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SAINT JUDICAËL, roi des Bretons au VIIème siècle.

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Judicaël, dont le nom dans les anciennes chroniques s'écrit différemment : Judicail ou Jedecaël, naquit, vers l'an 590, dans la demeure du roi Judual ou Juthaël ou Judhaël, son père, et Pristelle ou Prizel (fille du comte de Léon, Ausoch), sa mère. Il devait, étant l'aîné de tous ses frères, lui succéder et ceindre la couronne, mais un de ses frères puinés, Haëloch, avait pour gouverneur un certain Rethwal qui, pour faire régner son pupille et en réalité dominer en maître sur la Domnorée, résolut de tuer tous les autres fils du Judual, il y en avait quatorze. Sept furent massacrés, sept s'échappèrent, parmi lesquels Judicaël qui n'eut que le temps de se jeter, vers l'an 616, dans le monastère de Saint-Jean-de-Gaël, et de revêtir la robe de moine sous la houlette de S. Meen. La Bretagne, quoique affligée de la retraite de son prince, admira son sacrifice qui parut d'autant plus généreux, méritoire et chrétien à ses sujets, qu'ils connaissaient mieux ses belles qualités.

Voici deux anecdotes qui montrent son humble obéissance, et la facilité avec laquelle son âme profondément religieuse s'était vite soumise à la discipline du cloître. Il fut chargé pendant quelque temps du jardin du monastère. Par une froide nuit d'hiver, saint Méen, l'Abbé, qui avait prolongé sa veille dans l'oratoire, traversait ce jardin pour regagner sa cellule, quand il lui semble entendre un fort claquement de dents. Il s'approche de la rivière qui baignait l'enclos et aperçoit, à demi plongé dans l'eau glacée, grelottant et priant, Judicaël, qu'on avait autorisé à se baigner, mais qui n'avait pas eu la permission de rentrer, et qu'il croyait depuis longtemps endormi dans son lit, se reposant des fatigues de la journée.

Un autre jour, selon une antique légende, de jardinier le prince était devenu cuisinier, chacun des moines étant à tour de rôle pendant une semaine chargé de cet office. Judicaël, ayant rempli de légumes ses marmites, les avait mises sur le feu pour faire la soupe. Forcé de sortir un instant, il est en rentrant fort étonné d'entendre l'eau ronfler, de la voir se soulever en gerbes bouillonnantes et bondir en cascades sur les charbons. Il lève le couvercle et aperçoit le diable qui, pendant son absence, s'était logé dans la marmite, où il faisait tout ce tapage. Indigné, Judicaël saisit une barre de fer et frappe sur le maudit à tour de bras. Celui-ci se sauve lestement ; en revanche la marmite est démolie et tout le dîner des moines dans les cendres. Judicaël va battre sa coulpe aux pieds de l'Abbé qui, pour le punir de cet excès de zèle et de la perte du souper, l'envoie à jeun conter sa mésaventure aux moines d'un couvent un peu écarté, ce que le jeune novice s'empressa de faire (DE LA BORDERIE. — Loc. cit. I, p. 470).

Lorsque S. Meen mourut, cette mort plongea son disciple dans une si grande affliction que rien ne fut capable de le consoler de cette perte. Il avait pourtant repris sa vie habituelle et comptait la poursuivre longtemps encore dans ce monastère, quand il en fut brusquement arraché. Son frère étant mort, il se vit dans la nécessité d'accomplir envers le pays et le peuple dont il avait la charge son devoir de roi ; il laissa croître sa barbe et ses cheveux, quitta la robe de hure, reprit ses habits séculiers, et remonta sur le trône. Il se maria à une dame, nommée Moronoë, de la même famille et du même pays que sa mère, qui était aussi vertueuse que son époux. Tous les deux n'usèrent de leur autorité que pour faire observer plus fidèlement les lois de Dieu, et rendre leur royaume plus florissant en justice et en piété (Dom LOBINEAU. — Loc. cit. I, p. 97).

