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BREST ET LE FINISTÈRE sous LA TERREUR

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Mission des Représentants envoyés près des côtes de Brest et de Lorient en Août 1793.

Je veux décrire la mission des Représentants du peuple envoyés près les côtes de Brest et de Lorient à la suite des événements du 31 Mai, c'est-à-dire, après la dispersion des Girondins et après la mise en jugement de l'administration départementale du Finistère, accusée d'avoir provoqué le mouvement fédéraliste des départements de l'ouest.

La mission de ces Représentants, parmi lesquels figurent : Tréhouart, — Bréard, — Jean-Bon Saint-André, — Prieur de la Marne, — Laignelot — et Carrier lui-même, comprend un espace de temps qui s'écoula du mois d'Août 1793 au mois d'Août 1794 (Thermidor, an II), c'est-à-dire toute la crise de 93, avec la terreur et les tribunaux révolutionnaires pour complément.

Je me bornerai à dire ce qui se passa dans le Finistère, et plus particulièrement à Brest, siège presque constant de la représentation déléguée. Nantes, sous Carrier, offrit encore plus d'horreurs que Brest ; mais j'ai sur cette dernière ville et le Finistère beaucoup plus de documents que sur la Loire-Inférieure ; et comme ce n'est pas l'histoire générale de la terreur que j'essaie de faire, mais bien celle d'un de ses épisodes les plus sanglants, je me renfermerai dans ce qui se passa à Brest et dans le Finistère. J'ai d'ailleurs fait, en un autre livre, l'histoire de cette horrible compression de la Montagne sur l'ensemble des départements de l'Ouest : je décris, aujourd'hui, particulièrement et d'une manière plus complète son action sur un département où se concentrèrent les plus grands efforts de la République dans sa lutte contre l'Angleterre et dans ses cruelles représailles contre le parti de la Gironde et des Fédéralistes.

On était au mois de Juillet 1793, très profondément alarmé par les agitations des clubs et de la commune de Paris ; l'ensemble du Finistère et ses administrations frémissaient d'impatience tout en redoublant de zèle et de dévouement pour sauver la patrie et maintenir l'ordre si c'était possible. Toutes les grandes mesures révolutionnaires successivement prescrites depuis la chute du trône et depuis la proclamation de la République s'étaient accomplies, non sans peine quelquefois, mais d'une manière résolue et sûre, avec probité et modération, comme devaient l'entendre et le faire des administrateurs élus par le peuple, mais généralement choisis dans la classe la plus éclairée de la population. — On avait partout dans le Finistère satisfait à la levée des trois cent mille hommes, non sans quelques troubles, mais sans mécompte sur l'ensemble de la mesure, presque sans désertions. De toutes parts, les municipalités s'étaient révolutionnairement constituées. L'impôt se payait couramment, et soit pour le ravitaillement des républicains qui poursuivaient les rebelles de la Vendée, soit pour les armements exceptionnels du Port de Brest, toutes les réquisitions demandées s'acquittaient sans trop de peine. La loi même des émigrés recevait son application ; les listes des absents étaient partout dressées ; le séquestre était mis sur les propriétés de ceux que l'on croyait à l'ennemi, et la tiédeur, d'où qu'elle vînt, n'était admise nulle part, ni pour personne. Tout le monde marchait, soit contre l'ennemi du dehors, soit contre celui qui, à l'intérieur, niait ou contestait le pouvoir du jour.

Mais au milieu de ce mouvement accepté des plus timides, secondé même des plus prudents et des plus sages, il se trouva dans le Finistère, comme ailleurs, des hommes, sans nom, sans famille, sans intérêts avoués ou avouables qui prétendirent que rien n'allait assez vite, et qu'après avoir renversé le clergé et l'église, la noblesse et les vieilles institutions de la monarchie, il restait encore des aristocrates auxquels on ne sut d'abord quel nom donner, mais qu'on appela bientôt des feuillants, des modérés, des fédéralistes dès qu'ils n'acceptèrent pas de se rendre au pied de la sainte Montagne, au sommet de laquelle Marat et quelques autres s'étaient audacieusement posés comme les dépositaires de cette foudre révolutionnaire, au bruit de laquelle la France et le monde devaient se régénérer.

De ce jour, les partis s'animèrent parmi nous, comme à la Convention et à la Commune de Paris, et il fut facile de prévoir que toute crise et toute collision qui surviendrait au sein de la capitale aurait son contre-coup dans le Finistère.

