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LES BARONS DE BRETAGNE AUX XIème et XIIème siècles

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Dans le langage féodal, et même dans le texte de beaucoup de Coutumes, le baron d'un roi, d'un prince, d'un seigneur, c'est le vassal noble qui tient son fief en chef, in capite, c’est-à-dire immédiatement, de ce roi, de ce prince, de ce seigneur. Ces barons ont eux-mêmes des vassaux nobles qui relèvent d'eux directement, mais ne relèvent du roi ou du prince suzerain qu'en arrière-fief ; ces arrière-vassaux, qui forment une nombreuse classe de nobles, ne sont pas les barons du roi ou du prince. Ce sont eux qui figurent dans plusieurs textes cités plus haut sous le nom de vassalli, vavassores, nettement distingués des barons.

Les barons du duc de Bretagne, c'était donc tous les seigneurs qui tenaient leur fief directement de lui, qui lui rendaient l'hommage lige et prêtaient entre ses mains le serment de fidélité, ligentiam el fidelitatem, comme porte un acte solennel de 1209, déjà allégué (Voir Traité de mariage entre Alix de Bretagne et Henri Penthièvre, dans dom Morice, Preuves, T. I, 813). Or, le duc comptait beaucoup plus de neuf vassaux immédiats (il en avait plus de cent) ; dès lors, dans l'organisation primitive de la féodalité bretonne, aux XIème, XIIème, XIIIème et même XIVème siècles, la prétendue institution des neuf anciennes baronnies ne peut être — suivant le mot parfaitement juste de dom Lobineau — qu'une pure chimère.

Et d'autre part, bien que le nom de baron n'ait jamais été appliqué en Bretagne à tous les nobles, il l'a été quelquefois à d'autres qu’aux vassaux directs du duc ; voici comment :

La principale obligation d'un vassal à l'égard de son seigneur, c'est de lui prêter fidèle assistance en toute occasion, aussi bien en paix qu'en guerre. En guerre, par le service militaire ou service d'ost ; en paix, par le service de cour, c'est-à-dire en venant faire cortège autour du suzerain pour exécuter ses ordres, accompagner, garder sa personne, surtout rendre avec lui la justice et défendre au besoin ses jugements. C'était ce qu'on appelait garnir la cour du suzerain ; et les princes, pour faire montre de leur puissance, aimaient fort que leur cour fût bien garnie. Aussi, outre leurs vassaux directs qui devaient y figurer au premier rang, outre les principaux officiers de leur maison, sénéchal, maréchal, chancelier, etc., admettaient-ils volontiers dans leur entourage des personnes que ni leur office ni le service de fiel n’appelaient à en faire partie, qui s'y enrôlaient spontanément et pouvaient par leur richesse, leur mérite, ou seulement en faisant nombre, relever l'éclat de la cour à laquelle ils s'attachaient. Comme cette cour, en droit strict, eût dû être exclusivement garnie des vassaux immédiats du suzerain, c’est-à-dire des barons proprement dits, on étendait abusivement, mais habituellement, le nom de barons à tous ceux qui la suivaient, sans en excepter ces hors venus. Quelques exemples vont mettre ce point en lumière.

 

§ 1. — XIème siècle. Sous le duc Geofroi Ier.

En Bretagne, la mention la plus ancienne du titre de baron se rencontre dans une pièce des plus curieuses pour l'histoire de Rennes.

Les bourgeois de cette ville (cives predicte urbis), tous marchands à cette époque, ne pouvant faire une estimation certaine des produits de leur négoce de façon à en payer la dîme d’une façon exacte au chapitre de Saint-Pierre, décidèrent de la remplacer par un droit de bouteillage que le chapitre percevrait sur le vin et l'hydromel vendus dans toute la ville, même dans le fief du comte de Rennes et dans ceux des communautés religieuses. Le chapitre ayant accepté cette compensation, les bourgeois se présentèrent un dimanche dans la cathédrale pendant qu’on disait l'office, et étendant dévotement les mains vers le maître-autel, ils jurèrent pour eux et leurs successeurs de maintenir à jamais les chanoines dans la possession de ce droit. Le duc de Bretagne comte de Rennes, Geofroi Ier, « qui était présent avec sa femme la duchesse Havoise et avec ses barons » [Note : « Presente Gaufrido comite et Gallerio presule atque comitissa Haduissa, cum baronibus, Redonis, in ecclesia Sancti Pétri » (Dom Morice, Preuves, T. I, 358)], non seulement approuva l'établissement de ce droit, mais il requit l'évêque Gautier de le sanctionner en prononçant contre ceux qui en contesteraient la possession au chapitre la peine de l'excommunication, et si quelqu’un osait braver cette peine, le duc lui-même s'engagea à en faire justice.

