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BREST ET LE FINISTÈRE sous LA TERREUR

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Femmes, — Paysans, — Matelots, — Simples Militaires devant le Tribunal révolutionnaire.

Comment ne désirait-on pas en avoir promptement fini de tant de massacres ! — Et cependant nous n'avons encore parlé ni des administrateurs du Finistère, que l'affreux Tribunal eut surtout pour mission de frapper, ni des Fédéralistes qu'il poursuivait d'une haine si violente, ni des suspects, ni des pauvres malheureux paysans qui n'acceptèrent pas assez promptement les mesures révolutionnaires que les Comités et les Représentants en mission décrétaient l'une sur l'autre. Nous ne pourrons redire tous les actes et les jugements du trop célèbre Tribunal; mais, pour mieux faire comprendre l'esprit des accusations, nous allons passer sommairement en revue ceux de ses jugements qui nous semblent empreints de cet esprit de terreur qui en fit un instant la force et qu'il mit lui-même tant de soin à propager.

La classe nombreuse des anciens propriétaires du sol, des émigrés et des gens attachés aux familles qui s'étaient éloignées de la France, avait été, comme nous l'avons vu, assez rudiment frappée pour qu'il ne fût guère nécessaire d'y revenir, car les listes des émigrés se complétaient tous les jours par de nombreux suppléments, et la vente nationale de leurs propriétés ne se ralentissait point. Quant au sacerdoce et aux doctrines religieuses que l'on qualifiait de contre-révolutionnaires, nous avons dit jusqu'où ces monstres allèrent chercher leurs victimes et comment ils les frappèrent. — Le tour des administrateurs et des simples citoyens, confondus sous le titre de Fédéralistes, devait aussi venir ; mais l'armée elle-même et la flotte surtout avaient encore besoin de quelques exemples.

Levée et François Le Gouy, de la flotte ; Croy, simple caporal d'un des régiments de l'infanterie de marine, et François-Pierre Hippolyte, du bataillon de Loir-et-Cher, furent choisis pour ces exemples.

On avait bien frappé, à Rochefort comme à Brest, des officiers de la marine ; mais il fallait aussi terrifier les simples équipages et leur faire savoir qu'on les atteindrait comme les plus haut placés.

Le Gouy, parmi ceux que nous venons de nommer, fut ainsi le premier sacrifié aux savants calculs des Représentants et du Tribunal régénéré, pour raviver l'esprit de l'armée et des Montagnards.

Né à Guérande, âgé de 51 ans, naviguant à bord de l'Impétueux, comme quartier-maître, Le Gouy, d'après son acte d'accusation, paraît bien n'avoir jamais été très partisan du régime qui se fondait ; causant avec les matelots ses camarades, il avait eu très probablement le tort impardonnable de penser et de dire que la République était un pauvre régime, qui ne réalisait pas tout le bien qu'on avait promis en son nom. — Un peu mutin, mal content, Le Gouy, malgré son âge et l'expérience dont il aurait dû tirer profit, s'était donc plusieurs fois hasardé à dire qu'il était peu disposé à mourir pour la cause de la liberté ; qu'il préférait l'ancien régime au nouveau ; que les patriotes avaient fait plus de mal au pays que les aristocrates, et, enfin, que les nouveaux commandants menaient le matelot plus durement que ceux de l'ancien régime. Tous ces propos, plus ou moins coupables, avaient été notés ou dénoncés à ce qu'il paraît, quand une fête solennelle commandée à bord de tous les vaisseaux de la flotte pour célébrer l'heureuse nouvelle de la reprise de Toulon, vint placer Le Gouy dans une position fatale. Les chants patriotiques et les cris de Vive la Nation ! suivant l'ordre des Représentants, se répétaient à bord de tous les navires, sans que Le Gouy y prit aucune part, ni parût même se livrer à la joie qui entraînait tous ses camarades. Si bien que sept de ceux-ci, entraînés par quelques officiers, se prêtèrent à faire rédiger un procès-verbal dans lequel il fut établi que, pendant que l'équipage entier de l'Impétueux répétait avec transport le cri de Vive la Nation ! Le Gouy était resté impassible et muet, et qu'au moment où l'équipage jurait de mourir pour la liberté et entonnait l'hymne sublime : AMOUR SACRÉ DE LA PATRIE ! en confirmant à genoux le serment qu'il venait de prononcer, Le Gouy s'était couvert la figure de son mouchoir et avait refusé de se découvrir pour prendre part à l'allégresse et aux témoignages de respect que donnait toute la flotte.

