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Napoléon III et son voyage de Saint-Brieuc à Rennes (en 1858).

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DE SAINT-BRIEUC A RENNES. Le 17 août : Loudéac. — Moncontour. — Saint-Brieuc. — Enthousiasme du peuple. — Bal. Le 18 août : Lamballe. — Dinan. — Saint-Servan. — Saint-Malo. Le 19 août. Départ pour Rennes.

Avant d'entrer dans les Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), il restait au cortège impérial peu de chemin à faire depuis Napoléonville ; à Saint-Gunnery, dernière commune du Morbihan, un splendide dais de mousseline et de verdure était entouré de la population des deux départements limitrophes, qui était venue, une partie pour faire ses adieux, une autre pour souhaiter la bienvenue aux Augustes Voyageurs. L'escorte de cavalerie bretonne continuait toujours son service d'honneur, et la pluie qui tombait avec abondance ne ralentissait pas l'ardeur avec laquelle les habitants des communes les plus éloignées se pressaient sur la route.

Loudéac.

Leurs Majestés arrivaient à Loudéac à onze heures et demie environ : dans ce chef-lieu de sous-préfecture des Côtes du-Nord, malgré le mauvais temps, les communes de tout l'arrondissement s'étaient réunies. Un arc de triomphe remarquable par son élévation et son élégance portait cette inscription : SPES IN CAESARE TANTUM !

C'était comme le cri d'une population appauvrie par la décadence du commerce des toiles, sa principale industrie, vers la munificence impériale, source féconde de bienfaits ! Autour du monument, les autorités locales ayant à leur tête le sous-préfet et le maire attendaient Leurs Majestés, auxquelles le maire a adressé le discours suivant :

« SIRE,
Délégué en décembre 1851 pour aller à Paris porter les voeux du département des Côtes-du-Nord au Sauveur de la France, à l'Élu de la nation, je suis heureux et fier d'être appelé de nouveau à l'honneur de déposer aux pieds de Votre Majesté les hommages respectueux des habitants de Loudéac.
Sire, Votre voyage en Bretagne est, un triomphe.
Partageant l'enthousiasme général, notre population est impatiente de voir son Souverain ; elle est heureuse de contempler les traits de l'Impératrice, Votre auguste et pieuse Compagne, la mère de cet Enfant qui doit perpétuer la Dynastie des Napoléons.
Quels changements, Sire, depuis 1851 !
Combien la France a grandi sous Votre règne, elle marche à la tête des nations ; Vous étes l'arbitre de l'Europe. Vous avez rappelé, Sire, à notre orgueil national, les plus beaux temps du premier Empire.
Mais, Vous l'avez dit, Sire, l'Empire c'est la paix.
La paix, c'est le voeu de ces populations accourues de toutes les parties du centre de la Bretagne, pour Vous offrir l'hommage de leur respect et de leur dévouement.
Préoccupées, Sire, de graves intérêts d'où dépend l'avenir du pays, elles ont chargé une députation de Vous exposer leurs voeux.
Daignez l'entendre, Sire, et Vous connaîtrez enfin la vérité toute entière.
Notre espoir est en Vous seul, Sire.
Que nous soyons encouragés, Sire, dans nos efforts pour l'agriculture et nous bénirons Votre règne.
Puisse-t-il être long et prospère !
Puisse l'Héritier de Votre nom marcher sur les traces de ses Augustes Ancêtres !
Vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! »
.

L'Empereur en répondant aux paroles du maire, demanda quels étaient les intérêts dont on désirait l'entretenir. Aussitôt MM. de Cuverville, député de l'arrondissement, et Duclos, député d'Ille-et-Vilaine, s'étant approchés de la calèche impériale, ont dit à Sa Majesté que, mandataires de la partie centrale de la Bretagne, ils seraient heureux d'exposer à l'Empereur des observations relatives au chemin de fer projeté de Rennes à Brest.
Sa Majesté a daigné répondre que « rien n'était encore décidé au sujet de la direction de ce chemin de fer, et qu'aucune décision ne serait prise qu'après un examen sérieux ». Le sous-préfet exprima ensuite à l'Empereur le désir qu'éprouvaient les fonctionnaires d'être présentés à Leurs Majestés ; mais le temps était tellement contraire à la fête, que l'Empereur, ne voulant pas laisser exposé à la pluie la nombreuse population qui se pressait sur son passage, désira abréger les courts instants qu'il devait accorder à la ville de Loudéac. Le cortège s'étant mis en marche, traversa la haie formée par les sapeurs pompiers, les députations des communes, les médaillés. Les cris les plus enthousiastes ne cessaient de se faire entendre, et Leurs Majestés, regrettant vivement de ne pouvoir s'arrêter, saluaient de chaque côté des rues dont toutes les maisons, sans exception, étaient pavoisées. A la porte de l'église, Elles ont trouvé à la tête d'un nombreux clergé le curé avec lequel Elles se sont entretenues quelques instants : plus loin, les délégués des comices agricoles, la corporation des tisserands, les ouvriers des forges de Lanouée (Morbihan), du Pas et du Vaublanc (Côtes-du-Nord), se tenaient avec leurs drapeaux et leurs bannières.

En passant devant le palais de justice, où des salons avaient été disposés pour les recevoir, Leurs Majestés ont vu une exposition des produits agricoles et métallurgiques du pays, la plupart provenant des usines importantes de MM. Carré-Kerisoüet et Veillet et Allenou. Au relais avait été dressé un second arc de triomphe ; il portait cette inscription à la fois si laconique et si expressive : VOTANTS 18 065. SUFFRAGES 17 844.

La foule s'était amassée sur ce point, où l'espace permet à plusieurs milliers de personnes de se placer. Les acclamations les plus sympathiques ont éclaté, et les sapeurs-pompiers faisaient d'inutiles efforts pour contenir l'empressement populaire. « Laissez approcher ces braves gens, » a dit l'Impératrice. Aussitôt la voiture de Leurs Majestés a été entourée par une population heureuse de la confiance avec laquelle les sieurs corporations ouvrières ont défilé devant l'Empereur et l'Impératrice ; les représentants de la vieille industrie des toiles de Bretagne ont offert aux Augustes Visiteurs une pièce de toile au nom des fabricants de Quintin, une autre pièce de toile au nom du comité linier d'Uzel, et une pièce de mouchoirs au nom des tisserands de Saint-Hervé. Ou a remarqué le long défilé des tisserands et fabricants de Quintin, au nombre de plusieurs centaines ; ils étaient précédés d'une riche bannière qui portait l'écusson de l'antique baronnie de Quintin.

Pendant le moment d'arrêt du cortège, les fonctionnaires avaient pu le rejoindre : le tribunal, auquel s'étaient joints les juges de paix, le barreau et les officiers ministériels, s'est alors approché, et le président, après avoir eu l'honneur de s'entretenir pendant quelques instants avec l'Empereur, Lui a remis le discours suivant :

« SIRE,
Dans cette circonstance solennelle, si importante et si précieuse pour eux, les membres du tribunal de première instance de Loudéac et avec eux, tous ceux qui appartiennent à l'ordre judiciaire dans cet arrondissement, se présentent devant Votre Majesté avec le même empressement et avec le même bonheur afin de Vous offrir l'assurance de leur fidélité inviolable et aussi afin de déposer à Vos pieds et à ceux de Sa Majesté l'Impératrice, leur généreuse Souveraine, l'hommage de leurs sentiments les plus dévoués et les plus respectueux.

Pénétrés de reconnaissance et d'admiration pour tout ce que Vous avez fait de si important et de si glorieux pour la France, tous, Sire, nous attendions avec la plus vive impatience Votre arrivée au milieu de nous, afin de saluer et de féliciter en Vous respectueusement, sincèrement, l'Illustre Souverain ;

Qui, par Sa perspicacité et Son énergie Napoléonienne, a su arracher la France aux convulsions de l'anarchie ;

Qui d'une main puissante, a rétabli dans notre belle patrie, sur les bases les plus solides, le principe de l'ordre et celui de l'autorité depuis trop longtemps méconnus, depuis trop longtemps si profondément ébranlés de toutes parts ;

Qui y a protégé, et continue d'y protéger partout avec une égale sollicitude les intérêts religieux et les intérêts matériels ;

Et qui, enfin, à l'extérieur, par une politique sage, ferme et puissante, par l'éclat des armes et le succès des batailles aussi bien que par l'autorité, et la prépondérance de Ses conseils dans les congrès de la paix, a reconquis glorieusement pour la France le premier rang, la première place parmi les premières nations du monde.

Tels sont, Sire Vos titres glorieux à notre reconnaissance, à notre dévouement et à notre amour. Eh bien, ces sentiments d'amour, de dévouement et de reconnaissance sont profondément gravés dans nos coeurs, et, comme chef de cette compagnie judiciaire, il m’est doux de pouvoir ici, en Votre auguste présence, les proclamer bien haut tant en mon nom qu'en celui de tous mes honorables collègues. Tous, Sire, nous faisons les mêmes voeux, c'est-à-dire les voeux les plus ardents pour que Vous viviez longtemps, bien longtemps encore pour le bonheur et pour la gloire de la France.

Et Vous, Madame, qui par les trésors inépuisables de Votre bienfaisance, qui par Vos charmes si ravissants, Vos vertus si sublimes et Votre courage si héroïque au milieu du danger, avez jeté un si vif éclat sur le trône illustre que Vous partagez avec l'Empereur ;
Vivez toujours environnée de notre reconnaissance, de nos sympathies et de nos respects ; Vivez toujours, heureuse pour la France et pour nous !

Mais Sire, là, près de Vous, à côté de Vos Majestés, nous voyons par la pensée le Prince Impérial et nous Vous disons du fond du coeur :
Qu'Il grandisse, Sire, sous Votre surveillance paternelle, ce jeune Prince, l'espoir de la France !
Que, sous Votre direction puissante et tutélaire, que, sous les douces lois et les pieuses inspirations de Son Auguste Mére,
Son intelligence se développe forte, grande et belle comme la Vôtre !
Et, comme Vous, Sire, toujours Il se montrera digne de Ses nobles destinées ;
Comme Vous, Il comblera la France des bienfaits de Son Gouvernement ;
Comme Vous, Il la protégera efficacement dans ses intérêts religieux et dans ses intérêts matériels, et comme Vous, enfin, Sire, Il la couvrira des rayons de Sa gloire.

Vive l'Empereur ! Vive l'Impétratrice ! vive le Prince Impérial ! ».

En quittant Loudéac, l'Empereur a laissé au maire et au sous-préfet d'abondantes largesses pour répandre dans le sein des pauvres, et il a annoncé au sous-préfet, administrateur distingué et enfant du pays, qu'il le nommait chevalier de la Légion d'honneur.

De Napoléonville à Loudéac, Leurs Majestés avaient été escortées par 350 cavaliers du canton de Goarec ; à Loudéac, un pareil nombre de cultivateurs du canton de Mûr les remplaçaient au poste d'honneur, et étaient eux-mêmes remplacés au Pontgamp par des jeunes gens du canton de Corlay.

Au Pontgamp, un arc de triomphe de verdure décorait le passage du cortège : des flots de population s'y pressaient, et l'Empereur, après avoir entendu le discours du maire, lui remit une somme importante pour les indigents de la commune. A Plouguenast, sous un berceau de mousse et de fleurs, la voiture impériale s'est arrêtée de nouveau et le curé a prononcé le discours suivant :

« SIRE, MADAME,
Qu’il est beau le zèle qui Vous anime pour le bonheur et la gloire de la France dont Vous étes le Souverain par une disposition toute particulière de la Providence. Oui, Sire, Vous êtes l'homme de la droite du Très-Haut, c'est lui qui Vous a donné la sagesse, la force, la prudence qui caractérisent si bien les actes de Votre Gouvernement. Le glaive qu'il Vous a mis en main fait trembler les méchants et rassure les gens de bien. Que Votre modestie me permette de Vous appeler le Sauveur de la patrie. N’est-ce pas Vous en effet qui avez fermé l'abîme que menaçait de tout engloutir ; Vous avez commandé au vent des passions mauvaises et le calme s'est fait. Vous avez rétabli l'ordre, rendu à la France sa dignité, sa prospérité ; la liberté à l'Eglise et à son auguste Chef ; par Vous l'Europe entière jouit maintenant de la paix et Vous donnez au monde chrétien l'espoir d'une ère nouvelle de civilisation et de progrès pour la foi catholique que Vous professez hautement et que Vous protégez partout. Tant de bienfaits envers la société ne peuvent demeurer sans récompense. La protection visible que le ciel Vous a accordée en tant de circonstances, le succés éclatant de toutes Vos entreprises ; l'Épouse Auguste qu'il Vous a donnée, et dont les vertus et la religion font Votre bonheur et notre édification ; le Prince Impérial, fruit précieux de Votre union, l'objet de notre espérance et de notre amour : ne sont-ce pas là des faveurs bien signalées qui prouvent que la main du Seigneur est avec Vous ? Aussi tous les coeurs bien nés Vous sont acquis, et ceux qui ne Vous aiment pas Vous craignent et Vous respectent. Que signifient ces manifestations qui éclatent sur Votre passage d'un bout de la France à l'autre, et rendent Votre marche vraiment triomphale ? ...
La Bretagne, que Vous daignez visiter en ce moment et dont le dévouement à Vos Majestés Vous est bien connu, la Bretagne, dis-je, ne peut rester en arrière, et si dans nos petites localités nous ne pouvons Vous accueillir avec pompe, nous le faisons du moins avec des coeurs sincères et pleins d'amour »
.

