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BREST ET LE FINISTÈRE sous LA TERREUR

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Gouvernement révolutionnaire. — Culte. — Disette. — Réquisitions et Maximum. — Séances aux Clubs de Brest et de Morlaix.

La loi du 14 Frimaire an II sur l'organisation du gouvernement révolutionnaire de la France jusqu'à la paix, venait d'être promulguée, et c'est sous l'inspiration des mesures exceptionnelles que prescrivait cette loi, que commencèrent dans nos départements ces affreux excès de la terreur qui éclata presque simultanément pour les départements de l'Ouest, à Nantes, à Rochefort et à Brest, sous l'inspiration des Carrier, des Lequinio, des Bréard, des Laignelot et des Prieur.

Une des premières manifestations de ce régime, dans le département du Finistère, dont nous nous occupons particulièrement, fut d'attaquer et de poursuivre tous les souvenirs et tous les signes du culte catholique si ardemment proscrits par les Montagnards et les fauteurs de troubles.

Laignelot et Lequinio avaient encore sur ce point donné un trop bel exemple de leur zèle à Rochefort, pour qu'on n'essayât pas de les suivre dans le Finistère, et pour que l'un d'eux, Laignelot, arrivé depuis peu à Brest, n'indiquât lui-même ce qu'il y avait à faire pour cela.

Nous apprenons, en effet, par la correspondance des districts, qu'à cette époque les dernières cloches furent descendues [Note : Le quai de Saint-Houardon, à Landerneau, s'en trouva un instant couvert, et les fonderies de Brest, confiées aux citoyens Le Beurrier et Neveu, furent chargées, par arrêté des Représentants du 17 Nivôse an II, d'employer toutes les cloches des départements du Finistère, du Morbihan, des Côtes-du-Nord, d'Ile et-Vilaine et de la Manche à confectionner des pièces de bronze de tous calibres] ; qu'on rechercha partout et à l'aide de nouvelles visites, les vases et les ornements sacrés qui pouvaient être restés cachés dans les communes ou dans quelques maisons particulières ; que des municipalités rurales, peu à la hauteur des circonstances, se virent molestées et maltraitées pour avoir voulu retenir par-devers elles les anciens ornements de leurs églises, sous prétexte que, la déclaration des Droits de l'homme proclamant la liberté des opinions, le culte pourrait un jour être rétabli ; que dans plusieurs communes, comme dans les districts de Morlaix et de Lesneven, où les populations et les municipaux ne comprenaient pas toujours la portée de ces habiles mesures, les Représentants et leurs commissaires prirent le parti de faire murer l'entrée d'une foule d'églises que l'on ferma ainsi pour un temps indéfini.

Mais toutes ces dispositions n'étaient elles-mêmes en quelque sorte que bénignes et secondaires, si l'on peut dire, et, pour comprendre toute la pensée des meneurs sur ce point, il faut assister, à Quimper, avec les Le Nôtre, les Le Clerc et les Dagorn, agents spéciaux des Représentants, à la fermeture des églises, pour voir ce qu'ils surent faire et comment ils s'y prirent.

Dagorn, comme nous l'avons déjà dit, je crois, était inspecteur de l'enregistrement, et se trouvait à Quimper avec la double mission de découvrir Kervélégan qu'on disait caché aux îles des Glénans, et de vérifier quelques caisses publiques, en même temps que Hérault et Le Clerc, que nous avons rencontrés à Landerneau, se trouvaient chargés de la régénération du club et du comité. Dagorn arrivait, à Quimper d'autant plus mal disposé, que dans une vérification de caisse précédente qu'il avait été chargé de faire, il avait été vertement repris de ses excentricités et de son insolence par le directeur de son administration, qui l'avait déféré à la justice de l'ancienne administration départementale [Note : La lettre écrite à Dagorn par l'administration départementale à la date du 6 octobre 1792, porte : que, d'après les qualifications indécentes qu'il s'était permises envers le Directeur et les membres du district de Quimperlé, il y aurait eu lieu de le punir sévèrement, si le Conseil du département n'avait mieux aimé user d'indulgence et lui faire grâce, espérant qu'il n'aurait plus à lui reprocher de méconnaître le respect dû aux magistrats]. — C'était pour lui une double occasion de comprimer les Fédéralistes et de les terrifier s'il était possible.

Lui et ses collègues délégués des Représentants s'étaient donc adressés à la fois au club et à la municipalité, pour en obtenir un arrêté prononçant la fermeture définitive de l'église Saint-Corentin, cathédrale de l'ancien évêché. Vainement Denos, juge-de-paix et président du club, s'était-il plusieurs fois opposé à rémission de cet arrêté, il fut enfin rendu le 21 Frimaire, et le lendemain 22, jour même de la foire très renommée de Saint-Corentin, à Quimper, nos hommes prirent toutes leurs dispositions pour faire évacuer la cathédrale de l'ancien évêché de Cornouaille. La fête du saint évêque, fondateur vénéré de l'ancien évêché, fut choisie, comme par bravade, pour cette exécution.

