieu, assemblée dans laquelle ils avaient donné procuration à six d'entre eux de régler leurs différends avec l'abbaye, notamment d'aller demander à l'abbé et aux religieux la permission de rebâtir leurs maisons. Le 19 décembre 1413, la taille fut réduite pour Saint-Matthieu à cent livres. Le taux de cet impôt n'était pas uniforme dans tout le ressort de l'abbaye, car une enquête faite, le 24 novembre 1395, par ordre du duc Jean IV à l'occasion d'un procès entre lui et l'abbaye, nous apprend que cette dernière avait droit à une taille de huit-vingt livres dans la trève de Trézéon, en Plougonvelin. — Quant au droit de deshérence, la transaction du 30 décembre 1300 l'avait fixé, par abonnement, à douze livres pour ceux qui mouraient sans enfants, mais l'abbaye héritait de ceux qui ne laissaient pas d'héritiers, tels que les bâtards. — La censive, féodale à l'origine, c'est-à-dire assujettissant la personne du vassal au seigneur, était devenue graduellement un impôt purement foncier.

16. — « Item, les rentes appellées deniers claustraux, tant par bled que par argent, appartenant en privé aux religieux de la dite abbaye, tant dans la ville et paroisse de Saint-Matthieu qu'ailleurs ».

17. — « Droit de four à ban auquel les habitants de la dite ville et mettes sont obligés de venir cuire ».

La transaction conclue le 3 novembre 1300, entre le duc Jean II et l'abbaye, fait foi que cette dernière avait droit de fournage ou de four banal sur ses vassaux, qu'ils vinssent y cuire, ou qu'elle leur permît de cuire chez eux.

18. — « Droit de moulin que tous les vassaux de la dite abbaye sont obligés de suivre soubs sa banlieue ».

Le droit de moute ou mouture était dû au seigneur bannier, indépendamment du salaire dû au meunier. « Les moulans, disait l'article 386 de la Coutume de Bretagne, doivent moudre leurs bleds au moulin de leur seigneur, en leur rang, comme ils y arrivent. Et si le meunier le fait autrement, il est tenu l'amender et le dédommager ; sinon que ce fut le bled du seigneur, ou de celui qui a la seigneurie sur le moulin, qui doit être préféré en la moulture. Et est l'homme tenu d'attendre l'eau trois jours et trois nuits, et au moulin à vent un jour et une nuit ».

19. — « Droit de gerbe à la douzième gerbe de toute sorte de bleds, mesme pois et febves dans toute l'étendue de la dite paroisse, avec droit de prémice consistant dans un demi-boisseau froment au viquaire de la dite paroisse pour augmentation de groan (sic) ».

La dîme ou droit de gerbe n'était pas la même dans toutes les paroisses où elle était due.

Dans toute l'étendue des paroisses de Saint-Matthieu, Lochrist et Plougonvelin (cette dernière comprenait les cinq trêves de Treff-llis, Treff-mals-couet, Treff-meur, Treflez et Trézéon), les gerbes ne pouvaient, conformément à un arrêt du parlement de Bretagne, être enlevées des champs par les paroissiens et tréviens qu'après qu'ils avaient averti les religieux deux jours d'avance, et ils ne pouvaient mettre leurs bestiaux dans ces champs que deux jours après l'enlèvement des dîmes au paiement desquelles un autre arrêt du 31 mai 1627 avait condamné les nobles de Plougonvelin. Dans la partie de cette dernière paroisse, appelée le haut Plougonvelin, la dîme de pois et de fèves était remplacée par un demi-boisseau, par ménage, de froment, mesure Mahé, qui devait être apporté à l'abbaye après la récolte.

En Ploumoguer, Porspoder, Ouessant, ou pour mieux dire, dans presque toutes les paroisses du bas-Léon, la dîme était également due, à la douzième gerbe, par toutes les terres nobles ou roturières sans exception.

En Plouzané, l'abbé et le recteur percevaient conjointement la dîme à la trente-sixième gerbe sur quatre-vingt-dix villages sans exception. Cette dîme, après la taxe faite par le seigneur de Coatennès, accompagné de deux experts, nommés l'un par l'abbé et le recteur, l'autre par les paroissiens, et après déduction de tous les grains autres que le froment, dans les terres sujettes à la dîme, et ensemencées en cette espèce de grains, était envoyée au presbytère du recteur dans les prochains jours après la fête de saint François (4 octobre). Là, on en faisait le partage. L'abbaye prenait les deux tiers ; le reste était retenu par le recteur qui était obligé d'agréer l'expert choisi par l'abbé et de payer le tiers des frais de l'expertise.

A Ouessant, où la perception de la dîme en nature n'était pas toujours facile, elle était affermée. Deux baux, l'un de 1683, l'autre de 1689, nous apprennent, le premier, qu'elle était remplacée par une redevance de vingt-huit livres et deux agneaux, le second par une somme de trente livres. Il en était de même pour l'île de Balanec, proche fief de l'abbaye à laquelle une somme de quarante sous était payée, à titre de reconnaissance. Nous ignorons si une redevance quelconque était due pour l'île de Beniguet que Hervé III, comte de Léon, donna, en 1169, à l'abbaye de Saint-Matthieu. Mais il y a lieu de croire qu'elle en fut affranchie, par la raison fort simple qu'elle était alors déserte et que ce n'est qu'assez récemment que s'y est établie la seule ferme qu'on y voit encore vers la fin du XIXème siècle.

Des liasses poudreuses de procédures que les vers sont loin d'avoir respectées, nous révèlent que la perception de la dîme rencontrait bien souvent des difficultés. Si elle se faisait facilement à Saint-Matthieu, Lochrist et Plougonvelin, relevant plus directement de l'abbaye, il n'en était pas de même dans d'autres paroisses, où les recteurs, plus directement intéressés, y faisaient obstacle. Un des plus récalcitrants d'entre eux semble avoir été messire Yves Fort, recteur de Guilers. Vainement l'abbé et les religieux avaient-ils invoqué la bulle d'Urbain VIII, datée de Sainte-Marie-Majeure, en 1624, qui les maintenait dans la possession des dîmes et prémices, et fulminait contre ceux qui auraient usurpé des biens fonds du monastère, pillé les titres, garants, etc. Alléguant qu'il avait seul droit à la dîme, Fort refusa, le 2 août 1660, d'accompagner le fermier général de l'abbaye qui était venu pour lever la dîme conjointement avec lui. De là, procès sur procès, terminés le 1er juillet 1664, par un arrêt confirmatif de diverses sentences qui avaient condamné Fort à payer cent trente-deux livres pour la dime. L'obstiné recteur ne voulut pas obéir. Il fallut de nouveau recourir à la justice, et sept jours après intervint une sentence du sénéchal de Brest qui condamna « messire Fort, recteur de Guilers, ses prêtres et consorts, à payer dix liv. d'amende envers le roi ; trente livres d'aumône à la fabrique de Guilers ; trente liv. à la fabrique de N.-D. de Saint-Matthieu ; et trente livres à l'église de Saint-Sébastien de Saint-Renan, pour avoir troublé et insulté messire Jean Lharidon, commis par justice pour publier un monitoire destiné à fournir la preuve de la possession, par l'abbaye, des dîmes de la paroisse de Guilers ».

A la différence de la dîme, qui était obligatoire et regardée comme de droit divin, les prémices étaient une oblation volontaire que les premiers chrétiens faisaient à leurs pasteurs, en raison de leur dévouement, et par imitation des Juifs qui, se conformant aux préceptes de l'Exode, du Lévitique et du Deutéronome, offraient à leurs prêtres les premiers fruits de la terre et les premiers nés des animaux. Le pape Alexandre II avait bien, il est vrai, rendu les prémices aussi obligatoires que les dîmes, et il y eut alors concours entre elles ; mais, en Bretagne, ce concours fut aboli par la jurisprudence des arrêts, et l'on ne reconnaissait plus de prémice obligatoire, à moins qu'elle ne fut un abonnement de dîme ecclésiastique (Journal du Parlement de Bretagne, t. 3, chap. 17) ; encore la jurisprudence ne tolérait-elle la prémice levée par ménage qu'à la condition de laisser à chacun, en franchise de cette redevance, un journal labouré et ensemencé. Rentrée dans le droit commun, la prémice était donc le résultat d'une libre convention entre ceux qui la percevaient et ceux qui la devaient, à tel point que ces derniers en étaient libérés par la prescription quadragénaire.

