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LA COMMANDERIE HOSPITALIERE DU SAINT-ESPRIT D'AURAY |
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Il existait jadis en Bretagne un assez grand nombre d'établissements religieux appartenant aux Chevaliers hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, mais l'Ordre également hospitalier des Frères du Saint-Esprit possédait dans les derniers siècles qu'une maison : c'était la commanderie du Saint-Esprit d'Auray, dont la belle église, malheureusement sécularisée, subsiste encore.
L'Ordre religieux hospitalier du Saint-Esprit, — qu'il ne faut pas confondre avec l'Ordre royal des Chevaliers du Saint Esprit, créé par Henri III, fut fondé à Montpellier vers 1175, par un seigneur français nommé Guy, qui construisit en cette ville d'abord, puis à Rome même, des hôpitaux destinés à recueillir les infirmes et les pauvres. Vingt-trois ans plus tard, le Pape Innocent III, par une Bulle en date du 23 avril 1198, approuva cette fondation, donna des Statuts et Règlements de vie à Guy et à ses compagnons, érigea leur association en ordre religieux et hospitalier, composé de frères et de soeurs sous le nom d'Ordre du Saint-Esprit, et unit l'hôpital de Rome à celui de Montpellier [Note : Mais après la mort de Guy, le célèbre hôpital de Sainte-Marie in saxia ou du Saint-Esprit de Rome, devint la Maison-mère de l'Ordre]. Les nouveaux religieux suivirent dès lors la règle de saint Augustin, appropriée par Guy aux besoins de son Ordre ; l'oeuvre gigantesque du Saint-Esprit put dès lors se résumer en ceci : « Soins éclairés donnés aux malades, asiles offerts aux orphelins et aux enfants abandonnés, oeuvres de maternité, refuges ouverts au repentir, hospitalité exercée dans toute sa plénitude » (Abbé Brune, Histoire de l'Ordre hospitalier du Saint-Esprit, 68).
L'habillement primitif des religieux du Saint-Esprit consista
en une soutane ou cotte bleu-céleste recouverte d'un manteau noir avec capuce de même couleur ; les soeurs eurent,
comme les frères, la robe bleue et le manteau noir, et sur la tête une guimpe et un voile blanc. Plus tard, au XVIème siècle, les uns et les autres adoptèrent la couleur noire pour tous leurs vêtements.
Guy choisit aussi pour son ordre une croix de toile blanche à double croisillon, avec les extrémités élargies en forme de
pattes ; tous ses disciples portèrent cette croix double cousue
au côté gauche de leur robe et de leur manteau.
Le personnel de l'Ordre du Saint-Esprit se composait de frères, de soeurs, de clercs et d'oblats, sous la conduite de prieurs, précepteurs, commandeurs ou recteurs, placés à la tête de chaque maison, et relevant tous d'un grand maître résidant à Rome.
Pendant plusieurs siècles, l'Ordre du Saint-Esprit — se
répandant non-seulement en France, mais dans une bonne
partie de l'Europe — rendit de grands services à l'Eglise et à la Société par ses nombreux hôpitaux. Mais, comme toutes
les oeuvres humaines, après avoir jeté beaucoup d'éclat, cet Ordre tomba dans le relâchement et dans la décadence.
Il déclina sensiblement en France sous les rois Henri IV et Louis XIII, et tomba en désuétude sous le successeur de ce
dernier. Un arrêt de décembre 1672 déclara « éteint de fait et supprimé de droit » l'Ordre du Saint-Esprit qu'on voulait à
tort, à cette époque, faire passer pour un Ordre de chevalerie, ce qu'il n'avait jamais été. Louis XIV donna tous ses biens aux Ordres de Saint-Lazare de Jérusalem et de Notre-Dame du
Mont-Carmel.
Mais il subsistait toujours quelques Frères hospitaliers du Saint-Esprit ; ceux-ci s'empressèrent de protester, et quoique deux décisions du Conseil d'Etat, en 1689 et 1690, eussent confirmé la sentence attaquée, ils obtinrent à la fin gain de cause. En 1693, une sentence arbitrale rétablit l'Ordre du Saint-Esprit, purement et simplement.