Cette largesse aux chanoines, qui nous montre les bourgeois établissant librement dans leur ville ce que nous appelons aujourd’hui un droit d'octroi ; qui prouve par conséquent l'existence à Rennes de vestiges ou de germes très caractéristiques d'une organisation municipale ; ce fait remonte aux toutes premières années du XIème siècle, le duc Geofroi Ier étant mort en l'an 1008. L’acte (en forme de notice) constatant la libéralité des bourgeois fut dressé peu de temps après sous le duc Alain III, fils de Geofroi : il contient la liste des personnages présents avec le duc à cette curieuse cérémonie et qui portent ici, comme on l'a vu, le titre de barons. Voici cette liste dans le texte original :

« Hujus vero rei testium nomina, qui adfuerunt, hic denotantu :

1. G. vicecomes,

2. Vicarius Reallonus,

3. Herveus de Supra Portam,

4. Roialt botellarius,

5. Gerbertus de Monte Germano,

6. Tuduallus dapifer,

7. Auffredus Filgeriensis,

8. Gallerius Rabies,

9. Galterius clavicularius » (Dom Morice, Preuves, T. I, 358).

Cette liste comprend les noms de trois grands feudataires du duc de Bretagne, Guéthenoc, vicomte de Porhoët (n° 1), Rivallon le Vicaire, sire de Vitré (n° 2), Aufroi, sire de Fougères (n° 7), et d'un vassal plus modeste du comte de Rennes, Gerbert de Montgermont (n° 5) ; puis, trois officiers du duc : Rualt le bouteiller, Tudual le sénéchal, Gautier le porte-clefs (n° 4, 6, 9) ; enfin, deux personnages, Hervé de Surlaporte et Gautier La Rage (n° 3 et 8), qui, n'étant désignés que par leurs sobriquets, semblent des familiers d'ordre secondaire attachés à la maison ducale.

Malheureusement, cette liste, dans sa variété, nous éclaire peu sur le sens précis du titre de baron.

 

§ 2. — Conan II.

Voici un autre document, qui peut-être nous renseignera mieux.

En 1065, Conan II, duc de Bretagne, petit-fils de Geofroi Ier, se rendit à Blois avec une suite nombreuse pour voir le comte de cette ville appelé Thibaud, son oncle maternel. Passant par Tours, il visita la célèbre abbaye de Marmoutier, confirma à cette maison les nombreuses donations reçues par elle en Bretagne, et en retour obtint d'être associé à tous les mérites des prières et des bonnes œuvres des moines. Une charte constatant ces faits fut dressée séance tenante, dans laquelle le duc s’exprime ainsi :

« Pour que ces choses obtiennent de nos successeurs une créance plus certaine et un respect plus étroit, j’ai de ma propre main tracé le signe de la croix sur ce parchemin, en présence de mes barons qui sont ceux-ci, videntibus his baronibus meis (Dom Morice, Preuves, T. I, 408-409) :

1. Gaufredo de Medana,

2. Gaufredo Papa Bovem,

3. Silvestro filio Mainguinei,

4. Tetbaudo fratre ejus,

5. Herveo forestario,

6. Gilone filio Ansquitini,

7. Auffredo filio Alani de Rius,

8. Roaldo fratre ejus,

9. Evano filio Radulfi Largi,

10. Carioc filio Caradoci,

11. Mainfinito de Namnetis,

12. Alberico de Ver,

13. Herveo filio Rodaldi,

14. Rivallono filio Frioli,

15. Ascot filio Rodaldi, vicecomitis de Namnetis,

16. Widone de Sablolio,

17. Grossardo filio Martini,

18. Papino de Raheriis,

19. Quinol de Léon,

20. Artur de Servum,

21. Suhardo de Acineio,

22. Heloc filio Rivallonii,

23. Normanno citharedo,

24. Judiquello filio Juhalis,

25. Maiguinoeïo Britone,

26. Hugone filio Frotgerii,

27. Bernone coquo,

28. Eudone filio Doallonii,

29. Haimone filio Odelini,

30. Herveo fratre ejus ».

Dans ces trente personnages composant la suite de Conan II on en reconnaît assez facilement une dizaine comme membres de familles nobles dont les fiefs, plus ou moins considérables, relevaient directement du duc, — par exemple, des seigneurs de la Guerche (n° 3 et 4), de Châteaugiron (n° 6), de Rieux (n° 7, 8), de Ver près d'Ancenis (n° 12), de Donge (n° 15), de Léon, de Servon, d'Acigné (n° 19 à 21). Hervé fils de Rouaud (n° 13) pouvait bien appartenir aux seigneurs du Pélerin, et Mainfinit de Nantes (n° 11) était un personnage d'importance qu'on retrouve souvent dans les actes de ce temps. A ceux-là, comme vassaux directs du duc, le nom de baron convient très bien.

Mais à côté d'eux il y a au moins deux seigneurs non bretons, Geofroi de Mayenne et Gui de Sablé (n° 1 et 16) ; il y a des officiers du duc de qualité très diverse, Hervé le forestier, Norman le harpiste ou plutôt le barde du duc qui accompagnait ses chants avec la harpe (citharedus), Bernon le cuisinier (n° 5, 23, 27) : si l'office de forestier était habituellement important, celui de barde l'est moins et celui de queux ne l'est guère.

Enfin, dans les treize personnages qui restent, dont on ne peut déterminer ni la profession ni la famille, il se trouvait sans doute quelques hommes puissants comme ce Papebeuf qui, malgré son étrange sobriquet, est nommé le second, et encore Even, fils de Raoul le Large (n° 9). Mais d'autres, la plupart probablement, étaient de petite noblesse, de petite fortune et ne tenaient pas du duc in capite. On est surtout frappé du nombre et du caractère accentué des noms bretons : Carioc fils de Caradoc, Rivallon fils de Friol, Heloc fils de Rivallon, Judicaël fils de Juhal, Mainguinoé le Breton, Eon fils de Doallon (n° 10, 14, 22, 24, 25, 28). Ne dirait-on pas une escouade de gardes du corps, mandés exprès par le duc du fond de la Bretagne bretonnante pour entourer sa personne ?