A quelque distance, des agriculteurs anglais, MM. Mullar, avaient élevé dans les landes de Fanton, qu'ils exploitent, un monument dont les colonnes étaient couvertes de dahlias entremêlés de bruyères, et qui portait cette inscription : WELCOME TO FANTON.

De chaque côté de la route, sur des coteaux arides, les bâtiments des fermes anglaises étaient pavoisés aux couleurs de la France et de l'Angleterre : cet ensemble offrait un ravissant coup d'oeil. La famille Mullar, à laquelle s'étaient joints d'autres familles anglaises et tous les ouvriers de l'exploitation, se tenait à cheval prés de l'arc de triomphe, tenant en main de magnifiques bouquets en l'honneur de Leurs Majestés Impériales. A Plémy, un immense clocher gothique, élevé sous la direction de l'abbé Boutrais, vicaire de la paroisse, était décoré de drapeaux tricolores et entouré de tous les habitants de la commune : Leurs Majestés ont daigné S'entretenir quelques instants avec le vicaire et le fils du maire, et, heureuses des témoignages d'amour qui Leur étaient prodigués par ces populations simples et naïves, Elles ont laissé à Plémy des traces de Leur munificence, et promis de contribuer à l'érection d'un clocher de granit sur l'église à moitié construite de la paroisse.

Moncontour.

Bientôt le cortège s'arrétait à l'entrée de Moncontour, petite ville qui conserve encore ses anciennes murailles, et dont la position sur le penchant d'une colline, entre deux verdoyantes vallées, était à la fois importante au point de vue stratégique et pittoresque comme point de vue. Sous l'arc de triomphe gothique, sur le flanc des coteaux, et jusque sur les roches granitiques entre lesquelles bondit en écumant l'eau d'une petite rivière, même affluence des populations, même accueil empressé et enthousiaste. Les autorités y étaient réunies, et le curé, s'avançant vers l'Empereur, a proponcé le discours suivant :

« SIRE,
A l'annonce de la visite de Votre Majesté, la Bretagne a tressailli de joie ; en ce moment elle se lève tout entière, et vient mêler ses acclamations unanimes à celles qui ont salué Votre gracieuse présence, et qui Vous attendent encore dans ce voyage inspiré par Votre bienveillante sollicitude. Nous en avons un gage dans ces démonstrations imposantes, ces fêtes si belles qui se succèdent sous Vos pas ; dans ces paroles saintes et douces qu'inspirent à nos vénérables pontifes les sentiments les plus légitimes de reconnaissance et d'amour, dans ces élans vifs et sincères qui peignent les coeurs bretons, et que Votre Majesté daigne accueillir avec bonheur.
Pour nous, Sire, qui ne sommes pas à la hauteur de ces grandes villes, nous sentons nos coeurs aussi dévoués, et tous, clergé et fidèles du canton de Moncontour, associés à nos honorables magistrats, nous Vous offrons nos félicitations empressées ; nous voulons ajouter une fleur à cette brillante couronne d'hommages et de dévouements qui Vous sont prodigués dans notre pays, et dont Vous êtes si digne par Vos inépuisables bienfaits.
Notre ville, Sire, célèbre au temps de ses ducs et de ses chevaliers, ne conserve plus que quelques vestiges de sa puissance guerrière ; mais elle est restée fidèle à sa vieille devise : Son Dieu, son Souverain, et comme elle, le pays, sous l'influence de la religion, a résisté aux passions mauvaises.
L'église de Moncontour, qui serait trop honorée de Votre auguste présence, jadis chapelle de son château, vénérable par un antique pèlerinage à Saint-Mathurin et par ses magnifiques verrières du XVIème siècle, réunit, comme autrefois, dans son enceinte, des populations qui n'ont rien de plus sacré que la religion et la patrie.
Or Sire, Vous êtes le protecteur de l'Église ; Rome, l'extrême Orient, la patrie et tous les coeurs catholiques de notre diocèse le proclament. Vous l'avez illustrée par l'éclat de Vos armes ; Vous la rendez prospère dans la paix.
A ces titres, nos voeux et nos coeurs appellent sur Vous, Sire, et sur Votre Auguste Épouse et le Prince Impérial la bénédiction du Ciel.
Qu'il daigne, le Dieu des armées, prolonger Vos jours, tous consacrés au bonheur de la France ! Qu'il conserve à Votre amour, à nos respects, à notre admiration, cette, noble Compagne que Vous avez associée à Vos grandeurs et à Vos bienfaits et dont le nom, même au milieu de nous, est béni par les malheureux ! Que ce Dieu de bonté assure la stabilité de Votre Dynastie par ce jeune Prince héritier de Vos glorieuses destinées ! A ce prix, nos voeux seront comblés. L'Empire sera la paix. Ce sont Vos paroles, Sire, et la France sera tranquille et respectée ; et la Bretagne, mieux connue, suivant l'impulsion nouvelle que Vous donnez à l'agriculture, sa principale richesse, et ses enfants attachés à la foi comme à leur sol natal, sauront également appliquer leurs bras vigoureux à la culture des champs, et aux amies, s'il le faut, pour l'honneur de Votre trône impérial et la défense de la patrie.
Vive l'Empereur ! Vive l'Impératrice ! vive le Prince impérial ! »
.

M. Grollier, juge de paix, connu par ses travaux et ses écrits sur l'agriculture, s'est ensuite exprimé en ces termes :

« SIRE,
Nous venons déposer aux pieds de Votre Majesté l'hommage de l'admiration et de la reconnaissance que nous éprouvons pour le génie qui a replacé la France au premier rang des nations, et l'a rendue en peu d'années plus florissante qu'elle ne l'a jamais été. Les faits accomplis depuis le commencement de Votre règne glorieux nous remplissent de confiance, d'enthousiasme et d'orgueil, car Votre Majesté avare du sang de Son peuple, a d'abord fait tous Ses efforts pour éviter la terrible lutte qui a eu lieu en Orient ; mais lorsque la guerre est devenue inévitable, Vous l'avez dirigée avec tant d'ardeur et d'habileté, que Vous avez conquis la position qu'ambitionnait Frédéric le Grand, lorsqu'il disait : « Si j'étais roi de France, il ne se tirerait pas « un coup de canon en Europe sans ma permission !
Mais ce n'est pas uniquement parce que Vos grandes entreprises sont couronnées de succès, que nous éprouvons tant de sympathie pour Votre Majesté !
Nous Vous aimons surtout parce que Vous êtes semblable à cet empereur romain qui se plaignait d'avoir perdu sa journée lorsqu'il l'avait passée sans répandre des bienfaits !
Avec quel empressement Votre Majesté saisit toutes les occasions de soulager les malheureux ! Nous L'avons vue descendre du trône pour voler consoler les inondés, leur partager Ses propres deniers, et, ce qui est préférable encore, ordonner des études et des travaux pour prévenir de si grands désastres !
Si le peuple vénère encore la mémoire de ce roi qui avait émis le voeu que chaque campagnard, dans ses États, pût mettre, le dimanche, la poule au pot, combien il a plus de reconnaissance pour son Empereur qui procure aux agriculteurs des centaines de millions pour féconder leurs terres, en les assainissant au moyen du drainage ; qui a institué ces concours agricoles grandioses, ou le cultivateur distingué reçoit maintenant des récompenses capables d'exciter son émulation. Jamais aucun Souverain n'a autant fait que Votre Majesté pour l'agriculture ; daignez, Sire, agréer à ce sujet l'expression de notre profonde gratitude !
On trouve dans l'histoire une longue liste de vaillants Souverains qui ont remporté de nombreuses victoires, sources de bien des larmes, et souvent suivies de la famine et de la ruine des nations ! Mais les hommes qui ont le bonheur de voir Votre Majesté, se réjouissent ; car au-dessus de Votre front auguste brille une éclatante auréole où il est écrit en caractères éternels : L’EMPIRE, C’EST LA PAIX !
Ce sont ces paroles pleines d'avenir qui font que Votre peuple se porte avec tant d'enthousiasme sur Votre passage pour Vous prodiguer ses acclamations, et qui Vous ont conquis l'estime et l'amitié de toutes les têtes couronnées, ainsi que l'amour de toutes les nations civilisées !
L'Empire, c'est ta paix ! ...
Or, les défrichements de landes sont au nombre des travaux les plus utiles auxquels puisse se livrer un peuple qui ne fait pas la guerre, et puisque Votre Majesté S'est rendue propriétaire, en Sologne et en Gascogne, nous La supplions de daigner faire aussi des acquisitions de landes dans le département des Côtes-du-Nord, et d'y établir des fermes-modèles où les cultivateurs bretons viendront apprendre à remplacer l'ajonc épineux par de riches prairies artificielles. L'établissement de semblables fermes sera pour nous de la plus grande utilité, et il rappellera sans cesse aux habitants de nos campagnes le bonheur que nous avons en ce jour !

MADAME,
Permettez-moi de Vous exprimer les sentiments de respect, d'attachement, et de dévouement que nous éprouvons pour Votre Majesté et pour Votre Auguste Fils ; Vous avez conquis bien des coeurs, le jour où Vous avez fait remettre aux pauvres la Somme énorme que la ville de Paris voulait employer à Vous offrir une parure de diamants. Votre Majesté n'avait pas besoin de ces ornements factices, puisque la divine Providence s'est plu à Lui prodiguer tant de grâces et d'attraits.
Soyez notre avocat auprès de Votre Auguste Époux, afin de Le déterminer à faire des acquisitions de terres incultes dans le département des Côtes-du-Nord, et comptez, dans toutes les circonstances, sur le dévouement des habitants de cette contrée, car ils sont prêts à verser tout leur sang pour Vos Majestés et pour le Prince Impérial ! ».

L'Empereur a répondu : « Je vous remercie, monsieur, des sentiments de dévouement que vous venez de m'exprimer ; quant à l'acquisition de terres de landes dans ce département, je m’en occuperai ».

A Yffiniac, à Langueux, les curés, les populations montraient autour de la voiture impériale le même empressement respectueux, et c'est avec un véritable sentiment de bonheur que Leurs Majestés répondaient aux questions pleines à la fois de naïveté et de dévouement que les bons habitants des campagnes leur faisaient, en ces communes et en plusieurs autres, sur la santé du Prince Impérial. Plus d'une fois, en effet, dans la journée, les paysans, en acclamant énergiquement l'Empereur et l'Impératrice, avaient demandé où était l'Enfant, et ils exprimaient avec simplicité leur regret de ne pas voir l'Héritier auguste du trône, l'Enfant adoptif de la France.

Saint-Brieuc.

A quatre heures, le canon et le son des cloches armoriaient l'entrée de Leurs Majestés à Saint-Brieuc.

Saint-Brieuc est une ville antique qui doit son origine à un monastère fondé vers la fin du Vème siècle par un moine irlandais patron de la ville et du diocèse. Elle est posée sur un plateau onduleux, entre deux vallées étroites, dans l'une desquelles a été établi un port où se font des armements importants pour la pêche de la morue. Ses monuments sont peu remarquables : la cathédrale, qui date du XIIIème siècle, renferme les tombeaux de saint Guillaume, évêque de Saint-Brieuc, et de plusieurs autres prélats. La ville a de belles promenades situées le long de la vallée de Gouédic d'où l'on aperçoit la baie et le mamelon sur lequel s'élève la tour de Cesson ; les rues sont tortueuses ; on emploie pour les constructions le beau granit qui forme le sol des environs. La culture maraichère est la source d'excellents produits que les cultivateurs du pays expédient au loin. Les habitants y sont de moeurs plus douces que dans beaucoup d'autres parties de la Bretagne : religieux, peu enthousiastes, et avant tout amis de l'ordre et de la paix.