D'ailleurs, les hommes les plus considérables du pays ne s'en cachaient pas : à l'administration départementale du Finistère tout se préparait pour une résistance ouverte aux entreprises que la Montagne et la Commune de Paris semblaient organiser de concert ; l'affreux crime du 2 Septembre n'avait été excusé par aucune âme honnête de la province, et l'un des agents les plus accrédités de la Commune de Paris, en arrivant à Quimper, pourvu des instructions secrètes de Danton, fut promptemeut saisi, arrêté, jeté en prison et long-temps gardé à vue malgré les réclamations des meneurs et les menaces de Marat lui-même, qui écrivait, à la date du 27 Décembre 1792, qu'il poursuivait avec fureur son élargissement près des comités de la Convention.

Composée de trente et quelques administrateurs, la plupart jeunes et instruits, appartenant aux meilleures familles de la bourgeoisie du pays, présidée par un ancien maréchal-de-camp de l'une des plus illustres familles de la noblesse bretonne, l'administration départementale du Finistère, tout en restant sérieusement occupée de la gestion des affaires publiques, ne négligeait aucun moyen de contenir ou de modérer au moins les sociétés populaires et les administrations locales, qu'un esprit trop éminemment révolutionnaire entraînait au-delà du but. — En correspondance suivie avec les ministres et les députés du département, cette administration cherchait à faire apprécier des premiers le bien qui pouvait être tenté ; à faire connaître aux seconds la marche qu'il fallait suivre pour contenir ou repousser les perturbateurs de quelqu'ordre et de quelqu'opinion qu'ils fussent. Se ressentant elle-même des dissensions intestines de la Convention, qui la jetaient souvent dans la plus sérieuse perplexité, elle prêchait à ses représentants, à Paris, la fermeté, la résistance même à toute usurpation, à toute entreprise des Montagnards. Elle leur faisait parvenir des adresses, elle leur offrait des secours et même, s'il en était besoin, le concours d'une protection efficace, par la levée d'une force armée qui marcherait sur Paris et qu'elle mettrait à leur disposition.

C'est dans ces circonstances qu'eut lieu le 31 Mai et l'acte de proscription qui obligea soixante et quelques députés du parti de la Gironde à s'éloigner de Paris et de la Convention.

Un acte si décisif et si anormal fut regardé, par un grand nombre de villes et par plusieurs départements, comme un acte formel d'usurpation, comme un acte tyrannique et subversif de tout ordre légal. Cet acte fut pour le Finistère, déjà très disposé à la lutte, le signal d'une résistance ouverte aux entreprises des Montagnards.

La conduite et la résolution des membres de toutes les administrations du département, mais surtout de l'administration départementale, furent très caractéristiques et très promptes.

On organisa la force armée dont on avait parlé. On nomma des délégués pour se concerter avec les départements de la Bretagne et de la Normandie qui paraissaient disposés à la résistance, et tout en contestant ainsi la validité d'un acte tyrannique et attentatoire à la liberté des départements et de leurs représentants, on suspendit partout dans le département l'adhésion sollicitée en faveur de la Constitution de l'an II qui venait d'être soumise à l'approbation des assemblées primaires.

Le pays entier, on le conçoit, se ressentit très vivement de cette agitation, et l'exemple donné par presque toutes les administrations de l'ouest, par plusieurs grandes villes, comme Lyon, Bordeaux, Rennes, Caen, Nantes, Toulouse, etc., etc., et jusque par les représentants en mission dans nos départements, même après le 31 Mai, ne pouvait qu'être suivi par la masse éclairée de la population [Note : Nous avons retracé ailleurs (Livre IV de notre Histoire de la Révolution dans les départements de l’Ouest) les circonstances qui entraînèrent les départements Bretons et ceux de la Normandie à se prononcer ouvertement contre les événements du 31 Mai et l'expulsion des Girondins de la Convention. Peu ou point de doutes ne peuvent être restés sur la pureté des intentions des administrateurs qui, désignés comme fédéralistes, furent bientôt sacrifiés à la jalouse inquiétude des montagnards. Mais quelques pièces nouvelles que nous avons recueillies depuis peu, nous fourniront plus tard l'occasion de revenir sur cette importante question].

