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LES BONNETS ROUGES

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Sommaire. -  Deuxième sédition de Rennes, les 8, 9, 10 et 11 juin. - Politique du duc de Chaulnes.

Au moment même où éclatait la révolte de Châteaulin, mais avant qu'elle pût être connue à Rennes, cette ville devenait le théâtre d'une deuxième sédition, dans les circonstances suivantes.

Duc de Chaulnes (Bretagne)

Une qualité qu'on ne saurait sans injustice refuser à M. de Chaulnes, c'est l'activité, la résolution, l'empressement à payer de sa personne. Voyant donc la Haute-Bretagne tranquille et la Basse fort agitée, il avait formé le dessein, vers le temps des troubles de Guingamp, de se rendre dans cette dernière, afin de voir tout par lui-même. Mais la tranquillité de Rennes était encore si précaire qu'à la nouvelle de ce projet, le gouverneur de la ville (M. de Coëtlogon) et le premier président du Parlement (M. d'Argouges) déclarèrent ne pouvoir pas répondre du maintien de l'ordre ni de celui des bureaux en l'absence de M. de Chaulnes, à moins d'avoir sous la main quelques troupes réglées (Lettre de M. de Chaulnes à Colbert, du 12 juin 1675). M. de Chaulnes, en conséquence, manda de Nantes trois compagnies du régiment de la Couronne, faisant ensemble cent cinquante hommes, qui entrèrent à Rennes, le samedi 8 juin, après-midi, en grand appareil de guerre, la mèche allumée par les deux bouts, dit un témoin oculaire, et marchant quatre de front (Journal de René du Chemin). Cette farouche attitude au milieu d'une ville parfaitement calme, du moins à l'extérieur, était une faute des plus graves. Tout le monde s'effraya de ces menaces. Ce fut bien pis quand on vit cette troupe hostile marcher sur l'hôtel de ville et prétendre s'y installer à la place de la milice bourgeoise, qui gardait ce poste par l'ordre de la Communauté et du gouverneur. En vain on allégua un nouvel ordre du duc de Chaulnes, qui peut-être ne l'avait pas donné [Note : Du Chemin, dans son journal, affirme que M. de Chaulnes fit donner cet ordre ; mais il est assez remarquable que, dans sa lettre à Colbert, du 12 juin 1675, où il rend compte de ces troubles, M. de Chaulnes lui-même n'en parle pas et dit au contraire qu'il avait fait mettre à l'hôtel de ville un corps de garde de bourgeois] ; en vain l'un des connétables (La Chauvelière Louvel) s'interposa pour amener par voie amiable la retraite de la milice ; celle-ci refusa de céder. Bientôt, au bruit de ce conflit, la ville tout entière s'émut, et bon nombre de bourgeois, prenant leurs armes, s'en vinrent renforcer le poste de l'hôtel de ville, gardé ce jour-là par la compagnie de la rue Saint-Georges. Berthou, sieur de Kerouriou, procureur au Parlement, qui était le capitaine de cette compagnie, montra en cette circonstance une rare fermeté ; et finalement les soldats du régiment de la Couronne furent contraints d'aller loger ce soir-là au manoir épiscopal et à l'hôtel de Brissac, résidences de M. de Chaulnes et de M. de Coëtlogon. Mais ce n'était que le commencement.

