Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

LES BARONS DES BARONS

  Retour page d'accueil       Retour "Barons de Bretagne"   

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Un fait très indicatif de la valeur et de la signification réelle du nom de baron en Bretagne aux XIème et XIIème siècles, c'est que les barons du duc avaient eux-mêmes leurs barons, lesquels étaient leurs vassaux directs ou même des personnages qui, sans tenir à eux par le lien de la vassalité, se trouvaient actuellement près d'eux, dans leur entourage, dans leur cour ou dans leur armée féodale.

Non seulement les comtes de Léon, de Tréguer, de Penthièvre, les vicomtes de Porhoët et de Rohan avaient leurs barons. Il en était de même, d'après nos chartes, des sires de Fougères, de Vitré, de Dinan, de Montfort, de la Guerche, de Combour et de beaucoup d'autres.

§ 1. — Combour.

Ainsi, à Combour, aux dernières années du XIème siècle, les moines de Marmoutier, ayant reçu d'un clerc appelé Guimond la concession de droits ecclésiastiques assez importants, voulurent un jour faire ratifier cette donation par Gilduin, seigneur de Combour. Celui-ci, en guerre alors contre son voisin Geofroi de Dinan, était allé avec une grosse troupe faire une razzia sur les terres de ce dernier dans la châtellenie de Bécherel, où il avait saccagé et incendié, entre autres, la paroisse de Trefermel (aujourd’hui Tréfumel).

Les moines guettèrent le retour de l'ost féodal, « et quand nous vîmes » (dit la relation officielle du fait) « quand nous vîmes Guildin et ses barons  revenant de leur expédition chargés de butin, nous les fîmes entrer tous ensemble dans notre verger. Là, en présence de Gilduin et de ses barons, Guimond renouvela sa donation, et Gilduin la confirma de son autorité et de celle de ses barons dont les noms suivent » [Note : « Ut igitur hoc donum firmissimum permaneret, Gildunium dominum ipsius castelli (Comburnensis) et barones ejus, — venientes de Trefermel villa quam eodem die igne combusserant et praedam secum abducebant, — ad hanc rem concedendam in viridarium nostrum convocavimus et convenire fecimus. Rursus itaque, coram Gilduino et baronibus suis Guitmondo et filiis suis faventibus, donum suum (i.e. Guitmondi) ipse Gilduinus concessit et sua authoritate et baronum suorum in perpetuum confirmavit, quorum haec sunt nomina, etc. » (Dom Morice, Preuves, T. I, 455)]. Il y en a une vingtaine : c’était les nobles qui l'avaient accompagné dans cette expédition, la plupart ses vassaux sans aucun doute, comme Hamon Le Chat, Hervé Rigord, Geofroi et Alain Boterel, Rivallon le prévôt, Tudual de Lanrigan, Enjoubert du Rocher, etc. Mais parmi eux l'on distingue « Eon Goion », de cette vieille race féodale qui avait son siège à la Roche-Goion (aujourd’hui le fort la Latte), et « Guégon, vicaire de Pou-Aleth », dont le fief, bordant la rive droite de la Rance, répondait à la vaste seigneurie de Châteauneuf de la Noë. Ces deux-là à coup sur n’étaient point des vassaux du sire de Combour ; c’était ses amis, ses alliés, ses auxiliaires. Mais, se trouvant dans son ost, ils sont pour l'instant englobés dans la classe de ses barons, tout comme Raoul Larchevêque de Parthenai, quoique Poitevin, figure dans les vassaux de Conan III.

§ 2. — Vitré.