Ces faits suffirent à Verteuil pour établir qu'il avait été tenu à bord de l'Impétueux des propos tendant à rétablir la royauté en France et à attenter à la souveraineté du peuple.

Assertion que le Jury et le Tribunal confirmèrent, — que le Tribunal frappa de la peine de mort par arrêté du 26 Ventôse an II.

Mais ce n'était pas le tout ; on voulait un exemple, un éclat ! et faire tomber la tête de Le Gouy au lieu ordinaire des exécutions, sur la place du Château, n'eût pas répondu à ce que l'on se proposait. — Qu'imagina-t-on ! Qu'imaginèrent les Représentants, Verteuil ou Ance, car leur pensée était la même, et on les avait déjà vus promener le fatal instrument de la place de la Liberté à la place du Château, du quartier le plus populeux au lieu ordinaire de la promenade publique… — Cette fois ce sera en pleine mer, en rade, au milieu même des nombreux vaisseaux qui, pressés à la sortie du port, et déjà les voiles déferlées, n'attendent qu'un vent favorable pour joindre l'ennemi…. — Des charpentiers ont travaillé toute la nuit sur le pont d'une lourde gabare, Ance et ses aides ont été vus ; des étais et une esplanade s'y dressent ; le fatal tribunal aura sa machine sur terre et sur mer… la gabare part pour la rade et emmène Le Gouy, le vieux timonier, jeté, garotté au fond d'un bateau. De là on le lance comme un paquet sur le pont de la gabare ; il apparaît à trois heures de l'après-midi sur les planches de la guillotine, qui s'élève comme un nouveau signal au milieu de la flotte .... Ance, prenant la tête du patient, la montre successivement à tous les vaisseaux qu'on a rapprochés de l'instrument du supplice, comme on le fait quelquefois autour d'un signe vénéré, d'un pavillon de commandement. Ne pouvant décréter la permanence de la guillotine sur mer, comme on l'avait fait sur terre, les Représentants ont tenu à dire à la flotte qu'elle serait toujours disponible, et que quand l'un des délégués de la Représentation mettrait pied sur le pont de l'un des vaisseaux de la République, le fatal instrument répondrait de tout ce qui se passerait sous ses yeux.

Après le Gouy, vint le tour de Jacques-François Levée, simple matelot charpentier, convaincu, dit le jugement du 1er Floréal an II, d'avoir tenu des propos tendant au rétablissement de la royauté en France et à l'ébranlement de la fidélité des soldats et matelots de la République.

Et quel était effectivement son crime ? (Nous copions l'acte d'accusation de Donzé-Verteuil ) : « D'avoir été entendu le 17 Frimaire précédent, c'est-à-dire près de cinq mois avant le jour de la comparution au Tribunal, d'avoir été entendu,  au moment d'une distribution de vivres aux matelots du port, dire qu'il était plus avantageux d'être au service des Anglais qu'à celui de la République ». — D'où jugement et condamnation à mort pour avoir tenu des propos tendant au rétablissement de la royauté en France.

Voilà pour les équipages, pour les simples matelots : voyons pour l'armée de terre.

C'est un nommé Jean-Pierre Hippolyte, canonnier au 3ème bataillon de Loir-et-Cher, en garnison à Concarneau, qui sera sacrifié. — L'acte d'accusation porte : « qu'étant chez le citoyen Colin, à Concarneau, il avait dit, en tirant un assignat de dix sols de sa poche : — Je voudrais que celui qui l'a inventé fùt brûlé ; — d'avoir déchiré l'assignat en question, et dit en le faisant : Je voudrais que la s…. n…. de nation fut coupée par morceaux comme cet assignat ;  — d'avoir dit qu'au lieu de s'être enrôlé dans le bataillon de Loir-et-Cher, il eût mieux fait de suivre la grand' route, et d'aller joindre les brigands ; — qu'il eût eu six cents livres en argent sonnant ; — d'avoir ajouté que si quelqu'un avait un écu de six francs, il lui ferait en papier vingt-deux livres ; qu'il em…. la nation. — Qu'il s'était échappé de Paris avec un chevalier de Saint-Louis . qu'il était sorti de France avec onze ou douze mille livres en numéraire pour aller à l'étranger ; qu'il était parti de France avec le marquis de Billy et environ 250 gentilshommes, armes, bagages, canons et caissons ; — qu'ils étaient allés en Autriche ; … qu'il était rentré plusieurs fois en France ; — qu'il avait reçu une fois une gratification de dix louis , etc. ».