Duc de Chaulnes

Le lendemain, l'irritation redoubla et tout le monde prit les armes, aussi bien la ville haute que la basse et les faubourgs. C'étaient les privilèges de toute la ville qu'on avait violés en y introduisant une garnison ; c'était tout le monde sans exception qu'on avait menacé avec ces mèches allumées et ces prétentions hostiles. Les habitants des faubourgs en armes contraignirent les capitaines de leurs compagnies de se mettre à leur tête, et quand ceux-ci s'esquivèrent, ils s'en firent d'autres ; pour qu'on ne pût les empêcher d'entrer en ville en haussant les ponts-levis, ils commencèrent par en rompre les chaînes, s'emparèrent des portes, des tours et de tous les postes les plus avantageux. Puis une foule énorme et armée pour la plupart, tant des faubourgs que de la ville, vint bloquer en quelque sorte M. de Chaulnes dans le manoir épiscopal, en demandant à grands cris le renvoi des troupes. M. de Chaulnes, je l'ai déjà dit, ne demandait pas mieux que de voir le péril en face ; il sortit bravement de chez lui, suivi de ses gardes et d'un certain nombre de gentilshommes, se présenta à la multitude et essaya de lui parler, de l'apaiser ; pour toute réponse il reçut une effroyable bordée de menaces et d'injures, « dont la plus douce était gros cochon », dit Mme de Sévigné (Lettre du 16 octobre 1675) ; en même temps plus de deux cents habitants, mettant le fusil à l'épaule, le couchèrent en joue en criant : Tue ! tue ! Pendant quelques minutes, cette scène de tumulte fut au moment de se changer en un carnage effroyable ; les mutins étaient beaucoup plus nombreux, mais leurs adversaires plus braves peut-être, certainement plus exercés et mieux aguerris. Grâce à Dieu, les officiers de la milice bourgeoise, dont on ne saurait trop louer le noble rôle, parvinrent à modérer ces furieux : pas un coup ne fut tiré ; M. de Chaulnes, avec sa suite, rentra chez lui sain et sauf, quoique salué d'une grêle de pierres qui endommagea seulement les murailles de son logis et les carrés de son jardin. C'est là la colique pierreuse dont parle Mme de Sévigné (Lettre du 19 juin 1675). Devant une telle manifestation, le gouverneur comprit qu'il fallait céder, afin d'éviter de plus grands malheurs, et il s'appliqua de son mieux, comme il l'écrivait lui-même, trois jours après, « à séparer la ville d'avec les faubourgs ». Pour cela, il ordonna à toutes les compagnies de milice de la ville de se mettre sous les armes, quoique déjà elles y fussent sans son ordre ; mais c'était précisément approuver leur attitude : il promit le départ des troupes sitôt le calme rétabli, et que les Etats s'assembleraient dans cinq semaines à Dinan, pour porter au pied du trône les sentiments de la province ; il disait être autorisé du Roi à faire cette dernière promesse, quoiqu'il n'en fût rien (Lettre de M. de Chaulnes à Colbert, du 12 juin 1675) ; il n'en réussit pas moins, et obtint, en retour, de la milice qu'elle s'employât à réprimer le désordre des habitants des faubourgs.

Ceux-ci, en effet, cédant sans combat devant les bourgeois, évacuèrent tous les postes où ils s'étaient établis, soit dans la ville soit sur les remparts, à la réserve des deux portes de Toussaints et de Porte-Blanche, qui furent laissées sous la garde des compagnies de la basse ville.

Le lendemain, lundi 10 juin, le gouverneur renvoya à Nantes les trois malencontreuses compagnies du régiment de la Couronne, qu'on fit escorter jusqu'en dehors de Rennes, pour éviter tout conflit, par deux compagnies de milice bourgeoise : c'était là une triste sortie après leur fière entrée de l'avant-veille. Il fallut s'y résigner. A ce prix le désordre commença à s'apaiser. Le soir pourtant de ce même jour, sur le faux bruit qu'il venait à Rennes de nouvelles troupes, les faubourgs reprirent les armes et menacèrent de venir, le lendemain matin, détruire les bureaux et sonner le tocsin pour soulever les habitants de la banlieue. Toutefois, la matinée du mardi 11 juin fut entièrement calme. Vers quatre heures après-midi seulement, les faubourgs prirent encore une fois les armes pour la même cause que la veille et sur un bruit aussi erroné, mais ils les posèrent moins vite. Une bande considérable, composée surtout de bouchers et de boulangers, se rendit à la prison et en tira de force ce boulanger, appelé Simon Olivier, qui avait été arrêté le jour de l'incendie du prêche, comme fauteur de ce crime, mais que le Parlement n'avait point voulu juger, vu la légèreté des charges. Ce fut là le principal exploit des séditieux, qui pourtant ne se décidèrent point de suite à rentrer chez eux. « Ils firent encore quantité d'insolences, dit un témoin oculaire (M. de La Courneuve dans son journal), particulièrement la rue Haute, qui vouloit qu'on assommât et qu'on mît le feu chez les sieurs procureur du Roy, du Clos-Bossart, Ferret, La Fuie-Cotton, Gardin, des Plantes, et quelques autres, qu'ils croyoient qui les trahissaient ». Mais tout se borna à des menaces sans nul effet. On voit reparaître ici l'idée produite dès la première sédition (le 18 avril) de piller ou incendier les banquiers ; car Ferrel, La Fuie-Cotton, Gardin et des Plantes n'avaient d'autre titre que celui-là à l'exécution terrible qu'on leur réservait. Quant à Bossart, simple marchand sur le Champ Jacquet, son crime était d'avoir tué, ce jour même, un des rebelles, pendant qu'ils attaquaient la prison pour délivrer Simon Olivier. Il est d'ailleurs remarquable que c'est là le seul meurtre dont soit demeurée chargée la mémoire de cette deuxième sédition, qui se prolongea quatre jours. Du moins les documents que je connais n'en mentionnent pas d'autre. Cela prouve que s'il y avait dans la foule beaucoup de colère et d'insubordination, cependant les passions féroces y étaient rares, restreintes à un petit nombre de coeurs mauvais, qui jamais ne purent l'emporter sur cette honnêteté native dont le peuple de Rennes gardait l'instinct, même dans le désordre. Aussi les fauteurs du soulèvement des 8, 9, 10 et 11 juin n'ont-ils reçu, ni de M. de Chaulnes, ni des diverses relations contemporaines, les épithètes flétrissantes infligées aux émeutiers du 18 avril. Un historien étant tenu d'être juste envers tout le monde, c'est une différence que je dois noter.