Dès la veille et pendant la nuit, suivant la coutume du pays, des enfants et des femmes de la campagne s'étaient rendus en ville pour se trouver, avant le lever du jour, à l'ouverture des portes de la cathédrale et aux premières messes qui y seraient dites. Cette journée, fête patronale du lieu, a toujours été signalée par deux faits caractéristiques, par l'affluence immense des populations de la campagne, et surtout par la réunion des jeunes enfants que l'on présente à la protection spéciale du Saint. D'une autre part, les jeunes gens, placés comme serviteurs à la campagne, descendent tous ce jour-là à la ville, munis d'une baguette blanchie, signe de la liberté qu'ils ont de se placer et de faire de nouvelles conditions comme gagistes agricoles. Ajoutez à cela l'empressement des marchands à toutes les issues de la vieille basilique, les lanternes et les lumières innombrables qui circulent longtemps avant le jour sur toutes les voies publiques au milieu de la foule qui s'entasse sur la principale place de la ville, et vous aurez une idée de l'aspect que ne manquaient jamais de prendre, au 12 Décembre de chaque année, la vieille cité bretonne et son église, siége principal du saint patron de la Cornouaille entière. — A cette foule, à ce bruit, à ce mouvement d'autant plus grands que l'on savait déjà que les prêtres habitués du lieu étaient pour la plupart en fuite, et que l'évêque Expilly était lui-même en arrestation, vint se joindre tout à-coup le rappel que faisait battre le chef du bataillon de Loir-et-Cher, nouvellement arrivé. — La garnison et la garde nationale furent bientôt sous les armes. Dagorn et Hérault étaient partout, et ils donnaient eux-mêmes leurs instructions à des canonniers placès près de leurs pièces, la mèche allumée. C'est entre les rangs de ces hommes armés, accompagnés des officiers municipaux de la ville, d'une partie des membres de la Société populaire et du Comité révolutionnaire que parurent bientôt les délégués des Représentants. Partis en cortége de la salle de l'Hôtel-deVille, qui se tenait en ce moment aux anciens Cordeliers, ils pénétrèrent dans le temple, par la double porte de l'Ouest, tambour en tête et au milieu des cris forcenés des clubistes et des enfants attroupés sur leurs pas. Dagorn, dont l'air était à la fois recherché et débraillé, jouait le proconsul, ou tout au moins l'homme de confiance des Représentants en mission. Coiffé d'un bonnet rouge orné de la cocarde en laine aux trois couleurs, portant la cravate extrêmement haute, il se faisait remarquer à la tête du cortége par l'étrangeté de sa figure, ombragée d'épaisses moustaches noires qui laissaient à peine voir ses pommettes rougies d'une triple couche de fard. Le gilet à la Robespierre, la carmagnole ou le camelot, de mise rigoureuse pour un Sans-Culotte, le pantalon collant de couleur noisette et les souliers noués par des rubans en laine, complétaient sa mise, avec un large sabre et une paire de pistolets à la ceinture. La main sur la hanche, assisté de ses collègues Hérault et Le Clerc, il s'avança ainsi jusque dans le sanctuaire, suivi de tous les Sans-Culottes régénérés de la ville fédéraliste que l'ancienne administration départementale avait rendue suspecte aux Montagnards.

Dagorn marcha droit au grand autel de l'église, et faisant sauter avec son sabre les pentures du tabernacle, il en tira les vases sacrés, et, se déboutonnant devant le peuple, ainsi qu'en témoigne le mémoire imprimé du juge-de-paix Desno, il les remplit de ses ordures et les renversa sur les degrés où montèrent tant de pieux évêques pour apaiser la colère du ciel ou demander sa bénédiction en faveur des populations de la Cornuaille… A ce signal et à la suite de ces profanations, tout fut brisé ; des femmes, habituées journalières des clubs, se partagèrent les dentelles qui recouvraient encore la pierre sacrée, et l'une d'elles, qui nous a rapporté quelques-uns des détails de cette triste journée, assez heureuse, comme elle nous le disait elle-même, pour s'être trouvée près de Dagorn, en reçut, au moment où il la jetait au peuple, cette petite vêture en velours et aux paillettes brillantes qui recouvre ordinairement le saint ciboire et lui sert de chemise…. Elle en fit le premier bonnet qu'ait porté son aîné. — Quant aux autres ornements, quant aux saints qui peuplaient les nombreux autels de la basilique, quant aux sculptures fantasques et artistiques qui décoraient le banc du chapitre, quant aux tableaux dus à la pieuse générosité des fidèles, tout fut brisé, mis en morceaux ou défiguré, et chaque soldat, laissant là son fusil et ses armes, se mit en demeure de déménager les autels de ce qui en faisait l'ornement pour le porter dans l'arrière chapelle de la Victoire. Là furent posés des factionnaires avec l'ordre de conserver cet étrange trophée du vandalisme des délégués, jusqu'à ce que d'autres préparatifs, qui se faisaient sur le Champ de la Fédération, eussent été terminés.