Mais, qu'est-ce à dire de ces propos et de cet homme, qui déchire lui-même les assignats qu'il a dans sa poche ; de cet homme, qui a servi l'émigration et qui s'est cependant enrôlé volontairement dans le bataillon républicain ; qui prétend avoir passé chez les Autrichiens avec bagages, canons et caissons…. Si ce n'est un fou, c'est un homme ivre bien certainement ; comment en douterions-nons : l'acte d'accusation nous l'apprend lui-même, en mettant en cause Marie-Françoise Chapeau, femme Galabert, qui est accusée de quoi ? d'intelligence et de complicité avec le canonnier Hippolyte, pour avoir favorisé ses desseins contre-révolutionnaires, en lui fournissant des liqueurs à crédit ; — pour avoir entretenu avec lui et son père des correspondances ; — surtout en écrivant audit Hippolyte fils une lettre, qu'au moment de son arrestation il a déchirée et jetée au feu ; enfin, en fournissant des armes à feu audit Hippolyte.

Sur quoi encore, le jury déclara qu'il était constant qu'il avait existé une conspiration tendant à anéantir le Gouvernement républicain et à rétablir la royauté en France : crime parfaitement établi comme on le voit, et tout aussitôt puni de mort.

Mais passons et tâchons d'oublier ces liqueurs données à crédit et cette lettre déchirée et jetée au feu, que les impitoyables juges ont regardées comme des moyens de contre-révolution. Passons, pour arriver à un jugement encore plus étrange, s'il est possible, et dont un pauvre caporal fut la victime atrocement sacrifiée. — Qu'on en juge et que nos lecteurs cherchent eux-mêmes l'expression de leur indignation, si tant est que celle-ci puisse se peindre ou se décrire.

Deux bataillons d'infanterie de formation nouvelle étaient cantonnés à Morlaix ; parmi les hommes ainsi réunis, se trouvait un jeune homme que sa conduite et son éducation avaient fait sans doute remarquer de ses chefs, et, à peine inscrit sur les rôles, on en avait fait, non pas un officier, non pas un sergent…. un simple caporal. — Mais les principes de Fabien Croy, — c'était le nom de ce jeune homme, — n'étaient en harmonie avec rien de ce qui se passait autour de lui ; et, refusant le grade de caporal, il demanda la faveur de continuer à servir comme simple fusilier.

Voilà le fait.

Traduit devant le Tribunal révolutionnaire, Croy fut condamné à mort et exécuté.

Comment cependant les choses se passèrent-elles ? et le simple refus de Croy aurait-il bien pu amencer un acte aussi barbare ; mais voici les pièces :

D'abord le jugement est du 13 Floréal, et la déclaration de Croy, ou plutôt sa lettre, telle qu'elle se trouve comprise dans le jugement publié après son exécution, est du 21 Février 1794, de sorte que trois mois se seraient écoulés entre le prétendu crime de Croy et sa mise à mort. Ce n'étaient pas là les allures ordinaires du Tribunal révolutionnaire, et il se pourrait bien que, saisi et détenu dès le jour de son refus, on ait été le rechercher plus tard pour une occasion donnée, pour un exemple qu'on voulait faire. Je n'oserais rien affirmer de ce côté, mais voici la lettre de Croy sur laquelle s'appuyèrent Donzé-Verteuil et le Tribunal, pour le jugement dont nous possédons un exemplaire provenant de ceux que l'on était dans l'habitude de placarder.

