Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

RÉGIME SEIGNEURIAL A BRANDIVY

  Retour page d'accueil       Retour Ville de Brandivy   

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Deux chapitres pour cette partie : l'un a pour objet le Régime seigneurial, l'autre les Maisons seigneuriales. Le titre comporte bien ce double objet. On n'y répondrait pas, si on se bornait à l'étude des manoirs. Le terme seigneuriales indique encore des mœurs et des usages particuliers dont il ne reste plus que le souvenir, et c'est aussi ce qu'il s'agit de faire revivre. D'où :

RÉGIME SEIGNEURIAL.

Qu’on lise le premier vieux bail de ferme venu, on y trouvera énumérées, en termes à peu près identiques, la plupart des clauses suivantes : « le seigneur fait bail à titre de domaine congéable .... le preneur suivra les droits de cour et de moulins, paiera les fouages ordinaires et extraordinaires et toutes autres charges qui pourront être imposées sur ladite tenue ; paiera une somme de .... en argent de convenant, puis des perrées de froment, seigle, chapons .... pour nouveautés en faveur de la présente paiera.... tant .... ». Voilà ce qui constitue, à proprement parler, le régime seigneurial. En expliquant en divers articles ces vieux usages, nous noterons au fur et à mesure les différences qui les séparent des usages actuels. Sans cette comparaison, une pareille étude manquerait de saveur. L'exhumation platonique de faits et de documents relatifs à des temps pour toujours disparus, à quoi cela sert-il ? Ce qui importe, c'est de préciser ce que le cultivateur a perdu ou gagné à un tel changement. Nous allons essayer de rétablir en quatre articles, divisés eux-mêmes, pour plus de clarté, en un certain nombre de paragraphes.

I.

PROPRIÉTÉ.

La question qui nous occupe ne concerne ni l'origine ni l'essence de la propriété. Notre étude est toute pratique, elle vise uniquementle le mode de propriété, pour parler plus clairement, les rapports du cultivateur avec le maître du sol en ce qui concerne la possession des tenues ou le domaine congéable, le contrat et la redevance.

§ 1er. — Domaine congéable.

Dans la majeure partie du Browérec (Note : Dom Morice], la propriété, avant la Révolution, se présentait sous un double rapport, sous le rapport du fonds et sous le rapport de la surface. C'est-à-dire qu'une même terre avait généralement un double propriétaire, un propriétaire foncier et un propriétaire édificier.

Le propriétaire foncier possédait le sol, le fonds, avec certains arbres qu'on pourrait appeler arbres de décor, tels que le chêne, le châtaignier, le hêtre, l'ormeau. La propriété superficielle comprenait les maisons, les haies, les arbres fruitiers, la lande.... enfin tout ce qui n'était pas censé faire partie du fonds.

Ce double caractère a fait donner aux propriétés dont il s'agit le nom de tenues à domaine congéable, ou tenues dont on peut rembourser les édifices, et au propriétaire des édifices le nom d'édificier, superficier, tenancier, domanier, convenancier.

S'il fallait en croire une antique tradition rapportée par du Fail, le domaine congéable serait une nature de contrat introduite par les Romains du temps que César avait subjugué la Vénétie. Une autre opinion plus commune fait remonter l'origine de ces usements convenanciers à l'époque où les fugitifs de la Grande-Bretagne vinrent, vers le milieu du cinquième siècle, aborder en Armorique : ils y furent reçus en parents et en amis et on leur donna, dit Kerdanet à des conditions franches et libres, des terres incultes à défricher. Enfin beaucoup en font honneur aux petites républiques armoricaines, conformément à cette parole de César : Ibi omnes lingua, institutis, legibus inter se differunt [Note : Papiers de M. Le Bihan, ancien recteur de Pluneret]. Cette opinon semble bien plus se rapprocher de la vérité.

Toujours est-il que le sol de Brandivy appartenait à la noblesse ; il était distribué principalement entre les seigneurs de la Grandville, de Saint-Nerven, de Kergal, de Kerdavid, et les monastères de Lanvaux et de Saint-Michel-le-Champ qui avaient pris la place des anciens barons de Lanvaux. L'inventaire des papiers de famille ne m'a revêlé aucun paysan propriétaire foncier ; il paraît pourtant qu'il y en avait un au village de Coët-Uhan, au moins dès la moitié du dix-huitième siècle, au témoignage de son arriere-petit-fils.

Le seigneur, en revanche, laissait aisément au cultivateur les édifices. Les archives ne mentionnent que trois à quatre fermes dont la superficie, en même temps que le fonds, ait appartenu au seigneur. La presque totalité des édifices appartenait donc au cultivateur.

La situation de paysan édificier offrait d'ailleurs moins d'inconvénients que celle de paysan propriétaire foncier. C'est que le paysan, en devenant acquéreur d'un fonds, n'en demeurait pas moins assujetti à toutes les charges féodales qui continuaient à peser sur ce fonds : corvées, obéissances, suite à cour et moulin, rente féodale, rachat le cas échéant. Tel était le cas de ce paysan à qui la veuve de Toussaint de Cornulier céda, en 1784, un canton de terre aux environs de Coetro [Note : Titres Bodic] ; tel était le cas du tiers des paysans français. Le besoin d'échapper à ces servitudes surannées a certainement contribué à rendre la Révolution si terrible aux seigneurs dans certaines parties de la France et relativement bénigne en Bretagne, où les paysans fonciers étaient moins nombreux et les paysans édificiers très à l'aise.

§2. — Contrat.

Un contrat liait l'un à l'autre le propriétaire foncier et le propriétaire édificier. La durée du contrat ne dépassait pas neuf ans. A son expiration, il était loisible au seigneur de le renouveler, ou de faire procéder au prisage et au mesurage de la tenue [Note : D'après quelques baux, le domanier ne pouvait provoquer le congément (Arch. de Granville). Cela s’entend : il n’avait pas le droit de se faire rembourser par le seigneur, mais il avait le droit de vendre ses édifices à un autre cultivateur. (Tradition)].

Le seigneur pouvait avoir ses raisons de posséder le sol avec ses accessoires, surtout dans le voisinage de son château. D'autres fois de graves difficultés s'élevaient entre les deux parties ; à défaut d'une transaction, le seul moyen de les résoudre était le renvoi de l'édificier et le remboursement de ses édifices.

Le prisage cependant n'allait pas tout seul. Aussi le seigneur qui n'avait pas le dessein de se réserver les édifices, avait-il soin, dans la plupart des cas, de se dérober derrière un nouveau tenancier qu'il chargeait de mettre le tenancier occupant à la porte. Le nouveau tenancier, subrogé aux droits du seigneur foncier « par contrat de prise par ledit seigneur donné », citait l'ancien devant la juridiction compétente pour, « en premier lieu, voir le congé des édifices, stucs, engrais et droits de labourage, et en conséquence être condamné de convenir de priseurs, d'arpenteurs pour procéder au prisage et mesurage de la tenue, offre que fait le demandeur de convenir pour sa part » [Note : Archives des familles].

Mais le renvoi de l'édificier, par la volonté expresse du propriétaire foncier, constituait une exception. La tradition est unanime sur ce point et les archives mentionnent plusieurs familles occupant de temps immémorial les mêmes tenues. Le seigneur vivait avec ses tenanciers sur un pied de grande familiarité ; il prenait plaisir à tenir leurs enfants sur les fonts baptismaux, comme au besoin il les priait de lui rendre le même service. Dans ces conditions, on conçoit que les congéments forcés fussent peu de son goût.

Il devait d'autant moins y songer que nos paysans pratiquaient le droit d'aînesse. Certaines prérogatives s'attachaient au titre de fils aîné, la principale était qu'il succédât à son père dans le bien patrimonial. Le seigneur entrait dans ces vues, usant de précautions pour que la transmission de l'héritage paternel se fit sans secousses. Un contrat entr'autres porte que « les édifices appartiennent aux époux Rio et, au décès de ces derniers, à Joseph Rio, leur fils, qui remboursera, soit par prisage ou autrement, ces édifices, à ses frères et sœurs, le dit bailleur lui donnant tout pouvoir » [Note : Arch. de M. de Rougé]. Et si ce fils privilégié s'avisait d'aliéner ses droits, ce ne pouvait être qu'à un membre de la famille ; il ne les cédait pas d'ailleurs, comme le gourmet Esait, pour un simple plat de lentilles, mais bel et bien pour argent comptant [Note : Cela s’est vu même depuis la Révolution]. J'ignore si d'autres faveurs accompagnaient nécessairement le droit d'aînesse, les parents avaient du moins la faculté d'avantager certains enfants. C'est ce qui résulte des protestations d'un avocat qui s'écrie superbement « la loi naturelle défend ces avantages ; quia jungat liberorum aequalis gratia, quos ugaealis junxit natura [Note : Titres Jolif].

Une conséquence du droit d'aînesse, tel qu'on vient de l'exposer, c'était la nécessité d'un complet accord entre les divers héritiers pour opérer la vente du patrimoine. Du moment en effet qu'à défaut d'un héritier, un autre avait le droit de prendre sa place, tous avaient à la conservation de ce bien un intérêt immédiat. Chacun pouvait mettre son veto à la vente, m'a dit un vieillard, et on ne passait pas outre à son opposition ; il ne suffisait pas alors d'un seul héritier bilieux pour jeter l'héritage paternel en pâture aux tribunaux. Qu'il serait temps de revenir à ce salutaire usage !

J'aurais préféré certainement un contrat de plus longue durée, comme ce contrat de quatre-vingt-dix-neuf ans passé, en 1797, entre le foncier et l'édificier du Scouëc. J'aurais opté même pour la suppression de tout contrat en faveur d'un droit inaliénable, sauf certains cas exceptionnels, du tenancier sur ses édifices. Mais enfin le contrat de neuf ans, joint à la bienveillance ordinaire du seigneur et à la pratique du droit d'aînesse, suffisait à la transmission du domaine patrimonial. Le remboursement des cohéritiers constitue au premier abord une difficulté sérieuse à la réflexion, on s'aperçoit qu'elle n'est pas si considérable. Songez que le cultivateur ne possédait que les édifices et que les édifices à cette époque avaient une valeur beaucoup moindre que de nos jours [Note : Prisage du Nevédic en 1788 : 2800 livres ; en 1885, 5400 francs ; du Membro en 1787 : 3502 livres ; en 1889, 9000 francs…].

L'embarras était réel, par exemple, lorsque l'héritier se trouvait hors d'état, sans le secours d'un emprunt, d'occuper le bien de ses pères L'emprunt est facile à notre époque, aucun scrupule n'arrête ni prêteur ni emprunteur ; mais avant la Révolution, même dans les premières années qui l'ont suivie, il ne pouvait avoir lieu qu'à titre de constitut [Note : Un livre breton imprimé en 1763, tout en condamnant l’usure, indique au paysan le moyen de mettre son argent à profit « a ell prena donar pe ur font bennac pehini a profito ; e laqua var constitu ; e rei e consortiach, da ur marc’hadour da drafiqua »]. C'est sous cette forme que les archives mentionnent plusieurs prêts à Brandivy. Or, en vertu de ce contrat, le preneur remboursait le capital quand il le jugeait à propos, moyennant le paiement d'une rente annuelle que les titres portent à cinq pour cent. Le prêteur m'assure le même vieillard, était censé avoir placé son capital à perpétuité ; il renonçait à l'avantage de fixer une époque pour son remboursement. Ces sortes de contrats ne devaient pas effrayer un seigneur ou une communauté [Note : Les titres mentionnent plusieurs constituts au nom de la Chartreuse, deux ou trois au nom de la Grandville] ; mais un paysan avait sans doute moins d'empressement à les consentir [Note : J’ai vu pourtant plusieurs constituts au nom de paysans]. La difficulté des emprunts a contraint quelques tenanciers à prendre eux-mêmes l'initiative de la résiliation de leur bail, ou les a mis dans l'impuissance de le renouveler à son expiration.

Tout renouvellement de bail occasionnait une dépense considérable, en raison du cadeau des nouveautés que le tenancier offrait à son seigneur. Le seigneur concédait de nouveau sa terre ; il fallait bien que le tenancier fût admis à lui en témoigner sa reconnaissunce, et dans la crainte que le cœur de ce dernier ne vînt à faillir, on avait soin de l'y obliger par un article spécial.

