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MAISONS SEIGNEURIALES DE BRANDIVY |
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Après l'examen du régime seigneurial, abordons l'histoire des familles et des châteaux. Ce deuxième chapitre est le complément naturel du premier (le régime seigneurial). Suffira-t-il cependant, pour prétendre une place en cette étude, d'avoir joui dans la localité d'un bien quelconque ou d'y avoir exercé un droit de juridiction ? Non, car elle prendrait un développement excessif. Etudier les divers manoirs de Brandivy [Note : Le château de Lanvaux étant intimement lié avec l’abbaye du même nom, le laisse pour le moment de côté], donner autant que possible une notice sur les familles qui les ont habités ou possédés, terminer ensuite par un appendice au sujet de quelques fortifications antiques : voilà mon dessein.
I.
LE GUERN.
Comme le mot l'indique, le manoir du Guern ou Guhern est situé dans un bas-fond, au bord d'un marais, à proximité de vastes prairies. Il se compose d'un simple corps de logis à un étage. Le rez-de-chaussée, du côté nord, est tout entier enfoncé en terre, de sorte que, par ce côté, on entre de plain-pied dans les chambres. La façade principale est formée de pierres de taille, les fondations ressortent en guise de contrefort et les fenêtres ont la forme d'un long carré subdivisé par des croix en pierre. Un aveu de 1681 mentionne : « jardins, fuye, taillis, bois de futaye.... ». Tout cela a disparu.
A quelle époque remonte-t-il ? Pas au delà du XIVème. siècle, où déjà prédominaient les fenêtres carrées longues, non surmontées d'un arc aigu [Note : De Caumont : Cours d’antiquité, 5ème partie]. Le premier de ses seigneurs dont les archives fassent mention est le sieur de Kerdréan. « La maison du Guhern qui fut au sieur de Kerdréan, » [Note : Nom du château d’Arradon aux XVème et XVIème siècles] dit l'aveu précité [Note : Aveu de Largouët (Nantes)]. Or ce sieur de Kerdréan n'est autre sans doute qu'Olivier d'Arradon, seigneur de Kergal en 1482, comme Olivier d'Arradon ne doit pas différer d'Olivier du Guern signalé dans un acte de 1636 [Note : Dénombrement des terres données à l’abbaye de Lanvaux par le seigneur du Garo (Arch. Abb.)] : « Une tenue possédée autrefois à Kerhuibeteu, à titre de convenant, sous l'abbaye de Lanvaux. par Olivier du Guern, puis par Aliette du Guern, sa fille ; depuis par Jean Le Texier, baillée dans la suite à titre de cens à Jean Le Ray fils, plus tard à Alain Daniélo et à Olive Le Texier sa femme, à titre de convenant, pour 24 sols monnayés ».
La même pièce signale « le Guern possédé par Alain Daniélo et Olive Le Texier sa femme, par Marie Daniélo leur fille, puis par Daniélo, archidiacre de Vannes et abbé de Lanvaux, qui fist édifier la maison et manoir de Kergal et qui laissa ces deux tenues à Marie Daniélo, sa nièce et en partie héritière, mariée à Pierre Le Crossec ». Sur la tenue dite du Guern, les seigneurs de Kergal devaient aux moines de Lanvaux une rente de deux sols et six deniers.
Cette pièce est importante en ce qu'elle nous apprend le lieu d'origine des frères Jean et Pierre Daniélo, recteurs de Grand-Champ et archidiacres de Vannes. Certains titres portent qu'ils sont nés dans Grand-Champ, d'autres les donnent comme seigneurs du Guhern. On peut en conclure sans témérité qu'ils ont vu le jour au Guhern même, du moins qu'ils y ont habité, qu'après avoir bâti Kergal, Pierre Daniélo y établit sa résidence. Voilà deux illustrations dont Brandivy est en droit de tirer vanité. Jean Daniélo en particulier était l'un des principaux membres du clergé de Vannes, protonotaire du Saint-Siège, abréviateur des lettres apostoliques, chanoine et archidiacre de Vannes, avant même que le cardinal Laurent Pucci. élu par le pape évêque de Vannes en 1514, le nommât son vicaire général [Note : Hist. du diocèse de Vannes (Le Mené)]. Toutes ces distinctions témoignent, chez Jean Daniélo d'une largeur d'esprit peu commune. L'abbaye de Saint-Gildas de Rhuys, les nombreux bénéfices paroissiaux qu'il tenait en commende mirent à sa disposition des revenus considérables dont il sut d'ailleurs faire le plus noble usage Il mourut plein de jours en 1540, et il fut inhumé, selon ses désirs, dans la chapelle du Saint-Sacrement qu'il avait construite. A cette époque, Pierre était trésorier du chapitre. Il résigna cette charge pour occuper à la place de son frère les fonctions d'archidiacre. Nommé à l'abbaye de Lanvaux vers 1552, il n'eut qu'une pensé : faire rendre gorge à tous les spoliateurs de son abbaye. Comme les voleurs ne se pressaient pas de rendre ce qu'ils avaient dérobé, le Saint-Siége lui permit de les frapper de l'excommunication. Par malheur, l'abbé de Lanvaux eut à peine commencé son œuvre, que la mort vint le saisir. Il fut déposé, à côté de son frère, dans la chapelle du Saint-Sacrement (1657).
Le sort de Kergal et du Guern paraît avoir été lié jusqu'à la mort de Pierre Daniélo. A partir de ce moment, les deux seigneurs sont séparées. Kergal passe aux mains de Pierre Le Crossec, et le Guern aux mains des Cléguennec, en raison du mariage de Marie du Guern avec Guillaume de Cléguennec. Le manoir de Cléguennec s'élevait en Naizin, et les seigneurs auxquels il a donné son nom y avaient leur résidence. Le domaine du Guern leur a appartenu jusqu'à fin du XVIIème siècle [Note : De gueules à trois croissants d’argent ; aliàs, accompagné en chef d’un écu d’azur à sept macles d’or, qui est Madio pour la branche de KERDRÉAN].
On trouve :
1536.
— Jean de Cléguennec, fils de Marie du Guern, qui eut deux épouses : Jeanne
du Bois et Marie Le Berruyer ;
Louis de Cléguennec et Jeanne de Baud ;
Louis de
Cléguennec et Mathurine de Cambot ;
1624. — Jean de Cléguennec et Louise Le
Pavec ;
1645. — Louis de Cléguennec. Neveu du précédent, et Claude Anne de
Liscoët ;
1649. — Jean de Cléguennec, cousin de Louis ;
1681. — Jacques de
Cléguennec, frère de Jan, et Anne de Liscoët [Note : Arch. dép. Manusc. de
M. Galles].
En 1705, nous trouvons comme seigneurs du Guern, François Caris et Jeanne Péro ; en 1741, Guillaume Caris et Marie Charles Marion de la Fresnaye. Marie de la Fresnaye était domicilié en Plumelin, lors de son mariage contracté le 19 septembre 1741 [Note : Arch. de Plumelin].
II.
KERGAL.
Bâti à une petite distance du Pont-er-Gal, ce manoir en a peut-être tiré son nom. Au Pont-er-Gal aboutissait un embranchement du fameux Hent Conan [Note : Prisage de Brenedan (Arch. dép.)].
Divers aveux du XVIIème siècle [Note : Aveux de Largouët (Nantes)] signalent « la maison et manoir de Quergal avec ses jardins, vergers, bois de futaye, taillis, pourprix et ses dépendances..... ». Nulle part il n'est question de l'étang ; il se trouvait à l'ouest du manoir, dans une pièce de terre nommée Er Visclen. La tradition le dit, l'étymologie de visclen le prouve, l'inspection des lieux le confirme.
S'il faut en croire Ogée, Kergal appartenait, en 1400, à Pierre de Lantivy, sieur de Talhouët ; en 1482, d'après certains textes, à Olivier d'Arradon. L'ensemble de l'édifice ne saurait donc être attribué à Pierre Daniélo. L'examen de la façade concorde avec les données de l'histoire. Une moitié de l'édifice paraît appartenir à la fin du XIVème siècle ou au commencement du XVème, et l'autre moitié à la Renaissance.
Dans la partie ancienne, les fenêtres ont la forme carrée longue. Toutes devaient être, dans le principe, divisées par des croix en pierres ; quelques-unes le sont encore. Les fenêtres des combles sont surmontées de frontons triangulaires ornés de crochets, avec animaux sculptés à la base. L'un des frontons se termine par une statuette. Au centre de ce fronton, apparaît une petite accolade garnie de crosses et renfermant des armes [Note : Cette fenêtre est à anse de panier ; on la dirait postérieure au reste de l’édifice]. Une tour qui renferme l'escalier se trouve du côté opposé à la façade principale. Rien d'ailleurs qui ressemble à une forteresse, à l'exception des solides grillages qui abritent les fenêtres du rez-de-chaussée.
