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REFUTATION DU SYSTEME DE DOM MORICE

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Recherchons maintenant l'origine de ces anciennes baronnies, je ne dis pas de celles créées par Pierre II et François II dont la date est bien connue, qui ne sont qu'une imitation des autres, ayant pour but unique de maintenir le nombre neuf au complet. Je parle de l'institution dans son essence, de ce groupe de neuf grands fiefs, inférieurs aux comtés apanagers de la maison ducale comme Cornouaille, Penthièvre, etc., mais élevés au-dessus de toutes les autres seigneuries de Bretagne, formant en tête de la féodalité bretonne un premier rang de grands feudataires, un banc de neuf pairs laïques en tête de la noblesse, pour répondre évidemment aux neuf évêques placés en tête du clergé.

Est-ce là une institution primordiale, naturelle, remontant aux origines de la féodalité bretonne, c’est-à-dire tout au moins au XIème siècle ?

Ou bien, au contraire, est-ce une création artificielle et tardive, issue d'une sorte de légende accréditée seulement au XVème siècle, et n'ayant pris place qu’au milieu de ce siècle parmi les institutions bretonnes ?

Cette dernière opinion est celle de dom Lobineau, qui l'a développée et démontrée dans son Traité des barons de Bretagne, manuscrit de la bibliothèque de Rennes, resté jusqu’à présent inédit.

L’autre a été formulée et soutenue par dom Morice, dans la préface du tome II des Preuves de l'histoire de Bretagne, qui est en effet une dissertation sur les barons, et dont l'auteur, tout en profitant très largement, sans le dire le traité manuscrit de son devancier, combat et rejette sa thèse principale, mais de biais, sournoisement, sans même énoncer cette thèse ni prononcer le nom de dom Lobineau : procédé d'autant plus louche que celui-ci était mort. Vivant, il eût réfuté sans peine dom Morice. Nous allons le faire à sa place, car, à part quelques détails secondaires, la thèse de dom Lobineau nous semble parfaitement vraie.

Dom Morice ne peut se dissimuler ni dissimuler à ses lecteurs que dans nombre de chartes authentiques, depuis le commencement du XIème siècle jusqu’au milieu du XVème, le titre de baron est attribué à une foule de personnes qui jamais ne possédèrent aucune des neuf anciennes baronnies, même en étendant ce nombre jusqu'à onze ou douze, comme on le peut faire en combinant le dicton rimé avec la fausse charte d'Alain Fergent. Donc, avant 1450, il y avait en Bretagne bien plus de neuf barons, et par suite, avant cette date, l'institution prétendue des neuf barons, des « neuf anciennes baronnies », était, comme dit dom Lobineau, une chimère.

Pour échapper à cette conséquence, voici ce qu'imagine dom Morice. Selon lui, en Bretagne avant le XVème siècle, « le terme de baron n’est pas une qualité déterminée, mais un adjectif vague et indéfini ; les barons étaient tous les seigneurs, depuis le duc jusqu’au dernier des chevaliers. Les propriétaires des baronies ne se qualifiaient point barons dans leurs actes, mais simplement seigneurs de telles et telles terres » (Dom Morice, Preuves T. II, p. III). S’il en était ainsi, par où pouvait-on reconnaître les baronnies ? Comment peut-on savoir qu'il n’y en avait que neuf ? — Dom Morice répond :