Toutefois, il faut bien l'avouer, cet Ordre avait fait son temps : ses membres ne s'occupaient guère des pauvres et ne recevaient plus de malades dans leurs anciens hôpitaux ; la dissension régnait en outre parmi eux, par rapport à la grande maîtrise, et au sujet même de la constitution de l'Ordre qu'on prétendait être à la fois militaire et hospitalier ; aussi le Pape Clément XIII fit-il sagement en joignant, en janvier 1762, d'une manière définitive, l'Ordre hospitalier du Saint-Esprit à celui de Saint-Lazare (Gourdon de Genouillac.
Dictionnaire historique des Ordres de chevalerie).
Comment les Frères hospitaliers du Saint-Esprit vinrent-ils de Montpellier en Bretagne ? Pour répondre sûrement à cette question, il faudrait avoir les archives de la Commanderie d'Auray ; malheureusement, lorsqu'en 1773 Louis XV concéda le bénéfice de cet établissement à l'Ordre de Saint-Lazare, celui-ci s'empara de tous les papiers et titres du Saint-Esprit.
Voici toutefois ce qu'écrit au sujet d'Auray M. l'abbé Brune,
le savant historien de l'Histoire de l'Ordre hospitalier du Saint-Esprit :
« La tradition porte que la célèbre maison conventuelle d'Auray fut fondée par les ducs de Bretagne, vers le commencement du XIIIème siècle. Le premier document qui la mentionne est la Bulle d'Honorius III, du 23 novembre 1220, par laquelle ce Pape prit sous la protection de saint Pierre l'hôpital et toutes ses dépendances, au nombre de vingt-quatre, à savoir : l'église paroissiale de Saint-Gildas et son annexe en dehors des murs, les hôpitaux de Saint-Malo, Pont-Saint-Esprit, Manciet, Saint-Girons, Taberta, Audignon, Millau, l'Hospitalet, Bergerac, Libourne, Saint-Jean-d'Angely, Fauvette, Mayenne, Montmorillon, Lectoure, La Plagne, Nantes, Tour-de-Bas, Tonnerre avec sa maladrerie, Coutances et ses dépendances de Valognes et de Saint-Lô.
Un nombre si considérable de maisons filiales créées en un temps si restreint, est une preuve de la puissante vitalité de la Maison magistrale d'Auray dès son origine. Elle la conserva durant tout le XIIIème siècle, à la fin duquel son célèbre recteur, frère Jean Monette, lui donna un nouvel éclat. A sa mort, le total des hôpitaux filiaux d'Auray montait au nombre de cinquante, en y comprenant ceux fondés par plusieurs de ses dépendances » (Hist. précitée, 344).
L'hôpital d'Auray avait alors le premier rang en France parmi les maisons des religieux du Saint-Esprit. Frère Monette y tenait régulièrement le 19 novembre, jour de la fête de sainte Elisabeth, les chapitres annuels de sa province. Les actes de trois d'entre eux ont été conservés ; on y voit que beaucoup de recteurs des maisons françaises y assistaient, outre les sujets d'Auray. Il présidait encore son chapitre le 19 novembre 1319, en présence de ses frères, les précepteurs de Marseille, Besançon, Troyes, Dijon, et d'un bon nombre de ses fils. Mais il mourut peu de temps après, car on voit, au mois d'août 1320, frère Pierre Martin faire une nomination en qualité de recteur d'Auray (Abbé Brune, Hist. précitée, 315).
Le style de l'église du Saint-Esprit d'Auray rappelle bien le XIIIème siècle, époque de la fondation de cette maison hospitalière, et le grandiose de ses proportions prouve en faveur de l'importance exceptionnelle de l'établissement.
Voici, du reste, à propos d'Auray, une note adressée à, l'intendant de Bretagne au siècle dernier (XVIIIème siècle), note qui semble avoir été rédigée après lecture de quelque vieille charte alors conservée : « Ce lieu du Saint-Esprit d'Auray était au temps des ducs de Bretagne un lieu de dévotion très renommé ; ils y ont même fait les fondations les plus considérables, parce qu'il était " très plaisant et très agréable à Dieu ", dit le duc Jean dans un acte de fondation de soixante perrées de froment » [Note : D'après M. de Courson, la perrée d'Auray correspondait à un fort boisseau du pays vannetais].