Presque partout le contingent de la force armée organisée par le département et dirigée sur Paris et la Normandie pour se mettre aux ordres de la Convention, et plus tard aux ordres des députés en fuite, s'était formé par des enrôlements volontaires. Beaucoup de soldats et d'officiers de la gendarmerie des garnisons du Finistère s'y étaient fait inscrire. Dans quelques localités, comme à Brest, c'étaient les sections elles-mêmes de la population entière qui avaient tenu à faire les désignations, et partout le mouvement avait été prompt, spontané et résolu [Note : Les sept sections composant l'ensemble de la population de Brest s'appelèrent, un peu plus tard : Égalité, — Sans-Culotte, — de la Liberté, — de la Raison, — de la Montagne, — de Marat, — de Le Pelletier]. En peu de jours, les députés des départements Bretons, réunis à Rennes sous la présidence de Le Graverend, Roujoux étant secrétaire, eurent résolu, par un acte public et solennel, la résistance aux entreprises de la Montagne, et confirmé la marche des hommes armés qui devaient joindre, à Caen, les députés en fuite et les ramener vers Paris pour les réhabiliter à la Convention à laquelle les fédéralistes ne reconnaissaient ainsi aucun droit de se scinder, en expulsant ceux des représentants qui avaient toujours résisté aux excès et aux entreprises de la Montagne.

Le droit et la justice de cette cause ne devaient cependant pas être reconnus. — Dispersés avant d'avoir en quelque sorte combattu les Girondins et les hommes des départements de l'Ouest, après avoir dépassé Caen et marché jusqu'à Verneuil, furent obligés de se retirer devant des forces supérieures qui ne leur permirent pas de poursuivre leurs projets de réhabilitation.

Une partie des représentants, mis hors la loi par leurs collègues dans la journée du 31 Mai, furent saisis et destinés à passer au tribunal révolutionnaire. Chaque jour d'ailleurs, la Convention et le Comité de Salut public rendaient des décrets d'accusation contre les villes et les administrateurs des départements qui s'étaient révoltés à l'idée de voir leurs députés saisis et chassés de l'Assemblée nationale. Le 19 Juillet 93, Barrère, montant à la tribune au nom du Comité de Salut public, donna connaissance de l'une des proclamations des administrateurs du Finistère et les fit décréter d'accusation, en même temps qu'il provoqua la translation de l'administration départementale de Quimper à Landerneau. Quelques députés, renchérissant sur ces mesures, firent ajouter que, dès la mise en suspicion des administrateurs prévenus de fédéralisme, toutes leurs propriétés seraient immédiatement placées sous le séquestre, et que la seule absence de leur poste suffirait pour l'application de cette mesure.

De son côté, Jean-Bon Saint-André, collègue de Barrère au Comité de Salut public, accusant les mêmes administrateurs d'avoir pris quelques mesures relativement à l'embargo mis sur les corsaires et les bâtiments de commerce par la loi du 22 Juin, faisait décréter la peine de mort contre toute administration civile qui s'immiscerait, de près ou de loin, dans les mouvements de la marine et des vaisseaux de guerre. Sur quoi Bréard et quelques autres députés de la Montagne, reprenant la question, vingt fois émise, d'épurer le Corps de la marine, proposa d'en expulser définitivement tous les ci-devant nobles qui pouvaient encore s'y trouver, avançant que la République et l'armée de mer seraient beaucoup mieux servies par les officiers du commerce, qui avaient pour eux une longue et utile pratique.

Voilà dans quelles circonstances le département du Finistère vit Bréard envoyé en mission extraordinaire près du Port de Brest et de la Marine. Tréhouart lui fut adjoint pour collègue.

Mais, avant d'entrer dans le détail des mesures que ces deux Représentants eurent à prendre, rappelons qu'en voyant les dissensions de la Convention, la journée du 31 Mai, l'expulsion d'une partie de la représentation nationale, le soulèvement de plusieurs villes, l'assassinat de Marat par Charlotte Corday (15 Juillet 93), la révolte ouverte de Lyon et les meurtres juridiques du tribunal révolutionnaire, qui faisait tomber tant de têtes chères à la monarchie, rappelons que la Vendée, faisant un effort suprême, débordait de toutes parts, attaquant à la fois Nantes, Saumur, et se répandant jusque dans la Normandie, le Morbihan et les Côtes-du-Nord.

