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JEAN-MARIE BAUDOUIN DE MAISONBLANCHE

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JEAN-MARIE BAUDOUIN DE MAISONBLANCHE.

Avocat à Lannion, Député des sénéchaussées réunies de Lannion et de Morlaix.

(Châtelaudren, 9 janvier 1742. — Lannion, 6 décembre 1812).

Sept villes grecques se disputent l'honneur d'avoir donné le jour à Homère. Deux villes bretonnes réclament l'éminent jurisconsulte qui a codifié le domaine congéable.

Plusieurs biographes, en particulier Kerdanet et Habasque, avaient fait naître Baudouin de Maisonblanche à Châtelaudren, chef-lieu de canton voisin de Saint-Brieuc. M. Levot, dans la Biographie bretonne, assure qu'ils se sont trompés et que Baudouin naquit à Lannion. La question est tranchée par l'acte de naissance que voici, extrait des archives de la mairie de Châtelaudren :

« Jean-Marie, fils naturel et légitime de M. Pierre Baudouin de la Maisonblanche et demoiselle Renée Nicolas (Du Puits), son épouse, né le neuvième janvier 1742, a été batisé le même jour par moi, recteur soussignant ; le parrain, M. Jean Nicolas (De la Lande) et la marraine Demoiselle Anne Maillon qui signent, tous de cette ville. — Signé, Lalande Nicolas, Marie-Anne Maillon, Baudouin, N. Prat, recteur ».

Lannion, qui reçut le dernier soupir de Baudouin, doit donc se résigner à n'avoir pas entendu son premier vagissement. J'ai tout lieu de croire que le jeune Jean-Marie fit ses études classiques au collège de Tréguier alors très florissant, qui eut pour élèves dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, les Hersart de la Villemarqué, les Buhot de Kersers et les Le Gonidec. Reçu avocat au parlement de Bretagne, il vint s'établir à Lannion et se livra à l'étude toute spéciale des coutumes ou usements qui régissaient les domaines congéables. Près de 400,000 habitants de la Basse-Bretagne vivaient sous le régime de ces usements dont l'antiquité remonte à l'époque de l'émigration bretonne au Vème siècle, et l'on ne possédait aucun ouvrage raisonné qui en dévoilât nettement l'esprit et en développât pratiquement les conséquences. La plupart des mémoires présentés en 1580 aux réformateurs de notre coutume étaient absolument perdus ; ceux qui restaient sur les usances de Rohan et de Cornouaille étaient informes, rapidement rédigés et ne fournissaient que des lueurs imparfaites sur les droits respectifs des seigneurs et des vassaux. Il était possible, il est vrai, de suppléer à leur insuffisance par le texte de plusieurs arrêts et par les décisions de quelques auteurs bretons ; mais ces ressources auxiliaires étaient ignorées ou éparses dans des livres d'accès difficile, sans liaison pour former un corps de jurisprudence, car il n'existait pas sur les domaines congéables de loi positive écrite. Poullain du Parc était mort sans débrouiller ce chaos sur lequel il s'était promis de jeter un jour quelque lumière. Baudouin entreprit de réaliser l'oeuvre entrevue par le célèbre jurisconsulte et de codifier une fois pour toutes cette épineuse matière. L'ouvrage parut à Saint-Brieuc, chez Mahé, en 1776, sous le titre de : Institutions convenantières, ou traité raisonné des domaines congéables en général, et spécialement à l’usement de Treguier et de Goello (Saint-Brieuc, chez Jean-Louis Mahé, 1776, 2 vol. in-12).

Bien que l'auteur ne fût âgé que de trente-quatre ans et que la matière fût particulièrement épineuse, son livre eut un grand retentissement, car il donnait satisfaction à des intérêts très nombreux et il était écrit avec une lucidité et une précision peu communes. Après avoir établi que l'essence du titre convenantier réside dans l'aliénation des superficies au colon, avec la faculté de jouir précairement du fond à la charge de redevances et sous l'obligation imprescriptible de souffrir le remboursement, Baudouin faisait découler de ce principe une foule de conséquences de droit commun et groupait autour d'elles, en les développant comme des déductions logiques, les divers usages particuliers. Les recherches historiques auxquelles il se livrait pour établir l'origine du premier principe n'étaient pas seulement de pure curiosité et ne pouvaient être considérées comme inutiles dans un essai consacré uniquement à la jurisprudence, car elles avaient pour but de démontrer que le contrat convenantier n'a rien de féodal : aussi Baudouin pouvait-il dire avec satisfaction dans sa préface qu'il avait enfin « déchiré le voile qui couvrait jusque-là la vraie nature du testament convenantier ».

Je remarque à la fin de sa préface une page fort intéressante :

« Dans l'instant, dit-il, où je finis la première partie de ces Institutions convenantières, après six années de travail et de recherches, la province est inondée de prospectus d'un ouvrage qui sollicite l'anéantissement des Domaines Congéables et qui, en attendant cette grande révolution, doit nous enrichir d'un Traité sur les usements ruraux de la Basse-Bretagne. Ce prospectus prétend que M. Gérard a suivi un plan tout à fait différent du mien, et que son ouvrage est moins un traité de jurisprudence qu'un essai de politique. Ils sont un don précieux du ciel, ces génies sublimes qu'il a créés pour réformer la législation de leur patrie, et donner une nouvelle face à la moitié d'une province qui s'imaginoit jusqu'ici être régie par des loix agraires favorables à sa cullivation. Cependant, comme tous les fonciers ne renonceront certainement pas à leur dominité couvenantière, ni les colons à leurs droits superficiels, j'espère qu'un livre de jurisprudence sur leurs intérêts respectifs ne sera pas mal accueilli, au moins par les magistrats, les seigneurs et les personnes consacrées par état au barreau... ». En écrivant le paragraphe que j'ai souligné, Baudouin ne se doutait probablement pas qu'il serait lui-même, quinze ans plus tard, un de ces génies sublimes appelés à réformer la législation de son pays. La réputation qu'il s'était acquise par son traité des domaines congéables en fut la cause principale. Il s'occupait aussi, du reste, d'économie politique en même temps que de jurisprudence, car je trouve dans ses papiers cette lettre fort intéressante qu'il adressa au chancelier, lorsqu'il fut question, après l'assemblée des notables, de la création des grands bailliages :