C'est très vraisemblablement en vertu d'une convention de ce genre que la paroisse de Plougonvelin et la trêve de Lochrist devaient les prémices à l'abbaye. Nous n'avons pas trouvé de trace de cette obligation pour les autres paroisses, sans en être trop surpris, car les prémices n'étaient dues, croyons-nous, qu'au pasteur direct. La preuve de l'obligation des prémices en Plougonvelin et en Lochrist est consignée dans un arrêt du Parlement de Bretagne, du 16 juillet 1627, qui leur enjoignit « de payer, chaque année, à l'abbé de Saint-Mahé, le devoir de demi-prémice, consistant pour chaque ménage en un demi-boisseau de froment, mesure Mahé, et la douzième gerbe de bleds, pois et fèves ; pour les veufs et veufbves, en deux sous six deniers monnoie faisant trois sous tournois ; pour ceux qui n'avaient point labouré, ou qui ne faisaient pas gaignerie, c'est-à-dire les pauvres, en quinze deniers monnoie ou dix-huit deniers tournois. Le même arrêt ordonna à messire Noel Kerannou, recteur de Plougonvelin, de se contenter d'une demi-prémice, sauf à lui à se pourvoir vers l'abbé pour avoir portion congrue dans le cas où cette demi-prémice n'aurait pas suffi à sa substance ». L'abandon de la prémice fut fait par le recteur qui, comme ses successeurs, reçut en remplacement une portion congrue, c'est-à-dire la pension annuelle de deux cents livres fixée à ce chiffre par l'ordonnance de 1631 pour les vicaires perpétuels ou curés en Bretagne, « plus les offrandes, droits casuels, fondations d'obit, mais non les petits devoirs et autres droits des curés ».

Tels étaient les droits et prérogatives de l'abbaye. M. de La Bourdonnaye de Coëtmen, commissaire préposé à la réformation du domaine, et chargé, en cette qualité, de statuer sur l'action que lui avait intentée Bougis, le fit en ces termes, par sa sentence du 26 août 1690 : 

« Maintient les deffendeurs dans les droits de haute, moyenne et basse justice dans l'étendue des fiefs de l'abbaye, et sur les hommes des fiefs seulement, sans qu'ils en puissent prétendre l'exercice sur leurs domaniers, censiers et métayers, ny sur les fiefs et hommes des prieurés annexés à la dite abbaye, faisant autrefois des corps séparés de ceux de la concession de la dite abbaye, lesquels hommes des dits prieurés et hommes domaniers suivront les cours et jurisdictions sous le destroit desquels ils se trouvent situez, desquels prieurés prétendus par les deffendeur estre annexés à leur dite abbaye, ils fourniront déclaration séparée dans le mois, si fait n'a été ;

Déboute les deffendeurs de leur droit de mesure employé au 8ème article de leur déclaration, sauf à eux à percevoir leurs rentes à mesure qu'elles seront dues ; des droits de la dixième des brieux et dépouilles, employés aux 9ème et 10ème articles, sauf à eux à se faire payer par préférence sur les effets appartenant aux deffuncts dont les cadavres seront jettés sur les costes de la dite abbaye, des frais funéraires, quant ils les auront faits, conformément à l'article 32 du titre IX de l'ordonnance pour la marine ; des droits de cohue, accessoires, foires et marché, et de descharge sur les marchandises apportées dans la dite ville de St-Matthieu, tant par mer que par terre, consistant à prendre six deniers par livre, employés en l'article 11 de la déclaration et 9 de l'addition, les lettres d'érection des foires et marchés obtenues en 1602, ne se trouvant enregistrées et n'attribuant aucune concession du droit de descharge ;

Déboute pareillement les dits deffendeurs du droit d'obliger les paroissiens de Plougonvelin et trèviens de Lochrist, d'aller faire la garde près l'abbaye ;

Les maintient dans l'exemption du logement des gens de guerre tant et si longuement qu'il plaira à Sa Majesté ;

Ordonne que les deffendeurs ne pourront prétendre la mouvance en général et sans exception sur les terroirs ci-après ». (Suit une longue nomenclature de terroirs).

 

§ IX et X. — Catalogue des Abbés.

Dom Le Tort dit que le premier successeur connu de saint Tanguy était Gurhédius (Note : Dom Le Tort, qui parle seul de ce Gurhedius, ne l'aurait-il pas confondu avec Gurheden, moine de l'abbaye de Sainte-Croix de Quimperlé, qui vivait aussi dans les premières années du XIIème siècle ?), qui vivait vers 1104. « Il se complut, ajoute-t-il, à décorer la maison de Dieu, et il obtint des Souverains Pontifes divers dons et indulgences, principalement les droits et les insignes pontificaux, ainsi qu'une juridiction spirituelle, indépendante de celle de l'évêque ; mais l'usage contraire a prévalu contre ces privilèges dont le monastère ne jouit plus, qu'il les ait perdus, ou par négligence ou par abus d'autorité ».

De Gurhedius, Dom Le Tort passe à l'abbé Roussel, qui vivait en 1422, et il ne mentionne ensuite que trois abbés réguliers : Guillaume de Kerlech, vers 1422 ; son neveu Guillaume, vers 1443, et Nouel, vers 1476. Après Nouel vient Jean Brunet, qui aurait été le premier des abbés commendataires, et il s'arrête, — il ne pouvait aller au-delà, — à Louis de Menou, en 1681. Le catalogue de Dom Morice est bien plus complet ; aussi allons-nous le reproduire en y ajoutant les détails que nous ont procurés nos recherches personnelles.

870. — Siméon, nommé Abbas Leonensis dans une charte du cartulaire de Redon du 25 août 870, où il figure comme témoin. Toutefois, cette désignation pourrait s'appliquer à un abbé du monastère de Batz, bâti par saint Paul de Léon.

Parmi ses successeurs on mentionne : Eudon ou Eudes, Turien ou Tiritien, et Curion, dont on ne connaît que les noms, et qui, d'après l'obituaire de Landévennec, seraient morts, le premier, le 25 mai ; le second, le 20 mai ; et le troisième, le 5 juin, sans indication d'années.

1110. — Daniel qui, avec le consentement de l'évêque de Tréguier, et sous la protection de Hervé II, comte de Léon, institua à Morlaix une confraternité de l'abbaye de Saint-Matthieu, confraternité qui fut établie, sous l'invocation de la Très-Sainte-Trinité, en dehors de la ville, mais qui, plus tard, fut transférée, à l'intérieur, dans l'église collégiale de Notre-Dame-du-Mur.

1157. — Perennès qui obtint, le 10 juillet, de Hervé III, comte de Léon, l'affranchissement de tous les biens dépendants de son monastère.

1218. — Inisan, mort le 25 septembre — suivant l'obituaire de Landévennec, et eut lui-même pour successeur Hervé, mort le 11 décembre 1218. C'est sous l'administration de l'un ou de l'autre de ces deux abbés, vraisemblablement du dernier, que, par un acte passé à Landerneau, en 1206, Hervé Ier, vicomte de Léon, témoin de la réception et de la consécration du chef de saint Matthieu, déclare qu'afin d'en perpétuer le souvenir et d'assurer le salut de son âme, ainsi que celle de ses parents, il donnait à l'abbaye trois pétrées (Note : La pétrée ou perrée était une mesure de capacité, plus particulièrement usitée dans le diocèse de Vannes. Elle valait quatre minots, et le minot correspondait à peu près au boisseau, sauf, bien entendu, quelques variations en plus ou en moins, d'une localité à une autre) de froment qui seraient prélevées sur sa mense personnelle pour celle des moines, lesquels les recevraient le jour de Noël de chaque année, et en jouiraient à perpétuité. En considération de ce don, les moines l'admirent comme frère, et s'engagèrent à prier particulièrement pour lui pendant sa vie et après sa mort.

1229. — Rivallon, fils de Haeluc, religieux de Quimperlé, succéda à l'abbé Hervé et mourut le 14 janvier 1229. L'année précédente, Hervé II de Léon avait confirmé le don de trois pétrées de froment fait par son père, et décidé quelles ne seraient pas prises sur sa mense personnelle, mais perçues directement par l'abbé, sans que celui-ci eut besoin d'en demander la permission soit à lui, soit à son bailli.

1315. — L'obituaire de Landévennec mentionne ensuite les quatre abbés suivants, dont le dernier serait mort le 22 juin 1315 : Yves de la Palue ou du Marais, de Palude ; autre Yves de la Palue, son neveu ; Even, et Yves III.

1315. - Guillaume Ier de Kerlech, qui était abbé en 1315, tint, en 1332, le lundi après la translation de saint Benoît, un chapitre général dans lequel il fut réglé que les prieurs de Goëlo Forêt diraient, à perpétuité, une messe par semaine pour les seigneurs de Léon, bienfaiteurs de ce prieuré et de l'abbaye de Saint-Matthieu. Par une charte, datée de cette abbaye, le jour de la Nativité de saint Jean-Baptiste, 1332, Jean-le-Bon, duc de Bretagne, accueillit la requête que lui présentèrent l'abbé et les religieux afin d'être autorisés à élever des murs et fortifications pour assurer la conservation des reliques et la défense de l'abbaye contre ses ennemis. Il leur fut permis de raser à leurs frais, et quand ils le jugeraient convenable, un certain nombre de maisons situées à neuf pieds de distance du mur de clôture de l'abbaye et de le reculer d'autant, sans qu'ils pussent éprouver d'obstacle, à la condition, toutefois, de rétablir ces maisons en aussi bon état quelles l'étaient.