Passé le 11 juin, l'ordre ne fut plus troublé dans Rennes. Les compagnies de la basse ville continuèrent de garder les deux portes dont elles s'étaient emparées et qu'on leur avait laissées ; celles de la haute, le reste des portes et des remparts et l'hôtel de ville ; on plaça aussi des postes de milice bourgeoise au bout des faubourgs et sur les diverses avenues de la ville, pour arrêter au passage les correspondances et même les personnes suspectes. Toutes ces précautions et toutes ces gardes avaient un double but : protéger l'ordre public contre les mouvements séditieux ; protéger les habitants contre le retour des troupes. Ce dernier genre de surveillance ne pouvait guère être, sans doute, du goût de M. de Chaulnes ; il s'y résigna pourtant. Mais pour comprendre le motif et la portée de sa résignation, il nous faut dire quelques mots de ses vues, de ses projets, de sa politique, qui se révèle assez clairement dans les lettres écrites par lui au ministère après cette sédition du mois de juin.

Un des principes de cette politique était de déguiser autant que possible, aux yeux de la cour, la gravité matérielle des troubles de Bretagne. La lettre où M. de Chaulnes rend compte à Colbert de la seconde sédition de Rennes en offre un curieux exemple. Elle est écrite le 12 juin, par conséquent sous le coup immédiat de tous ces désordres ; or, voici comme il en parle : « Il vint quelque monde crier dans la place de l'Hôtel de Ville, proche de mon logis, où j'avais fait mettre un corps-de-garde des bourgeois. J'y descendis deux fois et ne vis que des femmes et des enfants de dix à douze ans, quelques gens plus âgés s'étant dissipés en ce temps. J'appris cependant que, dans les faubourgs, ils avaient mis leurs gens dans une tour qu'ils gardoient et dans une porte de la ville ; je fis prendre les armes à toutes les compagnies des bourgeois, qui les firent sortir de leurs postes et rétablirent la tranquillité publique ». Et c'est tout. Et de ces menaces, de ces injures que le gouverneur sentit si vivement, au dire de Mme de Sévigné ; de ces pierres lancées à tout rompre, de ces fusils braqués sur lui, dont Mme de Sévigné parle aussi, d'accord avec tous les documents de l'époque, pas un mot, pas une syllabe. Evidemment ce n'est point là un oubli involontaire, c'est un système. On voudrait pouvoir attribuer ce système à la mansuétude du gouverneur envers ses administrés ; croire qu'il n'atténue ainsi la faute que pour atténuer plus tard le châtiment. On se tromperait singulièrement, nous le verrons tout à l'heure. Le duc de Chaulnes, en réalité, ne songeait qu'à atténuer aux yeux de la cour sa part de responsabilité : un gouverneur dont la province se révolte craint toujours d'être accusé de maladresse.

S'il veut éviter ce péril, il doit bien se garder surtout de faire remonter au pouvoir central l'origine de la révolte. Et cependant, pour être dans le vrai, c'est à quoi le duc de Chaulnes eût dû se résigner. Le faix des charges publiques et des vexations fiscales, toujours croissant depuis dix ans, avait mis dans la province une pauvreté, que les nouveaux impôts allaient sous peu réduire en misère ; les peuples ne pouvaient envisager cet avenir sans effroi ; ne sachant où trouver de secours ni de garantie quelconque sous ce régime implacable de centralisation ou plutôt d'usurpation administrative, ils passaient nécessairement de l'effroi au désespoir, et du désespoir à la révolte. Telle était la première, la véritable cause des troubles de la Bretagne. M. de Chaulnes certainement ne l'ignorait pas. Mais la dénoncer franchement, sans réticence, sans détour, c'était en réalité, demander la révocation des nouveaux impôts. Or, il savait que rien au monde n'eût pu être aussi désagréable à la cour. Il fallait de l'argent au Roi pour ses guerres, donc il fallait, coûte que coûte, de nouveaux impôts. Ainsi en disant la vérité, M. de Chaulnes aurait risqué son gouvernement, mais il eût fait son devoir : il préféra son gouvernement. D'ailleurs, s'il avait tout dit, ne lui eût-il pas fallu s'accuser lui-même ? La cause spéciale de la seconde émeute de Rennes, n'était-ce pas la violation des privilèges de cette ville par l'entrée des troupes, et surtout les procédés maladroits, irritants, provocateurs, qui avaient encore aggravé cette violation ?