Donzé-Verteuil disait donc « que Fabien Croy avait été trouvé nanti d'un Christ garni des deux côtés en nacre de perles, et de deux pièces, paraissant être de son écriture, qui respiraient partout le fanatisme religieux le plus absurde, et renfermaient la critique la plus forte de la constitution civile du clergé ;

Que le 21 février 1794, il avait écrit de sa main à son commandant, en ces termes : Citoyen, depuis quatre ans nous sommes travaillés par une révolution qui nous a conduits à l'anarchie et à la guerre civile, et considérant que non contents d'avoir fait mourir le Roi, ils ont encore renversé l’autel et introduit l’idolâtrie en France ; aussi je désapprouve cette nouvelle Constitution, je demande ma démission du grade de caporal et à ne servir que pour simple fusilier dans les troupes de la République ».

Et ce fut sur ces pièces et sur cette allégation de l'accusateur public que le jury déclara « qu'il était constant qu'il avait été composé des écrits tendant à l'avilissement et à la dissolution » de la Représentation nationale et au rétablissement de » la royauté en France, faits dont Croy était coupable, lesdits a. écrits ayant été composés dans toute la plénitude de sa » raison et avec une intention révolutionnaire, — d'où la mort ! ».

Mais voyons si la lettre de Croy à son commandant était si dangereuse et si coupable : pourquoi, encore une fois, l'accusateur public et le Tribunal auraient-ils tant tardé à punir le coupable ? — premier fait difficile à expliquer.

Quant à la lettre elle-même, n'est-elle point controuvée ou au moins très méchamment arrangée pour faire tomber la tête de Croy ? — Nous n'avons aucun moyen de contrôler les actes du trop mémorable Tribunal de Brest, car ses membres, ainsi que nous le verrons enlevèrent, au 9 Thermidor, toutes les pièces qui pouvaient les compromettre. Mais en nous attachant au texte même de cette lettre, constituait-elle réellement (privée et adressée qu'elle était à son chef) le crime de contre-révolution et du rappel de la royauté…. En temps ordinaire, il n'y a pas de juge qui pût le penser.

Puis si la lettre a réellement existé, de deux choses l'une : ou Croy voulut seulement s'en servir pour dire qu'il demandait à rentrer dans le rang des simples fusiliers, et c'est cette lettre, cette simple demande qui est la plus probable, — ou bien Croy, en disant qu'il pleurait la royauté et qu'il improuvait tout ce qui avait été fait, voulut courir lui-même au martyre, et avant de mourir il aurait dit à ses bourreaux ce qu'ils étaient…. Mais nous l'avouons, la texture même de cette lettre qu'on lui attribue, ses termes, sa forme générale et la déduction bien peu logique des phrases qui la composent, nous donnent lieu d'en douter très hautement, et nous restons indécis pour savoir si Croy fut une victime méchamment sacrifiée ou un martyr qui se joua de la mort pour professer ses croyances politiques et religieuses.

Nous nous sommes aussi demandé, à l'appel de son nom, si ce nom ne se rattachait pas à l'une des grandes familles de l'ancienne monarchie. Quoi qu'il en soit, le jugement porte « que Fabien Croy était âgé de 27 ans, et qu'il était né dans le département du Mont-Blanc, à Saint-Pierre Dumoutier ». Poursuivons nos recherches, et voyons à caractériser encore quelques-uns des actes qui sont parvenus à notre connaissance.

Arrêtons-nous pour cela à la condamnation d'Anne Pichot de Kerdizien. — C'est une pauvre jeune fille qui a longtemps partagé l'existence d'un oncle que la révolution a trouvé inspecteur de la forêt du Cranou, près le Faou. — Anne de Kerdizien demeurait avec son oncle dans la petite commune de Quimerch près le Faou, quand les membres du Comité de cette ville dénoncèrent au Comité de Landerneau le vieil employé des forêts comme un homme qui avait été dur pour ses subordonnés et peu fidèle dans l'exercice de ses fonctions.

La dénonciation déposée d'abord sur le bureau du Comité révolutionnaire de Landerneau, portait : « que les Sans-Culottes du Faou étaient indignés qu'un ci-devant, nommé le sieur Pichot dit Kerguiniou, occupât encore une place salariée par la nation, malgré ses dilapidations journalières, son fanatisme outré et son aristocratie invétérée, et qu'en conséquence ils priaient le Comité de prendre de sûrs et prompts moyens pour le remplacement de ce vieil hypocrite ; au quel effet, persuadés que la dénonciation est une vertu chez un peuple libre, ils déposaient sur le bureau une pièce signée d'eux., contenant la nomenclature des vols faits à la nation par cet indigne agent ».