Guillaume de Kerlech était d'une famille d'ancienne extraction, de la paroisse de Ploudalmézeau, qui comptait onze générations à la réformation de 1669. « Elle avait pour anciennes armes, dit M. Pol de Courcy (Nobiliaire de Bretagne, p. 207), d'azur à dix sonnettes d'argent, 4, 3, 2 et 1. Moderne : du Chastel. Devise : Mar ear Doué (si Dieu veut). Un juveigneur de la maison du Chastel épousa, au XIVème siècle, l'héritière de Kerlech, à condition d'en prendre le nom et les armes ; mais ses descendants reprirent le nom et les armes du Chastel, à l'extinction de la branche aînée du Chastel, en 1375, en y ajoutant le nom de Kerlech. Les armes figurées sur la tombe d'un abbé de Kerlech, dont nous parlerons plus loin (Sépultures remarquables) étaient celles des du Chastel, fascé d'or et gueule de six pièces avec cette devise : Da vad é teui (Tu viendras à bien). Ces armes se voyaient aussi dans deux écussons parallèles placés dans la grande vitre de l'église paroissiale de Plougonvelin, ainsi que dans la vitre au-dessus de l'autel, dans la chapelle saint Sébastien de la même église.

1343. — Philippe, successeur de Guillaume Ier de Kerlech, écrivit, cette année, le cartulaire de l'abbaye, dans lequel il reconnaissait que les comtes de Léon en étaient les fondateurs. Il eut pour successeurs Guillaume II de Kerlech, dit Dogan, et Even Glebeuf, dont les noms seuls sont parvenus jusqu'à nous, et qui, selon l'obituaire de Landévennec, moururent, le premier, le 13 septembre ; le second, le 30 juin, sans indication d'années.

1380. — Guillaume III de Kerlech vivait à cette époque. Il mourut en 1400 et fut inhumé près du grand autel. C'est sur son tombeau qu'étaient figurées les armes dont il a été parlé précédemment. Le duc Jean IV lui avait expédié de Rennes, le 7 octobre 1390, une ordonnance maintenant les religieux dans la possession de la tenue de Quiilemadeuc et leur confirma le droit du dixième des brieux et victuailles. Ce dernier droit s'appliquait aux provisions faites pour la nourriture de l'équipage.

1400-1422. — Son successeur fut Jean Rouxel ou Roussel, que le duc de Bourgogne, au nom du duc de Bretagne, son neveu, mineur, nomma en 1402, second président de la Chambre des comptes. Jean V, devenu Majeur, ordonna, le 4 juin 1406, à Gilles Sousbois, son garde-robier, de bailler à Roussel cinq aulnes de bon drap fin et un cent de bonnes fouines, pour avoir une robe de livrée, conformément au droit appelé le droit de robe d'esté et de manteau d'hiver, en vertu duquel les membres de la Chambre des comptes recevaient en nature, indépendamment de leurs honoraires, les menues nécessitez. Jean V le nomma, en 1408, trésorier général de Bretagne.

A cette époque, une grande irrégularité s'était introduite dans beaucoup de monastères. Il semblerait que celui de Saint Matthieu n'en était pas exempt. En effet, par un bref de 1416, daté de Constance, le pape Jean XXIII, sur la plainte d'Alain, vicomte de Rohan, et de Béatrix, sa femme, donna commission à l'abbé de Bonrepos de visiter les abbayes de Saint-Matthieu, de Daoulas et du Relec, ainsi que les autres abbayes ou prieurés de l'ordre de saint Benoîst, fondés ou dotés par leurs ancêtres, dans lesquels, d'après la plainte, les abbés, les prieurs et les moines négligeaient de célébrer l'office divin, d'observer l'hospitalité, de faire l'aumône, et laissaient les édifices tomber en ruines, bien qu'ils perçussent intégralement les revenus de ces monastères ou prieurés. Si les enquêtes auxquelles procéderait l'abbé de. Bon repos démontraient que la plainte était fondée, il devait appliquer aux coupables les censures ecclésiastiques, et même les livrer au bras séculier, s'il le jugeait opportun. Nous ignorons ce qu'il advint pour Saint-Matthieu.

1430. — Guillaume IV de Kerlech occupait le siége abbatial en 1430. Il fut commis, le 20 juillet 1462, par le duc François II pour administrer le temporel de l'abbaye de Redon, en remplacement d'Yves Le Sénéchal, qui avait abandonné la gestion des affaires de cette abbaye à son neveu Jean Le Sénéchal, contre les malversations duquel les religieux avaient formulé des plaintes.

1476. — Jean Nouel ou Noel, mort vers 1486. Le pape lui donna pour successeur Antoine de Grassiès, évêque in partibus de Thuile, l'un de ses référendaires. Mais le duc François II, qui voulait favoriser Jean de La Forest, son confesseur, obtint la démission d'Antoine, et lui permit, le 24 avril 1486, de posséder des bénéfices en Bretagne jusqu'à la concurrence de 300 ducats, M. Pol de Courcy mentionnant, dans son Nobiliaire, deux familles du nom de Noël, nous ne pouvons dire à laquelle des deux appartenait l'abbé de Saint-Matthieu.

1486. — Jean de La Forest ne fut abbé qu'un an au plus, car il mourut en 1487. Dix familles de ce nom étant citées dans le Nobiliaire, il y a également pour nous impossibilité de dire de laquelle sortait l'abbé Jean.

1487. — Jean Brunet, prieur d'Aindre, dans le diocèse de Nantes, fut nommé abbé en 1487, et serait devenu commendataire en 1499. Pendant son administration, le président de la Chambre des Comptes procéda à une enquête qui démontra qu'une rente de treize livres cinq sous sur les seicheries de poisson était due aux religieux, propriétaires d'une maison avec clôture, servant de magasin aux fermiers de ces seicheries. Jean Brunet mourut en 1515. Il portait d'azur à trois molettes d'argent, au chef cousu de sable, chargé de deux têtes de loup d'argent arrachées et lampassées de gueules.

1515. — Henri le Jacobin, docteur en théologie, obtint le 15 juin de cette année, la main levée de la saisie des revenus de l'abbaye, séquestrés nous ne savons pour quel motif. Il mourut en 1524. L'année précédente, le grand pénitencier de Rome lui avait conféré le droit de présentation à tous les bénéfices dépendants de l'abbaye. Il portait d'argent à l'écu d'azur en abyme, accompagné de six annelets de gueules mis en orle.

1533. — Hamon Barbier, qui portait d'argent à deux faces de sable, chanoine de Nantes et de Saint-Paul-de-Léon, recteur de plusieurs paroisses, archidiacre de Quemenedilli, en Léon, et conseiller du Parlement de Bretagne, obtint en 1533 les bulles d'abbé commendataire qu'il présenta à la Chambre des Comptes. Il eut, il paraît, pour compétiteur, le f. Hervé de Kermeno, et c'est probablement à l'occasion de ce conflit que le procureur général du Parlement de Bretagne obtint, au mois de décembre 1543, la saisie du temporel de l'abbaye. Il y a lieu de croire que Barbier triompha. Pour assurer la conservation des titres de l'abbaye, il les transporta au château de Kerjean, propriété de sa famille Il en résulta un grand préjudice pour son abbaye qui ne put jamais les recouvrer. Barbier était pourvu d'un si grand nombre de bénéfices que le pape Jules III, apprenant sa mort, demanda si tous les abbés de Bretagne étaient morts le même jour.

1552. — Claude Dodieu, seigneur de Velly ou Vely, dans le Lyonnais, qui portait d'azur à la bande d'argent, accompagné de deux lions de même chanoine, archidiacre vicaire-général, puis évêque de Rennes, maître de requête au Conseil de Bretagne, fut pourvu de l'abbaye en 1552 et prêta serment de fidélité au roi l'année suivante. Né pour les grandes affaires, il fut successivement ambassadeur auprès du pape Paul III, de l'empereur Charles-Quint et des Pères du Concile de Trente. De retour dans sa patrie, il assista au sacre et au couronnement de Catherine de Médicis, qui eurent lieu à l'abbaye de Saint-Denis en 1549 et aux Etats généraux tenus à Paris en 1557. Il mourut dans la même ville en 1558, et fut inhumé dans l'église des Célestins, ce qui ne permet pas d'admettre qu'il fut encore abbé en 1561, et encore moins en 1571, s'il fallait en croire Dom Morice, qui oublie que, dans son catalogue des évêques de Rennes, il a indiqué la date et le lieu de décès que nous assignons d'après lui. Dodieu aurait eu pour successeur, suppose-t-on, d'après quelques mémoires, François de Kernechiou, qui portait écartelé d'argent et de sable. Ce qui rend cette supposition très-vraisemblable, c'est le long temps écoulé entre la mort de Dodieu et l'avènement de l'abbé suivant.

