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LA CHEVALERIE DU DUCHÉ DE BRETAGNE

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MANIÈRE DONT ON PARVENAIT A LA CHEVALERIE. — CÉRÉMONIES AVEC LESQUELLES L'ORDRE DE CHEVALERIE SE CONFÉRAIT. — ARMURES, COSTUME ET PRÉROGATIVES DES CHEVALIERS.

Les nobles, obligés en raison de leurs fiefs à un service militaire continuel, avaient besoin de faire un apprentissage du métier des armes. Ils avaient donc l'habitude d'envoyer leurs enfants, en qualité de pages, à la cour de quelque baron ou de quelque chevalier renommé, afin qu'ils apprissent tout ce qui était nécessaire à un homme d'armes et s'instruisissent des lois et des coutumes de la chevalerie.

Le jour de la séparation arrivé, le père faisait appeler son fils, et lui disait (Voir Marchangy. Gaule poétique) : « C'est assez t'amuser aux cendres casanières, il faut te rendre aux écoles de prouesse et de valeur, car tout jeune homme doit quitter la maison paternelle pour recevoir bonne et louable nourriture dans une autre famille et devenir expert en toute sorte de doctrine ; mais, pour Dieu, conserve l'honneur, souviens-toi de qui tu es fils et surtout ne forligne pas. Sois brave, modeste en toute rencontre, car louange est réputé blâme en la bouche de celui qui se loue, et celui qui attribue tout à Dieu est exaucé. Je me souviens d'une parole qu'un ermite me dit un jour, que si j'avais autant de possessions comme en avait le roi Alexandre, et de sens comme le sage Salomon, et de valeur comme le preux Hector de Troie, le seul orgueil, s'il était en moi, détruirait tout. Sois le dernier à parler dans les assemblées et le premier à frapper dans les combats ; loue les mérites de tes frères, car le chevalier est ravisseur du bien d'autrui qui tait la vaillance des autres. Cher fils, je te recommande encore simplesse et bonté envers les personnes de petit état ; elles te porteront plus de remerciements que les grands, qui reçoivent tout comme dette à eux acquise ; mais le petit se trouvera honoré de tes manières et te fera partout los et renommée ».

C'était muni de ces conseils que le jeune gentilhomme se rendait à la cour du seigneur qui devait lui apprendre le métier des armes et les nobles leçons de la chevalerie. Les premières places qu'on lui donnait à remplir étaient celles de page, varlet ou damoiseau, nom quelquefois commun aux écuyers. Les domestiques non nobles portaient les noms de garçons ou de gros varlets. Les fonctions de ces pages étaient celles des domestiques auprès de leurs maîtres. Ils les accompagnaient en voyage, les servaient à table et leur donnaient à boire. Ces occupations, à cette époque, n'étaient pas réputées serviles. Chez une noblesse toute militaire, tous ceux qui approchaient de la personne du seigneur portaient les armes. D'ailleurs, le jeune gentilhomme devait non-seulement devenir un vaillant homme d'armes, mais encore connaître tout ce que devait savoir un chevalier. On lit dans le livre intitulé l'Ordène de chevalerie : « Et convient que le fils du chevalier, pendant qu'il est écuyer, sache prendre garde de cheval, et convient qu'il serve avant et qu'il soit devant sujet que seigneur. Car autrement ne connaîtrait-il point la noblesse de sa seigneurie quand il serait chevalier, afin qu'il apprenne à tailler à table et à servir, et à armer et à habiller chevalier en sa jeunesse. Ainsi comme l'homme qui veut apprendre à être couturier ou charpentier, il convient qu'il ait maître qui soit couturier on charpentier ; tout ainsi convient-il, que tout noble homme qui aime l'ordre de chevalerie et veut devenir et être bon chevalier, ait premièrement maître qui soit chevalier ».

Chez nos bons aïeux, qui ressemblaient beaucoup aux héros d'Homère, des offices qu'aujourd'hui nous regardons comme serviles étaient considérés comme honorables. Sous Louis XIV même, c'était un honneur pour les princes du sang d'assister au lever et au coucher du roi et de lui présenter la chemise. On lit dans l'Encyclopédie de la noblesse, par M. de Saint-Allais, page 116 : « Cependant un valet de garde-robe apporte la chemise du roi, qu'il a chauffée, s'il en est besoin, et prête à donner, couverte d'un taffetas blanc ; pour donner cette chemise à Sa Majesté, si un des fils ou petits-fils de France (quand il y en a) se trouve dans ce moment au lever, le grand chambellan ou un premier gentilhomme de la chambre, le grand maître de la garde-robe ou un autre officier supérieur, reçoit cette chemise du valet de la garde-robe et la lui présente pour la donner à Sa Majesté. Les autres princes du sang ou légitimés la prennent des mains du valet de la garde-robe, à qui ils donnent à tenir leur chapeau, leurs gants et leur canne. Au défaut de princes du sang ou légitimés, le grand chambellan ou premier gentilhomme de la chambre, le grand maître de la garde-robe, le premier valet de la garde-robe en leur rang, donnent la chemise au roi ».

Les offices de grand maître de France (autrefois souverain maître d'hôtel du roi), de grand chambrier, de grand panetier et de grand bouteiller de France, étaient au nombre des premières charges de la couronne. Le premier écuyer-tranchant était un des principaux officiers de la maison du roi.

On trouve dans une ordonnance de Philippe-le-Bel, faite en l'année 1306, que dès ce temps-là le premier valet-tranchant (aujourd'hui premier écuyer-tranchant) avait la garde de l'étendard royal, et qu'il devait dans cette fonction marcher à l'armée le plus prochain derrière le roi, portant son panon, qui doit aller çà et là partout où le roi va, afin que chacun connaisse où le roi est.

Ces deux charges étaient unies dans la même personne sous Charles VII et sous Charles VIII et l'ont presque toujours été depuis ; c'était sous cet étendard royal, nommé depuis cornette blanche, que combattaient les officiers, commensaux du roi, les seigneurs et gentilshommes de sa maison et les autres gentilshommes volontaires qui accompagnaient le roi.

Dans les cérémonies d'apparat, les maîtres d'hôtel du roi, qui en général étaient des chevaliers, le servaient à table.

« Et après ces choses, rapporte Joinville, le Roy tint une grande cour à Saumur en Anjô, et là fu je et vous témoing que ce fut la mieux arée que je véisse oncques ; car à la table du roi mangeait auprès li, le comte de Poitiers, qu'il avait fait chevalier nouvel à une saint Jehan [Note : On choisissait en général un jour de grande fête pour créer des chevaliers, afin de rendre leur réception plus solennelle], et après le comte de Poitiers, mangeait le comte Jehan de Dreux, qu'il avait fait chevalier nouvel aussi ; après le comte de Dreux mangeait le comte de la Marche, le bon comte Pierre de Bretaingne, et devant la table du Roy, en droict le comte de Dreux, mangeait monseigneur le Roy de Navarre en cote et mantel de samit ; bien paré de courroie de fermail et de chapelet d'or ; et je tranchais devant li. Devant le Roy tranchait du coutel le bon comte Jehan de Soissons. Pour la table garder était monseigneur Imbert de Biaujeu, qui fut puis connétable de France, et monseigneur Enguerrand de Coucy, et monseigneur Herchambaut de Bourbon. Darrière ses trois barons, avait bien trente de leurs chevaliers en cote de drap de soie pour eux garder ; et darrière ces chevaliers, avait grande plantée de serjans veistus des armes du comte de Poitiers battues de sandal ».