Quoi qu'il en soit, petits ou grands, vassaux ou non, Bretons ou étrangers, il n'y a pas à contester, le duc les appelle tous ses barons, baronibus meis. La seule qualité que ces personnages fort divers aient en commun, c'est d'accompagner le duc à Marmoutier ; c'est donc pour cela qu'il les appelle tous pareillement : mes barons. En effet, du moment où il les a admis en sa compagnie, ils font partie de son cortège, ils garnissent sa cour : cela suffit pour que, au moins, en cette circonstance, ils soient assimilés aux vassaux in capite dont c'est là le droit et le devoir essentiel, et comme eux parés du nom de barons.

Voilà au XIème siècle, dans les chartes de Bretagne, la véritable signification, la véritable valeur de ce titre.

 

§ 3. — XIIème siècle. Alain Fergent (vers 1110).

Autre exemple. Vers l'an 1110, Alain Fergent, duc de Bretagne, donna aux moines de Marmoutier une forêt dite du Puits-Arlèse (forestam de Puteo Arlesii), située au pays nantais, en la paroisse de Carquefou. Cette libéralité fut d'abord faite à Aurai (Auray) sans aucune solennité, en présence de quelques témoins d'ordre secondaire dont aucun n'était Nantais. Mais la donation étant de première importance, le duc, venu a Nantes peu après, jugea nécessaire de la renouveler en forme plus solennelle, en présence de ses barons :

« Visum est ipsi Comiti [Note : Comiti Britanniœ : c'est le duc de Bretagne, qui prenait ce titre ou celui de duc, indifféremment] ut in conspectu baronum suorum, qui plures aderant, deberet hoc donum quod fecerat confirmare ».

Il déclara même que si quelqu'un se croyait lésé par cette donation, il n’avait qu'à présenter sa plainte, il la jugerait sur l'heure [Note : « Et dixit quod si quis sciret quidquam juris in hac sua reclamare elemosyna, ibi diceret in presenti, et ipse Comes teneret et super illa reclamatione judicium » (Dom Morice, Preuves, T. I, 523)]. Sa cour était en effet assez garnie, en d'autres termes, il avait autour de lui assez de barons pour constituer un tribunal féodal dont nul n'eût pu décliner la compétence. Mais personne ne réclama, le duc confirma sa donation sans obstacle. L'acte qui la relate contient les noms des barons présents, d'abord ceux du comté de Nantes :

« Huic tam quiete confirmationi interfuerunt hi proceres Nannetenses :

1. Alanus de Maidon (seigneur de Moisdon, près de Châteaubriant),

2. Rivallonius Popardus,

3. Guido de Daona,

4. Freor filius Bugaudi,

5. Paganus filius Restaneti,

6. Simon Tosardus,

7. Harscoidus de Sancto Petro (seigneur de Saint-Père en Retz),

8. Judicalis de Peregrino (seigneur du Pèlerin),

9. Freor de Migron (seigneur du Migron et de Frossai),

10. Evanus prepositus (probablement le prévôt de Nantes).

« Hi Nannetenses (continue l'acte de cette donation) ; barones vero forinseci, qui tunc erant cum Comite et hoc viderunt, hi sunt ».

C'est-à-dire : « Ceux qu'on vient de nommer sont des Nantais, mais le duc avait aussi avec lui des barons étrangers au comté de Nantes. Voici leurs noms :

11. Galterius Spina,

12. Macarius,

13. Matheus filius Alveredi,

14. Roaldus de Guinnan (seigneur de Guignen ?),

15. Oliverius filius Eudonis,

16. Mathias filius Budici,

17. Hugo siniscalcus,

18. Mainguidus filius Homnesii ».

Les seigneuries de Saint-Père en Retz, du Pèlerin, de Migron ou Frossai, sans être de premier ordre, faisaient dans le pays nantais assez bonne figure ; Moisdon et Guignen n'étaient guère considérables ; quant aux autres personnages ici nommés (les Tousard, les Poupard, etc.), la plupart, braves guerriers sans doute, ne semblent pas de bien gros seigneurs. Cependant, on le voit, tous sont pareillement qualifiés barons par le duc, parce que tous garnissent sa cour, tous sont prêts à juger avec lui et à soutenir son jugement.

Nous n’en avons pas encore fini avec cette donation et les barons qui y furent mêlés.

Guillaume, abbé de Marmoutier, étant venu à Nantes vers le même temps, le duc Alain Fergent, accompagné de ses deux fils Conan et Geofroi, le mena lui-même dans la forêt de Puits-Arlèse, lui en fit parcourir les divers quartiers, et l'en mit en possession réelle. Mais, quand après cette investiture solennelle le duc fut revenu à Nantes, deux des témoins qui avaient assisté sans souffler mot à la précédente confirmation, Alain de Moisdon et Harscoët de Saint-Père en Retz, s'avisèrent d'élever des prétentions sur la forêt de Puits-Arlèse et de contester la légitimité de la donation faite par le duc. Celui-ci les invita à exposer leurs raisons, leurs revendications, offrant, comme la première fois, d'en faire le jugement de suite avec les barons qui l'entouraient. Les deux chicaneurs s'y refusèrent, sans toutefois renoncer à leur chicane. Estimant qu'en leur offrant le jugement il leur avait donné toute satisfaction, le duc passa outre et confirma de nouveau sa donation en présence des barons qui à ce moment garnissaient sa cour [Note : « Tunc quidam ex illis qui alteri concessioni interfuerant nichilque contradixerant, calumniari coeperunt, Alanus scilicet de Maidon et Harscoitus de Sancto Petro. Comes, audita calumnia, optulit eis judicium tenere, quod ipsi nec recipere voluerunt nec audire. Comes, satisfecisse se credens quod judicium eis optulisset cum illi recipere noluissent, doni confirmationem sicut coeperat prosequitur » (Dom Morice, Preuves, T. I, col. 524)]. La relation authentique de tous ces faits les nomme en ces termes :

