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BREST ET LE FINISTÈRE sous LA TERREUR

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Tribunal révolutionnaire régénéré, ses premiers actes — Poursuites et condamnations contre les agents de l'émigration : Broustail, — Hervé de Chef-du-Bois, — Miorcec de Kerdanet, etc., etc.

Quoique nous soyons déjà arrivés à plus d'un demi-siècle de l'existence des tribunaux révolutionnaires que l'une des factions les plus exagérées de la Convention créa comme un moyen d'accélérer le mouvement de la révolution et de rassurer, on n'a guère parlé jusqu'à ce moment que des affreux excès de cette terrible institution, et du sang qu'elle a fait verser.

Sommes-nous aujourd'hui assez éloignés de ces temps sinistres et pleins encore d'amers souvenirs, pour bien savoir ce qu'amena, pour ou contre la révolution, ce cruel expédient, l'un des plus atroces qu'aucun parti ait jamais conçus.

Nous avons vu de nos jours des gens revenir sur le compte de Robespierre et de ses adhérents, parler de leur profonde politique, en affectant d'oublier les inexorables désastres du régime qu'ils donnèrent à la France ; mais, peu ou point, n'ont osé aller jusqu'à admettre la nécessité des tribunaux révolutionnaires et de leurs excès, et les Hébert, les Marat, les Coffinhal, les Fouquier de cette époque sont à-peu-près restés sur la même ligne que les égorgeurs des journées de Septembre. Pour notre part, nous ne les séparons pas, et les succès des uns et des autres nous paraissent dus au même esprit, à une même pensée de vengeance, à un même calcul de destruction, que la folie et l'enivrement des passions avaient outrageusement décoré du nom de patriotisme et de fermeté républicaine. Et, comme dans tous les entraînements aveugles de la passion, nous croyons aussi qu'il arriva un moment où le cours frénétique de ces exécutions judiciaires s'éleva jusqu'à tous les désordres des instincts les plus sanguinaires et les plus destructeurs de tout principe de sociabilité humaine.

Pour comprendre cette œuvre de sang, il faut cependant reconnaître, quand on descend jusqu'aux détails de ces infâmes procédures, qu'un certain esprit de calcul, emprunté aux principes du Gouvernement alors existant, régla, au moins pour un moment, l'ensemble de ces actes et la conduite des juges, qui, en s'asseyant sur leurs siéges, s'étaient faits les instruments d'un parti, qui s'était donné pour mission de foudroyer du haut de la Montagne tout ce qui ne penserait pas comme eux.

L'œuvre avouée fut évidemment que tout ce qui ne voudrait pas se sans-culottiser, en acceptant cet injurieux abaissement de toutes les supériorités qui prennent du trait et de la valeur dans une société bien organisée, serait impitoyablement sacrifié, soit au nom de l'égalité, soit au nom de la République une et indivisible, se résumant dans le parti de la Montagne.

Ce fut vers ce double but que marchèrent dans leurs commencements tous les tribunaux révolutionnaires qui nous sont connus, celui de Paris comme ceux de Rochefort, de Brest et de Nantes, dont les actes nous sont bien présents. Et jusqu'à un certain point il n'est pas difficile de reconnaître dans les actes de chacun de ces tribunaux un mouvement certain et suivi vers le double but dont nous parlons.

À Rochefort comme à Brest, ce sont d'abord les officiers de marine accusés d'avoir manqué à leurs devoirs, en se retirant devant l'ennemi, à Toulon, à la Martinique et aux colonies, où l'on abandonna les couleurs nationales. — On peut justement contester aux Représentants et au Tribunal de Brest, d'avoir si impitoyablement sacrifié deux officiers subalternes aussi jeunes que Keréon et Montécler ; on peut faire les mêmes observations et les mêmes reproches aux plus nombreuses exécutions de Rochefort, faites aux flambeaux pour inspirer plus de terreur ; mais on ne peut s'empêcher d'avouer que la désertion de Toulon ne soit un acte, pour tous les temps et à une époque de guerre surtout, très coupable, et que le Gouvernement alors existant dut réprimer sévèrement, sous peine de compromettre son existence et son caractère. Seulement, on peut ajouter que si les Girondins avaient triomphé au lieu des Montagnards, ils auraient mis un plus juste discernement dans le choix des victimes.