Vers le même temps, André, sire de Vitré, ayant envahi avec sa forêt la terre de Ralai (en Bréal sous Vitré) qui était le fief d’un pauvre petit vassal appelé Adam, se décide à la lui restituer, sur la requête et en présence de ses barons (supplicatione procerum suorum... coram multis baronibus ejus), afin que ce pauvre homme, en la donnant aux moines de Marmoutier, puisse s’assurer dans ce monastère un asile pour sa vieillesse. Les nobles mentionnés dans cet acte comme barons du seigneur de Vitré sont au nombre d’une douzaine, entre autres, Poisson de Saint-Mhervé et Ruellon son frère, Alain de la Rouvraie (en Saint-Germain du Pinel), Guihénoc du Fail en saint Didier), Jarnogon le voyer, etc. (Dom Morice, Preuves, T. I, 495-496).

En 1116, Marbode, évêque de Rennes, ôte l'église de Notre-Dame de Vitré à un collège de chanoines peu réguliers, et en donne l'administration aux moines de Saint-Melaine de Rennes sur la requête d'André, sire de Vitré « et de tous ses barons » : « rogatus à domino Vitreii Andrea el filiis ejus et  CAETERIS BARONIBUS CASTRI » (Ibid., col. 532).

Un autre sire de Vitré, Robert III, vers 1160, met en tête de ses chartes cette formule : « Robertus de Vitreio universis baronibus suis cunctisque fidelibus in Domino salutem » (Ibid., col. 646).

§ 3. — Fougères.

Les sires de Fougères, au XIIème siècle, emploient constamment pareille formule, et de plus se disent seigneurs par la grâce de Dieu :

1150. — « Henricus, Dei gratia dominas Filgeriarum, omnibus suis baronibus et omnibus fidelibus totius terrae suae salutem » (Ibid., Preuves T. I, col. 605 ; cf. col. 588, 623, 650).

En 1110, Raoul Ier de Fougères, après de longs démêlés avec les moines de Marmoutier, finit par reconnaître leur droit et leur donne pour caution sa femme Avoise et quatre de ses barons : « Uxor ipsius Radulfi, nomine Avicia, et QUATUOR DE BARONIBUS EJUS, videlicet, Maino de Poiliaco (Poillé), Hamelinus, filius Pinelli, Richardus filius Hamonis, Paganus de Eniaco (Iné) » (Ibid., 489).

Poillé, Iné, paroisses et seigneuries du pays de Fougères. Dans d'autres chartes du même siècle figurent encore comme barons du sire de Fougères : (en 1150) Thibaud de Champeaux, Juhel d'Ardène en Saint-Georges de Rintembaud ; (vers 1155) Guillaume de Saint-Etienne (en Coglais), Robert de la Roche, en Saint-Mard sur Coësnon, Henri du Châtellier, Geofroi de Saint-Mard (sur Coësnon) ; (en 1163) Guillaume de Marigni en Saint-Germain en Coglais, Raoul d'Orange en Vieuxvi, Marquis el Philippe de Louvigné, Gautier de Vendel (Dom Morice, Preuves, T. I, 606, 607, 623, 631, 650 et 588), etc.

En 1112. ce même Raoul Ier, quand il fait sa fondation capitale, l'abbaye de Savigni, ne manque pas de dire que son but, dans cette œuvre, est de pourvoir au salut des âmes, non seulement de ses proches morts et vivants mais aussi de ses barons et de ses amis : pro animabus patrum nostrorum et BORONUM MEORUM (Ibid., 525). Aussi y en a-t-il bien une vingtaine à souscrire cette charte.

