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LA FISCALITE ROYALE EN BRETAGNE

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LA FISCALITÉ ROYALE EN BRETAGNE de 1689 à 1715.

Etudier le mécanisme de la fiscalité royale après Colbert, et cela dans un pays d'Etat comme la Bretagne ; rechercher en quel sens les innovations fiscales de la fin du règne ont pu modifier le caractère des relations du pouvoir central avec les Etats : tel a été l'objet de ce travail.

[Note : Nous avons consulté pour cette étude trois grandes publications de documents :
Depping. — Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, 4 vol. in-4° (Coll. des Doc. inédits). Boislisle. — Correspondance des Contrôleurs généraux des finances avec les Intendants des provinces, 3 vol. in-4°. Letaconnoux. — Les Relations du pouvoir central et de la province de Bretagne dans la seconde moitié du règne de Louis XIV (Archives de Bretagne, t. XIV), Rennes, 1907. D'autre part, nous avons étudié aux Archives d'Ille-et-Vilaine les documents inédits contenus dans la série C :
1°) Les registres des délibérations des Etats de Bretagne, de 1689 à 1715 (C 2660-2667).
2°) Sur ler Fouages, Archives des Etats, de C 3369 à C 3383.
3°) Sur les Devoirs, Archives des Etats, C 3469-3472.
4°) Sur la Capitation, C 3405-3417 ; C 2061-2068 ; C 2988-3004.
5°) Sur le Dixième, C 2147-2148.
6°) Sur les Offices, C 2245-2247.
7°) Le manuscrit de Pontbriand].

Un problème intéressant se pose : la politique financière du Gouvernement royal, à la fin du XVIIème siècle, a-t-elle contribué à affaiblir en Bretagne l'ancienne puissance des Etats, déjà bien réduite par Colbert (Voy. le mémoire de F. Delaisi, Les Etats de Bretagne sous l'administration de Colbert) ? A-t-elle au contraire développé ce mouvement d'autonomie qui s'épanouit au XVIIIème siècle et dont la première esquisse se dessinerait de 1689 à 1715 ? En un mot, cette fin de règne marque-t-elle dans l'histoire des Etats de Bretagne le développement d'une décadence déjà longue, ou l'annonce d'un prochain réveil ?

Une autre question se pose. Le passage au contrôle des finances de Pontchartrain, puis de Desmaretz correspond à une politique financière nouvelle : à bout de ressources, la royauté cherche à tirer de l'argent des privilégiés. Elle crée des impôts, la capitation et le dixième, qui atteignent les nobles, qui les frappent même en proportion du rang et de la fortune ; elle crée des offices qui lèsent les privilèges des corps les plus considérables, qui gènent ou frappent l'oligarchie du royaume. — Il s'agit de savoir comment cette politique financière nouvelle a été accueillie, comment elle a pu être réalisée en un pays où les ordres privilégiés, grâce à l'institution des Etats, ont conservé quelque pouvoir politique et quelque indépendance.

Et enfin nous avons voulu nous rendre compte des charges qui ont pesé sur les gens de paroisses, sur la masse des paysans bretons. L'Assemblée des Etats qui a la prétention de représenter le petit peuple du « Pays et Duché de Bretagne » a-t-elle fait office d'organe modérateur dans le jeu de la fiscalité ? Les paysans ont-ils par son intervention échappé à quelques-uns des abus qui, en cette malheureuse fin de règne, ont fait le peuple de France aussi misérable qu'aux plus dures époques de notre histoire ?

Tel est le problème complexe dont nous nous sommes efforcés d'éclaircir les principales données. Dans notre étude des impositions nous avons rappelé :

1° Les impositions anciennes, c'est-à-dire celles qui existaient en Bretagne au temps de Colbert. Cette première étude marque l'insuffisance des revenus normaux de la province : fouages, devoirs, impôts et billots ne répondent plus aux besoins croissants de la fiscalité. La province de Bretagne est obligée de vivre sur les ressources d'années à venir ; elle hypothèque ses recettes futures ;

2° Ainsi apparaît la nécessité d'impôts nouveaux, dont l'étude fait l'objet de la seconde partie : nous avons étudié particulièrement la capitation, son administration par les Etats et les premiers organismes fiscaux de l'autonomie bretonne dont elle a provoqué la création ;

3° Les affaires extraordinaires ont été étudiées dans la troisième partie : nous nous sommes attachés à l'étude des offices particuliers à la Bretagne, surtout des offices de finance et nous avons montré dans quelles conditions s'est effectué leur rachat.