Avec ces éminents périls, la rage et la fureur des Montagnards s'élevaient aussi, et, vers la fin d'Août, la société-mère des Jacobins de Paris, s'épurant elle-même sur la proposition de Robespierre, incitait les administrations et les autres clubs de la République à suivre cet exemple et à faire enfin justice, par la voie du scrutin, des tièdes et des timides qui, en se mêlant aux affaires publiques, retardaient, prétendaient-ils, le complet succès des grands principes de la République. Comment en aurait-il été autrement ? l'ère républicaine venait d'être proclamée ; une constitution nouvelle avec la déclaration des droits de l'homme pour base, venait d'être soumise à l'acceptation des assemblées primaires, et il fallait, à tout prix, entraîner le pays, le faire se prononcer pour le régime qu'on lui offrait, et, cela fait, marcher résolument à l'accomplissement de cette folle régénération que des énergumènes avaient résolu d'accomplir au prix de tant de sang et de sacrifices.

Nous allons voir comment ils s'y prirent à Brest et dans le Finistère, qui leur furent livrés l'un et l'autre sous le prétexte de disperser le fédéralisme comme une contre-révolution nouvelle, de régénérer la marine et de venger le pays de l'échec de Toulon qui venait de se rendre aux Anglais (27 Août 1793). Leur mission ostensible fut de réorganiser la flotte qui, suivant l'expression de Bréard, devait bientôt prouver à l'Europe étonnée, que (dès que les officiers du commerce auraient pris la place des ci-devant) [Note : Briard, député de la Charente-Inférieure, était de Marennes, petite ville maritime riche par son commerce el son cabotage], comme il l'avait proposé, les Français libres sauraient triompher sur terre comme sur mer.

Bréard, muni des instructions secrètes du Comité de Salut public, partit donc de Paris pour Brest, le 25 Août 1793, et la marine fixa tous ses soins ainsi que ceux de son collègue Tréhouart.

La flotte conservait encore un certain nombre d'officiers ayant appartenu à l'ancien corps de la marine particulièrement recruté dans l'ordre de la noblesse et des privilégiés de l'ancienne monarchie. Du reste, ces officiers étaient à-peu-près les seuls hommes capables de diriger nos vaisseaux, et les levées nouvelles qui avaient été faites en Mars et Avril  1793, avec promesse expresse d'augmenter la solde des hommes de mer, d'assurer la subsistance de leurs femmes et de leurs familles, et de leur donner dans les prises qui seraient faites sur l'ennemi une très forte part, n'avaient généralement fourni que des hommes très peu expérimentés et encore moins disciplinés.

Defermon, Rochegude et Prieur envoyés en mission extraordinaire sur les côtes de Brest et de la Manche, vers la fin de Mars, avaient préparé l'organisation et la mise en activité des équipages et des vaisseaux, qui, sous les ordres de Morard de Galle, reçurent mission de se rendre dans les eaux de Belle-Ile pour croiser en vue de la Vendée et du Morbihan, afin d'empêcher tout débarquement de l'ennemi.

Mais, ainsi retenu près des côtes de la Vendée et du Morbihan, Morard de Galle, dont on accusa la nonchalance et le peu d'énergie, eut le tort assez marqué de laisser ses officiers et ses hommes communiquer trop fréquemment avec la côte, sous prétexte de faire du bois et des vivres. Il en résulta que la discipline des équipages se relâcha, et que, sur quelques vaisseaux, on passa promptement de la plainte aux murmures, et bientôt aux actes formels d'insubordination.

On était en Septembre 93, et, depuis quelques jours, à la nouvelle de la prise de Toulon par les Anglais, les insubordinations s'étaient répétées d'une manière alarmante. Vainement l'amiral et les capitaines de vaisseau donnaient-ils l'ordre d'appareiller ; les manœuvres ne s'exécutaient point, et chacun émettait son avis, proposait de garder le mouillage ou de rentrer à Brest sous prétexte que les navires n'étaient pas pourvus du matériel nécessaire pour faire face à l'ennemi. D'autres alléguaient que Toulon ayant été livré aux Anglais, on pouvait craindre que le port de Brest ne le fût également, et qu'il était urgent de rentrer pour contenir les conspirateurs et les ennemis de la République.

