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Napoléon III et son voyage à Cherbourg (en 1858).

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CHERBOURG. 4 août. Inauguration du chemin de fer. — 5 Août. La reine d'Angleterre. Fête de nuit en rade. — 6 août. Visite de l'escadre. — Bal. — 7 août. Inauguration du bassin Napoléon III — Lancement de la Ville-de-Nantes. — 8 août. Inauguration de la statue de l'Empereur.

Entre deux rangs de collines élevées dont il a fallu par un travail gigantesque trancher le sol granitique, se présente la vaste enceinte de la gare de Cherbourg. Avant l'arrivée, le train impérial est salué par les acclamations chaleureuses des milliers de spectateurs entassés sous des rangées de tentes de chaque côté de la voie : d'autres ont grimpé sur les cimes des rochers, d'autres se tiennent sur le sommet de la montagne du Roule, et planent de bien haut sur le théâtre même de la fête. Enfin, la vaste plaine qui se déploie aux environs de l'embarcadère est couverte par des centaines de tentes criméennes pavoises aux couleurs nationales, que la compagnie du chemin de fer de l'Ouest, a destinées au logement des milliers d'invités que la ville de Cherbourg, trop étroite, ne saurait contenir : cet appareil présente le plus riant spectacle. Au fond, la gare monumentale, dont les murs et les voûtes sont tapissés d'étendards, d'oriflammes, et des drapeaux des nations alliées de la France, est entourée de gradins élevés sur lesquels ont pris place les fonctionnaires de tout le département de le Manche, dont les costumes variés se mêlent, aux nombreux uniformes des officiers de marine ; au milieu un autel est disposé et plusieurs centaines d'ecclésiastiques y attendent les Augustes Visiteurs, avec le savant prélat, Mgr Daniel, évêque de Coutances et d’Avranches.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

Arrivée de Leurs Majestés.

Bientôt l'Empereur et l'impératrice descendent de leur wagon, et, suivis de leur cortège, s'avancent vers l'autel : en ce moment les cris les plus enthousiastes se font entendre de tous côtés ; les fonctionnaires, le clergé, le peuple, acclament à l'envi les Souverains que reçoivent à leur arrivée le contre-amiral de Gourdon, préfet maritime, le préfet de la Manche, Mgr. l'évêque, le sous-préfet de Cherbourg, et le maire qui, en présentant à l'Empereur les clefs de la ville, Lui adresse le discours suivant :

« SIRE, Il tardait à toute la population de Cherbourg de déposer aux pieds de Votre Majesté l'hommage de son respect, et de faire éclater en sa présence les sentiments de gratitude dont Vos bienfaits l'ont pénétrée. Elle tient surtout aujourd'hui, Sire, à Vous rendre grâces pour l'auguste bienveillance qui, sur notre humble demande, Vous fit accorder en 1852 l'admirable voie de communication que Vous daignez venir inaugurer parmi nous. Elle y voit avec bonheur une nouvelle preuve de Votre incessante sollicitude pour les intérêts de ce pays et pour ceux de la France entière. Elle comprend qu'en reliant ainsi Cherbourg à Paris, Vous voulez à la fois donner un nouvel essor au commerce, vivifier nos contrées fertiles un moment déshéritées, et rendre à jamais inexpugnable l'un des plus merveilleux remparts du territoire de l'Empire.
MADAME,
L'arrivée de Votre Majesté vient combler tous nos voeux. Comme ici, comme partout, par Vos bienfaits Vous ne rencontrerez que des coeurs reconnaissants, heureux de contempler l'Auguste Mère du Prince Impérial, l'espoir de la France ; avides de saluer en Vous la gracieuse image de la bienfaisance rehaussée encore par l'éclat de la couronne.
SIRE,
Daignez recevoir ces clefs de la Ville. Présentées pour la première fois, en 1811, à l'immortel fondateur de Votre Dynastie, elles appartiennent, à plus d'un titre, au digne Héritier de sa couronne au glorieux continuateur de son oeuvre, au Souverain à qui la France doit le rétablissement de l'ordre, de la prospérite au dedans, de sa dignité et de son influence au dehors.
Vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! »
.

L'Empereur a répondu qu'il était heureux de venir à Cherbourg inaugurer des travaux gigantesques commencés par Louis XVI, pendant la paix en vue de la guerre, poursuivis par Napoléon Ier pendant la guerre en vue de la guerre, et achevés sous son règne pendant la paix et en vue de la paix.

Leurs Majestés, s'étant dirigées vers l'autel ont été reçues par Mgr. l'évêque, qui a prononcé le discours suivant :

« SIRE,
C'est, après Dieu, à la sagesse de Votre Majesté, à sa haute et ferme intelligence, que le pays est redevable de l'ordre, de la paix et de la glorieuse prospérité dont il jouit. La religion Vous doit une protection éclairée qui lui permet, d'exercer librement sur les âmes son saint et salutaire empire. En retour des immenses services que Vous lui rendez, le pays Vous apporte son amour, sa reconnaissance et son dévouement. Ces sentiments ne sont nulle part plus sincères et plus unanimes que parmi les bonnes et religieuses populations du diocèse de Coutances. Nulle part le clergé n'est plus profondément pénétré de ses devoirs civils comme de ses devoirs religieux. Heureux d'être son interprète dans une circonstance aussi solennelle, et, m'associant du fond du coeur aux sentiments qui l'animent, je prie Votre Majesté d'agréer le respectueux hommage de sa gratitude, de ses voeux et de ses félicitations. Que le Dieu tout-puissant daigne bénir les prodigieux travaux qui s'accomplissent par Vos ordres et sous les fécondes inspirations de Votre génie ; qu'il accorde une longue durée à Votre règne, si glorieux et si nécessaire à la France et au monde ! Qu’il répande ses saintes bénédictions sur le Prince Impérial, qu'attendent de si grandes destinées, et sur l'Auguste Princesse dont les vertus et les bienfaits brillent sur le trône d'un si doux éclat »
.

L'Empereur a répondu :

« MONSEIGNEUR,
Je vous remercie des sentiments que vous venez de M'exprimer ; les travaux de l'homme sont, surtout ici, du plus grand prix à Mes yeux ; mais ils ont toujours besoin de la protection de Dieu, et Je l'attends avec confiance de la bénédiction que vous allez donner à cette nouvelle voie »
.