De là à une arrestation il n'y avait qu'un pas, et les meneurs du Faou, ceux-là mêmes qui l'avaient dénoncé, furent chargés, comme commissaires, de saisir Pichot, de descendre chez lui et de visiter ses papiers et sa demeure.

Le procès-verbal établit « que l'oncle n'était pas seulà-saisir et à détruire, et que sa nièce Anne Pichot avait encore plus démérité que lui, et que peu de contre-révolutionnaires plus osées et plus dangereuses ne sauraient se trouver ».

Je ne sais ce qu'on fit de l'oncle : il ne figure pas au nombre de ceux que le Tribunal jugea mais je trouve la nièce sur le banc du Tribunal révolutionnaire à la date du 11 Germinal, an II, et vous allez voir de quoi elle est accusée :

1° D'avoir d'intelligence, et favorisée par Pichot Kerguiniou, son oncle, inspecteur de la forêt nationale du Cranou, participé aux dilapidations commises au préjudice de la République ; en tirant de cette forêt tous les bois de construction nécessaires à celle de la maison de Kerverch, dans la commune de Quimerch ;

2° D'avoir attenté à l'égalité, voulu ressusciter sa noblesse en conservant vingt-quatre écussons armoiriés d'un cigne sourmonté d'une couronne, que ladite Anne Pichot a déclaré destinés à orner son catafalque après sa mort ;

3° D'avoir eu en sa possession, le 5 Pluviôse dernier le testament manuscrit de Louis Capet, tendant à appitoyer sur son sort et à faire regretter ce tyran ;

4° D'avoir eu en sa possession, ledit jour 5 Pluviôse, le testament d'un Capucin dont le moindre vice est de désirer une couronne au tyran, et de faire la critique la plus amère des déterminations prises par la Représentation nationale. —  Un autre écrit, en vers, divisé en actes de foi, d'espérance et de charité, où l'on dit que tout évêque et prêtre non avoués de celui de Rome sont des intrus, des apostats, des judas ; où l'on désire que Dieu apaise la rage des démocrates et qu'il délivre le Roi, la Reine et leur fils, prisonniers, à Paris ; — un autre écrit intitulé Cantique à chanter à la bénédiction du Saint-Sacrement ; — Prières pour le Roi et son peuple, etc… ;

5° D'avoir, dans le mois de Nivôse et les mois précédents, débité publiquement dans l'église de Quimerch, aux cultivateurs de cette commune, qu'elle y rassemblait les jours de dimanche, un sermon dont le manuscrit de sa propre main, s'est trouvé en sa possession, sermon qui a pour but de prouver qu'il faut regarder non comme ministres de l'église, mais comme voleurs et larrons qui ne sont point entrés par la porte, tous ceux qui sont appelés ou institués par le peuple, par la puissance séculière ou par le magistrat ;

6° D'avoir entretenu des intelligences avec les prêtres réafractaires et leurs agents ou protecteurs ;

7° D'avoir eu en sa possession un écrit intitulé Nouvelles, où on lit que les Brestois enragent de ce que les prêtres ont opté de demeurer au château (lieu où ont été détenus pendant la terreur tous les prisonniers politiques), où l'on dit que Lyon s'est déclaré pour le Roi, ainsi que Laval et beaucoup d'autres villes, où l'on dit que Varennes sera rasée, etc. ;

8° D'avoir été saisie le 5 Pluviôse d'une lettre adressée à Monsieur Ansquer de Kernilis, beau-frère de ladite Anne Pichot, par le chevalier de la Chevière, datée d'Oudenarde, dans laquelle on lit : je crois devoir vous donner avis de mon arrivée dans (le reste de la ligne est mutilé ),… peut-être lorsque vous saurez comment nous y sommes, que l'envie vous prendra ainsi qu'à Messieurs vos frères de venir avec nous….