« Hoc viderunt et audierunt DE BARONIBUS COMITIS ISTI :

1. Mauricius de Ancenisio (seigneur d'Ancenis),

2. Brientius senex (seigneur de Châteaubriant),

3. Daniel filius Jarnigoii (seigneur de Pontchâteau),

4. Guillelmus siniscalcus,

5. Rodaldus de Guinnan (seigneur de Guignen),

6. Hugo siniscalcus,

7. Gaufredus filius Rainaldi,

8. Joscelinus de Paneceaco (seigneur de Pannecé),

9. Gestinus de Mesengeio (seigneur de Mésanger),

10. Herveus filius Eoharni,

11. Oliverius filius Brientii (des seigneurs de Châteaubriant),

12. Herveus de Oldon (seigneur d'Oudon),

13. Februarius de Martio (seigneur du Petit-Mars) ».

Ici, on peut déterminer les fiefs tenus par presque tous ces barons. Ancenis, Châteaubriant étaient de très grandes seigneuries ; Pontchâteau, Oudon, avec moins d'étendue, n'avaient guère moins d'importance à cause de leur situation sur la Loire. Les terres de Pannecé, Mésanger, Petit-Mars, relevaient immédiatement d'Ancenis et n'étaient que des arrière-fiefs du comté de Nantes. Sans doute ces petits seigneurs étaient là à la suite de leur suzerain, le sire d'Ancenis : néanmoins, comme pour l'instant ils contribuent à garnir la cour du comte de Nantes, ils sont explicitement qualifiés barons du comte : de baronibus comitis isti.

 

§ 4. — Sous le duc Conan III. (1112 à 1148).

Comme on ne peut jeter trop de jour sur une matière si controversée et encore passablement obscure, on voudra bien me permettre quelques autres citations.

En 1112, Alain Fergent, duc de Bretagne, se démit du pouvoir et se retira dans l'abbaye de Redon pour vaquer à son salut. Toutefois il ne se fit pas moine, et dans cette retraite il était toujours traité en prince. Pour pourvoir à l'entretien d'un tel personnage (in sumptibus tam solemnis personae), l'abbaye avait de grands frais à faire. Le fils d'Alain, Conan III, devenu duc par cette abdication, voulut l'en dédommager par quelques largesses, qu'il fit après avoir pris le conseil de sa mère et des barons alors présents auprès de lui à Redon (habito consilio, dit le duc, cum domina et matre Ermengarde Comitissa et cum BARONIBUS MEIS). D'après l'acte de donation, ces barons sont :

« 1. Oliverius filius Gaufridi Dinannensis (seigneur de Dinan),

2. Simon filius Bernardi (seigneur de la Roche-Bernard),

3. Gauterius Spina,

4. Paganus filius Roaldi (seigneur de Donge),

5. Arsmel de Ploiasmel (Ploërmel),

6. Mengui filius Omnesii,

7. Guillelmus dapifer,

8. Macharius de Mota,

9. Guehenocus de Rex (seigneur de Rieux) cum multa militum ejus familia ». (Dom Morice, Preuves, T. I, 526).

Le personnage n° 5 est un peu énigmatique, car Ploërmel, sous le règne de Conan III, était domaine ducal [Note : Selon M. de Courcy (Nobiliaire de Bretagne, 3ème édition, II, 400), Ploërmel ne serait entré dans le domaine ducal qu’en 1148, par suite du mariage d'Eudon II, vicomte de Porhoët, avec Berthe, fille de Conan III. C’est une erreur. Ploërmel appartenait au duc avant 1143 ; voir A. de la Borderie. Recueil d’actes inédits des ducs de Bretagne (1888), p. 74, n° XXXI. D’ailleurs, jamais cette ville ne fit partie du comté ou vicomté de Porhoët] et ne pouvait dès lors avoir de seigneur particulier ; toutefois, comme nous sommes ici au début du règne de Conan III. on peut admettre que cet Armel est justement le dernier sire de Ploërmel, qui céda cette seigneurie au duc. Dans les n° 3, 6, 8, nous retrouvons les mêmes personnages, les mêmes barons, présents à la première confirmation de la donation de Puits-Arlèse sous les n° 11, 12, 18 ; et le n° 7 ci-dessus (Guillelmus dapifer) est le n° 4 (Guillelmus siniscalcus) de la seconde confirmation, les deux titres étant synonymes. On doit voir dans ces quatre personnages des officiers ou des familiers de la maison ducale, qui suivaient le duc partout.

En 1127, l'église abbatiale de Redon fut l'objet d’une déplorable profanation. Des brigands, probablement même certains seigneurs du comté nantais, s’y étaient retranchés, y avaient soutenu un siège, et le lieu saint à demi-ruiné, avait été de toute façon odieusement pollué. L'édifice ayant été restauré, il fallut procéder à la réconciliation de l'église et à la consécration d'un nouvel autel. Cette cérémonie fut célébrée avec une grande pompe, le 23 octobre 1127, par Gérard, évêque d'Angoulême, légat du pape, et par l'archevêque de Tours, en présence de tous les évêques bretons, du duc Conan III, d'une foule énorme de peuple et de beaucoup de seigneurs, entre autres, les barons (optimates) qui suivent :

« Adstante (dit la relation officielle) Conano principe cum matre sua Ermengarde et optimatibus suis multis, id est (Dom Morice, Preuves, T. I, 557 ; Cartulaire de Redon, n° 347, p. 299) :

