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LES BONNETS ROUGES

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Sommaire. - Arrivée du duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne (2 mai). - Troubles à Nantes, Vannes, Dinan, etc. - M. de Chaulnes fait ordonner par le Parlement le rétablissement des bureaux (4 et 18 mai). - M. de Chaulnes à Nantes. - Emeute à Guingamp (24.25 mai). - Révolte de Châteaulin (6 ou 7 juin) et de tout le pays de Poher.

Duc de Chaulnes (Bretagne)

Tous ces alarmants symptômes forcèrent aussi le duc de Chaulnes de revenir, ou plutôt de venir dans son gouvernement. Depuis 1670, ce seigneur avait le commandement supérieur de la province, mais avec le simple titre de lieutenant-général ; il venait tout récemment d'obtenir la dignité de gouverneur, et n'avait point encore fait en cette qualité sa première entrée à Rennes, où il arriva le 2 mai au soir, entre six et sept heures. Mais il avait interdit d'avance toute réception solennelle. La cérémonie se borna donc à une escorte de deux ou trois cents gentilshommes, qui se rendirent au-devant de lui à trois quarts de lieue sur la route de Fougères, et le conduisirent jusqu'au manoir épiscopal [Note : Il était alors situé entre la cathédrale, la rue Saint-Guillaume et celle de la Cordonnerie, aujourd'hui rue de la Monnaie], où devait être sa résidence ; puis, à une pluie de harangues, qui tombèrent dru et serré sur le pauvre gouverneur pendant toute la soirée du 2 mai et la matinée du lendemain.

 Duc de Chaulnes

 

Le 3 mai, après dîner, M. de Chaulnes alla à l'hôtel de ville présider l'assemblée municipale ou, comme on disait alors, la communauté ; là, il essuya d'abord une longue harangue du procureur-syndic [Note : Charge qui répondait à peu près à celle du maire de nos jours, toutes différences réservées, bien entendu], mais intéressante pourtant malgré sa longueur, parce qu'elle traitait de la question à l'ordre du jour, c'est-à-dire des troubles de Rennes, et concluait à l'envoi d'une députation chargée de faire connaître au Roi la complète innocence de la ville et le zèle qu'elle avait montré pour réprimer le désordre. « M. de Chaulnes, dit un témoin oculaire (M. de la Courneuve), y répondit très fortement, approuvant la députation et témoignant vouloir que la volonté du Roy et ses ordres fussent inviolablement exécutés ». Cette députation partit, en effet, peu de jours après. Quant à M. de Chaulnes, sa réponse finie, les bourgeois lui offrirent une collation, consistant en cinq bassins de confitures sèches, les unes de pommes d'api ou de poires de bon-chrétien, les autres d'oranges douces, avec quantité de bouteilles de vin. Pour vider toutes ces bouteilles, on se mit naturellement à porter des santés, et, de l'un en l'autre, on but un peu à la santé de tout le monde : au Roi d'abord, comme on pense, puis à M. de Chaulnes, à M. de Lavardin, à M. le marquis de la Coste, lieutenant-général en Basse-Bretagne, à M. de Coëtlogon père, rentré de la veille à Rennes avec M. de Chaulnes ; enfin, pour mettre à sec les derniers flacons, à la santé de la noblesse et à celle de la communauté de ville : deux santés plus opportunes à porter, peut-être, que toutes les autres. Puis le syndic fit tirer une double salve par tous les canons de la ville, aux cris répétés de : Vive le Roi ! Après quoi M. de Chaulnes salua les bourgeois et rentra chez lui. Le pauvre homme espérait, sans doute, s'y reposer en paix de tant de bruit, de harangues et de confitures ; mais il avait compté sans son hôte, et cet hôte c'était la révolte. Rennes, il est vrai, ne bougea pas ce jour-là (3 mai) ; mais, vers la fin de la soirée, on y apprit avec effroi, par des lettres et des courriers, que, durant les deux ou trois journées précédentes, des troubles plus ou moins graves avaient éclaté dans la plupart des villes de Bretagne, entre autres, à Montfort, Dinan, Lamballe, Vannes, surtout à Nantes. Ainsi l'agitation s'étendait déjà dans toute la province.