Lorsque Pierre Daniélo résolut d'agrandir le manoir de Kergal, il ne manqua pas de suivre, pour l'exécution de ce dessein, le genre d'architecture usité de son temps. Les fenêtres du rez-de-chaussée et des chambres conservent la forme carrée longue et des grillages protègent celles du rez-de-chaussée; mais des pilastres décorent celles des chambres et un fronton circulaire muni de crochets couronne la lucarne. Ajoutons que celle-ci est à plein cintre et ornée de pilastres qui supportent leur entablement. Ce dernier trait, dit M. de Caumont, annonce une époque postérieure à François Ier. Cette partie aurait donc été exécutée entre 1548, date de l'avènement de Henri II, et 1557, date de la mort de Pierre Daniélo. On pourrait dire de 1552 à 1557, en prenant à la lettre la note du précédent chapitre, que « Daniélo abbé de Lanvaux fist édifier la maison de Kergal ». La tour constituait encore à cette époque, pour toute maison seigneuriale, un appendice indispensable. Aussi l'abbé de Lanvaux n'eut garde de l'oublier. Il en érigea même deux, l'une à pans coupés et l'autre de forme cylindrique dont il flanqua les angles du nouvel édifice à l'est. La première est toujours intacte ; la seconde a été abattue au commencement de notre siècle, après avoir perdu sa toiture en plomb, que les Chouans, paraît-il, employèrent à faire des balles [Note : Tradition]. Dans chacune des tours fut placé un escalier en pierres pour le service des appartements. Au total, ce manoir est encore un bijou d'architecture, malgré les dégradations inhérentes à l'état d'abandon dans lequel il est laissé.
Marie Daniélo, nièce de l'abbé de Lanvaux, le porta en dot, ainsi que nous l'avons dit, à Pierre Le Crossec de la Guittonnière. Jacques [Note : D’azur à deux bars adossés d’argent, accompagnés de huit étoiles d’or en orle] Le Crossec était seigneur de Kergal en 1589. Michel Le Crossec laissa deux filles, Anne et Jacquette. En 1634, Jacquette épousa Mathieu de Lantivy. Les Lantivy sont demeurés propriétaires de cette maison noble jusque vers le milieu de la seconde moitié du XVIIIème siècle. Voici d'ailleurs leurs noms [Note : Arch. dép. : Manuscrits de M. Galles, et div. Ach. paroisse] :
1640.
— Jean de Lantivy et Françoise de Trégoët.
1678. — René de Lantivy et Louise
de la Chesnaye. « Le dernier février 1691, a été enterré en la tombe de
l'église tréviale messire René de Lantivy, âgé d'environ 50 ans
».
1689. — François de Lantivy, marié le 3 février, à Pontivy, à Jeanne Le
Belliguet, dame de la Chesnaye.
1701. — Claude-René de Lantivy.
1710. —
François de Lantivy, marié le 28 janvier à Perrine Petiot, de Saint-Thuriau.
1760. — Jérôme-François de Lantivy [Note : La famille de Lantivy était très
répandue. Pol Courcy la dit originaire d’Angleterre. Armes : de gueules à l’épée
d’argent en pal, la pointe en bas ; aliàs, d’azur à huit billetes d’or, 3, 2, 1,
au franc-canton de gueules. Devise : « Qui désire, n’a de repos »].
Les seigneurs de Kergal avaient de temps en temps maille à partir avec l'abbaye de Lanvaux. Tantôt la querelle s'élevait au sujet de certaines rentes qu'ils refusaient de payer, espérant sans doute qu'ils pourraient à la longue réussir à s’en exempter ; ce qui arriva effectivement pour la rente de deux sols et six deniers, due sur la tenue du Guern [Note : Arch. de l’abb. de Lanvaux]. Tantôt elle surgissait à l'échéance des droits féodaux. Ainsi en 1684, la mère de René de Lantivy étant venue à mourir au bourg de Pluvigner, rue Saint-Michel, ce seigneur essaya de se soustraire à l'hommage et au droit de rachat à l’égard des religieux qui avaient juridiction sur une partie de ce bourg. Pierre Brient, sénéchal de l'abbaye, réclama les droits de mouvance, et l'appel de M. de Lantivy ne servit qu'à faire confirmer le jugement du sénéchal [Note : Arch. de l’abb. de Lanvaux]. Outré de telles exigences, un de ces seigneurs marche un jour sur sur l'abbaye, la lance au poing, avec l'intention de pourfendre les religieux. Ceux-ci, de bonne heure avertis de la lugubre expédition, se gardent bien de l'attendre. Ils s'enfuient dans les bois, et le seigneur revient bredouille, un peu confus de son intempestive fureur [Note : Tradition].
Les seigneurs de Kergal aimaient à tenir sur les fonts baptismaux les enfants de leurs fermiers. Les fermiers. à l'occasion, ne leur refusaient pas le même service. De pauvres gens servirent de parrains et marraines, le 28 janvier 1686, à Louise de Lantivy, et, le 3 mai 1687, à Florimonde de Lantivy ; des laboureurs, en 1714, à deux enfants de Paul-René du Vergier, seigneur du Pouë, et d'Anne de Lantivy, dame de Kergal ; deux domestiques du château, en 1717, à « un enfant né de François Le Flô de Trémolo, sieur de Kerleau, et de dame Olive de la Haye, demeurant en la maison noble de Kergal » [Note : Arch. par. Signalons en cette même année (1717) cinq baptêmes de jumeaux en Brandivy].
D'après une déclaration faite, le 18 mai 1690, au sénéchal du roi, par Jean Naël, procureur de René de Lantivy, ce dernier ne donnait à la seigneurie qu'une valeur de 600 livres de rente. Anne de Lantivy l'afferma, le 26 mars 1704, à Jean Gaspart pour 1400 livres [Note : Arch. départ.]. J'ignore à quelle époque précise le manoir a été abandonné par les châtelains. Ce doit être de 1726 à 1742 ; à cette dernière date on y voit des fermiers et, à la première, des seigneurs.
Les Lantivy de Kergal portaient le titre d'écuyer [Note : Baux de fermes].
III.
LA GRAND'VILLE.
La Grand'Ville, en breton, équivaut à Ker-Meur. Les deux mots ont exactement la même signification.
Personne ne songe, à notre époque, à désigner notre manoir par son nom celtique ; mais, au XVème siècle, le nom celtique ne paraît pas moins en usage que le nom français. A l'appui de cette assertion, citons un exemple : « Jean de la Grandville, chanoine de Vannes, recteur de Radenac de 1494 à 1506, se nommait aussi Jean de Kermeur » [Note : Pouillé].
A l'appui de cet exemple, voici un texte : « Kermer, nous dit Ogée, appartenait en 1500 à Guyon de la Grandville ». Ogée commet ici une double inexactitude : au lieu de Guého, il écrit Guyon, et il semble ignorer que Kermer est le propre nom de la Grandville. Mais, en dépit de cette erreur, ne voit-on pas que le manoir, au XVème siècle, s'appelait Kermer ou Kermeur ? N'est-il même pas permis d'insinuer de ce texte que Kermeur est le nom primitif, antérieur à celui de la Gandville ? Cela est d'autant plus probable que toutes les anciennes seigneuries de la localité portaient des noms bretons. Pourquoi celle-ci ferait-elle exception à la règle générale ?
Il eût été désirable de posséder une description détaillée de notre manoir. Pour tout renseignement, on est réduit à se contenter d'un maigre procès-verbal de 1822 ; « Maison ayant cour au midi et jardin au nord et levant, enclos au couchant planté de hêtres, sapins et chênes… le tout cerné de murs .... » [Note : Papiers de la Grandville]. Et encore omet-il de mentionner un mur intérieur qui entourait d'assez près la maison même. Ces deux murs constituaient les anciennes fortifications de la Grandville ; il n'en reste plus que quelques vestiges. Quant au manoir, il a subi de nombreuses réparations, sans rien perdre de son air antique. Il se compose de deux corps de logis, formant la moitié d'un carré ; à l'angle se dresse une tour octogone qui renferme un escalier. Les fenêtres ont pour la plupart la forme rectangulaire. Certaines d'entre elles sont encore partagées par des traverses en pierre. Une fenêtre des combles, avec son fronton triangulaire garni de figures et de crochets, rappelle celles de Kergal. Les portes s'ouvrent sous des arcades au cintre surbaissé. Ces arcades sont à plusieurs retraites et surmontées d'accolades avec chou et crosses. Le même ornement se remarque à quelques fenêtres.
Ces accolades et ces feuillages frisés annoncent un ouvrage de la fin du quinzième siècle [Note : De Caumon, 5ème partie]. C'était aussi le sentiment de
l'architecte Douillard ; c'est enfin l'avis de l'histoire qui ne signale aucun seigneur avant cette époque.
Trois
illustres familles ont successivement occupé le manoir de la Grandville
: celles des Guého, des d'Arradon et des Bidé.
LES GUÈHO, SEIGNEURS DE LA
GRANDVILLE [Note : D’argent à trois tourteaux de sable].
La première en date est celle des Guého et le premier des Guého, à ma connaissance du moins, est Amaury, seigneur de la Grandville en 1480 [Note : Je connais des Guého antérieurs à celui-là, mais étaient-il seigneurs de la Grandville !].
Pierre Guého son fils par un contrat passé en 1508 avec l'abbaye de Lanvaux, lui céda quatre livres de rente sur une tenue qu'il possédait à Plunian, en échange de quelques terres situées aux villages de Kerican et de Coët-Uhan. Ce seigneur eut de son épouse Perrine de Couédor, deux fils : Noël [Note : C'est peut-être ce Noël Guého qui était, en 1518, seigneur d'Issignon et Malensac. On trouve des Guého recteurs de Séglien. d'Ambon, de Saint-Jean Brévelay. La famille avait une chapellenie à Malestroit (Pouillé)] et Guy. Guy Guého (1525-1540) se maria à Bastienne d'Ivignac ; de ce mariage sortit Claude Guého, héritière de la Grandville qu'elle porta dans la maison d'Arradon en acceptant, en 1558, la main de René, seigneur dudit lieu.