« A M. le Chancelier, — Monseigneur, — Les nouveaux édits qui sont émanés du trôné invitent chaque citoien à proposer ses idées sur la meilleure distribution de là justice criminelle. Cette invitation peut servir d'excuse à un avocat patriote, à un sujet respectueux, qui ose déclarer son opinion sur les loix qui ont trait même au civil. J'habite le milieu de la Bretagne et je corresponds fréquemment avec ses extrémités ; j'ai souvent réfléchi ; j'ai sérieusement médité sur la composition de ses différens bureaux. Le bien public m'engage à vous communiquer le résultat de mes réflexions. En général, le Breton aime la chicane et c'est un mal politique dont gémissent les gens honnêtes de la province, les membres même de l'ordre judiciaire qui ont de la probité : le nombre est grand des uns et des autres. Il entre sans doute dans les vues d'un bon gouvernement de mettre un frein à une passion aussi contraire a la tranquillité des familles, aussi opposée aux progrès de l'agriculture et des arts, Comment parvenir à ce but ? Par la réforme des tribunaux ; mais quelle doit être cette réforme ? Voilà, Monseigneur, le point topique, la grande difficulté. Dans les autres provinces, des villes capitales très peuplées, des généralités entières à une très grande distance du siège de leur parlement, peuvent retirer quelque avantage des baillages présidiaux qu'établissent les loix nouvelles : mais veuillez bien considérer, Monseigneur, qu'en Bretagne nous n'avons qu'une coutume généralle, qu'une administration publique, qu'une généralité, jusqu'à présent qu'une jurisprudence. Bientôt trois grands baillages vont nous donner, avec le Parlement, quatre jurisprudences diverses : l'incertitude fera pulluler les procès et dans quatre tribunaux souverains, ou presque souverains, on jugera diversement les mêmes questions dans le même pais, sous l'empire des mêmes loix. Il paroitroit plus simple de nous laisser notre parlement, avec les magistrats et les officiers ministériels qui entrent dans sa composition actuelle. La résistance aux vues du gouvernement qu'il a quelquefois marquée, ne vient nullement du grand nombre des magistrats ; un corps moins nombreux se feroit peut-être gloire d'une plus grande opiniâtreté. Si les offices s'y trouvent dans la suite trop multipliés, le Parlement qu'on pourroit en charger, ne manqueroit pas de les réduire sans commotion. Il est inconcevable, au reste, combien ce tribunal révéré par tous les Bretons entretient parmi eux le patriotisme et le respect pour la personne sacrée de Sa Majesté. L'abus existe uniquement dans les justices seigneurialles et un peu dans les sièges roiaux ; les premières s'exercent ordinairement en champagne et n'ont qu'un juge ; les autres sont censés en avoir trois et sont souvent déserts par la surcharge des drois bursaux dont la procédure y est accablée, quoique les juridictions des seigneurs en soient exemptes. L'inégalité de cet impôt, qui frappe exclusivement sur les vassaux du domaine roial, est remarquable : le remède heureusement est fort simple. Nos géntishommes bretons, propriétaires de ces justices, viennent dé donner des marques trop éclatantes de leur attachement au Parlement de leur Province, pour refuser quelques sacrifices à sa conservation intégralle. Plusieurs se recrient contre les abus énormes de ces justices subalternes et désireroient leur amortissement, pourvu que son universalité rende égal le sort de tous les seigneurs. Veuillez, Monseigneur, proposer indirectement ce parti : je suis persuadé qu'on y accédera. Par là réunion de ces tribunaux, il sera facile alors d'ériger les sièges roiaux en présidiaux dont les compagnies nombreuses rendront une justice plus exacte, sans surcharger le gouvernement, sans préjudicier aux financés du royaume, qui même en recevront quelque accroissement. Le but vraiment paternel de Sa Majesté, son désir que ses sujets soient jugés sur les lieux, sera rempli ; l'esprit de chicane s'extirpera insensiblement et tous les tribunaux de la province seront sous là main immédiate du Roi. Je composai sur cet objet, il y a quelques années, un mémoire qui fut lu et même loué dans un comité de plusieurs magistrats du Parlement. Mes idées sur la suppression des tribunaux et sur l'érection des prévôtés de police s'y trouvent réalisées dans les nouveaux édits : et mon amour-propre, flatté d'avoir sur quelque point pensé avec le cheff de la magistrature, m'a fait oser l'envoi de ce mémoire tel que je le rédigeai. Ma plus grande douleur serait, au reste, qu'on attribuât ma demande au fanatisme politique dont on accuse mal à propos quelques habitans de notre province. Je suis impartial et patriote, Monseigneur. Délivrez mes concitoiens des sangsues voraces, des praticiens subalternes, qui absorbent leur substance : tel est mon unique vœu. Il est digne de l'honnête homme ; et ce titre conciliera votre indulgence à mes rêves de réforme, lors même que vous les jugeriez insusceptibles de réalité. J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur : Baudouin de Maisonblanche, avocat à Lannion, en Basse-Bretagne. Lannion, 10 juillet 1788 » [Note : J'extrais cette lettre des papiers inédits de Baudouin qui m'ont été fort obligeamment communiqués par le tuteur du dernier de ses héritiers directs]. Cette lettre montre bien nettement la tendance d'esprit de Baudouin, et l'on ne s'étonnera pas, après sa lecture, qu’il ait été nommé, avec Rivoallan, député de Lannion à la session des États de Bretagne de février 1789. Le 17 février, il était élu membre de la commission intermédiaire pour l'évêché de Tréguier, et, deux mois après, la sénéchaussée de Lannion le désignait pour la députation aux États généraux, avec le sénéchal Couppé, qui devait faire partie plus tard d'un grand nombre d'assemblées législatives.