Toutefois, ces nouveaux désordres n'avaient pas la gravité de ceux dont Rennes avait eu le triste spectacle dans la journée du 18 avril ; c'est du moins ce qu'on peut conclure des troubles de Nantes, qui semblent avoir été les plus forts et qui sont d'ailleurs les seuls dont on sache quelque détail.

Ce fut comme à Rennes un mouvement exclusivement concentré dans les classes inférieures, et auquel la bourgeoisie ne prit aucune part. A la tête des séditieux marchaient deux femmes, la Veillone et la Lejeune, celle-ci femme d'un confiseur et l'autre d'un menuisier ; deux des plus compromis avec elles étaient un boucher et un tripier. Pendant que cette bande séditieuse parcourait les rues, la Veillone fut arrêtée et on l'emprisonna au château. A peu près dans le même moment, l'évêque (Mgr. de la Baume Leblanc, évêque de Nantes de 1668 à 1677) sortit et se présenta aux séditieux, pour tâcher, par la douceur et les bonnes paroles, de les faire rentrer dans leur devoir. Au lieu de l'écouter on se saisit de sa personne, on l'enferma dans la chapelle de Saint-Yves, près de la Boucherie, et l'on envoya dire à M. de Molac (Sébastien de Rosmadec, marquis de Rosmadec, baron de Molac, etc.), gouverneur de la ville et du comté de Nantes, que ce bon prélat serait traité exactement comme on traiterait la Veillone, pendu sur l'heure si on la pendait, relâché si on la mettait hors de prison. Les rebelles eussent-ils vraiment exécuté leurs menaces ? On en peut douter. Mais M. de Molac, qui préférait les voies douces aux rigoureuses, n'en voulut pas faire l'épreuve ; en échange de l'évêque il leur rendit la Veillone, et fit même (ce semble) porter par elle au peuple des paroles conciliantes, qui amenèrent la fin de l'émeute sans effusion de sang [Note : Travers, Histoire de Nantes, III, p. 435. Seulement il rapporte ces faits à l'an 1673, ce qui est une erreur, comme je le prouverai dans une Note spéciale sur la sédition de Nantes], Nous verrons plus tard quel fut pour M. de Molac le fruit de ces procédés pacifiques, qui honorent autant son jugement que son caractère.

Quoi qu'il en soit, dès que toutes ces mauvaises nouvelles furent arrivées à Rennes, le 3 mai au soir, l'inquiétude se répandit dans tous les esprits ; le gouverneur écrivit immédiatement aux diverses villes de Bretagne, et leur enjoignit de prendre des mesures pour maintenir ou rétablir la tranquillité publique ; d'autre part, beaucoup de gentilshommes quittèrent Rennes pour retourner dans leurs terres, si bien que le lendemain matin, quant M. de Chaulnes se rendit au Parlement avec les lieutenants du Roi, pour y prêter le serment de gouverneur-général de la province, il ne se trouvait plus dans son cortège que très peu de noblesse. - Après son serment prêté, le gouverneur adressa à la Cour une allocution où il la pressait de faire rétablir les bureaux détruits à Rennes dans la journée du 18 avril, et de prendre immédiatement les meilleures mesures pour assurer la complète exécution des édits et déclarations du Roi touchant les nouveaux impôts. Sous le coup de cette demande, le Parlement rendit un arrêt enjoignant à tous les étrangers et gens sans aveu qui habitaient Rennes depuis moins de trois ans, de quitter la ville dans vingt-quatre heures, sous peine du fouet pour eux-mêmes, et de cinq cents livres d'amende pour quiconque, passé ce délai, leur donnerait asile. En même temps la Cour commit deux de ses membres (Joachim des Cartes et Jean de Bréhand) pour dresser procès verbal de l'état des bureaux et informer contre ceux qui les avaient rompus (Registres secrets du Parlement) : présage infaillible du prochain rétablissement de ces mêmes bureaux dans la forme qu'ils avaient avant la sédition.