Des musettes et des bignious avaient en effet été commandés pour amuser le peuple, et déjà quelques enfants, trottant pieds nus dans la fange, poussaient les cris répétés de Vive la Montagne ! à bas la calotte ! quand, tout-à-coup, les saints de la vieille cathédrale, portés à l'aide de brancards, arrivèrent sur le Champ de la Fédération. Alors Dagorn et Hérault, suivis de quelques clubistes, donnèrent l'exemple au peuple, et entraînant avec eux plusieurs des femmes qui les avaient suivis à l'église, pour en partager les dépouilles, ils formèrent une gavotte, dont les longs plis se déroulaient tour-à-tour sur l'espèce de trophée que formaient les saintes reliques. Un célèbre clubiste, autrefois chevalier de Saint-Louis, s'avança et mit le feu au bûcher. Des flammes épaisses, chargées d'une odeur infecte que détermina la combustion des couleurs dont étaient recouvertes la plupart des statues que l'on brûlait, s'élevèrent, et il n'y eut aucun patriotisme, si chaud qu'il fût, qui permit de se tenir à portée de cet auto-da-fé d'un nouveau genre. Un seul cependant s'y attacha comme à son œuvre, ce fut le vieil officier de fortune que l'ancien gouvernement avait décoré. Empressé à ranimer le feu qu'il avait allumé, il n'abandonna sa proie que lorsqu'elle fut réduite en cendres... Le lendemain, tout Quimper apprit que l'homme, qui avait mis le feu aux saintes images de la cathédrale, était tombé malade et souffrait d'affreuses douleurs d'entrailles…. « C'est une vengeance du ciel ! s'écria le peuple ».

Mais partout ce fut le même entraînement, les mêmes lâchetés, les mêmes mensonges, et l'on fut jusqu'à voir, dans une petite commune des environs de Saint-Pol, à Tréflez, tous les notables, régulièrement convoqués, se rendre au chef-lieu de la commune pour délibérer, sous la présidence du juge de paix, sur la question de savoir si ou non il convenait désormais de conserver un culte quelconque. Et que résulta-t-il de cette grave délibération des soixante-sept notables, pères de famille de la paroisse de Tréflez ? Que tout culte devait être immédiatement supprimé, 61 voix contre 6 l'ayant ainsi décidé. Des clubistes de Brest, en voyage, aperçoivent-ils, un soir, quelques lumières dans une chapelle peu éloignée de la route, leur conclusion dans une adresse, appuyée de tous les frères, à Jean-Bon Saint-André, est que l'on démolisse sans retard toutes les chapelles qui pouvaient encore exister dans le pays [Note : Une lettre du 1er Pluviôse des Représentants au Comité de Salut public, porte : « c'est à la demande des dépulations nombreuses des deux paroisses de Brest qu'ils firent évacuer les églises de la ville »]. — Enfin, ouvrant le registre des délibérations du Comité de Pont-Croix, qu'y trouvons-nous ? Que quelques soldats de l'Hérault, y étant de passage en se rendant de la Vendée sur les côtes, se sont rués sur une croix de mission qui existait près de la ville, qu'ils l'ont abattue à coups de hache, et que la figure du Christ a été décapitée par eux, guillotinée., comme on le disait…… Toutefois, un certain président du club, homme arriéré et, comme Desno, peu zélé, se permet de trouver le procédé d'autant plus mauvais, que les soldats de l'Hérault avaient brûlé tous les bois de lits que les habitants avaient prêtés pour les loger dans un couvent nouvellement évacué. Ce président jugea à propos d'appeler le fier commandant des soldats montagnards à s'expliquer devant le Comité révolutionnaire. Plusieurs sommations lui sont adressées…. Enfin, il se rend à l'appel qui lui est fait, et abordant très insolemment le Comité, ainsi que le déclare le procès-verbal que nous avons sous les yeux, il demande aux membres de ce Comité ce qu'ils peuvent être pour se permettre de l'appeler ainsi à leur barre, et il leur déclare purement et simplement qu'ils sont de mauvais citoyens, des modérés et des fédéralistes. — Et quel était ce commandant de l'Hérault ? — Le jeune et brillant Claparède, que sa fortune militaire a rangé depuis dans les chefs les plus distingués de l'armée. — Entraîné et se croyant peut-être encore en pays ennemi (il venait de la Vendée), il ne mesura pas, il faut le croire, la portée de ses actes, car ce début et cet excès, outre l'inconvénient de froisser cruellement les croyances de toute une population, eurent le fâcheux effet de désigner Urbain Guiller, le pauvre président du club, à l'animadversion des terroristes et de le conduire un peu plus tard sur les bancs du Tribunal révolutionnaire.

Ce qui se passait ainsi d'un côté et de l'autre se résumait, d'ailleurs, en quelque sorte, dans les doctrines professées par l'administration elle-même, et nous voyons la commission administrative de Landerneau et le district de Brest s'entendre et conclure ensemble au renvoi devant une commission militaire d'un pauvre prêtre nommé Meur, parce que, étant sujet à la déportation et ayant été trouvé nanti des ornements de l'église qui manifestaient l'exercice de son culte, cette circonstance devait le faire regarder comme déserteur ou émigré pris les armes à la main, et comme devant, à ce titre, être livré à une commission qui le passerait pas les armes. — Cet arrêté n'était cependant encore que du mois d'Août 1793.