Le duc de Chaulnes ne voulant donc accuser ni soi ni le Roi - car les impôts, c'était le Roi en cette circonstance, - se rejeta sur le Parlement et ensuite sur la noblesse pour expliquer tous les troubles. Le Parlement en particulier eut à porter sans partage la responsabilité de la deuxième sédition de Rennes : - « La véritable source de ce soulèvement vient du Parlement », écrit-il le 12 juin à Colbert ; « la jalousie de ce qui s'est passé à Nantes et à Guingamp a fait répandre mille bruits dans la ville, par les procureurs et personnes du Palais, contre l'autorité du Roy, qu'il ne falloit pas laisser croître en la personne de ceux qui commandent ; et les jugements rendus en ces deux villes, sans appel au Parlement, contre les coupables soulevés, les ont fait profiter de mon absence pour, pendant que j'étois à Nantes, faire des cabales dont on voit présentement les effets ». - Il se garde bien, à la vérité, d'avancer un fait, une preuve quelconque au soutien de cette assertion ; et ce qui montre combien elle est légère, c'est que dans une autre lettre il rend toute la ville complice [Note : Lettre à Colbert du 30 juin 1675 (première lettre de ce jour). Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, t. I, p. 547.] des troubles du mois de juin. Est-ce donc avec une cabale occulte, à peine formée, qu'on imprime à une ville une telle unanimité de sentiments ?

D'ailleurs, si en vérité il eût regardé le Parlement comme l'auteur de tout le mal, c'est sur lui qu'il eût tâché d'attirer la rigueur du châtiment ; or, dans cette lettre du 12 juin, il ne parla même pas de le punir et garde tous ses sévices pour les habitants des faubourgs de Rennes, preuve qu'il voit en eux les vrais coupables : — « Le remède, dit-il, est de ruiner entièrement les faubourgs de cette ville. Il est un peu violent ; mais c'est dans mon sens, l'unique. Je n'en trouve même pas l'exécution difficile, avec des troupes réglées. Il faut de nécessité s'y résoudre, et, par les mesures que je prendrai à propos, je ne doute pas que l'on n'y puisse réussir ; mais sans cela l'on ne se peut jamais assurer de cette ville. Il ne faut pas, pour cela, que les troupes viennent séparément, mais en même temps. Peu d'infanterie suffira, avec le régiment de la Couronne ». Ces lignes sont odieuses, surtout par le calme qu'elles affectent ; si cet homme était en colère, on lui pardonnerait peut-être de rêver pour sa vengeance la destruction de la moitié d'une ville : la colère ne raisonne pas. Mais méditer une pareille exécution avec le sang-froid d'un chirurgien qui conseille l'amputation d'un membre, et se borner, pour tout regret, à trouver le remède un peu violent, cela révolte. On ne comprend pas surtout qu'après avoir autant atténué la sédition, le gouverneur ait l'audace de demander un châtiment si terrible ; mais on comprend bien au moins que l'atténuation de la faute n'est point dans l'intérêt des coupables.