Cet arrêt, sitôt connu, excita dans tous les rangs de la population un murmure universel. Le peu de noblesse qui avait accompagné le duc au Parlement s'esquiva immédiatement sans attendre, en sorte qu'à sa sortie il ne resta auprès de lui qu'une douzaine de gentilshommes qui n'avaient pu se retirer à temps. Il en marqua à ceux-ci toute sa surprise, se plaignant de cet abandon ; à quoi ils lui répondirent franchement que ces édits et ces bureaux ruinaient tout le monde, les nobles et les bourgeois autant que les paysans : réponse qui ferma la bouche au duc et le rendit fort soucieux. Ce n'était point sans motif, car la fermentation devenait générale dans la ville ; on répandait de tous côtés des manifestes, des billets d'avis contenant des menaces et des projets d'entreprise et par­dessus tout des sentiments dont l'explosion effraya tous les commandants. Aussi ne crut-on pouvoir prendre trop tôt des mesures pour assurer la conservation de la tranquillité et le maintien des bureaux, dont le Parlement venait de décréter le rétablissement. Dès l'après-midi de ce jour (4 mai), M. de Coëtlogon, le père, fit décider par la communauté de ville que l'on formerait un corps de deux cents hommes, pris entre les plus aguerris de toutes les compagnies de milice bourgeoise, lequel servirait chaque jour par quart pour garder les bureaux, moyennant une solde quotidienne de vingt sols par tête. Mais comme ces bureaux n'étaient point encore rétablis et ne le furent en fait que seize jours plus tard, c'est-à-dire, le 20 mai [Note : Le rétablissement des bureaux fut ordonné par arrêt du Parlement, dès le 18 mai ; mais l'arrêt ne fut exécuté que le surlendemain (Reg. secrets du Parlement et Journal de du Chemin)], on modifia le lendemain (5 mai) cette délibération, et l'on arrêta seulement que chacune des cinquantaines de la haute ville (à l'exclusion de celles de la basse) monterait la garde chaque jour, et l'une après l'autre à l'hôtel de ville, dont on transforma incontinent la grande salle en corps-de-garde ; et cet arrêté commença à être exécuté le 6 mai [Note : Ou le 8 seulement, suivant la Relation de Morel mais elle est assez confuse en cet endroit, et le témoignage de La Courneuve me semble plus sûr]. Seulement, comme il n'y avait dans la haute ville que douze cinquantaines, quand chacune d'elles eut monté une fois la garde, on se borna, pour alléger le poids du service, à les mander désormais à l'hôtel de ville, moitié par moitié, en sorte que le tour de chaque milicien ne revint plus qu'une seule fois en vingt-quatre jours, au lieu de revenir de douze en douze (Journal de La Courneuve et Relation de Morel).

On remarquera la défiance témoignée en cette occasion aux faubourgs, et même à cette partie de la ville close, sise au midi de la Vilaine, que l'on appelait la basse ville, laquelle était habitée presque exclusivement par les bouchers et autres gens de métiers, regardés comme la dernière classe du peuple et surtout la plus remuante. Cette défiance n'en était pas moins une maladresse, très propre à entretenir une irritation qui ne pouvait manquer de porter des fruits funestes.

Pourtant rien ne parut d'abord, et les bureaux ayant été définitivement rétablis le 20 mai, le duc de Chaulnes crut pouvoir quitter Rennes sans crainte dès le lendemain, avec M. de Lavardin, pour aller à Nantes recevoir des troupes que le Roi y avait envoyées et pourvoir au remplacement temporaire de M. de Molac. Celui-ci, en effet, était tombé en disgrâce auprès du Roi, ou tout au moins des ministres, pour n'avoir pas étouffé dans le sang l'émeute de Nantes ; cette douceur qui lui avait si bien réussi fut taxée de faiblesse, et il reçut à la fois ordre de quitter son gouvernement et défense de se présenter à la cour. Dès l'arrivée de M. de Chaulnes, il lui remit ses pouvoirs. Ce dernier s'occupa alors de faire arrêter, juger et punir par le grand prévôt de Bretagne, sans appel au Parlement, les individus les plus compromis dans la sédition nantaise dont j'ai parlé ; puis il établit M. de Lavardin dans le commandement retiré à M. de Molac, et revint à Rennes, où il rentra le 31 mai [Note : Journal de La Courneuve et Lettre de M. de Chaulnes à Colbert, du 12 juin 1675].