D'une façon générale, une distinction a été établie entre l'administration financière de la royauté et celle des Etats. La Bretagne a, en effet, un budget propre, une fiscalité particulière. A vrai dire, les revenus qui sont la propriété de la province servent presque uniquement à répondre aux demandes d'argent du Pouvoir central et vont ainsi au Trésor comme les revenus propres du Roi : toutes les impositions levées en Bretagne au nom des Etats ou au nom du Gouvernement royal ont même destination, mais elles se différencient dans leur mode de consentement, de répartition, de levée.

I — Impositions anciennes.

Elles frappent seulement les roturiers et certaines même n'atteignent que les habitants des campagnes.

Un double fait les caractérise de 1689 à 1715 : leur accroissement formidable et leur insuffisance.

A. — Fouages ordinaires.
C'est le revenu propre du Roi, le seul qu'il possédât autrefois en Bretagne.

C'est une imposition régulière et invariable de 279.000 $, qui, avec les impositions annexes (taillon, garnison...), s'élève à 440.000 $ par an.

Les fouages ordinaires sont une taille réelle, c'est-à-dire qu'ils portent sur les terres et non sur les personnes. Mais toutes les terres ne sont pas assujetties aux fouages : les terres roturières, possédées ou exploitées par des roturiers, sont les seules terres fouagères.

L'unité d'assiette des fouages est le feu.

Nous avons essayé de définir le feu en Bretagne.

Jusqu'au XVIème siècle il désignait la réunion de plusieurs maisons ou ménages, et en même temps l'imposition fixe, uniforme qui les frappait.

Au XVIIème siècle, le feu a perdu sa première signification : il cesse d'être l'unité pratique de répartition parce qu'il ne correspond plus à rien de réel. Il y a bien dans chaque paroisse un certain nombre de feux, mais le feu est une abstraction fiscale, une base : il a par lui-même une valeur fixe et immuable qu'on appelle le taux du feu.

Le taux du feu est de 10 $ 18 s. et il y a en Bretagne environ 32.400 feux répartis entre les paroisses ; la paroisse est ainsi l'unité pratique de répartition.

Nous avons pu établir que cette répartition est très inégale : d'abord les paroisses ne sont pas égales devant le fisc. Puis comme à l'intérieur des paroisses il n'existe pas vraiment de feux au sens pratique du mot, c'est-à-dire de groupes de maisons, la répartition y est arbitraire et les riches se font dégrever au détriment des plus pauvres.

L'imposition des fouages n'a pas varié de 1689 à 1715, mais on a trouvé dans les fouages une source d'expédients : il y avait eu au début du XVIIème siècle des affranchissements de feux en Bretagne, en d'autres termes on avait anobli et dispensé d'impôt des terres jusqu'alors fouagères. En 1693, puis en 1710, la fiscalité royale voulut atteindre les bénéficiaires de ces affranchissements, ou leurs héritiers : on leur imposa des taxes de confirmation.

A vrai dire, l'opération était délicate : il était difficile à 50 ans de distance de retrouver les terres anoblies qui avaient pu se diviser ou s'agglomérer à d'autres domaines.

On décida aux Etats que la finance de confirmation serait répartie sur les contribuables aux fouages : l'argent que le Roi demandait aux privilégiés, les Etats le tiraient du peuple. Et le Gouvernement central laissait faire : il lui importait peu de savoir qui payait, quand l'argent rentrait.

B. — Fouages extraordinaires.

A deux reprises, en 1701 et en 1710, le Gouvernement central voulut aliéner, affranchir des feux. Mais il se heurta à une opposition méthodique des Etats. C'est que les feux de fouage servent de base à la répartition des fouages extraordinaires qui constituent avec les devoirs le revenu propre de la province. Et resserrer cette matière imposable, c'est mettre en péril la fiscalité bretonne.

Les fouages extraordinaires ne constituent une imposition régulière qu'à partir de Colbert. Ils étaient avant lui un expédient dont on usait avec modération, quand il fallait faire face à des demandes d'argent inattendues : c'était une sorte d'emprunt forcé sur les contribuables aux fouages.