La Maison magistrale et conventuelle d'Auray brilla pendant longtemps d'un vif éclat à la tète de ses vingt-neuf hôpitaux, dont quatre avaient eux-mêmes une famille nombreuse [Note : Coutances, fondé en 1209, possédait sept maisons, Millau huit, Le Pont-Saint-Esprit quatre, et Bergerac deux] : au total, cinquante maisons fondées par cette mère prodigieusement féconde, et relevant de son autorité. Mais les possessions d'Auray étaient trop disséminées, et beaucoup d'entre elles fort éloignées de la Bretagne, celles-ci en Normandie et dans le Maine, celles-là en Bourgogne et en Gascogne ; aussi ces Maisons filiales se rendirent-elles promptement indépendantes de la Maison-mère.
La prospérité d'Auray dut disparaître sur la fin du XIVème siècle ; dès 1434, on trouve l'hôpital livré à un commandeur séculier et les registres romains n'en font plus mention.
Ce premier prieur commanditaire d'Auray est en même temps le premier chevalier que nous trouvons à la tête de cet établissement ; à partir de ce moment, l'hôpital d'Auray sera fréquemment donné à des chevaliers, particulièrement à ceux de Saint-Jean de Jérusalem, et la maison en prendra parfois le nom de « chevalerie d'Auray ».
Le 30 décembre 1434, le duc de Bretagne Jean V concéda donc une foire annuelle en faveur d'Auray ; or, l'on voit par cet acte que l'hôpital était alors aux mains de « Messire Yvon Duval, chevalier » et d'un collège de chapelains. Rien n'indique que ce chevalier prétendit appartenir à une milice du Saint-Esprit (Abbé Brune, Hist. précitée, 294).
Un peu plus tard, en 1451, il est encore fait mention
du collège du Saint-Esprit d'Auray et de son commandeur frère Eon du Val (Couffon,
Recherches sur la chevalerie en Bretagne, II, 502). On appelait à cette époque collège ou collégiale un rassemblement d'ecclésiastiques vivant en communauté et
chargés du service de quelque fondation religieuse d'une certaine importance ; nous verrons bientôt qu'il devait. y avoir au Saint-Esprit d'Auray quatre prêtres obligés à dire journellement, dès le matin ; deux messes basses les lundi, vendredi et samedi, et une seule les autres jours, et à célébrer chaque jour, une grand'messe chantée à neuf heures et le soir les vêpres également chantées (Archives d'Ille-et-Vilaine. C. 2156) ; ils devaient, en outre, s'occuper du soin des malades reçus dans l'hôpital. Il est vraisemblable qu'à l'origine ces prêtres appartenaient à l'Ordre du Saint-Esprit soit en qualité de Frères hospitaliers, soit comme chapelains conventuels. Lorsque la commende s'introduisit dans l'Ordre et amena sa décadence, la maison d'Auray perdit peu à peu son caractère hospitalier, et son commandeur — choisi souvent soit parmi les chevaliers de Malte, soit parmi de simples ecclésiastiques séculiers — diminua le nombre des prêtres attachés à l'établissement et finit par ne plus y en entretenir qu'un simple aumônier.
En 1510, frère Tristan de Languéouez,.chevalier de Rhodes, était commandeur du Saint-Esprit d'Auray et semble y avoir remplacé un certain des Landelles nommé par le pape en 1507 ; il eut pour successeurs frère Louis de Botdéru qui prêta serment de fidélité au Roi le 2 mai 1564 — frère Guillaume de Fromont qui fit de même le 4 mai 1583 — Richard de Sensy commandeur en 1611 — frère François-Alexandre
d'Elbène en 1635 — François-Louis de Rousselet de Châteaurenaud, grand prieur de l'ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel, en 1684 — N... Daverne qui reçut le Saint-Esprit en commende de la main du pape le 18 janvier 1694 — Charles Mignon, simple clerc tonsuré, auquel pareille faveur fut accordée par Louis XIV le 8 septembre 1703 après la mort du précédent — frère Michel de France de Vandeuil qui prêta serment de fidélité le 5 décembre 1725 ; il prenait les titres de
« prestre, chanoine régulier et hospitalier de l'Ordre du Saint-Esprit de Montpellier sous la règle de saint Augustin, commandeur de la Maison magistrale, conventuelle et hospitalière du Saint-Esprit d'Auray » — et frère François-Hugues Pépin
figurant en 1752 et 1762, qui fut le dernier commandeur d'Auray (De Couffon, Recherches sur la chevalerie en
Bretagne).