Pendant que la Haute-Bretagne semblait reprendre quelque calme - calme trompeur, il est vrai, et qui n'était qu'à la surface - l'agitation ne cessait de croître en Basse-Bretagne. Le 20 mai 1675, dans une délibération de leur communauté de ville, les bourgeois de Guingamp signalent la pressante nécessité et le péril évident où l'on était dans le plus fort des troubles de la province [Note : Compte d'Olivier-François Allain, Sr. de Kercadou, maire, procureur-syndic et miseur des bourgeois de Guingamp, en 1675 et 1676, article 11ème]. Ils s'étaient pourtant hâtés de se conformer aux ordres expédiés de Rennes, le 3 mai, par M. de Chaulnes ; ils avaient mis sous les armes toute leur milice, établi des corps-de-garde et un service régulier, réparé de leur mieux les brèches de leurs murailles, fait des approvisionnements de poudre et de balles ; à cette date du 20 mai, ils possédaient dans leurs murs le marquis de la Coste, lieutenant-général du Roi en Basse-Bretagne ; ils n'en étaient pas plus rassurés, d'autant que la présence de ce commandant semble indiquer qu'à ce moment le pays de Guingamp passait pour le principal foyer de l'agitation populaire, celui où l'on redoutait le plus une explosion. Elle éclata, en effet, dans cette ville même, durant la nuit du 24 au 25 mai ; mais les mesures des bourgeois étaient bien prises ; l'émeute fut réprimée sur-le-champ, et trois des plus séditieux restèrent prisonniers. Leur procès fut bientôt fait sur place, sans appel au Parlement, par le lieutenant du grand prévôt de Bretagne, qui les condamna à être pendus, et l'exécution suivit de si près que, dès le 6 juin, tous les frais étaient réglés et payés [Note : Compte du Sr. de Kercadou, art. 24 ; et Ropartz, Histoire de Guingamp, 2ème édition, t. II, p. 125]. M. de la Coste resta encore à Guingamp une dizaine de jours après l'émeute pour assurer la pacification du pays, et croyant tout apaisé autant que faire se pouvait, il quitta cette ville, le mercredi 5 juin 1675 (Ropartz, Ibid., pp, 126-127), pour se rendre dans l'évêché de Cornouaille, où la fermentation était extrême, surtout vers Châteaulin.

A peine fut-il arrivé dans cette dernière ville, le 6 ou le 7 juin, qu'une émeute y éclata. M. de la Coste n'avait à sa suite qu'une faible troupe, avec laquelle néanmoins il se porta contre les séditieux et tâcha de leur tenir tête. Mais au même instant entrèrent dans la ville un nombre infini de paysans révoltés, qui venaient prêter main forte aux émeutiers du dedans. Devant une telle invasion la petite troupe de M. de la Coste ne peut tenir ; lui-même, dans cette mêlée, fut blessé très grièvement par un des rebelles ; et l'on eut grand peine à le tirer de là pour le transporter à Brest, où il resta à se faire soigner de sa blessure, qui n'était point encore guérie trois mois plus tard [Note : Compte du Sr. de Kercadou, art. 25 ; et Ropartz, Histoire de Guingamp, 2ème édition, t. II, p. 127]. Suivant une tradition locale, encore vivante à la fin du dernier siècle [Note : Je dois la connaissance de cette tradition à M. Le Men, archiviste du département du Finistère], cette formidable révolte des campagnes de Châteaulin était née à deux lieues et demie de cette ville, en la paroisse de Pleyben, et avait eu pour premier instigateur un notaire appelé Balbe, qui en resta le chef. Elle se répandit promptement parmi les paroisses environnantes, surtout dans les montagnes Noires, et bientôt, de proche en proche, gagna tout le pays de Poher [Note : On appelle ainsi le pays de Carhaix et toute la haute Cornouaille] ; elle se soutint plus de trois mois sans être réprimée, et marcha pendant tout ce temps au grand soleil, la bannière levée, en maîtresse presque absolue du terrain qu'elle occupait. On doit la considérer comme le principe, le centre et le premier foyer de toutes les autres séditions du Léon et de la Cornouaille dont nous aurons à parler. - Au reste, les Bas-Bretons n'étaient pas soulevés seulement contre l'impôt du tabac et celui du timbre ; un bruit universel parmi eux - et qui, peut-être, n'était pas sans quelque fondement, quoique la suite des événements ne l'ait pas justifié - attribuait aussi au Roi le dessein d'introduire très prochainement en Bretagne la gabelle ou impôt du sel, et une imposition sur le blé. Ainsi, la crainte du mal prochain, redoublant la pesanteur du mal présent, porta enfin leur colère jusqu'à la furie (A. de la Borderie).

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