On nous pardonnera sans doute de ne pas raconter tout ce que nous savons de ces temps, car le récit en serait trop long ; mais, entre dix, soit une des scènes qui se passa dans une des villes du Finistère.

Morlaix, comme Quimper, Landerneau et une foule d'autres localités, avait eu et avait encore deux sociétés populaires d'origine et d'esprit très différents : l'une, composée des débris de l'ancienne société des Amis de la Constitution, qui, dès le principe, s'était emparée de la Salle de Spectacle ; l'autre, composée de tous les ouvriers et des hommes du peuple qui secondaient de leurs bras le mouvement révolutionnaire. Toutes les deux s'honoraient du titre de Club ; mais les doctrines professées dans l'une et dans l'autre étaient au moins fort différentes, si elles n'étaient opposées. Un cordonnier, nommé Flandrès présidait la dernière ; le citoyen Bouëstard de la Touche, ancien membre de l'administration du district et ancien membre de l'assemblée législative, présidait l'autre. On payait ici trente sols, dix sols dans la société Flandrès.

A plusieurs reprises, des citoyens zélés avaient inutilement essayé un rapprochement qui devait être favorable au repos de la ville ; inutilement des sociétés amies, comme celle de Dôl, leur avaient dit que la pomme de discorde, fruit amer, cueilli sur l’arbre de Machiavel, était la seule cause de cette fatale séparation ; ces deux puissances s'étaient refusées, chacune de son côté, aux premières avances d'une fusion vivement désirée. — La maison Blanchard, où se réunissait le club Flandrès, devenait chaque jour trop étroite, et l'on s'y pressait en si grand nombre, surtout depuis qu'on connaissait la sympathie des représentants Bréard et Jean-Bon Saint-André pour cette société, que le local ne pouvait plus contenir les affidés. L'application de la loi des suspects y avait d'ailleurs été l'objet répété de plusieurs motions qui annonçaient que les tièdes et les douteux passeraient bientôt au creuset redouté des épurations que les Montagnards poursuivaient partout. La société Bouëstard crut donc que le moment était enfin venu de transiger, et on put d'autant moins en douter, que deux délégués des Représentants, arrivant de Quimper à Morlaix, n'avaient pas manqué de faire savoir aux habitués du club Bouëstard, qu'en moins de 24 heures, dans deux séances tenues coup sur coup, ils avaient épuré la société populaire de l'ancien chef-lieu du département, et nommé par acclamations soixante-dix-sept fonctionnaires composant la municipalité, le conseil des notables, le district et son conseil, les tribunaux criminel et du district, le juge-de-paix et ses assesseurs.

Ce furent donc cette fois les muscadins qui tendirent la main aux gens en tablier ; et toute l'ancienne société des Amis de la Constitution, ayant le citoyen Bouëstard à sa tête, se mît en marche de la salle de spectacle vers la maison Blanchard pour fraterniser avec le citoyen Flandrès et ses adhérents. Mille cris s'élevèrent dans l'enceinte du club Montagnard, et Bouëstard ayant donné l'accolade au vertueux Flandrès, ce fut une scène vraiment touchante que celle où la bourgeoisie et la classe ouvrière, s'étreignant dans de fraternelles embrassades, se mirent à faire du républicanisme à dix sols de cotisation mensuelle, sans distinction d'habit et de position sociale. Ainsi confondus et se tenant par le bras, les membres des deux sociétés, après avoir enlevé Flandrès de son siège, aux cris de Vivent les Sans-Culottes ! se mirent en marche vers la salle de spectacle, où le club Maratiste prit ainsi son droit de bourgeoisie.

La ville de Morlaix est une des cités de notre province qui ont le moins souffert des troubles révolutionnaires, et je crois ce résultat dû autant à l'esprit pratique de ses habitants qu'à la modération ferme et courageuse de sa première administration communale et de district ; mais dans les circonstances où nous la suivons, les esprits s'échauffèrent outre mesure.

La loi des suspects n'avait reçu jusque-là qu'une faible exécution dans la ville de Morlaix. Quelques noms avaient été colportés des clubs au comité, quelques listes avaient même été dressées, mais peu de détentions avaient encore été opérées. Pour parer à un incivisme coupable, il fut convenu, dès les premières séances du club régénéré, que l'on ferait incessamment des visites domiciliaires. Ces mesures produisirent leur résultat, et l'ancienne maison des Capucins ainsi que les Carmélites commençaient à se peupler, quand un sieur De Kergariou, ancien gentilhomme, épargné jusque-là à raison de son originalité bien connue, fut porté sur la liste des personnes chez qui il convenait de faire des perquisitions. Tout Morlaix connaissait M. De Kergariou, veuf depuis longtemps et père de trois jeunes garçons, qu'il tenait toujours à ses côtés, vêtus des mêmes habits, soumis aux mêmes habitudes, à la même règle, aux mêmes gestes. Chacun les avait vus à l'église, posés par rang de taille à la gauche de leur père, avec des justaucorps écarlates, ornés de brandebourgs et de brillants, la tête bien poudrée, immobiles sous le coup de peigne du perruquier qui avait aussi dressé la chevelure de leur père. — Jeunes enfants, on aurait dit, à voir l'œil égaré de leur conducteur, qu'un loup ravisseur rôdait sur leurs pas depuis que leur mère n'était plus.