Aprés la réponse de l'Empereur, Leurs Majestés, aux crix enthousiastes de vive l'Empereur ! vive l’Impératrice ! vive le Prince Impérial ! qui sortaient de tous les rangs, se sont placées à droite de l'autel où des prie-Dieu avaient été disposés pour Elles, et l'imposante cérémonie de la bénédiction des locomotives s'est accomplie. 0n a remarqué avec quel accent animé le clergé qui se trouvait en face de l'Empereur, a, comme d'une seule voix, entonné le Domine salvum. Les vivat ont de nouveau éclaté de toutes parts ; l'émotion était générale, vive et profonde.

Les présentations officielles ont eu lieu dans la salle d'attente de la gare dont les décorations somptueuses attiraient l'attention. Au ministre de la guerre qui  accompagnait Leurs Majestés depuis le départ de Saint-Cloud s'étaient joints Leurs Excellences. M. l'amiral Hamelin, ministre de la marine, M. le comte Walewski, ministre des affaires étrangères, et M. Roulier, ministre des travaux publics. On remarquait plusieurs sénateurs et les députés de la Manche parmi la nombreuse réunion de fonctionnaires venus de tous les points du département : plusieurs officiers généraux de la marine et de l'armée s'étaient aussi rendus à Cherbourg pour avoir l'honneur de présenter leurs hommages à Leurs Majestés.

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Bientôt, au bruit des détonations de l'artillerie des forts et de la rade, au son des cloches de toutes les églises, aux accords de plusieurs musiques jouant l'air national de la Reine Hortense, le cortége impérial s'est dirigé vers l'hôtel, de la préfecture maritime, au milieu d'une haie formée par les saleurs-pompiers, les troupes de terre et de mer, les députations des communes du département de la Manche et une affluence de peuple telle que les longues rues traversées par Leurs Majestés étaient garnies sans interruption depuis la gare jusqu'à la résidence impériale. Toutes les maisons étaient pavoisées : de distance en distance, des mâts vénitien s’élevaient avec des oriflammes et des écussons aux armes impériales ou aux chiffres de Leurs Majestés ; à l'entrée de la ville, un arc de triomphe avait été disposé. Pendant tout le parcours, l'Empereur et l'Impératrice ont été l'objet des saluts empressés et enthousiastes de la multitude accourue sur Leur passage.

Dans les salons de la préfecture, l'impératrice a reçu les hommages des dames et des demoiselles de la ville, qui, après avoir eu l'honneur de complimenter Sa Majesté, Lui ont offert des fleurs et des dentelles du pays.

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Entrée en rade de la Reine d'Angleterre.

A peine Leurs Majestés étaient-elles entrées à la préfecture maritime que trois salves d'artillerie ont retenti dans la ville ; c'était le signal de l'arrivée en rade de Sa Majesté Reine de la Grande-Bretagne. L'Auguste Alliée de l'Empereur était entrée à six heures, sur son yacht Victoria-and-Albert, escorté d'une escadre d'honneur sous le commandemenent du vice-amiral Lyons et composée des vaisseaux le Royal-Albert, de 120 canons, porteur du pavillon amiral, du Renown, de 91, de la corvette le Racoon, et des yachts Osborne, Black- Eagle, Vivid et Banshee. Le duc de Malakoff, ambassadeur de France, qui avait eu l'honneur de faire la traversée sur le yacht royal, a débarqué aussitôt que l'escadre a eu jeté l'ancre, et s'est rendu à la préfecture maritime pour présenter ses hommages à son Souverain. Le Soir, après le diner, l'Empereur et l'Impératrice, accompagnés de Son Excellence le maréchal duc de Malakoff, se sont embarqués au port militaire sur leur yacht la Reine-Hortense pour aller faire visite à sa Majesté Britannique. Au passage de Leurs Majestés Impériales, l'escadre anglaise saluant par des hourras, s'est brillamment illuminée : de leur côté, nos matelots, rangés sur les vergues, mêlaient au cri national de vive l'Empereur ! celui de vive la Reine !

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L'entrevue de Leurs Majestés Britanniques et le Prince-Epoux a été des plus cordiales : la conversation s'est prolongée pendant près de deux heures, et au moment du départ, la Reine a accepté l'invitation qui lui était gracieusement faite par l'Empereur de descendre le lendemain sur le continent et de visiter avec les Souverains de France les merveilles du port de Cherbourg. Il était environ onze heures lorsque Leurs Majestés Impériales sont rentrées en ville ; les quais et les rues resplendissaient de feux de toutes les couleurs, la façade de la préfecture était éclairée à giorno et une foule compacte qui avait attendu le cortége impérial, faisait entendre des vivat énergiques et multipliés.

5 août.
Le lendemain matin, de bonne heure, la ville présentait l'aspect le plus animé ; des milliers d'étrangers parmi lesquels on reconnaissait sans peine de nombreux Anglais, circulaient dans les rues et se plaisaient à contempler le magnifique coup d'oeil offert par la rade, où mouillaient avec notre escadre une partie de l'escadre anglaise et une quantité considérable de navires, tous les mâts étant pavoisés.

Vers onze heures, Leurs Majestés l'Empereur et l'Impératrice, accompagnés de LL. Exc. Les ministres de la marine, de la guerre, des affaires étrangères et des travaux publics, des maréchaux, du préfet maritime et des personnes de leur suite, traversent une grande partie de la ville et se dirigent vers le port militaire au devants de S. M. la Reine d'Angleterre. La haie est formée sur le passage de Leurs Majestés par des bataillons d'infanterie de ligne, d'Infanterie de marine, par les soldats des équipages de la flotte et les marins des vaisseaux de l'escadre ; on y remarque aussi les élèves de l'école impériale maritime de Brest, que, sur l'ordre de l'Empereur, le transport la Somme avait amenés pour être témoins des fêtes de Cherbourg.

Débarquement de la Reine.

Au moment où Leurs Majestés impériales descendent de voiture au lieu du débarquement, le bruit du canon, saluant de nos vaisseaux et de nos forts le passage de la Reine, signale l'arrivée du yacht royal. Bientôt Sa Majesté Britannique approche du débarcadère ; dans son canot, avec le Prince Albert et le Prince de Galles, en costume écossais, étaient plusieurs éminents personnages de l'Angleterre et les dames d'honneur de la Reine L'Empereur se rend au canot, offre la main à la Reine pour débarquer, et remonte avec Elle sur le quai, où l'Impératrice embrasse cordialement l'Auguste Visiteuse. Leurs Majestés sont aussitôt accueillies par les cris unanimes de vive la Reine ! vive l'Empereur ! que répètent à la fois les nombreux officiers de terre et de mer présents au débarquement, les troupes et les spectateurs qui assistent à cette solennelle entrevue. Au milieu de ces chaleureuses acclamations, Leurs Majestés Impériales, S. M. la Reine de la Grande-Bretagne et S. A. R. le Prince-Epoux prennent place dans la voiture de l'Empereur ; les Princes et les hauts dignitaires des deux empires suivent dans les autres voitures, et l'imposant cortége rentre à la préfecture maritime en passant sous de splendides arcs de triomphe.