D'où il résulte, dit Donzé-Verteuil, que ladite Anne Pichot dite Kerdizien est, d'un côté, auteur ou participante des dilapidations commises au préjudice de la nation ; que, d'un autre côté, elle est coupable pour avoir tenté de ressusciter sa noblesse ; qu'elle l'est encore pour avoir regretté le dernier des tyrans de la France ; pour avoir regretté le dergé et tous ses anciens abus ; pour avoir prêché publiquement le fanatisme et les maximes les plus contre-révolutionnaires ; pour avoir eu en sa possession cette foule d'écrits incendiaires qui viennent d'être détaillés et dont elle doit être réputée l'auteur si elle n'en indique la source ; pour avoir avili la Représentation nationale en décriant par ses écrits tout ce qu'avait fait cette Représentation pour établir la liberté et l'égalité ; enfin pour avoir par tous ces actes d'aristocratie et de fanatisme conspiré contre la patrie.

Et le jury déclara donc, comme de coutume, qu'il était constant qu'il avait été préparé dans la commune de Quimerch une conspiration contre la liberté du peuple français, en même temps qu'une tentative de détruire l'autorité légitime de la Convention nationale et de rétablir la royauté en France.

Et Ragmey, Palis, Le Bars et Jean-Corneille Pasquier (car nous trouvons cette fois celui-ci pour quatrième juge), prononcèrent la peine de mort contre la pauvre fille qui avait voulu, dit-on, rétablir sa noblesse, en conservant quelques écussons qu'elle destinait à orner son catafalque !

Je ne sais si Coffinhal et Fouquier-Tinville, à l'instar desquels les Sans-Culottes du Tribunal de Brest s'étaient institués eussent pu faire mieux ; mais cela me paraît bien difficile, et il me semblerait encore aussi étonnant qu'il se fût trouvé un second accusateur public assez habile pour établir que la coupable devait être réputée l’auteur des écrits qu'on avait trouvés sur elle, dès qu'elle n'indiquait pas leur source.

Les annales entières du monde judiciaire n'ont certainement rien de pareil, et ce qui ne doit pas moins étonner que ces sataniques accusations de Donzé-Verteuil contre les vingt-quatre écussons de la vieille fille et contre les lettres ou les feuilles détachées que l'on trouva dans ses papiers, ou peut-être dans ceux de son oncle, qui avait pris la fuite, c'est que toutes ces choses servirent à un jugement public qu'on osa libeller, afficher et publier comme un acte de juste autorité, et qu'il y eut, au moins pour quelque temps, un public assez travaillé et assez prévenu pour accepter des actes d'une atrocité pareille.

La tradition rapporte que la pauvre fille en marchant à l'échafaud pleurait abondamment. Nous n'avons pu savoir que très imparfaitement ce qu'était la famille Pichot et ce qu'avait été la pauvre fille, Anne, la nièce du vieil employé des forêts de l'Etat. Nous avons seulement su qu'elle était née à Recouvrance d'une famille honorable, mais qui n'a jamais été comprise dans les rôles de la noblesse bretonne [Note : Un arrêté du Parlement de Rennes, de 1767, avait même débouté sa famille de ses prétentions] ; nous avons su qu'adonnée de très bonne heure aux soins et aux œuvres de charité que réclamait la nombreuse population des bûcherons qui entouraient la demeure de son oncle, elle avait pris sur eux, dès son jeune âge, un ascendant que ses bienfaits accroissaient chaque jour ; que mêlée à la vie des habitants de la petite commune de Quimerch, elle vivait au milieu d'eux, simple et bonne, allant à tous ceux qui l'appelaient dans leurs joies comme dans leurs chagrins, se mêlant peu de la Révolution, mais ayant cependant vu partir avec regret les prêtres qu'elle avait connus et aimés, tout en conservant l'habitude d'aller chercher à l'église et aux lieux saints qu'ils avaient pratiqués quelques-unes des pieuses consolations qu'elle y avait trouvées si souvent.