Commencer les exécutions de Brest comme celles de Rochefort par la mise en jugement des officiers des deux flottes de Toulon et de la Martinique, n'était donc pas un calcul dénué d'habileté et d'un certain à-propos pour la réhabilitation de la discipline, au moment des grands armements qui se faisaient pour lutter contre l'Angleterre. Aussi les conclusions de l'accusateur public dans le premier jugement du Tribunal de Brest, ne furent-elles que conformes aux circonstances. — A Rochefort il en avait été de même ; à Nantes aussi, Carrier, dans les premières excitations de sa fureur destructive, n'avait parlé que de la punition des insurgés vendéens qui portaient les armes contre la patrie et déchiraient son sein. Cette logique des partis était naturelle, et, sauf l'examen des causes de l'insurrection elle-même, il devait être que ceux qui la combattaient, la flétrissent et essayassent de la réprimer par tous les moyens à leur disposition.

Mais si la répression des ennemis armés de la République était proclamée comme un impérieux devoir par les meneurs de l'époque, on verra, par le caractère des jugements et des exécutions que nous allons essayer de définir, et par l'examen même des pièces de procédure, avec quelle facilité on élargit le cadre où l'on rangea tant d'ennemis prétendus de la République ; avec quelle audacieuse effronterie on créa des catégories de suspects, dont on fut si prompt à se débarrasser.

L'un des premiers jugements du Tribunal de Brest après l'exécution des officiers de la flotte de Toulon et de la Martinique, fut celui prononcé contre Broustail, de Morlaix.

Remarquons les circonstances où cette affaire fut entamée et conclue : — on était au 21 Ventôse an II, c'est-à-dire à trois jours seulement de l'arrêté du Comité de Salut public, daté du 17, qui détachait Ragmey, Donzé-Verteuil et Bonnet du Tribunal de Paris pour les transférer à Brest ; à-peu-près au même moment, Fournier, lieutenant, Combaz, sergent-major, Désirié, caporal, Mazéas et Baroux, des bataillons venus de Paris, étaient distraits de leur service pour siéger comme jurés au même Tribunal. — Trois jours, du 17 au 20 Ventôse, ont suffi à ces nouveaux juges et à l'accusateur Donzé-Verteuil pour se rendre de Paris à Brest, prendre possession de leur nouveaux sièges et faire amener à leur barre Hervé Broustail, ainsi que le constatent son jugement, daté du 22 Ventôse, et le réquisitoire de Donzé-Verteuil, daté de son cabinet du 20 Ventôse. — Quelle infernale rapidité ! — Il fallait évidemment que ces hommes, pris sur les bancs du Tribunal révolutionnaire de Paris, après une condamnation du 17, se fussent mis aussitôt en route, et y qu'arrivés à Brest dans la nuit du 19 au 20 au plus tôt, ils eussent pris, en descendant de la malle, le mot des Représentants, reçu les pièces du procès, et rédigé, sans coup-férir, l'acte que Donzé-Verteuil fulminait le 20.

Mais ce qui est au moins aussi étonnant que cette infernale rapidité, c'est l'acte même d'accusation où Donze-Verteuil, en prenant possession de son siège, tint en quelque sorte à résumer les principes que le Tribunal allait suivre.

« Parmi les nombreux et impuissans ennemis de la Révolution française, dit Donzé-Verteuil, il en est de plus d'une espèce et qui diffèrent par leurs vues et par leurs moyens.

Les uns, vils esclaves de ces brigands couronnés dont l'Europe entière sera purgée, se sont armés au dehors contre la liberté.

D'autres, plus indignes-encore, répandant à grands flots tous les poisons de l'aristocratie, du royalisme, du fédéralisme , du fanatisme, ont porté la guerre sur leurs propres foyers, le fer dans le sein de leur patrie.