Pour déterminer les chiffres des nouveautés, on ne saurait assigner de règle précise ; il excédait d'ordinaire la rente foncière annuelle. Telle tenue qui payait de rente environ quatre-vingt-dix livres, était imposée à deux cent quarante livres de nouveautés. Ce tribut était souvent payable en deux termes, le premier des la ratification du contrat ou à bref délai, le second à un intervalle assez éloigné. Quelques baux de ferme omettent cependant d'en faire mention. Cela tient peut-être à ce que le tenancier, au lieu de le verser dans les conditions précitées, préférait le payer en détail et par annuités. On l'a vu depuis la Révolution ; il n'est pas interdit de croire que sous l'ancien régime le même usage s'est pratiqué. Il est certain toutefois que quelques baux ont été renouvelés, sans paiement de nouveautés.

Outre les nouveautés, chaque renouvellement de bail amenait pour le tenancier l'obligation « de fournir à ses frais une description positive de sa tenue par débornement » c'est-à-dire avec tenants et aboutissants. Ce qui avait lieu dès l'entrée en jouissance, dans le délai de six mois ou d'un an, ou à la première réquisition. On s'explique de la sorte que tant de baux de ferme et de descriptions de tenue fassent partie des archives des familles.

Ce qui aide à faire comprendre ces vieux usages, c'est qu'à beaucoup d'égards le régime seigneurial continue à inspirer nos mœurs. On reconnaît encore à l'aîné un certain droit de succéder au père dans le bien patrimonial. Les nouveautés n'ont pas disparu le moins du monde. Le même système de fonds et d'édifices est en vigueur sur plusieurs points, bien qu'il ait décliné depuis trente ans. De vieilles familles occupent depuis des siècles les mêmes tenues. Le paiement lui-même de la redevance a persisté, suivant l'ancien système, jusqu'à ces derniers temps ; mais, à ce sujet, un vent novateur a souffié sur nos têtes et, dans le taux comme dans le mode du paiement, un changement radical s'est opéré, au grand détriment du cultivateur.

§3. – Redevance

Le prix des fermages se répartissait en plusieurs articles. Ces articles pouvaient varier suivant la locatité. Ceux que les titres de Brandivy mentionnent d'ordinaire sont : rente convenancière, froment, seigle, avoine, moutons avec ou sans laine, chapons, poules, moches de beurre....

La rente convenancière seule était dans le principe payable en argent, mais elle était d'une grande modération, variant d'ordinaire de 3 à 9 livres [Note : Il y en avait pourtant de 18 livres et même de 36 livres]. Malgré la rareté de l'argent, n'importe quel tenancier pouvait se procurer cette somme.

Le reste se soldait en nature, mode de paiement qui a généralement persisté jusqu'à la Révolution. Non qu'il n'y ait à cet égard plusieurs exceptions, notamment au XVIIIème siècle, où certains seigneurs se réservaient le droit de prendre le grain « en espèce ou en apprécis ». Si on le payait en espèce, il fallait que « le grain fût marchand, net, loyal, rendu au grenier du seigneur » ou à tel endroit déterminé. Lorsqu'on payait en argent, le seigneur ou le régisseur envoyait en temps opportun au tenancier l'apprécis du marché, basé sur la moyenne des prix de l'année courante. Il en était de même des chapons, poules, moutons....

Les fermages ne subissaient guère de variation. L'augmentation de la redevance annuelle a consisté en une perrée de seigle pour plusieurs tenues, dans le cours de 140 ans [Note : Par exemple, Castelguen payait en 1620 : 22 sols par argent de convenant ; 1 pp. de froment ; 7 pp. de seigle ; 76 livres de nouveautés ; — peu avant 1789 ; 7 pp. 1/2 de seigle ; 1 pp. de froment ; 140 livres de nouveautés. Membro, en 1620 : 7 livres 16 sols ; 1 pp. froment ; — en 1787 : 6 pp. seigle 7 livres 16 sols ; 1 pp. froment ; 7 pp. de seigle. Tremeur de même. Kerhézo en 1644 : 1 pp. de froment, 1/2 de seigle, 2 d’avoine, 12 chapons, 6 livres et 12 sols et par ailleurs 10 sols : en 1664 ; même rente foncière ; et 120 livres de nouveautés : en 1740, même rente de 300 livres de nouveautés ; en 1782, même rente foncière, sans mention de nouveautés. (Double tenue des Dréau. — Arch. des Familles)]. La rente de quelques autres tenues s'est maintenue au même taux pendant plus d'un siècle [Note : En certains pays, la rente a été invariable pondant trois cents ans ; en Tréguier par exemple]. L'augmentation de la redevance a eu lieu maintes fois par le moyen des nouveautés. Telle ferme par exemple qui payait, en 1693, 90 livres de nouveautés, en payait 140 en 1724 et, vingt ans plus tard, 240. On a vu aussi l'augmentation des nouveautés entraîner dans la rente foncière une diminution correspondante.

De ce que le prix des fermages ne subissait pas d'augmentation, il ne faut pas conclure qu'il avait atteint son maximum. Ce prix au centraire était relativement faible : une, deux et trois fois plus modéré qu'il ne l'est aujourd'hui. C'est ce que va nettement établir une comparaison entre les fermages des deux époques. Prenons pour exemples les tenues qui suivent :

1. — Castelguen. — Rente foncière avant 1789 : 72 sols. 7 perrées et demi de seigle ; 1 perrée de froment ; nouveautés : 140 livres ; — en 1889 : rente foncière : 400 fr. ; nouveautés, 300.

2. — Coëtquenah (tenue Oliviéro) en 1784 : 3 livres 12 sols, 1 perrée de froment, 2 de seigle, 8 chapons, 2 poules ; — en 1889 : 267 fr.

3. — Cordier (tenue Le Fur) en 1785 : 2 perrées de froment, 2 de seigle, 1 couple de chapon, 1 journée à faucher, 1 mouton gras avec sa laine, 1 pain de sucre de 3 livres ; — en 1880, au moment où les édifices ont été remboursés : 290 fr.

4. — Tenue de Saint-Nerven en 1783 : 21 livres pour argent de convenant, un agneau, 3 perrées de seigle, 3 de froment rouge — en 1890, les fonds et édifices sont affermés 1300 francs ; soit 500 francs de rente foncière.

5 – Tenues du Fetenio et de Lestrenic réunies; en 1775 : 6 perrées de seigle, 1 d'avoine, 36 livres en argent ; — en 1890, fonds et édifices : 1100 fr. c'est-à-dire une rente foncière de 400 fr. au moins.

6. — Kerhézo, double tenue des Dréau — Avant 89 : 1 perrée de froment, 1 et demie de seigle, 2 d'avoine, 12 chapons, 6 livres 24 sols, nouveautés non mentionnées dans le dernier contrat, 300 livres ; — en 1888, date du remboursement des édifices : 400 fr. [Note : Arch. des familles].

A quoi donc attribuer cette énorme augmentation qui s'est opérée dans le prix des fermages ? Ce n'est pas à des défrichements. Nos paysans affirment que les tenues n'ont guère varié à ce point de vue, de temps immémorial. Certains titres font cependant mention d'un accroissement dans les journaux de labeur. Mais les mêmes titres constatent la fixité de la rente foncière.

Il ne faut pas en accuser non plus la différence qui existe dans la valeur respective de l'argent aux deux époques. Car s'il est certain, d'un côté, que la valeur de l'argent a subi une diminution depuis la fin de l'ancien régime, il est certain aussi d'autre part que la variation des fermages a été peu sensible pendant la première moitié de ce siècle.

La vraie cause réside dans l'amour du lucre qui envahit nos gens sous l’Empire. Grisés par la fièvre du libre échange, ils s'insurgèrent contre l'ancien mode de paiement et ils demandèrent qu'une somme pécuniaire fixe fût substituée à la rente en nature. Les denrées étant fort chères, ils rêvaient en quelques années de réaliser une fortune : ils sont tombés dans un traquenard.

Remarquez en effet que le paiement en nature avait survécu à l'ancien régime. La rente foncière ne cessait d'être payable en espèce ou en apprécis. Quant au paysan qui affermait ses édifices, il pratiquait à l'égard de son fermier, après comme avant la Révolution, le tier9age. Ce système, il ne l'abandonna pas pour avoir acquis le sol de sa propriété. Il disait à un cultivateur : « Voici ma terre, cultivez-la ; les deux tiers de la récolte vous appartiendront, le troisième me reviendra ». La redevance était proportionnée au rendement de la terre ; rien de plus conformes aux règles de la justice et de la charité. Mais ce système équitable ne convenait pas aux mœurs nouvelles et on le rejeta avec dédain. Bien rares ceux qui surent résister à l'entraïnement général. Quelques-uns cependant eurent cette force et, pour deux ou trois tenues, le paiement s'opère encore conformément aux vieux usages. Je connais même tel fermier obligé par contrat de fournir annuellement un chapeau. Mais la masse des fermiers avaient suivi le courant et ils demeurent accablés.

Pour conclure, le régime seigneurial avait du bon : en dépit de l'égalité des partages, il sut maintenir dans une bonne mesure la fixité du foyer domestique, et, grâce à la modération des fermages comme au paiement en nature, le cultivateur avait à sa disposition, pour s'assurer un réel bien-être, beaucoup plus d'éléments qu'on ne le suppose d'ordinaire.

Le versement de la redevance foncière ne suffisait pas, il est vrai, pour rendre le tenancier quitte envers son seigneur. Des droits nombreux pesaient par ailleurs tant sur sa personne que sur sa tenue, mais ces droits n'ont-ils pas été exagérés ?

 

II.

DROITS FÉODAUX.

Les droits féodaux étaient de diverses sortes. Les uns étaient contentieux, d'autres honorifiques, et d'autres onéreux. Par droits contentieux, il faut entendre la juridiction ; par droits honorifiques, les prééminences ; par droits onéreux, les charges.

 

§ 1er. — Juridiction.

Le seigneur était souverain dans son fief ; il avait par conséquent le droit de juger ses vassaux, l'exercice de la justice n'étant qu'une émanation de l'autorité souveraine. « A l'origine, dit le code des seigneurs, il n'y avait point de fief sans justice, ni de justice sans fief, mais au treizième siècle, ces deux choses étaient déjà distinctes et séparées ». Jusqu'en 1214, fait remarquer Ogée, les seigneurs avaient rendu eux-mêmes justice à leurs vassaux ou l'avaient fait rendre par leurs voyeurs, lorsqu'ils n'avaient pu s'acquitter eux-mêmes de ce devoir. C'est à cette époque qu'ils abandonnèrent cet usage si ancien qu'ils trouvaient trop pénible. Ils confièrent leur juridiction à des sénéchaux, lieutenants et autres officiers qui étaient subordonnés à ceux du duc. Toutes ces juridictions ont formé les hautes, moyennes et basses justices, si nombreuses dans la sénéchaussée royale de Vannes, dont relevait Grand-Champ, avec ses deux trèves Brandivy et Locmaria. « De toutes les paroisses qui composent cette sénéchaussée, celle de Séné est la seule qui soit en totalité sous le proche fief du roi ; toutes les autres sont partagées en différentes justices dont elles relèvent » [Note : Rapport envoyé à l'intendant en 1775 (Arch. Dép.)].

La haute justice pouvait condamner à la peine capitale : la moyenne jugeait des actions de tutelle et des injures dont les amendes ne dépassaient pas 60 sols : la basse connaissait des droits dus au seigneur, du dégât causé par les animaux et des délits dont l'amende n'excédait pas sept sols six deniers [Note : Luce, Vie de saint Gildas].

Le symbole de la juridiction se dressait au chef-lieu de chaque seigneurie ayant droit de justice. C'était un pilier en pierre, et il y avait autant de piliers que de justices exercées. Celui de haute justice était un gibet auquel on accrochait les cadavres des suppliciés jusqu'à ce qu'ils fussent tombés en putréfaction ou dévores par les oiseaux de proie.

Or, trois hautes justices s'exerçaient à Brandivy, dès les temps les plus anciens, au nom des barons de Lanvaux, des comtes de Largouët et des ducs de Bretagne. Ces hautes justices n'excluaient nullement d'autres juridictions inférieures, dont quelques-unes même se sont transformées, avec le temps, en juridictions supérieures, comme on le verra ci-après.