Ce n'est pas qu'il eût brigué cet honneur ; si l'on s'en rapporte à la déclaration qui termine la préface inédite de ses mémoires que nous avons publiée en tête de ces notices, il ne l'avait même pas désiré, et il ne l'accepta que par patriotisme.

Je voudrais pouvoir citer ici des fragments notables du journal des États généraux que Baudouin écrivit jour par jour, sous la dictée des événements, du 27 avril au 23 mai ; mais il me faudrait grossir démesurément cette notice, et je me contenterai de saisir à la volée quelques-unes de ses réflexions les plus typiques. [Note : J'ai donné intégralement le texte de ces mémoires dans une étude plus complète sur Baudouin adressée à la Société d'Emulation des Côtes-du-Nord].

Le 27 avril, il a une conférence avec M. Coster, premier commis de Necker et ami des Bretons : la session n'était pas encore ouverte, et, comme Coster lui soutenait pourtant que les États généraux étaient commencés depuis la veille, 26 avril, puisque la proclamation faite avec pompe en était partie intégrante, il lui demanda « si cette assemblée nationale se faisoit avec des hérauts, des trompettes et des tambours ».

Cette phrase que nous.relevons dès le début, indique déjà que le ton des mémoires sera passablement caustique ou frondeur. Le 4, Baudouin constate que, pendant la procession, la foule qui borde les rues et garnit les fenêtres et les toits, crie Vive le tiers ! et claque des mains sur le passage de ses députés. En revanche, à la séance solennelle du 5, il est attendri aux larmes, comme tous ses voisins, et crie Vive le roi ! à en ébranler la salle ; mais il remarque avec peine qu'on a fort peu crié : Vive la reine ! puis il insiste tout spécialement sur l'union qui règne déjà entre les députés du tiers : chez eux, dit-il, nulle difficulté sur les préséances ; et pourtant « nous avons malheureusement des nobles parmi nous, et nul roturier parmi les nobles ». Ceci est dit à propos de Mirabeau qui ne paraît pas lui inspirer beaucoup de sympathie.

Mais bientôt les difficultés commencent au sujet de la vérification des pouvoirs par ordres ou en assemblée commune. Naturellement, Baudouin se déclare pour ce dernier parti et se range à l'opinion d'opposer une force d'inertie invincible aux prétentions de la noblesse et du clergé. Lorsque les ecclésiastiques font connaître, le 7 mai, qu'ils ne se considèrent pas comme simples députés de l'Eglise, mais comme les représentants de la nation entière, il écrit : « Cette protestation a beaucoup plu, parce qu'elle semble annoncer l'adoption des grands principes qui s'opposent à l'isolement des députés choisis dans chaque ordre ».

Voici un renseignement curieux à la date du 8 mai :

« Une calomnie atroce s'est répandue contre le Tiers-État parmi les curés. Des personnes certainement intéressées à semer la discorde leur ont insinué que les communes étoient résolues à altérer le culte divin et à prendre des arrêtés contraires à la religion ; qu'ainsi les ecclésiastiques dévoient se tenir dans leur chambre et voter par ordre, puisque, votant par tête, ils paroitroient avoir participé aux loix irréligieuses qui passeroient à la pluralité des suffrages recueillis per capita. L'imposture est si grossière que la plupart des pasteurs députés en connaissent déjà le faux et voient le piège qu'on veut tendre à leur esprit pacifique... ».

L'imposture n'était pas si grossière, puisque cela devait arriver quelques mois plus tard ; mais on était encore dans toute l'ardeur des généreuses illusions et les gens de bonne foi, comme Baudouin, ignoraient les complots machiavéliques qui se tramaient déjà contre le catholicisme.

Cependant, la situation se tendait de plus en plus et les discussions étaient parfois bruyantes. « Il faut convenir, écrit Baudouin le 12 mai, que nos assemblées sont tumultueuses et indécentes : nulle convenance, nul ordre, n'y sont observés... ». Puis il ajoute, comme par compensation de cette ligne accusatrice contre son propre parti : « Le doyen a annoncé de la part de M. le comte de Luxembourg qu'il y auroit spectacle trois fois par semaine sur le théâtre du château, et qu'à chaque représentation il se distribueroit cent billets pour le Tiers. Cette annonce a indisposé quelques membres qui se sont permis des plaisanteries, peut-être fondées, sur la futilité de ces spectacles dispendieux, tandis que la nation est obérée et que ses représentans doivent s'occuper d'objets infiniment sérieux... ». Le 14, il a grand soin, en signalant la motion de Chapelier pour dresser une déclaration des principes du Tiers et inviter la Noblesse et le Clergé à se réunir dans la salle commune pour opérer en commun, de constater qu'elle a été combinée la veille dans une assemblée des Bretons. Quant à la motion de Malouet, il ne veut plus en entendre parler : « malgré les phrases entortillées de cette pièce, on y voit d'un côté que le Tiers s'y met abjectement aux genoux des deux autres ordres ; de l'autre, qu'il consacre des maximes très éloignées de ses principes : aussi tout le monde l'a-t-il rejetée avec indignation... ». Le 22, au sujet de la motion La Borde rejetée presque à l'unanimité, bien qu'elle eût été accueillie la veille avec une grande faveur, il s'écrie : « Grand exemple de l'importance du renvoi du cueillement des opinions au lendemain ! Hier, le spécieux de la motion l'eût fait admettre infailliblement, si l'on avait aussitôt voté dans la même séance !... ».

Je m'arrête là : aussi bien, Baudouin va nous fausser compagnie, car il écrit en note, après la séance du 23 :

« Je me suis trouvé malade : mon indisposition a duré dix à douze jours ; j'ai discontinué ce journal, et, en relisant cette esquisse, je m'apperçois qu'on n'a rien perdu à la discontinuation d'une aussi mauvaise pièce, dont je désapprouve même plusieurs propositions... ».