D'autres, pour l'asservir, l'ont lâchement trahie en livrant des places, en retenant la hache républicaine levée sur d'infâmes cohortes qu'elles ont exterminées, sur d'odieux despotes qui ne la défiaient qu'après avoir acheté les scélérats qui dirigeaient ses coups.

D'autres, abandonnant la terre de la liberté et de l'égalité au moment de leur résurrection, sont allés échanger au loin des bras et des trésors contre le deuil et les livrées de l'esclavage.

D'autres, enfin, ont décrié le papier-monnaie de la République, entretenu des correspondances avec les ennemis, déploré la mort du dernier de ses tyrans, fait passer des secours aux émigrés, affiché le regret pour l'ancien régime, l'horreur pour le nouveau.

Dans cette dernière classe de tant d'ennemis, tous également coupables, on trouve le nommé Hervé Broustail, habitant de Morlaix, où il fut tout à la fois négociant, juge de commerce, receveur et agent des ci-devant nobles, administrateur du district, etc., etc. ..... ».

Le malheureux accusé avait élé saisi et mis en arrestation par des délégués des Représentants, dont les administrateurs du district de Morlaix n'avaient même connu ni la mission ni les pouvoirs, ainsi que le constate une de leurs lettres aux Représentants.

Les chefs d'accusation établis par Donzé-Verteuil étant « que Broustail avait fait passer, en 1792, au marquis de Kerouartz, émigré résidant à Mayence, plusieurs sommes en papier ou en numéraire s'élevant à 17,300 livres et provenant des recettes faites pour cet émigré ; — que Broustail était en relations d'affaires et entretenait des correspondances en pays ennemis, tant avec Kerouartz qu'avec N. Broustail, son fils, qui résidait à Cadix ; — que Broustail avait reçu de l'Allemagne un exemplaire imprimé du manifeste de Brunswick ; — qu'il avait constamment décrié les assignats ; — qu'il faisait des vœux contre sa patrie pour le succès des tyrans armés contre elle ; — et, enfin, qu'il avait formé le projet coupable d'une émigration personnelle, puis que le 22 Octobre il écrivait à son fils, à Cadix, qu'il voudrait être où il était lui-même, et qu'il priait celui-ci de lui écrire une lettre ostensible où il lui dirait que sa présence était nécessaire à Cadix pour le réglement dé leurs affaires communes.

Faits qui prouvent tous, disait Vertueil, qu'il agit méchamment et à dessein d'opérer une contre-révolution en France ; d'en favoriser l'entrée aux ennemis de la République, et d'y établir, à la place de la liberté et de l'égalité, l'ancien régime avec toutes ses horreurs… ».

A quoi le jury répondit : « qu'il était constant qu'il avait existé une conspiration contre la liberté et la sûreté du peuple français, tendant à rétablir la royauté et à avilir la représentation nationale, et qu'Hervé Broustail était convaincu d'être auteur et complice de ladite conspiration ».

Quant au Tribunal, il déclara, à son tour, après avoir entendu l'accusateur public sur l'application de la loi, mais sans parler de défenseur ni de défense, « que Broustail était condamné à mort, que le jugement serait exécuté dans les vingt-quatre heures, et que tous les biens du condamné seraient acquis à la République ».

Est-il bien nécessaire que nous fassions remarquer, pour signaler le caractère de ce jugement et de cette procédure, que la confiscation des biens de Broustail se fit en vertu de l'article 2 de la loi du 10 Mars 1793. Quand les actes principaux de l'accusation, les envois d'argent au marquis de Kerouartz étaient du 27 Août 1791, du 29 Février et du 27 Avril 1792. — L'article 4 de la section 1ère du titre 1er de la seconde partie du Code pénal, en vertu duquel l'arrêt de mort avait été lui-même prononcé était du 18 Janvier 1792, postérieur à la plupart des faits articulés contre le pauvre négociant, administrateur du district de Morlaix.