En 1661, les fouages extraordinaires deviennent une imposition permanente, mais gardent jusqu'en 1715 le nom d'emprunt. Longtemps inférieurs aux fouages ordinaires, ils arrivent à les dépasser du double : de 1689 à 1715, « l'emprunt » s'élève de 214.000 $ à 642.000 $ par an.

Et si l'on songe que le fouage extraordinaire est en fait imposé par le Gouvernement central, que le chiffre en est fixé par le contrôleur général avant que les Etats en délibèrent, on aperçoit l'importance des impositions que le Roi lève par l'intermédiaire des Etats sur les terres roturières de Bretagne.

C. — Les devoirs.

Ce sont les impôts indirects sur les boissons.

Comme les fouages extraordinaires, ils s'accrurent prodigieusement en ces vingt-cinq années.

En 1669, les Etats ont fait le redoublement du petit devoir (droit sur la vente en gros) ; en 1689, ils ont imposé « le tiers en sus » du grand devoir (vente au détail), c'est-à-dire l’ont augmenté de 50 %. Enfin, de 1690 à 1715, ils adjoignirent aux devoirs des impositions annexes comme le droit annuel, les droits de courtiers, gourmets et commissionnaires, les droits de jaugeage.

Les privilégiés échappaient aux devoirs comme ils échappaient aux fouages : nobles, clercs, gros bourgeois étaient exempts.

Comment étaient levés les devoirs ? Les Etats les donnaient à bail pour deux ans à des Compagnies fermières dans chaque tenue.

Nous avons noté une baisse prodigieuse des enchères et des prix d'adjudication, qui atteint son maximum en 1710 : la valeur des devoirs à ce moment a diminué de moitié. Elle se relève de 1710 à 1718, mais, en dépit de l'accroissement de 50 % du grand devoir, le rendement annuel des droits sur les boissons s'abaisse de 2 millions en 1689 à 1.500.000 $ en 1715. Nous avons cru en voir la cause dans l'accumulation même des charges : le peuple ne donne que ce qu'il peut donner. Il arrive un moment où on a beau multiplier les droits, le contribuable ne paie pas plus qu'auparavant : les impositions nouvelles sont levées au détriment des impositions anciennes. Le paysan écrasé par l'impôt fait de la fraude, consomme beaucoup moins, paie difficilement ; on a donc compliqué le mécanisme de la perception sans accroître les revenus.

Il y a à cette baisse une autre cause : le régime des fermes. Les Compagnies fermières sont maîtresses des Etats par les pots de vin et par la menace des représailles.

Puis les Etats se risquent difficilement à changer de fermiers, parce que le système des anticipations rend un changement de ferme dangereux et permet à ceux qui sont dépossédés de provoquer une grande diminution dans le rendement des années suivantes.

Enfin, il n'y a pas de concurrence entre fermiers : malgré le Gouvernement central qui a voulu opposer financiers parisiens et financiers bretons, ces hommes d'affaires s'entendent à merveille pour monopoliser en commun les devoirs et, si un conflit se produit entre l'intendant et les Compagnies fermières, celles-ci l'emportent par la neutralité bienveillante des Etats.

D'ailleurs le malaise de la fiscalité a une raison plus profonde : l'exemption des privilégiés. Aussi la royauté a-t-elle voulu les atteindre et prendre l'argent là où il était.

II. — Les Impôts nouveaux.

A. — La capitation.

L'étude de la capitation a fait l'objet essentiel de la seconde partie.

Nous avons distingué la première capitation (1695-1697) et la deuxième capitation, établie en 1701, qui devait durer aussi longtemps que l'Ancien Régime.

La première capitation dans tout le royaume a été un impôt de quotité : le produit total n'en était pas fixé à l'avance ; il « devait résulter des cotes individuelles inscrites aux rôles ». Ces rôles étaient établis d'après un tarif général par classes.

La seconde capitation a été au contraire un impôt de répartition : une somme déterminée était assignée à chaque généralité et à l'intérieur de cette généralité la répartition était faite entre les contribuables par application du tarif.