L'existence de la haute justice de Lanvaux ne saurait faire l'ombre d'un doute, le siège principal de la baronnie étant sur le territoire de Brandivy, aux bords de l'étang de la Forêt. Les poteaux patibutaires de « haute justice à quatre piliers de taille tombés depuis les trente ans » se dressaient sur la vaste lande du Mont (er Montre en breton) qui s'étend du bourg de Pluvigner vers Miséricorde [Note : Aveux de M. Robien, en 1683 (Arch. de Vannes et de Nantes)]. Lors de la révolte du baron, le duc vainqueur confisqua la baronnie et en partagea successivement les dépouilles entre différents seigneurs ou communautés religieuses. Pour me borner à Brandivy, il flt d'abord une concession de fief à l'abbaye de Lanvaux, avec droit de haute justice s'exercant sur le bourg trévial de Bihuy, et sur quelques villages d'alentour [Note : Aveux de l’abbaye]. Les moines tenaient à Bieuzy même leurs plaids généraux, et le lieu où ils rendaient la justice a gardé le nom de Ker s'affar. On peut du moins le conclure du mot même Ker s'affar, mot à mot lieu affairé, et d'un petit pré nommé la Prison situé au même endroit. Trois petits piliers en pierre qu'on remarquait encore, il y a quelques années, dans la lande de la Haye, dite « Lann er Justice » devaient être les restes symboliques de la justice de l'abbaye de Lanvaux.

La collégiale de Saint-Michel, fondée par Jean de Montfort, en témoignage de reconnaissance après la bataille d'Auray, obtint la principale part des dépouilles de la baronnie. Le duc lui donna « la châtellenie de Lanvaux et ses appartenances, juridictions, seigneuries, hommages et obéissances…..excepté le parc de Lanvaux et la pêche de l'étang de la Forêt ». Les biens qui restaient de la baronnie à Brandivy étaient nombreux. La Collégiale a exercé la juridiction sur ces domaniers, même sur la seigneurie de Saint-Nerven, comme le prouvent les efforts tentés, en 1500 par Louise de la Forêt, dame de Saint-Nerven, pour s'y soustraire. Tous ces droits de fief et juridiction finirent par tomber entre les mains des comtes de Largouët, devenus acquéreurs définilifs des droits contentieux de la Chartreuse, dans la paroisse de Grand-Champ.

Le comté de Largouët avait beaucoup de vassaux en Brandivy ; il suffit d'indiquer les manoirs ou maisons nobles de la Grandville, de Kergal, du Guhern, du Fetenio et du Tremer. « A cause desquelles terres, fieffes et seigneuries comté de Largouët et baronie de Lanvaux, dit un aveu de 1681 [Note : Aveux de Largouët à Nantes], appartiennent à la dite dame de Castille les droits de juridiction, haute, moyenne et basse, plaids généraux et mennée en la barre de Vennes.. juridiction qui s'exerce en l'auditoire des reguaires, cognaissance des cas criminels et punition d'iceux tant au collier que justices patibulaires ».

Un aveu du 14 juillet 1694 ajoute : « Plus a le dit sieur de Cornulier le droit d'avoir un carcan et pillory planté en la grande place de Grand-Champ, proche du cimetière du dit bourg de Grand-Champ ». Les poteaux patibulaires se trouvaient à Elven et à Trédion : « Plus a deux justices patibulaires chacune d'icelles à quatre piliers, l'une située près le bourg d'Elven jouxte le grand chemin par lequel l'on va du dit lieu de Trédion assez près du chemin par lequel l'on va du dit lieu d'Elven à Vennes, et l'autre situé près le bourg de Trédion assez près du chemin par lequel l'on va dudit lieu de Trédion à Vannes ».

Cette seigneurie avait son siège d'abord à Elven, d'où il fut transféré dans la suite à Vannes et à Auray [Note : La juridiction de Largouët sous Auray s’exerçait à Auray en l’auditoire du roi] ; elle était inféodée, si l'on en croit Kerdanet, du droit de punir même par le feu, que l'article 50 de la coutume n'accordait qu'aux anciens barons. Les archives mentionnent plusieurs descentes de justice de Largouët à Brandivy.

Le seigneur de Kerhervé était « prévôt féaudé » de Largouët dans la paroisse de Grand-Champ.

Le comté de Largouët renfermait, au dix-septième siècle, plusieurs fiefs jouissant du droit de justice. Tels sont les fiefs de la Chesnaie et de Kerbervet qui avaient des vassaux en Brandivy. La juridiction de ces deux seigneuries devait être à l'origine basse ou moyenne ; elle se transforma peu à peu en haute justice. C'est bien la haute justice que réclame, en 1681, le seigneur de Kerbervet avec « droict de fourches patibulaires » [Note : Aveu de Largouet, (Nantes)].

D’après le même aveu, le sieur de la Chênaie « prétend avoir droit de juridiction basse et moyenne sur tous ses vassaux et domaniers ». La haute justice vint s'y adjoindre dans la suite. C'est ce qu’il est permis de conclure d'une déclaration de messire de la Bourdonnais, en date du 8 avril 1680 ; il affirme aux commissaires du roi qu'il tient « sous Largouet les maisons de Coetcandec et de la Chenets ; avec leurs appartenances, haute, moyenne et basse justice » [Note : B. 456. Archives départementales]. La juridiction de la Chênaie s'exerçait au bourg de Grand-Champ [Note : Titres Mahé].

Le seigneur de Kergal a dû aussi, dans le principe, exercer une basse justice. Ce qui le fait croire, c'est un pilier en pierre où l'on prétend qu'on attachait les malfaiteurs et qui se dresse an nord-est du manoir, sur la butte de Toul-du.

Cette juridiction n'existait plus au dix-septième siècle. Du moins les aveux de Largouët n'en font nulle mention.

Aucune de ces nombreuses juridictions ne jugeait en dernier ressort, pas même, au moins dans les derniers temps, celles de Lanvaux et de Largouët. « Toutes ces juridictions, ajoute le rapport ci-dessus mentionné, viennent dans les cas ordinaires en appel à cette sénéchaussée et sont également soumises à son ressort pour les cas présidiaux, à l'exception de celles qui, comme fiefs amortis, ressortissent nuement au Parlement ». A l'appui de cette assertion, on peut citer des faits précis. Le sénéchal de Lanvaux avait condamné à mort un meurtrier ; celui-ci en appela au Parlement qui d'ailleurs confirma la sentence [Note : Archives Abbaye]. Anne de Lantivy, au commencement du dix-huitième siècle, en appela à la justice du roi, d'une sentence défavorable de Largouët relativement à la ferme de la seigneurie de Kergal.

En dehors de la juridiction suprême sur ces diverses seigneuries, le souverain possédait à Brandivy certains vassaux sur lesquels il exercait immédiatement la haute justice. Tels étaient les domaniers de la Grandville « au village de Treuguern dont les fonds relèvent prochement et noblement de la sénéchaussée de Vannes, sujets à fief et juridiction de la Grandville ». La plupart des vassaux de la Grandville étaient répandus « tant dans le bourg de Pluvigner que dans le bourg de Landaul, sous la juridiction et sénéchaussée royale d'Auray dont ils relèvent prochement et noblement » [Note : Archives Nantes]. Le manoir lui-même de la Grandville, on l'a déjà dit, relevait de Largouët avec plusieurs sujets.

Tels devaient être probablement, à l'origine, les vassaux que la seigneurie de Kermenguy possédait à Kérican et au Tolguët. Le roi lui accorda la haute justice. C'est ce qui ressort d'une déclaration du présidial de Vannes, le 6 avril 1686 ; il consent à recevoir l'aveu du comte de Rézé, sieur de Kermenguy, « à la charge au dit sieur de tenir ses droits de Sa Majesté ». On ne lui contestait pas non plus ses « créations de fourches patibutaires à quatre piliers, telle qu'elle est dans la lande de Lanvaux » [Note : Aveux de Kermenguy à Nantes]. La juridiction de Kermenpuy s'exerçait à Vannes, au présidial [Note : Le présidial de Vannes siègeait dans la grande salle des Halles, convertie maintenant en salle de spectacle (Kerviler)].

Voilà donc neuf juridictions inférieures ou supérieures qui s'exerçaient dans l'ancienne trêve de Brandivy. S'il fallait compter toutes celles qui avaient cours dans la paroisse de Graud-Champ [Note : Celles de Pihiriac, de Kerhervé, du Gresso, de Magouëro, de Kermeno. — Celle de Pihiriac s’excerçait au bourg ; les autres, je ne sais où (Aveux de Largouët, Nantes)], nous atteindrions aisément la douzaine. Comme la situation des autres paroisses était à peu près identique, cela peut donner une idée de l'exercice de la justice aux temps passés. On en sera mieux instruit encore par la comparaison de la juridiction seigneuriale avec les tribunaux de nos jours. Au point de vue de la compétence et de la connaissance des délits, la haute justice revient assez exactement à la cour d'assises ; la moyenne, aux tribunaux d’arrondissement ; la basse, à nos justices de paix. La différence est peu sensible sous ce rapport, mais qu'elle est considérable par ailleurs !

Et d'abord pour le personnel. — Aujourd'hui, chaque Tribunal a ses juges spéciaux ; sous les anciennes justices, le même magistrat pouvait connaître des délits ordinaires comme des crimes, infliger une amende ou frapper d'une peine capitale.

Ensuite pour le territoire. — A part quelques exceptions prévus par la loi, le juge de paix juge les habitants de son canton ; le tribunal de première instance, les habitants de l’arrondissement; la cour d'assises, les habitants du département. La justice seigneuriale ne connaissait pas de limitesde territoire ; elle s'exerçait sur les vassaux, où qu'ils fussent ; or les vassaux d'une même juridiction étaient disséminés en diverses sénéchaussées ; ceux de la même sénéchaussée en diverses paroisses ; ceux de la même paroisse en divers villages ; ceux du même village relevaient de diverses seigneuries, et il n'était pas impossible que le même tenancier fût tiraillé par des juridictions différentes. On voit d'ici les complications.

Enfin pour le mode. — Le code, voilà la règle fondamentate de nos juges, et il n'est guère que le juge de paix qui fasse entrer en ligne de compte les usages locaux. Or la Bretagne était, avant la Révolution, un pays coutumier par excellence. Tous les baux avaient soin d'imposer aux cultivateurs l'usement du pays qu'ils habitaient, aux tenanciers de Brandivy « l'usement de Browérec ».

Comme on est loin de la simplicité dp nos jours ! La simplicité, d'ailleurs, n'est pas toujours la garantie d'une bonne justice, et il importe peu que la justice soit compliquée pourvu que le bon droit soit reconnu. J'ignore jusqu'où l'injustice pouvait triompher sous le régime seigneurial ; ce qui est certain, c'est que les officiers chargés de dire le droit étaient des hommes de valeur, rompus aux affaires. Lors de l'incendie de la lande de Lanvaux, en 1766, le sénéchal de l'abbaye s'appelait Julien-Marie Robino, sieur da Kernaix, avocat au Parlement de Rennes. La plainte lui était adressée par Maître François Corbel, sieur du Squirio, procural fiscal de l'abbaye et avocat au même Parlement [Note : Arch. abbaye]. Avocats au Parlement ! De tels hommes n'étaient pas d'ordinaire les premiers venus. Cela prouve que la justice seigneuriale offrait à l'accusé toutes les garanties désirables.

Ce qui le confirme, c'est l'oubli total où sont tombées les potences féodales. Sept hautes justices avec fourches patibulaires, piloris, et tous les accessoires, pour une petite localité comme Brandivy ! On n'y peut penser sans une certaine horreur et on croira certainement que tant d'appareil a laissé dans le peuple une profonde impresion ; il n'en est rien. Plusieurs vieillards que j'ai interrogés n'ont aucun souvenir même du pilori planté jadis en plein bourg de Grand-Champ. si par ailleurs je suis parvenu à retrouver les lieux où se dressaient les piliers patibulaires, c'est grâce aux aveux des seigneuries et non à la tradition [Note : Sauf en ce qui concerne les poteaux de l'abbaye de Lanvaux]. En serait-il de même dans le cas où l'exercice de la justice seigneuriale eût présenté un caractère odieux ? On aura peine à le croire.

 

§ 2. — Prééminences.

A tout seigneur tout honneur.

Les prééminences sont divers droits honorifiques que les seigneurs possédaient dans les églises et chapelles de leur ressort.

C’est ainsi que le seigneur de Cornullier « déclare estre le seigneur supérieur fondateur de l'esglise, paroisse et chapelles de Grand-Champ, et à luy appartenir tous les premiers droits honorifiques ». Il n'y avait pourtant pas de tombeau. Le « tombeau et les enfeus ellevés » des comtes de Largouët se trouvaient à Vannes, dans une chapelle de l'église des Cordeliers du costé de l'épître, « où sont inhumés les précédents comtes de Largouët, avec armoiries au-dehors de la dite chapelle » [Note : Aveu de Largouët, 17 juillet 1694 (Nantes)].