Judicaël n'allait pas tarder à avoir l'occasion de manifester son amour de la justice, sa loyauté, sa générosité, en un mot le large développement de son sens moral et chrétien. A cette époque, de graves difficultés avaient surgi entre la France et l'Armorique. Quels événements les avaient suscités ? A ce sujet nous sommes peu renseignés. Selon les uns, il s'agissait d'incursions dans la Marche Franko-Bretonne. Selon les autres, les Franks auraient été au contraire les agresseurs et auraient envahi à deux reprises la Bretagne pour l'obliger à payer tribut ; deux fois ils auraient été battus, et Dagobert s'apprêtait à diriger contre eux une troisième expédition. Quoi qu'il en soit, ce fut alors qu'eurent lieu, en 636, des négociations dont Audonëus, plus tard archevêque de Rouen, que nous appelons S. Ouen et ami personnel de S. Eloi, nous a laissé le récit en ces termes : « Eloi, prié par le roi Dagobert d'aller en ambassade en Bretagne, partit aussitôt avec d'autant plus de hâte qu'il avait pour le soutenir un motif de charité. Arrivé en ce pays, il se rendit auprès de Judicaël, prince des Bretons, arrêta les bases d'un arrangement et reçut des otages pour la paix. De cette manière, au lieu des querelles et des guerres que beaucoup de gens s'attendaient à voir éclater entre le roi frank et le prince breton, Eloi sut manier celui-ci avec tant de douceur et de bienveillants ménagements, qu'il lui persuada sans peine de l'accompagner à la cour de Dagobert. Après avoir passé quelque temps en Bretagne, Eloi s'en retourna, emmenant avec lui le roi des Bretons suivi d'un nombreux cortège de sa nation, le présenta au roi des Franks en sa villa de Creil [Note : Aujourd'hui chef-lieu de canton, arrondissement de Senlis (Oise)], et fit conclure entre ces deux princes un traité de paix et d'alliance. Le Breton offrit de grands présents à Dagobert, mais il en reçut de plus grands encore » (Vita Sancti Eligii, cap. 13).

Les anciens chroniqueurs ajoutent quelques détails à ce récit un peu succinct. Le saint ambassadeur gagna bientôt l'estime et l'amitié du saint roi. Judicaël se confia entièrement à Eloi, il remit tous ses intérêts entre ses mains et, persuadé qu'il ne l'engagerait à rien qui ne fût selon la justice la plus scrupuleuse, ni qui blessât tant soit peu son honneur et ses droits, ne voulut suivre que ses conseils touchant l'affaire qu'il était venu négocier avec lui. Ces deux loyaux personnages, amis de la paix, devaient tout tenter pour empêcher la guerre, et ils y réussirent. Pendant le séjour de Judicaël à Paris, Dagobert l'invita à dîner et lui fit préparer un grand festin. Mais, au moment de se mettre à table, le roi des Bretons, connaissant les mœurs dissolues de son hôte, si différentes des siennes, et craignant d'offenser Dieu, se retira sans bruit et alla manger chez S. Ouen. Dagobert mourut deux ans après en 638, et la guerre ne se réveilla plus entre les Franks et les Bretons (Dom LOBINEAU. — Loc. cit. II, p. 108).

Le roi Judicaël avait une prédilection pour les ombrages de la forêt de Brécilien et il y pratiqua de larges défrichements, de vastes clairières pour y établir ses résidences. Disons quelques mots de ses manoirs ou châteaux. Il en possédait trois. L'un était situé à Talensac, à la lisière orientale de la forêt, sur la rive droite du Meu. Il en reste encore maintenant, à l'Est du bourg, des ruines très visibles au lieu dit Le Chatellier. On y voit une grande motte, ou butte de terre artificielle, sur laquelle était perché le donjon principal de la forteresse, et autour de cette motte une double enceinte de larges fossés, dans lesquels s'épanchait la rivière, qui formait même un petit étang au Nord de cette résidence.

Il avait un autre château en pleine forêt de Paimpont, à l'endroit où se trouvent aujourd'hui l'étang et le bourg de ce nom. On connaît ce château par un trait curieux de sa vie. Une année, il y passait la nuit de Pâques. Tout à coup, au milieu des plus profondes ténèbres, il est réveillé en sursaut par un vacarme strident : cris, jurons, coups de fouets, chevaux lancés au galop, roues grinçant avec des bruits de ferrailles. Il appelle un des gardes qui veillait à la porte de sa chambre et lui demande d'où vient ce bruit : « Seigneur, répond le garde, ce sont les colons de ce domaine qui t'apportent leurs redevances. Elles doivent être remises cette nuit et, comme le pont sur la rivière est étroit, ils s'injurient et cherchent à passer les uns avant les autres ». — « Eh quoi, s'écrie Judicaël, on profane cette nuit sacrée, où l'on ne devrait entendre que les louanges de Dieu, et où toute œuvre servile devrait cesser ! J'abolis dès à présent toutes ces servitudes, j'affranchis de ces redevances tous mes colons, qu'ils retournent chez eux ». Ainsi fut fait, et depuis lors les habitants de la forêt de Paimpont et des villages qui la peuplent et la bordent sont restés, jusqu'en 1789, par la libéralité du pieux roi exempts de toute taxe et de toute corvée (DE LA BORDERIE. — Loc. cit. I, p. 481).