L'état moral et intellectuel de Kergariou était si connu à Morlaix, que chacun savait qu'il ne communiquait même pas avec ses domestiques, et que, mangeant seul avec ses enfants, il se faisait servir ses aliments au travers d'un guichet pour ne pas être vu. — N'importe : — « il faut aller chez Kergariou, il faut qu'il se soumette à la loi ! C'est un ex-gentilhomme, un aristocrate, un contre-révolutionnaire ! » — Tels furent les cris qui s'élevèrent un jour dans le club régénéré de Morlaix, et, le lendemain, des clubistes et des délégués de la commune se présentèrent à sa porte. — Mais c'est en vain qu'on y frappe à coups redoublés : son habitude est de n'ouvrir à personne ; il n'ouvrira pas non plus aux fondés de pouvoirs de la commune et du club. — « La loi doit cependant être exécutée, » disent les fortes têtes, et la garde nationale et une partie de la garnison sont sous les armes. Quelques-uns proposent de faire venir les pompes et d'inonder le gentilhomme s'il n'ouvre pas. — La foule s'amasse, les esprits s'irritent, un bruit redoublé d'armes se fait entendre…. Kergariou ouvre ses fenêtres ; mais ce n'est ni pour demander ce qu'on lui veut, ni pour parlementer…. Il fait feu et reprend une à une les armes chargées qu'il a placées près de lui, repoussant de tous ses moyens la troupe et les gardes nationaux qui sont à sa porte. — La scène change aussitôt de face ; de la rue on a riposté, un feu nourri se dirige sur les croisées, et en même temps des sapeurs battent en brèche. On court chercher les canons de la garde nationale comme s'il se fût agi d'un siège en règle, et bientôt, les portes du pauvre gentilhomme volant en éclats, des hommes, le sabre nu, la baïonnette au fusil, entrent et forcent les appartements. — Percés de mille coups, Kergariou et ses enfants tombèrent sous la vengeance aveugle d'un peuple égaré que l'on avait inconsidérément présenté aux coups irréfléchis d'un homme qui n'avait pas sa raison. Quatre cadavres restèrent sur le parquet inondé de sang, et les trophées de cette inconcevable campagne furent quelques papiers de famille, deux ou trois fusils de chasse que le malheureux gentilhomme avait trouvés sous sa main… Comme on enlevait cependant ces dépouilles et aussi les cadavres des victimes, l'un des jeunes enfants parut donner quelques signes de vie : — il n'avait que vingt coups de baïonnette ou de sabre ; on le rappela à la vie, et chacun a pu le voir depuis mutilé et couvert de cicatrices qu'il portait comme un extrait mortuaire de toute sa famille [Note : Nous devons dire, d'après ce qui nous a été rapporté par des personnes témoins de l'événement, que l'imprudence de quelques officiers fut pour beaucoup dans cette fâcheuse catastrophe, et que le sang répandu le fut par un étranger connu par ses excès révolutionnaires].

Mais ces actes et ces scènes n'étaient en quelque sorte que l'inauguration du gouvernement révolutionnaire prescrit par la loi du 14 Frimaire an II, et, pour comprendre l'action terrible de ce nouveau régime, il faut rappeler au moins sommairement ce que fut sa pensée intime, telle qu'on la trouve dans les actes publics des Comités de la Convention et dans l'œuvre locale résultant de cette pensée et de son application.

Quant au Comité de Salut public, successivement inspiré par Robespierre, par Couthon, par Billaud-Varenne et Barère, ses principaux meneurs, il suffit de lire la loi et les instructions qui lui servirent de commentaire pour apprendre que, de ce jour, la Montagne et les Terroristes, devenus maîtres de la France entière, osèrent lui dire « qu'à partir de ce moment, si le gouvernement devait aux bons citoyens toute sa protection, il ne devait que la mort aux ennemis du peuple ; — que l'exécution des lois révolutionnaires, pour plus de célérité, serait désormais confiée aux municipalités, aux Comités de surveillance et aux administrations de district, sans l'intermédiaire des administrations départementales ; — que près de ces administrations il serait nommé des agents nationaux responsables qui seraient en relations directes avec les Comités et la Convention ; rendant compte tous les dix jours de leurs démarches, afin que le gouvernement atteignît promptement les conspirateurs les plus éloignés et pût les écraser sans coup férir. Quant aux fonctionnaires chargés d'appliquer ces nouvelles dispositions, ils devaient, disaient les membres du Comité de Salut public, porter la tête au-dessus de la foudre comme les montagnes élevées, mais ne pas oublier que la pénalité saurait atteindre les plus haut placés, et qu'un abîme était ouvert derrière celui qui reculerait, les autorités devant être comme des armées révolutionnaires qui doivent peser avec énergie sur les conspirateurs et leur présenter un front inexpugnable ».