C'est dans ces circonstances, que le 13 Septembre 1793 , en transmettant à la flotte le Décret de la Convention, du 6 Septembre, sur la prise de Toulon, les représentants Bréard et Tréhouart ajoutèrent que si les marins et les ouvriers de la marine faisaient leur devoir et restaient fidèles à leur serment, nos ennemis seraient bientôt punis .... Mais l'insubordination marchait rapidement, et le 15 Septembre, quand les Représentants nouvellement arrivés à Brest en appelaient ainsi au concours de tous, les équipages de Morard de Galle, entrant en pleine insurrection, envoyèrent leurs mandataires à bord du Terrible, monté par l'amiral, pour lui demander formellement que deux députés des équipages fussent envoyés l'un à la Convention, l'autre près des Représentants en mission à Brest, afin de solliciter un ordre formel de rentrer dans le Port. Antoine-Hippolyte VERNEUIL, soldat de marine en garnison sur Le Juste, fut dépêché près de la Convention, et CONOR, timonier sur la Côte-d'Or, fut envoyé près des Représentants en mission. Mais ces deux hommes avaient à peine quitté leurs camarades, que ceux-ci, sans attendre leur retour, forcèrent leurs officiers et l'amiral à appareiller pour se diriger sur Brest.

Tréhouart, informé de ce qui se passait, se consultant avec son collègue, partit sans retard de Brest sur un bâtiment léger, et rencontra la flotte, déjà sous voiles, à quelque distance de Quiberon. Il la fit rentrer dans les eaux de Belle-Ile ; et, ayant, le 21 Septembre, réuni tous les chefs militaires, il les somma de se prononcer sur l'état de leurs navires et de leurs équipages. Presque tous établirent, d'une manière péremptoire ; l'impossibilité de tenir la mer. — L'ordre fut, en conséquence, donné de rentrer à Brest, et le 29 Septembre la flotte était en rade.

Un des premiers soins des Représentants fut de consigner les équipages, d'interdire toute communication avec la terre, et d'engager les autorités constituées et la Société populaire à envoyer des députations à bord de chaque vaisseau pour éclairer et patriotiser les équipages.

Les Représentants visitèrent eux-mêmes chaque bâtiment de la flotte et renouvelèrent sur chacun d'eux l'invitation faite aux vrais républicains de dénoncer les faits coupables venus à leur connaissance. Chaque chef militaire fut, en conséquence, interrogé séparément, et le plus obscur matelot accueilli, dès qu'il eut un de ses officiers à dénoncer.

Enfin, après quelques jours d'informations et de sourdes menaces appuyées par un agent intime, Le Breton, auquel on avait remis une somme de 2,400 francs sur les fonds de police, l'ère des arrestations et des destitutions commença, et les Représentants eux-mêmes, en se résumant dans leur rapport à la Convention, établirent :

« Que le vice-amiral Morard de Galle avait contre lui sa naissance et la méfiance de l'armée, son indiscrétion, trop de déférence pour son chef de pavillon Bonnefoux, et, ce qui était beaucoup plus grave, une prédilection marquée pour les officiers issus de l'ancien grand corps ;

Qu'il devait, en conséquence, se rendre sans délai auprès du Comité de Salut public et du Conseil exécutif pour se justifier ;

Que le contre-amiral Landais était patriote et avait fait connaître par un mémoire, que des signaux étrangers avaient été plusieurs fois répétés entre le vaisseau-amiral et quelques autres bâtiments de la flotte ; mais qu'il était susceptible et comme tel peu propre au commandement.

Que les contre-amiraux Le Large et Kerguelen étaient peu sûrs, imbus de préjugés incompatibles avec les principes de la République et qu'ils devraient en conséquence quitter la flotte et la ville de Brest dans les vingt-quatre heures.

Que Bonnefoux et Daugier [Note : Daugier, mort vice-amiral, le 12 Avril 1834. Il était né a Courtezon (Vaucluse), le 12 Septembre 1764], l'un capitaine de pavillon du général, l'autre major de l'armée, étaient soupçonnés d’avoir communiqué avec leurs amis à l'insu des patriotes, et qu'ils avaient été mis provisoirement en état d'arrestation.

Que le capitaine Duplessis-Grenédan, de la Côte-d'Or, devait être traduit au Tribunal révolutionnaire, afin que la nation intimidât par la sévérité quiconque oserait servir sur ses vaisseaux après avoir porté les armes contre elle [Note : Duplessis-Grenédan (Toussaint-Jean), âgé de 29 ans, natif de Rennes, fut condamné à mort et exécuté le 27 Nivôse an II, le même jour que Coëtnempren et Verneuil, cités plus loin]. Que Guignace, lieutenant, Verneuil, commis aux vivres, et Vilson, son protecteur pour l'avoir fait embarquer, seraient mis en arrestation.