C'est au sein de cette ville que la marche triomphale de Leurs Majestés dans les Côtes-du-Nord devait se résumer dans une admirable manifestation, qui suffit à démontrer combien le Gouvernement Impérial a de profondes racines dans le pays, puisque les populations les plus calmes sont aussi étrangement remuées à l'approche du Souverain.

A l'entrée de la ville, un arc de triomphe monumental, érigé par les ouvriers du pays sous la direction de M. Guépin, ancien élève de l'École polytechnique, architecte distingué, présentait cette inscription, la plus éloquente peut-être qu'on eût encore vue dans le voyage : A L’EMPEREUR ! PUISSANT DANS LA GUERRE, GLORIEUX DANS LA PAIX ! AMOUR ET ORGUEIL DE LA FRANCE !

De chaque côté de l'édifice, dans les champs qui bordent la ville, on remarquait de nombreuses tentes où devait bivouaquer une partie au moins de l'innombrable population accourue au chef-lieu du département. Cette population formait deux longues files de près de deux kilomètres chacune, le long des rues que devait traverser le cortège : malgré la pluie qui tombait sans relâche, elle restait patiente à son poste en attendant les Augustes Hôtes de la Bretagne. Sous l'arc de triomphe principal, le préfet des Côtes-du-Nord [Note : aujourd'hui Côtes-d'Armor], le colonel du 62ème, le maire et le conseil municipal s'étaient rendus, et, avant l'heure fixée par le programme, l'Empereur désirant faire attendre le moins possible à cause de l'orage, arrive avec l'impératrice et son cortège, accueilli par un tonnerre d'acclamations.

Le maire s'approche de la voiture impériale, et tenant les clefs de la ville dans un plateau d'argent remarquablement ciselé, il adresse à Sa Majesté le discours suivant :

« SIRE,
Le corps municipal de la ville de Saint-Brieuc dépose aux pieds de Votre Majesté, selon l'antique coutume, les clefs de la cilé dont j'ai, en ce moment, l'honneur d'être l'organe.

Maintenant, Sire, entrez dans nos murs. Venez avec Votre Auguste Compagne, Mère du Prince Impérial, providence de nos indigents, venez jouir du bonheur que va causer Votre présence à une population loyale, joyeuse d'être enfin connue de Vous et avide de contempler sa bienfaisante Souveraine ».

« MADAME,
Quand la Reine que la Bretagne est fière d'avoir donnée à la France revint, brillante de beauté et de grâces, visiter ses fidèles Bretons, ce fut un jour de bonheur bien grand pour nos aïeux, car ils saluaient alors en Elle l'Épouse du Prince que la postérité décora du nom de Père du peuple, et l'aurore d'une ère de prospérité qui renaît aujourd'hui plus belle sur la vieille Armorique.
Telle Vous nous apparaissez, Madame. Tel est aussi le titre vraiment glorieux que, de toutes parts la reconnaissance publique décerne à Votre Auguste Époux.
L’Empereur, c'est nous, dit le peuple. Nous, c'est Lui »
.

« SIRE,
La ville est impatiente de confirmer ces paroles ; je n'arrêterai point plus longtemps l'élan de son allégresse. Les mille voix que Vous allez entendre Vous diront plus éloquemment que la mienne combien Votre Majesté peut compter sur une cité dont la devise fut en tout temps Religion, ordre, travail, et dont le mot de ralliement sera toujours le cri chéri des marins. Vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! »
.

L'Empereur a répondu :
« Je suis très-heureux de la réception qui M'est faite dans toute la Bretagne. L'accueil que Je reçois à Saint-Brieuc ne peut qu'augmenter Ma satisfaction. Il y a bien longtemps que Je désirais venir dans votre ville, pour causer avec vous de vos intérêts et étudier sur place les moyens d'y satisfaire ».

Après ces paroles, Sa Majesté daigne agréer l'hommage du plat d'argent où sont dessinées en relief les armes de la ville, une légende commémorative du passage impérial et des dessins d'un goût exquis. L'auteur de ce beau travail est un artiste de la ville, M. Désury.

Puis le cortège impérial, précédé d'un détachement de chasseurs descend lentement la voie large et spacieuse qui aboutit aux rues principales : la baie était formée par les députations des communes des trois arrondissements, les méciaillés de Sainte-Hélène des compagnies de sapeurs-pompiers de Guingamp, Lannion, Paimpol, Pontrieux, Lanvollon, Chatelaudren et d'autres localités du département, l'artillerie de Saint-Brieuc, le bataillon de douaniers de la direction, des corporations ouvrières, et une multitude innombrable. Pendant une demi-heure environ, les cris de vive l'Empereur ! Vive l'Impératrice ! Vive le Prince impérial ! se succèdent dans les rangs à mesure que les Souverains continuent leur marche vers la préfecture. A chaque pas, on rencontre des décorations du plus bel effet ; un second arc de triomphe tapissé de verdure et de mousse se dresse à l'entrée d'une grande rue ; on y lit : A L'EMPEREUR ! LES OUVRIERS DE LA SOCIÉTÉ DE SECOURS MUTUELS !

Plus loin, sous un berceau d'épis entrelacés et de produits agricoles, une belle statue de Cérès élevée par un artiste du pays, M. Ogé, portait cette inscription : LES LABOUREURS AU PROTECTEUR DE L'AGRICULTURE !

Sur une place, une colonne entourée des attributs de l'industrie et de la marine, surmontée de drapeaux, présentait ses grandioses proportions et ces lignes : A L'EMPEREUR ! LE COMMERCE DES CÔTES DU NORD !

Enfin, à l'angle de la cathédrale, un élégant portique recouvert d'un vélum en étoffe vert et or, entouré de fleurs et d'ornements, laissait lire ces paroles : A SA MAJESTE L'IMPERATRICE, LES DAMES DE SAINT-BRIEUC !

Le cortège est arrivé devant la porte de la cathédrale ; aussitôt s'avancent vers Leurs Majestés MM. Les vicaires généraux capitulaires (le siége épiscopal), vacant, le chapitre, les curés et le clergé de la ville, et près de cinq cents ecclésiastiques venus des points les plus éloignés du diocèse. Le doyen du chapitre, ayant présenté l'eau bénite à Leurs Majestés et Les ayant encensées, a dit à l'Empereur :

« SIRE,
Dieu Vous a donné le pouvoir suprême dans le plus bel empire du monde, et Vous rendez gloire à Dieu en protégeant son Église, en maintenant l'ordre dans la société. Que le Ciel continue de défendre Votre Majesté contre les attentats des hommes pervers ! Qu'il veille sur les jours du Prince Impérial, afin de perpétuer l'Auguste Dynastie que la France a acclamée ! Qu'il conserve notre gracieuse Impératrice, dont tous les actes sont des bienfaits !
Voilà les voeux du clergé et du pays qui a fourni le dernier sang versé pour le christianisme et pour la France »
.

Sa Majesté, dans sa réponse, a témoigné ses regrets de la perte que le diocèse de Saint-Brieuc venait de faine dans la personne de son digne évêque, qu'Elle aurait éte heureuse de voir à la tête de son clergé. Leurs Majestés ont ensuite monté la grande nef sous le dais porté par quatre chanoines, pendant que dans la tribune de l'orgue un nombreux orchestre exécutait le Domine salvum avec un ensemble et un élan remarquables. Au sanctuaire, deux prie-Dieu avaient été disposés ; pentant le salut du Saint Sacrement, auquel assistaient les Souverains, l'orchestre a chanté un Tantum ergo musical, et au moment du départ, un vivat qui a produit le plus bel effet. Dans la nef, quand l'orgue, manié par un habile artiste, a fait silence, le clergé a fait entendre à plusieurs reprises et avec un enthousiasme difficile à décrire, les acclamations de vive l'Emperaur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Imperial ! Ce dernier cri à été plusieurs fois répété avec une intention visible : le clergé du diocèse de Saint-Brieuc, comme celui de Quimper et de Vannes, donnait ainsi le témoignage le plus expressif de son dévouement à la Dynastie suscitée par la divine Providence.

L'Impératrice, ayant remarqué dans la cathédrale les tentures de deuil, qui garnissaient le siège épiscopal, s'est fait montrer le cénotaphe où ont été déposés les restes vénérés de Mgr Le Mée, inhumé quinze jours avant l'arrivée de Leurs Majestés. Le dernier acte de la vie publique du regrettable prélat, a été la circulaire par laquelle il invitait son clergé à rendre aux Augustes Voyageurs les honneurs qui Leur sont dus : le lendemain du jour où il écrivait ces lignes qui respirent le respect et l'affection dont il était pénétré pour le Souverain, son clergé l'assistait dans la réception des derniers sacrements.

En sortant de l'église, Leurs Majestés Se sont rendues directement à la préfecture : les acclamations du people ont succédé à celles du clergé, et la foule était si compacte que la voiture impériale pouvait à peine se frayer un chemin. Entre l'église et la résidence impériale, un artiste du pays, M. Durand, avait élevé la statue de la Bretagne, offrant à l'Empereur une couronne. A la préfecture, l'Impératrice a recu les dames de la ville présentées par Mme la comtesse Rivaud, et une députation de jeunes filles conduites par Mlle Bonefin, fille du maire, qui a adressé à Sa Majesté les paroles suivantes :

« MADAME,
Que peuvent offrir des jeunes filles à leur Souveraine, si ce n'est une corbeille de fleurs et l'hommage de leurs voeux pour l'Empereur, Votre Majesté, et le Prince Impérial ?
Elles ont cru devoir y joindre la quenouille de lin qui, jadis, dans plusieurs de nos campagnes, s'offrait à la bonne Duchesse, symbole de la simplicité de nos moeurs et de notre principale industrie.
Elles ont aussi pensé que cette modeste offrande ne serait pas sans quelque prix aux yeux de Votre Majesté, si Elle songe que nous descendons toutes, au moins par le coeur, de ces nobles filles de Bretagne qui, pour prouver leur patriotisme, filèrent la rançon de du Guesclin.
Si elles furent chères à l'héroïque Jeanne de Montfort, dont Vous rappelez l'énergie, et à la bien-aimée reine Anne, dont Vous faites revivre la maternelle bonté, honorez-nous aujourd'hui d'une semblable bienveillance, car nous n'avons qu'un même coeur pour fêter Votre Majesté »
.

A cinq heures et demie, les autorités, ont été présentées à l'Empereur, par M. Le comte Rivaud de La Raffinière, préfet. On remarquait à leur tête M. Le baron Thieullen, sénateur, MM. Le Gorrec de Cuverville, le vicomte de La Tour, le comte de Champagny, députés, et le vice-amiral Charner.

M. Le baron Thieullen, sénateur, ancien préfet des Côtes-du-Nord, de 1830 à 1848, a présenté à Sa Majesté le conseil général du département dont il est le président, et a prononcé les paroles suivantes :

« Sire,
Le, conseil général des Côtes-du-Nord vient dire à Votre Majesté la reconnaissance, l'amour, le dévouement vrai, profond, solide de notre bon pays breton.
Partout dans nos campagnes, chez tous nos laboureurs, dans toutes nos chaumières, c'est un fait notoire, on n'a jamais cessé de rencontrer l'image du Grand Empereur.
Jugez, Sire, combien ce nom, devenu doublement immortel, nous est aussi devenu doublements cher ; combien il a plus profondément encore pénétré dans tous les coeurs qui l'avaient acclamé, lorsque, après avoir sauvé la France, Vous l'avez faite Si grande, si glorieuse, si prospère ; lorsque jamais Souverain n'aura été plus que Vous le protecteur, le bienfaiteur, le père des masses laborieuses. Sire, il est visible que c'est là aussi Votre mission ; et Dieu, qui nous entend, veut que Vous l'accomplissiez tout entière.
Sire, nous Vous remercions avec effusion de Votre bienvenue, nos coeurs en avaient besoin ; nous sommes heureux. Soyez heureux aussi parmi nous, Sire, car nulle part ailleurs Vous ne pouvez être plus aimé »
.

« MADAME,
Vous, la noble et courageuse Compagne de notre Empereur, Vous, l'Auguste Mère de notre Prince Impérial que nos enfants béniront comme nous bénissons son père ;
Vous dont toutes les misères, tontes les douleurs savent l'inépuisable bonté ; Vous qu'on aimait déjà tant avant de Vous avoir vue, daignez nous excuser si nous cherchons, sans les rencontrer, des mots qui puissent dire à Votre Majesté les sentiments si divers et si inexprimables, les sentiments de respectueuse et vive admiration, souffrez, que nous disions de tendre vénération dont nos cœurs sont en ce moment, et à tout jamais, pénétrés »
.
L'Empereur a répondu :

« Je suis profondément touché des marques de dévouement que J'ai reçues dans toute la Bretagne.
Les paroles que vous venez de prononcer ne peuvent qu'augmenter Ma sympathie pour ce pays. Je compte beaucoup sur les conseils généraux pour Me seconder dans la tâche que J'ai entreprise. C'est par eux, en effet, que Je puis connaître les besoins et les intérêts des départements. Je vous remercie »
.