Dans le roman de Lancelot du Lac, on voit que le roi Artus fut comblé d'éloges, pour avoir tranché le paon à la table ronde, autour de laquelle étaient assis cent cinquante chevaliers, qui furent tous contents de la part qu'il leur fit.

Le roman du petit Jehan de Saintré nous le montre pendant qu'il était page, servant le roi à table, et recevant ensuite de ce prince de l'argent et des armures, afin de faire ses premières armes. Plus tard, devenu un chevalier de renom, il fut assez heureux pour recevoir dans son château la dame aux belles cousines, parente du roi de France. « Quand le clepsidre du château sonna les douze heures, Saintré présenta respectueusement à la princesse sa main couverte d'un gant, et la conduisit dans un grand salon où la table dressée venait d'être servie par les maîtres d'hôtel. La princesse s'étant placée dans un fauteuil préparé pour elle, les dames qui l'accompagnaient prirent leur siège à dos, et Saintré, une serviette sur l'épaule, se tint debout près du cadenas de la princesse pour la servir, et ne voulut point se placer à table, qu'après en avoir reçu l'ordre le plus pressant, et seulement lorsqu'on eut servi le second service ».

Jusqu'à l'âge de quatorze ans, le jeune damoisel remplissait l'office de page. La dame et les demoiselles du château s'occupaient de son éducation morale et religieuse, et remplaçaient ses parents. Elles lui apprenaient le catéchisme et aussi l'art d'aimer, c'est-à-dire, à être aimable, respectueux et poli envers les dames, et à ne pas mal parler d'elles, car les chevaliers dont elles avaient à se plaindre étaient exclus des tournois.

A quatorze ans son éducation devenait toute militaire. Nouvellement sorti de pages, avant de commencer ses fonctions d'écuyer, il était présenté à l'autel par son père et par sa mère, qui chacun un cierge à la main allaient à l'offrande. Le prêtre célébrant prenait de dessus l'autel une épée et une ceinture sur laquelle il faisait plusieurs bénédictions, et l'attachait au côté du jeune homme, qui dès ce moment commençait à la porter. Cette cérémonie rappelait celle qui était en usage sous la seconde race de nos rois, dans laquelle les princes remettaient à leurs enfants leurs premières armes, cérémonie qu'on a confondue à tort avec la collation de l'ordre de chevalerie.

« Bientôt, dit Châteaubriand (Voir Génie du Christianisme), on passait à l'office de page ou de damoiseau dans le château de quelque baron. C'était là qu'on prenait les premières leçons sur la foi gardée à Dieu et aux dames. Souvent le jeune page y commençait pour la fille de son seigneur une de ces durables tendresses que des miracles de vaillance devaient immortaliser. De vastes architectures gothiques, de vieilles forêts et de grands étangs solitaires nourrissaient par leur aspect romanesque, ces passions que rien ne pouvait détruire, et qui devenaient des espèces de sort et d'enchantement. Excité par l'amour au courage, le page poursuivait les mâles exercices qui lui ouvraient la route de l'honneur. Sur un coursier indompté, il lançait dans l'épaisseur des bois les bêtes sauvages, ou, rappelant le faucon du haut des cieux, il forçait le tyran  des airs à venir, timide et soumis, se poser sur sa main assurée. Tantôt, comme Achille enfant, il faisait voler les chevaux sur la plaine, s'élançant de l'un à l'autre, d'un saut franchissant leur croupe, ou s'asseyant sur leur dos ; tantôt il montait tout armé jusqu'au haut d'une tremblante échelle, et se croyait déjà sur la brèche, criant Montjoye et Saint-Denis. Dans la cour de son baron il recevait les instructions et les exemples propres à former sa vie. Là se rendaient sans cesse des chevaliers connus ou inconnus qui s'étaient voués à des aventures périlleuses, qui revenaient seuls des royaumes de Cathay, des confins de l'Asie et de tous les lieux incroyables où ils redressaient les torts et combattaient les infidèles ».

Dans un recueil de poésies provençales recueillies par M. d'Urfé , et dont on trouve des fragments dans l'ouvrage de M. Lacurne de Sainte-Palaye, sur la chevalerie, on voit que le seigneur Arnaud de Marsans dit à ses écuyers qui lui demandaient des conseils : « Ayez un bon cheval, prompt à la course, adroit et souple au combat, et qu'il soit toujours près de vous, aussi bien que votre lance, votre écu et votre haubert à l'épreuve. Que le cheval soit de tout point bien équipé, bien sellé, bien bridé et garni d'un beau poitrail. Que la housse, la selle, l'écu et la lance avec sa banderolle soient coloriés ou armoriés uniformément. Ayez outre cela un bon cheval de bât ou roussin, pour porter votre double haubert, la lance et l'écu ; plus ces armes paraîtront élevées, plus elles auront de grâce et de noblesse. Que vos écuyers se tiennent toujours près de vous, afin qu'à la première offense, à la première attaque, vous ayez toujours sous la main tout ce qu'il vous faudra, et que vous ne soyez pas obligé de chercher vos armes l'une après l'autre : car il faut que vous le sachiez, une dame ne prendra jamais pour amant un lâche ou un avare, qui se cache quand il faut marcher à l'ennemi ou paraître avec éclat dans une cour. Elle veut que son amant se couvre sans cesse de nouvelle gloire : c'est alors que, bien loin de rougir de la passion qu'il lui témoigne, elle en fait trophée et s'empresse d'y répondre. Que la longueur de mes leçons ne vous impatiente pas, mes amis, poursuit toujours le seigneur Arnaud de Marsan ; aimez sur toutes choses la chevalerie, qu'elle soit pour vous le souverain bien et préférez-la à tout autre plaisir. Que l'on vous trouve toujours prêts au combat, si l'on cherche à vous surprendre ; quelques cris et quelque bruit que vous entendiez, que rien ne vous effraye ; soyez le premier à frapper, le dernier à vous retirer ; ainsi vous remplirez le véritable devoir d'un amoureux. Si vous êtes au tournoi, voulez-vous m'en croire, que votre heaume et votre haubert soient également forts et doubles ; ayez bonnes chausses d'acier à vos jambes et bonne épée à la ceinture. Ouvrez à votre cheval, par des coups redoublés, la route qu'il doit tenir, et que son poitrail soit garni de beaux grelots ou sonnettes bien rangées, car ces sonnettes réveillent merveilleusement le courage de celui qui le monte et répandent devant lui la terreur. Enfin, je vous le répète, montrez-vous toujours le premier à la charge et le dernier à la retraite, c'est le devoir de quiconque suit la bannière d'amour. Ne vous laissez rien enlever (de vos armes et de vos équipages) ; quand vous ferez votre pointe dans les rangs ennemis, ne revenez pas sans vous être mesuré avec quelqu'un d'entre eux ; soit un, soit deux, repoussez-les avec intrépidité ; si votre lance vous manque, n'oubliez pas votre épée, et qu'aussitôt vous l'ayez à la main ; frappez des coups si forts et si rudes, que le bruit en aille jusqu'à Dieu, et que le paradis et l'enfer en retentissent également ».