Ces paroles ne furent que trop bien entendues, et voici ce qui se passa dans le Finistère, que nous étudions avec toutes les correspondances, les arrêtés et les procès-verbaux auxquels tant d'actes inouïs et exceptionnels donnaient lieu sur tous les points à la fois.

Les campagnes comme les villes se couvrirent tout-à-coup d'une nuée d'agents qui, tous, à titre différent, mais à un même point de vue, redoublèrent d'activité, soit pour chercher les suspects qui devaient être incarcérés ou éloignés de nos côtes, soit pour séquestrer les biens meubles ou immeubles des émigrés, soit pour affermer ces propriétés, les gérer quand il ne se présentait pas de soumissionnaires, ou les exploiter suivant les besoins et les demandes de la marine, des garnisons, des soldats en marche ou en observation. A ces agents spéciaux, la plupart choisis par les districts, souvent parmi leurs membres, s'en joignirent d'autres, commissionnés par l'administration de la guerre ou de la marine, par les ministres ou leurs commis, par un colonel ou ses chefs de bataillon, qui avaient mission de parcourir toutes les campagnes, d'aller de maison en maison recherchant ce qu'il y avait de blés ou de provisions dans chaque grenier, dans chaque huche, dans chaque armoire ; s'informant à la fois des bouches à nourrir et des ressources que l'on pourrait enlever soit pour un corps en marche, un navire en armement ou des communes aux abois que des réquisitions exorbitantes avaient complètement épuisées. D'ailleurs, les récoltes de 93 avaient été mauvaises, l'hiver de 93 à 94 s'était lui-même très prolongé ; on avait vu dans le Finistère jusqu'à trente et quelques jours de neige continue ; les bras manquaient partout depuis la levée en masse des hommes de 18 à 25 ans, et les ensemencements eux-mêmes ne s'étaient pas effectués dans beaucoup de localités. Les chevaux valides et un peu élevés en taille avaient été mis en réquisition afin de monter une cavalerie qu'on improvisait pour la campagne de 1794 ; tout ce qu'il y avait d'attelages et de charrettes disponibles parcourait les routes et ne cessait de transporter d'un point à l'autre les immenses approvisionnements que réclamaient à la fois les nombreuses troupes envoyées en Vendée et une flotte considérable composée de près de cinquante vaisseaux qu'on réunissait en toute hâte dans le port de Brest.

Tout, comme nous le répétons, était ainsi requis, et tout s'enlevait en quelque sorte de vive force et simultanément dans les villes comme dans les campagnes. Je vois par la correspondance des districts, des communes qui n'ont plus que deux à trois paires de bœufs, d'autres qui manquent de fer et d'ouvriers pour confectionner ou réparer les instruments propres à labourer les terres que des commissaires départis par les administrations locales vont eux-mêmes faire ensemencer. — Ainsi s'enlevaient dans les campagnes le blé, le foin, la paille, le bois de chauffage qu'on brûlait aussitôt qu'on l'abattait, le chanvre, le fil, les chevaux, les bestiaux, le beurre même et le miel pour les hôpitaux, les vieux linges quand il y en avait, les fougères et les brandes que de jeunes enfants, requis comme leurs pères, devaient cueillir et brûler pour alimenter les ateliers nationaux, où l'on poursuivait la préparation des salpêtres dont on faisait une énorme consommation dans les poudreries du Pont-de-Buis, destinées à alimenter à la fois Brest, Lorient et les troupes qui parcouraient le pays.

Cependant ce mouvement des campagnes n'était rien auprès de celui des villes : à Morlaix, à Landerneau, à Brest, à Quimper, jusque dans les plus petites villes du département, au Faou, à Lesneven, à Pont-Croix, etc., etc., il y avait des ateliers pour la confection des chaussures, et quand celles-ci ne se fabriquaient pas assez promptement, comme nous l'avons dit, on courait aux prisons ou chez les particuliers prendre et enlever tout ce qui pouvait être utilisé. Il en était de même des habits ; toutes les étoffes, toutes les toiles, tous les fils disponibles chez les marchands étaient requis, enlevés par une armée de commissaires, sortes de courtiers révolutionnaires, qui, appuyés de la suprême loi du Salut public et de l'autorité souveraine des Représentants, ne laissaient rien derrière eux, traitant de suspects tout ce qui résistait, livrant aux comités et aux commissions tout ce qui ne se laissait pas faire.