Que, quant aux matelots et canonniers du vaisseau la Bretagne, on les avait vus souvent à genoux sur leurs pièces, gémissant sur la perte de la religion ; qu'à ce titre ils étaient suspects, et que la justice exigeait qu'ils fussent traités comme tels et détenus ;

Que Le Bourg et Enouf, lieutenants à bord du Tourville, Le Duc, enseigne sur le même vaisseau, seraient traduits au Tribunal révolutionnaire pour insubordination.

Que Boissauveur, capitaine du Superbe, qui avait eu l'imprudence de donner un bal à Quiberon le lendemain de la nouvelle de la trahison de Toulon, acte qui faisait connaître à lui seul ses sentiments, devrait quitter la ville de Brest dans les vingt-quatre heures.

Que La Richerie, capitaine du vaisseau la Bretagne, soupçonné d'avoir émigré, serait immédiatement mis en état d'arrestation.

Que Coëtnempren, commandant le Jean-Bart, dénoncé comme contre-révolutionnaire, jouant le patriotisme, était accusé d'avoir favorisé le relâchement de la discipline, d'avoir négligé l'exercice du canon, d'avoir fait débarquer son argenterie au moment où l'ennemi pouvait se présenter, etc…, faits qui obligeaient à le remettre au Tribunal révolutionnaire, pour qu'il fût fait justice d'un homme aussi profondément incivique [Note : Joseph-Marie de Coëtnempren, natif de Morlaix, âgé de 36 ans, et Louis-Henri Verneuil, natif de Recouvrance, âgé de 30 ans, commis de marine, furent condamnés à mort, le 27 Nivôse an II, par le Tribunal révolutionnaire de Paris, et exécutés le même jour] ».

La correspondance du ministre Dalbarade avec le commandant des armes du port de Lorient (lettre du 29 Brumaire an II), ajoute à cette liste : Le Tendre, capitaine du Nestor ; Bruix, capitaine de l'Indomptable ; Thomas, du Northumberland ; Terrasson, du Superbe ; Mons, du Sans-Pareil, Labbatut, de la Convention et les lieutenants Clément la Roncière, Gérard la Coudraye, Massard et Tuvache, comme ayant été également destitués par les Représentants en mission, et Fichet et Lécluse, enseignes du vaisseau le Commerce-de-Marseille, comme ayant été traduits par eux au Tribunal révolutionnaire de Paris [Note : Lécluse, Jean-Marie, de Douarnenez, âgé de 28 ans, fut condamné à mort, le 2 Pluviôse an II, par le même Tribunal révolutionnaire et exécuté].

Mais pour bien comprendre la terreur que cette affaire répandit dans l'armée navale et dans la ville de Brest, il faut reproduire quelques-unes des turpitudes que ce régime fit naître dès le premier moment. Ce fut d'abord une lettre des citoyens Le Clerc, Martin, Roxlo, Conrier, Gautier et Le Nôtre, lieutenants et sous-lieutenants au 2ème régiment de la marine, tous hommes que nous retrouvons plusieurs fois chargés de missions spéciales de la part des Représentants.

« Les événements du 31 Mai, disaient-ils, que tout bon Français devrait bénir, ont été à Brest le signal de l'éclat contre la Convention et la ville de Paris ; le moment où Brest n'a plus retenti que des invectives les plus atroces, des calomnies les plus noires contre tout ce qui émane de cette capitale, taxant la Convention de triumvirat et de tyrans, les Parisiens de brigands sanguinaires, et l'acte constitutionnel, chef-d'œuvre de vos lumières, gage précieux qu'adorera la postérité, d'acte absurde que les libelles et les placards engageaient à refuser ».

Aussi, ajoutaient-ils, plusieurs de nos frères, livrés à la risée et à la satyre la plus humiliante, ont-ils été vexés et conduits à la municipalité pour avoir arraché un placard venu du comité établi à Rennes, et où on lisait : Plus de Montagne ! en même temps qu'on y prêchait les doctrines les plus contre révolutionnaires, et dont le but était de nous replonger dans l'esclavage le plus honteux, en traitant les patriotes de factieux soldés par Marat et la Montagne.

Qu'on éloigne donc de nos armées les nobles qui conspirent, écrivait un caporal du vaisseau la Côte-d'Or, en répondant à l'appel de dénonciation qui avait été fait à tous les équipages ; « qu'on les proscrive de la terre de la liberté, car si tous les sans-culottes de la Côte-d'Or ont frémi à la nouvelle des événements de Toulon, il n'en a pas été de même du lieutenant et du commis aux vivres ».