Au reste, Anne avait des frères, et l'un d'eux avait fait partie de l'administration du district de Quimper, au moment où cette ville se prononça contre la Montagne en faveur des Girondins. On savait cela à Brest, on savait cela chez les Représentants et au Parquet du Tribunal révolutionnaire, parce que Kerdizien, l'administrateur du district de Quimper, avait été noté comme un déterminé Fédéraliste, et que des poursuites avaient plusieurs fois été dirigées contre lui sans qu'on ait pu le saisir. Un des commissaires de la Représentation, à Quimper, fut même un instant chargé de le découvrir, et l'on ne trouva pour cela rien de plus expédient, ainsi que l'établit une lettre que nous avons sous les yeux, que de dire à Kerdizien que ses anciens collègues le demandaient pour la reddition de leurs comptes. Mais par bonheur pour lui, le Comité de Concarneau, dans l'impatience de son zèle, avait envoyé une nuit l'un de ses membres avec huit fusiliers pour le saisir au bourg de Trécung. Kerdizien découvrit le piège, et ne se rendit point à Quimper où le délégué des Représentants l'attendit vainement.

Nous n'avons pas su que Kerdizien, non plus que son oncle Pichot de Kerguiniou, aient pu être amenés plus tard jusqu'au Tribunal où leur sœur et nièce succomba si pitoyablement. Ce furent deux crimes de plus épargnés aux égorgeurs, car bientôt en effet ces juges sans pitié ne se refusèrent aucune condamnation demandée ou estimée opportune par les Représentants qui, dignes émules de Carrier, disaient de celui-ci qu'il marchait comme un brave b.....

Nous avons bien par le relevé des minutes du Greffe, de Brest une partie des jugements portés sur le seul registre des actes du Tribunal révolutionnaire de Brest, que possède ce dépôt public ; mais outre qu'il manque des feuillets à ce registre, il s'y trouve aussi des jugements dont les considérants sont omis ou tronqués, et quant à la collection de ceux qui ont été imprimés pour être publiés, il y a tout lieu de croire qu'il en en est plusieurs qui n'ont jamais été compris dans cette publication, soit que le Tribunal et la représentation n'aient pas osé les faire connaître (et j'ai plusieurs raisons de croire cette assertion exacte), soit qu'ils l'aient trouvé inutile.

Au nombre des jugements qui ne furent pas rendus publics, au moins par affiches, se trouverait celui d'un meunier de Ploudaniel, nommé Jean Mingant, accusé de fournitures infidèles de farine. Ce malheureux fut condamné à mort et exécuté le 11 Thermidor an II, à peine âgé de 55 ans et laissant une veuve et six enfants mineurs en bas âge, que nous retrouvons le 20 Germinal an III, à la barre du district de Lesneven, demandant par leur tuteur le partage des biens de la Communauté existant entre le condamné et leur mère, pour que la part de celle-ci leur fût attribuée. Un inventaire de 3,334 livres provenant de la vente des objets saisis après la condamnation constituait l'avoir commun des deux époux. Une décision du district décida, en conséquence, qu'une somme de 1,667 l. 5 s. 9 d. serait attribuée aux enfants mineurs, mais que ladite somme resterait déposée à la caisse du séquestre pour hypothèques jusqu'à l'acquittement des dettes dues par la communauté, et que lesdits mineurs seraient autorisés, jusqu'à cette dernière liquidation, à se faire porter sur le rôle des secours à distribuer par la commune de Ploudaniel.

Je retrouve la trace d'une affaire du même genre, dans une lettre du 5 Thermidor, de Marion, un instant substitut de l'accusateur public, par laquelle il demande des renseignements sur un nommé Jean Bouts, de Carhaix, qui, ayant été commis par l'administration de ce district à l'estimation de six bœufs requis par le représentant Alquier, pour la nourriture des troupes, aurait porté cette estimation au-delà du prix que d'autres experts du district de Morlaix leur donnèrent ; enfin je trouve encore à la date du 28 Prairial, un jugement et une condamnation, à six ans de fers ou de réclusion, contre un cultivateur et une pauvre boulangère, qui, s'étant rencontrés au marché de Saint-Renan, en Vendémiaire, an II, au premier moment de l'application de la loi sur le maximun, s'étaient entendus pour la vente et l'achat de deux boisseaux de froment dont le solde fut fait en numéraire au prix de 18 livres le boisseau, quand la cote courante du marché était de 48 liv. en assignats.

Mais, nous n'en finirions, si nous voulions tout citer, et nous avons encore à raconter la mise en accusation des Fédéralistes et des membres de l'ancienne administration du Finistère, pour la condamnation desquels le Tribunal révolutionnaire de Brest avait été en quelque sorte ouvertement créé.

(Armand du Chatellier).

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