1. Gaufrido et Alano, Porroitensibus proconsulibus (vicomtes de Porhoët),

2. Eveno Elevennensi (seigneur d'Elven ou de L'Argouët),

3. Jarnogone filio Rioci (seigneur de Rochefort),

4. Pagano Malestriti (seigneur de Malestroit),

5. Guethenoco Reensi (seigneur de Rieux),

6. Oliverio Puntensi (seigneur de Pont-Château),

7. Savario Dungensi (seigneur de Donge),

8. Garsirio Rudiensi cum filio suo Harcuido (seigneur de Rais ou Retz),

9. Guethenoco Anciniensi (seigneur d'Ancenis),

10. Gaufrido Castelli Brientii (seigneur de Châteaubriant),

11. Senebruno Bainensi (seigneur de Bain),

12. Haimone Guirchiensi (seigneur de la Guerche),

13. Radulfo Monfortensi  (seigneur de Montfort) ».

Ici nous n'avons que des possesseurs de grandes seigneuries : on a réservé le titre d'optimates, c’est-à-dire de barons, aux grands feudataires présents relevant immédiatement du duc : c'est donc là que nous devrions trouver l'institution des « neuf anciennes baronies », si elle eût, comme on le prétend, existé dès lors. Mais voyez le malheur ! Sur treize seigneuries baronales ici dénommées, nous n’avons que quatre de celles dites « anciennes baronies » ; les neuf autres n’ont jamais été admises dans cette catégorie, et pourtant elles sont ici tout à fait sur le même pied. Preuve nouvelle et palpable de la chimère des « neuf baronies anciennes ».

Voici un autre fait, toujours sous le duc Conan III, qui nous présente les barons sous un autre aspect, dans l'exercice de leur principale fonction féodale, la fonction judiciaire.

Vers l'an 1135, une querelle s'éleva entre les hommes de la châtellenie du Pallet et le prieuré de Saint-Martin de Vertou, au sujet de la dîme que ceux-là devaient payer à ce monastère. Depuis quelque temps le pays avait été planté de vignes, dont les possesseurs refusaient la dîme aux moines. Ceux-ci s’étant plaints au duc Conan III, il se rendit lui-même sur les lieux litigieux, c’est-à-dire au Pallet, pour y tenir son tribunal et statuer sur cette plainte. Voici comme le prince lui-même, dans la charte où il promulgue le jugement, rend compte de l’instance :

« Les barons qui étaient alors avec moi dans ma cour entendirent les raisons des deux parties, c’est-à-dire des moines et de leurs contradicteurs ; et puisque les chevaliers de cette châtellenie ne refusaient point de payer aux moines le terrage de leurs récoltes en blé, les barons jugèrent qu’ils devaient leur payer pour leurs vignes la même redevance et les indemniser du passé à mon estimation. Ce jugement rendu en ma présence, sous les yeux et par la décision de ceux dont les noms suivent et de beaucoup d’autres, je l’ai fait munir de mon sceau » [Note : « Barones vero qui tunc temporis in curia mecum aderant, audita utriusque partis ratione, monachorum videlicet et eis contradicentium, sicuti de messibus, unde milites minime contradicebant, terragium caeteraque jura supradictis monachis reddere solebant, sic de vineis reddi judicaverunt, et quantum de jure illorum vi et injuste diu retinuerant, cum emendatione mea redderent. Hoc judicium in mea praesentia factum, videntibus et judicantibus his quorum nomina in hac pagina subtus scribuntur aliisque compluribus, sigillo meo munire decrevi. + Signum Hoelli filii Comitis, » etc., comme ci-dessus (A. de la Borderie, Recueil d'actes inédits des ducs de Bretagne, n° 41, p. 85)]. Suivent les souscriptions ainsi annoncées, à savoir :

1°. Signum Hoellifilii Comitis.

2°. Signum Conani Comitis.

3°. S. Gestini de Aurai.

4°. Hayi de Guirchia.

5°. S. Radulphi Archiepiscopi.

6°. S. Men de Guerrandia.

7° S. Samsonis de Haleia.

8°. S. Horri de Molendinis.

Donc, d'après la teneur de cet acte, le jugement fut rendu par ceux qui, avec les deux princes (Conan III et son fils Hoël) l'ont souscrit ; c'est à eux que s'applique ici exclusivement le titre de baron. Il y eut, il est vrai, d'autres assistants ; ils furent simplement témoins du fait, sans prendre part au jugement ; au lieu d'être qualifiés barons et individuellement dénommés, ils sont négligemment englobés sous la vague appellation : complures alii.