Les sires de Fougères se complaisaient à réunir leurs barons autour d'eux, non seulement pour les solennités et les obligations de la vie féodale, mais aussi dans les principales circonstances de leur vie privée. Vers 1154, Henri Ier, gravement malade, avait quitté son château de Fougères tout entouré d'eaux et de marécages, pour aller dans un manoir caché sous les ombrages de sa forêt respirer les fortifiants arômes de l'atmosphère silvestre. Sentant la mort approcher, il appela autour de lui, avec ses fils et ses clercs, la plus grande partie de ses barons (maximam partem baronum suorum) et même un certain nombre de bourgeois et de paysans, pour déclarer devant tous ses dernières volontés, notamment pour imposer à son successeur (Raoul II) l'obligation de maintenir et défendre assidûment sa grande création religieuse, l'abbaye de Saint-Pierre de Rislé, qu'il confia aux mains vaillantes de son héritier en faisant à ses enfants, à ses vassaux, à tous ceux qui l'entouraient des adieux trempés de larmes [Note : « Dum Henricus pater meus (dit Raoul II) gravi teneretur infirmitate qua defunctus est in foresta Filgeriarum, vocavit ad se omnes clericos de sua terra et filios suos et maximam partem baronum suorum et burgensium et rusticorum. Ibi, omnibus qui aderant audientibus, de manu patris mei tenerrime lacrimantis accepi abbatiam Sancti Petri in perpetua defensione et custodia et libertate omnibus diebus vitae meae » (Dom Morice, Preuves, T. I, col. 607)]. Cette scène caractérise bien le rôle des barons dans la vie féodale du suzerain, dont ils étaient les conseillers nés et prolongeaient en quelque sorte la famille.

§ 4. — Dinan.

Nous allons voir maintenant les barons du sire de Dinan venir en foule se ranger autour de lui dans une circonstance solennelle, où il semble qu'il n'aurait pas du tenir beaucoup à leur présence.

Vers la fin du XIème siècle (avant 1093), Geofroi Ier de Dinan s'était emparé à main armée de la châtellenie de Jugon dont il avait dépouillé, expulsé le naturel seigneur appelé Brient, surnommé Brient le Vieil, le chef et l'aîné d'un véritable clan du même nom (Brientius Vetulus, Brientensium summus dominus et eorum primogenitus). Geofroi donna cette conquête à son fils Olivier, et celui-ci fit, en 1108, une grande donation à l'abbaye de Marmoutier, pour obtenir d’elle des moines qui vinssent fonder à Jugon un prieuré. Mais l'abbé de Marmoutier, peu soucieux d'un bien volé, ne voulut accepter ce don qu'avec l'autorisation du maître légitime, Brient le Vieil. Celui-ci, ayant consenti à la donner, se rendit à cet effet dans le cloître de Saint-Malo de Dinan, occupé par les moines de Marmoutier. Il y trouva avec ces religieux Geofroi de Dinan, et là il fit cette déclaration :  « Moi Brient le Vieil et mes fils et toute notre parenté, nous voulons, consentons et approuvons que vous Geofroi et votre parenté, du fief que vous nous avez, comme chacun le sait, injustement ravi, vous donniez part aux moines de Marmoutier, moyennant que nous participions avec vous au mérite de cette aumône et qu’elle profite au salut des âmes de tous ceux de notre race, morts et vivants ».

Le sire de Dinan aurait dû, ce semble, rougir d'une telle flétrissure et, par suite, réduire au strict nécessaire, c'est-à-dire aux moines seuls, le nombre des témoins de cette scène. Pas du tout : la relation officielle nous apprend qu'il avait rassemblé la foule de ses barons (baronum suorum turba) dans le cloître de Saint-Malo pour ouïr cette déclaration [Note : « In claustro (S. Maclovii Dinanensis) Gaufridum Dinani dominum cum monachis turbaque baronum suorum (Brientius Vetulus) invenit » (D. Morice, Preuves, T. I, 521). Voir aussi Geslin de Bourgogne et Barthélémy, Anciens évêchés de Bretagne, IV, p. 332-334. Seulement, les auteurs de ce dernier ouvrage, ayant eu entre les mains une mauvaise copie, ont altéré le nom de Brientenses en Britennenses, qui est une faute manifeste] qui lui causa, assure-t-on, le plus grand plaisir. Sans doute il y voyait comme une consécration de la conquête par l'aveu du vaincu, et il tenait à faire constater le fait par l'assemblée de ses barons. La relation n'en nomme que dix : Eudo Gobio (Eude ou Eon Goion), Plehardus de Brohon (seigneur de Broons près de Dinan, peut-être un ancêtre de du Guesclin par les femmes), Morvanus, Orricus et David de Miniaco (trois membres de la famille seigneuriale de Miniac sous Bécherel), Guerricus de Langananno (Guerri de Languénan), Herbertus grammaticus (on ne s’attendait pas à ce grammairien), et enfin trois qui ne sont désignés que par leur filiation ; Radulfus filius Sentarii, Ascelinus filius Brientii, Rainaldus filius Chinioci.