LES D'ARRADON, SEIGNEURS DE LA GRANDVILLE [Note : De sable à sept macles d’argent].
La maison d'Arradon, déjà puissante par ses propres ressources, sut encore accroître son patrimoine par les alliances les plus avantageuses. C'est ainsi que René d'Arradon se trouvait possesseur des terres de Quinipily, du Plessix, de Camors .... avant que l'héritière des Guého vint y ajouter la Grandville. Claude donna le jour à cinq fils, tous intrépides ligueurs connus dans l'histoire sous le nom de ces différentes seigneuries. Mes recherches pour découvrir le lieu de leur naissance ont été vaines. Il est à présumer toutefois que quelques-uns de ces seigneurs sont nés à la Grandville même et les autres à Vannes, en l'hôtel de la Motte, où Claude Guého avait sa résidence ordinaire. C'est en son logis de la Motte que le duc de Mercœur, de passage à Vannes, vint lui faire visite sur la fin de juin 1590. C'est là aussi que le premier dimanche de juillet, elle donna un grand bal en son honneur [Note : Journal de Jérôme d’Arradon].
Des cinq frères, deux moururent pendant la Ligue : les seigneurs du Plessix et de la Grandville.
Georges d'Arradon, seigneur du Plessix en Caudan, naquit en 1562. S'il ne servit pas la Ligue à la tête des armées, il ne l'oublia pas au Parlement de Bretagne où il était conseiller. Le chapitre de Vannes le choisit pour évêque en 1590. Sacré en 1592, Georges d'Arradon prit possession de son siége en 1593, et mourut en 1596. La détermination du chapitre ne saurait étonner outre mesure ; la famille, outre qu'elle jouissait auprès du chef de la Ligue d'une influence considérable était toute puissante à Vannes : le père de l'élu passait pour être le bienfaiteur principal, sinon le fondateur du collège Saint-Yves, et un de ses frères était gouverneur de la ville.
Le seigneur de la Grandville avait perdu la vie, l'année précédente, dans un combat livré au Faouët. Ce seigneur, le dernier des fils de Claude Guého, naquit en 1573. Dès qu'il put porter les armes, il se jeta à corps perdu dans la Ligue. Le 10 avril 1592, il couchait à Pontcallec lorsqu'on vint lui annoncer que la garnison de Quintin était venue rôder autour du château. Avec huit hommes d'armes, la Grandville monte à cheval, suit deux heures l'ennemi à la piste, l'atteint et le met en déroute. Trente-cinq soldats se rallient de nouveau pour lui tenir tête, la Grandville les enfonce avec cinq hommes.
Serré de près par les troupes royales, Quimper envoie à Jérôme d'Arradon, gouverneur d'Hennebont, un messager rapide qui rencontre aux environs de Pontscorff la garnison de cette ville sous les ordres de notre vaillant seigneur : en tout 150 arquebusiers et 40 soldats. La Grandville marche aussitôt vers la place assiégée et, malgré les efforts de l'ennemi, réussit avec tout son monde à y pénétrer.
Deux ans plus tard, il vole au secours du bandit La Fontenelle que l'armée royale pressait avec vigueur dans son repaire de Dauarnenez. Mais le baron de Molac, chef des royalistes, oblige la colonne expéditionnaire à reculer et la poursuit jusqu'au Faouët. Elle s'adosse au château de Kimerch ou Tinténiac dans l'espoir que le seigneur dudit lieu lui prêterait main-forte. Cet espoir est trompé. Le seigneur de Kimerch assiste du haut d'une fenêtre au combat qui se livre sous ses murs, il ne descend nullement dans l'arène et tient fermées ses portes. La Grandville ne perd pas courage. Par des prodiges de valeur, il cherche à suppléer à l'infériorité numérique de sa troupe. Peut-être eût-il même remporté la victoire, si les Suisses de l'armée royale, qui avaient combattu avec peu d'ardeur jusque-là, ne fussent sortis de leur indolence Traités de lâches et de félons, ces étrangers se précipitent avec fureur la pique en avant et l'infortuné seigneur de la Grandville tombe percé de coups. Il avait 22 ans [Note : Hist. de Bretogne, par Dom Morice. (Journal du sieur de Quinipily)].
Les seigneurs d'Arradon, de Quinipily et de Camors survécurent à ces terribles guerres.
Le seigneur d'Arradon, l'aîné des cinq frères, s'appelait René. Un acte de baptême de 1592 [Note : Arch. d'Hennebont] nous apprend qu'à cette époque il était gouverneur de Vannes, d'Auray et de Malestroit. Dans un acte du 13 avril 1597 [Note : Arch. Sainte-Croix], il s'intitule chevalier de l'ordre du roi, capitaine de 50 hommes d'armes, gouverneur des villes et châteaux de Vannes et d'Auray. Son épouse Gillette de Montigny lui donna plusieurs enfants. Les exploits de ce seigneur sont racontés tout au long dans le journal de son frère Jérôme de Quinipily.
Jérôme d'Arradon, seigneur de Quinipily, dans un acte du 11 août 1592 [Note : Arch. d'Hennebont]. prend le titre de gouverneur des villes d’Hennebont, Nostang, Blavet et Quimperté, sous l'autorité du duc de Mercœur. Avant de devenir gouverneur d'Hennebont (10 août 1589), il séjournait à la Grandville. Ce seigneur était certainement l'un des plus religieux de son temps. « Le mercredi (25 août 1593), jour de saint Louis, confesseur, je commencis, nous dit-il, à jeusner tous les mercredis et espère avec l'aide du bon Dieu continuer de ce faire jusqu'à la mort. Le semblable le feray, moiennant sa grâce, tous les vendredis et les samedis, et le tout pour l'amour de mon Dieu et l'expiation de mes péchés » [Note : Mémoires de Jérôme d'Arradon].
Un acte de baptême du 13 avril 1397, nous le présente comme seigneur de Quinipily et du Vieux-Castel, chevalier de l'ordre du roi, capitaine de 50 hommes d'armes, colonel de la cavalerie en Bretagne, gouverneur d'Hennebont. Blavet et Quimperlé [Note : Arch. de Sainte-Croix, (Vannes)]. Jérôme avait épousé Marie de Quélen et mourut en 1658 [Note : Ce qui me fait le croire, c’est qu’en cette année eut lieu la vente de Quinipily « provenant de la succession de Jérôme d’Arradon » (Arch. départ.)] sans postérité.
Christophe d'Arradon, seigneur de Camors, « courtisait » depuis longtemps l'héritière de Pontsal, fille du baron de Noyant, et veuve de M. de Kermeno. Le contrat de mariage fut signé à Hennebont, le 21 février 1592, et l'un des articles du contrat portait « qu'il doit avoir la terre de la Grandville après la mort de Mme de Kerdréan » [Note : Mémoires].
Sous l'influence de Mme de Kermeno, le seigneur de Camors abandonna son parti. Quand il déclara cette résolution à Jérôme : « Je prie Dieu, dit celui-ci, de l'en vouloir retirer ou amender, ou bien lui donner une bonne mort. Ainsi soit-il ». Selon le vœu de Jérôme, il s'amenda bientôt, mais encore qu'il eût repris ses premiers serments, il ne laissa pas, sur les instances de la même dame gagnée par Duplessis-Mornay, de tenter l'enlèvement du duc de Mercœur. Avec les dix soldats que Duplessis lui avait envoyés dans ce but, il se mit résolûment en chemin. La petite troupe rencontra par hasard le maréchal d'Aumont. Celui-ci, qui ne savait rien du complot, la dispersa en un clin-d'œil. Le coup fut ainsi manqué, et le seigneur de Canors ne voulut pas recommencer [Note : Dom Morice : Histoire de Bretagne]. Un de ses derniers faits d'armes fut la prise des châteaux de Kaer et de Kerambourg, qu'il opéra, le 17 janvier 1598, de concert avec les seigneurs d'Arradon et d'Assérac ; les deux manoirs furent livrés au pillage [Note : Fonds Robien, Arrêt du Grand Conseil (Vannes)].
Les frères d'Arradon, ainsi que le beau-frère de René, le seigneur de Montigny, ne lâchèrent le duc de Mercœur qu'à la dernière extrémité. Lorsqu'ils surent d'une manière positive que le roi marchait sur la Bretagne à la tête de son armée, ils se hâtèrent, par l'entremise de Varenne, de traiter avec le prince et de remettre entre ses mains Vannes, Hennebont et Succinio. « Mais, au lieu de donner de l'argent au roy, dit Montmartin, pour le desservice qu'ils lui avaient fait, ils en demandèrent et en curent 80 ou 100,000 écus [Note : 64.000 écus, d’après dom Taillandier], qui leur ont été payés sur la ferme de six écus par pipe de vin de l'évesché de Vannes ». Jérôme obtint en outre des lettres de capitaine de 50 hommes d'armes [Note : Dom Morice : Notes].