1585. — Ruggieri (Cosme de). C'était le fameux astrologue florentin, venu en France à la suite de Catherine de Médicis, sur qui il exerça une si fatale influence. Condamné aux galères en 1574 pour sa participation aux complots de La Mole et de Coconas, il ne tarda pas à en être tiré, soit par le crédit de quelques seigneurs de la cour, suivant Le Laboureur, soit plutôt, comme le disent de Thou et Mézeray, par la reine-mère elle-même qui, non contente de prendre de lui des leçons d'astrologie, l'employait comme espion en vue de satisfaire son insatiable besoin d'intrigues. Elle le fit pourvoir en 1585 de la commende de Saint-Matthieu, pour laquelle il renouvela le serment de fidélité à Henry IV, en 1607. Pressé par ses amis, à ses derniers moments, d'accomplir ses devoirs de religion, il s'y refusa, et repoussa même les exhortations du curé de Saint-Médard ainsi que celles des Capucins qui étaient venus le visiter. « Sortez tous, fous que vous êtes, s'écria t-il avec fureur, il n'y a d'autres diables que les ennemis qui nous tourmentent en ce monde, ni d'autre Dieu que les rois et les princes qui peuvent nous procurer honneurs et richesses ». Un pareil athée ne pouvait, à cette époque, recevoir aucune sépulture. Aussi, lorsqu'il mourut, le 28 mars 1615, son corps fut-il jeté à la voirie (cujus in atheismo demortui cadaver asini sepultura donatum est, dit une chronique latine (Note : De abbatia Sti Matthaei Penarbet, in minari Britannia (Brest, Rozais), 1826, 11 p. in-18. M. Miorcec de Kerdanet, auteur, croyons-nous, de cet opuscule, l'a reproduit dans ses annotations à la réédition des Vies des Saints d'Albert Le Grand, article saint Tanguy). Ses armoiries, que nous ne connaissons pas, étaient appendues, selon l'usage, dans le monastère. Elles furent martelées et son nom rayé de la liste des abbés.

1615. — Liza (André), dont les armes nous sont également inconnues, succéda à Ruggieri et se démit en 1617.

1618. — Roger de Foix, qui remplaça Liza, mourut en 1628. Il avait, il paraît, résigné sa commende dès 1624, car, à cette date, on trouve, comme en étant pourvu, Louis de Joan ou plutôt de Jouhan, lequel aurait eu lui-même pour successeur L'abat ou Labat, originaire de Bordeaux. Roger de Foix devait appartenir à l'une des deux familles de ce nom, mentionnées dans la seconde édition du Nobiliaire de M. de Courcy, et Jouhan à l'une des trois familles de ce nom. Nous ne pouvons donc préciser les armes de ces deux abbés. Il en est de même de celles de Labat.

1634. — Louis de Fumée, seigneur des Roches-Saint-Quentin, en Touraine, rendit aveu au, roi en 1634, pour le temporel de l'abbaye, et mourut le 7 avril 1657. Il portait d'azur à six fasces d'or accompagnées de six besans de même.

C'est à lui que revient l'honneur d'avoir rendu à l'abbaye une partie de son ancienne splendeur, attestée par un très-ancien document trouvé en 1674, écrit en mauvais latin et détaillant diverses cérémonies, notamment celles qui s'observaient pendant les trois derniers jours de la semaine sainte. Il y est fait mention, non-seulement de l'abbé officiant, mais encore du prieur, du sous-prieur et d'un sacristain. Ce document, qui devait être antérieur de 200 ans au moins à l'institution des abbés commendataires, dit en outre « qu'au Mandatum il y avait deux religieux en chape, un pour l'évangile, un porte-croix, deux novices pour les chandeliers, et que l'abbé lavait les pieds à tous ses frères » (Histoire française). Mais au XVIIème siècle, l'abbaye était bien déchue. Des procès-verbaux de 1618 et de 1624 constatent qu'on n'y voyait alors que quatre religieux, et d'après un troisième procès-verbal, du 13 avril 1639, il n'y en avait plus que deux ; encore avaient-ils abandonné l'abbaye, où l'office divin était célébré, plus ou moins souvent, par quatre prêtres séculiers, au nombre desquels était le vicaire perpétuel de la paroisse.

Tel était la déplorable situation de l'abbaye au spirituel comme au temporel dont les abbés commendataires disposaient comme ils voulaient, ou plutôt comme ils pouvaient, car ils percevaient difficilement les revenus, d'ailleurs amoindris. Pour mettre un terme à un pareil état de choses, Louis de Fumée s'adressa aux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, qui travaillaient depuis quelques années à la réforme des abbayes de l'ordre, et il les pria de se charger de celle de Saint-Matthieu. Ils n'y consentirent qu'à grand peine, en raison de la situation de l'abbaye et de son peu de revenu qui faisaient craindre qu'on ne put y entretenir et faire vivre une communauté qui assurât la célébration du service divin. Ils désespéraient aussi d'y rétablir la discipline monastique très-relachée depuis longtemps. L'abbé Fumée eut un auxiliaire actif dans le R. P. Dom Jouault, religieux de cette congrégation, alors visiteur en Bretagne, que sa dévotion à son saint patron avait particulièrement porté à déployer un grand zèle pour assurer le succès de la négociation. Ce fut le 24 décembre 1655 que fut passé, à l'abbaye de Saint-Julien-de-Tours, entre Louis de Fumée et les bénédictins de Saint-Maur, en présence de M. de Coëtanscours, conseiller au parlement de Bretagne et commissaire en cette partie, le concordat par suite duquel de nouveaux religieux furent introduits le 17 mars suivant dans l'abbaye, et la réforme appliquée. Par ce concordat, que le Parlement de Bretagne avait homologué le 21 février précédent, Louis de Fumée avait fait aux religieux l'abandon de tout son revenu abbatial, moyennant une rente de deux mille cinq cents livres, payable par moitié, à la Saint-Jean d'été et à Noël. Les nouveaux religieux mirent tous leurs soins à faire revivre l'ancienne dévotion qui avait disparu, depuis que le peuple et les pèlerins ne trouvaient plus ni religieux ni prêtres, lorsqu'ils venaient accomplir leurs vœux ou leurs autres actes de piété.

1658. — Louis de Menou, également originaire de Touraine, prit possession de son bénéfice, le 20 septembre 1658 et mourut en 1702. Il appartenait, croit-on, à l'une des deux familles de ce nom encore existantes en Bretagne. Mais comme elles ont des blasons différents, nous ne saurions préciser le sien.

Sa longue administration fut vigilante et éclairée. Le 30 juin 1659, il ratifia le concordat de 1655, sauf l'article qui concédait à la communauté le droit de présentation aux prieurés, à l'alternative avec l'abbé commendataire, mais il ne fit aucune réserve pour le droit de présentation aux cures abandonné à la communauté par ce concordat. Par cet acte ou un autre du même jour, il laissa à la communauté son logis abbatial afin qu'on y bâtit un logement pour les réguliers, à la charge de lui payer annuellement une rente de cent livres, ce qui porta son revenu à la somme de deux mille six cents livres, payable par moitié aux époques précédemment indiquées. S'il voulait venir résider à Saint-Matthieu, la communauté lui achèterait, jusqu'à la concurrence de cinq cents livres un logis qu'elle entretiendrait, parce qu'elle en disposerait en son absence.

Son zèle pour les intérêts temporels de l'abbaye nous est attesté par plusieurs baux, les premiers dont il soit fait mention dans les titres de l'abbaye, et que nous résumons, parce qu'ils font connaître les revenus dont elle jouissait à cette époque.

Suivant le bail reçu, le 14 octobre 1658, par Le Roy et Le Vaillant, notaires royaux, le revenu de l'abbé et celui des religieux furent affermés pour six années, de la Saint-Jean 1659 à pareil jour de 1665, à demoiselle Françoise Nicolas et à noble homme César Fyol, son fils, pour le prix annuel de quatre mille livres, payable, soit à la recette du monastère, soit à Paris, suivant l'ordre qui leur serait donné, en deux termes égaux, le premier à la Saint-Jean d'été, le second à Noël. Ils devaient en outre payer ou verser d'avance et par quartier, les redevances ci-après : Pour vestiaire et luminaire la somme de nonante une livres dix sols (quatre-vingt-onze livres dix sous), soit celle de trois cent soixante-six livres par an ; — 18 boisseaux de froment, soit 72 par an ; — 6 barriques de bon vin de Gascogne, ou pour l'année 24 barriques, remplacées le plus généralement par un paiement en argent, à raison de cinquante-huit livres dix sous par barrique. A ces redevances, il faut encore ajouter celles qui suivent : Les gages du sénéchal (soixante-douze livres par an) ; ceux du procureur fiscal (quarante-cinq livres pas an) et ceux du greffier (soixante livres) ; — soixante-douze livres payables le 6 mars de chaque année pour le service de Saint-Sané, dédicace do l'Eglise ; — les gages du chirurgien, consistant en huit boisseaux de froment et six livres en argent ; — Les dîmes ordinaires qui devaient être articulées dans les quittances et distinguées des dîmes extraordinaires qui devaient être payées par l'abbaye ; — enfin les droits de visite de Mgr de Léon.

Un second bail, commençant à l'expiration du précédent, fut renouvelé pour six années à Mademoiselle Nicolas, alors veuve du Briantays, pour quatre mille six cent livres de prix principal et aux autres conditions augmentées de six charretées de paille. Les 24 barriques de vin furent remplacées par une somme de neuf cent trente-six livres.