Mais si peu n'aurait su arrêter ces hommes, et le Tribunal et l'accusateur public, attaquant ainsi dans Broustail la classe entière des émigrés et des agents d'affaires, commencèrent leurs premières opérations par ce terrible exemple de compression dont un homme estimé de tous fut la victime, après avoir fourni dans le négoce et l'administration une longue carrière qui l'avait conduit à sa soixante-huitième année. Hervé Broustail, négociant et cultivateur, était né dans la commune de Saint-Thégonnec et demeurait à Morlaix, où les plus vifs regrets ont longtemps été donnés à sa mémoire.

Nous verrons Donzé-Verteuil et le Tribunal présidé par Ragmey reprendre une à une toutes les catégories que ce premier réquisitoire annonça comme devant fournir à la vengeance du peuple les coupables que les nouveaux juges avaient mission d'atteindre.

Continuons à parcourir les jugements que l'on s'attacha surtout à rendre contre les prétendus agents de l'émigration.

Après Broustail, dans la personne duquel on avait en quelque sorte frappé Morlaix même et son administration, Donzé-Verteuil s'en prit à Yves-Michel Hervé de Chef-du-Bois, homme de loi, ancien sénéchal de la juridiction des Reguaires de Saint-Pol-de-Léon, âgé de 60 ans, et demeurant dans cette ville.

L'acte d'accusation que nous avons sous les yeux, porte « que la conduite de Chef-du-Bois avait paru suspecte, parce qu'il gérait les affaires d'un grand nombre de ci-devant nobles, presque tous émigrés, entre autres les biens des frères Cheffontaine, des Dudresnay, des Parcevaux, des Roquefeuil, des Nouail la Ville-Gille, tyrans subalternes, qui, par l'entremise des suppôts de la chicane dévoués à leurs intérêts, vexaient impunément les habitants des campagnes qu'ils appelaient leurs vassaux.

Le moindre des faits qui prouvent la haine de Chef-du-Bois pour le nouveau régime, continuait Donzé-Verteuil, c'est que jamais il n'a daigné assister à aucune assemblée primaire, pas même à celle où les habitants de Saint-Pol réunis acceptèrent avec joie et reconnaissance l'acte constitutionnel. Apparemment qu'un ci-devant sénéchal se serait compromis, en prenant part aux délibérations de ses concitoyens sur les intérêts publics. C'était donc la haine, le mépris ou tous autres sentiments pareils qui ne peuvent avilir que celui qui les porte dans son cœur, qui étaient la cause de son éloignement pour toutes les assemblées primaires. Sûrement, lorsque ses concitoyens s'occupaient des affaires publiques, il méditait les moyens par lesquels il pourrait renverser le nouvel ordre de choses et ramener l'ancien régime ».

Et formant, après ces vagues allégations, le corps de son accusation, Verteuil établissait « que lors du séquestre apposé sur les meubles de la femme Kergus dite de Roquefeuil, on a avait trouvé dans une malle appartenant à Chef-du-Bois, des lettres à lui adressées par différents émigrés, qui lui accusaient réception de l'argent qu'il leur avait fait passer en 1791 et en 1792.

Auquel effet, continuait-il, l'accusateur public a dressé la présente accusation contre Yves-Michel Hervé, dit Chef-du-Bois, pour avoir, par sa conduite, montré le plus grand mépris pour le Gouvernement populaire, en n'assistant à aucune des assemblées primaires ; pour s'être constamment montré l'ennemi de la Révolution, en soutenant de tout son pouvoir les intérêts de la caste nobiliaire au détriment de ceux du peuple, et, enfin, pour avoir secondé les projets liberticides de nos ennemis extérieurs, en leur faisant passer des sommes considérables en argent ».

Et le jury ayant aussitôt déclaré « qu'il était constant qu'il avait existé un complot contre la sûreté et la liberté du peuple français, tendant à favoriser les projets liberticides de ses ennemis intérieurs et extérieurs, et à rétablir la tyrannie en France, prononçait qu'Yves-Michel Hervé, dit Chef-du-Bois était auteur et complice de ce délit ».