Le manoir de la Grandville constituait, pendant tout le temps de la Ligue, un centre très important. A chaque moment, les seigneurs d'Arradon y arrivent ou y envoient des messages. Les troupes y passent pour se rendre de Vannes à Hennebont et en Basse-Bretagne ou vice-versa. Tantôt ce sont les seigneurs d'Arradon qui viennent y coucher avec un grand nombre de cuirasses, tantôt ce sont leurs partisans qui cherchent derrière ses murs un refuge assuré. Les royalistes ayant résolu de détruire ce foyer de résistauce, René d'Arradon avertit, le 3 mars 1592, son frère Jérôme d'accourir à la Grandville avec tout ce qu'il pourrait réunir de monde. L'ennemi eut vent de sa présence et n'osa tenter un assaut [Note : Journal de Jérôme d’Arradon]. Cela conflrme que le manoir avait d'assez fortes défenses, insuffisantes toutefois pour le mettre à l'abri d'un coup de main.
Le poste de la Grandville s'appuyait sur la garnison qui détenait le château de Lanvaux [Note : Arch. abb.]. Celle-ci, à son tour, donnait la main au poste de Quinipily. Quimperlé, Blavet, Hennebont, Auray, Vannes, Malestroit.... relevaient de la même autorité. Maîtres des places et, par les places, des voies principales du Browérec, les seigneurs d'Arradon constituaient de précieux auxiliaires pour le duc de Mercœur. Aussi conçoit-on sans peine que, pour en finir avec la guerre civile, Henri IV ait reçu volontiers en grâce ces dangereux ennemis et, malgré leurs tergiversations, les ait comblés de faveurs.
Claude Guého dut mourir vers la même époque. Nous le présumons d'après un acte rédigé au commencement du XVIIème siècle [Note : Arch. Sainte-Croix] où Christophe d'Arradon se donne comme baron de Camors et de la Grandville. Christophe eut de Julienne de Kerbervet deux enfants : Claude et Renée. C'est ce Claude que nous voyons, en 1625, « baron de Camors, Penhouët, la Grandville » [Note : Arch. Naizin]. Son épouse Louise de Lantivy le laissa sans enfants. Peut-être mourut-il lui-même peu d'années après 1625. Du moins la seigneurie de la Grandville avait un nouveau possesseur en 1630.
LES BIDÉ, SEIGNEURS DE LA GRANDVILLE [Note : Armes : d’argent au lion de sable armé et lampassé de gueules, accompagné en chef et au côté droit d’un croissant d’azur et au côté gauche d’une étoile ; et en pointe, d’une autre étoile de gueules].
Je ne sais si c'est par une vente, un échange, une alliance ou une succession que le manoir passa dans la famille Bidé.
Guillaume Bidé de la Bidière [Note : Alias, Bidénie, parois. de Blain] de la Grandville, conseiller du roi, sénéchal de la cour et du siége présidial de Vannes, créa, le 21 février 1630, au profit des carmes du Bon-Don de Vannes, une rente de 12 perrées de seigle à charge de services et prières pour lui et sa famille, « notamment de célébrer tous les quatrièmes dimanches, en l'église de Notre-Dame du Bon-Don, une grand'messe solennelle du Saint-Sacrement, après laquelle tous les religieux assemblés devront aller en procession, un cierge de cire blanche à la main, à l'entour du cloître, portant, le plus dévotement et révérement que faire se pourra, le très saint Sacrement de l'autel, et auxdites processions, les religieux, prenant des cierges de cire blanche en présenteront de pareils à MM. de la cour du Parlement et du Siége assistants ».
Tous les ans, un service solennel devait être célébré le jour du décès du sieur Bidé, de dame Catherine Lorans, sa femme, et de demoiselle Yvonne Bidé, sa fille. Ledit sieur promettait, par le même acte, « de faire assiette auxdits religieux, par rentes sur héritages portant fruits sous sept lieues de la ville de Vannes, dont les possesseurs fourniront déclaration audit couvent de neuf ans en neuf ans, exprimant amplement la cause et charge de ladite rente ».
« Ne seront lesdits religieux recevables à faire demande des arrérages de ladite rente de plus de 2 ans, s'il n'y a demande en justice non-périmée ».
Enfin : « En cas que lesdits religieux manqueraient de faire lesdits services en leur forme susdite, mon dit sieur veut et retient icelle rente être appliquée à l'Hôtel-Dieu de la ville de Vannes » [Note : Acte du 21 février 1630 Rapport de Bosselme, notaire : fondation acceptée de nouveau et ratifiée par le Chapitre, par acte du 19 septembre suivant, et, le 7 mai 1632, par le commissaire général provincial des Carmen de la province de Touraine dont relevait le Bon-Don. (Arch. de la Grandville)].
On ne connaît pas les héritiers d'Yvonne dont il est parlé ci-dessus. Marié en secondes noces à Judith Chanic [Note : Alias Françoise Chahet. D'après une pièce, ce second mariage n'aurait eu lieu qu'en 1653. Dans ce cas, Joseph, que les actes nous montrent marié dès au moins 1655, serait le fils de Catherine Lorans] Guillaume en eut un fils qui reçut au baptême le nom de Joseph. Joseph Bidé tomba gravement malade en 1639,et sa guérison me fut obtenue que par un miracle. Pour en remercier le ciel, Guillaume Bidé fonda, le 30 juillet, au profit des carmes déchaussés de Vannes, une seconde rente de trois perrées de froment pour « une messe qui se célébrait en leur église à Vannes, le mercredi de chaque semaine, et devait continuer à perpétuité, en reconnaissance de la convalescence de son fils à l'instant du vœu par lui et son dit fils fait à l'autel de Notre-Dame de Paris dans l'état déploré de sa maladie et le désespoir des médecins, au mois de juillet 1639 ». Joseph devait à sa majorité ratifier cette fondation et l'assigner sur ses biens. En attendant, le seigneur de la Grandville l'assigna sur les tenues du Resto, en Brandivy, de Quernain-er-Bastaf et Trélizan, en Pluvigner. L'assignation dénnitive de la rente eut lieu devant notaires, le 23 janvier 1645, sur la tenue Corlay, au village de Kerméno. Les Carmes ayant consenti « à recevoir des détenteurs d'icelle les trois perrées de froment », le fondateur fut déclaré quitte de toute responsabilité.
Quant aux 12 perrées de la première fondation, leur assiette eut lieu sur les tenues Corlay, Novrange. Délézir (au bourg de Locqueltas) et Nosségalo.
Le paiement de ces diverses rentes continua jusqu'à la Révolution. Les événements qui suivirent 1780 amenèrent la réunion au domaine national des biens du clergé tant séculier que régulier, et, par suite, des rentes en question.
Le 25 thermidor an XI, ces rentes étaient pércues par le sieur Macaire de Rougemont, agissant au nom de l'Etat comme directeur des domaines, transférées dans la suite à un sieur Dubois, au nom et comme directeur de la caisse d'amortissement.
Le 27 nivôse an XII, ce dernier, agissant en la même qualité, transféra à son tour ces rentes au sieur Macaire, agissant alors en son propre et privé nom. Les héritiers Macaire, se prétendant aux droits des Carmes, réclamèrent, sous Louis Philippe, la continuation du paiement de cette rente. Un procès s'engagea entre les propriétaires de la Grandville et les héritiers de Macaire. Par un jugement du 18 juin 1839, le tribunal de Vannes donna raison à ces derniers parce que la « rente de douze perrées de seigle avait les avantages de la rente foncière ». La sentence fit exception pour la rente assise sur la tenue Novrange, par ce motif qu'elle était éteinte par la prescription. Les deux parties en appelèrent de ce jugement [Note : Papiers de la Grandville]. L'issue définitive du procès nous importe peu.
Joseph Bidé, fils de Guillaume, avait pour épouse Jeanne Guillemette Le Ny de Coat-Elez. comtesse de Sales. C'est le le 29 janvier 1644 qu'il radifia, suivant le désir de son père, la fondation du 30 juillet 1639, avec l'attournance ou l'assiette résultant de l'acte de 1645. Joseph Bidé devint dans la suite un personnage. Au baptême d'un de ses enfants, 21 août 1679, précédemment ondoyé à Limoges par le docteur Maillard, il décline ses titres de chevalier, conseiller du roi, président à mortier au Parlement de Rennes. Les parrain et marraine sont Guillaume Royer, recteur de Rohan, et Théreze Freneau [Note : Arch. paroissiales].
Joseph Bidé était mort avant le 1er février 1680. C'est ce que nous apprend un aveu on date de ce jour, « que Messire Charles Bidé, chevalier, seigneur de la Grandville, fils aîné et principal et noble de messire Joseph Bidé, vivant chevalier, seigneur dudit lieu de la Grandville, présente et fourait pour satisfaire aux ordonnances de Messieurs les commissaires du roi publiées aux prônes des grandes messes des paroisses de ce ressort d'Auray » [Note : Arch. de Nantes].
Charles, Bidé avait une charge de conseiller au Parlement de Bretagne. En 1684, il se maría à Maria Descartes et mourut cinq and plus tard [Note : Il y avait des Bidé à Pontivy ; « le 8 décembre 1665, nous voyons adjuration de Henri de Portebize, écuyer, et dame Marie Bidé, sa femme »... Il y avait des Bidé à Nantes]. Un sieur Guillo prit à ferme pour trois ans, au prix de trois mille livres, la seigneurie de la Grandville. Le ferme comprenait toutes les dépendances de la seigneurie, tenues, moulins « comme aussi les terres acquises par le défunct seigneur du sieur de Talhouët Bedon » [Note : B. 475 (Arch. dép.)]. Le contrat fut passé, le 19 septembre 1689, au nom de la jeune veuve et de ses enfants mineurs. Un double douaire grevait dès lors la seigneurie. Maître Charles Morin, tuteur onéraire des enfants Bidé, déclare, le 30 juillet 1691, devant le sénéchal de Vannes, que « sur les mille escus, Mme la présidente de la Grandeville a son douaire, et Mme de la Grandeville mère a pareillement le sien » [Note : B 456 (Arch. Dép.)].