Lorsque le jeune écuyer avait terminé son apprentissage militaire et atteint vingt et un ans, il suivait, en qualité d'homme d'armes, son seigneur à la guerre, ou combattait pour son propre compte, fréquentant les tournois, les pas d'armes, se battant contre tout venant, et recherchant les batailles et les aventures afin d'acquérir le nom de vaillant et de se rendre digne d'être admis dans l'ordre de chevalerie. Nos anciens romans nous représentent le jeune poursuivant ou bachelier d'armes, suivant avec constance cette route remplie de dangers, mais qui conduit aussi à la victoire et à la renommée.

Si un écuyer, après s'être distingué dans les combats, était devenu assez riche pour soutenir l'honneur de l'ordre de chevalerie, il se mettait à la recherche de quelque chevalier renommé qui pût lui conférer cette dignité, car être armé chevalier par un guerrier éprouvé était une preuve de vaillance.

Tout chevalier pouvait créer un autre gentilhomme chevalier, mais sa responsabilité était si grande et la publicité donnée à la réception d'un chevalier telle, que l'accès à la chevalerie était impossible à celui qui n'en aurait pas été digne. L'usage était en effet, que le nouveau chevalier, revêtu de ses armes, parcourût la ville voisine, accompagné de ses parrains et de celui qui lui avait octroyé l'ordre de chevalerie. Quelle honte pour ceux-ci, si leur filleul avait été accueilli par les huées du peuple et les moqueries de la noblesse ! Ils se seraient exposés eux-mêmes à être dégradés et à se voir refuser l'entrée des tournois.

Aussi est-il à remarquer que la chevalerie, florissante pendant le temps qu'elle resta entre les mains de la noblesse, déchut rapidement dès qu'elle devint officielle et que les rois commencèrent à la conférer.

La collation de l'ordre de chevalerie avait lieu ordinairement aux fêtes de Pâques, de la Pentecôte, de Noël ou de la Saint-Jean, afin de donner plus de notoriété à la réception des chevaliers. Dans les premiers temps de la chevalerie, pour être fait chevalier, il fallait avoir vingt et un ans, être noble de race et posséder des fiefs considérables.

L'écuyer qui aspirait à l'honneur de la chevalerie, disent les anciens cérémonieux, était obligé, avant toutes choses, de prier Dieu de lui donner sa grâce et sa bénédiction, de jeûner la veille de la fête choisie pour la cérémonie, de confesser ses péchés et de communier [Note : Marchangy, Gaule poëtique ; La Roque, Traité de la Noblesse ; Saint-Allais, Encyclopédie de la Noblesse, etc.].

Vêtu d'un habit blanc comme la neige, il venait faire la veille des armes dans une église, passant la nuit en oraison, agenouillé devant l'autel de la Vierge ou d'un patron, et près des monuments funèbres où se voyaient les statues des princes et des grands capitaines, remémorant en sa pensée les faits et gestes des trépassés, et demandant à Dieu de vivre et de mourir comme eux.

Dès que le jour commençait à paraître, d'anciens chevaliers, sous le nom de parrains, assistent le récipiendaire pendant la cérémonie, viennent le chercher et le conduire au bain, emblème de la pureté nécessaire dans l'ordre de chevalerie. Au sortir de l'onde, on le couvre d'une simple tunique blanche, à son cou tourne une écharpe où pend son épée, dont la poignée a la forme d'une croix. En cet état, il est conduit par le prêtre, qui, bénissant son arme, récite en latin des psaumes et des exhortations dont voici le sens :

( ) mon Dieu, conservez votre serviteur, car c'est de vous dont vient la force ; le géant, sans votre appui, tombe sous la fronde du berger, et le faible, si vous l'animez, est une tour d'airain inébranlable contre la rage impuissante des mortels.

Dieu tout-puissant, vous qui balancez dans vos mains les flèches de la victoire et les foudres de la colère céleste, daignez regarder du haut de votre gloire celui qu'amène dans votre temple le devoir de faire bénir et consacrer son glaive.

Ce n'est point pour ravager et pour détruire, ce n'est pas pour servir l'injustice et la tyrannie, c'est pour délivrer tout ce qui souffre et qui gémit sous la verge de l'oppression ; ainsi donnez-lui, en faveur de cette mission sacrée, la sagesse de Salomon et la force des Machabées.

Après cette cérémonie, le candidat est reconduit dans ses appartements par ses parrains, qui le revêtent d'abord d'un pourpoint brun, puis d'une camise de gaze brochée d'or ; sur ce vêtement léger on met le haubert, et sur ce tissu de mailles de fer la chlamyde, composée des couleurs et livrées du chevalier.

Viennent ensuite les sires clercs apportant sur un lutrin le livre où sont transcrites les lois de la chevalerie, dont il écoute attentivement la lecture et dont voici quelques articles :

Les chevaliers doivent craindre et aimer Dieu, combattre pour la défense de la religion, de la patrie et du prince. Leur bouclier sera le refuge de l'opprimé, leur courage soutiendra envers et contre tous le bon droit de ceux qui viendront les implorer. Ils obéiront à leurs supérieurs, vivront avec leurs égaux en bons frères, et craindront surtout de blesser par leurs propos, la pudeur, l'absence, la tristesse et la pauvreté.

L'espoir du gain, l'amour des grandeurs, non plus que l'orgueil et le ressentiment, ne seront jamais les vrais motifs de leurs actions : elles seront en toute circonstance, inspirées par l'amour de la vertu.

Ils ne s'avanceront pas plusieurs contre un seul et ne combattront point d'ennemis désarmés. Le cri de la vieillesse sera pour eux le cri de la clémence, et leur générosité fera pardonner leur gloire. Ils mépriseront tous les avantages obtenus par la supercherie et par la crainte.

Les chevaliers ne s'attaqueront point mutuellement, si ce n'est dans les batailles et dans la lice des tournois, et dans ce dernier cas, leurs fers seront émoussés. Fidèles observateurs de leur parole, jamais leur foi vierge et pure ne sera souillée par le plus petit mensonge.

S'ils ont fait voeu de mettre fin à quelque aventure, leurs armes ne seront pas déposées avant de l'avoir terminée, et ils vaqueront sans relâche à leur entreprise pendant un an et un jour.

Si, dans leur course, un pâtre leur dit qu'ils suivent un chemin occupé par des brigands, ou qu'une bête étrange y répand l'épouvante, ou qu'il aboutit à quelque manoir dangereux d'où l'on ne voit pas revenir les voyageurs, ils ne retourneront pas en arrière et poursuivront leur route, même dans la persuasion d'un péril évident ou d'une mort certaine, pourvu néanmoins qu'en s'engageant dans cette aventure ils aient quelque chance d'être utiles à leurs concitoyens.

Ils n'accepteront point de titres ou de récompenses d'un prince étranger, car ce serait un affront pour leur patrie. Ils maintiendront sous leur bannière l'ordre et la discipline parmi les troupes soumises à leur commandement, et veilleront à ce que l'on ne moleste pas les laboureurs.