Sur quoi le Tribunal, toujours en vertu de l'article 4 titre 1er de la première partie du Code Pénal, et de l'article 2 de la loi du 10 Mars 1793, condamnait Chef-du-Bois à mort, à être exécuté dans les vingt-quatre heures et à voir ses biens acquis à la République.

La mort de cette nouvelle victime, homme profondément estimé, jeta dans les esprits une épouvante dont la trace s'est retrouvée dans tous les récits qui nous sont revenus de cette triste exécution. Appartenant à la classe nombreuse des magistrats de l'ancien régime, Chef-du-Bois avait en effet conquis dans l'esprit de tous une place des plus distinguées, par la parfaite loyauté de son caractère et la délicatesse de son dévouement aussi empressé qu'éclairé pour les intérêts qu'on lui confiait. Resté paisible et inoffensif au milieu de ses concitoyens jusqu'à la fin de 1793, il ne se mêla à aucune affaire du temps, si ce n'est au classement et à la mise en ordre des nombreux titres du chartrier de Kerouzéré, en Sibiril, quand Madame veuve Éon offrit d'elle-même de remettre aux membres du district, tous les titres de ce chartrier qui pouvaient être entachés de souvenirs féodaux, et comme tels devaient être livrés aux flammes d'après les prescriptions de la loi …. Mais cette soumission résignée non plus que l'innocuité de son caractère ne purent le soustraire aux poursuites des Terroristes, et ce qu'il y a peut-être de plus étonnant dans la conduite de ceux-ci, c'est qu'en poursuivant et mettant à mort leurs malheureux ennemis, ils aient osé publier et afficher des jugements comme celui dont nous venons de donner la teneur.

D'autres prétendus agents d'émigrés furent cependant encore poursuivis, et, parmi eux, se trouva Miorcec de Kerdanet, qui, mis en jugement le 16 Floréal an II, eut le bonheur d'être acquitté après avoir été défendu par Riou Kersalaun, qui avait été un instant procureur-syndic du district de Morlaix, et que nous retrouverons à son tour bientôt incarcéré et poursuivi comme agent de l'émigration, au même titre que Kerdanet.

L'affaire de ce dernier offrit toutefois ceci de particulier, que l'accusation tomba en quelque sorte devant l'indignation publique qui, encore au-dessous de la science profonde des Comités et des juges qui poursuivaient avec tant d'ardeur les agents de la classe nobiliaire, permit, au moins cette fois, de s'étonner qu'on s'attachât pour si peu de chose à sacrifier tant d'hommes honorables et qui avaient fourni à la cause populaire plus d'une preuve de leur dévouement [Note : Un mémoire imprimé de Miorcec, daté du Château de Brest, 23 Nivôse an II, établit, en effet, que cet honorable citoyen avait plusieurs fois présidé la Société populaire de Lesneven, qu'il avait prêté tous les serments prescrits par la loi, et assisté à l'installation du curé constitutionnel ; qu'il avait porté de son propre mouvement plus de quatre mille titres à l'auto-da-fé des parches féodales ; qu'il avait avancé, de ses propres deniers, des sommes considérables pour le service public, et qu'il avait concouru, par des avances, à l'entretien des Brestois qui avaient pris part à la mémorable journée du 10 Août].