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Un déjeuner a été offert par l'Empereur : à la table de Sa Majesté étaient assis LL. MM. l'Empereur, l'Impératrice et la Reine ; LL. AA. RR, le Prince-Epoux, le Prince de Galles, le duc de Cambridge et S. A. le Prince Leiningen. Dans une autre salle, on remarquait parmi les convives LL. Exc. les ministres, les maréchaux, plusieurs membres du Sénat et du Corps législatif et les personnes de la suite de Leurs Majesté.

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Promenade au fort du Roule.
A l'issue repas, Leurs. Majestés Impériales et Royale, les Princes et les officiers et dames de la suite ont fait une promenade à la montagne et au fort du Roule, situés à une élévation considérable au-dessus de la ville et du port de commerce. Après avoir visité le fort du Roule, important par sa construction et sa situation, Leurs Majestés ont contemplé le magnifique panorama qui, de cette hauteur, s'offre aux regards. Aux pieds du spectateur apparaît, d'un côté, la profonde vallée dans le sein de laquelle se déroule le chemin de fer, avant d'arriver à la gare monumentale élevée à la base de la montagne ; en face, se développe la ville, et plus loin le port militaire, dont les nombreux et vastes édifices occupent les intervalles entre trois immenses bassins où les navires trouvent un abri ; le bassin Napoléon III, qui doit être inauguré, présente ses vastes profondeurs, creusées dans un roc de schiste quartzeux ; enfin la rade déploie son étendue, couverte par les vaisseaux de ligne des escadres, par plusieurs centaines de navires de toute espèce, tous pavoisés aux couleurs nationales ou arborant leurs pavillons, et bornée par la digue, cet incomparable monument, construit au milieu des flots, véritable rempart du littoral français sur la Manche. Les forts qui se succèdent le long de la côte ou qui s'élèvent du sein de la mer ; l'aspect riant des belles campagnes de Normandie, qui forment comme le cadre de ce magnifique tableau : tout, du haut du fort du Roule où Leurs Majestés Impériales ont conduit leurs Augustes Hôtes, semble se réunir pour le plaisir des yeux. Les Souverains, ayant admiré ce beau point de vue, ont descendu à pied le sentier qui longe la montagne et se sont arrêtés quelque temps à la gare du chemin de fer, puis ils ont repris le chemin de la préfecture maritime. Dans le trajet, les plus vives acclamations ont, comme d'ordinaire, salué Leurs Majestés. A chaque pas, ces démonstrations de dévouement et d'enthousiasme se sont reproduites ; et, dans la journée, elles ont eu mainte fois l’occasion d’éclater, car l'Empereur el l'Impératrice sont allés accompagner la Reine vers le soir à l'embarcadère, et Se sont rendus pour sept heures au vaisseau amiral la Bretagne en rade, où un diner était offert par l'Empereur à Sa Majesté Britannique et à Sa suite.

Dîner à bord de la Bretagne.

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La Bretagne, qui porte le pavillon du vice-amiral Romain Desfossés, est un magnifique vaisseau de 120 canons, portant 1200 hommes d'équipage. C'est dans la batterie supérieure qu'avait été établie la salle à manger. La décoration de cette salle était toute militaire. D'immenses panoplies, des trophées d'armes de guerre et de marine, des faisceaux de drapeaux aux couleurs des deux nations, des lustres formés de pistolets et de baïonnettes la composaient, et des réflecteurs immenses en forme de soleil, construits avec des lames de sabre et des haches d'abordage, en ajoutant à l'éclat des bougies, complétaient cet ensemble pittoresque.

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A l'arrivée de Leurs Majestés impériales, Elles ont étés saluées par trois salves de tous les vaisseaux français et anglais et de l'artillerie des forts, auxquelles se mêlaient les hourras des matelots rangés sur les vergues et sur les ponts des vaisseaux. A sept heures précises, on a vu le canot de la Reine d'Angleterre se détacher du yacht royal et se diriger vers la Bretagne : l'artillerie a tonné de nouveau. L'Empereur a reçu son Hôte Auguste au bas du grand escalier de la Bretagne. Pendant le dîner, dans l'un des entre-ponts, l'excellente musique des Guides faisait entendre de délicieuses symphonies. Au dessert, l'Empereur s'est levé et a prononcé le toast suivant :

« Je bois à la santé de S. M. la Reine d'Angleterre, à celle du Prince qui partage son trône et à la Famille Royale. En portant ce toast en Leur présence, à bord du vaisseau-amiral français dans le port de Cherbourg, Je suis heureux de montrer les sentiments qui nous animent envers eux. En effet, les faits parlent d'eux-mêmes, et ils prouvent que les passions hostiles, aidées par quelques incidents malheureux, n'ont pu altérer ni l'amitié qui existe entre les deux Couronnes, ni le désir des deux peuples de rester en paix. Aussi ai-Je le ferme espoir que, si l'on voulait réveiller les rancunes et les passions d'une autre époque, elles viendraient échouer devant le bon sens public, comme les vagues se brisent devant la digue qui protége en ce moment contre la violence de la mer les escadres des deux Empires ».

Le Prince Albert s'est levé et a répondu :

« SIRE,
La Reine désire que j'exprime à Votre Majesté combien elles est sensible à la nouvelle preuve d'amitié que Vous venez de Lui donner, en Lui portant un toast et en prononçant des paroles qui Lui resteront chères à jamais. Votre Majesté connait les sentiments d'amitié qu'Elle Vous porte à Vous, Sire, et à l'Impératrice, et je n'ai pas besoin de Vous les rappeler.
Vous savez également que la bonne entente entre nos deux pays est l'objet constant de Ses désirs comme il l'est des Vôtres. La Reine est donc doublement heureuse d'avoir l'occasion, par Sa présence ici en ce moment, de S’allier à Vous, Sire, en tâchant de resserrer autant que possible les liens d'amitié entre nos deux nations.
Cette amitié est la base de leur prospérité mutuelle, et la bénédiction du Ciel ne lui manquera pas. La Reine porte la santé de l'Empereur et de l'Impératrice »
.