Ce François Pépin du Montet avait d'abord fait profession en 1711 dans l'abbaye de Chancelade et joui successivement de trois bénéfices dans cette congrégation. Il se qualifia ensuite du titre de commandeur d'Audignon, mais il ne put jamais justifier de son entrée dans l'Ordre du Saint-Esprit. « S'étant emparé de la commanderie d'Auray, à la mort du dernier titulaire, il eut l'idée bizarre de consacrer les maisons du Saint-Esprit à former des élèves pour l'école militaire, projetée par un édit de l'année 1751. Il congédia donc les pauvres d'Auray et mit à leur place six jeunes enfants, qu'il prétendait sortis des meilleures familles de la province, et auxquels il donna un costume bleu, avec la double croix du Saint-Esprit. Dans une demande d'approbation adressée au roi, il se faisait fort, si on lui abandonnait les biens de l'Ordre, d'élever ainsi plus de cinq cents gentilshommes. Il renia à l'Ordre sa qualité de régulier, qu'il avait pourtant défendue avec force dans un Placet imprimé en 1743, et soutint dans un nouvel écrit, où il renouvelait toutes les extravagances du siècle précédent, que l'Ordre était noble et militaire » (Abbé Brune, Hist. précitée, 315).
La bulle de Clément XIII éteignant l'Ordre du Saint-Esprit et un jugement flétrissant rendu contre François Pépin firent échouer ces tentatives.
Nous connaissons les aveux rendus au Roi par quelques-uns de ces commandeurs, notamment par Louis de Botdéru, le 3 juin 1575, et par François-Alexandre d'Elbène, le 7 mai 1654. Nous allons y voir en quoi consistait le temporel ou revenu de la commanderie du Saint-Esprit d'Auray. La dernière de ces déclarations débute comme il suit [Note : Cet aveu nous a été obligeamment communiqué par M. Delalande, négociant à Rennes, qui habite en cette ville, rue Saint-Georges, une maison dépendant jadis des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem et portant encore à son sommet gravée dans la pierre la croix de cet ordre. Au dépôt des archives de la Loire-Inférieure existe un autre aveu du Commandeur François d'Elbène, daté du 26 janvier 1635. Ce chevalier y prend les titres de « commandeur de Villedieu, du Bailleul et de la chevalerie du Saint-Esprit d'Auray »] :
« C'est l'adveu et denombrement par minu que religieux seigneur frère Francois-Alexandre d'Elbène [Note : La famille d'Elbène était originaire d'Italie, mais une de ses branches s'acclimata chez nous : Jean d'Elbène, conseiller au parlement de Bretagne, en 1599, épousa Renée Barrin], chevalier de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, commandeur de Colomniers, Castres, Bellecroix et de la chevalerie du Saint-Esprit d'Auray, diocèse de Vannes, repceveur et procureur du commun trésor dudict Ordre au Grand prieuré de France, présente et baille au Roy nostre sire par devant Vous Nosseigneurs de ses Comptes, du temporel de ladicte chevalerie du dict Sainct-Esprit qu'il tient prochement de Sa Majesté, à debvoir de serment de fidélité, prières et oraisons, en fief amorty, soubs la juridiction d'Auray, évesché de Vannes, pour raison de quoy il a fait ledict serment de fidélité ».
Le chevalier commandeur déclarant entre ensuite dans les détails de la description de sa « chevalerie » et commence par en signaler la Maison principale avec son jardin et sa retenue : « La maison et logix de la dicte chevalerie ô leurs courts cernées de mur, joignant l'église dudict Sainct-Esprit, située audict Auray, contenant soubs fonds un journal et demy.... Je jardin près la dicte maison, cerné de mur, contenant soubs fonds et murailles environ demy journal, ouvrant sur l'issue, vis-à-vis la court et entrée de ladicte maison, des deux costez à chemins qui conduisent dudict Auray à Poulpen et au village des Reclus ».
Quelques pièces de terre contenant cinq à six journaux formaient comme la retenue de la commanderie : c'était assez peu de chose, mais voici des terres plus importantes et d'un meilleur revenu. C'est d'abord « le manoir et mestairie-noble du Moustoir-au-Chevalier, situé en la paroisse de Crach » ; on y trouve tout ce qui constitue un vrai manoir « logix, court, jardrin et pourprix, fuye et bois de haulte fustaye, taillifs et garenne ». Cette métairie « que tiennent Jan Drian et consorts », rapporte chaque année à son propriétaire « par froment LI perrées, par seigle XVI perrées, par migl IV perrées, par avoine X perrées », plus cent sols d'argent et douze chapons.