La jeune douairière était fille de Joachim Descartes, seigneur de Kerleau [Note : Ancienne demeure du philosophe Descartes. Les Descartes étaient nombreux en Bretagne, Catherine Descartes signe en 1656 au baptême de Madeleine Hidé ; en 1678, Madeleine Descartes est dame de Penvern, baronne de Persquen ; le jésuite Descartes signe en 1734 à la bénédiction de la seconde cloche de la Trêve de Brandivy…], en Elven, conseiller au Parlement, François Joachim Descartes, commandeur de l'ordre de Saint-Lazare, acheta, en 1702, à Jacques de Lessard, la seigneurie de Kerdavy. Marie Descartes en hérita dans la suite. Des quittances de fermages nous la montrent, dès 1712, en jouissance de ses revenus [Note : Titres Ribouchon]. Les deux seigneuries réunies comprenaient 92 tenues ou convenants. La recette s'élevait, en 1789, à 13.011 livres ; en 1788. à 17.108 livres [Note : Papiers de la Grandville. — La recette montait, en 1862 à 43.360 livres].
Bonne-Paule d'Espinose habitait avec son aïeule le manoir de la Grandville. Cette demoiselle était originaire de Rennes et son père était conseiller au Parlement. Marie Descartes s'empressa d'assurer le sort de sa petite fille, en la mariant, en 1734, à un jeune seigneur de Guégon, Jean-Baptiste-Alexis-Joseph de la Chapelle, seigneur de la Villeplotte. Le mariage fut célébré le 2 mai dans l'église de la Trêve, avec le consentement des recteurs de Guégon et de Saint-Etienne de Rennes.
Une petite fille naquit, que ses parents mirent en nourrice au village de Plunian ; elle y mourut à l'âge de dix mois et fut inhumée dans l'église de la Trêve. En 1737, naquit à la Grandville un second enfant qui fut ondoyé dans la chapelle du château. Les nobles époux n’avaient pas cependant leur résidence ordinaire à Brandivy, mais à Vannes, en la paroisse Sainte-Croix [Note : La famille de la Chapelle demeurait encore à Vannes au moment de la Révolution. Le 9 août 1793, le directeur du district de Vannes accorde au citoyen de la Chapelle l'autorisation de se rendre avec sa famille à sa campagne de Plumelec. (Arch. départ.)]. Marie Descartes mourut vers 1759, presque centenaire. Depuis cette époque, le manoir cessa régulièrement d'être occupé [Note : On vint l'habiter par exemple en 1760, lors du mariage célèbré à Brandivy entre Paul Gibon, chevalier, seigneur de Keralbeau, enseigne de vaisseau, et demoiselle Anne-Pauline de la Chapelle. Veuve Touët de Chambord y résidait aussi en 1784 (Arch. par.)].
Julien-Louis Bidé, fils des précédents, héritier en expectative du domaine de la Grandville, s'unit, en 1734, aux seigneurs de Kerlois, de Lanouan, de Crac'h, de Locmariaquer, contre les prétentions de M. de Robien qui revendiquait avec acharnement tous les droits et prérogatives des anciens barons de Lanvaux. Le seigneur de la Grandville entendait pour les dépendances de la seigneurie situées en Pluvigner, relever directement du roi. M. de Robien invoquait sa qualité de seigneur fondateur de la paroisse et de successeur des barons de Lanvaux, pour affirmer sur les mêmes terres un droit de haute justice. L'arrêt du Grand-Conseil, intervenu le 8 mars 1763, eut pour effet de maintenir ce dernier dans la plupart de ses prétentions [Note : Fonds Robien, arch. dép., « Avec défense pourtant de prendre la qualité indéfinie de seigneur de Pluvigner, sauf à se dire seigneur de la Forêt-Lanvaux »].
Des 1732, au moins, le seigneur de la Grandville exerçait les hautes fonctions de conseiller d'Etat et d’intendant des Flandres. Dans l'arrêt dont il est parlé ci-dessus, le souverain le désigne comme « conseiller en nos conseils, maître des requêtes ordinaires de notre hôtel, intendant de justice, police et finances en Flandre ». Il s'était marié à Pétronille-Françoise de Pinsonneau, qui avait pour mère Pétronille Tribouleau de Bondi [Note : Arch. de la Grandville]. La famille Tribouleau jouissait en ce temps-là d'une certaine notoriété [Note : Sous Louis XV, on trouve un Tribouleau de Bondi trésorier de France, un autre curé à Paris].
C'est le 5 janvier 1750 que Joseph-Louis Bidé, fils de l’intendant des Flandres colonel du régiment de Saintonge, épousa Thérèse-Françoise de la Chabrerie ou du Glusel [Note : Arch. de la Grandville. — Notons ici que le château de Coëtcandec posède un écusson où les armes des la Bourdonnaye sont accolées à celles des Bidé de la Grandville. Le fait est qu'il y a eu des alliances entre les deux familles. Une inscription du cimetière de Locmaria signale le mariage de Julien de la Bourdonnaye avec Marie-Françoise Bidé de la Grandville, décédée le 1er novembre 1771]. Sa sœur, Pétronille-Louise Bidé, se vit recherchée par un personnage considérable qui demanda et obtint sa main. C'était « très haut et très puissant seigneur, monseigneur François-Armand Dusson, marquis de Bonac, comte de Saulx, baron de Beaufort, maréchal de camp des armées du roi, son conseiller en ses conseils, ci-devant ambassadeur près les Etats-Généraux de Hollande, gouverneur des châteaux de Dusson et de Quériguet, chevalier d'honneur honoraire au Parlement de Toulouse, chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis et des Ordres de l'Impératrice de toutes les Russies… » [Note : Arch. de la Grandville].
Le seigneur de la Grandville avait fixé son domicile à Paris ; il était brigadier des armées du roi, quand éclata la Révolution française. Depuis quatre ans déjà, le délabrement de sa santé était notoire. Ayant résolu de demander aux eaux d'Aix-la-Chapelle quelque soulagement à ses infirmités, il quitta Paris, le 6 juin 1789, pour se rendre en Allemagne. Comme son départ coïncidait avec la chasse à la noblesse, il devint suspect et le département de Paris le porta sur la liste des émigrés. Il réclama aussitôt contre cette inscription, en faisant valoir les causes et les motifs de son absence. L'administration admit sa réclamation et lui accorda le 24 août 1793 un arrêt de radiation provisoire [Note : Le département du Finistère leva le séquestre sur les biens qu’il possédait dans le département dès le 30 août 1791. — Arch. de la Grandville]. L'arrêt devint définitif à la suite d'une enquête très sévère sur les raisons qu'il alléguait pour continuer son séjour à l'étranger :
« Considérant qu'il résulte des certificats des docteurs de Bonn que ledit Bidé, octogénaire, presque aveugle, est dans un état continuel de maladie, ayant voulu se rendre en France et n'ayant pu soutenir la voiture, fut forcé de revenir à Dusseldorf y continuer sa care commencée ; qu'il résulte de même d'un certificat du conseil électoral de Trèves du 28 avril 1793, légalisé par le chargé d'affaires da France, lequel constate que Bidé presque aveugle est hors d'état d'entreprendre aucun voyage, que les infirmités dont il est accablé le forçant d'être tous les jours aux bains, il lui est impossible de repartir pour la France…. Considérant que son absence ne peut être regardée comme émigration…. arrête que son nom sera rayé de la liste des émigrés, que le séquestre apposé sur ses biens sera levé [Note : Arrêté du Comité de législation (L. cit.)]. 4 ventôse an III. » (22 février 1795).
Le seigneur de la Grandville ne resta que deux ans à Aix-la-Chapelle. D'Aix il se rendit à Bonn, puis à Dusseldorf, à Heidelberg, en Suisse, toujours avec le vain espoir d'améliorer l'état de sa santé. C'est en Turgovie qu'il vendit à des Suisses, le 7 décembre 1795, sa propriété de Kergournadech, au capital de 200,000 livres. Ce capital était censé rapporter un revenu annuel de 8,000 livres. Dans le cas où la supposition se trouverait fausse, il prit l'engagement de céder d'autres propriétés, jusqu'à concurrence de la rente prévue.
Le 18 mars 1800, il était domicilié à Fribourg en Brisgau, comme en fait foi un acte très important, daté de ce jour [Note : Arch. de la Grandville].
En vertu de cet acte « il constituait à sa place et droits Jean-Louis-Anne d'Hautefort, maréchal des camps et armées du roi, époux de sa fille unique, Pétronille-Françoise, pour vendre et disposer à sa guise de tous ses biens, meubles, immeubles et revenus ». Le tremblement extrême de sa main l'empêcha d'apposer à la pièce sa signature. C'est dans cette même année, si je ne me trompe, qu’arriva le décès du vieillard. L’histoire contemporaine est par ailleurs trop connue, pour qu’il y ait lieu d'insister.
MM. Bidé nommaient le titulaire du prieuré-trève de Saint-Nicolas-des-Eaux. Les baux de ferme, quittances.... désignent généralement ces seigneurs sous le nom de chevaliers, marquis de la Grandville.
IV.
LE FETENIO.