§ 5. — Dol.

L'évêque ou archevêque de Dol, seigneur temporel d’un fief notablement étendu (15 ou 16 paroisses), avait des vassaux immédiats dont quelques-uns d'importance, entre autres, le seigneur du Guesclin ou du Plessix-Bertrand (paroisse de Saint-Coulomb) : aussi en 1159-1160, le pape Alexandre III s'adressant aux gens de Dol débutait par cette formule : « Alexander episcopus, servus servorum Dei, dilectis filiis nobilibus viris baronibus et universo populo Dolensi » (Dom Morice, Preuves, T. I, 640).

§ 6. — Montfort.

En 1180, Geofroi, seigneur de Montfort, confirmant par une charte spéciale l'abbaye de Saint-Jacques de Montfort dans la possession de tous ses biens, prend soin de mentionner que cette mesure a obtenu l'approbation de divers personnages considérables et de tous ses barons : laudantibus, et approbantibus Eudone Comite avunculo meo [Note : Eudon de Porhoët, qui avait été comte ou duc de Bretagne de 1148 à 1156 ; sa veuve Amice de Porhoët était femme de Guillaume de Montfort, père de Geofroi de Montfort, auteur de cette charte], Alberto episcopo S. Macclovii, et Willelmo abbate S. Melanii, et Oliviero patruo meo [Note : Oncle paternel de Geofroi de Montfort], necnon et baronibus et hominibus meis (Dom Morice, Preuves, T.  I, 822).

§7. — La Guerche.

Vers la fin du XIème siècle (de 1081 à 1096), un important personnage, mi-partie laïc et ecclésiastique, Silvestre, évêque de Rennes et seigneur de la Guerche, avait fondé dans cette dernière ville un prieuré soumis à l'abbaye de Saint-Melaine de Rennes et placé sous le patronage de saint Nicolas. En 1115, Guillaume, fils de Silvestre et son successeur non dans l'évêché de Rennes, mais dans la seigneurie de la Guerche, veut obtenir de l'abbé de Saint-Melaine pour ce prieuré une part des reliques de saint Nicolas, dont cette abbaye possédait un morceau considérable. Pour mieux réussir, il fait appuyer sa requête par ses barons (proceres). Bientôt en effet la relique désirée arrive et est reçue par les Guerchois en grande pompe et en grande joie [Note : « Anno MCXV, rogatus est Radulfus, abbas S. Melanii a Guillelmo de Guirchia et a proceribus ejus, ut reliquias S. Nicolai, quas penes se habebat, Guirchiam deferret et eas in monasterio S. Nicolai poneret » (Dom Morice, Preuves, T. I, 529)].

Cinq ans plus tard cependant (en 1121), il y a brouille entre Guillaume de la Guerche et l'abbé de Saint-Melaine. Mais ils ont l’esprit de soumettre leur différend à un tribunal composé des barons de la seigneurie, présidé par la dame de la Guerche, et l'affaire est arrangée en un tour de main [Note : « Anno MCXXI, in presentia domni Radulfi abbatis alque ipsius Guillermi, uxorisque sue et multorum baronum suorum, hoc modo lis finita est » (Ibid., 529)].