L'abbaye de Lanvaux prétendait aux droits de seigneur fondateur dans l'église de Bieuzy ; mais elle en fut déboutée par sentence de la Cour des Comptes, le 23 mai 1730.

Le seigneur de Kermenguy avait de forts droits dans l’église de Grand-Champ : « droit à l'autel privatif du côté de l’evangile, ouvrant et fermant, ayant siège et accoudoir dans becipur de la dite église, prières nominales, droit de titre, armoiries et ceinture funèbre prohibitive à toute autre personne, tant en dehors qu'au dedans de ladite église » [Note : Aveu de Kermenguy (Nantes)].

Beaucoup de seigneurs de Grand-Champ réclamaient dans l'église paroissiale les mêmes honneurs : tel celui de Kerhervé qui prétend « lui être dus chapelle, banc, tombes élevées » ; celui de Kerbervet qui réclame des prééminences « avec banc, escabeau et tombes ellevées » ; les chanoines de Vannes à cause des terres de Keral et Couetergall, « une église et enfeus ». Pour le seigneur de Pihiriac, il prétendait aussi à des prééminences, mais « dans la chapelle du Burgo et de Saint-Yves » [Note : Aveu de Largouët, 21 janvier 1681 (Nantes].

Lors de la réformation des domaines, en 1683, M. Bidé revendique les honneurs suprêmes à Miséricorde : « appartient aussi audit seigneur de la Grandville une chapelle dédiée à Notre-Dame de Miséricorde, avec les droits honorifiques de prééminences, comme étant foncier d'icelle chapelle ». La chapelle fut construite sur le fond de Kerven qui relevait de la Grandville. La chapelle existe encore, aussi bien que le manoir de la Grandville ; les châtelains continuent à être propriétaires de Kerven, mais ils ont perdu tout droit sur la chapelle [Note : Le seigneurie de la Grandville l’était aussi de Kergournadech, et à ce titre il avait le privilège d’aller seul à l’offrande, l’épée au côté et les éperons dorés, le jour anniversaire de la dédicace de la cathédrale ; de plus, le privilège d’occuper, pendant les vêpres de dimanche, le fauteuil du prélat qui devait prendre un autre siège. Le fait a été attesté par M. Olivier, avocat à Landerneau, qui eut occasion d'exercer ce droit au nom de M. de la Grandville, seigneur de Kergournadech ; mais par déférence pour Mgr de la Marche, évêque de Léon, il n'avait tenu le siège qu'un instant, dans le temps où le prélat donnait au peuple sa bénédiction. L'origine de cette singulière coutume remonte au temps de Saint-Pol-de-Léon. Le saint évêque, ayant résolu de délivrer l'île de Baz du dragon qui la ravageait, un seul homme osa l’accompagner dans son expédition. En récompense de son dévouement, le comte Witur nomma ce brave comte de Kergournadech avec les privilèges ci-dessus mentionnés. Kergournadech signifie littéralement : château de l’homme qui ne sait fuir.
Villa viri nom fugientis - Miles erat tunc temporis (KERDANET)].

La seigneurie de Saint-Nerven jouissait de droits honorifiques en l'église de Plumergat : « plus la dame de Moussy a une chapelle dans l'église parochiale de Plumergat du costé de l’évangile, en laquelle sont ses armes tant en bosses que titre, tombes élevées et plates et bancs clos ». Le greffier prend acte de son aveu, constate que la dite dame n'a pas justifié ses droits de banc, tombes et enfeus en l'église de Plumergat et l'en déboute [Note : Aveu du 24 mai 1682 (Nantes)].

Ce qui n'empêcha pas évidemment le seigneur de Saint-Nerven de reproduire, dans les aveus postérieurs, les mêmes déclarations honorifiques.

Qu'importe ! la question n'est pas là. On se demande seulement en quoi les prééminences seigneuriales ont blessé les intérêts matériels du peuple ! En rien évidemment. La vanité populaire en a peut-être été froissée : et encore !

Le seigneur étant le fondateur ou le bienfaiteur principal de la chapelle de sa frairie ou de l'égtise paroissiale, de pareilles distinctions s’imposaient. Le peuple, au reste, passe aisément l’éponge sur les questions de vanité pourvu que sa baurse soit respectée. Mais ce dernier intérêt est-il en jeu, sa rancune devient tenace. Nous allons le voir, à propos de certains droits onéreux de la féodalité.

 

§ 3. — Charges.

Les droits onéreux variaient avec le fief. Les uns étaient le privilège de tout seigneur ; les autres n'appartenaient qu'au seigneur supérieur.

Les droits ordinaires du seigneur étaient nombreux. Commençons par le droit du moulin, le plus abhorré de tous.

Le moulin était la caractéristique d'une seigneurie. Quand le seigneur avait construit son château, son premier soin consistait à établir à proximité, dans la mesure du possible, un moulin, et d'y assujettir ses vassaux. Ce qui fait que tout ancien moulin indique, en règle générale, une ancienne seigneurie correspondante. On mesurait, d'après la tradition, la distance du moulin à la maison du tenancier : si la distance était moindre d'une lieue, le vassal portait le sac au moulin ; au delà d'une lieue, le meunier le faisait prendre.

L'abbaye de Lanvaux possédait à la disposition de ses vassaux un moulin à eau et deux moulins à vent, dont l'un était situé sur le chemin du bourg de Pluvigner à Keronic et l'autre sur la motte de Bieuzy. Le moulin à vent de Pluvigner rapportait 66 livres ; le moulin à eau et le moulin à vent de l'abbaye 120 livres, plus 80 douzaines d'anguilles [Note : Arch. abbatiales (Vannes)]. Le seigneur de la Grandville possédait « deux moulins à eau proche dudit manoir » [Note : Aveu de Largouët, 17 juillet 1694. (Nantes)] avec un moulin à vent sur les hauteurs de Miséricorde en Pluvigner : en 1783, ils étaient affermés 60 perrées de seigle, petite mesure de Vannes, et 200 livres en argent [Note : Arch. de la Grandville]. Les moulins à eau de la Chartreuse mentionnés dès 1364 dans la charte de la fondation de la Collégiale, s'élevaient au bord de l'étang de la Forêt et le moulin à vent au-dessus de Kernabessec.

Ces trois moulins à eau étaient situés sur le Loc'h, en Brandivy ; trois autres, situés également sur le Loc'h, dépendaient de la paroisse de Pluvigner.

Le moulin de Kerdavid, pour les vassaux de cette seigneurie, avec un moulin à vent à l'ouest du Castellic produisait, en 1789, un revenu de 30 perrées de seigle [Note : Arch. de la Grandville] ; le moulin du Scouër relevait, en 1679, de la seigneurie de Kerlan en Plumergat et était possédé à la même époque « par Guillaume Morgan qui en paie 110 livres par chacun an » [Note : Aveu de 1679 (Nantes)] ; le moulin de Saint-Nerven « était affermé 72 perrées de bled seigle, mesure de Vennes, pour chacun an [Note : Aveu de Saint-Nerven du 24 mai 1682 (Nantes)]. Un aveu de 1694 ne mentionne qu'un moulin à vent pour les vassaux de Kergal.

Le moulin constituait, comme on le voit, une source importante de revenus pour le seigneur. Celui-ci affermait le moulin comme il affermait le sol, pour un certain nombre d'années. Les archives ne mentionnent nulle part, du moins dans les derniers temps, qu'il l'ait mis en régie, c'est-à dire, qu'il l'ait fait exploiter directement à son profit par un journalier ou par un domestique. Cette constatation a sa valeur, en raison des plaintes amères du peuple qui ne peut encore sans une certaine émotion, songer à la banalité du moulin Mais à qui la faute ? Le seigneur tirait parti du moulin, comme il tirait parti du sol, en l'affermant. Si le fermier abusait de sa situation, soit en percevant le devoir de mouture au-delà du seizième que la coutume lui accordait, soit en déposant les farines dans les lieux humides pour en augmenter le poids, pourquoi chargerait-on de ce méfait le seigneur ? Le seul coupable, c'était le meunier, et les tribunaux du temps l’entendaient bien ainsi : un arrêt de la cour, en date du 15 mars 1631, frappait de punition corporelle et de 50 livres d'amende le meunier prévaricateur [Note : Potier (Gouvernement des Paroisses)]. C'est dans l’intention manifeste de se dérober à l'oppression que le peuple conserva l'antique usage des meules à bras, si nombreuses encore, sous la forme de grosses pierres creuses, dans nos campagnes. Inutile de noter que les abus n'ont pas disparu sous le régime de la liberté. Disparaîtront-ils jamais ? Un commandement de l’Eglise s'exprimait jadis en ces termes : D’er meliner er musulieu.

Outre un moulin pour moudre le grain, plusieurs seigneuries possédaient encore un moulin pour le vanner et un troisième pour fouler les draps. Ce dernier détail paraît surprenant, et pourtant rien de plus certain. L'industrie au Moyen Age était locale. Non que le seigneur se fit un plaisir de fournir ses sujets même en draps : les vassaux recouraient [Note : Facultativement ou obligatoirement ? Je l’ignore. En 1419, les Normands, pour échapper à la misère, se réfugièrent en Bretagne et fondèrent dans les villes, comme de nouvelles colonies De là, vinrent les drapiers qui apprirent au peuple à faire de bons draps. Car autrefois cet usage n’existait par (Journal de l’agriculture de l’Ouest)] au moulin pour y fouler leur propre étoffe ou celle de leur tisserand. Un aveu des terres de la Grandville au XVIIème siècle, mentionne « un emplacement à fouller drap à présent ruiné, dépendant dudit manoir ». Le manoir de Kerbervet et l'abbaye de Lanvaux possédaient des moulins de cette nature, également ruinés au XVIIème siècle.

Lorsque nos seigneurs pouvaient au moulin ajouter un four, ils n'y manquaient pas. Pour cela, il fallait que les vassaux fussent groupés. Dès qu'ils étaient disséminés, comme c'est le cas dans nos campagnes, le four obligatoire devenait impossible. Aussi ni les religieux de Lanvaux qui avaient « deux fours bannaux dans le bourg de Pluviguer, dont il ne reste plus qu'un situé en la rue de Saint-Michel » [Note : Aveu de l’abbaye de Lanvaux en 1728] ni les Chartreux dont le four banal était situé « sur la venelle qui conduit dudit Pluvigner à la lande du Mont » [Note : Aveu de M. de Robien au roi (Arch. Nant.)] ; ni le roi qui avait dans le même bourg « le four la duc » [Note : Aveu de M. de Kerambourg, 5 avril 1683 (Arch. Nantes)],aucun de ces seigneurs ne songeait à obliger à la banalité du four leurs vassaux de Brandivy.

Tous les baux de fermes portent que le tenancier fera les corvées. Les corvées se pratiquaient couramment au moyen âge, où tous les grands travaux s'exécutaient par ce moyen ; elles diminuèrent, pour divers motifs, à mesure que l'ancien régime approchait de sa fin. Ce qui n'empêcha pas de maintenir dans les contrats la clause qui s'y rapportait. Un seul seigneur à ma connaissance, eut l'idée, lorsqu'elles n’avaient pas lieu, de les évaluer en argent. « Si elles ne se font pas, dit le seigneur de la Grandville, le tenancier paiera 12 livres par an » [Note : Outre ces corvées ordinaires, le tenancier de la Grandville devait les corvées extraordinaires au moulin et au château. (Arch. de la Grandville)].

En dehors de ses domaniers, le seigneur pouvait posséder dans son fief d'autres vassaux, assujettis aux mêmes obligations. Tel le seigneur de la Grandville qui en avait aux bourgs de Pluvigneret de Landaul, « tous hommes et subjects obligés à corvée ». La corvée frappait soit une maison, soit un jardin, soit un pré… Le noble qui possédait ces héritages était astreint à la même servitude. Ainsi Chartes Bidé, seigneur de la Grandville, pour une maison et un jardin qu'il possédait au bourg de Pluvigner, devait à l'abbaye de Lanvaux une journée à faner ; René de Lantivy pour un héritage semblable : une journée à faner ; messire Le Jeloux, prêtre chapelain pour une maison située au même Bourg : une journée à faner [Note : Arch. Abbaye].