Pendant le défilé des conseils d'arrondissement, l'attention de Sa Majesté s'est portée sur M. Le Luyer, curé de Tréheurden, membre du conseil d'arrondissement de Lannion, décoré depuis plusieurs années pour des actes de dévouement et de courage. L'Empereur s'est entretenu quelque temps avec ce digne ecclésiastique.

L'inspecteur de l'académie de Rennes, en présentant les membres du corps enseignant, a dit à l'Empereur :

« SIRE,
A peine était-il connu que Vous Majestés daigneraient visiter les Côtes-du-Nord qu'une vive émotion se manifestait jusque dans nos derniers hameaux. C'est que, Sire le peuple a de la mémoire et du coeur, et il comprend par instinct la véritable gloire. Il se souvient qu'au moment où il était penché sur l'abîne, Vous lui avez tendu cette main généreuse et forte qui, après l'avoir sauvé, a porté si haut le drapeau de la France, que les nations, muettes d'étonnement, y reconnaissent aujourd'hui le signe glorieux destiné à guider leur marche dans les voies tracées par la Providence.
Dans notre lycée et dans nos colléges, les grandes choses accomplies sous Vos auspices font tressaillir d'un généreux enthousiasme la jeunesse d'élite qui fera un jour la force et la gloire du pays ; dans nos écoles primaires on bénit Vos bienfaits ; l'enfant du premier âge, dans la salle d'asile, apprend à bégayer aveg le nom de sa mère le doux nom d'Eugénie, et des milliers de voix pures appellent tous les jours les bénédictions du Ciel sur ce noble Enfant, qui sera un jour l'orgueil de la France comme Il en est déjà l'espoir.
Ces sentiments, Sire, ne sont que le reflet de ceux du corps enseignant dont j’ai l'honneur d'être l'organe ; il est heureux de les inspirer à tout ce qui l'entoure, et en les associant à la première éducation, de les rendre ineffaçables. Ce premier de ses devoirs envers le pays, il le remplira toujours avec bonheur et avec un inaltérable dévouement »
.

L'Empereur a répondu :

« Je vous remercie de tout votre zèle et des soins, que vous donnez à l'éducation de la jeunesse ; faites-en des hommes forts et religieux, et le pays, comme Moi, vous en sera reconnaissant ».

Puis a eu lieu la présentation de la magistrature. Le président du tribunal civil de Saint-Brieuc a dit à l'Empereur :

« SIRE,
Lorsqu'on a su que Votre Majesté daignait visiter nos contrées, les populations des Côtes-du-Nord ont manifesté de toutes parts leurs vifs sentiments d'allégresse.
Ce qu'elles acclament aujourd'hui en Vous, Sire, ce n’est pas seulement l'héritier, le continuateur glorieux du puissant génie qui domine notre âge, le créateur de tant de merveilles ; pénétrées de reconnaissance, elles Vous remercient avec effusion d'avoir sauvé l'ordre social, assuré la prospérité publique, rémis en honneur les principes qui font les hommes honnêtes et les nations dignes de grandes destinées.
En admirant, Sire, les vertus, et les grâces qui ornent si naturellement l'Impératrice, Votre Illustre Compagne, tous adressent des vœux au Ciel pour le jeune Prince auquel l'avenir de la France appartient ; car les événements accomplis montrent le doigt de Dieu et consacrent Votre Dynastie.
Sire, le tribunal civil de Saint-Brieuc s'associe de coeur aux acclamations nationales, nous sommes heureux de déposer au pied du trône l'hommage de nos profonds respects et de notre entier dévouement »
.

Le président du tribunal de Guingamp :

« SIRE,
Les Bretons ne sont pas coutumiers de flatterie, et Vous devez être heureux des témoignages que prodigue à Vos Majestés l'élan spontané des populations.
Vous aurez compris Sire, un pays peut-être trop ignoré et les habitants de la vieille Armorique rediront longtemps les bienfaits du voyage impérial et les gracieuses bontés de l'Impératrice »
.

Le président du tribunal de Lannion a prononcé le discours suivant :

« SIRE,
Tous les membres du tribunal de première instance de l'arrondissenient de Lannion, échos fidèles et sympathiques des sentiments de leurs justiciables, Vous apportent avec bonheur l'hommage empressé de leur admiration et de leur reéonnaissance.
Les habitants de ces contrées, habitués par tradition à défendre, au péril de leurs jours, leur foi religieuse et politique, acclament une opinion et ne la subissent pas. S'ils Vous entourent aujourd'hui de toutes leurs affections ; s’ils Vous expriment hautement leur dévouement ; s’ils Vous accompagnent de leurs voeux enthousiastes, c'est qu'ils sentent bien que Vous êtes leur unique appui, et qu'en Vous seul ils peuvent, ils doivent fonder leurs espérances.
Aussi Vous le disons-nous dans toute l'effusion de notre âme : Daignent Vos Majestés agréer l'hommage de nos respects ! Comptez, Sire sur notre fidélité »
.

L'Empereur a répondu :

« Je compte sur la Providence pour M'aider à accomplir la grande mission qui M'a été imposée ; Je compte sur vous aussi, messieurs, qui êtes appelés à rendre la justice et qui, Je le sais, vous acquittez noblement de ce devoir ».

Un épisode a marqué la réception. Parmi les personnes qu'on nommait à Leurs Majestés, l'Empereur a entendu le nom de M. Eveillard, gérant du journal la Bretagne et officier de l'artillerie urbaine ; c'est le frère de notre consul si malheureusement assassiné à Djeddah : l'Empereur et l'Impératrice se sont entretenus quelques instants avec lui et l'ont laissé pénétré de reconnaissance pour le touchant intérêt dont il avait été l'objet.

Enthousiasme du peuple.

Pendant les réceptions officielles, les rues qui débouchent sur la place avaient vomi des milliers de personnes qui s'étaient réunies à la foule déjà si compacte dont la vaste enceinte était couverte. Leurs Majestés ayant paru au balcon, les cris de vive l'Empereur ! se sont élévés ; mais entre la place et le balcon, s'étendait la cour d'honneur de la préfecture, dont les dimensions mettaient entre le Souverain et son peuple un intervalle que le coeur de tous les deux désirait franchir. En effet, pour assister de plus près au défilé des communes et des médaillés de Sainte-Hélène, Leurs Majestés descendent sur le perron même de l'hôtel : les acclamations redoublent sur la place, la foule se remue, s'agite comme les flots de la mer, et, malgré les grilles, malgré les gardes, le peuple des campagnes se précipite dans la cour elle-même avec une impétuosité extraordinaire ; nul ne peut l'arrêter dans sa marche, et l'Empereur que voit cet admirable désordre, sourit doucement et laisse venir. Bientôt la belle cour d'honneur était remplie : c'était un tonnerre de cris et de vivat, c’était un ensemble de démonstrations à la fois naïves et énergiques.

L'Empereur et Son Auguste et bien-aimée Compagne étaient littéralement entourés par ce peuple dévoué dont l'enthousiasme, s'exaltait jusqu'au délire. Ceux qui avaient le bonheur d'être les plus voisins de Leurs Majestés ne pouvaient, se résoudre à quitter cette place : les rangs plus éloignés insistaient et poussaient pour s'approcher des Augustes Hôtes de Saint-Brieuc. L'Empereur lui-même, avec le calme et la douceur qu'on lui cannait, invitait la foule à défiler : l'Impératrice était visiblement émue, et des larmes mouillaient les yeux des témoins de cette scène sans précédents.

Bal.

Le soir, en se rendant au bal, Leurs Majestés ont traversé toute la ville où l'illumination était générale; partout des mâts vénitiens, des drapeaux, des oriflammes ; sur tout le long parcours, une chaîne enflammée décorait la façade de toutes les maisons ; on arrivait à la salle de bal, improvisée sur le clamp de Mars, par une avenue d'arbres entre lesquels des guirlandes de lampions formaient comme une voûte de feu. Cette salle ofrait l'aspect le plus remarquable ; au fond, le trône de Leurs Majestés avait été disposé sous un dais de velours semé d'abeilles d'or ; au milieu, de chaque côté de l'espace réservé aux quadrilles, huit gradins étaient garnis de dames, et autour de la salle, de vastes galeries bordées d'une élégante colonnade permettaient aux invités de jouir à l'aise du plus charmant spectacle.

Le quadrille impérial était ainsi composé :

L'Empereur et Mlle Bonnefin ; l'Impératrice et M. Bonnefin, maire ; le général Duchaussoy et Mme la comtesse Rivaud de La Raffinière ; le préfet et Mme la comtesse du Clésieux ; le président de Lecouselle et Mme l'amirale Charner ; le vicomte de La Tour, député, et Mme de Cuverville.

Pendant le bal qui était fort animé, et au départ de Leurs Majestés, les cris de vive l'Empereur ! Vive l'Impératrice ! Vive le prince Impérial ! se sont fait entendre à diverses reprises, et les Souverains ont été reconduits jusqu'à la préfecture par une foule immense.

19 août.

Le lendemain matin, encore sous la pluie, l'Empereur assistait, dans le magnifique parc de la préfecture, à une exhibition chevaline. Le département des Côtes-du-Nord [Note : aujourd'hui Côtes-d'Armor] est un des plus féconds berceaux de la race chevaline en France : on y compte plus de 50 000 poulinères. L'amélioration y a fait de grands progrés depuis l'établissement du dépôt d'étalons de Lamballe. - Le littoral élève cette forte race, si rustique et si propre au travail, qui alimente en partie les plaines de la Beauce, et est ensuite revendue sous le nom de percheronne pour tous les services des postes et des messageries, tandis que dans l'intérieur, la montagne fourni une race de charmants chevaux pleins d'élégance et de vigueur, qui sert aux remontes de la cavalerie légère dont on peut faire des chevaux de chasse excellents.

Plus de 300 chevaux ont défile devant l'Empereur ; cette diversité de race dans un seul département, ajoutait à l'intérêt de l'exhibition. L'attention de Sa Majesté s'est particulièrement arrêtée sur un certain nombre de jeunes produits issus de la jument de trait avec l'étaton arabe, et dont la conformation offrant les deux caractères reunís du père et de mère présentait un ensemble très satisfaisant. M. l'inspecteur des haras Houël, M. de la Houssaye, directeur du dépôt de Lamballe et le directeur de l'Ecole impériale d'Alfort, se sont entretenus longtemps avec l'Empereur et le général Fleury, qui possède de profondes connaissances hippiques.

Après avoir distribué des décorations, l'Empereur est monté en voiture vers dix heures avec l'Impératrice, et le cortége impérial a traversé une dernière fois la ville. Les cris de vive l'Empereur ! Vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! ont retenti avec plus de force et plus d'unanimité, s'il est possible, qu'au moment de l'arrivée. C'était un spectacle touchant que celui de cette innombrable multitude venue des extrémités du département, n'ayant pu trouver où reposer sa tête pendant une nuit affreuse, que rien n'avait pu rebuter, et qui attendait là, les pieds dans l'eau, le passage de Leurs Majestés pour Leur donner un dernier témoignage d’amour, de reconnaissance et de dévouement. L'Empereur et l'Impératrice en ont emporté la plus douce impression, et ont répondu aux acclamations du peuple par les saluts les plus gracieux.

A peu de distance de la ville, au lieu dit la Ville-Bougault, un steeple-chase avait été organicé : l'Empereur S'est arrêté quelques instants pour voir des courses de haies et des sauts de fossés exécutés par des cavaliers et des chevaux du pays. Puis cortège impérial est parti pour Saint-Malo.

Lamballe.

A Lamballe, où Leurs Majestés sont arrivées à onze heures, les autorités attendaient le passage du cortège. Le maire, dans un discours empreint des meilleurs sentiments, a remercié l'Empereur d'être venu visiter la ville de Lamballe et de s'être fait accompagner dans, son voyage par un maréchal que les populations ont pu déjà apprécier, et par un docteur qui est l'illustration du pays.

« Sire, a-t-il dit ensuite, la population qui est accourue pour saluer Votre Majesté sur Son passage, est fière d'avoir pour compatriotes des généraux appelés par Vous près de Votre personne, ou choisis pour prendre une part glorieuse à la défense de l'ordre social et aux combats héroïques de la guerre d'Orient. Nommer à Votre Majesté les généraux Cornemuse, de Lourmel, de La Motte-Rouge et de Goyon, c'est rappeler des services dont la ville de Lamballe a voulu perpétuer le souvenir. Si la ville est fière de ses hommes d'épée, elle ne l'est pas moins d'un homme illustre dans la science médicale, dont Votre Majesté apprécie le mérite ».