Les chevaliers serviront et protégeront en toute rencontre, et même au péril de leur vie, les dames confiées à leur garde, et quels que soient leurs charmes, ne leur parleront point d'amour, n'en exigeront point de faveurs ni de promesses, et ne profiteront en aucune manière de l'ascendant qu'auraient pu donner sur leurs volontés des circonstances quelconques.

Ils ne feront jamais violence à dames ou à demoiselles, encore qu'ils les eussent gagnées par armes, sans leur volonté ou consentement.

S'ils sont recherchés de combat pareil, ils ne s'y refuseront point sans empêchement raisonnable ; ils seront fidèles observateurs de leur parole et de la foi donnée, et s'ils sont faits prisonniers en bonne guerre, ils paieront exactement la rançon promise ou se remettront en prison au jour et temps convenus, selon leur promesse, à peine d'être déclarés infâmes ou parjures [Note : Souvent ces prisons étaient fort dures. Bertrand du Guesclin, après avoir été fait prisonnier en Espagne à la bataille de Navaretta, avait amassé l'argent nécessaire pour payer sa rançon. En passant par La Rochelle, il y trouva beaucoup de ses anciens compagnons d'armes qui, ne pouvant se racheter, étaient durement traités par les Anglais, leurs vainqueurs, et réduits à la plus grande misère. Il employa à les délivrer l'argent qu'il avait apporté, et revint ensuite se remettre entre les mains du prince de Galles, dont il était prisonnier, et qui le traita avec la plus grande courtoisie. Chandos et Caverlé voulurent contribuer à payer sa rançon, qui, peu de jours après, fut acquittée par le roi de France].

De retour à la cour de leur souverain, ils rendront un compte véritable de leurs aventures, encore même qu'elles fussent quelquefois à leur désavantage, au roi et au greffier de l'ordre, sous peine d'être privés de l'ordre de chevalerie. Sur toutes choses, ils seront fidèles, courtois, humbles, et ne failliront jamais à leur parole.

Le serment fait, le candidat était revêtu par un ou plusieurs chevaliers, quelquefois même par des dames ou demoiselles, de toutes les marques extérieures de la chevalerie. On lui donnait successivement, en commençant par les éperons dorés, toutes les pièces de son armure et ses armes.

Les éperons étaient donnés au chevalier pour lui démontrer que la diligence ne doit pas manquer aux actions de la guerre. Les molettes sont piquantes et appliquées aux éperons, pour corriger le cheval, qui est ordonné pour servir l'ordre de chevalerie, et dont on a pris le nom de chevalier.

Le premier don fait au chevalier était une molette d'éperon, symbole d'honneur et de chevalerie, que nul ne portait anciennement s'il n'était noble, mais seulement un petit piquant qui s'arrêtait au bout de l'éperon. La molette, disaient les anciens, servait à corriger les reculants d'honneur et de toute sorte de vertu.

Le haubert dont on revêtait le chevalier était la représentation d'une forteresse ou d'un château contre les vices ; car ainsi que les châteaux sont clos de tours et de fossés, de même le haubert est fermé de toutes parts et donne courage au chevalier, en lui faisant détester la trahison, la déloyauté, l'orgueil ou tout autre vice.

Le casque ou heaume était donné au chevalier, pour marquer la pudeur qui lui couvrait le front, car un chevalier sans honte ne peut être obéissant à l'ordre de chevalerie.

Les chausses de fer étaient données au chevalier, pour garantir les jambes et les pieds du péril, et pour lui faire entendre qu'un chevalier armé de fer n'appréhende aucun passage.

Le gorgerin donné au chevalier était un signe d'obéissance et de soumission ; d'où vient que ceux qui font des vœux, et que les femmes, tant religieuses que laïques, s'en servent jusqu'à présent.

Les gantelets étaient délivrés au chevalier, afin qu'il en couvrît ses mains, pour qu'elles fussent plus à l'abri des coups, et plus sûres pour redoubler de force.

L'épée qui était présentée au chevalier était faite en forme de croix, pour lui faire comprendre qu'il devait, comme autrefois Constantin, détruire les ennemis de la croix de Jésus-Christ par l'épée ; et parce que l'épée tranche des deux côtés, elle signifie que le chevalier doit maintenir la chevalerie et la justice, et ne jamais combattre que pour le maintien de ces deux grandes colonnes de la société.

Une épée nommée miséricorde était donnée au chevalier, afin de lui faire comprendre qu'il eût recours à la miséricorde, et qu'il surmontât plutôt son ennemi par cette vertu, que par la force de l'épée.

Le chevalier ne devait pas se confier entièrement à ses armes, mais espérer qu'avec le secours de Dieu il vaincrait ses ennemis et ceux qui seraient contraires à l'ordre de chevalerie.

La lance donnée au chevalier représentait la vérité, car la vérité est droite comme la lance. Le fer de la lance signifie la force qu'a la vérité sur la fausseté et le mensonge, et le pommonceau ou pommeau, qui est de forme ronde, montre que la vérité, qui est manifeste à tous, n'a peur ni de la fausseté ni de la tromperie.

La masse donnée au chevalier indique la force et le courage.

L'écu était présenté au chevalier pour être mis entre lui et ses ennemis ; aussi le chevalier était un intermédiaire entre le prince et le peuple, pour négocier la paix et la tranquillité publique entre les deux.

La selle sur laquelle s'assied le chevalier quand il est à cheval, signifie sûreté et fermeté de courage, ainsi que la force de la chevalerie.

Au chevalier était donné un cheval avec un destrier, ainsi appelé, parce qu'il se plaçait à sa droite pour l'inviter à combattre dextrement, et pour indiquer que le cheval surpasse tous les animaux en noblesse et en courage, même le lion, qui a plus de force que de courage.

Toutes les cérémonies étant accomplies, le nouveau chevalier, orné des insignes chevaleresques, accompagné de ses parrains et d'une foule de seigneurs, se promenait à cheval dans la ville la plus voisine pour se montrer au peuple, et afin que tous sussent qu'il était nouveau chevalier.

Celui qui créait un chevalier lui faisait ordinairement des largesses et en recevait à son tour. Les rois d'armes qui assistaient à la cérémonie n'étaient pas non plus oubliés.

Quand un souverain armait chevalier un écuyer, il lui faisait des dons assez considérables pour qu'il pût maintenir l'état de chevalerie ; car le chevalier était astreint à beaucoup de dépenses, sans parler de celles que nécessitait le service militaire. Il devait paraître honorablement à la cour de son souverain, ainsi que dans les tournois, et ne rien négliger pour faire honorer par sa magnificence et sa générosité le très-noble ordre de chevalerie. C'est pour cette raison, que dans les beaux temps de la chevalerie, cette dignité n'était accordée qu'aux seigneurs qui à la vaillance joignaient la possession de riches domaines, conditions qui contribuèrent à donner un grand renom aux chevaliers, dans lesquels le peuple voyait non-seulement des guerriers cités par leur courage, mais encore de riches et puissants seigneurs.

Quand les fils des rois et des seigneurs parvenaient à la chevalerie, ces derniers prélevaient sur leurs vassaux une taxe appelée aide de chevalerie.