Les mesures prises dans ces circonstances s'appuyèrent particulièrement sur une proclamation des Représentants en mission à Brest, où il était dit aux propriétaires et aux cultivateurs que leurs récoltes étaient une propriété nationale, qu'ils n'en étaient que les dépositaires… et qu'ils eussent à trembler de pousser à bout un peuple bon et généreux dont la vengeance serait terrible. — Dans une lettre datée du 19 Pluviôse, ils avaient, dans le même esprit, proposé au Comité de Salut public de décréter que tout or et tout argent monnoyé qui ne serait pas déclaré dans un temps donné pour être échangé contre des assignats et aussitôt versé dans les caisses publiques, serait confisqué. C'est sous ces impressions que les ateliers s'étaient formés, ici pour les chaussures, ici pour les habits et le linge, là pour les sacs à donner aux jeunes réquisitionnaires, là pour la sellerie, là pour le charronnage, car les canons n'avaient pas leurs affûts, et les chariots de transport manquaient aussi. — Ces hommes, mis au travail de jour et de nuit, étaient réunis la plupart du temps dans les couvents nouvellement abandonnés, ou, quand l'espace manquait, dans les maisons d'émigrés séquestrées ou mises en réquisition. Et il n'était pas rare de voir dans un même édifice, comme aux Ursulines de Landerneau, par exemple, ou aux Hospitalières de Quimper, sous le même toit et près l'un de l'autre, les tribunaux, les administrations du district, la prison, quelques compagnies de soldats en casernement, et non loin d'eux, les ouvriers qui travaillaient à l'équipement des défenseurs de la patrie. Ici on délibérait, là on astiquait des armes, plus loin on chantait la Carmagnole ou on lisait les feuilles du Père Duchesne, tout en tirant l'alêne et l'aiguille : partout on épiait et on signalait les traîtres en chantant ou en murmurant le Ça ira !...

C'est là ce qui se passait parmi nous comme partout ailleurs, et si l'on récapitule tous ces détails en se rappelant ce que furent à ce moment, la terrible loi du maximum et celle non moins sinistre des réquisitions, on verra que, dans le Finistère, les choses en vinrent à ce point que les marchés se dégarnirent partout, qu'à peine quelques mesures de blé s'y présentèrent ; que pendant plusieurs semaines les marchés de Lesneven, de Landerneau, du Faou, de Morlaix, de Pont-Croix, de Quimper et de Pont-Labbé n'eurent pas plus d'un ou deux quintaux de blé exposés en vente ; que le beurre, les œufs, la farine, les volailles en avaient complètement disparu, et qu'il y eut à la ville des fonctionnaires très haut placés qui n'eurent pour vivre d'autres ressources que d'aller eux-mêmes à la chasse chercher le gibier qui pourrait les aider à tromper leur faim. On cessa de voir du pain blanc, et la livre d'un grossier mélange d'orge, de seigle et de son se vendit jusqu'à quarante sols. — Nous avons entendu un fonctionnaire de cette époque raconter que pendant près de quinze jours, voulant procurer quelques secours à sa femme en couches, il ne trouva d'autre moyen que de tuer des corbeaux pour lui préparer du bouillon.

Et cependant les représentants Bréard, Laignelot, Prieur et Jean-Bon Saint-André, réunis à Brest, donnant tous leurs soins à l'armement d'une flotte formidable, tout en parlant des foudres vengeresses qui devaient partir de ce port pour punir la perfide Albion, ne cessaient de dire que les traîtres et les Fédéralistes avaient seuls compromis ce mouvement, l'avaient seuls retardé et que, confondus avec les royalistes de la Vendée, ils avaient espéré un instant leur donner la main et se tourner avec eux contre la République elle-même ; que dès-lors tout délai à la plus sévère répression était un crime ; toute indulgence une faiblesse, une faute irréparable.

C'est sous la vive impression de ces circonstances et des difficultés d'une position si tendue, que le cours régulier de la terreur et des exécutions judiciaires s'ouvrit à Brest. — Nous en suivrons les détails dans les chapitres, subséquents, mais qu'il nous soit permis, avant d'exhumer les dossiers où nous trouvons l'histoire de ces crimes, de dire par quel genre d'exaltation les Représentants eux-mêmes entretenaient l'espèce de délire à l'aide duquel ils entraînaient la masse de la population. — La grande salle de spectacle, voisine du Champ-de-Bataille où la guillotine avait paru un instant, avait à cet effet été ouverte pour les séances solennelles du club qui se tenait ordinairement dans une maison de la rue de Siam. Quatre orchestres illuminés étaient chaque soir en permanence aux quatre faces de la place et servaient à réunir la populace, qui dansait et se groupait chaque jour autour de la Montagne, dont le simulacre avait été, ainsi que nous l'avons dit, élevé au milieu même de la promenade. Toute cette foule, aux grands jours, se versait dans les tribunes de la salle de spectacle et s'y pressait animée pour entendre les Représentants et les orateurs aimés du public, quand quelque heureuse nouvelle ou quelque grande pensée devait être portée à la connaissance du peuple.