Le mot Fetenio veut dire fontaine, sources. Comme il est à proximité d'un marais et de sources abondantes, le manoir a bien mérité ce nom.
Le voisinage de deux grandes voies lui assurait une grande facilité de communications. Le Hent Conan passait devant le manoir même, à dix pas de la porte, et, a cent mètres à l'ouest, l'ancien grand chemin de Locminé à Auray traversait le Hent Conan.
La façade du manoir est en pierres de taille ; les fenêtres sont partagées en quatre parties par des traverses en pierres, et les chambres, faute d'un étage spécial, taillées dans les combles.
Ces détails prouvent que le Fetenio a servi de résidence seigneuriale ; mais a quelle époque et par qui a-t-il été habité ? Aucun titre ne l'indique.
Tout ce qu'on sait, c'est qu'en 1694, le fonds de cette terre appartenait à Mme de Rozambo Le Gouvello [Note : Aveu de Largouët (Nantes)] ; on 1775, à Mgr Jeun-Louis de Gouyon de Vaudurant, ancien évêque de Léon [Note : Arch. de Rougé] ; pendant la Révolution [Note : Arch. de Rougé] comme de nos jours, aux comtes de Rougé.
V.
LE TREMER.
Il est situé dans un bas-fonds, à l'entrée de vastes prairies, à travers lesquelles serpente le petit ruisseau de Rohu. La maison a un étage, avec une fenêtre divisée en quatre par une traverse en pierres [Note : Ce genre de fenêtres n’est pas rare dans nos campagnes].
L'aveu de Largouët, du 14 juillet 1694, mentionne « une metairie au village du Tremer, sous dame Marie Le Gouvello, dame de Rosambo, labourée par François Quellenec ». Cette métairie n'est autre que la maison noble du Tremer qui avait pour seigneur, en 1544, Victor de Callo ; en 1620, Henry Le Gouvello ; en 1625, Paul Le Gouvello et Renée Le Livec. veuve de Jean de la Touche ; en 1666, Julien Le Gouvello et Françoise Le Toux ; en 1681, Joseph du Cosquer et Marie Le Gouvello. Marie Le Gouvello a dû se marier en secondes noces à M. de Rosamho. C'est ce que laisse deviner un aveu de M. de Robien, en date du 5 avril 1683. Cet aveu signale « une grande tenue, sous M. de Rosambo, à présent en deux, située au Guern, proche de la maison presbytérale de Pluvigner, possédée par la dame de Rosambo, comme héritière de feu sieur de Trévereuc, son père, acquise de la maison de Botéveno » [Note : Maison manoir et métairie noble de Botéveno, situés au bourg de Pluvigner, proche le bas de la rue du Rirello. Moulin à vent et à eau de Botéveno ; moulin à vent au village de Calpério. Le manoir de Botéveno apartenait aux seigneurs d'Arradon, puis aux Bidé de la Grandville. (Aveu de M. de Robien, comme baron de Lanvaux, Nantes.)].
Les autres seigneurs du Tremer sont, en 1700 : Louis Le Pelletier et Genevièsve du Cosquer ; en 1709, Louis Le Pelleter ; en 1778, Joseph-François-Exupère Le Gouvello ; pendant Révotution, Anne-Alexandre-Marie-Sulpice de Montmorency-Laval et Marie-Louise-Elisabeth de Montmorency-Luxembourg. La métairie, vendue comme bien national le 28 germinal an VI (17 avril 1798), fut acquise par le sieur Marion de Vannes, au prix de 64.000 livres L'an X, Marion la revendit à Naux, maire de Quiberon. Tourmenté, ce dernier se mit en relations, par l'intermédiaire de l'évêque de Vannes, avec le légitime propriétaire, qui consentit la cession définitive de sa propriété, moyennant une indemnité de 1000 livres [Note : Titres Bodic fonciers].
VI.
LE PORC'H-GUENNEC.
Les ruines sont au ras du sol ou peu s'en faut. Quelques bosses et creux en marquent seuls l’emplacement. Lorsque tout récemment on a reconstruit la ferme, les ouvriers ont extrait de ces ruines quelques pierres de taille bien travaillées, qui sont entrées sans autre préparation dans les murs de la nouvelle maison. Rien cependant qui attire le regard, si ce n'est une pierre assez grosse, située près des restes de la vieille métairie ; sa forme est celle d'un cône tronqué, et elle porte à la surface plusieurs petits trous qui sont peut-être des armes. Les pierres de cette nature, qu'on rencontre particulièrement aux environs des maisons, seigneuriales, indiquent vraisemblablement un point de départ pour mesurer jusqu'où s'étendaient les droits d'une seigneurie relativement à l'exercice de la juridiction, à la banalité du moulin.... Telle n'est pas l'interprétation de nos paysans ils prétendent que ces pierres servaient aux seigneurs à monter à cheval. Ils veulent même qu'une dame de Porc'h Guennec, dite Madame d'O, dont le pied glissa sur la pierre en question, s'y soit brisé la tête [Note : Cette légende et la circonstance des pierres de taille m'ont déterminé à y voir un vieux castel]. Qu'y a-t-il de vrai dans cette légende ? Je n'en sais rien. Ce qui paraît étrange, c'est le nom de Madame d'O, conservé dans la tradition. La famille d'O n'est pas un mythe ; un château de ce nom s'élève dans l'Orne, près de Séez, et un seigneur d'O accompagnait à la croisade Robert Courte-Heuse. Comment ce nom est-il venu aux oreilles de nos paysans ? Ils ne l'ont pas inventé, et on est fondé à conclure que la légende répond à quelque réalité.
Mais il y a bien du temps de cette histoire. Déjà, au XVIIème siècle, il n'y avait en cet endroit que des fermes : « Porho Guevello, à présent Porc'her Guennec, deux tenues, les deux autrefois ne faisant qu'une » [Note : Aveu de Largouët déjà cité]. Le fonds de ces métairies relevait de Kerdavid.
VII.
LE SCOUEC.
Dénommé Sclus en Soueh en 1445, le Scouëc avait pour seigneur à cette époque Guyon de Carné, qui le vendit la même année à Charles de Lespervey [Note : Manuscrits de M. Galles]. Nul doute, par conséquent, sur l'existence d'un ancien manoir dit du Scouëc. Le moulin, d'ailleurs, n'est pas encore détruit, et tout vieux moulin portait le nom de la seigneurie dont il était en quelque sorte une annexe.
Au dix-septième siècle, ce moulin relevait du château de Kerlan, en Plumergat. Nous le savons par un aveu au roi en date du 28 décembre 1679. Vincent Boutouillic, sieur de Kerbrezel, demeurant à Auray, avait acquis cette seigneurie, et il déclare « le moulin du Scouëc dépendant de son acquêt de la terre de Kerlan » [Note : Arch. (Nantes)]. Il n'y est nullement question du manoir du Scouëc : ce qui porte à faire croire que dès lors il avait cessé d'exister.
Le difficile est de fixer son emplacement, et c'est le cas de dire que ses ruines même ont disparu, etiam periere ruinae. — Est-ce la butte dite de Porc’h Clud situé au nord de l’eglise et qui domine le moulin du Scouëc, ou, pour mieux dire, l'étang du moulin ? Le mot Porc'h a le sens de manoir, et Clus ou Clud revient assez à Sclus.
Est-ce la butte dite Corn Parc er Mener, qui se dresse dans les terres du Runio, au nord de Porc'h Clud, dont elle est séparée seulement par une vallée profonde ? Le terme « Mener » est également l'équivalent de manoir, et des bosses et des creux dénotent les ruines d'une ancienne habitation.
Si en tout cas le manoir du Sclus en Soulh ne se trouvait ni au Porc'h Clud, ni au Parc er Mener [Note : C'est aux flancs de la montagne que domine la Parc er Mener qu'on trouve la belle source du Runio. L'eau paraît jaillir de toutes les parties d'un rocher tapissé de mousses. Il est en forme de muraille et présente bien une surface de 25 mètres carrés], je ne sais plus où le mettre.
VIII.
PULUNYAN.
Y a-t-il eu, en Brandivy, un manoir dit de Pulunyan ? On connaît plusieurs seigneurs de ce nom. En 1661. le Clud, en Plumergat, avait pour seigneur Chrystophe de Pulunyan. A la même époque, Cospéric, en Grand-Champ, appartenait à René de Pulunyan ou Plunian. En 1504, Jean de Pulunyan possédait la seigneurie de Kerméno, dans la même paroisse. Or, depuis l'origine de la féodalité, les seigneurs ont pris et conservé l'usage de dissimuler sous le nom de lours terres le nom de leurs familles. Donc il existe quelque part une terre de Pulunyan dont ces personnages ont pris le nom ; et comme le dictionnaire topographique du Morbihan n'en signale aucune autre en dehors de Brandivy, il n'est pas défendu de croire qu'elle est peut-être chez nous ; mais en l'absence de tout texte et de tout vestige, tenons-nous-en à ce peut-être.
IX.
SAINT-NERVEN.
Trois ou quatre monceaux de décombres, dont le plus gros paraît avoir été un donjon, c'est tout ce qui reste de l'antique manoir de Saint-Nerven. Si l'on en juge par certains vestiges, de larges fossés, que le Loc'h remplissait de ses eaux, entouraient cette habitation seigneuriale. Un aveu nous la
-819- BRANDIVY
montre, dès le dix-septième siècle, en fort mauvais état : « Le lieu et manoir de Saint-Nerven,
les logements d'iceluy estant à présent tous en ruines ». Le même aveu signale
« des cours et jardins, vergers et pourprix, bois de haute futaye et de
décoration, taillis...... ».