Voici un autre trait de la vie de ce prince, qui eut pour théâtre la grande forêt centrale de la péninsule armoricaine. D'après le vieil historien Pierre Le Baud, « le roi Judicaël retournait, après my nuict, en sa villa Plaisir, oultre la forêt. Il descendit dessus son cheval vers l'église du peuple Mioci pour faire prières à Notre-Seigneur. Et comme ses gens s'avançassent de chevaucher, ils parvinrent jusques à un gué de chariotz, près le castel, sur le fleuve Ynnano, sur la rive duquel ils trouvèrent un lépreux qui, à voix enrouée, requérait passage, car lors il y avait si grant habundance de eaue que nul home à pied sans péril ne peut le trespasser. » (Histoire inédite. — Bibliot. Nat., fol. 104, col. 2). En vain le pauvre lépreux supplie avec larmes ces beaux cavaliers de le prendre en croupe et de le passer sur l'autre rive ; à la vue de ses plaies hideuses tous le repoussent durement, et il reste seul, pendant que le cortège traverse le gué. Quelque temps après paraît Judicaël ; le pauvre homme recommence ses gémissements. Le prince alors s'approche du malheureux, l'invite à monter en croupe, en tenant le cheval par la bride, traverse la rivière, et le dépose doucement sur l'autre bord. Au moment de le quitter, le lépreux radieusement transfiguré en Notre-Seigneur, dit au roi : « Tu es bien heureux, Judicaël, et plus encore le seras-tu, car pour m'avoir honoré sur la terre, tu seras exalté et honoré en la terre et au ciel ».

On peut déterminer le théâtre de cet exploit. Le peuple Mioci est une traduction du plou de Mioc, aujourd'hui Plumieux, paroisse du canton de La Chèze, Côtes-du-Nord (aujord'hui Côtes-d'Armor). Le fleuve Ynnano est un affluent de l'Out le Ninian qui borne vers l'Est le territoire de Plumieux. Quant à la villa appelée Plaisir, c'était un de ces quartiers de bois aménagés pour la chasse, grande enceinte entourée de fossés profonds et de gros retranchements, que l'on nommait Plessis. Une fortification de ce genre existe encore à deux petites lieues Sud-Ouest de Plumieux, sur le bord du Ninian, au village de Bodieuc, en Mahon, arrondissement de Ploërmel. Elle se compose d'une vaste enceinte elliptique de cinq hectares, bordée par une douve. Au centre de cette grande ellipse, s'élève une butte artificielle de sept mètres de hauteur. De plus cette enceinte est armée d'une sorte de bastion défendu par un retranchement entouré d'un fossé. Forteresse très importante, on le voit. Les Mahonnais d'aujourd'hui appellent ce système de retranchements le Camp des Rouets. En français cela ne veut rien dire ; en breton cela signifie littéralement le Camp du Roi, Kamp d'er Roué, le camp ou le château du roi Judicaël (DE LA BORDERIE. — Loc. cit. I, p. 480 à 483).

Le saint roi ne pensait pas seulement à lui. Il se plaisait à semer dans ces vertes solitudes des ermitages, de petits monastères dont les habitants, travaillant le sol autour d'eux, créaient de vastes clairières, où ils ne laissaient, comme souvenir du passé, que quelques îlots de verdure. C'est ainsi qu'il installa, dans les environs de la paroisse actuelle de Mauron, sur la petite rivière du Doueff, un anachorète, appelé Elocau, qui commença à défricher ce canton, et y vécut quelque temps. Plus tard, dans cet ermitage arriva un moine, nommé Léri, qui se promenait avec un chariot traîné par des bœufs et dans ce chariot un cercueil de pierre à son usage afin d'être toujours sûr — n'importe où la mort le prendrait — d'avoir un lit de repos pour sa dépouille. Il agrandit la petite installation d'Elocau, en fit un monastère où il mourut. Il fut enterré dans son fameux cercueil, témoin de sa vie entière. De son oratoire est née une paroisse qui existe encore et porte son nom.