« Au Moustoir se trouve aussi un moulin à vent que tient Jan Ezanno pour XVIII perrées de seigle par an » [Note : En 1575, le commandeur Louis du Botdéru avait aussi rendu aveu pour la « mestairie noble de Kerangoff, en Locmariaquer » qui ne figure pas dans l'aveu de François d'Elbène].
Vient ensuite une assez longue nomenclature des « tenues à domaine congéable » que possède le commandeur du Saint-Esprit d'Auray dans les paroisses avoisinant cette ville ; voici les noms des principales : les tenues de Kerléau, de Kermarquer et de Kerousers en Crac'h — les tenues de Kerhano, de Kermorvoux, de Larmor, de Keraudran en Locmariaquer — les tenues de Kerguézec, de Kerorperth, de Kerouars en Brech — les tenues de Locmaria, de Kerlevio, de Kergal en Ploemeur...
Nous en avons fini avec les terres composant le domaine — assez vaste comme on vient de le voir — de la commanderie ou chevalerie du Saint-Esprit.
Nous abordons maintenant une autre source de revenus ; ce sont les rentes dues par le duc de Bretagne — c'est-à-dire par le roi de France, depuis l'annexion de la Bretagne à la France et par divers particuliers habitant Auray, Hennebont, et autres paroisses environnantes.
Voici d'abord ce que doit le roi : « Sur le domaine du Roy en sa chastellenie et jurisdiction d'Auray est deub le nombre de soixante perrées de fourment rouge, mesure d'Auray, par fondation faicte des ducs de ce pays et duché de Bretaigne, payable par les mains des repceveurs ou fermiers du Roy en sa dicte chastellenie d'Auray, chacun an, aux termes de la Sainct-Jean en juin et de Noël, à chaque jour par moitié ».
Quant aux particuliers obligés au paiement d'une rente assise sur leurs biens, ils sont trop nombreux pour que nous les nommions ici ; ce sont pour la plupart des bourgeois d'Auray et d'Hennebont.
Le commandeur du Saint-Esprit mentionne ensuite la juridiction lui appartenant à Auray, dans les termes qui suivent : « Plus ledit chevalier a accoustumé de faire tenir ses plaids le lendemain des jour et feste de saincte Elisabeth, qui est le vingtiesme jour de novembre [Note : Cette fête tombe en effet le 19 novembre] sans aucune intimation ny assignation ; quels plaids se tiennent près et au devant la porte et entrée du jardrin de ladite chevalerie où ses hommes et subjects sont tenus comparoir et déclarer respectivement les rentes et debvoirs qu'ils luy doibvent par devant un seneschal, procureur et greffier de sa court, quels il est en possession d'instituer, ô pouvoir de juger et condamner entre luy et lesdicts hommes et subjects ».
Enfin l'aveu de Francois d'Elbène se termine par la déclaration du service religieux qu'il est tenu de faire faire dans l'église du Saint-Esprit d'Auray : « Et pour tout ce que dessus doibt ledict chevalier la servitude que on doibt faire et qui se fait en l'église dudict Sainct-Esprit : entretenir quatre chapelains pour dire tous les jours une messe basse [Note : D'autres titres portent « deux messes basses les lundi, vendredi et samedi »] et une grande messe à haulte voix à neuf heures du matin, et vespres à chant ».
En résumé, le total des revenus de la commanderie d'Auray — en ce qui relevait du roi — atteignait environ cent livres d'argent, deux cents vingt perrées de grain et quatre-vingt chapons. Mais il faut y ajouter les revenus de la foire de sainte Elisabeth et les biens qui relevaient d'autres seigneuries que celles du roi [Note : C'est ainsi qu'on signale en 1754 comme appartenant au Saint-Esprit d'Auray un bois taillis rapportant annuellement 10.000 fagots — les droits de mutation de baillées ou fermes, assez considérables — environ 200 livres de beurre, etc. (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 2156)].