Outre la corvée, une rente féodale pesait quelquefois sur les mêmes héritages. Charles Bidé, pour la maison ci-dessus mentionnée, payait 12 sols monnayés et quatre deniers ; René de Lantivy : 5 sols. D'autres fois, n'y avait qu'une simple rente féodale, assez médiocre : 3 sols 2 sols, 18 sols.... Cette rente féodale, le seigneur la percevait même sur quelques-uns de ses propres domaniers. Une tenue du bourg de Brandivy payait de chef-rente au seigneur de la Grandville, 10 sols ; une autre : six sols et un quart d'avoine [Note : Chef rentes supprimées en 1789 (Papiers de la Grandville)]....

Rentes sur la terre, rentes sur les bestiaux, le seigneur noubliait aucun moyen de se procurer des revenus ; de là ses efforts, après avoir fondé une chapelle, pour établir à côté une foire.

En agissant ainsi, il travaillait, comme on dit vulgairement pour son saint. D'en duchentil er hustumeu disait un commandement de l'Eglise. Les coutumes des foires étaient un droit qu'il prélevait sur les boissons, le bétail et la marchandise. Les foires de miséricorde valaient 75 livres [Note : Droits supprimés en 1790 (Arch. de la Grandville)] pour les seigneurs de la Grandville ; les foires de Bieuzy et de Mériadech, 12 livres pour les moines de Lanvaux. Le seigneur de Pihiriac jouissait des « coutumes et hanages aux foires qui se tiennent aux chapelles de Burgo et de Saint-Yves » ; enfin le comte de Largouët « protestait avoir les coutumes et foires de Grand-Champ et trépars en Couëtque-hennec ». Ce trépars n'est autre chose sans doute qu'un droit de péage sur la chaussée du moulin de la Forêt, ou peut-être sur la rivière au Tréméno [Note : Tremen mot breton, qui signifie passage].

« Fuie ou colombier, garenne, chasse prohibitive, » triple droit que le seigneur de Kermenguy réclame en termes formels. Un aveu de Saint-Nerven mentionne les rabines et garennes de cette seigneurie. Un aveu de Largouët signale la Fuie du Guhern, « les coulombiers et garennes de Kergal ». Suivant un bail du pourprix de la Grandville, en date de 1784, le fermier prend à son compte l'entretien des pigeons, « nourriront à leurs frais tous les pigeons du colombier et laisseront à la fin du présent au moins cinq douzaines de pigeons, à laquelle fin ne pourront prendre aucun de la première volée chaque année et pourra ledit seigneur retirer à la présente forme ledit colombier quand bon lui semblera » [Note : Arch. de la Grandville].

Ces divers droits, tout seigneur pouvait y prétendre, mais les droits s'étendaient avec le fief, et au fief supérieur s'attachaient des droits spéciaux. Le seigneur les exerçait en sa qualité de haut justicier tant sur les vassaux de son domaine que sur les vassaux nobles ou roturiers des fiefs secondaires qui composaient le fief supérieur.

Voici les droits supérieurs mentionnés dans divers aveux relatifs à cette localité et, en premier lieu, la rente suzeraine. La rente suzeraine était de même nature que la rente féodale précédemment indiquée. Seulement, au lieu d'être levée sur les héritages d'une seigneurie particulière, elle était perçue par le seigneur supérieur sur les héritages qui composaient son fief supérieur. J'ignore si dans le principe la rente suzeraine était uniformément répandue. Toujours est-il que les aveux de diverses seigneuries attestent qu'aux dix-septième et dix-huitième siècles, elle est loin d'être générale. Quelques rares tenues de Brandivy payaient à Largouët la rente féodale consistant en une pairée d'avoine et une poule. C'est un droit que le seigneur de Largouët avait « de se faire payer de ses rentes féodales par froment seigle, avoine, gelines… rendues en la ville de Vannes ou au château d’Elven, à l'option du seigneur de Cornulier, au premier ban que fait chacun an ledit seigneur et ses receveurs » [Note : Aveu de Largouët (Nantes)].

Le haut seigneur de Kermenguy percevait également sur ses vassaux quelques rentes féodales. « Escuyer Mathieu de Lantivy, seigneur de Kergal, doit sur les tenues dudit Kergal par argent 75 sols mounayés ». Tual Corlay du Tolgoët devait « à la décollation de sainct Jean-Baptiste, à payne du double des lods et ventes la somme de 30 sols monnayés » [Note : Arch. Nant.]. Mais, je le répète, la plupart des tenues ne payaient aucune rente suzeraine. Divers aveux l'attestent : les baux de ferme le confirment Plusieurs baux imposent en effet aux tenanciers paiement des rentes seigneuriales qui pourraient être dues ou mises sur les tenues, mais « sans approbation qu'il y en ait aucune ».

Alors même que la rente suzeraine eût grevé toutes les tenues, était-ce au fermier ou au tenancier qu'incombait la charge ? Non ; mais au propriétaire foncier, roturier ou seigneur. Nous venons de voir le seigneur de Kergal payer 75 sols monnayés pour les tenues de ce village. François Blesvin, seigneur de Penhoët, nous en offre un autre exemple [Note : B 426. Arch. dép.] ! C'est lui, et non pas le domanier, qui payait au seigneur supérieur de la Chesnaye, pour deux fonds de tenue qu'il possédait à Nizelec, comme rente féodale : une pairée d'avoine et une poule. Cette charge féodale, le seigneur sans doute l'imposait en général au tenancier, « paiera le tenancier les rentes féodales et seigneuriales ». Mais cette clause même faisait au seigneur un devoir d'observer une certaine modération dans la fixation de la redevance foncière. En sorte qu'il est vrai de dire de la rente féodale, comme on le verra plus tard des impôts directs, qu'elle frappait principalement le propriétaire foncier. Or Brandivy ne renfermait que des tenanciers ou des fermiers.

Le rachat n'était pas non plus de nature à susciter des plaintes. Ce droit consistait dans la jouissance d'une année de revenue d'une terre après la mort du propriétaire. Car de quel propriétaire s'agit-il ? uniquement du propriétaire foncier : par suite le tenancier n'avait pas à en souffrir ; et encore est-il vrai que ce droit ne grevait pas toute espèce de propriété ; le domaine devait être noble, relever prochement et noblement du seigneur supérieur. Le fonds de propriété que Bidé de la Grandville possédait au Troguern relevait noblement du roi ; aussi était-il « à devoir de foy, hommage et rachat ». Lorsque le domaine relevait du seigneur roturièrement, ce n'est pas le rachat, mais l'impôt du fouage qui le frappait. Le rachat pouvait d'ailleurs peser sur le lieu principal de la seigneurie, et le fouage sur les tenues de sa dépendance. C'est ainsi que Largouët possédait le rachat « sur le lieu de Saint-Nerven, à cause de la baronnie de Lanvaux, annexée audit Largouët ». Une tenue de Kermeliard, au contraire, sous la même seigneurie, payait l'impôt des fouages [Note : Ce qui ne laisse aucun doute à ce sujet, c'est ce fait que la dame de Moussy paya 100 livres pour droit de rachat en 1690, tandis qu'à la même époque la seigneurie avec ses dépendances était estimées à 800 livres de rente]. Un aveu du 17 juillet 1694 mentionne le même droit de rachat sur la Grandville, Kergal, le Guern, la Chesnaie et Coëtcandec. J’ai nommé la Chesnaie et Coëtcandec parce que l'aveu de Largouët les met sous rachat ; cependant, dans une déclaration de 1690, le sieur de Coëtcandec prétend qu'il tient noblement ces fiefs sous Largouët « à foy, hommage, sans rachat ».

Les lods et ventes pesaient sur tout acquéreur de fonds et édifices. Le tenancier par conséquent ne pouvait pas s'y soustraire. S'il frappait le paysan, il frappait aussi le seigneur. Lorsque M. de Robien de Treulan eut acheté en 1740 la seigneurie de Saint-Nerven, il reçut avis d'avoir à verser au seigneur supérieur les lods et ventes dont il était débiteur par suite de cette acquisition. Ce droit s'élevait pour Langouët et Kermenguy au denier huit, c'est-à-dire, au huitième du prix de la vente, ce qui est beaucoup. Le seigneur du reste savait pactiser au besoin. A propos d'une vente d'édifices, le seigneur de Largouët « fait remise d'un quart en faveur du paiement fait dans les trois mois » [Note : Titres Bodic de Castelguen].

J'ignore si on pactisait de même à l’occasion de la succession des bâtards, formellement réclamée par les seigneurs supérieurs. Suivant la coutume de Bretagne, « le bastard ne succède à ses père et mère et aussi les père et mère ne succèdent au bastard ». Donc, ajoute la coutume, « les héritages que les bastards acquièrent au cas qu'ils n'ont hoirs da leurs corps engendrés en loyal mariage doivent être au seigneur, sous qui l'acquisition a été faite : pourvu qu'il y ait obéissance et moyenne justice, combien qu'il n'ait haute justice ». Trop de conditions étaient réunies pour hériter d'un bâtard, pour que nos seigneurs aient dû à cet usage un grand accroissement de leurs revenus. Et puis, la naissance d'un enfant naturel constituait une rareté: cinq à six seulement dans le courant du dernier siècle.

Les épaves ou choses égarées : voilà encore un droit du seigneur supérieur ; mais toute chose ne lui appartenait pas par le fait même qu'elle était égarée, il fallait, d'après certaines archives [Note : Arch. Spinefort à Nantes ; Spinefort, manoir situé en Languidic], qu'elle fût « duement bannie et exploitée à la coutume ». Nos seigneurs n'y mettent pas cette condition, sans doute parce qu'elle va de soi.

Le droit de guet était peut-être ce qu'il y avait de plus onéreux. Le seigneur de Largouët le possédait à titre de comte de Largouët et de châtelain de Lanvaux. En créant par lettres patentes du 22 septembre 1485, le sire de Guémené baron de Lanvaux, le duc de Bretagne lui donna le droit de rétablir le château et les forteresses de la baronnie, de lever un guet pour la garde de cette place, d'y contraindre tous les roturiers et gens de bas étage à trois lieues à la ronde : sujétion ennuyeuse assurément pour les gens de Brandivy, Grand-Champ, Plumergat, Pluvigner ..... Mais elle ne dura guère, le sire de Guémené cessa, vers 1530, on ne sait trop pourquoi, de parer son nom du titre de baron de Lanvaux. La seigneurie de Largouët prétendait à un droit similaire, mais cette réclamation me paraît bien surannée au dix-septième siècle, et si M. de Cornuliery fait allusion, ce n'est vraisemblablement que pour la forme.

Voilà pour les fiefs supérieurs.

Pour en finir avec les droits onéreux, une question reste à examiner : Comment ces divers fiefs supérieurs se rattachaient-ils au nef souverain ? Tous en relevaient directement dans l'exercice de la justice ; tous s'y rattachaient-ils d'une manière aussi directe en ce qui concerne les charges ? Non, mais trois seulement, ceux de Lanvaux, de Kermenguy et de Largouët, et les trois étaient sujets à rachat. En conséquence, à la mort des seigneurs, le souverain prélevait une année de jouissance dans toute l’étendue des trois fiefs, percevait les rentes féodales, levait les lods et ventes, exerçait tous les droits de justice, sans oublier évidemment le même rachat sur tous les domaines nobles dont les propriétaires venaient à trépasser dans le cours de l'année ; d'un mot, il prenait en tout la place, jouissait de toutes les prérogatives du seigneur défunt. Il lui était loisible de passer une convention avec ses héritiers, de régir directement la seigneurie, ou de l'affermer. Lorsqu'il la mettait en bail, il en ordonnait la bannie dans toutes les paroisses intéressées. C'est ainsi qu'à la mort du sire de Trévereuc, comte de Largouët. arrivée en 1689, la seigneurie « fut mise à ferme au compte du Roi » et les publications faites à Plumergat, Grand-Champ…. En 1704, le bail à rachat de Kermenguy, s'éteva à 700 livres [Note : Archives de la Cour des Comptes à Nantes].

Remarquons cependant, à propos de la baronnie de Lanvaux, que ses droits sans ses charges passèrent à l'abbaye du même nom et à la collégiale Saint-Michel ; de fait, comment le droit de rachat pouvait-il tomber sur des biens de main-morte ? Le duc pouvait à la vérité les frapper d'un droit d'amortissement, il s'y refusa. Les domaines de ces communautés relevaient du souverain « en fief armorti à devoirs d’homages prières et oraisons » sans aucune redevance féodale [Note : Archives abbatiales].