A ce banquet, théâtre de cette magnifique protestation de fidélité à une alliance utile à la prospérité de l'Empire, assistaient les plus éminents personnages de France et d'Angleterre : LL. Exc. le duc de Malakoff, l'amiral Hamelin, M. Rouher, ministre des travaux publics ; le comte Walewski, la comtesse Walewska, les maréchaux Vaillant et Baraguey d'Hilliers, le général de Mac-Mahon, le général Duchausoy, les dames du palais et les dignitaires et officiers de la Maison de l'Empereur ; le vice-amiral Romain-Desfossés, les contre-amiraux de Gourdon et Lavaud, et les commandants des navires de l'escadre ; lord Derby, M. Disraéli, lord Malmesbury, lord et lady Cowley, sir John Packington, le comte Delaware, la comtesse Desart, le colonel Hood, lord Chelsea, l'honorable Mary Bultel, le capitaine Duplat, le vicomte Vallesort, sir H. Phipps, les colonels Lyrwalt et Chapmann, M. Gibbs, l'amiral Lyons et les commandants des navires anglais.

Fête de nuit en rade.

Après le dîner, Leurs Majestés Impériales et Royales sont montées sur la dunette pour contempler un imposant spectacle, et bientôt, quand la nuit a fini de couvrir la rade, la plus merveilleuse fête qu'il soit donné de concevoir a célébré l'entrevue des Souverains. Tout à coup, les vaisseaux rangés en avant de la digue ont illuminé leurs sabords et présenté, sur un développement de plusieurs kilomètres, des milliers de feux qui, rapprochés par le lointain de la perspective, ressemblaient à des lignes enflammées sortant du sein des flots. De nombreux navires, poussés par la brise, sillonnaient la mer, et mêlaient les uns aux autres les oriflammes et les étendards dont ils étaient pavoisés. Un signal est donné par le vaisseau-amiral : aussitôt ce gigantesque monument du génie de l'homme, la digue de Cherbourg, jetée à l'entrée d’une baie immense et faisant comme le fond du tableau, se transforme en une rivière de flammes ; de l'un des forts partent des fusées et des artifices qui semblent s'élancer du milieu des ondes ; l'horizon tout à coup s'embrase et l'on dirait un vaste incendie.

Mais sur l'aviso à vapeur l'Actif, qui glisse entre les vaisseaux et les frégates, soixante-dix jeunes gens sont montés : c'est la Société de Sainte-Cécile de Cherbourg qui va saluer de ses chants mélodieux les Hôtes illustres de la Bretagne. Arrivé à l'arrière du vaisseau amiral, l'Actif s'arrête, et, au milieu du silence qui a succédé aux détonations du feu d'artifice, le choeur entonne le God save the Queen, invocation nationale pour le salut de la Reine d'Angleterre ; les voix se taisent et, en face, la musique des Guides semble répondre ; les voix reprennent et disent un chant en l'honneur de l'Impératrice Eugénie ; la musique militaire répond encore et le choeur lui succède de nouveau. Puis les cris de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive la Reine ! vive le Prince Albert ! retentissent de toutes parts.

Le calme renaît, sur la rade, les feux s'éteignent, la nuit se fait encore ; on hèle le canot de l'Empereur et celui de la Reine, qui s'avancent rapidement au bas de l'escalier du vaisseau. Tout à coup, comme par enchantement, la nuit disparaît : la Bretagne semble tout en feu ; une lumière brillante remplit l'espace, et, au haut de l'escalier d'honneur, apparaît l'Empereur avec son cortège. A cet instant les détonations de mille canons se font entendre ; les innombrables navires groupés dans la vaste enceinte se couvrent de feux aux couleurs variées, et pendant que d'un côté Leurs Majestés Impériales, et de l'autre la Reine d'Angleterre et Sa suite, sous les tentes gracieuses de Leur embarcation, rejoigent la terre ou Leur Vaisseau, des milliers d'hommes, saisis d'enthousiasme à la vue d'un pareil spectacle, font sortir de leurs poitrines émues les acclamations les plus chaleureuses, et les hourras britanniques se mêlent aux cris de vive l'Empereur ! qui se renouvellent longtemps encore.

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Leurs Majestés rentraient à onze heures à la préfecture maritime.

6 août. — Départ de la Reine.

A dix heures du matin, le vendredi 6 août, LL. MM. l'Empereur et l'Impératrice Se rendaient de nouveau en rade pour faire une visite d'adieu à S. M. la Reine d'Angleterre sur Son yacht Victoria-and-Albert. Bientôt après le yacht royal a pris le large, escorté des vaisseaux de ligne anglais, et salué par trois salves de toute l'artillerie de nos vaisseaux et de nos forts, auxquelles se mêlaient les cris répétés de vive la Reine d'Angleterre ! En voyant la réception cordiale et pompeuse faite les 4 et 5 août 1858, par Napoléon III à la Reine Vistoria, on se rappelait qu'il y a un siècle à pareil jour, les 4 et 5 août 1758, une flotte anglaise s'était montrée aussi sur les côtes de Cherbourg, y avait débarqué ses troupes, et avait détruit les premiers travaux du port militaire et les défenses du littoral. En ce moment même, des troupes anglaises débarquaient à Saint-Cast, sur les rivages Bretons, et le 8 septembre 1758, elles étaient honteusement chassées par une poignée d'hommes, dont les fils viennent d'élever un monument commémoratif de cette victoire [Note : L'inauguration du monument de Saint-Cast a eu lieu le 11 septembre 1858, au bout d'un siècle]. Plus tard, Napoléon Ier disait de Cherbourg : « Mon grand objet était de pouvoir concentrer à Cherbourg toutes nos forces maritimes, et, avec le temps, elles eussent été immenses, afin de pouvoir porter le grand coup à l'ennemi. J'établissais mon terrain de manière que les deux nations tout entières eussent pu se prendre corps à corps, et l'issue ne devait pas être douteuse ». Et maintenant, grâce à la sage politique de l'Empereur, l'achèvement de ces importants préparatifs de défense n'est plus considéré que comme le gage et la garantie de la paix ; et les vaisseaux de la Grande-Bretagne et de la Russie unissent leurs feux dans le salut que les batteries et les vaisseaux français rendent aux deux plus puissants Souverains du monde.

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Visite de l'escadre et de la digue.