Il est regrettable que Baudouin n'ait pas continué son journal : en dépit de sa propre appréciation, nous perdons à l'interruption de cette pièce, car elle a un caractère de franchise et de bonne foi qui eût été précieux pour les époques dites des grandes journées. Son rôle à l'Assemblée Nationale se confond, du reste, avec celui de la députation bretonne tout entière,dont se détachèrent presque seuls, dans le Tiers-état, Hardy de la Largère, député de Vitré, Tuault de la Bouvrie, député de Ploërmel, et quelques autres qui votèrent avec la droite contre les projets de constitution schismatique du clergé. Entraînée par Lanjuinais et aveuglée par les théories gallicanes ou jansénistes plutôt que par l'athéisme philosophique plus commun dans d'autres provinces, la grande majorité du Tiers état breton vota le schisme sans en prévoir les désastreuses conséquences.

Le rôle particulier de Baudouin à l'Assemblée nationale se borna presque exclusivement [Note : Je signalerai cependant son intervention, en octobre 1789, dans la fameuse affaire du mandement de l'évêque de Tréguier. Tout en rendant hommage aux vertus du prélat, Baudouin réclama une vengeance légale au nom de ses commettants. (Journal des Et. gén., II, 400)] à l'étude des transformations législatives qui concernaient le Domaine congéable. Dès le 6 décembre 1789, il présenta un rapport au comité féodal sur les usements de la Basse-Bretagne et, peu après, il publia un Projet, de décret sur les domaines congéables, en faisant ressortir la non-féodalité de l'origine de ces domaines. La loi du 5 août 1791 et celle du 9 brumaire an VI qui régit encore aujourd'hui la propriété convenancière, en réformant l'injuste décret du 27 août 1792, se sont inspirées de ses travaux et lui assurent des droits à la reconnaissance d'un nombre considérable de ses concitoyens qui, sans lui, eussent vu leur propriété sacrifiée à la fausse application de théories absolues et mal comprises.

De retour à Lannion après la clôture de l'Assemblée constituante, Baudouin fut élu maire de la ville à la place de son ex-collègue Couppé, qui, élu en même temps maire et juge au tribunal de district, opta pour cette dernière fonction. Il occupa la mairie du 5 novembre 1791 au 21 novembre 1792. C'est malheureusement la période de l'exécution impitoyable des lois draconiennes et illibérales édictées, au nom de la liberté de conscience, contre les prêtres insermentés, c'est-à-dire contre les prêtres fidèles à l'orthodoxie catholique, qui préférèrent l'exil et la perte de leurs biens à l'acceptation schismatique du nouveau culte imaginé et imposé par des laïcs la plupart incrédules. Tous les fonctionnaires de l'ordre municipal, départemental ou judiciaire, qui consentirent pendant cette période à exercer leurs magistratures électives, durent accepter une collaboration active à la persécution.

J'aime à croire que cette besogne de sectaire parut singulièrement répugnante à l'ancien constituant, et qu'il aperçut enfin l'abîme où la pression anti-religieuse de ses anciens collègues allait jeter la France en la livrant à toutes les horreurs de la guerre civile, car j'ai peine à retrouver sa trace pendant une partie de la période de la grande Terreur, c'est-à-dire de décembre 1792 à décembre 1794. Il se tint, autant que possible, à l'écart des fonctions publiques et se contenta d'exercer celles d'avocat près du tribunal de district. On ne pouvait cependant refuser certaines charges électives sans risquer la guillotine, et j'apprends par une autobiographie que j'aurai bientôt occasion de citer que Baudouin fut, vers cette époque, suppléant de juge de paix, administrateur de l'hôpital et même membre du comité révolutionnaire ; mais l'autobiographie ajoute que ce comité « n'a ni pillé ni persécuté ».

Le 1er mars 1793, le conseil général de la municipalité de Lannion lui délivra le certificat de civisme suivant, qui fut sa sauvegarde au milieu des troubles :

« Nous soussignés, maire, officiers municipaux et notables composant le conseil général de la commune de Lannion, certifions à tous ceux qu'il appartiendra que le citoyen Jean-Marie Baudouin, homme de loi, a, depuis le commencement de la révolution, manifesté et professé des sentimens de civisme, qu'il a rempli avec zèle, distinction et patriotisme les fonctions publiques qui lui ont été confiées, qu'il a fait régulièrement son service dans la Garde Nationale, assisté aux assemblées primaires et rempli d'une manière satisfaisante les diverses commissions dont il a été chargé par les autorités constituées. En foi de quoi, nous lui avons délivré le présent certificat de civisme qui a été donné en conseil général, ce jour 1er mars 1793, l'an second de la république française. —Signé : P.-M. Daniel, maire ; Toudic, etc.... ».

Après la chute de Robespierre, les députés de la Convention envoyés en mission dans les départements de l'Ouest, pour panser les blessures faites par leurs prédécesseurs, songèrent à remplacer, dans toutes les administrations, les fonctionnaires inféodés à la Montagne par des personnages d'opinions modérées et surtout de bonne réputation. C'est ainsi que Baudouin fut nommé administrateur du département des Côtes-du-Nord, par arrêté du conventionnel Boursault, en date de frimaire an 3, c'est-à-dire de décembre 1794. Ce n'était plus le temps où les fonctions étaient obligatoires, sous peine de mort. Baudouin refusa l'honneur onéreux qu'on lui faisait et se rendit pourtant à Saint-Brieuc en attendant que sa démission fût acceptée. Comme l'acceptation n'arrivait point, il écrivit de Port-Brieuc, le 15 pluviôse l'an 3 de la République une et indivisible, la curieuse lettre autobiographique suivante qui demande à être citée tout entière :

« EGALITÉ — LIBERTÉ — PROBITÉ.
Jean-Marie Baudouin, de Lannion (district de lannion, département des Côtes-du-Nord),
Aux Représentans du peuple près l'armée des Côtes de Brest et de Cherbourg.