D'après diverses pièces, la seigneurie, à l'époque dont nous parlons, était « scize et scituée en la paroisse de Plumergat, sons la juridiction royale d'Auray » [Note : En dernier lieu, elle relevait de Largouët (Aveu, en 1766, du seigneur de Treulan à Largouët)]. De nos jours, elle fait partie de Brandivy et cette annexion s'explique aisément : après l'abandon du manoir, toutes ses dépendances furent attachées à la métairie ; comme celle-ci s'élevait sur le territoire de Brandivy, les ruines de la maison noble ont fini par dépendre de la même localité.
Lorsqu'on examine l'emplacement du manoir de Saint-Nerven, on se demande comment un seigneur a songé à établir sa résidence en ce pays perdu. L'étonnement cesse, dès qu'on a étudié le terrain, les textes et la tradition. Un vieux pont, dénommé Pont-Bel, traversait le Loc’h à quelques mètres des fossés même, et à ce pont aboutissaient deux anciennes voies : un embranchement du Hent Conan [Note : Cadastre de Brandivy] et un du Hent Guénet dont les tronçons sont encore très apparents. Saint-Nerven n'a pas été d'ailleurs le premier manoir construit en ces parages. D'énormes débris se dressent en face, sur une colline, au village du Veniel, en Pluvigner : ce sont les ruines d'un antique château-fort qui commandait le pont, ainsi que les voies qui passaient au pied des remparts.
Le fondateur de Saint-Nerven est inconnu. Ce ne doit pas être Pierre Grignon, dit de la Forêt [Note : La Forêt, en Languidic. Les Grignon de la Forêt avaient pour armes : d’argent au chef de sable], qui le possédait en 1476. En 1494, nous trouvons Louis Grignon de la Forêt et Ysabeau de Camzon, dont la fille, Louise, épousa Tanguy de Kermavan.
C'est cette même Louise de la Forêt, dame de Saint-Nerven, qui refusa foi et hommage à la Chartreuse, sous prétexte que la confiscation de la baronnie de Lanvaux entraînait de plein droit et d'une manière irrévocable, dans la dépendance du duc, tous les domaines de la baronnie. Les Kermavan avaient pour devise : « Dieu avant Kermavan, » ou : « Antequam Abraham fuisset, ego sum » [Note : Armes des Kermavan : Au lion d’or sur champ d’azur ; ou : d’azur à une tour sommée de trois tourillons d’argent, le tout posé sur une roue de même, contrecartelé d’or au lion d’azur]. Tanguy de Kermavan eut une bonne part, en 1507, dans l’établissement des Cordeliers aux Anges ; il leur donna l'emplacement du monastère, libre de foi et d'hommage.
La seigneurie de Saint-Nerven passa, vers 1545, dans la maison de Plusquellec, par le mariage de Françoise de Kermavan, dame de Saint-Nerven, avec Jean de Plusquellec. Une pareille alliance ajoutait un nouvel éclat au blason des Kermavan, attendu que les Plusquellec comptaient, à bon droit, parmi les principaux seigneurs de la Basse-Bretagne [Note : Armes des Plusquellec : d’argent à trois chevrons de gueules].
Les titres mentionnent ensuite, en 1570, Morice de Plusquellec, fils des précédent, et Jeane de Goulaine ; en 1584 : Louis de Plusquellec et Diane de Luxembourg. Ceux-ci n'ayant pas laissé d'héritiers, la seigneurie de Saint-Nerven, avec leurs autres biens, échut à Claude de Kermavan, sœur de Louis, et, par le mariage de Claude avec François de Maillé, passa dans la famille des Maillé [Note : Armes des Maillé : d’or à trois fasces de gueules]. François de Maillé fut, pendant la Ligue, un partisan fidèle de Henri IV. De leur union naquit Charles de Maillé, marquis de Kermavan, baron de la Forêt, de l'Islette, d'Honnes, seigneur de la Marche, de Lesquelen, de Camzon.... « lequel étant au siège de la Rochelle, fust atteint d'une fièvre ardente et se fit transporter à son château de l'Islette, où il mourut peu de jours après son retour, après avoir reçu tous les sacrements de l'Eglise, le 24 de juin, l'an 1626. Son corps fust porté en la ville de Tours pour être inhumé au chœur de l'église des Cordeliers ». Ce seigneur mourait dans la force de l'age, à 46 ans [Note : Le pays de Léon le pleura : Carolus, oh ! moritur, Pylii vel Nestoris annos - Vivere dignus adhuc, quem modo Parca necat.... (Vers de Jean Le Floch, curé de Kernilis, à l'époque de sa mort). Ces détails sont tirés en partie des notes de Kerdanet sur les Vies des Saints, par Albert le Grand. C'est en faveur de ce Charles de Maillé que la seigneurie de Carman fut érigée en marquisat et celle de la Forêt, en Languidic, en baronnie. (B. 1335, Cour de Comptes)].
Son fils, Donatien de Maillé, qu'il eut de Charlotte d'Escoublac, vécut moins longtemps encore. C'est à l'âge seulement de 35 ans qu'il décéda, le Vendredi Saint de l'an 1652, à la suite d'une blessure qu'il avait reçue, huit jours auparavant, dans un combat singulier contre le marquis du Chastel. Donatien avait été marié, en 1644, à Moricelle-Renée de Plœuc, fille de Sébastien de Plœuc, marquis du Tymeur. Cette dame était l'une des femmes les plus spirituelles et des plus lettrées de son temps. Frère Cyrille Le Pennée, carme de Saint-Pol de Léon, lui dédia, en 1658, son Histoire des églises et chapelles de Notre-Dame, basties en l’évêché Léon [Note : Vies des Saints (Albert le Grand)]. Elle eut de Donatien un fils qui naquit au château de Tymeur, en 1647 : personne si accomplie, mesme à l'âge de 12 ans, dit un auteur, que l'art ne pouvait rien ajouter à la nature » [Note : Vies des Saints (Albert le Grand)].
Ce n'est pas cet enfant qui paraît avoir hérité de Saint-Nerven, mais son oncle Léonor-Charles de Maillé, frère de Donatien. Léonor n'ayant pas laissé d'héritier de Marie Peschard, son épouse, la seigneurie échut, en 1672, à son neveu Charles-Sébastien de Maillé, et, en 1682, à Charlotte de Maillé, fille et héritière de Charles-Sébastien : « Seigneurie échue et advenue à la dame de Moussy, à cause de la succession du deffunct messire Charles, comte de Maillé, son père, vivant marquis de Carman » [Note : Aveu de Saint-Nerven]. La fille de Charles avait effectivement épousé René Bargeot, chevalier, marquis de Moussy, qui mourut en 1690, époque où Charlotte habitait Paris. La qualité de « bourgeoise de Paris » était un des motifs que cette dame invoquait pour se dérober aux charges publiques du diocèse, lors de la convocation du ban et de l'arrière-ban seigneurial [Note : Voir le Régime seigneurial].
Alexis Bargeot, son fils, se maria à Marie-Anne d'Appelvoisin, comtesse de Roncée. Suivant plusieurs baux de ferme, cette dame résidait habituellement au château de Lislette. C'est ce même Alexis Bargeot qui vendit, en 1740, la seigneurie de Saint-Nerven à Jean-Thomas de Robien, seigneur de Treutan, de Sainte-Geneviève et autres lieux, parent du fameux président à mortier au Parlement de Bretagne [Note : D’azur à dix billetes d’argent, 4, 3, 2, 1. Devise : Manet alta mente repostum, et : Sans vanité ni faiblesse]. Thomas de Robien épousa Hélèn-Joséphine Eon de Carman et résidait à Treulan. Julien-Louis de Robien, seigneur de Goézac, fils des précédents, et Anne-Marie de Lesquen, son épouse, sont les derniers seigneurs que nous révélent les titres de Saint-Nerven avant la Révolution. La seigneurie ne fut pas confisquée pendant cette époque de troubles. Le fonds en fut vendu, en 1846, à madame Seinié par M. de Gouvello et madame Etizabeth de Gouvello, veuve en premières noces de Paul-Marie de Robien [Note : Titres Bayon d’Auray].
X.
TY-ER-MER.
Ecart, commune de Grand-Champ, seigneurie, dit le dictionnaire topographique du Morbihan. Aucun lieu de l'ancieune paroisse de Grand-Champ ne porte ce nom, sauf une maisonnette qui s'élevait, il y a peu de temps encore, presque au sommet de la chaîne de Lanvaux, non loin du filet d'eau qui sépare Brandivy de Pluvigner. Aux alentours, il est vrai, il n'existe aucune trace de douves, de parapets ou de décombres. Mais que d'autres manoirs ont été de la sorte rasés jusqu'au sol ! Le nouvel établissement des Granges se trouve à proximité et il est vraiment fâcheux que le propriétaire de ce vaste domaine ait ignoré la particularité qui nous occupe ; car, en place du nom vulgaire des Granges qu'il a pris d'un village voisin, c'est avec empressement sans doute qu'il l'eût honoré de l'appellation seigneuriale de Ty-er-Mer, dont la signification d'ailleurs, à divers points de vue, lui conviendrait si bien.
XI.
CHATELIERS.