Les historiens ne tarissent pas d'éloges sur la vaillance, la vertu, la grande figure de Judicaël. Son meilleur biographe, Ingomar, dit : « Il fut doux et aimable à toutes gens, la face plaisante, le regard débonnaire ; il était le consolateur des désolés, le bienfaiteur des pauvres, l'hôte des pèlerins, le défenseur des veuves, le père des peuples, le releveur des misérables et le fracteur des orgueilleux. Justicier exact, incorruptible, jamais on ne le vit faire acception de personne, encore moins céder à la menace, à l'arrogance. Nul prince ne se donnait plus de soins pour assurer la sécurité publique, et réprimer énergiquement les perturbateurs. La seule crainte de son nom détournait les brigands du brigandage ; car Dieu l'avait fait fort et vaillant dans les combats, et plus d'une fois, seul, armé de son glaive, il mit en fuite des troupes d'ennemis et de malfaiteurs » (Traduit par LE BAUD. — Histoire de Bretagne, p. 82).

Peut-être y a-t-il dans ces éloges quelque exagération ; pourtant la vie de Judicaël, mondaine en apparence, n'avait guère cessé d'être celle d'un moine. Même dans les nuits d'hiver, au lieu de reposer mollement sous de chaudes fourrures dans sa couche princière, il dormait sur les dures et froides dalles de sa chambre. Depuis sept ans il ne buvait que de l'eau, à l'insu de tous, sauf de son échanson, qui la versait, au lieu de vin, dans la coupe royale finement ciselée mais fermée d'un couvercle qui en cachait le contenu. Il redoublait ses œuvres de piété, de charité, allant servir, soigner de ses propres mains les pauvres toujours si nombreux près de sa résidence. Jetant les yeux autour de lui il voyait dans la voie de l'ordre et de la justice le royaume de Donmonée solidement affermi, l'existence, l'indépendance, la sécurité de la patrie bretonne bien assurées par l'heureuse issue de sa lutte contre Dagobert ; son devoir de roi et de capitaine, de chef d'armée et de chef de nation lui paraissait pleinement accompli (DE LA BORDERIE. — Loc. cit. I, p. 486).

Ce fut alors que toutes ces considérations ramenèrent ses pensées vers la vie religieuse, dont il avait goûté naguère, pendant les années qu'il s'y était soumis, le charme doux et fort. Durant son règne il semble avoir été poursuivi par une sorte de remords de l'avoir quittée. En 640, la nostalgie du cloître, auquel il aspirait de plus en plus, s'empara de lui avec une telle intensité qu'il crut, en y cédant, répondre au désir et à l'appel de Dieu. Laissant le soin de son royaume et de ses enfants à un de ses frères dont l'histoire ne nous a pas conservé le nom, sans rien emporter du monde que l'envie de réparer, par une fervente pénitence, la perte du temps qu'il croyait y avoir faite, il quitta sa pourpre herminée et entra à l'abbaye de Saint-Jean de Gaël, qu'en souvenir de son vénérable fondateur, l'on commençait à appeler Saint-Meen. C'est là qu'il mourut, un dimanche 16 Décembre. Quant à l'année, la date est incertaine, ce fut probablement en 647 ou 652.

On rendit au corps de S. Judicaël, quelques jours après son décès, tous les honneurs qu'il avait fuis pendant sa vie. Ses obsèques furent les plus magnifiques qu'on eût jamais vues dans la province. Les fils et petits-fils du bienheureux, ses parents, de nombreux évêques et prêtres, tous les seigneurs du pays, ceux qu'il avait protégés aux jours de sa puissance, les veuves et les orphelins qu'il avait soulagés y assistèrent et y manifestèrent l'expression de leurs regrets attristés. Jamais funérailles n'avaient été, ni si touchantes, ni si solennelles, on célébrait comme un triomphe l'heureuse fin d'un roi et d'un saint.

Lors de la destruction de la première abbaye de Saint-Jean-de-Gaël, les reliques de S. Judicaël avaient été transportées à Saint-Jouin-de-Marne. Elles furent ramenées, du moins en grande partie, à la seconde abbaye en l'an 1130. Elles y furent reçues et y sont conservées avec le plus grand respect, avec la plus fervente piété, car il a été de tout temps considéré comme un des fondateurs de ce monastère. Il en fut même plus tard un des patrons ; en 1008 et en 1135, on le nommait dans les anciennes chroniques « Notre-Dame, Saint-Meen et Saint-Judicaël » (Guillotin DE CORSON. — Pouillé du diocèse de Rennes, II, p. 122).

(A. Millon).

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