On voit dans un arrêt de la Pentecôte de l'an 1270, que le roi saint Louis leva une taille et une aide sur les bourgeois de Paris pour la chevalerie de monseigneur Philippe, son fils aîné, et pour le voyage d'outre-mer.

La coutume de Poitiers porte expressément, que les hommes doivent à leur seigneur les droits d'aide à sa nouvelle chevalerie. On voit dans une sentence du sénéchal de Confoulant que l'aide de chevalerie pour nouvelle milice, pour voyage de la Terre-Sainte, pour mariage de fille et pour paiement de rançon, était attribuée aux seigneurs sur leurs vassaux. Cette sentence fut confirmée par arrêt du Parlement du 8 mars de l'an 1409, en faveur de Miles de Thouars, sr.  de Pouzauges, de Chabanais et de Confoulant, chevalier, demandeur contre les religieux, abbé et couvent du monastère de Scarpe, et les habitants de ce lieu [Note : La Roque, Traité de la Noblesse].

La même coutume existait en Normandie et dans d'autres provinces de France.

Au XIIIème siècle, les nobles d'ancienne race pouvaient seuls prétendre à la qualité de chevalier, et si quelqu'un s'était fait conférer la chevalerie sans être gentilhomme de parage, c'est-à-dire du côté de son père, le roi ou le seigneur de qui il relevait, avait le droit de lui faire trancher ses éperons sur le fumier.

Le comte de Flandre et le comte de Nevers, son fils, ayant fait chevaliers deux roturiers frères, le Parlement les condamna chacun, par arrêt de la Toussaint 1279, à une amende de 1.000 livres tournois envers le roi.

Ce fut sous Louis X, dit le Hutin, que commencèrent les premiers anoblissements par chevalerie. Déjà sous Philippe le Hardi, fils de saint Louis, les premières lettres d'anoblissement avaient été délivrées. De là à anoblir en conférant la chevalerie, il n'y avait qu'un pas. La royauté le fit en s'arrogeant un droit qu'elle n'avait pas, car l'institution de la chevalerie n'était pas son ouvrage, mais celui de la noblesse. Il en résulta qu'il devint souvent moins honorable d'être fait chevalier de la main du roi, que de celle d'un simple chevalier, qui ne pouvait conférer la dignité chevaleresque qu'à un noble de race. Mais en changeant ainsi de leur propre autorité les anciennes coutumes de la chevalerie, les rois avaient deux buts : récompenser les services des hommes du tiers-état, et ensuite amoindrir la puissance de la noblesse. L'histoire démontre, que si leur autorité y gagna, la chevalerie y perdit beaucoup de son lustre, par l'agrégation de personnes qui autrefois ne pouvaient y prétendre. L'abandon des cérémonies religieuses avec lesquelles on conférait la chevalerie et qui lui imprimaient comme un caractère sacré, contribua aussi à la rendre moins respectable aux yeux du peuple, habitué à considérer un chevalier à l'égal d'un ministre des autels.

On lit dans les ordonnances de Philippe le Bel : « L'écuyer quand il a bien voyagé (fait la guerre) et a été à plusieurs faits d'armes dont il est sailli à son honneur, et qu'il a bien de quoi à maintenir l'état de chevalerie, ainsi qu'un chevalier bachelier et comme vrai noble, s'il veut se faire chevalier ; pour plus honorablement le faire, il faut qu'il se trouve en aucune bataille, en grand assaut ou rencontre. Lors doit adviser le chef de la compagnie, et lors il doit venir à lui demander et requérir le très-noble ordre de chevalerie, au nom de Dieu, de Notre-Dame et de monseigneur saint Georges, le bon chevalier, il doit tirer son épée et la lui bailler. Alors le seigneur ou chevalier doit prendre l'épée de l'écuyer et lui dire : Je te fais chevalier, au nom de Dieu, de Notre-Dame et de monseigneur saint Georges, le bon chevalier, pour notre vraie foi, sainte Église et justice loyaument soutenir, et à tout pouvoir défendre et garder le droit des personnes chez lesquelles tu sauras n'exister aucun reproche, ainsi que celui des enfants et des orphelins. Et s'il advient que l'écuyer est pauvre gentilhomme, le prince doit lui donner honnêtement de quoi vivre, ou ne peut le faire chevalier, et ce, pour l'honneur du très-noble ordre de chevalerie ».

Malgré les atteintes portées à la chevalerie, le titre de chevalier était en si grand renom que tous les rois de France, depuis Philippe-Auguste jusqu'à Henri II, voulurent en être décorés.

Philippe-Auguste étant à Compiègne en 1209, donna l'ordre de chevalerie à Louis, son fils aîné, depuis Louis VIII, et à cent jeunes seigneurs.

Saint Louis conféra la chevalerie à Robert de France, son frère, le jour de la Pentecôte 1237, avec 20 livres parisis de rente chaque jour de sa vie, à prendre a die militiœ, et lui donna aussi le comté d'Artois avec la ville d'Arras. Il conféra également la chevalerie à Alphonse, son frère, et lui fit don des terres d'Auvergne et du Poitou.

Il créa également chevaliers, en 1241, Jean, comte de Dreux, Pierre de Dreux, duc de Bretagne [Note : La date qu'indique La Roque (Traité de la Noblesse) est inexacte. Pierre de Dreux prend la qualité de chevalier dans des chartes des années 1238 et 1240. (D. M. P.)]. Hugues de Lusignan, comte de la Marche, Charles, son troisième frère, et Robert d'Artois, son neveu.

En 1267, il fit chevalier Philippe, son fils, qui régna sous le nom de Philippe le Hardi.

Philippe le Bel fut créé chevalier en 1284, d'après les registres de la chambre des comptes. Ce prince confère la chevalerie, dans une cour solennelle, à ses enfants, Louis, roi de Navarre, Philippe, comte de Poitou, et Charles, comte de la Marche, qui furent successivement rois de France. Il fit aussi chevaliers Hugues, duc de Bourgogne, roi titulaire de Thessalonique, Eudes, frère de ce duc, et plusieurs autres seigneurs.

En 1332, Philippe de Valois créa chevalier, à Paris, Jean, son fils aîné, duc de Normandie, qui régna après lui.

Charles VI reçut, quelque temps après son baptême, en 1369, la chevalerie des mains de Bertrand du Guesclin, connétable de France ; car, disait-on, de même qu'un chrétien, s'il n'est pas baptisé, n'est pas chrétien, ainsi le fils d'un chevalier n'est pas chevalier, si cette dignité ne lui a pas été conférée. Cette circonstance nous fait déjà voir ce qu'était devenue la chevalerie dans les mains des rois.

Le roi Charles VI conféra plus tard la chevalerie à un grand nombre de seigneurs.

Le roi Charles VII fut fait chevalier à Saumur, en 1429, par le duc d'Alençon.

Le roi Louis XI, étant prêt à être sacré et couronné en 1461, tira son épée et la présenta à Philippe, duc de Bourgogne, en le priant de le créer chevalier. Ce duc, pour lui obéir, lui donna l'accolade et le fit chevalier. Le roi donna ensuite l'ordre de chevalerie à un grand nombre de seigneurs français et étrangers. Ce fut lui qui institua, en 1469, l'ordre de Saint-Michel.