Que le suzerain perçût ou non le droit de rachat sur les diférents fiefs, cela n'importait guère à nos tenanciers dont la situation restait la même. En cas de paiement, le nom du bénéficiaire changeait ; les clauses du contrat ne changeaient pas.

Voilà donc à quoi se réduisent en définitive les charges de la féodalité. On est tenté d'emprunter le mot du fabuliste et de s'écrier : De loin c'est quelque chose et de près ce n'est rien.

Ce n'est pas grand'chose sans doute, lorsqu'on les examine froidement, sans préjugés, à la lumière des textes et de la raison. En tout cas, ce n'est pas à nos contemporains qu'il appartient d'en crier vengeance au ciel. Pour avoir en effet déchainé la tempête révolutionnaire, croyez-vous ces droits abolis ? et bien qu'affublés d'un autre nom, ne les reconnaissez-vous pas à travers le déguisement ? Qu'est-ce en somme que la corvée, sinon la journée de prestation ? le droit de rachat et les lods et ventes, sinon le droit de mutation ? les coutumes, sinon le droit de place dans les marchés et l'impôt qui frappe les denrées et les bestiaux à leur entrée dans les villes ? Depuis quand nos grands propriétaires ont-ils renoncé à leur chasse ou pêche prohibitive ? L'odieux droit de moulin lui-même est-il entièrement aboti ? Officiellement ou légalement sans doute, mais officieusement?.... Or si ces charges seigneuriales ont mérité des malédictions dans le passé, je me demande comment on s'y prendra pour les innocenter dans le présent.

 

III.

DROITS SOCIAUX.

Au-dessus des droits onéreux de la feodalité planaient les droits suprêmes de la Société. La Société a divers intérêts, spirituels et temporels. Les uns sont représentes par l'Eglise, les autres par l'Etat. Quelles étaient sous l'ancien régime, relativement à ce double objet, les charges réelles des tenues ? Nous le saurons en examinant jusqu'à quel point le cultivateur contribuait aux impôts fonciers, c'est-à-dire, à l'impôt du sang et aux impôts directs, publics ou ecclésiastiques.

 

§ 1. Impôt du sang.

Le service militaire est de tous les impôts le plus lourd : c'est l'impôt du sang. et il faut ajouter que cet impôt du sang s'aggrave en tous pays d'un réel impôt foncier ; or sur qui pesait principalement cette charge avant la Révolution ? Sur le seigneur.

Pour s'en convaincre, il suffit de lire les déclarations fournies par les gentilshommes de la sénéchaussée de Vannes vers la fin du dix-septième siècle [Note : Archives départementales]. On y voit que tous les seigneurs qui ont quelque rapport avec Brandivy sont en activité de service. Paul Blevin, seigneur de Penhouët, est capitaine de cavalerie au régiment de Montreuil ; François le Meilleur, seigneur de Kerhervé, enseigne au régiment des Gardes françaises.... Des baux de ferme de la même époque nous apprennent que le fils de la dame de Saint-Nerven, Alexis Bargeot, est capitaine de cavalerie dans le régiment de Borringhem : que Bertrand Chohan, seigneur de Coëtcandec, est à la tête d'une compagnie de cavalerie.

La noblesse est en outre soumise à la convocation du ban et de l’arrière-ban.

Tous nos signeurs comparaissent en personne ou par procureur devant le commissaire du roi pour rendre compte du nombre de leurs fiefs et des revenus qu'ils produisent, en vue de subvenir aux nécessités publiques. René de Lantivy lui fait savoir que la seigneurie de Kergal peut valoir 600 livres de rente ; le sieur Morin, tuteur des enfants Bidé, que le domaine de la Grandville est affermé 1000 écus ; la dame de Saint-Nerven, « qu'elle doit être exempte de ban et d'arrière-ban et autres charges publiques comme étant bourgeoise de Paris et ayant actuellement un de ses enfants au régiment ». A la même époque, le baron de Camors est commandant d’une compagnie de gentilshommes dans le duché de Rohan.

C'est dans cette même compagnie que messire Alexis Le Gouvello, seigneur de Kerentré « déclare servir à ses frais, bien monté, armé et esquipages requis »

Le 2 juin 1690, le maréchal d'Estrées convoque à Vannes les gentitshommes absents et mal montés. Le sieur de Kerdavid est présent, monté et équipé, et signe : Jacques de Lessard. Le sieur de Coessal de Robien est présent, monté et équipé. Bernardin de Lantivy dit « ne pouvoir avoir un autre cheval étant de peu de biens et besoin d'aides ». Une dame de Talhouet de Lantivy « offre de donner et équiper un cavalier pour obéir aux ordres du roi ». D'autres déclarent « ne servir à cause de grand âge et d'un fils au régiment ».

A partir du dix-septième siècle, l'obligation du service personnel dans les armées royales cesse pour le seigneur ; la noblesse n'en continue pas moins à être assujettie à la convocation de l'arrière-ban.

Aussi. voyons-nous cette mobilisation, même au dix-huitième siècle, notamment pendant la Guerre de Sept ans.

Ainsi donc, jusqu'aux années qui ont précédé la Révolution, le seigneur devait le service militaire ; dans la mesure de ses ressources, il le devait a ses frais ; si le fief n'avait pas de seigneur disponible, ses revenus servaient à l'entretien d'un remplaçant.

D'où il résulte que si sa situation valait au seigneur des profits, elle lui créait aussi des charges.

Est-ce à dire que le peuple en fût totalement dispensé ? Non. L'obligation du guet dans les places et châteaux lui incombait au Moyen Age. Au dix-septième siècle, s'organisent les milices provinciales et gardes-côtes. La paroisse de Grand-Champ devait faire partie des gardes-côtes. Ce qui le fait croire, c'est que les archives de Lanvaux mentionnent plusieurs domestiques de l'abbaye appelés dans le même temps et à diverses reprises à Vannes et à Auray pour faire leur service. Mais, comme la garde-côtes n'était mise en mouvement que quand il y avait menace d'invasion dans le pays ou dans le voisinage du pays où fonctionnait cette institution, elle ne pouvait susciter des plaintes sérieuses de la part du peuple [Note : La milice provinciale n'avait non plus rien d'écrasant. La Bretagne fournissait un effectit annuel de 900 hommes, soit 2 pour 4000 habitante. (Dupuy)].

 

§ 2. — Impôts directs.

Les impôts directs comprenaient les fouages, le dixième, le vingtième et la capitation.

Le cahier des fouages de 1659 porte que « la paroisse de Grand-Champ de tout temps immémorial, lors de l'imposition des feux de fouage, fut taxée sur le pied de six vingt-dix feux payables : de ce nombre furent affranchis vingt feux, appelés d'ancienne promission ; autres appelés de nouvelle promission et modération faicte par la chambre ; trois feux affranchis en 1577 ; six feus quart et un seizième de feu anoblis en 1638 ; anoblis et exempts quatre feux 2/3 ; anoblis et exempts en 1640, quatre feux 3/4 : Etant payables 91 feux 1/12 et 1/16 lesquels, à raison de 10 livres 18 oboles tournois pour chaque feu, tant pour le fouage, taillon [Note : Taillon : crue pour augmentation des gages et solde de la gendarmerie], crûs de prévot que états du païs viennent à la somme de 993 livres, 3 sols huit deniers, payables à deux termes, scavoir le premier au mois de janvier la somme de 579 livres 12 sols 11 deniers, à raison de six livres dix sols des deniers pour chacun feu .... » [Note : La crue du prévôt des maréchaux établie en 1572, servait à couvrir une partie de la solde de la maréchaussée] et le second terme pour le reste de la somme au mois de septembre de plus « droit de quittance attribué aux receveurs des dits feux, 27 sols tournois à chacun terme ». Le total monte à 996 livres 7 sols huit derniers tournois.

Au dix-septième siècle, la paroisse de Grand-Champ renfermait donc 91 feux ou unités imposables. L'imposition affectée à chaque feu étant de 10 livres 18 oboles, les contribuables avaient à repartir entreux « le fort aidant le faible » 91 fois cette somme. Le soin de cette répartition revenait aux égailleurs qui taxaient chacun suivant la valeur de ses biens ; mais la taxe ne pouvait peser que sur les roturiers et sur les fonds devenus roturiers, soit par une prescription de quarante ans, soit par un afféagement roturier [Note : Etaient exemptes : toute terre noble même exploitée par un roturier ; une terre roturière qu'un noble « maneuvre par la main » ; une terre roturière qui constituait « le titre clérial... »]. Pour savoir à combien s'élevait en moyenne l'impôt de chaque contribuable, il faudrait connaître le chiffre des terres exemptes. Ce qu'on ne saura jamais, à moins de découvrir le cahier des fouages trévial ou paroissial. En évaluant le fouage à 2 liv. 50, peut-être ne s'écartera-t-on pas trop de la vérité [Note : La paroisse de Grand-Champ, celles de Brandivy et de Locmaria, anciennes trêves de Grand-Champ, renferment en ce moment 515 tenues. Le nombre des tenues avant la Révolution devait approcher de celui-là. Mettons 150 fonds exempts : cela donne environ 2 liv. 50 pour chaque fonds imposable]. Au dix-huitième siècle, par suite des nombreuses impositions accessoires [Note : Fouages extraordinaires, droits atribués aux offices créés sur les fouages .... (Dupuy)] qui vinrent s'y rattacher, le feu montait à 48 livres ; ce qui porterait à 12 livres les fouages de chaque tenue [Note : Je raisonne d'après le chiffre des feux connus. Le chiffre 91 a dû baisser, mais je ne sais de combien].

Le dixième précéda le vingtième qui le remplaça en 1750. Le dixième n'en persista pas moins sous la forme de deux sous par livre du dixième. Une tenue de Kerlagadec payait pour cet impôt en 1767 : 1 liv. 5 s. 3 d.

Le vingtième se prenait sur le bien, frappait les immeubles, les revenus, les traitements..... Les Etats, à chaque tenue, débattaient avec les commissaires du roi une somme déterminée, qu'on répartissait ensuite par évêchés, par villes et par paroisses rurales. Depuis 1734, cet impôt était abonné par la province et, en Grand-Champ, pour le seigneur de la Grandville du moins, abonné par les égailleurs. Nous lisons dans un contrat que « le tenancier paiera les vingtièmes dont on est convenu par abonnement à huit livres ». D'autres fonds sont abonnés à 12. 8, 6 et 4 livres. Le chiffre de ces impôts comparé avec la rente foncière donnerait une moyenne pour Brandivy de 7 à huit livres par tenue. Les seigneurs de la Grandville et de Saint-Nerven obligeaient le tenancier « à la cueillette du rôle à son tour et rang ».

Comme les vingtièmes, la capitation était une taxe abonnée par la province, puis répartie par évêchés et par paroisses ; elle était personnelle et progressive, augmentait avec les ressources et les revenus. En 1768, l'abbaye de Lanvaux payait pour huit domestiques 12 livres de capitation. Ces huit domestiques avaient entr'eux de gages 286 livres, 36 livres chacun en moyenne. Dans ces conditions, la capitation d'un simple tenancier ne devait pas dépasser 2 livres.

Pour descendre du général au particulier, prenons cette tenue du Verger sous la seigneurie de la Grandville. En 1659, l'impôt des fouages est d'environ 2 livres ou 2 livres 50 ; c’élait le seul impôt direct à cette époque. Les autres ont été créés dans la suite [Note : Le premier vingtième date de 1710 ; la capitation, de 1695. (Dupuy, Annales de Bretagne)], dans les années qui précèdent la Révolution, le même impôt s'élève approximativement à 10 livres ; la capitation est de 1 livre 50, les vingtièmes de 6 ; total, environ 18 livres. La même tenue paie de nos jours environ 60 fr. On voit la différence. Cette différence m'avait été affirmée par un cultivateur ; il m'a fallu, pour y croire, avoir les chiffres en main.