Aussitôt après le départ de la Reine, l'Empereur et l'Impératrice sont montés à bord de la Bretagne, et ont reçu les officiers de l'escadre. Leurs Majestés, après cette présentation, désirant donner une nouvelle preuve de l'intérêt qu'Elles portent à la marine, ont visité successivement les vaisseaux de l'escadre rangés en ligne dans l'ordre suivant : Saint-Louis, Alexandre, Austerlitz, Ulm, Donawerth, Napoléon, Eylau, Bretagne, Arcole, Isly. C'était avec un enthousiasme toujours croissant que Leurs Majestés étaient accueillies par les équipages ; les matelots, fiers d'être passés en revue par leur Empereur, étaient ravis davantage encore de voir l'Impératrice, malgré ses fatigues, parcourir sans se lasser les diverses parties des vaisseaux, adresser à tous des paroles affables et paraître toujours souriante et gracieuse. L'Empereur a distribué de sa main des décorations et des médailles aux officiers, sous-officiers et soldats qui Lui étaient présentés par l'amiral ministre de la marine.

Pendant que Leurs Majestés, à bord du canot impérial allaient ainsi d'un vaisseau à l'autre, des milliers de spectateurs assistaient à cette scène imposante : la rade était remplie de batiments, c'était une véritable forêt de mâts ; plus de deux cents yachts anglais, aux formes élégantes, figuraient dans cette immense flotte de navires de toutes grandeurs, qui sillonnaient la rade en tous sens et qui offraient un coup d'oeil difficile à décrire.

L'Empereur a voulu aussi visiter les travaux de la digue, et l'aviso à vapeur le Pélican, commandé par M. Hamelin, fils du ministre de la marine, a pris à la remorque le canot impérial. Leurs Majestés ont examiné avec un vif intérêt ce colossal travail tant de fois entrepris et tant de fois abandonné. Elles ont admiré, la construction et la position de ce gigantesque rempart, long d'environ quatre kilomètres, qui ferme la rade, accessible seulement, désormais, par deux passes bien gardées. On l'a dit avec raison : la main de l'homme n’a exécuté nulle part un monument d'une construction plus difficile, d’un caractère plus grandiose ; il a fallu le concours d'une grande nation, la persistance de six gouvernements successifs, la science de la théorie et de la pratique, des millions de dépenses et soixante-dix ans de travaux pour produire cette merveille hydraulique du monde.

Rentrées à sept heures à la préfecture maritime, Leurs Majestés recevaient à Leur table, outre les maréchaux, les ministres et les dignitaires de la Cour, Mgr l'évêque de Coutances, le général de division Duchaussoy, MM. Le Verrier, le marquis de Croix, le marquis d'Espeuil, sénateurs, des députés, l'abbé Coquereau, chanoine de Saint-Denis, premier aumônier de la flotte, le curé de Cherbourg, M. de Chasseloup-Laubat, M, de La Peyrière, etc., et plusieurs officiers de marine. Pendant le dîner, la musique du 42ème de ligne faisait entendre des morceaux d'harmonie, et des choeurs de jeunes soldats du même régiment exécutaient un chant à l'Empereur et à l'Impératrice, et diverses compositions musicales. Le soir, une illumination féerique, favorisée par le plus beau temps, et un feu d'artifice du plus remarquable effet, occupaient la curiosité, populaire, que des régates sur la petite rade avaient agréablement distraite dans la journée.

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7 août.

Le samedi 7 août, Leurs Majestés ont désiré satisfaire leur dévotion en allant entendre la messe à l'église de Notre-Dame du Voeu, sanctuaire reconstruit il y a peu d'années, objet de la vénération et de la confiance des fidèles. Cette pieuse démarche, accomplie avec la simplicité pleine de grandeur qui caractérise tout ce que fait l'Empereur, prouve une fois de plus, qu'au milieu des pompes qui les entourent, nos Souverains n'oublient pas de rendre à « Celui de qui relèvent tous les empires » l'honneur et le culte qui lui sont dus. C'était dignement commencer cette journée qui devait être témoin d'un événement à jamais mémorable, de l'inauguration du plus vaste bassin à flot qui soit au monde, du bassin Napoléon III.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

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Immersion du bassin Napoléon III.

A midi, l'Empereur et l'Impératrice quittaient la préfecture maritine, suivis d'un nombreux et brillant cortége, et se rendaient au port militaire par la belle avenue de l'Abbaye, entre deux haies formées par l'infanterie et l'artillerie de marine, les équipages de la flotte et les ouvriers du port avec leurs drapeaux. Deux arcs de triomphe avaient été construits ; celui de la porte du Midi portait des deux côtés cette inscription : VIVE L'EMPEREUR ! VIVE L'IMPÉRATRICE !

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Il était remarquable par l'habile disposition des faisceaux d'armes qui le composaient en grande partie. L'autre, placé à l'extrémité nord du bassin même, sur le quai des Formes, à l'entrée du terre-plein et en arrière de la tente impériale, était formé avec des caisses à eau qui, superposées les unes sur les autres, offraient l'aspect d'assises de pierres ; l'ensemble de cette construction était très-monumental, et pour tous les ornements, écussons, corniches, on s'était servi de lanternes, d'hélices, d'ancres, d'armes, d'outils et d'ustensiles employés dans la marine.

Il est difficile de se faire une idée de l'aspect imposant du bassin Napoléon III : cet immense et magnifique réceptacle, long de 420 mètres sur 200 de large, a été creusé dans le roc schisteux qui a nécessité plus d'une fois l'emploi de la mine, et il a exigé plus de vingt années de travaux ; il est entouré de sept formes de radoub, dont deux, destinées aux vaisseaux de premier rang, sont les plus spacieuses du monde, leur longueur étant de 140 mètres, et leur largeur de 30 mètres et de sept cales de construction, construites avec toutes les conditions de solidité et d'élégance possibles, sous la direction de MM. Dussaud et Rabattu, ingénieurs, dont un semblable travail immortalise le nom. Le bassin communique à la mer par deux vastes écluses, le joignant, l'une à l'avant-port, l'autre au bassin Charles X, et maintenant fermées par des bâtardeaux en maçonnerie qui doivent tomber au moment de l'inauguration. Autour de ce gigantesque bassin, dans le fond duquel le soleil reflétait ses plus chauds rayons, cent mille spectateurs attendaient l'arrivée de Leurs Majestés. Au fond, trois tribunes avaient été élevées : deux d'entre elles destinées chacune à mille dames, et celle du milieu aux Augustes Visiteurs. Au-dessous de la tribune impériale, un escalier gigantesque recouvert de tapis conduisait au fond du bassin, où une pierre scellée destinée à perpétuer le souvenir de cette solennelle inauguration, attendait les médailles et les pièces de monnaie que l’on y dépose ordinairement.