Par lettres du 30 décembre 1434 — avons-nous dit — le duc Jean V avait établi, en faveur du Saint-Esprit d'Auray, cette foire se tenant le jour de la fête de sainte Elisabeth, en novembre, à l'ouest et tout auprès des bâtiments de la commanderie. Le champ de foire sur lequel on éleva une croix dite de Sainte-Elisabeth, est occupé de nos jours par une place où se tient encore un marché. A la suite des « plaids » tenus le lendemain de la foire et où les vassaux venaient renouveler leurs aveux en payant une rente, le régisseur des biens du Saint-Esprit donnait un repas aux juges de la commanderie [Note : Rosenzweig, Annuaire du Morbihan, 1872. — Tous les vassaux du Saint-Esprit devaient se rendre aux plaids de la Sainte-Elisabeth sous peine de dix livres d'amende].
Disons pour finir que le commandeur du Saint-Esprit d'Auray percevait des rentes en argent et en grains dans quinze paroisses dont voici les noms : Saint-Gildas d'Auray, Brech, Pluneret, Crach, Locmariaquer, Plougoumelen, Belz, Mendon, Carnac, Plouharnel, Ploemeur, Ploemel, Vannes, Bourg-Paul-Muzillac et Hennebont (Archives du Morbihan, E suppl. 61, GG, 30). Le tout rapportait au commandeur environ 4.000 livres de rente.
Comme on le comprend facilement, ces beaux revenus excitèrent bien des convoitises lorsque les Frères-Hospitaliers du Saint-Esprit eurent cessé d'habiter Auray.
« En 1643, par exemple, les Carmes déchaussés de Vannes tentèrent d'expulser les " supérieurs et officiers " de la commanderie, afin de s'établir à leur place et de fonder un hospice. Tout le clergé de Vannes s'opposa à ce dessein, de même que la communauté de ville d'Auray ; il n'y avait pas lieu, disait-on, de renvoyer les " prêtres " du Saint-Esprit qui, suivant les clauses de leur fondation, célébraient chaque jour l'office divin " très bien, très dévotement, avec édification, vivant en gens de bien, sans reproche ". Les Carmes ne se tinrent pas néanmoins pour battus, et, quelques années plus tard. (1654), ils prenaient clandestinement possession de la chapelle du Saint-Esprit, menaçant de s'y maintenir malgré les habitants d'Auray. La communauté de ville renouvela son ancienne opposition ; les Carmes durent céder ; mais leurs tentatives eurent, d'ailleurs, un excellent résultat en ce sens qu'elles éveillèrent l'attention des commandeurs engourdis par une longue prospérité, sur les obligations que cette prospérité même leur imposait et sur la nécessité de modifier le but de leur institution, de telle sorte qu'on ne pût à l'avenir en contester l'utilité. C'est donc sans doute à partir de ce moment que, réalisant le projet des Carmes, la commanderie du Saint-Esprit d'Auray ouvrit ses portes à quelques pauvres infirmes » ( Rosenzweig, Annuaire du Morbihan, 1872).
Malheureusement, peu de temps après, l'Ordre du Saint-Esprit de Montpellier fut, comme nous l'avons dit, supprimé par Louis XIV, et ses biens furent donnés aux chevaliers de Saint-Lazare ; les Frères Hospitaliers du Saint-Esprit protestèrent et finirent par être rétablis et remis en possession de leurs biens par le grand roi ; mais on comprend combien dut souffrir de ces tiraillements la commanderie d'Auray.
Dans les premières années du XVIIIème siècle, il n'y a plus de pauvres en cet établissement, et la maison affermée sert à loger des grains et autres récoltes. La commanderie est, à cette époque, l'objet d'un procès entre l'abbé Mignon, qui en perçoit les revenus, et frère Michel de France de Vandeuil, religieux de l'Ordre hospitalier du Saint-Esprit de Montpellier, à qui un arrêt du Grand Conseil du 28 septembre 1715 adjuge définitivement le bénéfice du Saint-Esprit d'Auray, à la charge d'y rétablir et d'y entretenir
« l'hospitalité ».