Un troisième bail consenti à la même fermière, éleva à cinq mille cinq cent quarante-trois livres dix sous le prix principal de fermage, indépendamment de la dîme de Plouzané, affermée directement à un tiers par l'abbaye, au prix annuel de quatre-vingt-dix livres, les autres conditions étant les mêmes.

Le vin, comme les autres provisions de l'abbaye, était affranchi de tout droit. Si la malignité arguait de la grande quantité de vin mentionnée dans les baux précités, pour accuser d'intempérance les six religieux qui semblent avoir formé au maximum, depuis la réforme, le personnel de l'abbaye, il serait très-facile de réfuter cette accusation. Le vin, nous venons de le voir, était remplacé par une redevance en argent. Nous croyons, toutefois, qu'il n'en fut pas toujours ainsi, et qu'une partie tout au moins de cette redevance dût être acquittée en nature. Elle était consommée par les malades traités aux frais de l'abbaye, dans une maison servant d'hospice et attenant à la chapelle Saint-Laurent. Puis, bien que l'abbaye fut exempte du logement des gens de guerre, on s'y faisait un devoir de loger et nourrir les officiers détachés sur la côte pour le service du roi, et qui auraient difficilement trouvé ailleurs un logement et une nourriture convenables. Par la même raison, l'hospitalité était pratiquée sur une large échelle à l'égard des étrangers que leurs affaires ou la curiosité attiraient dans ces parages. La consommation de vin pour les religieux devait donc être modérée, si tant est qu'ils en usassent et que leur règle le leur permît.

1702. — Claude de Menou, neveu du précédent, et chanoine de Loches, fut pourvu de l'abbaye le 16 juillet 1702, et mourut le 24 novembre 1721, après l'avoir comblée de bienfaits.

1723. — Léonor de Romigny, docteur et syndic de Sorbonne, chanoine et vicaire général de Notre-Dame de Paris, fut pourvu de l'abbaye au mois d'octobre 1723, et mourut subitement le 4 août 1739, à l'âge de 59 ans. M. l'abbé Tresvaux, dans sa réédition du catalogue des abbés de Saint-Matthieu par Dom Morice, dit que l'abbé de Romigny s'était attiré, par son zèle pour la pureté de sa foi, la haine des jansénistes.

1739. — Jean-Louis Gouyon de Vaudurant, qui portait d'argent au lion de gueules, fut nommé en 1739 à l'abbaye de Saint-Matthieu et en 1745 à l'évêché de Saint-Paul-de-Léon. Il se démit de son siége épiscopal en 1763, mais il conserva son abbaye jusqu'à sa mort en 1779.

1780. — N............... de Robien, né en Bretagne, vicaire-général d'Auxerre, fut le dernier abbé commendataire. Il l'était encore, quand furent rendus les décrets de l'Assemblée nationale prescrivant la suppression des ordres religieux. Il portait d'azur à dix billettes d'argent, 4. 3. 2. 1.

 

§ XI. — Bienfaiteurs.

« Si les seigneurs du Chastel ne sont point les fondateurs de ce monastère, du moins en peuvent-ils être considérés comme les principaux bienfaiteurs, car on lit sur une ancienne table de cuivre placée dans le cloître que Tanguy, Bernard et Guillaume du Chastel, firent à l'abbé et aux religieux, à charge de trois messes par semaine, don des dîmes dans les paroisses de Guilers et de Quilbignon, avec d'autres biens ; mais ces dons leur ont été enlevés, et ils ne possèdent plus que la dîme de Guilers, ce qui n'empêche pas de dire les messes commandées. L'abbaye compta autrefois les comtes de Léon parmi ses illustres bienfaiteurs. Ils lui accordèrent une juridiction temporelle et lui transférèrent les droits de bris et naufrages qu'ils avaient acquis des ducs de Bretagne. L'exercice de la juridiction est encore en vigueur, mais, comme il a déjà été dit, les autres droits lui ont été enlevés ».

Bien des particuliers avaient aussi fait des donations ou fondations. Les religieux de l'abbaye avaient donné l'exemple. De ce nombre était l'abbé Brunet et les frères Christophe Kermellec et Jean Thibault.

Pour l'exécution de sa fondation, Christophe Kermellec légua, le 4 novembre 1505, diverses rentes en argent montant ensemble à quarante-quatre livres dix-sept sous six deniers et celle de 16 boisseaux de froment qui lui était due par divers. Les religieux s'engagèrent, de leur côté, à dire chaque dimanche une messe pour le fondateur, à l'autel de N.-D. de Pitié, et le même dimanche, une autre messe de requiem immédiatement après la précédente, messe qui serait chantée à notes si le choeur n'était point empêché ; et, s'il l'était, la messe serait remise au premier jour de la semaine. Enfin, le dimanche, avant la procession, on chanterait deux antiennes devant la tombe du fondateur et un obit le jour anniversaire de sa mort.

Le 5 février 1512, fut conclu entre les religieux et l'abbé Jean Brunet, un acte capitulaire par lequel ce dernier s'engagea à faire payer aux religieux cloîtriers la somme de vingt-six livres monnoie, et ceux-ci s'obligèrent, de leur côté, à célébrer une messe, le lundi et le samedi chaque semaine, en commémoration des princes et autres donateurs de l'abbaye. La messe du lundi serait dite par le prieur et le sous-prieur, alternativement, à l'autel de Notre-Dame, derrière le grand autel, et celle du samedi, au même autel, par le chantre, qui serait tenu d'apprendre aux novices le chant et la récitation de l'office. Une autre messe, à notes, diacre et sous-diacre, serait dite à l'intention du même fondateur et de ses prédécesseurs, le jour de l'Epiphanie, de l'Ascension, du Sacre, et des fêtes de Notre-Dame ; et, pour tout salaire, il serait prélevé sur la somme de vingt-six livres, celle de six livres en faveur du prieur et du sous-prieur ; pareille somme pour les religieux ; cinq livres au chantre ; sept livres au même pour l'entretien de cinq lampes qui seraient placées dans l'église, trois devant le Saint-Sacrement, une devant l'autel de Notre-Dame, et la dernière devant l'autel de Notre-Dame de Pitié ; enfin, quarante sols monnoie seraient laissés au sacriste chargé d'entretenir et d'allumer les cinq lampes.

Le 11 mai 1530 , le frère Jean Thibault fonda, moyennant la donation de quinze livres sept sols quatre deniers de rentes en argent et de deux boisseaux de bled, mesure comble de Gouesnou (dix hauterellées ou cent cinquante livres), le tout partageable par moitié entre l'abbé et les religieux, une messe qui serait dite le lundi de chaque semaine, à l'autel Saint-André, et deux anniversaires solennels à diacre, sous-diacre, chape et sonnerie, les jours de son décès et de saint Clément, à perpétuité.

On peut encore, jusqu'à un certain point, placer au nombre des bienfaiteurs de l'abbaye, François de Kerlech, sieur du Val, avec lequel les religieux échangèrent, le 26 juin 1598, les trois huitièmes de l'île de Quéménez, dont la possession leur avait été confirmée, le 19 janvier 1473, par le duc François II. Les terres données en échange par du Val étaient situées en Plougonvelin, et comme elles valaient sept écus sol de plus que les trois huitièmes de l'île, il en remit quatre aux religieux, et laissa les trois autres à valoir à la dotation de huit écus sol pour la fondation qu'il se proposait de faire d'une messe annuelle.

 

§ XII. — Sépultures remarquables.

Auprès du grand autel, du côté de l'Epitre, il y a un grand et beau tombeau recouvert d'une plaque de cuivre, où est gravée la figure d'un abbé, et, d'après les armoiries, il est démontré que c'est un abbé de Kerlech. De même, du côté de l'Evangile, il y a un tombeau élevé, fait d'une pierre blanche et dure, et dessus est représenté couché un abbé revêtu d'habits pontificaux ; mais, comme il n'est orné d'aucun écusson, il n'est pas facile de reconnaître à qui il appartient. Toutefois, d'après la tradition, la dévotion des pèlerins et les larmes des moines qui viennent se prosterner à ses pieds, il faut croire qu'il renferme les os et les cendres du pieux et dernier abbé régulier (Note : L'Histoire française mentionne ce tombeau en ces termes : « Au costé droict de l'Evangile du grand autel est une grande figure de pierre blanche dure en bosse, de hauteur d'homme, qui est d'un abbé avec quatre petits anges à genoux, à la teste et aux pieds, sous lesquels il y a un chien veillant. On ne sçait quel il est ; mais il est à croire que c'estoit une personne en estime de piété, puisque en ces derniers jours les femmes anciennes, mesme de la première qualité du pays, en passant auprès du dit tombeau, y faisaient toucher leurs chapelets »).

Soit dans les chapelles, soit dans l'église, il y a, ça et là, d'autres tombes ornées d'armoiries, quelques-unes de personnes nobles, le plus grand nombre de moines ; quelques-unes s'élèvent au-dessus de terre, les autres sont au niveau du sol.

Enfin, dans le cimetière de la paroisse, près du monastère, est un tombeau d'une architecture non moins humble qu'antique, et peu élevé, qui, d'après la tradition, renferme les restes de saint Tanguy, ce qui fait qu'il est fréquemment visité par les pèlerins.