Pour cette transformation, la Bretagne avait servi de champ d'expérience à la fiscalité : à la fin de 1695, la capitation y avait pris un caractère spécial et nouveau : elle tenait à la fois de l'impôt de quotité et de l'impôt de répartition. Impôt de quotité, puisque les contribuables de la province y étaient imposés selon le tarif ; impôt de répartition, puisque la somme totale à percevoir en Bretagne était établie avant la levée par l'abonnement.

Qu'est-ce que l'abonnement ?

S'entendre avec les Etats sur un chiffre déterminé, invariable dont la province fait régulièrement le paiement ; laisser les Etats maîtres de la levée et les charger de la répartition : tel en est le principe. C'est plus de sûreté pour le Gouvernement central, puisqu'il est assuré d'un rendement fixe ; c'est plus de sûreté pour les Etats, puisqu'ils n'ont plus à craindre que l'application intégrale et uniforme du tarif lèse leurs privilèges.

L'abonnement fut porté en 1696 à 1.400.000 $ et en 1701 à 2.000.000 $ (le taux de la capitation avait été augmenté de 1/3 dans tout le royaume).

Il fut toujours, excepté en 1703 où les Etats demandèrent à examiner préalablement les comptes de l'année précédente, voté dès la première séance en même temps que le don gratuit. Mais il prend la forme d'un véritable contrat, il demeure entièrement libre et en 1718 il sera refusé par l'Assemblée.

L'abonnement est moins intéressant en lui-même que par l'administration qu'il crée et l'autonomie qu'il développe.

En premier lieu, un tarif spécial est établi pour la Bretagne. Ce qui le caractérise, c'est son élasticité et sa souplesse : les sujets exerçant même profession, tenant même rang, ne sont pas compris dans une seule classe comme au tarif du Conseil, mais distribués en deux ou trois catégories. Ainsi le tarif habilement appliqué peut, malgré les fluctuations de la richesse publique, faire monter le rendement au niveau de l'imposition assignée.

Nous avons rapproché les tarifs bretons, des tarifs du Conseil : il n'y a pas identité ; la classe moyenne, la petite bourgeoisie des villes est surchargée en Bretagne, tandis que la petite noblesse est dégrevée.

D'ailleurs, le tarif, de bonne heure, cessa d'être observé : par une décision des Etats de Nantes, les nobles purent s'y soustraire en renonçant à leur titre : ils étaient alors taxés comme simples gentilshommes. Les renonciations furent nombreuses: nous en avons relevé 57 sur les registres des Etats.

Dès que le tarif cessa d'être appliqué, les rôles de la noblesse et ceux des villes s'allégèrent.

Ainsi en 1696, les rôles de la noblesse supportaient un peu
plus de……… 1/10
les rôles des villes un peu moins des……… 3/10
les paroisses de la campagne les……… 6/10 de la capitation.

En 1715, les rôles de la noblesse supportaient moins du…… 1/10
les rôles des villes supportaient les………… 2/10
les paroisses les………………… 7/10.

La surcharge des rôles des paroisses a été sensible quand on a réparti l'augmentation de 50 % en 1701 : cette répartition faite par les Etats fut tout au désavantage des campagnes.

Qui établissait les rôles et les tarifs ?

Lors de la première capitation, l'intendant a joué un rôle prépondérant : en 1701, il voulut établir un bureau qui subsista plusieurs années mais dont les Etats se méfièrent et auquel ils finirent par enlever tout pouvoir.

De 1705 à 1712, les Etats sont maîtres absolus de la répartition, et voici le principe qui s'établit : chaque ordre est maître de sa capitation ; les députés du Tiers établissent les rôles des villes, ceux de la Noblesse les rôles des gentilshommes, et des commissaires élus par les Etats établissent les rôles des paroisses.

Bien entendu, la répartition est défectueuse : le tarif n'est plus appliqué, les intéressés cherchent par tous les moyens à se libérer de l'impôt, le total des rôles est inférieur au montant de l'abonnement. Les inégalités se multiplient, les protestations abondent ; mais tout cela est examiné aux Etats par les intéressés mêmes. On ne sait plus d'ailleurs d'où vient le malaise fiscal ; cette répartition décentralisée est insaisissable dans ses abus et dans ses excès. Les Etats se débattent, cherchent des remèdes, s'en prennent à tous, excepté à eux-mêmes.