Quant aux barons, c’est-à-dire aux personnages qui jugent avec le duc, ils ne sont que six, et sauf un (Hay, sire de la Guerche, n° 4 ci-dessus), ils sont loin d'être de grands feudataires. Horri de Moulins (n° 8, voisin de la Guerche, devait être vassal du sire de Vitré. La Halaie (dit aujourd'hui le Hallai) était un petit fief de la paroisse de la Haie-Fouacière, limitrophe de Vertou (n° 7). — Men ou Main de Guérande (n° 6) n’était point inféodé de la grande châtellenie de Guérande, possédée de tout temps par le comte de Nantes ; il en était seulement l'intendant, l'administrateur pour le compte du duc, comme on le voit dans une charte de Conan III de l'an 1129 pour Fontevraud, où ce prince le nomme « Men, serviens meus de Garranda » [Note : Dans dom Morice, Preuves, T. I, 560. On le trouve comme témoin dans plusieurs autres chartes du duc Conan III, l'une de 1132 à 1146 pour l'abbaye de Tiron, une autre de 1143 à 1146 pour l'abbaye de Marmoutier, une troisième pour le prieuré de Machecoul, dans A. de la Borderie, Recueil d'actes inédits des ducs de Bretagne, n° 35, 36, 40, p. 76, 77, 84]. — Gestin d'Aurai (n° 3) jouait très probablement dans la châtellenie ducale d'Aurai le même rôle que Main de Guérande à Guérande. Nous le voyons, lui aussi, figurer auprès de Conan III dans beaucoup de chartes de ce duc, notamment aux années 1128, 1132, 1136, 1138 et 1139. Cela montre son crédit auprès du duc, dont il était un familier et sans doute un serviteur important [Note : An. 1128, Gestinus de Aurai (A. de la Borderie, Recueil d'actes inédits des ducs de Bretagne, p 90). 1132, G. de Aradio (Dom Morice, Preuves, T. I, 566). 1136, G. de Auraio (Ibid. 574). 1138, G. de Aradio (Ibid. 677). 1139, G. de Auray (Ibid. 579). 1112-1148, G de Aurasio (Recueil d'actes inédits des ducs du Bretagne, p. 84)]. — Le dernier, Raoul L’Archevêque (n° 5), n'était pas de race bretonne, mais poitevine, de cette famille célèbre des L’Archevêque qui furent seigneurs de Parthenai (Parthenay) ; on peut croire toutefois qu’il possédait quelque fief au pays de Nantes.

Par la fortune, par la situation sociale, féodale, même par la race, ces six personnages ne se ressemblent guère. Mais tous ils garnissent la cour du duc de Bretagne, ils tiennent son tribunal et rendent sa justice. Dès lors tous six, dans cette fonction, dans cette circonstance, sont barons du duc, ou, ce qui est la même chose, barons de Bretagne. Cette institution, on le voit, n’a rien de commun avec la chimère des « neuf anciennes baronies ».

Ce titre de « barons de Bretagne » se trouve en effet sous cette forme dans plusieurs actes du XIIème siècle. En 1146. Conan III, au pied d’une donation de médiocre importance faite à l'abbaye de Saint-Florent de Saumur, date et atteste ainsi cet acte :

« Fait en l'abbaye de Saint-Sulpice, en la chapelle Notre-Dame qui est sur l'étang, l'an de l'Incarnation 1146. Là même où fut faite celle donation étaient présents beaucoup de barons de Bretagne que j’avais convoqués en assemblée ». Malheureusement de ces barons il n’en nomme que quatre : Henri de Fougères, Rolland de Retz, Guillaume de Saint-Etienne, Raoul L'Hermite [Note : « Actum est hoc Sancto Sulpitio, in capella Sanctae Mariae que est super stagnum, anno ab Inc Domini M. C. XLVI. Illuc etiam, ubi hoc factum est, présentes erant barones Britanniae plurimi quos ad colloquium congregaveram, scilicet Henricus Fulgeriensis, Rollandus de Resis, Guillelmus de Sancto Stephano, Radulfus Heremita, pluresque alii » (Dom Morice, Preuves, T. I, 597 ; et A. de la Borderie, Recueil d'actes inédits des ducs de Bretagne, p 81)] et se borne à ajouter : « et beaucoup d’autres, pluresque alii ». Ces quatre noms suffisent toutefois à montrer qu'ici encore il ne s’agit nullement des « neuf anciennes baronies », avec lesquelles Guillaume de Saint-Etienne et Raoul L'Ermite n’ont rien de commun.

 

§ 5. — Sous Conan IV. (1158 à 1160).

Les actes du duc Conan IV, petit-fils de Conan III mentionnent fréquemment les barons.

En 1158, par exemple, nous voyons ce prince confirmer les plus importants privilèges de l'abbaye de Saint-Melaine de Rennes. Celle confirmation a lieu en cette ville, dans le palais épiscopal. Le duc est là entouré de ses barons, tenant conseil avec eux, et c’est justement par leur conseil qu’il fait aux moines cette largesse : « Consilio baronum meorum et assensu matris meae ».

Ces barons, l’acte les nomme comme témoins, ce sont :

« 1°. Rudulfus Filgeriensis, qui hoc etiam postulaverunt et laudaverunt.

2°. Rollandus de Dinan, qui hoc etiam postulaverunt et laudaverunt.

3°. Hamo de Boterel, dapifer, qui hoc etiam postulaverunt et laudaverunt.

4°. Guido dapifer.

5°. Philippus de Campania.

6°. Oliverius de Apinneio.

7°. Tebaldus de Chanpes.

8°. Gallerius de Sellan.

9°. Leones.

10. Henricus de Castelerio.

11°. Robertus de Givresié.

12°. Guillelmus de Lencé.

13°. Herveus de Guité » (Dom Morice, Preuves, T. I, 632).

Nous trouvons là, en tête des barons, deux des principaux seigneurs de Bretagne, les sires de Fougères et de Dinan, puis les deux sénéchaux de la maison ducale (n° 3 et 4). Les neuf personnages qui suivent sont assurément des seigneurs d'importance secondaire ; je ne puis identifier les deux fiefs des n° 5 et 8. Le n° 7 doit être probablement lu Champos ou Champeaux [Note : Dans plusieurs actes de cette époque on trouve un Thébaud de Champeaux].