Et puis, en définitive, à qui incombait particulièrement cette charge ? N'oublions pas qu'il fut un temps où les domaines congéables et les convenants étaient exempts du fouage, en raison de la noblesse du domaine dont ils étaient formés. Pour contribuer aux nécessités publiques, le seigneur autorisa la levée de cette imposition. Le seigneur pouvait l'acquitter directement, il pouvait aussi la mettre à la charge du tenancier ; dans ce dernier cas, la rente foncière devait subir une diminution proportionnée. C'est que le fouage constituait un véritable impôt foncier, aussi bien que les vingtièmes dans la suite. Le seigneur aura beau dire : « le tenancier paiera les fouages ordinaires et extraordinaires et spécialement les vingtièmes », cette formule ne peut tromper personne. Il saute aux yeux que si tous les impôts mis à la charge du cultivateur eussent été supprimés, le seigneur se serait empressé d'augmenter le chiffre de la redevance.

C'est douc sur le propriétaire foncier que pesaient principalement les fouages et les vingtièmes. L'impôt de la capitation seul était personnel ; mais il était si minime que personne ne devait songer à réclamer. Le tenancier du moins avait-il à gémir sous le poids des impôts ecclésiastiques ?

 

§ 3. — Impôt ecclésiastique.

L'impôt ecclésiastique n'est autre chose que la dîme. Une dîme entière et deux dîmes partielles pesaient sur Brandivy.

La dîme entière, ou rectoriale, était levée par le recteur de Grand-Champ, sur le froment, le seigle et l'avoine qui s'ensemençaient dans toute l'étendue de sa paroisse. Le cultivateur la disposait en meules dans le champ ; un homme y passait ensuite avec sa charrette, chargé de recueillir la dîme, de la battre, et d'en transporter le grain, quitte de tous frais, aux greniers du propriétaire. Celui-ci lui cédait comme dédommagement, sur le rapport de certaine tradition, la paille du seigle, l'avoine et la paille de l'avoine [Note : Cela s'est fait quelquefois, je ne veux pas dire toujours. Le recteur de Grand-Champ jouissait, dès le commencement du dix-septième siècle, d'un revenu de 2300 livres et de 5 tonneaux d’avoine. (Pouillé)].

La dîme rectoriale était à la 33ème gerbe, ou de trois minots sur cent. C'est à environ trois minots que s'élevait également la dîme de chaque tenue, parce que les fruits décimables ne devaient guère dépasser une centaine de minots ou vingt-cinq perrées. Trois minots, quatre si l'on veut, payés en nature et livrés en gerbe, exempts des frais qui accompagnent le battage et la vente ! la belle affaire !

Les deux dîmes partielles, dites inféodées ou de champart appartenaient aux religieux de Lanvaux. L'une portait le nom de dime de la Forêt. Un aveu de 1728 s'exprime à ce sujet de la façon que voici : « possèdent un trait de dixmes appelées dixmes de la Forêt ayant cours à l'onzième [Note : Arch. abb. Les meules sont de onze gerbes encore aujourd'hui, réminiscence de la dîme. Autre réminiscence de la dîme : les paysans du bourg ont l'habitude, lorsqu'ils battent leur récolte, de porter au recteur, sur leur porche, une charge de paille], la dixme du recteur comprise, sur les terres du village de la Forêt et les parcs du moulin de la Forêt ». Cela signifie que sur 33 gerbes, le recteur de Grand-Champ, dans les terres soumises à la dîme inféodée, prélevait une gerbe, et les religieux de Lanvaux, deux gerbes. En 1617, elle est affermée à Hervé le Nocher et à Jean Dagorn moyennant douze perrées de seigle, deux de seigle, deux de froment rouge et deux d'avoine ; en 1692, moyennant dix-huit perrés de seigle et de froment La déclaration des biens de l'abbaye, en 1750, l'estime à 60 liv. Mais cette dîme n'a pas à nous préoccuper ; le village de la Forêt n'a été annexé à Brandivy qu'en 1862 ; les seuls parcs du moulin de la Forêt, tout au plus, en dépendaient avant la Révolution.

La seconde dîme de champart s'appelait dîme du Resto, de Brandivy ou du Brodier : « de plus, un autre trait de dixme ayant cours à pareille quantité, appelée la dixme du Resto ou du Brodier ayant cours dans la trève de Brandivy. ». Huit tenues ou demi-tenues de Brandivy [Note : Deux tenues de Ménédavid et la moitié de la grande tenue dont le fonds appartenait aux Chartreux : la moitié de la tenue de Kerdréan ; trois tenues du bourg ; la tenue de Kerican qui relevait du sieur de Kerbrezel, les terres de Plunian mêlées à celles du village de Kérican (Arch. abb.)] étaient soumises à cette dime, qui s'étendait aussi sur quelques terres voisines en Plumergat [Note : La métairie de Couëtro ; le village de Rescuel et toutes les terres qui en dépendaient ; la tenue de Kerraud (Arch. abb.)]. L'abbaye de Lanvaux l'avait affermée, en 1596, pour six perrées d'avoine et quatorze de seigle. Roland le Dévoré l'obtint en 1617 pour quinze perrées et quart de seigle, deux perrées de froment et deux d'avoine. Jointe à celle de Locpabu en Grand-Champ, elle valait, en 1738, vingt perrées de seigle, « grain net, mesure du marché de Vannes, rendu quitte de frais soit dans les greniers de l'abbaye, soit à Vannes, aux dépens du preneur, ou encore au prochain port de mer » [Note : Arch. abb.].

Lorsque la dîme inféodée pesait en même temps que la dîme rectoriale sur un fonds, on ne peut nier qu'il ne fût passablement grevé.

Mais notez tout d'abord que les fond atteints par la double dîme constituaient des exceptions : un sur douze.

Notez ensuite, en ce qui concerne le recteur de Grand-Champ, que le budget des cultes n'était pas encore inventé ; la dîme en tenait lieu ; ainsi, en qualité de gros décimateur, le recteur de Grand-Champ avait à sa charge les réparations du chœur et du chanceau de l'église paroissiale, l'entretien de ses quatre curés, dont deux résidaient à Grand-Champ et deux à Brandivy et Locmaria.....

Notez enfin, en ce qui regarde l'abbaye de Lanvaux, que sa situation dans un lieu désert, éloigné de tout centre religieux, en faisait un établissement d'intérêt public. Cette considération la sauva sous Louis XV. Comme elle ne réunissait pas le nombre de moines règlementaire, on la condamna à disparaître. Les services rendus par elle au voisinage plaidèrent en sa faveur et il lui fut permis de vivre [Note : Arch. abb.].

Tant la dîme rectoriale que la dîme inféodée trouvaient donc dans les services rendus par les décimateurs ou dans les charges qui leur étaient imposées, une suffisante justification.

Quand bien même les services n'eussent pas été en rapport avec le poids de la dîme, convenait-il à nos paysans de s'en plaindre ? Nullement. La dîme ne constituait pas une charge pour le cultivateur ; levée sur les produits du sol, elle pesait sur le seigneur et non sur le tenancier qui louait la terre en conséquence. En veut-on des exemptes ? Prenons les trois tenues de Ménédavid. D'après un aveu au roi [1, voici quels étaient au dix-septième siècle leurs fermages :

Première tenue : 4 livres 16 sols ; 3/4 de perrée de froment ; 2 perrées et demie seigle.

Deuxième tenue : 18 sols ; 1 perrée avoine ; 1 perrée seigle.

Troisième tenue : 66 sols ; 1 perré avoine ; 1 perrée froment ; 2 perrées seigle.

Pour quiconque connaît Ménétavid, ces fermages sont dérisoires. La rente foncière de ces trois tenues donnerait aujourd’hui de sept à huit cents francs. La redevance annuelle était par conséquent en raison inverse de la dîme. Plus celle-ci était lourde, plus cette-là était faible. C'est donc le propriétaire foncier qui perdait et non le tenancier. Or depuis quand est-il devenu de mode de maudire les impôts qui frappent le riche ? Pour tous ces motifs, le vicomte d'Avenel a eu raison de s'écrier que « la dîme était un impôt sensément conçu, sensément perçu, le meilleur de l'ancien régime ».

Le peuple n'en a pas moins conservé un souvenir désagréable. Pour l'aider ou le décider à s'exécuter, on eut l'idée d'ajouter aux préceptes ordinaires de l'Eglise un nouvel article conçu en ces termes : D’en Ilis en diaugueu, peein ol hemb gober gueu.

Cette répugnance ne m'étonne pas : le peuple vit de sensations, d'impressions, de préjugés, et non pas de réflexion.

Le fait de livrer sur sa récolte un certain nombre de gerbes lui devenait odieux : songeait-il que la suppression de la dîme aurait eu pour conséquence nécessaire l'augmentation de la redevance foncière ? Avec un peu de bon sens, il eût compris cette vérité évidente, mais le bon sens est une rareté en ce monde.

Cette évidence, j'ai essayé néanmoins de la faire toucher du doigt, et, un jour que j'expliquais les conditions du régime seigneurial, la modération des fermages et des charges publiques, on s'écria naïvement : « Si les denrées eussent été chères à cette époque, que d'argent on aurait pu amasser ! ».

 

IV.

AISANCE GÉNÉRALE.

Les denrées n'étaient pas avant la Révolution, aussi chères qu'elles le sont de nos jours ; elles n'étaient pas non plus pour rien. A la valeur relativement modérée des denrées correspondait d'ailleurs la modération des salaires, et cette légitime compensation, si elle profitait au cultivateur, n'incommodait pas l'ouvrier ; en sorte que les diverses classes de la société rurale jouissaient d'un bien-être réel. Ce que les deux paragraphes suivants établiront sans peine.

 

§ 1er. — Denrées.

D'après le journal de l'abbaye de Lanvaux et divers inventaires de Brandivy, Grand-Champ, Plumergat.... le mouton se vendait communément quatre livres, le petit cochon de 3 à 7 livres ; le cochon maigre, 30 livres. Une vache maigre valait 21, 27 et 37 livres ; une vache grasse, 35 livres et 42 livres ; j'ai vu une génisse de 45 livres ; deux bovillons à 70 ou 80 livres ; le veau d'un an à 8 livres ; la chèvre à 10 et 11 livres..... Tous ces prix sont raisonnables et je me demande quel paysan pourra y trouver à redire.

Seuls les œufs et le beurre se vendaient peu. La douzaine d'œufs valait généralement 3 à 4 sols ; la livre de beurre de même. Où est le mal ? Le paysan en bénéficiait. On en voit de nos jours se permettre rarement une fricassée d'œufs, se faire une conscience d'user d'un peu de beurre, condamner sans scrupule la famille au pain sec, parce que ces denrées sont chères et que les charges sont lourdes. Jadis on n'y regardait pas de si près. Le beurre et les œufs étant à vil prix, le cultivateur ne s'imposait pas la peine de les vendre, mais il se donnait le plaisir de les consommer. Il pouvait même, sans se gêner le moins du monde, avoir le pot au feu tous les dimanches, suivant le désir d'Henri IV, et y introduire une bonne petite poule. La poule valait 5 à 6 sols. Qu'est-ce qui l'empochait d'en tuer de temps à autre et de se mettre un peu de joie au cœur et au coeur de sa famille ? La pensée d'un pareil régal lui inspirait plus de force et de courage pour supporter les fatigues de la semaine.

Le cultivateur n'avait pas à se plaindre du prix des cidres. La barrique valait bien 12 livres ; elle a été à 18 livres, mais en un temps de disette où la récolte avait complètement manqué. A ce compte de 12 livres, la barrique valait à peu prês la barrique de vin blanc ordinaire, rendue à Lanvaux : celle-ci ne coûtait guère que 15 à 16 livres. Si le tenancier aimait le vin, rien de plus aisé que de faire un troc. Pour une barrique de vin rouge, il lui aurait fallu deux barriques de cidre. On avait du vin de Montferrand à 27 livres, la barrique ; du Saint-Emilion à 24 livres, du vin de Graves à 30 livres [Note : Arch. abb. Lanvaux].

Le cultivateur n'avait pas davantage à se plaindre du prix des blés. Pour me borner au marché de Vannes dont relevait Grand-Champ, la moyenne pendant un siècle, pour la perrée de seigle, a été de 15 livres ; pour la perrée de froment de 22 à 23 livres ; pour la perrée de grosse avoine, de 9 a 10 livres ; pour la perrée de mil, de 15 livres [Note : Inventaire sommaire Arch. Départ.]. Or songez qu'il payait son seigneur en nature et que la rente en nature ne dépassait guère 4 ou 5 perrées. Tout le reste lui appartenait ; toul le reste était vendable, à part ce qui était nécessaire à l'entretien de la maison, et vendable à son profit et à sa fantaisie. Rien ne l'obligeait, le seigneur une fois payé, à vider d'une année à l'autre ses granges ou ses greniers, il pouvait attendre et profiter d'un moment de hausse pour réaliser des bénéfices considérables [Note : En Tréguier, le tenancier gardait dans ses granges ou ses greniers une année de sa récolte (G. de la Tour)].