Enfin, en 1713, ils se décident à réorganiser sur une base plus large l'ancien bureau de la capitation oublié depuis 1708. Ainsi est constitué le bureau général de Rennes, qui, en 1715, a sous ses ordres dans toute la Bretagne des bureaux diocésains : une administration permanente est constituée, qui va rétablir l'ordre.

Il était temps : la province allait à la banqueroute ; depuis 1703, le déficit s'accroissait, il avait atteint son maximum en 1710 avec 208.212 $.

Nous avons recherché les origines de ce déficit : il a été déterminé par les non-valeurs de la noblesse et des villes. Ces non-valeurs, en principe, devaient être réimposées dans leurs rôles propres, mais, tant que les députés de la noblesse et ceux des villes en furent chargés dans leur ordre respectif, rien ne fut fait. Les non-valeurs s'accumulaient et, pour boucler le budget, on décrétait une crue sur les contribuables aux fouages ou bien on réimposait les rôles des paroisses : ainsi les paysans payaient près du 1/3 de la capitation des ordres privilégiés. A partir de 1713, les non-valeurs furent en décroissance et chaque rôle supporta ses non-valeurs.

Ainsi, après des hésitations, des tâtonnements, après un régime de décentralisation inconsistante, maladroite, inégale, qui, de 1706 à 1713, met le désarroi dans l'administration financière, une administration hiérarchisée, indépendante du Gouvernement central, se substitue au régime d'anarchie où se heurtaient les prétentions de l'intendant et celle des Etats. Bureau général et bureaux diocésains annoncent la commission intermédiaire ; l'autonomie administrative est en puissance dans ces institutions nouvelles.

B. — Le dixième.

Le dixième sur les revenus fut établi en octobre 1710.

Nous avons peu de renseignements sur son administration en Bretagne, parce qu'il fut levé directement pour le compte du Roi : les Etats refusèrent de l'abonner.

Il y eut d'ailleurs contre le dixième une résistance très vive en Bretagne : gentilshommes et bourgeois refusèrent longtemps de faire leurs déclarations de revenus.

Jusqu'en 1714, la perception du dixième fut très difficile dans le corps de la noblesse : beaucoup de gentilshommes attendirent plus de deux ans pour payer.

A partir de 1714, la levée du dixième se fait régulièrement. L'administration du nouvel impôt est fixée, la répartition s'établit dans un bureau général que préside l'intendant, la levée se fait sous la direction du trésorier des Etats, pour le compte du Roi.

Il y a ainsi contraste absolu entre les deux impôts nouveaux.

III. — Les Offices.

On retrouve ici encore chez les Etats le même souci d'une administration bien réglée, le même égoïsme de privilégiés.

Nous avons étudié particulièrement les offices de finance : ils ne sont pas toujours spéciaux à la Bretagne, mais dans cette province qui a son régime fiscal particulier, où l'autonomie administrative se développe, où les Etats se rendent maîtres de la gestion financière, on comprend que la création des offices de finance ait gêné la levée des impositions, diminué le rendement. La province n'eut qu'un moyen de les faire disparaître : le rachat.

Qui paie les frais du rachat ?

Les contribuables des paroisses : on ordonne une crue sur les fouages ou bien un droit d'entrée, ou encore un droit sur les boissons qu'on lève avec les devoirs.

L'Assemblée ne se soucie guère de soulager le peuple : elle rachète les offices sans marchander parce qu'ils désorganisent le jeu déjà savant de sa fiscalité, parce qu'il lui faut une administration bien réglée, qui soit capable de sauvegarder ses privilèges.

Le Gouvernement central ne manque jamais une occasion de violer ses promesses : il supprime des offices à perpétuité et les rétablit deux ans plus tard sans même changer leur nom. En 1722, quand les offices et droits rachetés par la province sont, les uns modérés, les autres supprimés, la royauté d'un seul coup renverse l'édifice créé par vingt ans d'efforts, rétablit à son profit les offices et droits anciens et oblige les Etats à verser 700.000 $ par an pour leur rachat. Et l'Assemblée capitule pour sauvegarder ses prérogatives, elle rachète et réunit ce qu'elle a plusieurs fois déjà racheté et réuni ; mais elle garde ainsi le droit de répartir toutes ces charges librement et sans contrôle, le droit de frapper toujours le contribuable aux fouages, le paysan. L'égoïsme de cette oligarchie bretonne fait presque excuser la déloyauté et le perpétuel mensonge du Gouvernement royal.