Les châteliers ou enceintes fortifiées sont au nombre de cinq sur le territoire de Brandivy. On les trouve à Castel-Guen, dans la lande dite de Morgat, qui s'étend au nord du Parc-Mare, sur les hauteurs du Tremer, à l'est de Porc'h-Guennec, et dans les terres de Brenedan.
La dénomination de ces enceintes ne laisse guère de doute sur leur ancienne destination. On doit y voir des lieux de défense, des forteresses des temps passés. Cela va de soi pour le Castel-Guen. La chose ne paraît pas moins évidente pour le Parc-er-Mener du Tremer, pour l'enceinte du Porc'h-Guennec, le mot Porc'h signifiant lieu clos et muré, autrement dit, castel ; pour l'enceinte de Brenedan, dénommée Porheu ou Porho, terme identique à celui de Porc'h. Ainsi, sur cinq enceintes, en voilà quatre dont la dénomination directe ou indirecte revient à castel. N'y a-t-il pas lieu de croire qu'à l'origine, la cinquième a porté un nom équivalent ?
A l'appui de ces dénominations, vient l'étude du terrain.
Le Porho de Brenedan et le Castel-Guen se dressent à pic au-dessus du Loc'h, à l'extrémité d'un cap formé par la jonction de deux vallées. Un double rempart, au moins, a dû, dans le principe, les entourer. Au Porho, l'enceinte intérieure est carrée. De nombreux restes d'habitations jonchent le sol, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des fortifications.
Une distance de quatre à cinq kilomètres le sépare du Castel-Guen. La forme de ce dernier est ovale ; à l'intérieur, vestiges de deux maisons ; à l'extérieur, ruines nombreuses. Les dimensions du castel sont considérables : un journal 76 cordes, ou, pour parler le style du jour, près d'un hectare. Les remparts présentent encore une élévation de deux mètres ou plus de hauteur, sur une largeur, du moins à la base, de 4 ou 5 mètres. Deux larges baies ouvrent les remparts vers le sud, seul côté accessible. De ce côté encore, à deux ou trois cents mètres, on montre un trou pratiqué dans l'angle d'un champ et qui s'élargit à mesure qu'il s'enfonce en terre. Ce n'est pas la bouche d'un puits, c'est l'entrée probable d'un souterrain qui relevait du castel en question.
C'est également à l'extrémité d'une éminence que s'élève le Parc-er-Mener. Seulement l'éminence ne se termine pas, comme pour les deux castels précédents, en pointe effilée. Les vallées sont moins profondes ; et, au lieu de la belle rivière du Loc'h, c'est un maigre filet d'eau, souvent desséché par les chaleurs de l'été, qui court au bas de la montagne. Un double mur défendait les approches de la place ; l'enceinte extérieure est circulaire ; l'enceinte intérieure, carrée, longue.
Il y a trois enceintes au Porh-Guennec. Non qu'elles se servent mutuellement d'enveloppes ; elles sont juxtaposées. Deux d'entr'elles sont rectangulaires, mais de longueur inégale, et la troisième, circulaire. Celle-ci a une largeur d'environ trente mètres. La largeur du mur est de quatre : on dirait, en quelques endroits, un ouvrage de maçonnerie. Nos paysans y prennent volontiers des pierres pour clôturer leurs champs. L'ouverture est au sud. Ce qu'il y a de singulier, c'est que ces enceintes soient situées en rase campagne, sur un terrain, élevé sans doute, mais dépourvu de toute défense naturelle.
L'enceinte du Parc-Mare est carrée, longue. Ses côtés mesurent une moyenne de trente-cinq mètres. La place se trouve également sur une hauteur et, de plus, à la naissance d'une langue de terre qui domine, du côté nord, une vallée profonde. L'ouverture est tournée au midi.
Voilà donc, outre les maisons nobles, cinq enceintes fortiflèes sur le territoire de Brandivy [Note : Il devait exister une sixième enceinte à Kerhouarno, non loin du château de Lanvaux, pour les raisons que je dirai tout à l'heure : elle n'existe plus]. Chose. Curieuse ! Elles sont situées précisément dans le voisinage de ces maisons nobles. Le Castel-Guen domine le manoir de Saint-Nerven ; l'enceinte du Parc-Mare est à 500 mètres de la Grandville ; le Parc-er-Mener s'élève au-dessus du Tremer ; la triple enceinte de Porc'h-Guennec se trouve à proximité des ruines du manoir du même nom, du Fetenio et du Coëtro. Les terres du Guern et de Kergal s’étendent jusqu'au Porheu de Brenedan. Reste le manoir du Scouëc. Croyez-vous qu'il n'ait pas son enceinte correspondante ? Détrompez-vous. Elle existe, non pas à Brandivy, il est vrai, mais sur le territoire de Pluvigner. Pour préciser davantage, elle se trouve non loin du moulin du Scouëc, aux flancs de la montagne de Keridan, dans un champ nommé Clair-Hoët, aux bords du Hent Conan. Les dimensions portent 6 ares 40 ; les remparts sont bien conservés.
Aux enceintes qui précèdent, pourquoi n'ajouterai-je pas le Castellic, bien qu'il soit encore situé en Pluvigner, sur la limite de Brandivy. Son pendant n'est pas non plus éloigné : le manoir de Kerdavy.
Que cette correspondance soit digne de remarque, personne n'y contredira. Ce qui ne l'est pas, c'est l'accompagnement ordinaire de tous ces châteliers. Au Parc-Mare, sur les hauteurs qui dominent Clair-Hoët, au Porho de Brenedan, sur le versant sud de Runio, à Kerhouarno (mot à mot village du fer), ce n'est que scories et charbon. Le Porc'h Guennec, le Parc-er-Mener du Tremer, le Castel-Guen n'offrent pas de crasse de fer ; mais au Porc'h Guennec, le charbon remplit les murs et, sur une grande étendue, se montre à fleur de terre ; au Parc-er-Mener, des fouilles pratiquées dans le talus qui entoure l'enceinte carrée, ont mis au jour des débris de poterie et de la cendre ; les remparts enfin du Castel-Guen renferment des monceaux de charbon. Ajoutons-y quelques morceaux de brique trouvés au Castel-Guen et au Porho de Brenedan.
Voilà des indications caractéristiques et, la plupart des enceintes, on est bien obligé de les regarder comme des ateliers de forges. Faut-il s'en étonner ? Dès les temps les plus anciens, les Celtes ont su travailler les métaux et, à défaut du minerai, le sol de Brandivy présentait pour ce genre d'industrie, les autres conditions requises : une immense forêt, sillonnée par de nombreux cours d'eau. Le combustible étant un élément de première nécessité, les ouvriers jugeaient plus avantageux de se placer au milieu des bois et d'y apporter le minerai, surtout quand des cours d'eau venaient arroser ces bois. Ils commençaient par construire des enceintes qui leur servaient à la fois de refuge et d'atelier. Leurs instruments, leur matériel, leurs produits avaient de la valeur et, pour les mettre en sûreté, il n'est pas surprenant qu'ils se soient donné la peine de se retrancher derrière le haut talus. — Tel est à cet égard le sentiment de Léon Maître. Il a fait sur ce sujet des études spéciales et il est difficile de ne pas se ranger à son avis. Dès lors s'explique la relation que nous avons signalée entre ces enceintes et les maisons nobles. L'industrie avait pris sur ce territoire un grand développement et, suivant une observation du même savant, les seigneurs s'établissaient, dans la mesure du possible, auprès des populations industrielles.
Toutes ces enceintes ne paraissent pas néanmoins comporter la destination ci-dessus indiquée et, sans parler des autres, une exception doit certainement se faire pour le Castel-Guen. De crasse de fer d'abord, il n'y a trace nulle part: puis, en dépit du charbon qui remplit les talus, il répugne d'y voir un atelier de forge. Sans la déclivité du sol, rien n'empêcherait de le prendre pour un camp romain. Qui sait si son origine n'est pas celtique ? Ne dirait-on pas un chef armoricain entouré de sa tribu ? Qui sait même si le territoire de Grand-Champ, autrement dit Grand-Camp, n'en aurait pas tiré son nom ? Cette opinion sur la haute antiquité du Castel-Guen ne défend pas de croire qu'il a été utilisé dans la suite des temps. Si l'on s'en rapporte à la tradition, un grand combat s'est livré aux alentours entre le seigneur du Castel-Guen et le seigneur du Veniel. La troupe du Castel-Guen, invincible derrière les remparts, eut la mauvaise inspiration de les quitter : elle fut battue à plate couture, son chef tomba aux mains de l'ennemi et le vainqueur le dépouilla de tout son patrimoine. Or, tel est le récit de l'histoire relativement à la défaite du baron de Lanvaux. Ce serait donc dans ces parages que s'est consommée la ruine du grand seigneur. Ce qui est certain, c'est que le domaine du Castel-Guen lui a jadis appartenu. Le fonds du Castel et tout le terrain avoisinant relevaient de la Chartreuse d'Auray, principale héritière en ce pays, comme on l'a vu ailleurs, des dépouilles de la fameuse baronnie.
Le lecteur se dira peut-être, en terminant cette étude, que Brandivy est un pays privilégié. Le voisinage du Loc'h, nos sites boisés et élevés offraient sans doute des ressources que les anciens eussent vainement demandées à beaucoup d'autres pays. Il est vrai toutefois que les maisons nobles, ainsi que les enceintes fortifiées, abondent sur tous les points du territoire breton. Seulement, pour les connaître, il faut les chercher.
(Abbé Guilloux).
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