Le roi Charles VIII, à l'époque de son sacre, l'an 1498, reçut la chevalerie des mains de Louis, duc d'Orléans, son beau-frère, qui régna après lui.

Nous ignorons par qui le roi Louis XII fut créé chevalier, mais il le fut sûrement, puisque nous voyons qu'il conféra à son beau-frère cette dignité.

Martin du Bellay, sr. de Langay, rapporte dans ses Mémoires que le roi François Ier voulut, sur le champ de bataille de Marignan en 1515, être armé chevalier par Bayard, surnommé le chevalier sans peur et sans reproche.

Le roi Henri II, étant au camp devant Avignon, voulut recevoir l'accolée de la main d'Odart de Biez, chevalier de l'ordre, maréchal de France, et lieutenant pour Sa Majesté en Picardie. C'est, nous croyons, le dernier exemple d'un roi créé chevalier suivant l'ancien usage.

A partir du commencement du XVIème siècle, on peut regarder la chevalerie comme éteinte et le titre de chevalier comme sans valeur, à moins qu'il n'indique un chevalier de l'ordre du roi. A cette époque, la chevalerie de la noblesse fut remplacée par la chevalerie officielle. Les seigneurs puissants prirent alors arbitrairement le titre de chevalier, au lieu de celui d'écuyer dont s'honoraient leurs pères.

Nous avons vu que ce fut sous Louis X qu'eurent lieu les premiers anoblissements par chevalerie. Les plus anciennes lettres qu'on en trouve, suivant La Roque, sont de l'an 1315. Dans la seconde moitié du XIVème siècle, les rois de France élevèrent à la dignité de chevalier de hauts fonctionnaires de l'ordre civil, tels que des chanceliers de France et des premiers présidents au parlement de Paris. Cette cour souveraine avait pris à cette époque une grande importance. On lui soumettait les affaires les plus considérables de l'État. Enflés d'orgueil par suite de si hautes prérogatives, les présidents du Parlement, et même quelquefois de simples conseillers, ne se contentèrent plus du titre de maître qu'ils avaient porté jusqu'alors, ils usurpèrent celui de messire qui n'appartenait qu'aux chevaliers, et aspirèrent aux honneurs de la chevalerie. Ils inventèrent, pour se désigner, le titre de chevalier-ès-lois, puis finirent par supprimer le mot ès-lois pour ne conserver que celui de chevalier. Les rois de France, voulant rendre le parlement de Paris, dont les décisions lui étaient souvent nécessaires, respectable aux yeux du peuple, donnèrent l'ordre de chevalerie à plusieurs de ses premiers présidents. Ce fut ainsi que Philippe de Valois créa chevaliers lui-même Jean de Popincourt et Philippe de Morvilliers, premiers présidents au parlement de Paris.

Arnaud de Corbie, chancelier de France, fut fait chevalier par le roi Charles V, qui lui accorda en même temps une pension de 500 livres tournois, ainsi que le prouve une quittance du 7 février 1396, rapportée par La Roque. D'autres chanceliers, tels que Pierre Doriole, Guillaume de Rochefort et Guillaume Juvenal des Ursins, reçurent également les honneurs de la chevalerie.

Qu'auraient dit les chevaliers de Philippe-Auguste et de saint Louis, qui avaient versé leur sang dans les champs de la Syrie et de l'Égypte en combattant les infidèles, s'ils avaient pu voir des hommes de robe, ceux que du Guesclin appelait les chaperons fourrés, semblables au geai paré des plumes du paon, porter les nobles insignes de la chevalerie? Mais ils eurent beau faire, on ne les considéra pas comme de vrais chevaliers, car la noblesse française n'a jamais admis l'adage romain : Cedant arma togœ : pour elle, le métier des armes a toujours été le plus noble et le premier.

Sans doute, toute peine mérite salaire, et une conduite exceptionnelle a droit à une récompense, mais elle ne doit pas être la même pour tous. Rien ne vaut le prix du sang, le sacrifice de l'homme de guerre qui, sans ostentation et sans murmure sur le simple signe de son chef, expose sa vie pour la défense de son pays. Nous trouvons donc qu'il est peu flatteur pour le brave soldat qui a répandu son sang sur les champs de bataille de l'Afrique, de la Crimée, de l'Italie et du Mexique, de recevoir la croix de la Légion d'honneur en compagnie d'épiciers, d'inventeurs de pâte pectorale et de vêtements imperméables, de maires de village qui ont servilement exécuté, au moment des élections, les ordres de Monsieur le préfet ; de bijoutiers, d'horlogers, de fabricants de meubles, et d'une multitude d'employés et d'industriels de toute espèce qui inondent les journaux de réclames, en faisant parade de leur décoration, pour attirer les chalands à leur boutique.

Si, au siècle dernier, un gentilhomme, après trente ans de services, se retirait content dans sa famille avec le grade de capitaine, 600 livres de pension et la croix de Saint-Louis, c'est que ce signe de l'honneur ne s'accordait qu'à ceux qui avaient versé leur sang pour leur patrie. « L'honneur acquis par la vertu militaire, dit la Colombière dans son Théâtre d'Honneur et de Chevalerie, a toujours été plus excellent que les autres ; il est cramoisi, teint en écarlate et ne craint point la tache, et les autres sont à simple teinture et beaucoup plus basses en couleurs. Alexandre le Grand, Scipion, César, Pompée, et presque tous les grands capitaines grecs et romains ont été fort savants en bonnes lettres, mais leur vaillance a tellement offusqué et amoindri leurs autres louables qualités, qu'elle parait seule entre toutes, ne plus ne moins que le soleil paraissant, fait disparaître toutes les étoiles du firmament et étouffe l'éclat des flambeaux allumés en plein midi ; d'où vient que les Romains, par le nom de vertu, entendaient par excellence la vaillance, nommée la première vertu politique. Et en France, le titre de noblesse (qui est la plus honnête récompense de la vertu) se donne avec plus de gloire à ceux qui l'ont mérité par les armes que par tout autre moyen, et le nom d'armes ou d'armoiries, qui sont le véritable caractère de la noblesse, vient de ce que l'on ne peut l'acquérir que par le moyen de la guerre et les armes. Le poète Homère, qui a été un des plus doctes hommes du monde, au regard d'un vaillant homme n'a été qu'un trompette, au dire de Thémistocle ; car quelqu'un lui ayant demandé lequel il aimait mieux être, Homère ou Achille, il me semble, dit-il que tu me demandes si j'aimerais mieux être celui qui remporte le prix aux jeux olympiques, ou le trompette ou le héraut qui le dénonce au public, tant la vaillance et la vertu militaire ont de splendeur et d'éclat sur les autres vertus, et il faut que tout cela se taise au bruit et à l'éclat des armes ».

Plusieurs princesses, selon La Roque, ont conféré l'ordre de chevalerie. Le premier exemple qu'il en cite est tiré d'Ordéric Vital, chroniqueur du XIème siècle, qui rapporte que Cécile, fille de Philippe roi de France, et pour lors veuve du fameux Tancrède, prince d'Antioche, donna l'ordre de chevalerie à Gervais, seigneur breton, fils d'Aymon, comte de Dol.