Enfin Guillaume Ier de la Guerche meurt (vers 1130-1135) ; son corps est là, dans la chapelle du prieuré de Saint-Nicolas, attendant la sépulture chrétienne ; une énorme foule de nobles et de bourgeois se presse autour du cercueil. Les moines sont prêts à déployer toutes les pompes des funèbres offices. Le fils et successeur du défunt, Guillaume II de la Guerche, abîmé dans la douleur, veut tout à la fois reconnaître et exciter leur zèle ; sur le conseil de son frère et de ses barons, il commence par donner aux moines un muid de vin [Note : « Dedit Guillermus filius... consilio Hamonis fratris sui et baronum suorum, Deo et S. Melanio ac monachis ejus unum modium vini. Dédit etiam, etc. » (Ibid. 530)]. Mais ce n’est pas assez ; pour les frais de l'anniversaire il y ajoute un jardin et quelques autres droits restés en litige entre le défunt et le prieuré.

On voit que les barons du sire de la Guerche jouaient un grand rôle dans cette seigneurie.

§ 8. — Léon.

Vers 1155. Hervé II, comte de Léon, confirmant et augmentant la dotation du prieuré de Saint-Melaine fondé à Morlaix par son père Guiomarc'h, déclare approuver et ratifier d'avance tous les dons qui seraient à l'avenir faits à cette maison, soit par ses barons, soit par lui-même : dono meo vel BARONUM MEORUM (Ibid., 621).

§ 9. — Penthièvre et Tréguer.

En 1123, Etienne., comte de Penthièvre et de Tréguer, augmenta notablement la dotation de l'église de Saint-Sauveur de Guingamp dépendante de Saint-Melaine de Rennes, afin d'obtenir que Saint-Melaine donnât pour chef un abbé au couvent de Saint-Sauveur : en cette circonstance, il ne faisait que suivre le conseil de ses barons, dont plusieurs furent témoins de la donation [Note : « Consilio itaque cum baronibus suis habito... De baronibus vero comitis hii interfuerunt » (Dom Morice, Preuves, T.  I, 546)].

En 1145 Alain, comte de Penthièvre, fils d'Etienne, confirma cette donation dans les termes où l'avait faite son père, d'après la déclaration fournie à Alain par son frère Henri et plusieurs de ses barons [Note : « Sicut frater meus Henricus et multi ex baronibus meis se audisse et vidisse teslati sunt » (Ibid., 595)].

En 1152, Rivallon, neveu d'Alain ci-dessus, et qui possédait alors les comtés de Penthièvre et de Tréguer, confirma aux moines de Saint-Melaine de Rennes tous les biens qu'ils tenaient à Guingamp, « soit, dit-il, des libéralités de mes ancêtres, soit de celles de mes barons » [Note : « Dono antecessorum vel baronum meorum » (Ibid., 616)].

Dans d'enquête exécutée en 1235 pour constater les usurpations commises par le duc de Bretagne Pierre de Dreux contre les droits des Bretons, un des témoins (Herveus presbyter) déclare que les comtes de Tréguer et de Penthièvre ont le droit de construire à leur gré des forteresses sur leurs terres, mais que leurs barons ne le peuvent faire sans l’autorisation du comte dont ils relèvent : « Dixit quod domini de Trecoria et domini de Penthevria possunt firmare domos suas ; sed barones dictarum terrarum non poterant firmare sine licentia domini » [Note : Ibid., 886. — Voir aussi (Ibid., 681) la curieuse lettre écrite au pape, vers 1180, par Henri, comte de Tréguer, où il appelle le prévôt de Tréguer son baron : « cuidam baroni meo, Trecorensi preposito »].

§ 10. — Porhoët.

Les chartes venues jusqu'à nous mentionnent aussi à plusieurs reprises les barons du vicomte de Porhoët.

En 1092, Eudon Ier de Porhoët, ayant perdu sa femme Anne de Léon, voulut faire pour le salut de son âme, le jour même de ses funérailles, un don considérable au prieuré de Saint-Croix de Josselin (relevant de l'abbaye de Redon), et cela en présence de l'illustre assistance qui se pressait à cette cérémonie, entre autres, trois évêques, cinq abbés, les barons d'Eudon de Porhoët et quelques autres ses voisins : « Praesentibus tribus episcopis... abbatibus quinque... baronibus etiam ipsius Eudonis et finitimis, Conano videlicet de Montcontor, Rio de Lohoiac et aliis quam pluribus » (Dom Morice, Preuves, T. I, 480).