Ici, Sa Majesté a daigné faire venir près d'Elle le docteur Jobert de Lamballe, son médecin, qui l'accompagne, et a remis en sa présence la croix d'honneur au vénérable docteur Bédel, son premier maître.

A Noyal, le curé et son clergé ont reçu l'Empereur sous un arc de triomphe, et ont remercié Sa Majesté de la nouvelle faveur qu'Elle vient d'accorder à son aide de camp le général comte de Goyon, en nommant grand officier de la Légion d'honneur. L'illustre commandant de l'armée de Rome est né dans le pays. Ici comme partout, lorsque le cortège impérial s'arrête, les gens de la campagne ont entouré la voiture de l'Empereur, et dans plusieurs localités, des paysans et des paysannes sont venus, avec un empressement naïf et touchant, demander à Leurs Majestés des nouvelles de Leur Enfant.

A Jugon, le maire a demandé à l'Empereur pour toute faveur de lui serrer la main. Cette petite ville était tendue dans tout son parcours comme pour les processions de la Fête-Dieu.

Un peu avant d'arriver à Dinan, Leurs Majestés Se sont arrêtées au monastère des vénérables Frères de Jean de Dieu qui consacrent leur vie au soulagement des aliénés. Un portique de verdure orné de drapeaux et d’inscriptions décorait l'entrée de l'avenue, qui aboutit à l'hospice. Les religieux sont venus au-devant de Leurs Majestés avec la croix et les bannières du couvent, et ont fait une réception pleine de solennité et de grandeur. Plus loin l'humble établissement des Petites Soeurs des Pauvres avait aussi paré sa modeste entrée.

Dinan.

En avant de la porte de Dinan, le sous-préfet, le maire et les autorités de la ville et des cantons voisins auxquels s'étaient joints les habitants des alentours, attendaient sous une pluie battante l'arrivée des Souverains. M. le comte J. P. de Champagny, député de l'arrondissement, qui assistait la veille aux réceptions de Saint-Brieuc, s'était rendu à Dinan pour offrir à Leurs Majestés ses hommages et ceux de l'arrondissement qu'il représente. La porte de la vieille cité avait été décorée avec une simplicité qui n'enlevait rien à son aspect imposant. Un aigle, quelques hommes d'armes au casque brillait, une croix d'honneur et quelques légendes impériales entourées de faisceaux tricolores en faisaient l'ornement.

A l'arrivée du cortège, les acclamations les plus sympathique ont retenti dans les rangs pressés de la foule qui occupait la vaste place extérieure. Leurs Majestés y répondaient par les salutations les plus affables. Le maire, M. Leconte, ancien député, s'étant alors approché de la voiture, a dit ces paroles :

« SIRE,
En remettant à Votre Majesté les clefs de la ville, qu'il me soit permis de Lui apporter le tribut de respect et de dévouement de cette vieille cité bretonne, patrie du grand connétable du Guesclin.
Soyez y le bienvenu, Sire ! Elle reçoit avec amour l'illustre Souverain qui daigne la visiter. C'est un honneur inespéré dont elle gardera un précieux et éternel souvenir.
Je suis fier, Sire, d'avoir été l'un des premiers à saluer Votre avénement à l'Empire et d'avoir suivi et secondé, comme député, cette politique toute française, que Vous avez inaugurée d'une main ferme et qui domine le monde et les événements.
Je suis heureux comme maire, d'être ici, particulièrement l'interprète de cette foule, accourue de toutes parts, acclamer en Vous la personnification vivante du principe monarchique, que Vous représentez éminemment et par droit de naissance et par droit d'élection. Vive l'Empereur ! »
.

« MADAME,
Nous contemplons avec la plus vive admiration dans notre Auguste Souveraine, la reine des grâces et des vertus, la Compagne d'un grand homme, la mère d'un futur Empereur qui réunira les hautes qualités de Sa race.
La ville de Dinan prendra la liberté de Vous offrir, ainsi qu'au Prince Impérial, l'album de ses principales vues : c'est un hommage petit en soi, mais il part de coeurs dévoués et fidèles. Nos jeunes filles, réunies sur le passage de Votre Majesté, ont brigué l'insigne faveur de Vous le remettre elles-mêmes, et nous avons pensé qu'il Vous serait agréable de le recevoir de leurs mains. Vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince impérial ! »
.

Après la réponse bienveillante de Sa Majesté, M. le Sous-préfet demanda la permission de Lui présenter le vénérable doyen des conseillers municipaux, M. Jacquemin père, nommé chevalier de la Légion d'honneur par décret de la veille. L'Empereur y consentit avec plaisir.

M. Jacquemin s'étant avancé, Sa Majesté lui dit : « Je suis aise de vous recevoir, Monsieur. ».

Jacquemin répondit : « Je remercie Votre Majesté de sa bonté. J'eus, dans ma jeunesse, l'honneur d’être le secrétaire de Votre Auguste Père, alors qu'il était officier supérieur dans l'armée ».

L'Empereur tendit affectueusement la main au respectable vieillard qui la serra avec effusion.

Le cortège est entré dans la ville où se déroulait, une multilude compacte rangée sur deux files, et entremêlée d'oriflammes, de banderoles et d'étendards aux mille couleurs ; sur la grande place Du Guesclin, un trône entouré de pyramides de fleurs d'un goût exquis avait été préparé pour les réceptions officielles, mais le mauvais temps ne permit pas à Leurs Majestés de mettre pied à terre. A la portière de la voiture, une députation de jeunes filles a offert à l'Impératrice un album des principales villes et des environs, et l’une d’elles, Mlle Émilie Dutertre, a adressé à Sa Majesté un compliment en langue espagnole. L'Impératrice, voyant ces demoiselles sous la pluie, par un mouvement de cette bonté vive qui paraît si naturelle chez Sa Majesté, dit : « Monsieur le sous-préfet, je vous en prie, ayez donc pitié de ces pauvres enfants, » et, prenant aussitôt des mains de Mlle Dutertre le discours espagnol qui devait être prononcé, Sa Majesté fit encore entendre ces paroles : « Je vous remercie, mes enfants ; je ne veux pas que vous restiez plus longtemps sous cette averse ». Enfin avec cette spontanéité qui ne saurait se traduire, mais qui est le propre des natures généreuses et sympatiques, Sa Majesté saisit trois boîtes contenant chacune un bijou, et les remit à M. le sous-préfet pour Mlles Dutertre, Mahaut et Duché, comme témoignage de bon souvenir.

Le président du tribunal, membre du conseil général, a prononcé le discours suivant :

« SIRE,
Les magistrats du tribunal de l'arrondissement de Dinan s'empressent de déposer à Vos pieds l'hommage respectueux de leur dévouement à l'Empereur et à sa Dynastie.
Si la bienvenue de Votre Majesté a l'éclat d'un triomphe ; si l'allégresse publique confond, dans ses transports, les gloires de deux Empires comme deux gloires fraternelles, c'est que la religieuse Bretagne a gardé la mémoire du héros qui releva ses autels ; c'est qu'elle est beureuse et fière d'acclamer, dans un autre Napoléon, un courage à l'épreuve de tous les périls, et ce grand art de régner qui Vous a fait l'arbitre de la paix du monde.
A Vous aussi, notre respect et notre hommage, Auguste Souveraine ; car, en Vous rayonnent sur le trône la grâce que fait aimer, la charité qui fait bénir.
Puisse ce jeune Prince, Votre orgueil et l'espoir de la France, grandir, sous le regard de Dieu et formé par d'illustres exemples, pour accomplir ses glorieux destins ! »
.

Puis l’un des curés de la ville, l'abbé Brajeul, s'est exprimé en ces termes :

« SIRE,
Partout dans notre Bretagne, le passage de Votre Majesté ne pouvait être qu'une marche triomphale ; car l'enfant de la vieille Armorique est naturellement fier et brave. C'est un témoignage que lui a rendu, il y a deux mille ans, le conquérant des Gaules : Terribiles sunt Britones, quando dicunt tore pen. Il est aussi fortement attaché à la religion de ses pères, et il sait, Sire, tout ce que Vous avez fait pour la France ; il sait que Vous l'avez replacée au rang d'où elle n'aurait jamais dû descendre, comme il sait aussi ce que Vous avez fait pour la religion, voilà ce qu'il n'oubliera jamais.
Les pères diront à leurs arrière–neveux que le Souverain du plus bel Empire du monde, que celui que toutes les nations prennent pour modérateur et pour arbitre, est venu, un jour s'agenouiller humblement avec eux devant l'image, de la patronne de la Bretagne, devant celle qu'ils appellent, dans leur langage simple et naïf, la bonne sainte Anne !
Oui, Sire, Votre voyage en Bretagne et Votre pèlerinage à Sainte-Anne d'Auray passeront à la postérité la plus reculée.
Cependant, Votre Majesté ne peut ignorer que le mérite le plus éminent, la gloire la plus éclatante et la plus pure, comme la religion la plus sincère, ont toujours leurs détracteurs, et il se trouvera peut-être des hommes qui diront : Ah ! c'est là une adroite politique !
Alors, Sire, voici quelle serait ma réponse :
" Un jeune Prince, élevé à l'école du malheur, se trouvant sur la terre étrangère, allait dans la maison de Dieu chercher la résignation, le courage et l'espérance dont il avait si grand besoin ! Ce n'était pas par politique, à coup sûr ! Ce n'était pas pour être vu et acclamé par la foule. L'humble chapelle de Bath, les jours de la semaine, est ordinairement bien déserte. C'était en 1846, personne alors ne pouvait dire ce qui arriverait deux ans plus tard. Le jeune Prince, dont j'ai l'honneur de vous parler, vint un jour assister à la messe ; et à la communion du prêtre, il alla s’agenouiller à la table sainte. Ce prince, c'était Vous, Sire, et le livre dont Vous Vous servîtes alors, le voilà ! Je crains, Sire, d'abuser des moments si précieux que Votre Majesté a daigné nous accorder. Je finis en Vous donnant l'assurance que nous continuerons de prier pour Vous, pour l'Auguste Compagne que Vous Vous êtes choisie, et dont la présence seule suffit pour gagner tous les coeurs. Nous n'oublierons point le Prince Impérial que la divine Providence nous a donné. En priant ainsi, c'est prier pour nous et pour une patrie qui nous est si chère ! " »
.

Le Tablet du 28 août dernier raconte à ce sujet le fait suivant :

« Lorsque le Prince Louis-Napoléon, après s'être échappé de la forteresse de Ham, vint rendre visite, à Bath, dans l'automne de 1846, à sa cousine, la marquise de Douglas, aujourd'hui duchesse d'Hamilton, il entendit, pendant la semaine, la messe à la chapelle catholique, et y reçut la sainte communion avec toutes les marques d'une sincère piété : Le R. M. Worsley, alors missionnaire à Bath, emprunta un livre pour l'usage du Prince, et, en le rendant, il fit savoir que la personne qui venait de s'en servir n'était autre que l'héritier du grand Napoléon, rendu si intéressant par ses titres, par son histoire et par sa fuite récente de Ham. L'éditeur actuel du Tablet, dont la foi dans les destinées du Prince était plus affermie que jamais par cette preuve que l'héritier de Napoléon était un catholique sincère et pratique, écrivit sur la première page du petit livre quelques mots en souvenir de cet acte religieux. Plusieurs années après, quand le Prince Président et l'Empereur se montra le protecteur de la religion et le défenseur du Souverain Pontife, et qu'on voulut attribuer sa conduite à un calcul et à un motif politique, la scène de l'humble chapelle de Bath put être rappelée comme une preuve du contraire. C'est le livre de piété dont Louis-Napoléon s'était servi dans cette circonstance qui arriva plus tard dans les mains de M. le curé de Dinan, et qui se trouve aujourd'hui en la possession de l'Empereur ».

Le mauvais temps qui contrariait à la fois Leurs Majestés et la foule immense accourue à Dinan pour Les contempler, empêcha que d'autres discours ne fussent prononcés. Plusieurs fonctionnaires devaient cependant haranguer les Souverains : le vénérable curé de Saint- Malo de Dinan, qui consacre sa fortune à la restauration de cette belle église, avait l'intention de presenter à empereur et à l'Impératrice les hommages de ses paroissiens ; les Anglais résidant à Dinan et aux environs, auraient voulu lire une adresse à l'Empereur, ils avaient élevé près de la tour de la duchesse Anne un monument triomphal où lisait cette inscription : PACE ET CONCORDIA.