En régénérant une partie des autorités constituées des Côtes-du-Nord, le représentant Boursault (dont certes je n'êtois pas connu) m'a nommé, sans m'entendre, administrateur du département.

Aussitôt je lui adressai ma démission, mais déjà ses fonctions l'avaient appelé dans d'autres contrées et je n'en ai reçu nulle réponse.

Dans l'absence de ce député qui paraissait chargé de l'épuration des fonctionnaires publics, j'ai réitéré ma demande au comité de législation, dont une lettre du II Pluviôse m'invite à m'adresser à vous pour faire statuer sur ma démission et mon remplacement.

C'est donc à vous, représentans du peuple, que je répète ma déclaration d'abdiquer des fonctions dont je n'ai commencé l'exercice provisoire (suivant les termes mêmes de mon installation) qu'afîn de ne pas entraver la marche d'un corps administratif. Mes motifs d'abdication sont déterminans, ils seront infailliblement accueillis. Agé de 53 ans, ressentant déjà les incommodités d'une vieillesse accélérée par de longs travaux, je dois être placé désormais au nombre de ces arbres trop vieux pour être transplantés avec fruit. Père de dix enfans qui me restent de quinze et dont la mère, mou épouse, est actuellement enceinte du seizième, je me dois à leur subsistance et à leur éducation.

Tels sont sous le règne des bonnes mœurs les premiers devoirs du vrai républicain.

Or, je l'atteste et ma franchise est connue, la modicité de ma fortune ne me permet pas de remplir le premier, celui d'entretenir ma famille nombreuse, si, par ma translation à Port-Brieuc, on me prive des ressources de ma profession. J'exerçais celle d'homme de loi, ou plustôt d'irréconciliable ennemi de la chicane dans les arbitrages, la consultation et la défense des innocens opprimés.

Eloigné de mes foyers, je veillerais encore moins à l'éducation de mes enfants, la plupart en bas âge, et, cependant, je réponds de leur moralité, de leur CIVISME à la république.

J'ai d'ailleurs accepté de mon gendre adjudicataire la rétrocession d'un domaine national, dont le prix, indépendamment des intérêts, des annuités, monte à 43.000 #.

L'exécution de cet engagement sacré m'est absolument impossible, si je continue mes fonctions d'administrateur à Port-Brieuc ; heureusement nulle puissance au monde ne m'arrachera le consentement de me transformer en banqueroutier ou en fripon. Je deviendrais l'un ou l'autre si je conservais une place incompatible avec tous les moiens honnêtes de satisfaire à mes engagemens envers la nation. Ma démission, au reste, n'est pas l'effet de l'égoïsme. Sans m'arroger le titre fastueux d'homme marquant dans la révolution, je lui ai consacré mes faibles moiens dès son aurore en 1788. Membre élu du Tiers aux derniers états de Bretagne, obscur, mais irréprochable député à l'Assemblée constituante, ensuite maire de Lannion en des momens orageux, puis assesseur du juge de paix, en même temps notable et administrateur gratuit d'un hôpital, enfin membre d'un comité révolutionnaire qui n'a ni pillé, ni persécuté, j'ai toujours été, je serai constamment prêt à tout sacrifier pour ma patrie.

Mais elle exige que je sois probe, et, ce vœu de mon cœur, je ne saurais l'accomplir sans être bon père, adjudicataire exact.

Qu'on me place où l'on voudra, fût-ce à la brèche, j'y consens, pourvu qu'il me soit possible d'y vivre ou d'y mourir, honnête. Je ne saurais avec honnêteté demeurer administrateur du département et je me démets.

Fait à Port-Brieuc, le 15 Pluviôse an 3 de la République une et indivisible. Baudoüin ».

La démission ne fut pas acceptée ; mais, le nombre des administrateurs ayant été réduit à cinq, le poste de Baudouin se trouva naturellement supprimé. Deux mois après, par arrêté du 27 floréal an III, les 3 représentants Guezno, Grenot et Guermeur, chargés de continuer l'œuvre de la pacification, le nommaient : commissaire national près le tribunal du district de Lannion, de manière à ne pas lui imposer cette fois de déplacement. Baudouin refusa encore par les mêmes motifs que précédemment ; la décision se fit longtemps attendre, mais on finit cependant par se rendre à ses raisons de père de famille, et sa démission fut acceptée, le 18 fructidor an III.

Mais les tribulations de Baudouin n'étaient pas à leur terme. La destinée impitoyable avait juré de faire de lui un fonctionnaire public, et six mois s'étaient à peine écoulés, qu'un arrêté du Directoire, en date du 10 pluviôse an IV, le nommait juge suppléant au tribunal civil du département des Côtes-du-Nord. Ce poste était réellement peu digne de son mérite et de ses services antérieurs : aussi Baudouin fut-il appelé, peu après, au directoire de l'administration centrale du département, et bientôt il devenait le président de cette administration, c'est-à-dire qu'il exerça des pouvoirs analogues à ceux des préfets actuels de département.

C'est en cette qualité qu'il prononça dans les fêtes civiques obligatoires un certain nombre de discours dont il a précieusement conservé les minutes, et dont il serait intéressant de reproduire ici les principaux : cela nous entraînerait trop loin, et nous les réservons pour une étude générale sur le style oratoire pendant la Révolution. Tant qu'il n'eut à célébrer que les charmes de la jeunesse ou les succès de nos armes, son éloquence toute naturelle coula de source ; mais, lorsque les nécessités draconiennes de la loi l'obligèrent à présider le serment de haine à la royauté, le jour anniversaire de la mort de Louis XVI, son style se ressentit de la violence faite à ses convictions antérieures ; l'expression alors est forcée, les comparaisons exagérées manquent leur but, et l'on sent bien que l'ancien constituant, l'ancien admirateur de la monarchie constitutionnelle, ne parle ainsi que pour obéir à la fatalité.