« Quoique le titre de baron fût donné aux chevaliers et aux écuyers, ainsi qu’aux grands seigneurs, avant le XVème siècle, il ne s’ensuit pas de là que tous ceux qui ont été honorés de cette qualité fussent de véritables barons. Les grandes prérogatives que les Coutumes et les juriconsultes attribuent aux barons supposent nécessairement une fortune brillante pour pouvoir soutenir l’état de baron. Et comme dans tous les temps il y a eu peu de seigneurs assez riches pour soutenir cette dignité et pour en faire valoir les prérogatives, il y a eu par conséquent peu de barons et de baronies » (Dom Morice, Preuves, T. II, p. XXIV). Il explique effectivement que, suivant les Coutumes de diverses provinces de France, « la baronnie doit renfermer une ville close », et contenir en outre, selon les lois d'Angleterre, « treize fiefs de chevalerie et un tiers de fief, etc. ». Il est bien forcé de reconnaître que « la Coutume de Bretagne ne s’explique point sur l'étendue et les prérogatives des baronies » ; que tout ce qu'il en dit est tiré des « Coutumes étrangères ». La conséquence logique de cet aveu, c’est qu'on ne peut légitimement appliquer rien de tout cela à la Bretagne ; en dépit de la logique, dom Morice ajoute : « Il y a bien de l'apparence que les ducs de Bretagne avoient suivi les mêmes règles ; on pourroit même l'assurer, vu le grand nombre des chevaliers que les barons fournissaient (à l'ost du Duc) sur la fin du XIIIème siècle » (Dom Morice, Preuves, T. II, p. VII, VIII, IX).

Quand tout cela serait vrai, en quoi cela prouve-t-il qu'il y eût en Bretagne dès le XIème siècle neuf baronnies d'institution primitive et qu’il n’y en eût que neuf ? On ne le voit pas. Toute cette argumentation, échafaudée sur des conjectures gratuites, n’est pas seulement d'une insigne faiblesse ; en présence des documents invoqués par dom Morice lui-même, elle est d’une entière fausseté.

Ainsi, tout à l'heure, dom Morice nous vantait « le grand nombre de chevaliers que les barons fournissaient au duc à la fin du XIIIème siècle ». Cela veut dire apparemment que les « anciennes baronies » en fournissaient beaucoup plus que les autres seigneuries. Or, d'après le document ici visé (le Livre des Ostz du duc Jean II de 1294), six des terres qualifiées « baronies anciennes » devaient chacune à l'ost du Duc 5 chevaliers (savoir : Avaugour [Note : Le sire d'Avaugour est taxé à 10 chevaliers, mais pour les deux seigneuries de Goëllo et de Quintin, par moitié ; or Goëllo seul eût pu être au XIIIème siècle « une ancienne baronnie »], Léon, Vitré, Fougères, Retz et Rohan) ; Châteaubriant en devait 4 ; la Roche-Bernard, Ancenis, Pont-l'Abbé, 3 ; et Pont-Château 2 seulement. Si nous passons de là aux terres qui ne sont point qualifiées « baronies anciennes », nous ne trouvons dans le service d'ost de celles-ci aucune infériorité. Porhoët doit même au duc 10 chevaliers ; Donge, Rieux, Tonquédec en doivent 5 ; l'Argouët et Montfort 4 ; Lohéac, Rochefort, Rostrenen, le Fou, 3, etc. Les « baronies anciennes » n’ont de ce chef, on le voit, aucune supériorité.

Suivant dom Morice (nous venons de le dire), les baronnies de Bretagne devaient contenir une ville close, treize fiefs de chevaleries, quantité d'autres distinctions. Pour le réfuter, il suffit de considérer quelques-unes de ces « baronies anciennes ». Lanvaux était une terre de très médiocre étendue, répandue à peine en deux paroisses, Grandchamp et Pluvigner. La Hunaudaie et Coëtmen, illustres par leur origine, étaient aussi d'étendue médiocre. De ces trois baronnies aucune n’eut jamais de ville close. Pontchâteau, la Roche-Bernard, villettes l'une et l'autre, n'eurent jamais de murailles. Les conditions et distinctions obligatoires attribuées aux baronnies bretonnes par dom Morice sont donc absolument chimériques ; il en est de même de la plupart des prérogatives qu'il prête aux barons, par exemple le droit de battre monnaie et de procurer la noblesse. Et comment s'en étonner ? dom Morice prend tout cela (il l'avoue) dans des Coutumes non bretonnes, il l'applique arbitrairement à la Bretagne : il ne pouvait pas manquer de se tromper.