En quittant Dinan, où, malgré l'inclémence du temps, la réception avait été splendide et chaleureuse, le cortège impérial a passé sur le superbe pont, de construction récente, jeté entre deux collines que forment les berges de la Rance, et qui n'a pas moins de 130 pieds au-dessus du lit de cette rivière. De là, il était donné à Leurs Majestés de jouir d'un point de vue remarquable et varié : d'un côté la ville se dresse sur son coteau, entourée de ses antiques murailles que de charmantes plantations environnent et que semble soutenir le lierre ; les églises présentent leurs clochers aigus que se mêlent aux tourelles moyen âge restées encore debout dans la vieille ville. D'un autre côté, la vallée verdoyante où coule la Rance serpente entre deux collines boisées que surmontent de gracieuses villas et d'agréables cottages : le petit port, avec quelques vapeurs, de transport et quelques bateaux de pêche, anime ce riant tableau que Leurs Majestés ont quelques instants contemplé avec plaisir.

Pleudihen.

Depuis Dinan jusqu'à Saint-Servan, le concours des populations était immense, et à Pleudihen, malgré la pluie, des milliers de pesonnes attendaient le passage du cortège impériale. A l'entrée du bourg s'élevait un arc de triomphe élégant, sur lequel on lisait : LIMITE DES CÔTES DU NORD. PLEUDIHEN. 5000 ÉLECTEURS. — 5000 VOIX POUR L’EMPIRE.

L'Empereur a d'abord adressé la parole à M. l'adjoint faisant les fonctions de maire, et après quelques mots échangés, Sa Majesté a daigné admettre M. le curé à l'honneur de prononcer devant Elle le discours suivant :

« SIRE,
Pasteur d'un humble hameau, j'étais loin de m'attendre à l'honneur d'adresser jamais la parole à un si grand Empereur. Mais, puisque Votre Majesté nous honore de Son auguste présence qu'il me soit permis, au nom de M. le maire et au mien, de déposer à Vos pieds, Sire, et à ceux de notre aimable et bienfaisante Impératrice, les hommages et les voeux des cinq mille habitants de cette commune.
Ici, Sire, l'Empire fut voté à l'unanimité, moins deux voix ; parce que déjà nous Vous avions vu à l'oeuvre ; parce que déjà Vous aviez reconduit le Saint-Père fugitif dans sa ville de Rome, et que, nouveau Charlemagne, Vous aviez relevé son trône renversé par l'anarchie ; parce que je ne sais quoi nous disait que Vous étiez l'homme suscité de Dieu pour sauvegarder les deux grands objets de notre amour, la religion et la patrie. L'expérience a prouvé que nous avions pensé juste. Vous avez fait au delà, bien au delà de nos espérances.
Cependant, Sire si nos prévisions ne nous trompent pas, Vous êtes appelé à de nouveaux exploits et de nouveaux triomphes. L'extrême Orient Vous tend les bras. Les anges de ces églises lointaines et persécutées ont crié vers Vous, et Vous avez résolu de mettre fin à cette boucherie séculaire qui les désole, et dans laquelle, contre la foi des traités, n'a cessé de couler le sang de nos intrépides missionaires. Bientôt, nous l'espérons la victoire aura, comme toujours, couronné Vos efforts. Bientôt, grâce à Votre généreuse intervention, ces, églises naissantes jouiront de la paix. Elles seront libres enfin, et béniront avec nous le nom glorieux de leur Libérateur.
Voyez, Sire, quelles belles destinés le Seigneur Vous a faites ! Vous êtes visiblement l'homme de sa droite. Aussi notre reconnaissance et notre dévouement Vous sont acquis. Ils sont sans bornes comme notre admiration. Oui, Sire, ce cri qui, dans votre passage à travers notre Bretagne chérie, n'a cessé de retentir aux oreilles de Votre Majesté, est aussi celui qui s'échappe ici de toutes les poitrines : Napoléon, III longtemps ! Sa Dynastie toujours ! Vive l'Empereur ! »
.

L'Empereur a répondu en demandant les prières de M. le curé pour ses entreprises, qui ont pour but le bien de la religion et de la France, et Il a remis au digne pasteur, ainsi qu'à l'un des médaillés de Sainte-Hélène, une forte somme pour les indigents.

Bientôt Leurs Majestés ont traversé Châteauneuf. Cette petite localité avait mis à se parer de son mieux un soin et un empressement admirables. Pas une maison qui ne fût pavoisée. Plusieurs l'étaient avec un luxe tout plein de grâce et de bon goût. Un majestueux arc de triomphe, couronné des couleurs impériales, portait au haut des airs ces devises que toutés les bouches ont répétées : VIVE L'EMPEREUR ! VIVE L'IMPÉRATRICE ! VIVE LE PRINCE IMPÉRIAL !

La longue rue qui forme la route impériale était couverte d'une multitude impatiente de saluer ses Souverains. Toutes les fenêtres étaient encombrées. Les Jardins, si heureusement disposés sur un des côtés de la route, étaient les places d'élite : leurs propriétaires avaient eu la courtoisie de les livrer à leurs amis des paroises environnantes, si l'on en juge par la diversité des coiffures qu'on apercevait. La foule avait été admise, aussi sur les terrasses du Parc. Le clergé, les autorités civiles et la population ont reçu Leurs Majestés, dont le canon du fort saluait le passage.

Plus loin, à Saint-Jouan des Guérets, un berceau de verdure avait été élevé par la Société de secours mutuels. Le maire y a harangué Leurs Majestés, et M. Dufrayer, chef d'escadron de cavalerie en retraite, président de la Société de secours, a dit :

« SIRE,
Votre Majesté, dans sa sollicitude pour le bien-être des classes laborieuses, a voulu que chaque commune de l'Empire possédât une société de Secours mutuels des ouvriers.
La commune de Saint-Jouan est fière d'être la seule commune rurale du département qui ait réalisé le voeu de Votre Majesté.
Ce résultat a été obtenu par le zèle de M. Magon, notre maire, ancien officier de la garde impériale, neveu du contre-amiral Magon, mort glorieusement à Trafalgar. La voix de M. le recteur, toujours écoutée, nous est aussi venue en aide ; mais c'est surtout à l'énergique volonté des ouvriers que nous devons l'établissement de l'institution, et moi, Sire, comme président de la Société, je m'estime heureux de faire parvenir à Votre Majesté les voeux des 90 membres qui la composent »
.

Saint-Servan.

A cinq heures, Leurs Majestés arrivaient à Saint-Servan.

Cette ville, voisine de Saint-Malo, dont elle n'est séparée que par un étroit bras de mer, se déploie dans la presqu'île du Clos-Poulet, pays riche, très-peuplé et rempli de charmantes maisons de campagne, qui jouissent en même temps des agréments que présentent les bords de la mer.

A l'entrée de la ville, sous un arc de triomphe orné de trophées d'armes et sur lequel on lisait : A LA DYNASTIE NAPOLÉONIENNE ! le préfet d'Ille-et-Vilaine, le sous-préfet de Saint-Malo, le maire de Saint-Servan, le corps municipal, l'administration de la marine, ayant à sa tête M. l'amiral Tréhouart, le clergé, les congrégations religieuses, les fonctionnaires de tous ordres, ont reçu Leurs Majestés, auxquelles le maire de Saint-Servan a dit :

« SIRE,
Daignez agréer les respectueux hommages de la ville et de la commune entière de Saint-Servan.
Nous n'avons point à offrir ici à Votre Majesté les splendeurs de Cherbourg, ni les pompes militaires de Brest et de Lorient. Mais, au sein de notre paisible et bonne population, qui sollicita des premiers l'insigne honneur de Sa visite et en gardera à jamais le souvenir le plus reconnaissant, Votre Majesté trouvera tous les coeurs fidèles, dévoués, et nulle part, Sire, acclamations plus sincères n'auront salué le passage de l'Élu de la nation, du monarque éminent à qui la France doit le rétablissement et le maintien de l'ordre, et tout à la fois la gloire des armes et celle de la paix »
.

« MADAME,
La renommée de Votre caractère noble et ferme, comme celle de Votre bonté Ineffable, Vous a depuis longtemps, précédée parmi nous. Croyez que mes paroles ne sauraient Vous exprimer tout le bonheur que nous donne aujourd'hui l'auguste et gracieuse présence de Votre Majesté. Qu'Elle daigne agréer notre amour et nos voeux pour Elle et pour le Prince Impérial, précieux Enfant, notre espoir comme le sien »
.

« SIRE,
En traversant Saint-Servan Votre Majesté appréciera l'avenir que notre jeune cité peut prétendre, et tout nous est garant que nous en devrons le développement progressif et rapide à Votre volonté paternelle et puissante.
Sire, alors, comme aujourd'hui, Saint-Servan redira avec gratitude et enthousiasme : Vive l'Empereur ! vive l’Impératrice ! vive le Prince Impérial ! »
.

Sa Majesté a répondu que le but qu'Elle se proposait en visitant la Bretagne était de s'occuper de toutes les questions qui pouvaient aider au développement de sa prospérité. Elle a remercié le maire des sentiments que ce magistrat venait de Lui exprimer au nom de la population de Saint-Servan.

En ce moment, l'Impératrice a reçu l'hommage d'une corbeille de fleurs qui Lui était offerte par les jeunes filles de la ville, et le cortège impérial a traversé la ville dans toute sa longueur. Sur son passage, la haie était formée par les décorés de la Légion d'honneur, les médaillés de Sainte-Hélène, les sapeurs-pompiers, la troupe de ligne et deux cents petits enfants très élégamment habillés en mousses, portant chacun un drapeau tricolore, et coiffés d'un chapeau de paille entouré d'un ruhan, sur lequel on lisait : Prince Impérial. Venaient ensuite les corporations ouvrières, au nombre de douze, portant chacune sa bannière. Les cris de vive l'Empereur! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! se faisaient entendre sans interruption. On remarquait, parmi les décorations qui ornaient le parcours des Souverains, un arc de triomphe représentant un donjon moyen âge, avec ses créneaux, sa herse et tous les accessoires obligés d'une construction de ce genre, Plus, loin, sur une colonne de granit, on avait placé le buste de l'Empereur ; ailleurs, dans un ermitage rustique, sous une grotte artificielle s'élevait la statue de la Mère de Dieu avec ces inscriptions :  Ô MARIE ! PROTÉGE LA FRANCE ! - Ô MARIE ! PROTÉGE L'EMPEREUR !.

Enfin, d'autres monuments riches et élégants conduisaient Leurs Majestés presque jusqu'à l'entrée de Saint-Malo.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

SAINT-MALO.

Assise sur un rocher que la mer entoure de toutes parts à mi-marée, et reliée au continent par le Sillon, belle chaussée de 200 mètres de longueur, la ville de Saint-Malo présente un aspect original et caractéristique : c’est un point de défense, c'est une citadelle. Ses remparts élevés sont battus incessamment par les vagues, et ses tourelles gigantesques semblent avoir leurs fondements creusés dans les abîmes mêmes des eaux. On y voit encore une des tours du château bâti en 1513 par Anne de Bretagne, et qui porte le nom de Qui-Qu'en-Grogne, parce que cette fière Souveraine l'avait construit malgré l'opposition des seigneurs et du clergé, et y avait fait écrire : « Qui qu'en grogne, ainsi sera : tel est mon bon plaisir ».

La population se multipliant sur un terrain qu'il n'est pas possible d'étendre, s'est agglomérée à Saint-Malo dans des rues étroites, dont les maisons très-élevées sont toutes rapprochées les unes des autres. C'est une ville de commerce maritime ; elle a donné le jour à plusieurs grands hommes, tels que Maupertuis, Duguay-Trouin, Jacques Cartier, qui découvrit le Canada en 1534, Labourdonnais, Lamennais et Chateaubriand, qui dort au bruit des flots sur le rocher désert du Grand-Bé.

De Saint-Servan à Saint-Malo, l'espèce d'isthme qui joint la ville au continent, et que l'on appelle le Sillon, était transformé en une avenue de mâts vénitiens, de décorations et de monuments remarquables. En avant des quais qui bordent les remparts, un arc de triomphe gigantesque portait cette inscription : A L'EMPEREUR ! LA VILLE DE SAINT-MALO RECONNAISSANTE.