 

§ XIII. — Evènements historiques.

L'abbaye de Saint-Matthieu était trop voisine du Conquet, auquel du reste, comme nous l'avons vu, elle se reliait, au temps de sa splendeur par une continuité de maisons, pour qu'elle n'éprouvât pas le même sort que cette ville, soit lors des incursions des Normands, soit pendant les guerres dont la Bretagne fut le théâtre au Moyen-Age. Ce n'est guère toutefois qu'à partir du XIIIème siècle que l'on peut indiquer avec quelque suite les désastres qu'elles éprouvèrent l'une et l'autre.

En 1207, les partisans de Jean-sans-Terre, appréciant les avantages qu'offrait l'occupation du Conquet, s'emparèrent de son port et firent de la ville une place d'armes où seraient cantonnées les troupes qui leur seraient envoyées d'Angleterre. Ils s'étaient mis en si bon état de défense qu'ils se croyaient inexpugnables. Ils s'abusaient, car ils en furent chassés en 1218, et les fortifications qu'ils avaient élevées furent rasées.

Soixante-dix années s'écoulèrent paisiblement, mais le 12 août 1288, eut lieu une sanglante collision causée par les obstacles opposés à des marchands de Bayonne auxquels le duc Jean Ier avait affermé, dix ans auparavant, les seicheries de poisson du Conquet et de Saint-Matthieu, et que les habitants de ces deux localités voulaient empêcher d'exercer leurs droits. Des Anglais se joignirent à ces marchands, et, de concert avec eux, ils brûlèrent le port et l'abbaye. Le roi d'Angleterre, alors en paix avec la France et la Bretagne, désavoua ceux de ses sujets qui avaient pris part à cette échauffourée et les condamna à payer une somme de trois mille cinq cent quatre-vingt-une livres en réparation du dommage qu'ils avaient causé.

Cette attaque fut le prélude d'évènements plus désastreux. Le duc Jean II, qui avait pris part à la guerre que se faisaient les rois de France et d'Angleterre, finit, après avoir changé trois fois de parti, par s'allier à l'Angleterre. La Bretagne n'accepta cette alliance qu'avec répugnance ; elle pressentait que ses nouveaux amis la traiteraient en ennemie dès qu'ils en pourraient trouver l'occasion. Ils la firent naître à la fin de 1294 ou au commencement de 1295. Une flotte anglaise, commandée par le comte de Leicester, se présenta devant Pors-Liogan, entre Le Conquet et Saint-Matthieu, et demanda à communiquer pour se ravitailler. Les habitants, croyant que cette demande cachait un projet de débarquement, qui aurait été suivi d'une occupation, refusèrent d'y consentir. Ce refus les fit traiter en ennemis. Leicester leur accorda d'abord un armistice jusqu'à huit heures du soir. Ils devaient l'employer à délibérer sur les conditions de leur soumission, mais ils le mirent à profit, en réalité, pour essayer l'enlèvement de leurs meubles afin de les soustraire au pillage. Le commandant anglais, s'apercevant de leur fuite et de leur déménagement, débarqua ses troupes qui commencèrent par piller et brûler les maisons et le port du Conquet. Etendant leurs ravages jusqu'à Saint-Matthieu, ils lui firent subir le même sort et enlevèrent de l'église non-seulement tous les objets d'or et d'argent qui s'y trouvaient, deux buffets d'orgues et sept belles cloches, mais même le chef de saint Matthieu. Leicester fit restituer le tout à l'abbaye, dans la crainte qu'en tolérant ce sacrilège il n'encourût un châtiment éternel. De là une tradition qui a eu longtemps cours dans le pays et qui avait fait le sujet d'un tableau placé au bas de l'armoire des saintes reliques : quand les Anglais regagnaient leurs vaisseaux avec leur butin, le saint apôtre leur était apparu et en avait ordonné la restitution.

Ces faits suggérèrent la pensée de fortifier l'abbaye, pensée qui ne fut pourtant mise à exécution qu'après que le duc Jean-le-Bon eût accordé l'autorisation dont nous avons déjà parlée.

Lorsque éclata la guerre de la succession de Bretagne qui, pendant vingt-deux ans, fit de cette province le théâtre de luttes acharnées, Le Conquet et Saint-Matthieu, pris et repris, à de très-courts intervalles, par les belligérants, subirent tous les fléaux que la guerre entraîne à sa suite ; un parti l'occupait à peine que le parti contraire le chassait, et c'était à qui des deux dévasterait le plus. Il n'y avait entre eux d'autre émulation que celle de l'incendie et du pillage.

Le traité de Guérande, qui mit fin à cette guerre en 1365, ne fut qu'une trêve. Le duc Jean IV, gendre d'Edouard, qui l'avait aidé à conquérir son duché, accorda à ce prince, en 1379, le libre passage, à travers la Bretagne, des troupes anglaises qui venaient guerroyer contre la France. Le duc s'excusa bien auprès de Charles V, son suzerain (janvier 1370) de cet acte de félonie de son vassal, mais celui-ci donna un démenti à ses protestations de fidélité en contractant avec son beau-père une alliance offensive et défensive. Charles V, irrité de la duplicité de Jean IV, envoya en Bretagne une armée commandée par Duguesclin. Cette armée avait été obligée, en raison de la saison avancée (novembre 1370) de prendre ses quartiers d'hiver à Saumur et dans les environs. Le connétable, informé que Knolles, retiré à Derval, se disposait à faire passer en Angleterre une partie de ses troupes gorgées des dépouilles de la Bretagne, et que l'embarquement devait se faire à Saint-Matthieu, y détacha Clisson avec quelques autres capitaines bretons placés sous ses ordres. Clisson ayant marché en toute diligence, parvint à atteindre les Anglais au moment où ils allaient s'embarquer. Il les chargea sur le champ, aux cris de : « Du­guesclin ! Clisson ! à mort, traîtres mécréants ! ! Jamais en Angleterre ne rentrerez sans mortel encombrier ». Sur mille Anglais, neuf cents furent tués, et les cent autres pri­sonniers ; parmi ces derniers était Neuville.

Au mois de janvier 1372, le duc ayant conclu avec le roi d'Angleterre un traité permettant à ce dernier d'établir des garnisons dans un grand nombre de villes de Bretagne, principalement dans douze de ses ports, les seigneurs bretons s'en irritèrent et demandèrent l'appui du roi de France pour expulser les Anglais. Les sujets du duc n'étaient pas les seuls qui eussent à se plaindre de lui. Charles V n'était pas moins irrité qu'eux contre son vassal qui, après lui avoir rendu hommage, avait permis à Edouard de débarquer à Saint-Malo et de traverser la Bretagne pour rejoindre l'armée anglaise dans le Poitou. Le roi de France s'empressa de prêter son concours aux seigneurs bretons. Le duc, obligé de se réfugier en Angleterre, en revint en 1373, avec des forces considérables qui lui permirent de reprendre Le Conquet et d'y placer une garnison qui l'évacua, l'année suivante, par suite du traité de paix conclu entre la France et l'Angleterre. L'abbaye eut le même sort que le Conquet.

Les Anglais n'aspiraient qu'à reprendre les positions qu'ils avaient abandonnées. Le projet qu'ils formèrent dans ce but en 1403 ne réussit pas. Trente vaisseaux commandés par l'amiral Penhoat et son fils et portant 1,200 hommes d'armes, ainsi qu'un grand nombre d'arbalétriers et de troupes légères, sous les ordres de Guillaume du Châtel, prévinrent leur attaque, en leur livrant, prés de la pointe de Saint-Matthieu, un combat acharné où ils leur prirent un assez grand nombre de vaisseaux, tuèrent cinq cents hommes et firent mille prisonniers.

L'abbaye n'eût certainement pas été épargnée si le combat du 10 août 1512 eût tourné à l'avantage de nos ennemis. Nous voulons parler du combat livré à la hauteur de Saint-Matthieu et illustré tout à la fois et par l'intrépidité d'Henri de Porzmoguer, commandant de la Cordelière, et par l'embrasement de ce vaisseau.

La revanche que les Anglais tentèrent de prendre l'année suivante ne fut pas plus heureuse. En attirant, dans la baie des Blancs-Sablons, leurs vaisseaux mouillés à l'entrée de la rade de Brest, Prégent de Bidoux, venu de la Méditerranée avec six galères et quatre fustes, leur livra, le 22 avril 1513, un combat où Edward Howard, chef de la flotte anglaise, tomba à la mer avec beaucoup des siens, et se noya comme eux, ce qui détermina les autres vaisseaux à s'éloigner, sans avoir pu mettre à exécution leur projet de débarquement.

Voir   Abbaye Saint-Mathieu (Bretagne) " Prégent du Bidoux (chevalier de Rhodes), et Prégent de Kermeno (châtelain de Haultière) ".