Baudouin ne se contentait pas de prononcer des discours d'apparat et de circonstance. Il travaillait activement à tous les détails de l'administration départementale, ainsi que le témoigne la présence de son nom au bas des arrêtés les plus importants de cette période ; et, se rappelant son ancien rôle de législateur, il adressait au gouvernement des mémoires sur les réformes qui lui paraissaient nécessaires dans la constitution ou dans les lois. La première page d'un de ses envois à Merlin pour lui exposer quelques idées sur la révision de l'acte constitutionnel, avant la fin de la Convention , serait à citer tout entière, car il y avait quelque mérite à dire aussi franchement les choses à cette époque. Baudouin proteste surtout contre le nombre trop grand de députés qu'il voudrait réduire de 1 pour 40,000 habitants à 1 pour 100,000 ; sans cela, dit-il, on n'a que des gens incapables. Il insiste sur les conditions d'éligibilité et demande l'élection à deux degrés avec renouvellement annuel par tiers. Enfin, il réclame pour les fonctionnaires des compétences de tout ordre. « Tâchons d'avoir pour chaque chose un homme du métier, et tout ira bien si on l'inspecte ». C'est pourquoi il propose la création de censeurs ambulants....

Les avis de Baudouin sur la constitution ne furent pas écoutés, mais il eut plus de succès quelque temps après, en adressant au Corps législatif un mémoire fort important sur les domaines congéables à propos d'un projet de loi proposé par Lemerer, député d’Ille-et-Vilaine. On y remarque un tableau peu flatté de la triste situation des colons à cette époque : il n'était malheureusement que trop vrai et, grâce aux efforts de Baudouin, la loi de brumaire an VI ne vint pas l'aggraver.

Mais reprenons le cours des événements.

Peu après le coup d'Etat de fructidor, Baudouin avait voulu se démettre de ses fonctions, car il considérait in petto la nouvelle révolution comme une violation flagrante du droit public et de la liberté des suffrages : mais il reçut du ministre de l'Intérieur Le Tourneux, le 26 vendémiaire an VI, la lettre pressante que voici :

« Citoyen, c'est avec peine que j'apprens par la lettre que vous m'avez écrite que vous êtes dans l'intention de donner votre démission de la place à laquelle le Directoire exécutif vous a nommé. Personne plus que vous n'est, sous tous les rapports, plus digne de sa confiance, et il serait vivement affecté si des considérations particulières vous portaient à vous éloigner de l'administration. L'intérêt public, celui de vos concitoyens, la voix de la patrie, tout vous y retient. Vous n'y serez pas insensible, je l'espère, citoyen ; vous donnerez dans cette circonstance une nouvelle preuve de votre dévouement au bien général, et il sera pour moi bien agréable d'apprendre au Directoire Exécutif que vous resterez au poste que vous occupez avec distinction. — Salut et fraternité. — Letourneux ».

Après cette lettre, Baudouin jugea qu'il serait imprudent de persister dans son projet et il resta à la tête de l'administration centrale.

Le 18 brumaire survint : tout le système administratif fut remanié par Bonaparte. Des préfets remplacèrent les directoires de département. Le citoyen Boullé, procureur-syndic du Morbihan et ancien collègue de Baudouin aux États généraux, fut mis à la tête du département des Côtes-du-Nord, et Baudouin, condamné au rôle permanent de fonctionnaire malgré lui, fut nommé par arrêté du premier consul, en date du 12 floréal an VIII, juge suppléant au tribunal civil de Saint-Brieuc, puis, neuf jours après, par un arrêté du 21, conseiller de préfecture.

Deux ans plus tard, par arrêté du 3 brumaire an X, Boullé comprenait Baudouin parmi les membres du conseil de commerce du département des Côtes-du-Nord. Si j'ajoute qu'en l'an XI, il figure sur la liste des 550 plus imposés du département ; qu'en pluviôse an XII, l'assemblée du collège électoral du département, présidée par l'évêque de Saint-Brieuc, Mgr Gaffarelli, le désigna comme l'un de ses deux candidats au Corps législatif ; et qu'en brumaire an XIII, il remplaça comme préfet intérimaire le préfet titulaire Boullé qui alla assister officiellement aux cérémonies du Sacre impérial, j'aurai épuisé toutes les distinctions administratives dont Baudouin fut l'objet.

Le 1er nivôse an XII, à l'occasion de son élection comme candidat au Corps législatif, le conseiller d'État Defermon, ancien député de Rennes aux États généraux, lui écrivait :

« Je vous félicite, mon cher ancien collègue, de la nouvelle marque de confiance que vous venez de recevoir de la part de vos concitoyens. Je désire sincèrement que par la sanction du Sénat leur vœu vous reporte encore au Corps législatif. Vous y trouverez plus de calme que dans les jours de dissensions dont nous avons été les témoins ; et ce ne peut être en cette circonstance un titre indifférent que d'avoir siégé avec honneur parmi les premiers représentans de la nation. — Recevez l'assurance de mon dévouement et de mon désir de vous seconder en tout ce qui dépendra de moi. — Je vous salue très sincèrement. — Defermon ».

Fut-ce par dépit de n'avoir pas été choisi par le Sénat comme député au Corps législatif, ou par remords de ses anciens discours sur la Haine à la royauté en présence d'une royauté plus que formidable, ou enfin, et plus prosaïquement, par suite des fatigues de l'âge..., je ne sais au juste, mais, quelques mois après le retour de Boullé, Baudouin adressa au ministre de l'Intérieur sa démission de Conseiller de préfecture, par une lettre dans laquelle je remarque cette pittoresque expression : « La délicatesse et le goût de la vie privée m'ordonnent de désatteler plus tôt que trop tard ».