Seulement, M. de Chaumes était forcé d'ajourner sa vengeance, parce qu'il manquait de troupes et savait fort bien que les habitants de la ville ne se prêteraient jamais, contre ceux des faubourgs, à l'exécution de cette sentence atroce ; lui-même leur rend ce témoignage, quand il écrit à Colbert (12 juin) : — « Je maintiens la ville dans l'obéissance, et tirerai, comme je l'espère, des bons bourgeois tout le service qu'on en peut attendre ; mais vous ne doutez pas, Monsieur, que la fidélité qu'ils témoignent n'ait des bornes fort peu étendues, puisque l'on ne peut pas faire fonds qu'ils se rendent maîtres de cette populace des faubourgs par la voie des armes ». Ce qui veut dire que les bourgeois, quoique toujours prêts à agir contre le désordre, étaient complètement impropres au rôle de bourreaux. Il fallait pour cette besogne un instrument plus docile et par sa nature même entièrement passif. Mais les troupes réglées - auxquelles M. de Chaulnes gardait ce triste labeur - étaient à ce moment toutes occupées dans un plus noble service ; elles combattaient aux frontières les ennemis du royaume, et avant de pouvoir retirer de là quelques corps pour les diriger vers l'intérieur, il fallait que la guerre entrât dans une nouvelle phase. M. de Chaulnes se résigna à temporiser et à cacher ses desseins sous des allures pacifiques et conciliantes : « Je tâche à ranimer les esprits par la douceur, écrivait-il à Colbert le 16 juin, étant de la dernière conséquence de ne point parler présentement de troupes ni de vengeance ; c'est un point que je crois principal dans la conjoncture présente, et je crois que vous tomberez d'accord qu'il faut voir auparavant ce que feront les ennemis ». Et quelques jours après, s'adressant au même, il dit encore : « J'étois fort de votre avis, Monsieur, qu'il n'y avoit, pour le service du Roi, qu'à temporiser jusqu'aux Etats, après lesquels Sa Majesté pourra décider à son gré des punitions des coupables des dernières séditions » (Première lettre à Colbert du 30 juin 1675. Correspond. administr., t. I, p. 546).

Cet avis fut, en effet, adopté, et M. de Chaulnes continua sa comédie de douceur. Par des arrangements conclus avec les fermiers du tabac et de la marque d'étain, il trouva moyen de surseoir la levée de ces impôts jusqu'à la tenue des Etats, sans nuire aucunement aux droits du Roi (Lettre de M. de Chaulnes à Colbert, du 15 juin 1675 ; journal de La Courneuve, sous la date du 20 juin) ; mais l'impôt du timbre resta dans toute sa vigueur. Cette première satisfaction accordée à l'opinion publique, quoique fort incomplète, mit le gouverneur plus à l'aise et lui ramena quelque peu les sympathies de la population. L'habile homme en profita pour pousser sa pointe et tirer au moins quelque bénéfice de ce masque de bonhomie sous lequel il commençait à étouffer. La surveillance exercée depuis le 9 juin par la milice bourgeoise aux avenues de la ville, aux portes et sur les remparts, était pour lui une cruelle épine. Il songeait sans cesse au jour où, sur son appel, les troupes du Roi arriveraient enfin pour châtier Rennes et en raser les faubourgs. Si jusqu'à ce jour-là la milice bourgeoise continuait de garder les portes, elle ne manquerait certes pas de les fermer au nez des troupes. Il faudrait donc faire un siège, ouvrir une brèche, prendre d'assaut et ruiner cette antique capitale des ducs bretons, ce siège du Parlement et de la justice souveraine en Bretagne : il y avait de quoi mettre en feu toute la province ; la cour même y regarderait à deux fois ; et peut-être au bout de tout cela et malgré ses troupes, M. de Chaulnes subirait un fâcheux échec. C'était donc un de ses graves soucis que cette garde prolongée de la milice bourgeoise. Voici comme notre rusé gouverneur s'en débarrassa.

Le jeudi 20 juin, jour de l'octave de la Fête-Dieu, toutes les cinquantaines étant en armes afin d'escorter la procession du Saint-Sacrement, il fit assembler chez lui tous les capitaines et officiers de la milice bourgeoise et leur adressa « une belle harangue de trois quarts d'heure », pour les assurer, dit un témoin, « que son dessein n'étoit point du tout de faire venir des soldats à Rennes, et qu'au contraire il conserveroit (C'est-à-dire il sauvegarderait) et la ville et la province tant qu'il pourroit, puisque d'elle seule il espéroit tout son bien et son soutien, sa plus belle qualité étant d'en être gouverneur ; ainsi, qu'il prioit tous messieurs les habitants et bons bourgeois de mettre bas les armes et de ne plus garder ni les portes, ni les avenues, mais seulement de faire tous les jours à midi monter la garde à la maison-de-ville par les compagnies de la ville » (Journal de La Courneuve), comme on l'avait fait précédemment du 6 mai au 9 juin. Tous messieurs les bons bourgeois furent touchés de la sincérité de cette éloquence et de ces amicales protestations ; ils se rendirent sans débat. Les capitaines demandèrent seulement au duc, pour leur sauvegarde, une déclaration signée, portant que c'était par son ordre qu'on avait commencé de garder les portes le 13 juin et cessé le 20 du même mois. Le gouverneur la donna, la garde cessa... et le tour fut joué (A. de la Borderie).

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