Plus vague dans ses accusations, mais non moins perfide, un autre disait du capitaine de son vaisseau, « qu'il avait plusieurs fois refusé à l'équipage de faire l'exercice du canon ; — qu'il avait relâché à Lorient cinquante jours quand il aurait pu n'y rester que trente ; — qu'il avait, contrairement aux règlements, donné la permission à un matelot d'aller à plusieurs lieues dans les terres et qu'il avait tenu des propos injurieux contre la Convention et les Représentants. — Puis cet homme terminait en disant que sa répugnance à servir sous un tel chef était insurmontable, ce qui voulait dire que le capitaine du Jean-Bart, Coëtnempren de Kerdournan serait déféré au Tribunal révolutionnaire comme le porta l'arrêté des Représentants ».

Quant aux dénonciations verbales que les plus obscures passions inspirèrent, qui pourrait dire combien de victimes elles livrèrent ou désignèrent aux envoyés de la Convention chargés de la double mission d'épurer la flotte, comme ils le disaient, et de comprimer à son principal foyer le fédéralisme auquel ils attribuaient tous les troubles de la République.

Ce premier succès obtenu, Bréard, comme pour en résumer les résultats, s'adressa aux habitants de la ville de Brest et à la marine entière, par une proclamation où nous trouvons les passages suivants :

« Valeureux Brestois, incorruptibles républicains, vous procurerez promptement à la marine les objets dont elle a besoin.

Des subsistances, des chanvres, du bois, du fer, voilà ce qu'il nous faut ; il ne s'agit donc que d'engager les propriétaires à les fournir à la marine.

Magistrats du peuple, société populaire, et vous tous citoyens intrépides, défenseurs de la liberté, vous remplirez cette mission sainte, vous ferez sentir aux habitants des campagnes qu'il est temps que la voix de la patrie étouffe les cris féroces du fanatisme ; vous direz aux négociants ce que le salut public exige d'eux ; — vous direz aux froids égoïstes et aux perfides spéculateurs que leur intérêt personnel est de vendre à la République les objets dont elle a besoin pour triompher de ses ennemis ; — enfin, vous direz à tous, que tout ce qui tend à sauver la patrie est sévèrement commandé et devient indispensable.

La loi est là ; elle a parlé ; mais nous préférons obtenir ces objets de votre dévouement à la chose publique ; si cependant la voix de la raison, si celle du patriotisme n'étaient point entendues, dites au nom de la patrie, à ces enfants ingrats que le peuple regardera comme mauvais citoyens, comme traîtres tous ceux qui se refuseraient à ce désir impérieux… ».

Comme on le voit, c'était tout un programme et c'était celui qu'ils allaient suivre invariablement et sans se laisser distraire du but indiqué.

Pour plus de sûreté et d'entraînement d'ailleurs, cette pièce fut envoyée à toutes les sociétés populaires de la France, et les réponses de celles-ci, dont plusieurs sont sous nos yeux, confirmèrent les Représentants en mission à Brest dans lEs plus virulentes mesures de coërcition qu'on puisse imaginer.

« Ne voyez-vous pas, disait la société montagnarde de Dieppe, que ce sont des esclaves qui redemandent des fers !.... Nous ne pouvons croire que parmi ceux qui ont ainsi oublié la patrie il se trouve aucun Dieppois ; s'il en était, qu'ils renoncent à ce nom, qu'ils n'espèrent pas revoir jamais la ville qui leur a donné le jour. Elle les repoussera pour toujours ».

« Que les traîtres, disait une autre réponse, croupissent dans le marais de la plaine ! Nous avons su gravir la montagne sainte et en atteindre le sommet : nous saurons nous y maintenir pour en foudroyer tous les traîtres ! ».

Ces faits et ces dispositions montrent assez quel était l'esprit des Représentants en mission près de la flotte et quels allaient être leurs actes et leurs décisions. Leur correspondance le révèle encore plus complètement.

Écrivant, le 1er Octobre 93, à leurs collègues en mission près des ports de la Rochelle et de Rochefort (c'étaient Lequinio et Laignelot), ils leur disaient, après leur avoir demandé un rendez-vous dans une ville intermédiaire pour se concerter sur les mesures à prendre, « qu'il leur était démontré que les équipages avaient été travaillés par les fédéralistes et les agents de l'Angleterre ; qu'il était urgent de mettre en sûreté les individus soupçonnés d'être les auteurs des troubles survenus dans la flotte, et qu'ils allaient tout régénérer autour d'eux ».