Sur les colonnes étaient rappelées quelques dates célèbres dans l'histoire du règne de Napoléon III, et à l'intérieur on avait inscrit les découvertes dues aux Malouins, et les noms d'une foule de marins illustres nés dans le pays. C'etait comme le cortège des gloires du passé venant s'associer aux hommages rendus par les populations à la gloire pacifique de l'homme fort qui domine le siècle présent.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

C'est au milieu d'un immense concours de peuple, au bruit du canon, aux acclamations de la foule et à la clarté d'un rayon de soleil qui perce enfin la nue, que le maire de Saint-Malo reçoit au nom de la ville les Augustes Visiteurs, en prononçant les paroles que suivent :

« SIRE,
C'est un jour à jamais mémorable pour la ville de Saint-Malo que celui où il lui est permis d'offrir à Votre Majesté les clefs que lui ont transmises sans tache le courage et la fidélité de nos ancêtres.
Pure de toute souillure étrangère, comme l'hermine qui brille dans ses armes, loyale comme sa devise, cette antique cité de la rude Armorique est aussi fière qu'heureuse de l'hommage qu'elle rend à son légitime Souverain, à l'Élu de la France, au prédestiné de la volonté divine.
Notre bonheur est comblé, Madame, par l'éclat qu'ajoute à cette solennité la présence de l'Auguste Compagne de l'Empereur, de la Mère du Prince Impérial, de la belle Souveraine dont la grâce et les vertus chrétiennes ont pu rehausser encore la splendeur du trône.
La Bretagne tout entière, depuis ses villes episcopales jusque dans ses plus modestes hameaux, a tressailli d'enthousiasme au contact électrique de Vos Majestés, elle a donné sa foi à la glorieuse Dynastie des Napoléons, elle saura la garder avec la fermeté patriotique et religieuse d'un peuple qui, comme vous le disait naguères un éloquent prélat breton, ne fit jamais trahison.
Recevez ici l'expression du profond dévouement de nos coeurs dont les voeux se résument dans les trois cris de la France. Vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! ».

Sa Majesté, en répondant au maire, a dit que, depuis longtemps Elle désirait, visiter la Bretagne, et en particulier une cité dont les annales sont glorieuses et à laquelle tant d'hommes illustres ont dû la naissance.

Le cortège s'est ensuite avancé le long des remparts ; sur son passage, plusieurs centaines d'enfants habillés de blanc mêlaient leurs acclamations à celles des médaillés de Sainte-Hélène, qui formaient la haie avec eux : c'était comme l'union du passé et de l'avenir. Les sapeurs-pompiers, les marins, les douaniers, les députations des communes rurales, les corporations ouvrières, les élèves du collége et des écoles, se tenaient de chaque côté de la voie suivie par Leurs Majestés, et de distance en distance des corps de musique se faisaient entendre.

C'était un spectacle vraiment remarquable que celui de ce cortège splendide, salué par un bruyant enthousiasme, qui s'avançait entre les noires murailles de la vieille cité et les flots qui venaient mourir à ses pieds. Ces vieux murs avaient été couverts de décorations antiques, et les devises des anciens ducs de Bretagne s'y mêlaient aux inscriptions nationales de la France Napoléonienne.

Le cortège pénètre enfin dans la ville par la porte de Dinan, et le coup d'oeil change sans cesser d'être pittoresque : une rue longue et étroite se présente, elle est comme une forêt de drapeaux, de verdure et de trophées. Au milieu d'elle, au-dessus des Souverains, est suspendue dans les airs la couronne impériale, soutenue sur deux colonnes qui s'appuient de chaque coté de la rue sur deux poupes de navires ; sur l'une, on lit : A L’EMPEREUR NAPOLÉON III ! - LA GLOIRE. - DUGUAY-TROUIN !

et sur l'autre : A L'IMPÉRATRICE EUGÉNIE ! LA GRANDE-HERMINE. - JACQUES CARTIER !

Ce bel arc de triomphe, remarquable par l'élégance et l'originalité de sa construction, a été élevé par M. Dandin, négociant armateur et constructeur de navires à Saint-Malo. Un souvenir historique donne encore plus de prix à cette idée. A l'époque où Jacques Cartier quitta ce rivage pour aller découvrir le Canada, la mer occupait encore tout l'emplacement du quartier de la porte de Dinan, et le chantier d'où a été lancée la Grande-Hermine était établi à l'endroit même où M. Dandin a rendu cet hommage à Leurs Majestés.

Arrivées à la sous-préfecture, après avoir reçu devant l'ancienne cathédrale les hommages du clergé, Leurs Majestés ont trouvé sous le péristyle une députation de jeunes filles qui ont été présentées par Mme de Rivière, femme du sous-préfet ; l'une d'elles, Mlle Rouxin, fille du maire, a dit à l'Impératrice :

« MADAME,
Daigne, Votre Majesté recevoir ce modeste présent, puisset-Elle voir dans ces fleurs, oeuvre du Tout-Puissant, emblème des vertus et des grâces qui brillent sur le trône de France, la vive expression des voeux ardents que nos coeurs forment pour Votre bonheur »
.

En ce moment, de jeunes enfants, habillés en mousses, fils de pêcheurs et de marins du port, ont offert à Leurs Majestés, pour le Prince Impérial, un petit navire fait de bois précieux, dont la délicate sculpture est regardée comme un chef-d'oeuvre. L'un ces enfants, le jeune Mallard, s'est exprimé en ces termes :

« MADAME,
Nos coeurs sont profondément émus du bonheur qui nous est accordé d'offrir à Votre Majesté un modèle de l'art de nos pères. Daignez agréer ce léger présent comme l'expression la plus vive de l'amour des ouvriers de Saint-Malo, pour le grand Empereur qui gouverne la France avec tant de gloire et de Sagesse, pour celui qu'un éloquent prélat breton vient d'appeler le Père du peuple, pour notre gracieuse Souveraine, la Mère du Prince Impérial, pour Votre Fils bien-aimé que Dieu appelle de si hautes destinées.
La marine illustra nos ancêtres, leur bravoure leur mérita du grand roi l'honneur d'être appelés seuls à composer l'équipage du vaisseau-amiral de ses flottes. Heureux des bienfaits de la paix, nous serions fiers, si la défense de la patrie l'exigeait un jour, de nous montrer dignes de ces nobles souvenirs sur les flottes du Prince Impérial dont la personne est si intimement liée à l'avenir et au bonheur de la France. Vive le Prince Impérial ! »
.

L'Impératrice a paru enchantée et a prié quatre des jeunes mousses de monter le petit navire dans ses appartements.

Quelques moments après l'arrivée de Leurs Majestés à l'hôtel de la sous-préfecture, a eu lieu la réception des autorités religieuses, judiciaires, civiles et militaires, en tête desquelles on remarquait M. Le comte Caffarelli député ; M. le préfet d'Ille-et-Vilaine et le sous-préfet de Saint-Malo. - S. Exc. Le major général Mundy, gouverneur de Jersey ; le capitaine Store, comandant de la station navale de Jersey ; le major Godrax, aide de camp du gouverneur ; M. Van der Brook, consul général des Pays-Bas, et plusieurs autres représentants des puissances étrangères ont été présentés à Leurs Majestés.

Pendant les réceptions, le président du tribunal civil de Saint-Malo a prononcé le discours suivant :

« SIRE,
Le tribunal civil de Saint-Malo est heureux de renouveler, entre les mains de Votre Majesté, l'hommage de sa fidélité. En présence de l'Héritier du plus grand nom du monde moderne, quel magistrat ne sentirait tressaillir les sympathies les plus vives de son intelligence pour ce nom qui rayonne au fronton du temple du droit civil ? Comment ne sera-t-il pas profondément reconnaissant envers la Providence qui, deux fois en un siècle, a fait sortir de la même race le chef qui devait être le salut et la gloire de sa patrie ?
Nous sommes fiers de proclamer ici que la charge d'administrer la justice nous est rendue facile par l'esprit de la population. Un magistrat (le président de Mesmes) disait à un roi de France que les sujets les plus courageux étaient les plus essentiellement soumis. Cette vérité est manifeste dans ce pays, dont l'histoire est celle d'hommes énergiques et dévoués, paisibles parce qu'ils sont forts.
Daigne Votre Majesté, daigne l'Auguste Princesse dont la présence inonde de joie nos cœurs, agréer les voeux, que nous formons pour la conservation de Leurs jours si précieux ; et pour la continuation de la Dynastie par le jeune Prince accordé par le Ciel à la France et à Vous »
.

Le président du tribunal de commerce a dit à Sa Majesté :

« SIRE,
Le tribunal de commerce de Saint-Malo supplie Votre Majesté de daigner agréer l'assurance de son dévouement et de la profonde reconnaissance dont il est pénétré, Sire, pour Votre venue dans cette antique cité, dont les annales, qui déjà ne sont pas dépourvues de toute gloire, s'enrichiront encore de l'éclatant témoignage de bienveillance que manifeste Votre auguste présence si ardemment désirée.
Voulez-Vous bien nous permettre, Sire, de déposer aux pieds de S. M. l'Impératrice l'humble hommage de notre respectueuse admiration, et d'exprimer nos voeux pour le prince Impérial ? »
.

Enfin, le président de la chambre de commerce a prononcé les paroles suivantes :

« SIRE,
La chambre de commerce de Saint-Malo vient exprimer à Votre Majesté combien la population de cet important arrondissement commercial est heureuse et fière de l'insigne honneur que Vous daignez lui faire en venant la visiter.
Je suis chargé, Sire de mettre aux pieds de Votre Majesté l'expression de son attachement à Votre Personne, à Votre Dynastie, ainsi qu'aux institutions fortes dont Vous avez doté le pays, et à l'abri desquelles la France vit en paix, puissante et respectée de tontes les nations.
Sire, la chambre de commerce a une autre mission à remplir. Elle doit encore soumettre à Votre Majesté des questions du plus haut intérêt pour notre arrondissement. Elles font l'objet d'un mémoire qui sera mis sous les yeux de Votre Majesté. Nous espérons qu'elles seront accueillies favorablement, et que Vous voudrez, Sire, perpétuer le souvenir de Votre passage au milieu de nous en dotant notre pays des seuls moyens de le faire sortir de l'état d'affaissement dans lequel il tombe de plus en plus.
Votre Majesté peut compter sur notre durable et vive seconnaissance »
.

L'Empereur a répondu à ces discours de la manière la plus bienveillante.

Après les réceptions officielles, on a introduit prés de Leurs Majestés une députation de jeunes filles de Cancale qui ont offert à l'Impératrice un panier d'huitres, orné de fleurs en coquillages, et Lui ont adressé des paroles empreintes du plus touchant dévouement pour l'Empereur, l'Impératrice et le Prince Impérial.

Avant et après le dîner, Leurs Majestés se sont, à diverses reprises, présentées au balcon de la sous-préfecture : l’accueil enthousiaste qui Leur était fait par la foule immense qui y stationnait, a pu Les convaincre de l’amour des populations d'Ille–et-Vilaine.

Le soir, un bal était offert aux Souverains par les deux villes réunies de Saint-Malo et Saint-Servan : deux vastes salles, décorées avec luxe et bon goût, contenaient de nombreux invités. Leurs Majestés ont dansé deux quadrilles qui étaient ainsi composés :

L’Empereur et Mlle Rouxin, fille du maire ;

L'Impératrice et le maire de Saint-Malo ;

S. Exc. le gouverneur de Jersey et Mme de La Bédoyère, dame du palais ;

Le président du tribunal et Mme Hardy, femme du commandant de place ;

L'amiral Tréhouart et Mme Hovius femme du président du tribunal de commerce ;

Le comte Caffarelli, député, et Mme de Rivière, femme du sous-préfet.

Dans la seconde salle :

L'Empereur et Mme Gouazon, femme du maire de Saint-Servan ;

L'Impératrice et le maire de Saint-Servan ;

Le général Duchaussoy et Mlle Duchesnais ;

Le sous-préfet et Mme Hovius ;

Le procureur impérial et Mme Houitte de La Chesnais ;

Le lieutenant-colonel Hardy et Mlle Rouxin.

Après avoir parscouru les salons, où leur présence causait la joie la plus vive, Leurs Majestés se sont retirées vers minuit, au milieu des démonstrations les plus sympathiques.

Au dehors, les deux villes, où s'étaient amoncelées tout le jour de joyeuses populations, présentaient le spectacle de leurs illuminations, et de leurs feux d'artifice. Le bosquet de la place du château était parsemé de lanternes vénitiennes. La façade de l'église, la croix qui surmonte cet édifice, n'étaient que flammes. Le môle des Noires étendait dans l'avant-port une chaîne lumineuse. Les façades des maisons particulières étaient généralement illuminées et versaient dans toutes les rues le jour le plus brilliant. Dinard répétait le même coup d'oeil sur l'autre rive. La tour de l'église de Saint-Servan, dominant cet ensemble, élevait dans l'azur une pyramide de lumières. Le port de Solidor, la place d'Armes, le quartier des Quatre-Pavillons, se faisaient aussi remarquer par l'éclat et la disposition de leurs feux.

Jusqu'à minuit la population stationna, sur la place ; un certain nombre d'habitants de la campagne y dansèrent jusqu'au matin, faute d'avoir trouvé des logements pour se reposer.