Bientôt le bruit des acclamations populaires, qui ne cessent de saluer le passage de Leurs Majestés, annonce l'arrivée de l'Empereur et de l'Impératrice. Le cortége impérial, faisant le tour des batiments du port, s'est arrêté à la tribune centrale, et aussitôt les canons de l'escadre et des forts ont tonné, la musique des Guides a joué l'air national : Partant pour la Syrie, et d'un bout à l'autre de cet incomparable théâtre, des milliers de voix ont, à plusieurs reprises, salué des cris, de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial !.

Leurs Majestés, qui ont été reçues par l'amiral préfet maritime et les autorités du port.

Leurs Majestés, ayant pris place sur Leur trône, ont été entourées des officiers de la Couronne, des dignitaires de la Cour, des maréchaux, des amiraux, des ministres et d'éminents personnages appartenant au Sénat, au Conseil d'Etat et au Corps législatif. On remarquait dans l'entourage impérial des membres distingués de l'aristocratie anglaise, anciens amis de l'’Empereur ; des membres du Parlement britannique, des officiers supérieurs parmi lesquels nous citerons l'amiral sir Ch. Napier, accueilli par l'Empereur avec une extrême affabilité ; lord John Manners, ministre des travaux publics ; lord Alfred Paget, sir J. Elphinstone, général Codrington, lord Colville, premier écuyer de la Reine, et lady Colville, lord et lady Chelsea, lord Shaftesbury, amiral comte Shrewsbury, duc de Rutland, colonel Forester, des life-guards, marquis de Cuningham et lady Churchill, lord Shesterfield et beaucoup d'autres.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

En face de la tribune impériale, un nombreux clergé ayant à sa tête Mgr. Daniel, évêque de Coutances et d'Avranches, a procédé à la bénédiction solennelle du bassin Napoléon III. Après les prières de l'Eglise, l'Empereur, donnant le bras à l'Impértrice, a descendu l'escalier d’honneur, suivi d'un imposant cortége, et bientôt la multitude des spectateurs a pu apercevoir au fond du bassin Sa Majesté, accomplissant les formalités d'usage en pareille circonstance, comme il est dit dans le procès-verbal officiel que nous reproduisons :

PROCÈS-VERBAL DE LA CÉRÉMONIE D'INAUGURATION
DU BASSIN NAPOLÉON III A CHERBOURG.
(7 août 1858).

Le sept août mil huit cent cinquante-huit, vers midi et demi, dés Leur arrivée, sous la tente qui Leur avait été préparée sur le terre-plein central des formes du nord, LL. MM. l'Empereur Napoléon III et l'Impératrice Eugénie sont descendus au fond du bassin par l'escalier d'honneur disposé en avant de la terre ét construit tout exprès pour la circonstance.

M le contre-amiral de Gourdon, préfet maritime, et M. Richard, directeur des travaux hydrauliques, ouvraient la marche. Venaient ensuite LL. MM. L’Empereur et l'Impératrice, accompagnés de Son Excellence le ministre de la marine ; de Exc. Les ministres des affaires étrangères, de la guerre, et des travaux, publics ; de LL. Exc. Le maréchal duc de Malakoff, le maréchal Baraguey d’Hilliers, et de toutes les autres personnes formant le cortège de Leurs Majestés.

Rendus au pied de l'escalier, LL. MM. l'Empereur et l'Impératrice Se sont placés devant la Pierre cérémoniale en granit destinée à recouvrir la plaque en platine et les monnaies commémoratives qui devaient être scellées dans le fond du bassin afin de perpétuer le souvenir de l'achèvement et de l'inauguration de ce grand ouvrage.

M. le directeur des travaux hydrauliques a présenté alors cette plaque à Leurs Majestés qui l'ont examinée avec intérêt et ont lu les inscriptions gravées sur les deux faces.

Ladite plaque, renfermée dans une boîte en plomb avec diverses monnaies de l'époque, a été ensuite, de la main de l'Empereur, placée dans la cuvette disposée au fond du bassin pour la recevoir ; le directeur des travaux hydraulique a remis à Sa Majesté une truelle remplie de mortier de ciment que Sa Majesté a versée sur la boîte en plomb ; puis on a placé sur le tout une tablette de marbre blanc, sur laquelle on a posé la règle, le niveau et l'équerre ; après quoi, l'Empereur et l'Impératrice ont donné successivement un coup de marteau sur ladite tablette de marbre.

Leurs Majestés s'étant retirées un peu en arrière, cinq contre-maîtres choisis parmi ceux qui ont contribué à la construction du bassin, ont alors, sous la direction de M. Bernard, ingénieur des travaux hydrauliques, poussé en avant, au moyen de leviers, la pierre en granit destinée à recouvrir les objets qui venaient d'être scellés au fond du bassin. Cette pierre, roulant sur des boulets n'a pas tardé à être rendue à la place qu'elle devait occuper, et, les boulets ayant êté enlevés, elle est descendue sur la boîte en plomb qu'elle doit à jamais cacher.

Après cette opération Leurs Majestés sont remontées dans leur tente, suivies de tout le cortége qui Les avait accompagnées au fond du bassin ; et à une heure précise, sur un signe de l'Empereur, quatre vannes disposées dans le batardeau de la passe du sud ont été ouvertes et ont donné passage aux eaux de la mer qui se sont précipitées tumultueusement dans le nouvel espace qui leur était livré.

La cuvette disposée au fond du bassin et dans laquelle a été placée la boite en plomb est située à l'intersection de l'axe longitudinal du bassin et de l'axe prolongé de la passe nord dudit bassin. Cette cuvette a 0m14 de longueur, 0m14 de largeur et 0m03 de profondeur.

La plaque en platine renfermée dans la botte en plomb a 0m113 de longueur et 0m113 de largeur. L'une des deux faces porte l'inscription suivante :

L'arrière-bassin du port militaire de Cherbourg, décrété le 15 avril 1803 par Napoléon Ier, commencé le 28 juin 1836, a été ouvert à la mer le 7 août 1858, en présence de l'Empereur Napoléon III et de l'Impératrice Eugénie. Ce bassin a reçu le nom de Napoléon III. L'amiral Hamelin, ministre de la marine.

Sur l'autre face est gravée l'inscription suivante :

Ce bassin, creusé dans le roc, a 420 mètres de longueur, 200 mètres de largeur et 16 mètres 40 centimétres de profondeur au-dessous des plus hautes marées de l'Océan. Il est entouré de sept cales de construction et de sept formes de radoub, pour les plus grands vaisseaux de guerre.

Avec la plaque de platine, ont été renfermées dans la boîte en plomb les monnaies suivantes, savoir :

Monnaies d'or. — Pièces de 100 francs, 50 francs, 20 francs, 10 francs, 5 francs, au millésime de 1858.