Baudouin désattela donc et, sa démission ayant été acceptée, il alla se plonger à Lannion dans ses chères études, c'est-à-dire dans l'examen de nos origines armoricaines. Depuis le 24 ventôse an XII, il faisait partie de la Société littéraire et d'agriculture établie à Saint-Brieuc et présidée par Denoual, avec Toudic pour secrétaire. Le 19 germinal an XIII (9 avril 1805), Cambry, Amaury Duval, Eloi Johanneau, Hennin et Mangourit lui signaient un diplôme de membre de l'Académie celtique, où il avait été admis le 4 mars, dix jours après la fondation de cette société. Je n'ai pas à citer ici tous les articles qu'il publia jusqu'à sa mort dans les Mémoires de l'académie celtique et qui ne sont que des fragments d'un grand ouvrage inédit en deux volumes intitulé Recherches sur l'Armorique et les Armoricains anciens et modernes. Ces articles et le reste de l'ouvrage manuscrit sont fort intéressants, mais ils ne pourraient être publiés tels quels : il y règne un abus de l'étymologie vraiment extraordinaire. L'Académie celtique elle-même, de peu suspecte mémoire, recula plus d'une fois devant lui et dut confier à Eloi Johanneau le soin de modérer cette ardeur, en discutant et combattant les assertions de Baudouin dans de curieux contre-articles placés à la suite des siens. Mais ce qu'on ne peut contester à l'auteur de ces Recherches, c'est un patriotisme sincère et un amour inaltérable pour la Bretagne.

Baudouin mourut à Lannion le 6 décembre 1812 à l'âge de soixante-dix ans, laissant une famille nombreuse, dont il reste encore des représentants alliés aux meilleures familles du Lannionnais. Son portrait a été gravé par Voyez jeune, d'après Perrin, et nous représente une belle figure d'ancien magistrat : la noblesse des traits y fait supposer celle du caractère [Note : Sa biographie a été écrite sommairement par l'abbé de Garaby dans l’Annuaire des Côtes-du-Nord, et par Cayot Delandre dans la Biographie bretonne]. La longue et laborieuse carrière de Baudouin n'est pas exempte d'erreurs, mais jamais on n'a pu contester sa probité austère ni son désintéressement. J'ai traversé sans tache, dans des emplois publics, la révolution tout entière, dit-il lui-même dans sa dernière lettre de démission. Je ne lui veux pas d'autre oraison funèbre.

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Mémoires inédits de Baudouin-Maisonblanche.

A MES ENFANTS

JOURNAL DES ETATS GÉNÉRAUX DE 1789.

PRÉFACE.

Les vicissitudes dans l'administration, les changements rapides dans le ministère, les variations dans la législation excitaient déjà beaucoup de fermentation en France, lorsque les notables convoqués en 1787 soulevèrent le voile qui pallioit aux yeux, du vulgaire le déficit immense de nos finances. Menacés de l'impôt territorial sous une forme ruineuse, de l'impôt du timbre accompagné de formalités minutieuses et d'amendes effrayantes, les François, par un cri général qui retentit d'une extrémité du roiaume à l'autre, demandèrent la convocation des États généraux ; la noblesse, les corps les plus puissants joignirent leur voix à celle du peuple, et les Parlemens eux-mêmes semblèrent prévenir ou exciter le vœu commun, en déclarant unanimement qu'à la nation seule et non à eux, appartenait, malgré la possession contraire de deux siècles au moins, le droit éminent de convertir les impôts.

La bonté de Louis XVI n'a pu se refuser à ce désir universel et la convocation des États généraux a été promise.

Mais avant la fixation de l'époque où ils se tiendroient, des coups d'État frappés inopinément par l'autorité ministérielle mirent la France en combustion. Les édits du mois de mai 1788 préparés dans le secret, rédigés dans le silence avec beaucoup d'art, établirent des présidiaux et des grands bailliages, réduisirent les parlements, créèrent une cour plénière permanente pour la vérification des lois futures ; celles dont on parle furent enrôlées dans le même tems à tous les commandans, à tous les intendans des Provinces, qui les firent enregistrer en leur présence, à main armée.

La réclamation fut univoque de toutes parts contre le despotisme de cette législation nouvelle : en Bretagne surtout, les têtes s'exaltèrent au plus haut degré ; Rennes qui, privé des avantages du commerce, doit son importance au Parlement, se récria d'abord contre ces actes de pouvoir arbitraire ; tous les tribunaux se fermèrent, le cours de la justice fut partout interrompu, la noblesse adressa au roi des mémoires ardens contre les édits et les ministres qui y avoient coopéré. Les avocats de Rennes firent des représentations ; ceux des sièges présidiaux et Roiaux prirent des arrêtés avec serment de n'accepter aucun office dans les nouveaux tribunaux ; les gentilshommes députèrent vers le roi 12 membres de leur ordre qui furent détenus à la Bastille : 54 Bretons des trois ordres se rendent aussitôt à Versailles, sollicitent, menacent et subjuguent la mollesse du gouvernement.

Enfin les loix sont retirées, la tenue des États généraux assurée au commencement de 1789 et la Bretagne semble jouir de la perspective du calme après un orage aussi violent.

Mais l'esprit public qui avait animé les Bretons dans ces discussions, ne demeura pas oisif ; après avoir concouru avec la noblesse à repousser le despotisme ministériel, il songea bientôt à se soustraire au joug de l'aristocratie des nobles. Les municipalités de Rennes et de Nantes donnèrent le premier exemple d'arrêtés, où les droits primitifs et imprescriptibles de l'homme furent établis contre l'oppression actuelle qui accable le peuple, exemple bientôt suivi par toutes les autres villes dont les délibérations imprimées circulèrent avec profusion et même par les campagnes dont les corps politiques adhérèrent formellement dans des assemblées capitulaires aux résolutions municipales.

Les États provinciaux allaient s'ouvrir et la noblesse bretonne s'y rendit en très grand nombre pour défendre ses privilèges abusifs contre la nation qui en demandoit la réforme.