Mais, si les Anglais avaient échoué en 1512 et 1513, il n'en devait pas être ainsi en 1558. Honteuse et irritée d'avoir été dépossédée par le duc de Guise, l'année précédente, de la ville de Calais, que les Anglais possédaient depuis deux cents ans, Marie Tudor envoya lord Clinton, son grand amiral, avec 140 voiles auxquelles se joignirent trente vaisseaux flamands fournis par son époux Philippe II, et commandés par le vice-amiral des Pays-Bas. Cette flotte combinée, portant, suivant quelques historiens, onze mille hommes de troupes et six mille seulement selon d'autres, avait ordre de surprendre Brest et de le détruire. Mais, à son arrivée dans la baie des Blancs-Sablons, le 25 juillet 1558, à huit heures du matin, soit qu'il crût Brest en état de repousser une attaque par mer, soit plutôt, croyons-nous, parce qu'il entrait dans ses vues de l'assiéger tout à la fois, par terre et par mer, l'amiral anglais opéra, au moyen de quinze bâtiments de transport, le débarquement de ses troupes. Le Conquet était alors commandé par le capitaine Goulven Lancelin, qui ne pouvait opposer à l'ennemi que cent quarante hommes et quelques canons. Il tenta néanmoins d'empêcher la descente, mais, accablé par le nombre, il fut contraint de se replier sur Le Conquet, dont les Anglais s'emparèrent facilement Après l'avoir pillé et brûlé, ils se répandirent dans la campagne, où ils étaient disséminés, lorsque vers huit heures du soir survint Guillaume du Châtel, sire de Kersimon, capitaine du ban et de l'arrière-ban de l'évêché de Léon, lequel, à la faveur de la résistance de Lancelin et du système alors suivi pour la défense des côtes, avait pu rassembler, en moins de douze heures, de huit à neuf mille hommes de troupes, tant d'infanterie que de cavalerie. Pour être plus assuré que les milices, composées de paysans, rendraient de bons services, il les avait renforcées de soldats pris parmi les gardes-côtes ou les garnisons des villes voisines. Tous, grâce aux signaux organisés à l'avance, avaient répondu immédiatement à son appel. A la vue des troupes bretonnes, les Anglais, sacrifiant leurs alliés pour s'assurer la retraite, gagnèrent promptement leurs vaisseaux. L'arrière-garde composée de quatre compagnies hollandaises que commandait le vice-amiral Waaken, fit seule tête aux bretons ; mais, malgré le courage qu'elles déployèrent, elles succombèrent. Cinq cents hommes furent tués, du nombre desquels était le vice-amiral hollandais, et l'on fit de 120 à 130 prisonniers.

Au premier bruit de cette descente, les paroisses du Léon et de la Cornouaille se rassemblèrent au nombre de trente mille hommes et vinrent camper en vue des Anglais qui, bien que renforcés de trente vaisseaux, s'éloignèrent à douze lieues au large, toujours observés par les milices dans la crainte d'une nouvelle descente. Le duc d'Etampes, gouverneur de la province, après avoir pourvu à la défense de Brest, de Saint-Malo et des autres places du littoral les plus exposées, vint rejoindre les milices à la tête de quinze mille hommes de pied et de huit mille chevaux. Cet appareil formidable de défense ôta aux Anglais tout espoir de succès et les détermina à remettre à la voile. Assaillis, dans leur traversée, par une horrible tempête, ils perdirent plusieurs vaisseaux ; presque tous les autres éprouvèrent de graves avaries. Ainsi, cet armement qui avait coûté des sommes immenses à l'Angleterre et jeté l'alarme en France, ne causa d'autres dommages que ceux qu'avaient éprouvés Le Conquet et Saint-Matthieu.

Mais ces dommages étaient tels, que ceux qui en avaient été victimes ne devaient jamais s'en relever entièrement. En effet, une enquête à laquelle M. de Lézonnet procéda, le 14 août 1558 (Note : M. Christophe de Kerlech, lieutenant de Saint-Renan, dressa aussi le 5 octobre suivant un procès-verbal des dommages causés à l'abbaye), en vertu de l'ordre que lui avait donné le duc d'Etampes, le 7 du même mois, constata que des 150 (? ou 50) maisons qu'il y avait au Conquet avant la descente, il n'en restait plus que huit entières ; que les 37 navires mouillés dans le port avaient été brûlés, et leur artillerie emportée, ainsi que les cargaisons ; que les habitants n'avaient pas eu le temps de sauver l'artillerie et les munitions déposées à terre, tant pour la défense de la côte que pour l'armement des navires, le tout formant environ 300 pièces de fer et de fonte, comme mousquets, arquebuses à crocs, passe-volants et fauconneaux ; que les pertes personnelles des habitants étaient considérables. Elles s'élevaient pour dix d'entre eux seulement à la somme de trente-deux mille huit cent cinquante livres dans laquelle figurait celle de douze mille cinq cents livres, représentant la valeur de ce que noble homme Sébastien Poncelin de Pouliorch, en Plougonvelin, avait perdu en maisons, meubles, tapisseries, vaisselle d'or et d'argent, artillerie et munitions de guerre. Quant aux pertes de l'abbaye, elles étaient ainsi résumées dans le procès-verbal d'enquête. « Les religieux de l'abbaye de Saint-Mahé rapportent avoir esté brûlé chez eux le dortoir, la sacristie, les chaires de choeur, les images, le chapitre, les ornements, les chasuples, les chappes, les sacraires d'argent doré, les livres, deux paires d'orgues emportées, deux cloches (enlevées ou brisées ?) et une rompue, et au-dehors de leur dite abbaye ont esté brûlés greniers, les halles, l'auditoire et l'establier ; disent que leur perte n'estre point moindre de cinq ou six mille livres ».

L'indemnité accordée à l'abbaye ne suffisant pas, à elle seule, pour qu'elle pût réparer les pertes qu'elle avait éprouvée, il lui fallut prélever l'excédant sur ses ressources personnelles, ce qui demanda un temps assez long, et encore y eut-il des objets qui ne purent être remplacés.

Le souvenir de ces désastres était resté vivace dans l'abbaye. Aussi n'est-il pas surprenant qu'il ait trouvé place dans la requête que les religieux présentèrent, le 13 avril 1688, à la communauté de Brest, à l'effet de s'établir dans cette ville, comme les Carmes l'avaient obtenu, sans parler des Capucins, qui n'étaient encore que tolérés. La perspective d'une guerre prochaine avec l'Angleterre leur présageait des dangers auxquels ils voulaient se soustraire en alléguant « que l'abbaye était située dans un lieu malsain et incommode ; que la violence des vents et des tempêtes causait de grands dommages à l'église, dont les fondements menaçaient ruine ; qu'enfin, brûlée déjà deux fois par les Anglais, elle était encore, en cas d'invasion, exposée au même sort ». Ils demandaient, en conséquence, l'autorisation de se transférer à Brest « offrant d'administrer aux habitants le sacrement de pénitence et autres, compatibles avec leur estat et profession ». La communauté et l'évêque de Léon donnèrent bien leur adhésion à cette requête, mais le roi refusa la sienne.

Les religieux continuèrent donc de résider, et désormais, paisiblement, dans l'abbaye, jusqu'à la suppression des ordres monastiques. Lorsque les membres de la commune de Plougonvelin se présentèrent, le 22 mai 1790, pour dresser l'inventaire de l'abbaye et en constater la situation financière, en exécution de ces décrets, ils trouvèrent quatre religieux qui, loin de chercher à entraver leurs opérations, s'empressèrent de les faciliter. C'étaient : Dom Joseph Baron, prieur, âgé de 64 ans ; Dom Félix Cauchant de La Vicomté, sous-prieur âgé de 54 ans ; Dom Laurent Thomas, simple religieux, âgé de 45 ans, et Dom Pierre-Jean-Marie Jeandrot, procureur et cellérier, âgé de 33 ans. Il y avait aussi un nommé Goulven Kermaïdic, presque aveugle, âgé de 68 ans, qui servait depuis 1741 en qualité de cuisinier. Il avait été affilié, par acte notarié du 22 décembre 1776, et se trouvait dans le cas de ceux qui, sans émission de voeux, s'attachaient aux monastères pour y trouver les moyens d'existence quand l'âge et les infirmités les condamnaient au repos. Par suite de l'acte d'affiliation de 1776, il se trouvait avoir droit à la pension fixée par l'Assemblée nationale.

Dom Baron exposa aux officiers municipaux « que, depuis quarante ans qu'il était religieux, il avait contracté des habitudes qui ne lui permettaient pas de rentrer dans le monde ; qu'il ne désirait rien tant que la conservation de la maison de Saint-Matthieu pour qu'il put y finir ses jours ; qu'il priait MM. les maire et officiers municipaux de prendre en considération l'état de l'église, toute démolie, à l'exception de deux chapelles dont la réparation n'aurait pas entraîné une grande dépense, puisque les anciens matériaux, tels que pierres, bois de charpente, ardoises. etc., existaient encore ; que, sans ces réparations, il serait impossible de célébrer l'office divin qui est le nerf de la religion et de la vie religieuse ; que la conservation de la maison était d'ailleurs nécessaire, parce que, isolée sur le bord de la mer, elle était le seul asyle des généraux et des officiers de terre et de mer, en cas de guerre, aussi bien que des marins naufragés ». Dom Jeandrot appuya les voeux émis par le P. Prieur, mais il était loin de désirer la vie claustrale au même degré que lui, car il ne tarda pas à prêter serment à la constitution civile du clergé, et manifesta des sentiments qui le firent nommer curé de Saint-Renan, où son installation exigea, le 19 juin 1791, l'emploi de la force armée.