Le second exemple qu'il en donne est justifié par un titre de l'an 1252, qui lui fut communiqué par M. d'Hérouval. Il fait connaître que la reine Blanche, mère de saint Louis, un peu avant sa mort, qui arriva en 1251, fit le sr de Saint-Yon chevalier, et que Jean d'Amiens lui délivra des étoffes d'écarlate, de pourpre et de peaux d'hermines pour son habillement.

Les chevaliers se revêtaient d'une armure complète, ainsi que les seigneurs de haubert, mais, de plus qu'eux, ils portaient des éperons dorés, marque distinctive de leur dignité, ainsi que certaines étoffes dont l'usage leur était réservé.

L'armure complète, aux XIIème et XIIIème siècles, consistait dans un tissu de mailles qu'on appelait haubert, et dont les manches étaient assez longues pour tenir lieu de gantelets. Les bras, les jambes et les pieds étaient également protégés par un tissu de mailles. Le casque ou heaume consistait dans un simple pot de fer de forme conique ou cylindrique, quelquefois accompagné d'un nasal, et le plus souvent d'une visière percée de trous, afin de pouvoir permettre au chevalier de voir et de respirer. Par dessus le haubert, le chevalier portait une cotte d'armes descendant au-dessous du genou, et fendue des deux côtés pour lui permettre de monter à cheval. La cotte d'armes, avant d'être employée comme ornement, servit primitivement à empêcher la pluie de filtrer à travers les mailles du haubert. Le cou du cheval, son poitrail ainsi que ses flancs, étaient défendus par un tissu de mailles. La lance sans arrêt, l'épée droite et tranchante, la hache d'armes, la masse et le poignard, complétaient les armes du chevalier. Les sceaux gravés dans les planches de l'Histoire de Bretagne de D. Morice nous font voir, que les chevaliers des XIIème et XIIIème siècles portaient leur bouclier de la main gauche, et le ramenaient sur leur poitrine pour la préserver. Au XIVème siècle, ils portaient quelquefois ce bouclier suspendu à leur cou. Il fut abandonné au XVème.

La cotte de mailles du XIIIème siècle pesait environ vingt-cinq à trente livres. Elle garantissait le corps de la pénétration des armes blanches, mais ne pouvait éviter les effets de leur choc : c'était là son côté faible. On y parait en partie par les garnitures intérieures, les coussins rembourrés, les doublures matelassées. Vers la fin du XIIIème siècle, l'homme d'armes étouffait littéralement sous ses armes.

Depuis longtemps on portait sous la maille une plaque de fer. Elle augmentait la défense de la poitrine et laissait aux épaules la charge de la cotte de mailles. Le choc qu'on fait subir à une plaque est reparti sur sa superficie. Ce système défensif fut successivement appliqué aux jambes, aux bras, et mit sur la voie de l'armure complète de plaques d'acier du XVème et du XVIème siècles, dite armure à plates.

Sous Philippe de Valois, en 1340, l'armure du chevalier était ecomplétement transformée, et il ne resta du tissu de mailles qu'un haubert raccourci que l'on portait sous la cuirasse ; mais ce ne fut qu'au XVème siècle que l'armure acquit toute sa perfection et toute son élégance.

Si le cavalier était couvert de fer, le cheval l'était également. Le poitrail, les flancs et la croupe étaient défendus par une armure formée de bandes d'acier, que l'on appelait les bardes du cheval. Les bardes de la crinière étaient composées de plaques qui protégeaient le cou ; un chanfrein d'acier garantissait la tête du cheval, qui, ainsi équipé, s'appelait bardé. Rien n'était plus beau que les compagnies d'ordonnance du XVème siècle, qui semblaient être de véritables murailles de fer, et qui éblouissaient les yeux quand elles étaient frappées par les rayons du soleil.

A la fin du XVème siècle et surtout dans le XVIème, les armures des seigneurs et des capitaines d'hommes d'armes étaient devenues des objets d'art très-remarquables. Elles étaient souvent couvertes d'arabesques et de figures admirablement ciselées et damasquinées en or. Le harnais de guerre du cheval n'était pas moins riche. De semblables armures devaient coûter des sommes énormes. On en voit au musée de Turin de fort beaux spécimens provenant des anciennes manufactures de Brescia.

On n'est pas de nos jours assez reconnaissant pour la noblesse, qui non-seulement répandait son sang sur les champs de bataille, mais qui encore entamait son patrimoine pour faire honneur à son pays, par sa belle tenue militaire, sa générosité et sa magnificence.

A la fin du XVIème siècle, les armures étaient devenues si lourdes, afin d'éviter les effets des armes à feu portatives, que La Noue se plaint dans ses Mémoires que, de son temps, un gentilhomme, à trente ans, était déjà tout déformé par le poids de son harnais. Quelques-unes de ces armures, conservées au Musée d'artillerie, pèsent, en y comprenant celle du cheval, jusqu'à 80 kilogrammes. Le poids de l'armure et du casque de Henri de Guise, surnommé le Balafré, tué à Blois en 1588, est de 42 kilogrammes. Le poids seul du casque est de 10 kilogrammes.

Vers la fin du XVIème siècle, l'armure complète fut en partie abandonnée. M. le commandant Penguilly-L'Haridon, directeur du Musée d'artillerie, pense que le perfectionnement des armes à feu ne fut pas la seule cause de cet abandon. Selon lui, les guerres de religion et les duels avaient détruit une grande partie de la noblesse à la fin du XVIème siècle ; les anciennes compagnies d'ordonnance n'étant plus recrutées, comme par le passé, parmi les gentilshommes, avaient perdu de leur ancienne splendeur ; l'armure, d'un prix assez considérable, ne pouvait être portée que par un petit nombre de cavaliers ; d'ailleurs, tout le monde avait fait la guerre : ce n'était plus un privilège réservé à une classe particulière. Un grand changement s'était produit dans les choses et dans les idées ; et si, sous le règne de Louis XIII, le harnais de guerre commença à disparaître il faut en chercher la raison plutôt dans le mouvement général qui s'effectuait dans la constitution même du pays, que dans l'emploi plus répandu des armes à feu portatives.

Nous avons dit que les chevaliers avaient seuls le droit de porter des éperons dorés. C'était un déshonneur que de se les voir enlever. Le roi Henri II d'Angleterre, arrêté par ordre de son cousin Henri, duc de Lancastre, qui voulait s'emparer de ses États, ayant vu apporter dans sa prison des éperons noircis, en demanda le motif : « Très-cher seigneur, répondit le valet, c'est pour vous ». Va dire, répondit le roi, à Henri de Lancastre, que je suis loyal chevalier, et que oncques n'ai forfait à la chevalerie, et qu'il m'envoie des éperons de chevalier, ou autrement n'en chausserai point. Adone le valet lui apporta des éperons dorés.

Les chevaliers avaient le droit exclusif d'employer l'or pour enrichir leurs armes, les housses et les harnais de leurs chevaux. A eux seuls était réservé l'usage des vêtements tissus d'or, des étoffes de damas, du vair, du petit-gris et de l'hermine. Les chevaliers seuls pouvaient porter le manteau long et traînant qui enveloppait toute leur personne, quand ils n'étaient pas revêtus de leurs armes. La couleur militaire de l'écarlate, la pourpre des empereurs, fut pareillement affectée à ce noble manteau, que l'on nommait pallium, et qui était doublé d'hermine. Les rois en distribuaient souvent aux nouveaux chevaliers qu'ils avaient faits, et ce don était souvent accompagné de celui d'un palefroi, ou au moins d'un mors de cheval en or ou doré, qui répondait au gage donné dans les anciennes investitures de fiefs. Les rois accordaient aussi des pensions à ceux qu'ils créaient chevaliers.