Dès l'ouverture de l'Assemblée à la fin de décembre 1788, le Tiers-État requiert, avant de consentir à aucune commission, la lecture publique de ses doléances : c'était le vœu de toutes les communes. L'Eglise et la Noblesse crient constamment au renversement de l'ordre, refusent d'écouter : le Tiers se retire, les Etats sont suspendus par ordre du Roi jusqu'au mois de février ; dans l'intervalle des rixes s'élèvent d'abord entre la valetaille soudoyée et les jeunes bourgeois, puis entre ceux-ci et les gentilshommes dont quelques-uns perdent la vie dans un combat presque général le 27 janvier 1789. La prudence du comte de Thiars, commandant de la province et digne de cet emploi éminent, appaise ces émeutes et la jeunesse bretonne les rendit bientôt impossibles par une association défensive, qui, en offrant à la noblesse une masse imposante et toujours supérieure de défenseurs du peuple qu'elle voudrait maltraiter, ne lui permit plus les voies de fait, sans une extravagance pour elle dangereuse. Cependant l'aigreur qui régnoit entre le Tiers et les deux autres ordres était encore trop grande pour les rassembler. L'Église et la Noblesse votèrent séparément les impôts et la continuation des commissions intermédiaires ; le Tiers-État y consentit également, mais il répéta ses arrêtés et en prit d'ultérieurs pour la réforme du parlement qui s'êtoit très imprudemment déclaré en faveur des ordres privilégiés. En recevant les cahiers du Tiers, la réponse du Roi fut très sage ; il exhorta beaucoup à l'union et, par une circonspection digne d'un monarque citoyen, il déclara qu'il ne statuerait sur les griefs du peuple breton, qu'après l'avis des États généraux, déjà convoqués au 27 avril 1789.

Ces circonstances ont rendu très difficile la convocation de la Province. Le Tiers, dans ses dernières séances à Rennes, l'avoit demandée aux évêchès ou assemblées de districts. La Noblesse et le Clergé tenoient à la nomination des députés dans l'Assemblée des États prorinciaux. Comment concilier des vœux aussi discordans ? Le gouvernement a pris un parti mitoïen. D'un côté, par un règlement du 16 mars 1789 spécial à la Bretagne, le Tiers a élu ses députés par sénéchaussées dans les formes prescrites par un règlement du 24 janvier précédent, général par tout le roiaume. D’une autre part les gentilshommes et les ecclésiastiques ayant le droit d'assister aux états de la province ont été convoqués à Saint-Brieuc pour y nommer leurs représentants, mais en même temps les ecclésiastiques du second ordre, les recteurs, les chefs de communautés ecclésiastiques et religieuses se sont, en vertu du règlement du 16 mars, assemblés dans la ville épiscopale de chaque diocèse pour choisir parmi eux des représentai du Clergé. Le nombre en étoit d'abord indéterminé par le gouvernement dont les ordres se bornoient à enjoindre la nomination d'une quantité fixe d'électeurs qui se rassembleraient ; mais le haut clergé réuni à Saint-Brieuc, ayant refusé de députer, celui du second ordre de la province a reçu l'injonction de choisir 22 de ses membres. L'évêché de Saint-Pol de Léon qui devait en élire deux est le seul qui n'ait pas obtempéré aux volontés du Roi, quoique les ecclésiastiques eussent déjà nommé leurs électeurs.

La Noblesse réunie le 16 mars à Saint-Brieuc et les jours suivants a montré la même résistance que le haut Clergé. Ces deux ordres ont fait une protestation sur ce que les députés de Bretagne aux États généraux n'étoient pas choisis dans la tenue des États de la Province suivant l'ancien usage ; ils ont en même temps déclaré que quand la NATION BRETONNE seroit légalement assemblée, ils étaient disposés : 1° à réclamer une représentation plus étendue du clergé et du tiers état ; 2° à voler l'égalité proportionnelle des impositions qui seroient consenties par les mêmes états. Les procureurs généraux syndics ont été chargés de notifier cette protestation à l'Assemblée des États généraux.

De là il est arrivé que les seuls députés du Tiers et du Clergé inférieur de Bretagne se sont rendus à Versailles. Leur position critique n'a que mieux fait ressortir leur obéissance aux volontés du Roi et leur attachement au titre précieux de Français. Cependant leur situation n'en est pas moins désagréable ; ils ont à lutter en effet contre la noblesse et le haut clergé de leur province, — contre le gouvernement, qui s'attend à en arracher l'abandon de leurs privilèges, — contre les autres généralités, qui voient d'un œil jaloux ces privilèges particuliers, — contre leurs propres concitoïens, qui s'attendent à beaucoup plus d'innovations heureuses pour l'ordre du Tiers et surtout pour le peuple, qu'il ne sera pas possible d'obtenir. Le courage et le patriotisme soutiennent ces représentans des communes bretonnes.

Mes enfans, votre père est de ce nombre ; il vous proteste devant Dieu, il vous jure par l'amour paternel, qui doit toujours instruire sa postérité de la vérité des faits, qu'il n'avoit point brigué, qu'il ne désiroit même point cet honneur. La médiocrité de sa fortune que jamais il ne voulut agrandir par des voies abjectes ou malhonnêtes, la conviction de son infériorité à cette mission sublime, et, vous l'avouerai-je, le plésir (sic), l'unique qu'il connût, de vivre continuellement avec vous et votre respectable mère, tous ces motifs l'éloignoient de la carrière dans laquelle ses concitoïens l'ont lancé, malgré la résistance qu'il montra sincèrement dans l'assemblée des électeurs.

Puisse-t-il répondre à leur confiance ! Son zèle leur répond de ses efforts ; mais auront-ils quelques succès ? Fasse le ciel qu'ils en obtiennent, il l'espère des bonnes vues du gouvernement et du mérite des autres représentons de la nation.

BAUDOUIN.

(R. Kerviler).

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