Dénoncé au Comité de Lesneven par un homme que Kerdanet avait eu à sa table et à son service et qu'il avait aidé de sa bourse, c'était sur les indications de ce misérable que l'ancien magistrat avait été enlevé du sein de sa famille dans la nuit du 18 Nivôse et traduit devant Ragmey et Verteuil le 16 Floréal an II. — Lié d'amitié très ancienne avec Kerdanet, Riou Kersalaun, qui avait l'âme vive et chaude, se chargeant de la défense de Kerdanet, comme avocat, ne négligea rien pour arracher son ami aux mains des bourreaux. Recueillant à cet effet tous les actes de la vie passée de son client, il le montra, dès 1776, se rendant aux Etats de Bretagne et près de Louis XVI pour défendre les intérêts du peuple ; courant à Paris demander la mise en liberté des membres du Parlement qui avaient été détenus à la Bastille ; il le montra revenant à Lesneven se mettre comme avocat à la disposition des plus petits, s'enquérir de leurs souffrances et élever par ses soins et les deniers de la famille de Lescoët, dont il avait la confiance, un hôpital où les pauvres, depuis 1788, n'avaient cessé d'avoir un asile assuré. Enfin, arrivant aux dépositions du malheureux qui avait vécu dans la maison de Kerdanet et qui l'accusait d'avoir correspondu avec les émigrés, d'avoir recueilli quelques-uns des débris de leur fortune, d'avoir aussi donné asile à quelques-uns d'entre eux et même à des prêtres insermentés ; d'avoir été enfin jusqu'à prêter des habits à ceux-ci…. Riou, dans un mouvement d'indignation et d'éloquent entraînement, retira tout-à-coup de la liasse qu'il avait devant lui les nombreuses quittances du misérable qui avait dénoncé son bienfaiteur… « Voilà, dit-il, celui qu'on accuse et aussi celui qui l'a dénoncé ; celui qui a si vite oublié que la charge qu'il occupa un instant sous l'ancien régime avait été payée des deniers de Kerdanet … ». L'émotion fut très vive, et une voix partie de la foule s'étant récriée : Au foutard la buraque !... la tête de Kerdanet fut sauvée.

Quand il rentra, à quelques jours de là, à Lesneven, lieu de sa résidence et de celle de sa famille, la joie la plus expansive lui ménagea un triomphe, auquel le commandant du 3ème bataillon de la Montagne, alors en garnison à Lesneven, tint à s'associer lui-même en s'excusant, pour cause de maladie, de ne pouvoir prendre part aux fêtes qui se préparaient et dans lesquelles les grâces et la beauté se disposaient à lui offrir une couronne civique tressée par les mains de la justice [Note : Suivant une note que nous avons sous les yeux, M. Miorcec de Kerdanet aurait puissamment concouru, quelques années plus tard lorsqu'il se trouva membre de l'administration départementale, à sauver d'une destruction imminente la précieuse collection des portraits en pied des prélats qui se sont succédé sur le siège de Cornouailles. Cette circonstance nous conduit à rappeler que, malgré les nombreux actes de vandalisme que la terreur amena, beaucoup d'objets d'art, comme livres, tableaux, autels sculptés, etc., ont été préservés par les soins des administrations de districts dont nous pourrions citer les arrêtés à cet égard].

Une autre personne, désignée comme agent des émigrés, le sieur Anne-Jacques Le Coq, demeurant à Pont-Labbé, eut encore, malgré l'acharnement des meneurs, la bonne fortune (sans que nous en sachions les détails) d'échapper aux poursuites de Donzé-Verteuil et de Ragmey ; mais il n'en fut pas de même de plusieurs autres, parmi lesquels nous remarquons Kerléan, père et fils, tous deux habitants de Taulé, anciens gentilshommes, qui avaient cru, pour sauver leur fortune, pouvoir rester dans le vieux manoir de leurs pères, d'où ils dirigeaient eux-mêmes les travaux agricoles qui les faisaient vivre eux et leur famille. Ils avaient espéré, en se tenant éloignés des affaires publiques, pouvoir ainsi échapper à la vengeance des partis. — Mais Donzé-Verteuil sut les découvrir, et son acte d'accusation, daté du 4 Germinal an II, porte que : « Mis en arrestation avec une foule de particuliers de la commune de Taulé, pour cause d'incivisme et de principes contre-révolutionnaires, Jean-Marie Kerléan, père, âgé de 71 ans, et son fils Charles-Joseph-Marie, âgé de 33 ans, domicilié à Kerasel, en Taulé, n'avaient jamais paru aux assemblées primaires, n'avaient point accepté la Constitution, et avaient tenu dans leur domicile une espèce d'arsenal, composé, d'après leurs interrogatoires, de trois fusils à deux coups, trois fusils simples, trois paires de pistolets à deux conps, cinq à six épées et couteaux de chasse, quatre à cinq livres de poudre et trente livres de plomb à tirer ».