On ne désigne point ici nominativement les barons relevant du vicomte de Porhoët, tant leur présence en cette circonstance semblait naturelle et obligatoire. L'assistance des seigneurs voisins ne relevant pas de Porhoët était plus notable : c’est pourquoi l'on nomme Conan de Montcontour, l'un des barons du comte de Penthièvre, et Riou de Lohéac, baron du comte de Rennes.

Nous avons vu plus haut les sires de Fougères prompts à s'entourer de leurs barons dans toutes les principales circonstances de leur vie privée, surtout quand un malheur ou une maladie les menaçait. Il en était de même des vicomtes de Porhoët. En 1118, Geofroi Ier, qui gouvernait cette seigneurie, s'étant alité frappé d'un mal grave qui lui faisait craindre une mort prochaine, appela près de lui l'évêque d'Aleth (Rivallon), Alain, vicomte de Rohan son frère, et avec eux ses barons et ses bourgeois qui vinrent en foule autour de son lit lui marquer leur affection. En leur présence, il reçut l'absolution, la communion, et pour assurer le salut de son âme il promit de se faire moine au prieuré de Saint-Martin de Josselin et donna à cette maison la dîme de ses revenus en blé dans la paroisse de Guillac. Et comme un de ses serviteurs se tenait près de son lit, chassant les mouches avec un bâton garni d'un plumeau, il prit le chasse-mouches et le mettant entre les mains du prieur, il lui fit par ce symbole, selon l'usage du temps, la tradition solennelle et juridique de la dîme qu'il venait de lui octroyer [Note : « Gaufridus vicecomes, dum quadam infirmitate tangeretur, dumque adhuc in aula sua in lectulo suo decubaret aegrotus, convocavit ad se R. Aletensem episcopum, Alanum vicecomitem fratrem suum cum maxima parte baronum et burgensium... Dedit etiam partem décimae suae seu annonae de Guillac... in manu Radulfi prioris cum quodam baculo, de quo ab eo muscarum infestatio propellebatur » (Dom Morice, Preuves, T. I , 539 ; Cartulaire de Redon, n° 300, p. 251]. — Malgré ses craintes et ses précautions si sagement prises en vue du grand voyage, Geofroi de Porhoët se rétablit et ne mourut que longtemps après : il vivait encore en 1142.

Dans la seconde moitié du XIIème siècle (en 1165), on trouve un jugement rendu par les barons du Porhoët en des circonstances assez curieuses.

L'abbaye de Saint-Jacut possédait à la Trinité-Porhoët des domaines importants, qu'elle faisait administrer par un de ces agents qu’on appelait alors prévôts ou préteurs ruraux. Ces prévôts étaient souvent des officiers héréditaires, astreints à payer au maître de la terre des redevances plus ou moins considérables, mais à qui l'on ne pouvait enlever leur prévôté tant qu'ils en acquittaient fidèlement les charges. Ici c'était autre chose : le prévôt, révocable à volonté, était en réalité ce que nous appelons aujourd'hui un fermier général. Le prévôt étant venu à mourir, les moines voulurent mettre cette ferme en d'autres mains. Les enfants du défunt, prétendant que cette prévôté constituait un office héréditaire, refusèrent de déguerpir. La cause fut portée devant le vicomte de Porhoët : c'était à ce moment Eudon II. qui avait été duc de Bretagne (de 1148 à 1156) et le plus vaillant adversaire de la tyrannie anglaise ; il appela pour juger le litige « les barons du Porhoët » et leur adjoignit même (ceci est notable) quelques bourgeois ; aussi la relation contemporaine appelle ce procès « causam... Eudonis strenuissimi principis praesentia et BARONUM PODROITENSIUM [Note : La version de dom Morice porte : baronum Podrocensium. Le dernier mot, certainement altéré, doit être corrigé en Podroitensium ou au moins Podrotensium] et burgensium diu exagitatam », et plus loin encore : « Comitis conspectu et BARONUM PATRIAE ». Ce tribunal reconnut le droit des moines qui n’était pas douteux ; mais grâce à l'intervention miséricordieuse d'Eudon, prenant en pitié l'indigence à laquelle auraient été réduits leurs fermiers, les moines consentirent à leur laisser la prévôté ou ferme générale de leurs domaines de la Trinité, au moins jusqu'à la mort de leur mère, bonne et vénérable femme appelée Julienne (Dom Morice, Preuves, T.  I, 656).