« Si les habitants d'Auray conçurent quelque espoir de cette décision, il fut de courte durée. A peine le nouveau commandeur était-il installé, que la communauté de ville entamait contre lui un long procès relativement à la propriété d'un terrain voisin de la commanderie qu'il prétendait avoir été autrefois le cimetière du Saint-Esprit, et sur lequel il avait abattu quelques arbres
[Note : Archives du Morbihan, E. suppl. 61, GG., 30. — De cet ancien cimetière subsiste encore un mur dans lequel on remarque deux baies à cintre brisé qui sont probablement des vieilles
tombes-arcades]. La perte de ce procès, à la suite duquel la communauté fut contrainte plus tard, par ordonnance de l'Intendant, de payer à Michel de France une somme de plus de 840 livres, eût suffi pour indisposer la population, si d'autres griefs plus réels n'eussent d'ailleurs tourné contre lui tous les esprits. Quoique la commanderie portât le nom de
" maison hospitalière, conventuelle et magistrale " du Saint-Esprit, quoique le commandeur ne tint ce bénéfice considérable qu'à la condition d'exercer l'hospitalité, il ne recevait, en réalité, ni pauvres de la ville ni passants étrangers ; à peine y trouvait-on quelques enfants. D'un autre côté, les fondations étaient mal desservies par suite du manque de chapelains, les édifices tombaient en ruines, faute de réparations nécessaires, et frère Michel, ne songeait qu'à gaspiller les revenus de la maison. La communauté de ville
se plaignait depuis longtemps, mais en vain, de cet état de choses ; lorsque le commandeur mourut en 1747, elle s'adressa à l'intendant de la province et à l'évêque de Vannes, demandant le rétablissement d'un véritable hôpital » (Rosenzweig,
loco citato).
On ne fit point droit à la requête des habitants d'Auray, et frère François Pépin fut pourvu du bénéfice du Saint-Esprit ; ce commandeur habitait Paris, et s'occupait, comme nous l'avons dit, assez singulièrement de sa commanderie ; il y entretenait seulement un chapelain nommé Habel, et un chantre laïque pour desservir, vaille que vaille, les fondations anciennes, quoique celles-ci comprissent alors plus de 900 messes, outre la messe chantée de chaque jour. Il y logeait et nourrissait gratuitement quelques jeunes gens pauvres de condition. Sa commanderie, disait-il, était indépendante, ne relevant d'aucune autre maison (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 2156).
Du temps de ce commandeur, en 1659, le commissaire des guerres installa provisoirement un hôpital militaire dans les bâtiments de la commanderie d'Auray ; trois ans plus lard, la chapelle du Saint-Esprit servit elle-même de dépôt d'artillerie ; c'était la ruine à bref délai de cet établissement religieux.
Sur les entrefaites, l'Ordre hospitalier du Saint-Esprit fut en 1762 définitivement supprimé par le Saint-Siège, et, en 1773, le Roi concéda à l'Ordre de Saint-Lazare le bénéfice de la Commanderie d'Auray, tout en confiant l'administration de ses biens à l'évêque de Vannes.
Sur une nouvelle requête du bureau d'administration de l'hôpital-général d'Auray, Mgr Sébastien Amelot, évêque de Vannes, autorisé par un arrêt du Conseil d'Etat, prononça en 1777 le décret d'union de la Maison du Saint-Esprit et de tous ses biens à cet hôpital général ; ce décret fut confirmé par lettres patentes du 31 octobre de la même année. Mais en même temps, cédant aux instances du clergé de son diocèse, l'évêque de Vannes se réserva sur les revenus de la Commanderie une rente de 700 livres, destinée à l'entretien au séminaire de cette ville, pendant leurs études de philosophie, de trois jeunes ecclésiastiques à son choix. Le 16 décembre suivant, la communauté de ville d'Auray fit prendre possession des biens qui lui avaient été concédés.
A partir de cette époque, le vieil établissement des Frères hospitaliers du Saint-Esprit devint « l'hôpital général de la Commanderie du Saint-Esprit », et subsista de la sorte jusqu'à la Révolution française.
Il ne reste aujourd'hui de la Commanderie d'Auray que sa chapelle dû Saint-Esprit, « merveilleuse par la dimension de ses baies », malheureusement bouchées depuis qu'on a transformé en caserne ce beau temple, la gloire architecturale d'Auray. Ces fenêtres ogivales — de proportions extraordinaires — n'ont pas moins de 8 mètres de hauteur sur 3 de largeur ; celle du chevet, encore plus gigantesque, haute de 12 mètres et large de 6, présente à l'extérieur des retraites et des colonnettes, ainsi qu'une ligne de sculptures en oves sur le mur, des deux côtés de la retombée de l'arc (Rosenzweig, Répertoire archéologique du Morbihan, 3). Avant que le vandalisme eût atteint ces magnifiques baies, quelles splendides verrières devaient s'y trouver, selon l'usage constant du moyen-âge !