Monnaies d'argent. — Pièces de 5 francs, de 2 francs, de 1 franc, de 50 centimes, de 20 centimes, au millésime de 1857 et de 1858.

Monnaies de cuivre. — Pièces de 10 centimes, de 5 centimes, de 2 centimes, de 1 centime, au millésime de 1857.

La pierre de granit qui recouvre la boîte scellée au fond du bassin a 2 mètres 57 de longueur, 0 mètre 51 de largeur, et 0 mètre 60 d'épaisseur. Sa face supérieure porte l'inscription suivante gravée en creux dans le granit :

Ce bassin, décrété le 15 avril 1803 par Napoléon Ier, a été commcé le 28 juin 1836, et a été inauguré le 7 août 1858 en présence de l'Empereur Napoléon III et de l'Impératrice Eugénie. L'amiral Hamelin, ministre de la marine.

Cette même inscription a été reproduite en relief sur une plaque en bronze de 2 mètres 17 centimètres de longueur et 1 mètre 25 de largeur, qui a été scellée dans le mur du quai nord, au-dessus de l'escalier par lequel Leurs Majestés sont descendues au fond du bassin.

Aussitôt, au bruit des salves d'artillerie, aux sons de la musique militaire, aux cris de vive l'Empereur ! qui retentissent de toutes parts, les digues qui retenaient la mer sont brisées et l'onde écumante se précipite dans le vaste bassin, dont elle doit recouvrir pour bien des siècles les énormes dimensions.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

 

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

Pendant que l'immersion s'accomplit, Leurs Majestés ont parcouru à pied le port militaire, visitant les salles d'armurerie, de montage ; le parc d'artillerie, les cales, les ateliers de construction, les chantiers où on Leur a montré le modèle de l'Aigle, yacht impérial actuellement sur cale, véritable type, de construction navale. Rentrées à la préfecture à quatre heures, Elles retournaient vers le soir au bassin Napoléon III pour assister au lancement du vaisseau à vapeur la Ville-de-Nantes de 90 canons, de la force de 900 chevaux. Au signal donné par l'Empereur, l'énorme masse a glissé sur son ber, et, avec la rapidité de la foudre, a tracé son premier sillage dans l'eau qui remplissait le nouveu bassin. Le canon de l'escadre et des forts de la rade a salué le départ de Leurs Majestés.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

Pendant le dîner impérial, les membres de la Société artistique de Sainte-Cécile de Cherbourg ont exécuté dans le jardin de la préfeçture maritime des choeurs en l'honneur de l'Empereur et de l'Impératrice. Après le repas, Leurs Majestés sont venues féliciter les jeunes artistes et leur ont adressé gracieusement la parole. Puis Elles sont allées dans les voitures de gala, suivies de la Cour et des hauts dignitaires, au bal de l'hôtel de ville. Les salons, splendidement décorés, étaient remplis de nombreux invités, parmi lesquels on remarquait beaucoup d'officiers généraux anglais. Le quadrille d'honneur était ainsi composé :

L'Empereur et Mme Dugué ;
L'Impératrice et le premier adjoint de Cherbourg ;
Le ministre de la marine et Mme de Gourdon ;
Le ministre des affaires étranagères et Mme de Tocqueville ;
M. Le Verrier, sénateur, et Mme la comtesse Walewska ;
Le général Meslin, député, et Mme Mayeux ;
Lé général Duchaussoy et la princesse d'Essling ;
Le président du tribunal civil et Mme de Brétizel.

Après avoir circulé pendant longtemps dans les salons, où Elles ont reçu les témoignages de la plus respectueuse sympathie, Leurs Majestés sont rentrées vers minuit à la préfecture maritime.

8 août — Inauguration de la statue de Napoléon Ier.

Nous arrivons au jour du départ, et il semble que la population, qui se pressait si nombreuse dans les rues de Cherbourg, augmente encore : en effet, profitant du repos du dimanche, les employés, les ouvriers des villes voisines, les paysans des paroisses environnantes arrivent en foule pour saluer leur Empereur. La fête a aujourd'hui aussi un cachet spécial : c'est l'inauguration de la statue de Napoléon Ier, dont le nom a tant de puissance sur les masses populaires. Dès le matin, une foule immense se groupe aux alentours du théâtre de la fête, et quand Leurs Majestés, parties à dix heures de la préfecture dans Leurs voitures de gala, se sont rendues à l'église de la Trinité pour assister à la messe, Elles ont été l'objet des démonstrations les plus énergiques d'un enthousiasme que cinq jours d'expansion n'ont pas affaibli. A l'entrée de l’église, l'Empereur et l'Impératrice ont été reçus par Mgr. l'évêque et la clergé, et sont entrés sous le dais jusque dans le sanctuaire : M. le curé de Cherhourg célébrait la messe, pendant laquelle des choeurs ont exécuté le Domine salvum.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

A l'issue de l'office, Leurs Majestés, reconduites sous le portique de l'église par l'évêque et le clergé ont de nouveau traversé le quai au milieu des flots du peuple, et se sont dirigées vers la tribune impériale élevée en face de la statue. Les cris de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! ont retenti de toutes parts au moment où Leurs Majestés, entourées des hauts dignitaires de l'Empire, se sont assises sur l'estrade réservée. Le quai Napoléon et la place d'armes, où les appareils des illuminations de la veille servaient encore à l'embellissement de la journée, étaient couverts de tentes aux vastes dimensions et splendidement décorées, où des milliers de spectateurs avaient pris place. Toutes les troupes de terre et de mer faisaient la haie.

Alors le maire de Cherbourg, s'avançant au pied de l'estrade, a prononcé le discours suivant :

« SIRE,
Cherbourg est, de toutes les villes de France, celle qui doit le plus à l'Empire. L'histoire de sa rénovation est tout entière écrite dans le décret spécial du 6 juin 1811, dont Votre Majesté a daigné autoriser le dépôt dans le piédestal de ce monument. C'est aussi, de l'ère impériale que date la vigoureuse impulsion donnée à ces prodigieux travaux, devant lesquels l'imagination reste confondue, et dont l'importance ne pouvait être caractérisée que par ces mémorables paroles : " J'avais résolu de renouveler à Cherbourg les merveilles de l'Egypte. J'avais élevé déjà dans la mer ma pyramide. J’aurais eu aussi mon lac Moeris ". Vers les limites de l'horizon, s'élève majestueusement cette pyramide, assise sur sa large base au sein des flots, dont la fureur vient expirer à ses pieds. Sentinelle avancée, elle ferme et défend cette magnifique rade, où nos vaisseaux trouvent en tout temps un abri protecteur. Grâces Vous soient rendues, Sire, notre lac Moeris existe également aujourd'hui. Il y a quelques heures à peine, sous les yeux de Votre Majesté, la mer, aux applaudissements de la France entière, faisait irruption dans ce vaste bassin, creusé dans des masses de roc qui semblaient devoir défier les efforts de la persistance humaine. Mais il Vous appartenait, Sire, de compléter les projets du puissant Fondateur de Votre Dynastie.