Encore une fois, le sort du tenancier n'était point malheureux, et lorsqu'il se rencontrait un simple fermier, je veux dire un cultivateur ne possédant ni les fonds ni les édifices, il est hors de doute, malgré des charges nécessairement plus lourdes, qu'il parvenait sans effort à la hauteur de ses affaires. Il ignorait la vie agitée, les besoins incessants du fermier de notre temps, et il n'en éprouvait pas les débolres. Tout est factice aujourd'hui. C'est dans les denrées una hausse et une baisse continuelles. Vous vendez cher : le propriétaire, au moment de passer le bail, ne l'oublie pas. Si la hausse se maintient, le fermier fera largement ses affaires ; si la baisse survient et se prolonge, le voilà à plat. Le contrat court toujours ; où trouvera-t-il l'argent pour faire face à ses obligations ? Sous l'ancien régime, il y avait également dans le prix des denrées de la hausse et de la baisse, mais les baux de ferme ne variaient guère pour cela et le seigneur aimait à garder dans ses terres les mêmes familles. Maintenant on ne tient à personne et la ferme est au plus offrant.

Le tout n'est pas de s'engager, il importe de remplir ses engagements. Pour y arriver, voilà le cultivateur, qui de sa nature est sédentaire, transformé en une espèce de Juif-Errant.

Tous les jours de marchés et de foires, il se met en chemin, économisant petit à petit, sou par sou, le montant de sa ferme. Chose singulière ! il y prend goût. N'en voit-on pas qui, pour gagner sur une douzaine d'œufs un malheureux sou, sacrifient allègrement une journée entière ? Ce ne sont pas eux qui auraient inventé la célèbre devise : Le temps est argent. Encore si le cultivateur ramenait au logis le produit intégral de ses ventes ! Mais non ! l'argent fond pour ainsi dire, en ses mains. Je ne parle pas des auberges semées de quart d'heure en quart d'heure tout le long de sa route, comme pour tenir constamment en éveil ses convoitises ; je m'en tiens à la ville. Il serait vraiment curieux qu'il y fût sans accéder à un romptoir de marchand. N'a-t-il pas des emplettes à faire ? des étoffes à acheter ? Le garçon n'a pas l'habit qu'il faut ; la fille manque des parures à la mode ; les plaintes sont incesantes ; le moyen d'y résister ! L'entretien annuel d'un garcon et d'une fille nubiles constitue une dépense de 150 fr.

Il n’en était pas de même au bon vieux temps ! Le besoin de courir tous les marchés d'alentour ne talonnait guère nos ancêtres : leurs fermages étaient en nature et il suffisait d'un voyage ou deux au grenier du seigneur pour être quitte à son égard. La nécessité de dépenser d'une main ce qu'ils avaient recueilli de l’autre les tourmentait encore moins. Nos pères savaient pourtant s'habiller ; mais ils s'habillaient, qu'on me pardonne l'expression, du produit de leur crû. Ils faisaient d'abondantes récoltes de chanvre. La mère le filait aux longues soirées d'hiver, en mêlant au bruit monotome de son rouet le récit varié des légendes qui avaient bercé son enfance ; un ouvrier du village le tissait. On avait ainsi d'excellents habits de travail. Ils coûtaient peu, et quelle solidité ! Les ronces et les épines n'y pouvaient mordre, et, lorsque par hasard un accroc s'y produisait, la pièce se trouvait sur place pour le raccommodage.

Les vêtements d'étoffe, on les réservait pour les dimanches et les jours de fête, et il fallait voir en ces jours de fête, la belle ménagère avec tous ses atours : une bande de velours ou de soie verte, rehaussée par un filet d'argent, court au bas de la robe ; aux manches brille le même ornement ; une large tresse également argentée et dont les extrémités se balancent en arrière, vient serrer la taille ; un tablier en soie et d'autres parure complètent l'habit. L'aisance générale répandue parmi nos tenanciers rendait possible cette richesse et cet éclat [Note : Ce luxe se voyait ailleurs, Il y a une quizaine d'années, dit Anatole France, j'ai vu vendre à Clermont de vieilles robes de paysannes auvergnates, La reine Marie Leczinska n'en avait pas de plus sompteuses. Ces robes furent achetées par des parisiennes et firent dans les soirées et aux diners un effet éclatant], bien différent du luxe de pacotille qui règne à notre époque. Tout cela justifie le mot d'une digne mère de famille : « Pour déposer leurs économies, nos pères avaient des bas on de larges manches de chemises ; nos économies à nous tiennent aisément dans un porte-monnaie ».

 

§ 2. — Main-d’œuvre.

Au point de vue économique, l’emploi de la main-d’œuvre n’est pas chose indiffèrente. Or, avec notre conscription universelle et obligatoire, ce recours devient indispensable.

En partant pour l'armée, le jeune homme ne laisse pas en effet sa place vide seulement au foyer domestique, il la laisse aussi dans les champs dont la culture, à défaut d'autres bras, resterait en souffrance. Mais ces bras, ce sont les bras de mercenaires qui n'ont d'autre souci que d'emporter le salaire de la journée. Le fils a un intérêt direct à la bonne tenue de la ferme et, s'il fait des améliorations, il en bénéficie. Ajoutez que, pendant le temps de son service, il ne manque pas une occasion de pressurer sa famille : la solde est insuffisante, les demandes de subventions sont pressantes ; le cœur maternel n'y peut tenir.

Sous l'ancien régime, la conscription n'existait pas ; le fils restait au foyer dont il est le soutien naturel ; sa présence dispensait de recourir à un personnel gagé ; son travail était de meilleur aloi.

Alors même que l'importance de la tenue ou des travaux obligeait d'engager des domestiques, ce n'était pas une affaire. Pour 25 à 30 livres, vous aviez une servante ; pour 30 à 40 livres, vous aviez un garçon de ferme ; tous deux contents de leur sort [Note : Les artisans avaient des prix plus élevés ; ainsi Yves Kerneur, jardinier de Lauvaux, avait 60 livres ; le cuisinier, de même ; Louis Pihy, charretier, 10 liv. (Journ. de dépenses de 1763 à 1768)]. Allez y songnr aujourd'hui ! Les gages sont devenus quatre fois plus forts. La fille exigera de 90 & 100 fr ; le garçon de 160 à 180 ; différence moyenne de 70 fr. dans les gages de la fille ; de 120 dans ceux du garçon. Avec cette différence, le cultivateur d'autrefois payait son seigneur et tous les impôts qui pesaient sur sa tenue.

Y avait-il de quoi s'apitoyer sur le sort de ces domestiques ? non vraiment. Outre les gages, on fournissait les sabots et, à Lauvaux du moins, des souliers ; puis une chemise et 5 aunes de toile [Note : C’est la fourniture traditionnelle]. Leur habit d'ailleurs coûtait peu, parce que chacun s'habillait suivant ses moyens. La fréquentation du cabaret n'entamait pas non plus leur gages : une seule auberge à Brandivy en 1723 ; une seule auberge jusque dans la première moitié de ce siècle ; encore la porte en était-elle ordinairement fermée. Dans ces conditions, de sérieuses économies étaient faciles à réaliser. En 6 ou 7 ans, le garçon de ferme pouvait en avoir pour 200 livres ; la fille pour 100 à 140. Qu'ils se marient l'un à l'autre et mettent en commun leurs ressources : cela leur permet aisément d'exploiter une ferme. Pour peu que dans cette nouvelle situation, ils fassent preuve de tête et d'énergie, ils acquerront en quelques années de quoi en acheter les édiffices. Les édiffices étaient au rabais, comme il est ci-dessus prouvé. Si au lieu d'un personnel gagé le cultivateur préférait se servir de journaliers, rien de plus aisé ; 5 sols la femme, 8 sols l'homme : voilà le prix courant. Il n'y avait pas de quoi ruiner le cultivateur et le journalier y trouvait son compte. Il ne faut pas perdre de vue que l'argent n'a qu'une valeur relative ; il vaut peu ou beaucoup suivant ce qu'il rapporte en nature. Que rapportait-il avant 80 ?

Mettons la livre de pain noir à 1 sol ; la livre de pain blanc à 2 sols, prix moyen et quatité ordinaire [Note : Ce prix moyen résulte de la comparaison de quelques tarifs des denrées à Vannes. Le pain n’était pas plus cher à Brandivy qu’à Vannes, Brandivy n’avait pas de boulanger. Les moines de Lanvaux se fournissaient à Plumergat]. Le bonhomme Hilary, employé à l'abbaye de Lanvaux et qui recevait pour sa journée 6 sols, quelquefois 8, pouvait suffire aisément à l'entretien de sa femme et, dans ses jours de bonne humeur, lui procurer un petit régal. Pour 7 sols, chiffre moyen de ses journées, il se procurait effectivement une bonne livre de pain, une douzaine d'œufs, une demi-livre de beurre. La bonne femme Hilary ne restait pas non plus inactive ; sa journée lui valait 5 sols. Je suppose qu'unie d'âme et de cœur à son mari, elle unissait aussi sa bourse à la sienne : 5 et 7 font douze. En travaillant trois jours, les deux vieillards pouvaient se reposer le reste de la semaine. Rien ne s'opposait même à ce qu'ils célébrassent le jour du Seigneur par l'emplette d'une poule : 4 à 5 sols ; ou d'un lièvre : 5 et 7 sols ; ou d'une bécasse : 2 à 3 sols ; ou d'une livre de bœuf, de mouton : 4 sols. La journée d'un travailleur dans la force de l'âge était de 8 sols.

Comparez, je vous prie, les journées sous les deux régimes. Que peut le travailleur de nos jours avec ses 10 ou 12 sous en hiver, ses 12 ou 15 sous en été ? Une seule journée du bonhomme Hilary valait trois journées d'aujourd'hui. Je veux dire que le bonhomme Hilary, avec ses 6 à 8 sols, pouvait se procurer plus de denrées que notre journalier avec 40 ; la poule vaut 25 sous ; la livre de bourre 20 ; la douzaine d'œufs 15 ; la livre de viande 12 à 15.....

Les artisans avaient un sort plus enviable encore. Pour commencer par les moindres, le tailleur avait huit sols, la lingère, six. Le tailleur d'aujourd'hui a dix sous ; la lingère, sept ou huit. La difïérence est petite dans les prix ; mais elle est frappante relativement aux denrées. C'est, encore une fois, le côté pratique qu'il faut éviter de perdre de vue. On ne doit jamais dire d'un ouvrier qu'il est heureux parce qu'il gagne beaucoup d'argent. En est-il plus avancé si les denrées sont chères ? Il est heureux seulement si avec cet argent il acquiert aisément les objets de première nécessité. Or une seule journée du tailleur avant la Révolution valait quatre journées du tailleur de nos jours, parce que huit sous à cette époque permettaient de se procurer les denrées qu'on n'obtiendrait pas à moins de quarante sous aujourd'hui.

Ce raisonnement s'applique sans difficulté aux autres artisans, menuisier, couvreur, maçon, dont la journée s’élevait conmunément à quince sols. Le maçon qui travaillait à la toise avait quatre livres dix sols par toise ; mais vraiment leur sort était beau. Qui donc songera sur cette matière à jeter la pierre à l'ancien régime ? C'est peut-être le sabotier et le cordonnier qui ont le moins perdu au changement ; la paire de sabots de six sols a monté à quinze sous et la paire de souliers de trois livres dix sols, à douze francs. S'ils y ont gagné, cela du reste ne les enrichit guère.

 

V.

CONCLUSION.

De l'étude qui précède, il resort :

Premièrement, que le régime seigneurial, avec ses entraves et servitudes, ne saurait passer pour un régime d'oppression ;

Secondement, que le cultivateur, en raison de l'extrême modération des charges et des fermages, et malgré l'insuffisance des débouchés, se tirait plus aisément d'embarras que le cultivateur actual ;

Troisièmement, que l'ouvrier et le journalier, par suite de l'heureuse proportion entre les salaires et le prix des denrées, subvenaient avec moins de peine à l’entretien de leurs familles que leurs congénères d'aujourd'hui.

Cette triple conclusion est-elle excessive ? Les faits sont là : ils sont indéniables. Au lecteur de prononcer.

(Abbé Guilloux).

© Copyright - Tous droits réservés.