Ainsi nous avons suivi de 1689 à 1715 le jeu des innovations fiscales et en même temps la tendance à l'autonomie administrative de la province : on peut dire que c'est l'exploitation même des gens de Bretagne qui a permis ce rajeunissement de l'activité des Etats.

Ce fait très important a passé longtemps inaperçu. C'est que la puissance nouvelle des Etats ne s'accompagne plus de la vieille phraséologie : une politique, plus souple, plus réaliste s'est substituée au symbolisme des formules orgueilleuses. La docilité apparente des Etats est la condition même de leur autonomie naissante.

Mais cette autonomie qui s'esquisse n'a pas eu d'effet modérateur dans la répartition des charges : c'est l'habitant des campagnes qui paie les fouages, les devoirs. On les accroît, sans élargir la matière imposable. On fait mieux : avec les confirmations de feux affranchis on lui fait payer les exemptions des nobles et des bourgeois.

Les impôts nouveaux et surtout la capitation pèsent presque complètement sur le paysan : il paie sa part et une partie de celle des autres. Les offices qui sont une gêne pour les Etats sont rachetés par lui, sans qu'il s'en doute.

Ainsi pèse plus lourdement sur le peuple ce régime d'expédients, assise précaire d'une monarchie qui a été incapable de rajeunir sa fiscalité, parce qu'elle n'a pu abolir les privilèges financiers du clergé et de la noblesse. (Franck QUESSETTE).

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Dans les derniers siècles de l'ancien régime, la fiscalité royale fait des progrès incessants, continus. Au premier abord, on pourrait croire qu'en Bretagne les classes rurales ont eu moins à souffrir que dans d'autres provinces des progrès de la fiscalité royale, car les fouages sont moins lourds que la taille, et les Etats ont obtenu des abonnements très avantageux à la capitation et aux vingtièmes.

Les fouages, qui ont été créés par les ducs, sont perçus par feu. Le feu, d'ailleurs, ne correspond pas à un ménage ; il représente simplement une unité fiscale. Les fouages se décomposent en fouages ordinaires, qui sont dus au pouvoir central, et en fouages extraordinaires, qui ne doivent être consacrés qu'aux dépenses de la province.

Les fouages ne représentent, le plus souvent, pour chaque paroisse, qu'une contribution d'une centaine de livres. Mais il faut, en outre, tenir compte des frais accessoires, qui majorent fortement le montant de l'impôt. Quant aux cotes des contribuables, elles sont naturellement très variables. La plupart sont inférieures à 15 ou même à 10 sous. Les fouages semblent donc ne pas constituer une charge très lourde pour les paysans bretons.

Mais ce dont ils se plaignent, c'est d'être à peu près les seuls à y contribuer. Considérons, en effet, qu'est exempte des fouages toute terre noble, même lorsqu'elle est possédée par un roturier, qu'en sont exempts aussi les gentilshommes et les ecclésiastiques pour les terres roturières « qu'ils manoeuvrent par main », excepté cependant s'ils se livrent au trafic. Les fouages n'atteignent pas non plus les métayers des gentilshommes et les fermiers des métairies nobles.

Les villes sont aussi affranchies des fouages. Ce privilège, qui, d'abord, ne s'appliquait qu'aux propriétés urbaines, a été parfois étendu aux propriétés rurales des bourgeois. C'est ainsi que les habitants de Rennes et les bourgeois de Nantes sont exempts des fouages pour les terres roturières dont ils jouissent « par main ». Cependant, en 1727, les paroisses rurales du diocèse de Nantes, se prétendant gravement lésées par ce privilège, ont compris sur leurs rôles les propriétaires nantais. Les bourgeois. n'ayant rien voulu payer, un procès s'engagea ; la sentence leur donna gain de cause en 1732.

Ce qui peut encore accroître la charge des paysans, c'est que les fouages ne se paient que dans la localité où le contribuable a élu domicile. Or, les riches seuls peuvent choisir le lieu de leur résidence, et il arrive assez souvent qu'ils s'établissent de préférence dans la paroisse la moins chargée.

Les paysans se plaignent aussi, et à juste titre, de la façon très défectueuse, très peu équitable, dont sont répartis les fouages (H. Sée, Les classes rurales en Bretagne du XVIème au XVIIIème siècle).

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