18 août.

Dès huit heures, le lendemain, l'Empereur sortait de l'hôtel de la sous-préfecture, accompagné du ministre de la guerre, du général Niel, de l'inspecteur divisionnaire des ponts et chaussées, du directeur des fortifications, du maire et du sous-préfet. Sa Majesté a visité les travaux qui s'exécutent au grand bassin de retenue, aux écluses, etc. L'Empereur a examiné sur place la question soulevée par le commerce de Saint-Malo relativement à l'agrandissement de la ville du côté de l'ouest, et Sa Majesté a prescrit aux chefs des divers services d'étudier le plus promptement possible ces projets dont Elle a posé les bases Elle-même, et qui seront de nature à concilier tous les intérêts engagés dans cette question.

L'Empereur, après avoir parcouru à pied les quais du grand bassin Est, est rentré en ville, puis s'est dirigé sur le château, construit à l'extrémité du Sillon, dont Il a visité en grand détail les curieuses fortifications élevées par la reine Anne au commencement du XVIème siècle.

En sortant du château, l'Empereur a parcouru les vieux remparts de la ville qui font face au nord. Dans cette promenade, Sa Majesté s'est entretenue longuement du projet d'agrandissement de la ville demandé de ce côté, et là aussi l'Empereur a indiqué la direction à donner aux études de nouveaux projets qui, tout en élargissant l’espace sur lequel la ville pourra s'étendre, ne compromettront en rien les intérêts de la défense.

Leurs Majestés sont montées en voiture à dix heures et demie, après avoir reçu la visite, de l'amiral Bouvet, âgé de quatre-vingt-trois ans, qui a voulu se faire conduire auprès de Leurs Majestés pour Leur offrir ses hommages. Elles ont passé devant l'église, où se tenait un nombreux clergé précédé du curé, qui a remercié les illustres bienfaiteurs de son ancienne cathédrale, à laquelle Leur munificence va permettre de joindre un clocher qui lui manquait. Partout, sur Leur passage, Elles recevaient les témoignages les plus expressifs de l'affection et du respect du peuple.

Le cortège impérial a retrouvé, de Saint-Malo à Châteauneuf, toutes les populations qui, la veille, s'étaient portées sur le passage de Leurs Majestés ; mais le soleil qui ajoute tant à la pompe des fêtes populaires, et que manquait hier, brillait aujourd'hui de tout son éclat. Le canon de Châteaneuf a salué le passage de l'Empereur.

Sur sa route, le cortège impérial a rencontré, comme les jours précédents, un très-grand nombre d'arcs de triomphe.

A Saint-Pierre de Plesguen, l'Empereur a été complimenté par le curé, qui lui a adressé les paroles suivantes :

« SIRE,
Je m'estime heureux, à l'âge de quatre-vingt-un ans, de cinquante et un de sacerdoce et de quarante-six ans d'administration curiale dans cette paroisse que la divine Providence m'ait accordé l'insigne faveur de voir Vos Majestés Impériales, et de pouvoir Leur offrir les plus profonds respects et le parfait dévouement d'un ancien serviteur du Fondateur à jamais illustre de Votre Dynastie.
Sire, je continuerai de prier le Dieu par qui règnent les rois, de Vous bénir, de Vous conserver Vous et Votre très-digne Compagne et Votre Fils bien-aimé l'espoir de la France, pour le bonheur de la religion et la prospérité de notre belle patrie.
Vive l’Empereur ! Vive notre gracieuse et bienfaisante Impératrice ! Vive le Prince Impérial ! »
.

L'Empereur a trouvé dans ce respectable ecclésiastique, décoré de la médaille de Sainte-Hélène, un ancien soldat du camp de Boulogne ; Il lui a donné la décoration de la Légion d'honneur, ainsi qu'au maire, âgé de plus de quatre-vingts ans, ancien militaire.

Plus loin, au vieux bourg de Miniac, à l’intersection des deux grandes routes de Saint-Malo à Rennes et de Dinan à Dol, un arc de triomphe colossal, suivi de plusieurs autres de moindre dimension, une longue avenue de jeunes arbres, transplantés exprès pour cette solennité, témoignaient du zèle des habitants accourus au nombre de près de quatre mille, pour être témoins du passage de l'Empereur et de l'Impératrice. Quand Leurs Majestés ont paru, un tonnerre d'acclamations s’est fait entendre. La voiture impériale s'étant arrêtée, l'Empereur en est descendu, et a serré avec bonté la main à M. le curé, ainsi qu'aux ecclésiastiques présents. On a présenté à Sa Majesté un jeune enfant, né le même jour et à la même heure que le Prince Impérial. Son illustre Parrain l'a pris dans ses bras et l'a embrassé avec bonté. Un rouleau de pièces d’or était en même temps discrètement glissé dans la main du père de cet enfant. Cependant les Soeurs de la Sagesse offraient à l'Impératrice une corbeille de fleurs et de fruits, artistement mélangés, Sa Majesté a daigné prendre une pêche qu'elle a remplacée par une bourse bien garnie. C'était la part des pauvres, qui ne sont jamais oubliés par notre gracieue et bienfaisante Souveraine. Au bout de quelques instants, le cortège impérial s'est remis en route, au milieu des vivat répétés et retentissants.

Tinténiac.

A l'entrée de Tinténiac apparaissait un premier arc de triomphe remarquable surtout par son élégance et sa hauteur ; il représentait deux tours gothiques surmontées d'étendards aux couleurs nationales, enjolivées de seize clochetons pavoisés et reliés par un fronton triangulaire orné de rosaces en verdure, et portant au milieu cette inscription : A L’EMPEREUR NOS BRAS, ET NOS COEURS ! - TINTÉNIAC.

De l'autre côté du blason, on lisait ces simples mots : VIVE L'EMPEREUR !

Le second arc de triomphe, situé an milieu, de la rue principale, était dû exclusivement au fravail d'un noble vétéran, débris de la grande armée ; il représentait six colonnes pyramidales en verdure, reliée par des rosaces et entre lesquelles on voyait inscrit le nom des principales campagnes du veux soldat. Au milieu des deux principales colonnes, on lisait encore cette devise : A L'EMPEREUR, A LEUR FILS BIEN–AIMÉ ! NOUS JURONS FIDÉLITÉ. LE VIEUX SOLDAT DE L’ÎLE D’ELBE A SA MAJESTÉ NAPOLÉON III !

Enfin, à l'autre extrémité de la ville, s'élevait un troisième arc de triomphe, ne différant du premier que par le blason qui ornait le fronton, et sur lequel apparaissait étincelante l'aigle impériale ornée d'une écharpe aux trois couleurs artistement drapée.

Mais l'éclat de ces arcs de triomphe était encore rehaussé par une élégante avenue de jeunes arbres et de verdoyants bouleaux, dont la régularité et le balancement étaient propres à délasser agréablement les yeux des Augustes Visiteurs. Plus de quinze cents de ces arbres, échelonnés en double haie dans l'espace de plus d'un kilomètre, avaient été plantés sur le parcours de Leurs Majestés. Au milieu de ces bosquets, apparaissaient de distance en distance, d'agréables jardins de gazons et de fleurs, dessinés devant les maisons et les endroits les plus saillants. Plus de cinquante couronnes de laurier, suspendues sur les rues d'une croisée à l'autre croisée, ajoutaient encore à ce gracieux coup d’oeil.

Le maire a prononcé le discours suivant :

« SIRE,
Tinténiac ne Vous offre point les émouvants spectacles que Vous ont prodigués les villes que Vous venez de parcourir.
Ce n’est qu’en passant, Sire, que nous pouvons Vous exprimer combien notre honorable clergé, l'administration municipale, les membres de la justice de paix, les notables et tous les habitants de notre canton sont heureux, mille fois heureux de voir de près notre Auguste et digne Souverain, et notre gracieuse et vertueuse Impératrice.
Hommage donc profondément respectueux, vive reconnaissance et dévouement sans bornes à Vos Majestés.
Tels sont les sentiments dont nos coeurs sont pénétrés en ce jour, qui nous procure le bonheur inexprimable de mêler nos acclamations à celles de la France entière !
Vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince lmpérial ! »
.

Le curé, entouré de son clergé, s'est avancé vers l'Empereur et lui a dit :
« SIRE,
Je dois à la position topographique de ma paroisse, qui se trouve la première de l'arrondissemént de Rennes sur la route que parcourent Vos Majestés, l'honneur de pouvoir, le premier, Vous exprimer les sentiments, qui animent le clergé et la population de cet arrondissement : sentiments d'admiration pour la vigueur avec laquelle Vous avez enchaîné le monstre de l'anarchie, rétabli l'ordre et soutenu au loin la gloire du nom français ; sentiments de reconnaissance pour la protection que Vous accordez hautement à l'Église et pour le puissant appui que Vous donnez dans Rome au Vicaire de Jésus-Christ ; sentiments d'amour pour un Prince qui visite Son Empire pour connaître les besoins de Ses peuples et y satisfaire. Animés de ces sentiments, c'est avec la plus vive horreur que nous apprîmes l'horrible attentat du 14 janvier ; ce fut pour nous un devoir bien doux, un pressant besoin de remercier Dieu d'avoir préservé Vos Majestés. En sauvant des vies si précieuses, Dieu avait encore une fois sauvé la France. De pareils crimes ne se renouvelleront pas, nous en avons la douce espérance, et, touché des prières de tout le peuple français, le Seigneur conservera une vie à laquelle sont attachées la paix et la tranquillité du monde.
Vive l'Empereur ! vive l'Impératrice! vive le Prince Impérial ! ».

Au village de la Brosse, mêmes démonstrations d'enthousiasme : là, le peuple, s'associant à ses prêtres, chantait d'une seule voix le Domine salvum, au moment du passage de Leurs Majestés. On peut dire que, dans le voyage impérial, le clergé donnait partout l'exemple de ces manifestations chaleureuses que l'on retrouve à chaque pas dans l'llle-et–Vilaine.

Mgr Godefroy Saint-Marc, évêque de Rennes avait adressé à MM. les curés et desservants la circulaire suivante :

« MESSIEURS ET CHERS COOPÉRATEURS,
Le 19 août prochain sera un jour à jamais mémorable dans l'histoire de notre cher diocèse. L'Empereur Napoléon III et Son Auguste Épouse daigneront visiter notre ville épiscopale, et Leur premier acte sera d'aller dans notre église cathédrale offrir Leurs prières au Dieu par qui règnent les rois.
Désirant recevoir Leurs Majestés avec toute la pompe et le respect dont nous sommes capable, nous croyons ne pouvoir rien faire de mieux, à cette intention, que d'inviter notre vénérable clergé à venir nous assister dans cette imposante solennité, car la véritable gloire d'un évêque ne consiste-t-elle pas à être entouré du sénat de ses prêtres ?
Nous vous prions donc, Messieurs et chers Coopérateurs, de vous rendre à Rennes en plus grand nombre possible, le 19 août prochain, de manière à être réunis à la cathédrale, en habit de choeur, à quatre heures moins un quart précises.
Nous prions également, MM. les curés et vicaires, dans les paroisses se trouvant sur la route que parcourront Leurs Majestés en se rendant de Saint-Malo à Rennes, d'avoir soin de faire orner leurs bourgs d'arcs de triomphe, de faire sonner les cloches et de se tenir avec leurs paroissiens, croix et bannières levées, sur le passage de l'Empereur et de l'Impératrice.
Nous connaissons trop, Messieurs et chers Coopérateurs, l'excellent esprit qui anime nos pieux diocésains, pour croire qu'il soit le moins du monde nécessaire de les exhorter à accomplir comme il faut en cette circonstance leurs devoirs de bons et loyaux Français. Quand un diocèse a donné comme le nôtre cent dix mille voix à l'élu du pays, il n'a certes pas besoin d'être stimulé pour rendre au Souverain qu'il s'est choisi les hommages qui lui sont si légitimement dus.
Recevez, Messieurs et chers Coopérateurs, l'assurance de notre inviolable attachement en Notre-Seigneur.
+ G., Év. de Rennes. »
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Presque à l'entrée de Rennes, un trophée avait été élevé en instruments d'agriculture, par les soins de M. Vimont, propriétaire, et de M. Bodin, agriculteur distingué, directeur de la ferme-école des Trois-Croix. Leurs Majestés S'y sont arrêtées, et Se sont quelque temps entretenues avec les deux familles dont le dévouement à leurs Souverains s'était manifesté par la construction de cet élégant monument. Peu d'instants après, le cortège impérial arrivait à l'arc de triomphe qui figurait la porte de Rennes.

(J. M. POULAIN-CORBION).

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