L'église du Saint-Esprit n'avait pas de portail à l'Ouest ; son entrée principale se trouvait au sud : de forme ogivale, une jolie porte s'ouvrait sous un beau porche carré, voûté en pierres, sur croisées d'ogives retombant sur des colonnettes à chapiteau feuillé. L'édifice entier est rectangulaire, construit en grand appareil et flanqué de contreforts surmontés de pittoresques gargouilles en pierre sculptée ; il présente encore au midi une gracieuse tourelle polygonale renfermant un escalier. L'intérieur du temple, long de 40 mètres sur 12 environ de largeur, est divisé en cinq travées ; la nef se trouve séparée du choeur par de vastes arcades ogivales portées sur des colonnettes cylindriques formant faisceau ; enfin, la magnifique charpente en cintre brisé passe, aux yeux des connaisseurs, pour un vrai chef-d'oeuvre en son genre. Comment a-t-on osé dénaturer une construction aussi harmonieusement composée, en la divisant par étages pour y installer des dortoirs et des salles de travail ?.
Ainsi disparaissent les œuvres de l'homme ; mais cette belle église du Saint-Esprit nous donne, en terminant cette étude, une haute idée de ce que fut à l'origine la commanderie d'Auray.
0n ne connaît encore qu'imparfaitement les œuvres hospitalières du moyen-âge en Bretagne ; nous en savons assez pour être convaincus du grand nombre d'établissements charitables fondés par nos ancêtres à cette époque ; mais nous sommes toujours bien ignorants sur la manière dont étaient tenus ces hôpitaux, maladreries et léproseries qui pullulaient littéralement sur notre terre bretonne ; la charité, d'ailleurs, n'a-t-elle pas toujours été en honneur parmi nous ? et existe-t-il d'autre province où le pauvre mendiant soit traité — nous pourrions dire honoré — comme en Bretagne ; n'a-t-il pas sa place au foyer de chaque ferme et à la table de tout laboureur ? Et dans nos pardons si religieux et si pittoresques, les pauvres ne sont-ils pas regardés comme les amis privilégiés de Dieu et de ses Saints ? Cette charité, ce soin du pauvre mendiant ne date pas d'hier chez nous : c'est elle qui donnait jadis naissance aux ports d'aumône où l'on faisait passer gratuitement les fleuves aux voyageurs indigents ; c'est elle qui faisait surgir de terre ces hôpitaux comme le Saint-Esprit d'Auray, dont le principal édifice était l'église, parce que Dieu seul inspire l'amour du malheureux. Laissons donc de côté ce que nous savons des années de décadence de l'Ordre du Saint-Esprit ; à cette époque, nous le répétons, l'oeuvre avait fait son temps. Mais transportons-nous par la pensée aux jours de gloire et de prospérité de notre Commanderie d'Auray : alors qu'elle commandait à cinquante autres maisons hospitalières, alors que quatre chapelains fondés par nos ducs de Bretagne y soignaient, sous la direction du commandeur, les malades du pays et les pauvres étrangers traversant Auray ; alors qu'un office divin solennel se célébrait dans cette magnifique église en l'honneur du Divin Esprit, alors, enfin, qu'on y priait si bien tant de bienheureux, dont les figures étincelantes de beauté remplissaient les merveilleuses verrières du temple, semblant eux-mêmes s'unir aux assistants pour consoler les misérables et bénir leurs bienfaiteurs.
Considérée à ce point de vue, l'église du Saint-Esprit d'Auray — quelque maltraitée qu'elle soit — réjouit encore le coeur d'un breton. Elle témoigne non-seulement de l'amour des beaux arts, mais encore de la foi et surtout de l'esprit charitable qui animaient nos pères ; elle rappelle le double et grand souvenir de nos anciens souverains qui la fondèrent, des Frères hospitaliers qui la desservirent ; elle demeure une preuve incontestée de la vieille charité bretonne ; car si l'on a pu dire avec raison : Bretagne est poésie, il est permis d'ajouter : Bretagne est charité ! (Guillotin de Corson).
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