Rendant compte de ces premiers actes de leur mission au Comité de Salut public, ils lui disaient (Vendémiaire, an II. Octobre 93), « que leurs premiers moments avaient été employés à tout voir et à tout examiner ; que le danger avait été imminent ; mais que l'escadre de la République ne présentait, quant aux équipages, que des hommes pleins d'ardeur dont l'égarement n'était que l'effet des manœuvres combinées de l'intérieur et de l'extérieur ; que ce qui l'avait surtout entraînée à l'insubordination, c'est que ses chefs anciens avaient eu l'imprudence de la tenir mouillée dans le voisinage du chef-lieu du Finistère peuplé d'aristocrates et de fédéralistes ; que dans ce même chef-lieu les assignats étaient sans valeur en même temps que la contre-révolution y était désirée, et qu'on y recrutait presque publiquement pour la Vendée, en même temps que les députés fugitifs (les Girondins) y avaient soufflé avec succès le feu de la révolte …. » [Note : Ces perfides insinuations et ces rapprochements ne reposaient évidemment sur rien, car les rapports de l'administration départementale du Finistère avec la flotte étaient nuls, et le mouillage des bâtiments aux embouchures de la Vilaine et de la Loire ne permettait aucune relation suivie avec le chef-lieu du Finistère].

« Mais nous avons eu le bonheur, ajoutaient-ils, de trouver des marins sensibles à nos discours, et, après avoir harangué l'un après l'autre les vaisseaux de l'escadre et jusqu'au moindre brick, ils nous ont demandé avec empressement de les renvoyer à la rencontre de l'ennemi ».

Puis, revenant sur le compte de Morard de Galle et des officiers aristocrates qui exerçaient, disaient-ils, une funeste influence sur son caractère, ils ajoutaient « que leur embarras et leur perplexité étaient très grands pour aviser au remplacement de ces officiers par des sans-culottes dont le savoir et le dévouement fussent à la hauteur des circonstances ; que, d'une autre part, avisés que la Convention et le Comité de la Marine songeaient à faire désigner par les équipages eux-mêmes les officiers qui devaient commander la flotte, ils priaient en grâce le Comité de Salut public de faire remettre indéfiniment ce projet, parce que les équipages, quoique bons, étaient encore engoués de plusieurs officiers qui appartenaient à l'ancien grand Corps de la Marine ; qu'il fallait absolument les remplacer, et que par la même raison il convenait que le Ministre sursît lui-même à toute nomination dans les ports, afin de laisser aux Représentants en mission la faculté d'agir suivant que les circonstances l'exigeraient ».

D'ailleurs, ajoutaient-ils, « les autorités de Brest sont aussi mauvaises qu'on puisse le dire, district, municipalité, tribunal, tout est fédéraliste. Le peuple, même a été trompé, et nous serions bien embarrassés pour remplacer ces mauvais citoyens.
— Il était temps que nous arrivassions ; et nous tenterions vainement, citoyens collègues, de vous exprimer le risque que courait cet établissement important. Nous avons la preuve écrite de la main de Kervélégan (l'un des députés en fuite) qu'on voulait mettre Brest en insurrection, et nous avons aussi la preuve que nos ci-devant collègues, décrétés par la Loi du 31 Mai, ont fui sur une barque qui a fait voile pour la rivière de Bordeaux où elle est entrée
[Note : Nous avons raconté ailleurs cette fuite des Députés de la Gironde. — Voir notre Histoire de la Révolution dans les départements de l'Ouest].

Nous avons visité la garnison et les troupes de la marine que nous croyons bien intentionnées ; mais nous devons vous observer que les campagnes sont fanatisées, qu'on les irrite sous le prétexte du maximum et de la diminution forcée du prix des grains ; - qu'on travaille à faire manquer le pain dans la ville de Brest, et que s'il fallait faire face sur plusieurs points à la fois nous nous trouverions faibles… Ne perdez donc pas de vue que nous marchons sur un volcan et que nous sommes au milieu des précipices ».

C'est ainsi que les Représentants nouvellement arrivés à Brest décrivaient leur position et celle du pays. Ils ajoutaient que, dépourvue de vivres et de matériel, la flotte comptait au moins six mille marins sur les rôles ; que de nombreux ouvriers étaient réunis dans le port, et qu'avec la garnison militaire on pouvait compter au moins dix mille étrangers dans la place.

(Armand du Chatellier).

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