Henri du Châtellier (n° 10), Gautier de Sellan ou Serland et Léonès (n° 8 et 9) figurent dans d'autres actes du temps comme vassaux du seigneur de Fougères [Note : Toutefois, peut-être s'agit-il ici de la seigneurie du Chastelier d'Eréac (en Eréac) qui relevait directement du duc] ; Guitté (n° 13) relevait de Bécherel, c’est-à-dire de Roland de Dinan. Apigné, Gevezé, Lencè (n° 6, 11 et 12), fiefs anciens, mais de médiocre importance, aux environs de Rennes [Note : Apigné, village de la commune du Rheu, canton de Mordelle, arrondissement de Rennes. Lencè ou Lancé, village de la commune de Noyal sur Seiche, canton S.-0. de Rennes]. — Les trois premiers seigneurs proposèrent la mesure, les autres délibérèrent et adoptèrent. Mais tous, garnissant la cour du duc et appelés à son conseil, sont ici au même titre ses barons. C’est donc toujours le même système et la même institution.

Sous le règne de Conan IV (1156-1171) on attribuait donc encore au nom de baron exactement le même sens qu’au XIème siècle ; mais sous ce règne on commença aussi à l’employer d’une façon nouvelle, inusitée jusque là, et qui tendait à en modifier, à en restreindre la signification.

Jusqu’ici, nous l'avons vu, le nom de baron était exclusivement appliqué à tous ceux qui, dans une circonstance donnée, garnissaient actuellement la cour du duc, d'abord aux vassaux du duc tenant de lui in capite parce que leur assistance à sa cour était pour eux un droit et un devoir, puis aux autres personnes qui, en qualité de conseillers ou de familiers, y étaient admises par le duc, dont le bon plaisir à cet égard semble s'être exercé pendant longtemps en toute liberté.

Conan IV, protégé des Anglais, imitait volontiers leurs usages. En tête de leurs ordonnances, les rois d'Angleterre plaçaient de longues formules de salutation adressées à tous leurs officiers, aux diverses classes de la nation, etc., formules jusqu’à ce moment inconnues en Bretagne, mais inaugurées, à l'instar des Anglais, par Conan IV, qui les mit dans presque tous ses actes. Et dans toutes ces formules il nomme les barons. En voici quelques exemples : « Conanus, dux Britanniae, comes Richemondiae, omnibus episcopis, clericis, baronibus, MILITIBUS, et omnibus hominibus lotius Britanniae salutem » [Note : Donation à l'abbaye de Savigni, dans dom Morice, Preuves, T. I, 644].

Cette formule initiale, dont la tournure générale est toujours la même, varie souvent dans les termes ; en tête des actes relatifs aux domaines anglais du comté de Richemont, elle est plus compliquée, comme celle-ci : « Conanus, dux Brit., comes Rich., dapifero suo et constabulario suo et camerario, ET OMNIBUS BARONIBUS SUIS, et omnibus MILITIBUS suis et omnibus hominibus suis Francis et Anglicis salutem » [Note : Don de la terre de Wath (en Angleterre) à l'abbaye du Mont-Saint-Michel, dans A. de la Borderie, Recueil d’actes inédits des ducs de Bretagne, n° 52, p. 110].

Citons encore la formule initiale de la confirmation faite par Conan IV à l'abbaye de Bégar (Bégard) de tous les dons qu’elle avait reçus de son père : « C. dux Brit., comes Rich., OMNIBUS BARONIBUS SUIS et dapiferis, constabulariis et omnibus ministris et hominibus suis Francis et Anglis atque Britonibus salutem » [Note : Dom Morice, Preuves, T. I, 634. Voir des formules analogues. Ibid. 657, 662, 663, et dans A. de la Borderie, Recueil d'actes inédits des ducs de Bretagne, n° 54 et 55, p. 112 et 113].

Jamais, on le voit, Conan IV dans cette formule n’oublie les barons ; presque toujours il les oppose aux chevaliers (militibus), et souvent il les appelle les barons « de toute la Bretagne ».

Ainsi employée, cette expression a une tout autre valeur que quand on l'applique exclusivement aux personnages qui à un moment donné garnissent la cour du duc. Ici le duc s'adresse, sous le nom de barons, à tous les principaux feudataires dont les fiels relèvent de lui immédiatement dans toute l'étendue de la Bretagne ; et en les distinguant des simples chevaliers (milites), il les considère comme formant une première classe dans l'ordre de la noblesse, mais une première classe (nous l'avons déjà vu et nous le verrons encore) qui a bien plus de neuf membres et ne ressemble en rien par conséquent à la prétendue institution des « neuf anciennes baronies ».

 

§ 6. — Fin du XIIème siècle. — Sous Geofroi II et sous la duchesse Constance. (1180 à 1198).

Le duc Geofroi II, successeur de Conan IV, fils du roi d'Angleterre Henri II, employa aussi parfois, mais moins souvent que Conan IV, des formules de salutation analogues à celles qu'on vient de citer [Note : Charte pour les religieuses du prieuré de Saint Cyr de Nantes, dans le Recueil d'actes inédits des ducs de Bretagne, n° 59, p. 117-118 ; chartes pour l'abbaye de Buzai (Buzay) dans dom Morice, Preuves, T. I, 679, 707].

Le règne de ce duc nous offre, on le sait, un des monuments des plus importants pour l'histoire des barons, des baronnies et de toute la féodalité bretonne : c'est la célèbre ordonnance rendue par lui en 1185, connue sous le nom d'assise au comte Geofroi, par laquelle il est interdit de partager entre frères, en plusieurs lots, les seigneuries tenues par les barons et les terres tenues par les chevaliers, c'est-à-dire par les nobles autres que les barons : deux classes de fiefs que l'assise distingue par deux noms divers, quand elle dit : « In BARONIIS et in feodis MILITUM ».