Vainement, Kerléan, père, déclara-t-il aux débats, ainsi que le constatent les pièces que nous avons sous les yeux, que s'il n'avait point paru aux assemblées primaires et s'il n'avait point accepté la Constitution, c'est qu'il n'avait voulu se mêler de rien, et, qu'en se conformant aux circonstances, il avait voulu laisser aller les choses sans s'y opposer.

Kerléan, fils, interpellé sur les mêmes faits, ne fut pas plus heureux en déclarant que s'il s'était abstenu des mêmes actes, c'était dans la seule crainte de se compromettre.

Donzé-Verteuil vit, dans les quelques fusils de chasse et les trente livres de plomb à giboyer, une preuve irrécusable de conspiration, un arsenal, comme il le disait, et le jury, suivant sa constante habitude, déclarant les deux Kerléan coupables de recel d'armes à feu et d'armes blanches, le tribunal appliqua aux accusés l'article 3 du titre 2 de la loi du 10 Mars 93, qui disait « que ceux qui seraient convaincus de crimes non prévus par le Code pénal, et dont l'incivisme et la résidence sur le territoire de la République auraient été un sujet de trouble public, seraient condamnés à la peine de la  déportation ».

Il déclara, en outre, que tous leurs biens seraient acquis à la République, heureux encore de sauver leurs têtes, que Verteuil avait bien entendu voulu faire tomber, en ajoutant que des propos inciviques et contre-révolutionnaires avaient été tenus par les prévenus. — Mais, chose assez difficile à expliquer, la déclaration du jury porte, en effet, que des propos inciviques et contre-révolutionnaires avaient été tenus, mais qu'il n'était pas constant que ce fussent les deux Kerléan qui les eussent tenus. Cette circonstance leur sauva la vie.

Une même condamnation à la déportation vint, à quelques jours de là, frapper Jézéquel, pauvre capitaine de barque, attaché au port de Roscoff, auquel on appliqua, par un effet rétroactif très libéralement usité dans ces temps, la même loi du 10 Mars 1793, pour s'être prêté, au mois d'Octobre 1791, à la fuite en Angleterre de plusieurs familles du Léon, qui allaient à l'étranger chercher un refuge contre les troubles de leur patrie.

Chose notable, l'acte d'accusation de Donzé-Verteuil n'établit même pas l'émigration dont on parlait ; il dit seulement que le 22 du mois d'Octobre 91, la barque de Jézéquel, nommée le Saint-Pierre, fut trouvée par des préposés des douanes à l'anse de Terrenès, sans déclaration, et chargée de marchandises suspectes, mais sans qu'il ait pu savoir quelles ont été les suites de cette saisie, si ce n'est que les régisseurs des douanes nationales ont poursuivi Jézéquel à fin d'amende et confiscation des objets qui lui étaient étrangers.

« Mais ce qui est de notre ressort, dit Donzé-Verteuil, c'est la nature, c'est l'objet de cette embarcation. On y voit Jézéquel enlever à la France et passer en Angleterre, en une seule cargaison, plus de quarante ci-devant nobles des deux sexes, une somme de 22,800 livres, une argenterie immense, des armes et d'autres effets précieux en quantité.

Deux circonstances, ajoute Verteuil, prouvent que cette embarcation était criminelle par son double objet, et que Jézéquel en était parfaitement instruit. — C'est que tous les ci-devant nobles embarqués avaient déclaré qu'ils émigraient, et que Jézéquel, par le premier des interrogatoires qu'il a subis, a déclaré que, parmi les effets embarqués par ces ci-devant, il avait remarqué de l'argenterie. — Et une autre circonstance du plus grand poids, c'est que tous ces ci-devant nobles, qui cherchaient à émigrer lors de la saisie du 22 Octobre 1791, ont en effet émigré depuis… ».

Et le jury déclara que, le 22 Octobre 1791, il était constant qu'à bord du sloop le Saint-Pierre on avait tenté de faire une exportation considérable de numeraire, marqué au coin de France, et d'effets en or et en argent à l'usage de quarante-sept émigrés qui passaient en Angleterre !....