En fait, les terres de Bretagne qui ont été au moyen âge appelées baronnies — « anciennes » ou non — n'ont rien qui les distingue essentiellement des autres seigneuries : par leur étendue et par leurs droits, elles sont en général d'une notable importance : c'est là tout ce qu'on en peut dire.

Une erreur de dom Morice plus grave encore peut-être, c’est d'avoir affirmé à plusieurs reprises que le titre de baron était avant le XVème siècle donné en Bretagne à tous les nobles « depuis le duc jusqu’au dernier chevalier ». Assertion entièrement fausse et (qui mieux est) démentie par les documents eux-mêmes sur lesquels dom Morice s'appuie pour la justifier [Note : Les six documents des années 1185, 1205, 1209, 1235, 1239, 1352 que nous allons examiner, sont en effet formellement allégués, par dom Morice à l'appui de son assertion, Preuves, T. II, à partir des deux dernières lignes de la p. III jusqu’au bas de la p. IV], à savoir :

1° L'assise au comte Geofroi de 1185. Cette assise ayant pour objet spécial de régler les partages des baronnies, il serait assez naturel qu'il n'y fût question que des barons ; cependant, à côté d'eux et de leurs baronnies on y trouve nommés les « fiefs de chevaliers », feoda militum [Note : In baroniis et feodis militum (Dom Morice, Preuves, T. I, 705). Les baronnies étant ici opposées aux feoda militum, baro et miles sont nécessairement deux choses distinctes] : preuve qu'outre les barons il y avait une classe de gentilshommes dits milites, et que par conséquent le nom de baron ne s'appliquait pas à tous les nobles.

2° Donation de l'an 1205 faite à l’abbaye de Villeneuve par Gui de Thouars, duc de Bretagne. Le duc dit qu'il fait cette donation « cum assensu et consilio episcoporum, baronum, VAVASSORUM ET ALIORUM HOMINUM nostrorum Britanniae » (Dom Morice, Preuves, T. I, 801). A côté des barons, voici donc une autre classe de gentilshommes dit vavasseurs, et il est même bien probable que l'expression alii homines, qui suit, s'applique aussi à des nobles.

3° Autre charte du même Gui de Thouars, de l'an 1209, contenant les conditions du mariage projeté entre sa fille Alix de Bretagne, héritière du duché, et Henri, fils d'Alain, comte de Penthièvre. Quoique Gui de Thouars se réserve, sa vie durant, le gouvernement de la partie de la Bretagne comprise sous les évêchés de Quimper, de Vannes et Nantes, le jeune Henri, dès qu'il sera chevalier, devra (dit cet acte) recevoir « les hommages et les serments de fidélité de tous les barons et chevaliers de ces trois diocèses : ligentias omnium BARONUM et MILITUM habebit et fidelitates » (Dom Morice, Preuves T. I, col. 812-813).

4° Enquête de 1235, sur les usurpations commises par Pierre de Dreux, duc de Bretagne, contre les droits de ses sujets. Un témoin de cette enquête dit qu’avant Pierre de Dreux, « il était permis, non seulement aux barons, mais aussi aux autres chevaliers, de construire des forteresses sur leurs terres : BARONES non prohibebantur firmare in terris suis, NEC ALII MILITES, sicut crédit » (Ibid. 887).

Ici, comme dans la pièce précédente, la distinction est très nette entre les barons et les autres chevaliers (alii milites) qui ne sont pas barons.