Après avoir entendu Dom Baron et Dom Jeandrot, les officiers municipaux s'acquittèrent de leur mission, et trouvèrent parfaitement exacte, sur tous les points, la déclaration que le P. Prieur avait adressée, le 7 janvier précédent, à la municipalité de Brest. Des procès-verbaux qu'ils rédigèrent les 22 mai et 5 août 1790, nous extrayons les détails faisant connaître la situation de l'abbaye lors de sa suppression.

La maison conventuelle était précédée d'une grande cour murée dans laquelle on entrait par une porte surmontée d'un écusson aux armes de Bretagne. Sur les piliers de cette porte sont deux autres écussons. Celui de gauche n'appartenait à aucun des abbés dont les armes ont été précédemment indiquées et l'état fruste de la pierre de celui de droite ne permet pas de le préciser.

Cette cour contenait un hangar ; à gauche était une autre cour où se trouvaient les écuries, un bûcher, le logement du palefrenier avec un grenier à foin au-dessus, une étable et un autre hangar. Sous les fenêtres de la maison se voyait un jardin potager. Le jardin, hors de l'enclos, était d'une étendue considérable et renfermait le logement du jardinier avec les bâtiments accessoires, tels que serre, dépôts des instruments aratoires, etc. Il y avait en outre un petit jardin pour l'amusement et l'occupation d'un religieux.

Le rez-de-chaussée de la maison se composait d'une salle, d'un réfectoire, d'une dépense et d'une cuisine ; le premier étage, d'un dortoir divisé en dix chambres de religieux, d'une salle à manger, d'un salon et d'un parloir ; le deuxième étage de six chambres pour les hôtes, les domestiques et les malades. Au-dessus étaient les greniers dont l'un servait aux réunions du chapitre, un autre au dépôt des objets à lessiver, et un troisième les fosses d'aisance. La tour, à laquelle on montait par un escalier établi à l'intérieur de la maison, contenait une horloge, cinq cloches et une lanterne servant de phare.

Si le mobilier de la maison n'était pas luxueux, il était du moins confortable et suffisant pour des besoins autres que ceux des religieux, comme l'attestait, à lui seul, le service de l'argenterie, composé de 18 couverts, 5 grandes et 12 petites cuillers.

L'église était abondamment pourvue de tout ce qui était nécessaire à l'exercice du culte. Les principaux objets de cette nature qu'on y voyait, étaient six chandeliers, deux burettes avec un plateau, une grande croix avec son bâton pour les processions, une autre croix avec des reliques, une petite croix, une lampe, un encensoir, une navette, un ciboire, une boîte aux saintes huiles, trois calices, un soleil et plusieurs reliquaires, le tout en argent ; onze chapes, treize chasubles avec leurs étoles, manipules et bourses, quarante aubes, quatre pointes de dais, etc., etc.

La bibliothèque, à l'usage particulier des religieux, contenait 110 volumes in-f°, parmi lesquels figurait en première ligne la belle collection des Saints-Pères, texte grec et latin ; 71 volumes in-4° d'ouvrages d'histoire, et 200 volumes in-8 et in-12, que MM. les officiers municipaux appelaient irrévérencieusement bouquins. Dans la chambre priorale il y en avait une autre, composée de 20 volumes in-f° de la collection des Saints-Pères, de l'histoire de Bretagne, de Pouilles, etc., etc. ; de 70 volumes in-4°, et de 144 volumes tant in-8° qu'in-12, traitant du droit canonique, de l'histoire ecclésiastique et de celle de France ou des autres pays. On y conservait aussi, dans une armoire, ce qu'il restait des titres de l'abbaye. Il y a quelques raisons de croire que la bibliothèque du port de Brest, alors bibliothèque de l'Académie royale de la marine, a hérité sinon de la totalité, du moins d'une très-grande partie des livres que possédait l'abbaye. Ce qui nous le fait conjecturer, c'est, d'une part, l'absence complète de livres de théologie dans le catalogue de la bibliothèque de l'Académie de la marine, imprimé en 1788, et d'un autre, leur inscription au catalogue imprimé en l'an VII.

Le revenu total de l'abbaye en 1790, était de dix huit mille cent quatre-vingt-dix-huit livres sept sous neuf deniers, provenant des loyers de maisons, des redevances assez élevées des prieurés, des fermages des terres et surtout de ceux des dîmes, qui avaient dû s'élever graduellement dans des proportions considérables, s'il en avait été dans toutes les paroisses comme dans celle d'Ouessant, où nous l'avons vu, la dîme, en 1689, était affermée trente livres, tandis qu'elle l'était au prix de trois cent soixante livres en 1790. On peut en dire autant de l'île de Molène, affranchie pendant longtemps de toute redevance, et qui, en 1790, était assujettie à une chef-rente de soixante-trois livres indépendante de la somme de quarante-huit livres pour la location d'un moulin.

L'abbaye de Saint-Matthieu fut vendue, comme bien national, le 6 thermidor an IV (le dimanche, 24 juillet 1796), à M. Budoc Provost, du Conquet, qui s'empressa de la démolir complètement et d'en vendre sur place les matériaux à divers particuliers. Quant à l'église, non comprise dans la vente, elle est encore la propriété du Domaine, qui l'a entourée d'un mur depuis qu'elle a été classée au nombre des monuments historiques.

Une autre exception à la vente avait été faite, c'était celle de la tour servant de phare. Placée au-dessus de l'abbaye, on y parvenait par un escalier intérieur. Le feu de ce phare était entretenu, à l'origine, par les religieux, comme nous l'apprend Dom Le Tort, dans un passage de son histoire, où il s'exprime ainsi : « Au milieu (de l'abbaye) est une citadelle ou haute tour carrée, au sommet de laquelle était autrefois la lanterne où l'on allumait un feu pour diriger les navigateurs, et pour l'entretien de ce feu, on avait attribué le droit de bris et d'autres droits sur les navires qui abordaient sur cette côte ; mais les intendants et commandants de la marine s'étant attribué ces droits, en vertu de l'autorité royale, le feu, par ce motif, n'est plus allumé ».

On n'avait pas encore repris l'usage d'allumer ce feu, lorsque l'ingénieur Des Grassières proposa, au mois de décembre 1689, d'y établir un fanal. Ce ne fut, toutefois, qu'en 1693, qu'on commença l'application de son système d'éclairage, consistant en une cage vitrée, placée au sommet de la tour et contenant trois rangs de lampions superposés, deux de six et un de trois. La marine se chargea alors des frais d'installation (deux mille huit cent cinquante-sept livres neuf sous six deniers) et de ceux d'entretien de ce fanal qu'on n'allumait, par économie, que du premier octobre au 31 mars, les navigateurs n'étant présumés courir aucun danger pendant les autres mois de l'année, et qu'on se dispensait même d'allumer pendant les nuits d'hiver où il faisait clair de lune. Au mois de juillet 1694, les religieux représentèrent qu'il était fort incommode pour eux d'ouvrir la porte, la nuit, à celui qui était chargé d'entretenir le feu, et ils offrirent de le remplacer. Mais l'année suivante, M. l'intendant Desclouzeaux, trouvant excessif le mémoire de frais présenté par le P. Prieur, confia l'entretien du phare à un commis des classes du Conquet. Nous ne saurions préciser à quelle époque le mode d'éclairage au moyen de lampions fut abandonné.

Tout ce que nous savons, c'est qu'en l'an VI on se servait de réverbères. Le phare de 1875 avait remplacé, depuis le mois de juillet 1835, celui de la tour, dont les éclipses se succédaient de cent en cent secondes. Il porte alors un appareil lenticulaire du second ordre. C'est un feu tournant dont les éclipses se succèdent de trente en trente secondes, et élevé de 54 mètres au-dessus du niveau des pleines mers d'équinoxe. Sa portée est de 18 milles ou six lieues marines, en supposant l'observateur placé à dix mètres au-dessus de la surface de la mer.

 

Abbaye de Saint-Mathieu, Finistère (Bretagne)

Voir aussi  abbaye de Saint-Mathieu Photos de l'abbaye de Saint-Mathieu prises en 2008 

Nota : Le Nouveau Testament écrit Matthieu avec deux "t". Matthieu est la traduction grecque d'un mot hébreu, signifiant "don de Yavhé". Le mot grecque comporte un tau (t) et un thêta (t aspiré ou th), d'où le "t" et le "th" de Matthieu. Dans certains manuscrits anciens, Mathieu s'écrit avec un "t". Cet usage a prévalu en Bretagne. En breton, Mathieu se dit Mahé ou Mazé ce qui donne aussi Vazé et parfois Maho ou Vahoo. 

 

Bretagne : Histoire, Voyage, Vacances, Location, Hôtel et Patrimoine Immobilier

 © Copyright - Tous droits réservés.