Il appartenait aussi à la ville de Cherbourg, et c'est un honneur que Votre Majesté lui a permis de revendiquer, d'élever, comme témoignage impérissable de sa gratitude, une statue à la mémoire de son immortel bienfaiteur. Désormais donc, nous pourrons montrer avec orgueil, ici, l'image vénérée du héros, là, l'oeuvre la plus gigantesque des temps anciens et modernes, poursuivie et terminée sous les règnes glorieux de Napoléon Ier et de Napoléon III. Aussi, confondant dans une seule et même pensée et nos souvenirs et l'impression des merveilles dont nous venons d'être les témoins, résumerons-nous à jamais nos sentimonts dans l'élan de ce cri national : Vive l'Empereur ! ».

L'Empereur, d’une voix haute et ferme, entendue par l'immense auditoire avide de recueillir les paroles de Sa Majesté, a dit :

« MESSIEURS,
En vous remerciant, à Mon arrivée à Cherbourg, de votre chaleureuse adresse, Je vous disais qu'il semblait être dans Ma destinée de voir s'accomplir, par la paix, les grands desseins que l'Empereur avait conçus dans la guerre. En effet, non-seulement les travaux gigantesques dont Il avait eu la pensée s'achèvent, mais encore, dans l'ordre moral, les principes qu'Il avait voulu faire prévaloir par les armes triomphent aujourd'hui par le simple effet de la raison. Ainsi, l'une des questions pour lesquelles Il avait lutté le plus énergiquement, la liberté des mers, que consacre le droit des neutres, est résolue d'un commun accord : tant il est vrai que la postérité se charge toujours de réaliser les idées d'un grand homme. Mais, tout en rendant justice à l'Empereur, nous ne saurions oublier, en ces lieux, les efforts persévérants des gouvernement qui L'ont précédé et qui L'ont suivi. L'idée première de la création du port de Cherbourg remonte, vous le savez, à celui qui créa tous nos ports militaires et toutes nos places fortes, à Louis XIV, secondé du génie de Vauban. Louis XVI continua activement les travaux ; le Chef de Ma famille leur donna une impulsion décisive, et depuis chaque gouvernement a regardé comme un devoir de la suivre.

Je remercie la ville de Cherbourg d'avoir élevé une statue à l'Empereur dans les lieux qu'Il a entourés de Sa sollicitude : vous avez voulu rendre hommage à celui qui, malgré les guerres continentales, n'a jamais perdu de vue l'importance de la marine. Cependant, lorsque aujourd'hui s’inaugurent à la fois la statue de ce grand capitaine et l'achèvement de ce port militaire, l'opinion ne saurait s'alarmer : plus une nation est puissante, plus elle est respectée ; plus un gouvernement est fort, plus il apporte de modération à ses conseils, de justice dans ses resolutions. On ne risque pas alors le repos du pays pour satisfaire l'orgueil ou pour acquérir une popularité éphémère. Un gouvernement qui s'appuie sur la volonté des masses n'est esclave d'aucun parti ; il ne fait la guerre que lorsqu'il y est forcé pour défendre l'honneur national et les grands intérêts des peuples. Continuons donc en paix à développer également les ressources diverses de la France ; invitons les étrangers à assister à nos travaux : qu'ils y viennent en amis, non en nivaux ; montrons-leur qu'une nation où règnent l'unité, la confiance et l'union résiste aux emportements d'un jour, et que, maîtresse d'elle-même, elle n'obéit qu’à l'honneur et à la raison ».

Ces nobles paroles, qui respirent le calme du droit et de la force, ont été suivies des acclamations les plus sympathiques de la nombreuse assistance.

Alors le voile de la statue, oeuvre de M. Levéel, artiste du pays, qui semble appelé à un bel avenir, est tombé : l'Empereur, avec son costume célèbre dans l'histoire et dans la légende, est apparu à cheval, le bras tendu vers la digue, et semblant prononcer ces paroles inscrites sur le piédestal et rappelées par le maire :

« J'avais résolu de renouveler à Cherbourg les merveilles de l'Egypte. J'avais déjà élevé dans la mer ma pyramide ! .... ».

Pendant les détonations et les cris qui saluaient la statue du grand homme, un incident a ému tous ceux qui en ont été témoins. Les médaillés de Saint-Hélène, les vieux soldats de Napoléon, arrivent aux pieds de Leurs Majestés : ils portent entre leurs mains vaillantes des couronnes d'immortelles ; ils semblent avoir puisé dans la joie qui les anime, une vigueur nouvelle pour acclamer l'héritier tant attendu de celui qui les conduisait à la gloire. L'Empereur s'approche, Il leur sourit, Il leur parle ; ces vieux braves mourront contents. Mais l'un d'eux reste humblement loin de son Souverain : il est infirme et sa compagne, débile aussi, le traîne pourtant dans une petite voiture, mais il ne peut arriver. La grâce et la bonté, personnifiées dans l'impératrice, iront jusqu'à lui ; et c'est avec une émotion pleine de larmes que le peuple, que les soldats voient l'Auguste Souveraine descendre avec empressement les marches de son trône, parler à ce vieillard avec un intérêt touchant, s'incliner vers son pauvre chariot et lui remettre, pour l'adoucissement de ses vieux jours, un rouleau de cet or qui ne le rendra jamais si heureux que l'ont fait ces paroles affables et cette démarche attendrissante. Pendant ce temps, l'Empereur faisait aussi des heureux en distribuant des décorations au pied de la statue ; et qu'on juge, après de pareilles scènes, de l'enthousiasme de l'armée au défilé, de l'enthousiasme du peuple au retour de Leurs Majestés à la Préfecture.

Après le déjeuner, où assistaient les chefs de l'armée, de la marine et de tous les services civils, l'Empereur et l'Impératrice sont montés, avec tout le cortége impérial, à bord de la Bretagne, salués par les salves d'adieu de toute l'artillerie. Sur les quais, sur les jetées, sur des navires, une population innombrable contemplait le départ, et, en bénissant les Augustes Voyageurs qui avaient semé tant de bienfaits autour d'eux, Leur souhaitaient une brise propice et un temps favorable.

(J. M. POULAIN-CORBION).

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