5° Ordonnance du duc Jean le Roux de l'an 1239 (vieux style), ou plutôt de 1240, 10 avril, chassant les Juifs de Bretagne : ordonnance rendue, dit le duc, « sur la requête des évêques, des abbés, des barons et des vassaux de Bretagne : ad petitionem episcoporum, abbatum, BARONUM ac VASSALLORUM Britanniae » (Ibid. 914). Un peu plus loin, le texte porte : « BARONES, VASSALLI, vel alii quicumque qui debeant fidelitatem comiti Britanniae ». Et ces deux expressions barones, vassalli, reparaissent trois ou quatre fois dans la pièce. Impossible de proclamer plus clairement l'existence en Bretagne d'une classe de nobles (vassalli) qui diffèrent des barons et ne sont pas compris sous ce nom. Dom Morice n'en dit pas moins avec assurance : « Le duc Jean le Roux renferme sous la dénomination de barons tous les seigneurs de Bretagne dans l'assise qu'il fit l’an 1239 contre les Juifs » (Ibid. Preuves, T. II, p. IV  ). — ce qui est justement le contraire du vrai.

6° Pour prouver que ce nom de baron s’applique indifféremment à tous les nobles de Bretagne, il cite encore les lettres du 29 novembre 1352, par lesquelles Jeanne de Penthièvre, duchesse de Bretagne, nomme des ambassadeurs pour aller en Angleterre négocier la délivrance de Charles de Blois : et cependant la duchesse dit formellement qu'elle fait cette nomination « par l'avisement, conseil et assentement des prélats, chapitres, barons et autres nobles, et des bourgeois et habitans de nos bonnes villes de nostre duché de Bretaigne » (Ibid. Preuves, T. I, 1486).

Ainsi tous les documents invoqués par dom Morice pour établir que le titre de baron s'appliquait avant le XVème siècle à tous les nobles de Bretagne prouvent formellement le contraire. Avant de rechercher la valeur réelle de ce titre, voyons sur quels motifs dom Morice se fonde pour faire remonter l'institution des « neuf anciennes baronnies » à l'origine de la féodalité bretonne, c'est-à-dire tout au moins au commencement du XIème siècle.

« La très ancienne Coutume de Bretagne, qui fut rédigée vers l’an 1330, ne s'explique point (dit-il) sur la consistance et le nombre des baronies ; nous n’avons même aucun acte qui puisse servir à éclaircir celle matière avant l’an 1400. Mais depuis celle époque il a passé pour constant que la Bretagne avait été gouvernée dans tous les temps  par un roi ou duc, par neuf prélats et neuf barons ». Comme témoignage de cette opinion dans la première moitié du XVème siècle, tout ce qu'il peut citer, c’est un plaidoyer de 1405 pour le sire de Rieux qui se portait baron d'Ancenis ; une enquête de 1410- 1411 et une charte de 1422 pour le vicomte de Rohan qui se prétendait aussi l'un des neuf barons ; et enfin la charte archi-fausse d'Alain Fergent dont on a déjà parlé, et que dom Morice avoue avoir été fabriquée vers 1415 par l'auteur de la Chronique de Saint-Brieuc. Sur des indices aussi faibles, aussi suspects, émanant des parties intéressées, et qu'il appelle très abusivement « l'ancienne tradition », dom Morice conclut sans hésiter que l'institution des « neuf anciennes baronies de Bretagne », telle que nous l'avons décrite plus haut, avait existé « dans tous les temps » (Dom Morice, Preuves, II, p. XV et XVI).

Quand il soutenait (par ordre des Rohan) cette opinion, dom Morice venait d'imprimer les deux premiers volumes des Preuves de l'histoire de Bretagne contenant plus de douze cents pages in-folio de documents historiques antérieurs au XVème siècle. Si l'institution des « neuf anciens barons » avait existé de tout temps, ou seulement depuis le XIème siècle, comment expliquer que dans ces douze cents pages on n’en trouve pas la plus légère trace ? Ce silence constant, absolu, est déjà une péremptoire réfutation de l'opinion de dom Morice. Par le témoignage formel des documents qui remplissent ces douze cents pages nous allons montrer de plus que l'institution des neuf anciennes baronnies n’existait encore ni en 1405 ou 1415, ni en 1423, et que sa première apparition date seulement de la seconde moitié du XVème siècle (A. de La Borderie).

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