Sur quoi le Tribunal, toujours d'après la loi du 10 Mars 1793, condamna le pauvre capitaine de barque à l'exportation, pour un fait supposé arrivé en 1791, plus à la confiscation de toutes ses propriétés.

Quelle législation et quelle manière encore plus atroce de l'appliquer !.... Mais à ce compte tous les banquiers et les gens d'affaires qui, de bonne foi et avant la législation de 93, avaient été en relations avec les malheureux émigrés, se trouvèrent sous le coup des accusations de Verteuil et des condamnations du Tribunal de Brest. — Quelques paroles, un bout de lettre, une démarche ancienne et oubliée, une relation d'un moment ou d'un jour avec un absent ou un émigré, suffisaient pour vous perdre, et avec quelques circonstances de plus, un propos contre-révolutionnaire ou un regret donné au passé, le jury et le Tribunal n'attendant qu'un signe, vous déclaraient coupable et digne de la mort.

Un instant les recherches de l'affreux Tribunal se dirigèrent ouvertement vers ce but, et c'est sous le coup de ces préventions qu'on vit arrêter tant d'hommes d'affaires, de négociants ou même de simples propriétaires qu'on supposait liés d'intérêts et d'affaires avec les émigrés, pour avoir un prétexte de les détenir et de s'emparer de leur fortune s'il était possible.

La veuve Mazurié, de Landerneau, respectable mère de famille, retirée des affaires, mais riche, fut ainsi, à plusieurs reprises, l'objet des sourdes accusations des délégués de la représentation des clubs et du comité révolutionnaire de Landerneau. — Plusieurs rapports et plusieurs visites domiciliaires tendirent à se saisir de sa personne et à parvenir à créer un corps de délit qui pût la conduire au Tribunal révolutionnaire et la faire juger. Les registres du Comité de Landerneau et de la Commission administrative portent de nombreuses traces de ces tentatives.... Mais elles échouèrent, du moins en partie, et quoiqu'enfin saisie, la malheureuse mère de famille échappa à la condamnation qui l'attendait, grâce à la journée du 9 Thermidor, qui la trouva au château de Brest, peu éloignée du jour que Donzé-Verteuil et ses acolytes lui avaient assigné. Une foule d'autres personnes du commerce et de la bourgeoisie se trouvèrent dans la même position.

Mais, pour en finir avec ce qui dans l'affreux Tribunal eut trait à l'émigration, disons comment il s'expédiait à l'égard des malheureux qui, après avoir été portée à tort ou à raison sur la liste des émigrés par les administrations de leur département, étaient saisis sur le sol de la République. Nous avons sous les yeux un de ces jugements, c'est celui de Prignot, daté du 6 Germinal an II.

Plus de débats, plus d'acte d'accusation… un simple visa des pièces et la mort, la mort sur-le-champ.

Voici le libellé du jugement rendu contre Prignot.

« Vu par le Tribunal révolutionnaire les pièces trouvées sur François Nicolas Prignot, âgé de 33 ans, ci-devant notaire, à Troyes, département de l'Aube.

Les réponses dudit Prignot à ses interrogatoires, tant secrets que publics ;

Le Tribunal, après avoir déclaré ledit Prignot convaincu d'émigration et avoir entendu l'accusateur public sur l'application de la loi, ordonne, que ledit François-Nicolas Prignot sera sur-le-champ livré à l'exécuteur des jugements criminels pour être mis à mort dans les vingt-quatre heures, conformément aux articles 1 et 2 de la première section de la loi du 28 mars 1793 ( Vieux style ).

Signé : Pierre Louis Ragmey, président, — Marie Le Bars et Joseph Palis, juges, — Quémar, greffier ! ».

C'est d'ailleurs, comme nous l'avons déjà dit, ce qu'avaient fait aussi de leur côté le district de Brest et la commission administrative de Landerneau, en livrant le prêtre Meur à une commission militaire chargée de son exécution, sans jugement et sans autre information que la constatation de sa personne !

(Armand du Chatellier).

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