Non seulement ici les barons du Porhoët sont mentionnés, mais on les voit en fonction dans la cour de leur suzerain.

§ 11. — Rohan.

Si Porhoët avait ses barons, Rohan, démembrement de Porhoët, vicomté comme Porhoët, ne pouvait manquer d’avoir les siens.

Dans une charte donnée de 1143 à 1164, Rouaud, évoque de Vannes, ratifie le don de la dîme de la paroisse de Credin, fait au prieuré de Saint-Martin de Josselin par Alain II, vicomte de Rohan, et rappelle que cette libéralité a eu lieu avec l'assentiment du fils du donateur, sur le conseil de ses barons : « assensu filii sui Alani et consilio BARONUM SUORUM... concessit » (Dom Morice, Preuves, T.  I, 595).

§ 12 — Mordelle.

Que les comtes et les vicomtes, Penthièvre, Tréguer, Porhoët, Rohan, que les grands feudataires, Vitré, Fougères, Dinan, Montfort, Dol, Combour. etc., se permissent d'imiter le duc de Bretagne en donnant à leurs vassaux le titre de barons, cela se comprendrait encore. Ce qui semble plus singulier, ce qui est plus caractéristique, c’est de voir les plus petits seigneurs — ce qu'on pourrait presque appeler le fretin féodal — se targuer eux aussi de leurs barons.

Voici ce qu'on lit dans le cartulaire de Saint-Georges de Rennes ; le fait se rapporte tout aux premiers temps de cette abbaye et doit être du milieu du XIème siècle : « Hélouri de Mordelle, en faisant entrer sa fille comme religieuse à Saint-Georges de Rennes, a donné avec elle la moitié de toute la dîme de Mordelle, moins celle de trois villages, savoir, etc.. A cette donation ont consenti ses fils Mainfinit, Ourscant, Evigner, et en même temps trois de leurs barons, savoir, Rivallon, Guihénoc et Fromond » [Note : « Heslourivus de Morzella fecit flliam suam monialem apud Sanclum Georgium, et cum ca dédit dimidiam decimam de tota Morzella, excepta decima trium villarum, scilicet, etc.. Et hoc concesserunt filii ejusdem, Mainfenich, Orscant, Ewinerius, et tres simul de baronibus eorum, videlicet, Rivallonus, Guihenoc, Fromundus » (Cartulaire de Saint-Georges de Rennes, édition P. de la Bigne Villeneuve, Rennes 1876), p. 135-136, n° XXXV)].

Le seigneur de Mordelle, qui ne possédait même pas tout le sol de cette paroisse, était certainement, au point de vue de la hiérarchie féodale, un très petit sire. Cependant et lui et ses fils avaient, tout comme le duc, leurs barons. Où trouver un meilleur argument pour prouver qu’aux XIème et XIIème siècles, le mot baron s’appliquait essentiellement à tous les vassaux directs d’un seigneur quelconque, petit ou grand ?

Dès lors il est absolument vain de chercher à cette époque l'institution des neuf grands barons, des neuf baronies anciennes, que dom Morice, radoubant la vieille erreur combattue par dom Lobineau, a la prétention de faire remonter aux premiers temps de notre histoire (A. de La Borderie).

 © Copyright - Tous droits réservés.