C'est la première fois que l'on trouve en Bretagne le nom de baronnie employé officiellement pour qualifier une terre. Jusque-là, il y avait des barons, ces barons possédaient des fiefs, des seigneuries, mais ces seigneuries n'avaient point de titre spécial. Le titre baronal ne s’appliquait qu'aux personnes, non aux terres. C’est donc le baron qui en communiquant son titre à sa terre a fait la baronnie, et non la baronnie qui a fait le baron : encore une contradiction essentielle au système de dom Morice et des « neuf baronies ».

Si l'assise au comte Geofroi s'était avisée de donner la nomenclature des terres de Bretagne dites à cette époque baroniae et pour qui surtout elle était faite, elle nous eût rendu un grand service. Elle ne l'a point fait ; mais, puis­qu'elle déclare elle-même avoir été rendue à la requête de tous les barons de Bretagne (petitioni episcoporum et baronum omnium Britanniae satisfaciens), les seigneurs qui l'ont souscrite comme témoins sont certainement des barons, savoir :

« Testibus

1. Radulfo de Fulgeriis (Fougères),

2. Comite Eudone (Porhoët),

3. Alano de Rohan (Rohan),

4. Alano, filio Comitis (Goëllo),

5. Henrico, filio altérius,

6. Rollando de Dinan » (Dinan).

Nous savons en outre que des exemplaires de cette assise lurent adressés à plusieurs seigneurs de Bretagne ; au dernier siècle on n’en conservait plus que sept, trois destinés à trois des seigneurs ci-dessus (Porhoët, Rohan et Dinan), et quatre à :

7 André de Vitré,

8 Le sire de Châteaubriant,

9 Jacques et Alain de Châteaugiron,

10 Guiomar de Léon.

Voilà donc dix des seigneurs qui figuraient, selon l'assise de 1185, parmi les barons de Bretagne et dont les terres sont comprises par elle sous le titre de baronies. Or de ces baronnies de l'assise, quatre seulement se retrouvent parmi les neuf baronnies dites « anciennes », à savoir : Fougères, Vitré, Châteaubriant et Léon (n° 1, 7, 8, 10). Les cinq autres, Porhoët, Rohan, Goëllo, Dinan et Châteaugiron (n° 2, 3, 4, 6, 9), n'en étaient pas moins, avec beaucoup d'autres, au XIIème siècle, tenues et réputées baronnies : nouvel échec au système des « neuf anciennes ».

Entre 1173 et 1180, les abbayes de Saint-Melaine de Rennes et de Notre-Dame du Pontpilard (ou Beaulieu en Mégrit, près de Dinan) s'étant disputé la possession de l'église paroissiale de Plumaudan, un accord intervint, qui (dit l'acte original) fut conclu, grâce à l'intervention du duc de Bretagne, de Roland de Dinan, d'André de Vitré et de plusieurs autres barons : « Interventu Gaufridi ducis Britanniae et Rollandi de Dinan et Andreae de Vitreio et aliorum baronum » (Dom Morice, Preuves, T.  I. 700, et Recueil d'actes inédits des ducs de Bretagne, p. 117, notes 5 et 7).

En 1187, Constance, duchesse-régente de Bretagne, pour établir les droits de l'abbaye de Saint-Gildas de Ruis, s'en réfère au témoignage des chevaliers et des barons du comté de Vannes (testimonium militum et BARONUM comitatus) (A. de la Borderie, Recueil d'actes inédits des ducs de Bretagne, p. 120, n° 61).

En 1193, c'est à la prière et sur le conseil de ses barons et de ses chevaliers (precibus el consilio BARONUM et militum meorum) qu'elle confirme l'abbaye de Saint-Melaine de Rennes dans la possession de tous ses biens (Dom Morice, p. 123-124, n° 63).

Cinq ans après (1198), en ratifiant un traité assez compliqué de devoir féodal conclu entre le sire de Vitré et celui de la Guerche, la même princesse donne aux deux contractants le titre de barons : « Volui et concessi pacem Andreae de Vitreio et Guillelmi de Guirchia, praedictorum baronum » (Dom Morice, Preuves, T. I, 730-731).

Dans tous ces actes, le titre de baron n'est point appliqué à des personnages garnissant actuellement la cour du duc de Bretagne, comme c'était, nous l'avons vu, l'usage constant du XIème siècle et de la première partie du XIIème. Ici, ceux à qui on l'attribue, quoique répandus dans toute la Bretagne, forment une collectivité qu’on oppose aux milites, c'est-à-dire aux autres membres de la noblesse, dont les barons sont en quelque sorte le premier rang.

C'est en suivant cette idée que le pape Innocent III, en 1199, notifiant aux Bretons la sentence pontificale qui venait de supprimer la métropole de Dol, s’exprime ainsi : « lnnocentius episcopus, servus servorum Dei, dilectis filiis, nobili C. (Constantiae) comitissae, et nobilibus viris, A. (Arturo) filio ejus et universis baronibus Britanniae, salutem et apostolicam benediclionem » (Dom Morice, Preuves, T. I, 768).

Au XIème siècle, au commencement du XIIème, les vassaux in capite étaient seulement les barons du duc, ce nom de baron ne leur étant donné qu'à raison de leurs relations personnelles avec le suzerain ; à la fin du XIIème siècle ils sont encore cela, mais de plus ils forment entre eux une classe, la première de l'ordre de la noblesse : ils sont devenus les barons de Bretagne (A. de La Borderie).

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