C'est ainsi qu'à peu de distance on y avait entendu Jean-Bon Saint-André, à la parole mesurée et presque savante ; Prieur, aux accents saccadés et précipités, tous deux racontant l'objet de leur mission aux armées qui avaient poursuivi les Vendéens jusque sous les murs de Granville, quand on apprit que Hugues et Laignelot, à peine arrivés, devaient à leur tour se faire entendre. Vive, alerte, nombreuse était la foule. Toutes les tribunes et le plain-pied de la salle furent envahis de bonne heure ; les membres affiliés du club étaient eux-mêmes sur les bancs en face d'une petite tribune élevée au milieu de la scène pour que l'orateur fut entendu de tous. — Paré de son chapeau à plumes, de son habit aux revers abattus, et la taille ceinte d'un énorme sabre, Laignelot parut incontinent à la tribune, et se saisissant de l'arme qu'il portait au côté, la plaça devant lui en disant qu'à Roehefort et partout où il avait paru il avait su réduire les Feuillants et les Fédéralistes au silence, et qu'à Brest il n'en serait pas autrement. Et revenant sur les scènes des jours passés, il ajouta que si la veuve de Capet avait à son tour payé de sa tête les crimes dont elle s'était rendue coupable, il ne serait cependant content que quand « on aurait étranglé le dernier des rois avee les boyaux du dernier des prêtres… ». A quoi Hugues, l'accusateur public, déjà si bien connu de Brest, comme il l'avait été de Rochefort, ajouta qu'il répondait de tout ce que venait de dire son ami Laignelot, et que les pouvoirs dont il était saisi lui donnaient le moyen d'assurer que tout serait promptement régénéré à Brest ; que pour le moment le livre des lois resterait fermé et qu'il saurait faire tomber toutes les têtes coupables !!!.

Et vous croyez peut-être que des paroles si audacieuses et si effrontément sanguinaires firent frissonner les femmes et la population qui se pressaient dans les tribunes et aux issues de la salle… Pas du tout, ces paroles furent couvertes de frénétiques applaudissements, et il se trouva dans le nombre des spectateurs, un instituteur, un officier public chargé de la direction de l'école où se réunissait chaque jour la jeunesse entière de la ville, qui, le lendemain, après avoir ouvert ses cours par le chant de la Carmagnole, inspiré de ce qu'il venait de voir, donna pour composition d'écriture à ses jeunes gens, les paroles mêmes que le représentant Laignelot avait fait entendre, et, dès le soir, cet instituteur, à la tête des dix premiers élèves de son école, se rendait à l'hôtel de la représentation pour remettre au Représentant les compositions des jeunes défenseurs de la patrie…. Emouvante et grotesque à la fois fut la scène entre le délégué de la Convention et le pédagogue… — « C'est bien, jeunes citoyens, dit Laignelot, et je vois que la patrie aura un jour en vous des défenseurs dignes de monter jusqu'au rocher le plus escarpé de la Montagne ». Et pressant dans ses bras l'honorable instituteur qui inculquait de si généreux principes à ses élèves, il honora à leur tour chacun de ceux ci d'une accolade fraternelle, en appelant à lui Duras, le secrétaire de la représentation, et lui donnant l'ordre de remettre à chacun des heureux élèves qui lui étaient présentés une carte d'entrée pour la société populaire. — Julien Jullien, qui en était alors président, s'empressa à son tour, quand l'instituteur et l'élite de ses élèves se présentèrent à l'une des séances subséquentes, de leur assigner une place marquée, de les honorer de l'accolade d'usage et de leur remettre le soin d'entonner, au commencement et à la fin de chaque séance, la finale de la MarseillaiseAmour sacré de la patrie, - Conduis, soutiens nos bras vengeurs, etc….

Voilà au milieu de quelles parades et de quel entraînement s'inaugurèrent à Brest le régime de la terreur et la permanence des échafauds. Pour que rien n'y manquât et que le club devint, pour les meneurs comme pour le public, le centre réel du mouvement qui devait pousser vers l'échafaud tout ce qui serait suspecté d'une résistance quelconque aux idées et aux doctrines du jour, le bureau de la société populaire, d'accord avec la représentation, demanda, à l'issue des séances dont nous venons de parler, que des portraits de Marat et de Le Pelletier fussent sans retard expédiés de Paris pour qu'on pût orner de la figure de ces deux apôtres de la liberté le lieu où la population régénérée de Brest allait désormais se réunir. La lettre portant cette demande au ministre de l'intérieur, ajoutait « qu'il était à désirer qu'on multipliât ces portraits et qu'on en répandît dans tous les départements, pour y entretenir le pieux souvenir des Martyrs ».

Nous nous rappelons involontairement à cette occasion ce que Brest avait fait quelques années auparavant pour un portrait de Louis XV, que l'on promena pendant quelques jours dans le port, et qui, ayant eu sa tente et ses gardes, reçut les discours écrits ou improvisés des plus hautes autorités du lieu [Note : Journal manuscrit des événements survenus à Brest à la fin du dernier siècle] … Je ne sais ce qu'il en fut des portraits vivement sollicités de Marat… et je ne sais s'ils eurent le temps d'arriver, encore moins s'ils eurent le temps d'être promenés et complimentés ; mais il aurait bien pu leur arriver, comme à quelques autres, qu'à un très court intervalle ils eussent reçu des fleurs et de la boue !... Ce que je puis attester au moins, c'est qu'ils ne sont pas restés dans les greniers municipaux avec quelques autres toiles de circonstance que nous y avons vues couchées sous la poussière des révolutions qui se sont succédé.

(Armand du Chatellier).

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