Les écuyers ne pouvaient pas, dans les cérémonies publiques, être vêtus comme les chevaliers. René d'Anjou, roi de Sicile, recommande aux chefs des tournois, de donner à chacun des juges diseurs choisis parmi les chevaliers une longue robe de drap de velours, et de donner aux autres choisis parmi les écuyers des robes pareilles, mais de drap de damas. Quand les chevaliers étaient vêtus de drap de damas, les écuyers n'en pouvaient porter que de satin.

Lorsque le roi Charles VI arma chevaliers, à Saint-Denis, Louis, roi de Sicile, et Charles, son frère, ces deux princes, rapporte le moine de Saint-Denis, se présentèrent dans le simple costume d'écuyer, revêtus d'une longue, robe traînante d'un gris foncé. Il n'y avait point d'or sur leur vêtement ni sur les harnais de leurs chevaux. On voulut suivre exactement dans cette cérémonie les préceptes de l'ancienne chevalerie, qui étaient tombés en désuétude, et dont le peuple n'avait presque plus connaissance.

Dans un banquet donné à Lille par le duc de Bourgogne, en 1453, les chevaliers qui assistaient à cette fête étaient vêtus de drap de damas, et les écuyers de satin. Les valets ne portaient que des draps de laine.

Une ordonnance de 1430 fait défense à toutes personnes, hormis les nobles, de porter aucun drap d'argent ou de soie, les chevaliers exceptés, à qui toute espèce de draps de soie est permise ; mais n'accorde aux écuyers que des draps de damas, satin rai et figuré, et leur interdit le velours tant cramoisi que figuré.

Les chevaliers avaient droit aux titres de monseigneur, messire ou monsieur, et leurs femmes au titre de dame. Dans les chartes latines du XIIIème siècle, le nom des chevaliers est précédé du titre de dominus, quand la qualité de miles ne leur est pas attribuée. Dans les chartes françaises, le titre de monsour remplace celui de dominus, qui est synonyme. Dans un acte de 1271, Olivier de Tinténiac est qualifié dominus Oliverius de Tinteniaco, et dans un autre acte de l'an 1300, monsour Olivier de Tinténiac, chevalier. Alain le Roux est appelé dominus Alanus Rufas dans un acte de 1268, et Alain lé Roux, chevalier, dans un autre acte de 1271.

Dans les montres d'hommes d'armes des XIVème et XVème siècles, le nom des chevaliers est toujours précédé du titre de messire ou de monsieur. En voici un exemple : « La monstre de messire Olivier de Mauny, sr de Lesnen, chevalier banneret, trois autres chevaliers bacheliers, et trente-six écuyers de sa compagnie, reçeue à Caen, sous le gouvernement de monsieur le connestable de France, le 1er jour d'aoust l'an 1371. Ledit messire Olivier de Mauny, messire Raoul Tesson, messire Eustache de Mauny, messire Geoffroi Giffart. Escuiers, J. de Sifrevaast, etc ..  La monstre de messire Jehan, sire de Beaumanoir, chevalier, 1 chevalier, 17 écuyers et 30 archers à cheval de sa compagnie, reçeue à Dinan le 17 janvier 1356. Ledit monsieur de Beaumanoir, monsieur Guy de Rohan, Guillaume Mauffer, Guillaume de Bodrimont, etc. » (D. Morice, Pr., T. I).

Le titre de messire est donné quelquefois indifféremment avec celui de maître, dans les actes publics du XVème siècle, à des personnages revêtus de fonctions considérables, telles que celles de chancelier, de vice-chancelier, et même à de simples conseillers des ducs. Ce titre n'indique donc un chevalier, qu'autant que celui qui le porte, ne soit pourvu d'aucune charge civile ou ecclésiastique. Dans ces charges, nous ne comprenons pas celles de chambellans des ducs, qui n'étaient accordées qu'à des gentilshommes faisant profession des armes. Dans les comptes des trésoriers de Bretagne, ainsi que dans les actes publics, le nom de ces chambellans, qui étaient chevaliers, est toujours précédé de la qualification de messire.

Les chevaliers occupaient la place la plus honorable à la table des rois. Le continuateur de Nangis rapporte que, dans un banquet donné en 1378 par Charles V, roi de France, l'assiette fut celle-ci : l'évêque de Paris, le premier, le roi, le roi des Romains, le duc de Berry, le duc de Brabant, le duc de Bourgogne, le duc de Bar, et parce que les deux autres ducs n'étaient pas chevaliers, ils mangèrent à une autre table.

Les chevaliers, disent certains auteurs, avaient droit de haute justice dans leurs terres. Nous avouons ne pas comprendre à quel titre, à moins qu'ils ne fussent hauts justiciers, car le souverain seul avait le droit de changer la nature des fiefs, en anoblissant une terre, ou en l'érigeant en châtellenie, bannière, baronnie ou comté, et encore fallait-il que le fief ainsi érigé en dignité, eût l'étendue déterminée par les anciens usages. Suivant Pasquier, pour former un royaume il faut quatre duchés, pour un duché quatre comtés, pour un comté quatre vicomtés et quatre fiefs de haubert, pour une vicomté quatre baronnies, pour une baronnie quatre châtellenies et quatre fiefs de haubert ; pour une terre à bannière quatre bacheleries, et pour faire un écuyer chevalier il faut qu'il paraisse bien noble et qu'il ait de grands fiefs.

Comme les chevaliers étaient, en général, possesseurs de fiefs de haute justice, on a sans doute pensé que ce droit était inhérent à leur dignité.

Suivant La Roque, les chevaliers seuls avaient le privilège d'avoir un sceau. Il s'agit ici sans doute de sceaux équestres, dans lesquels, dit D. Morice, les chevaliers avaient le droit de se faire représenter à cheval, car les monuments de notre histoire nous font voir que les chevaliers et les écuyers apposaient également aux chartes qu'ils souscrivaient, leurs sceaux, qui n'étaient que la représentation des armes communes à chaque famille. Quelques riches bourgeois avaient même en Bretagne des sceaux au XIIIème siècle, ainsi que nous le voyons dans une charte du mois de mai 1283, rapportée dans les Preuves de l'Histoire de Bretagne de D. Morice, charte scellée des sceaux de plusieurs chevaliers, écuyers et bourgeois. Ce droit de sceau attribué aux seuls chevaliers, n'existait plus, dans tous les cas, dans la seconde moitié du XIIIème siècle, ainsi qu'on peut s'en convaincre en examinant les sceaux gravés dans les planches de l'histoire de D. Morice.

Au sujet du droit de sceau, La Roque cite une lettre de Hugues, duc de Bourgogne, du mois de février 1228, par laquelle il promet aux habitants de Dijon de confirmer les privilèges que le duc Hugues, son aïeul, et le duc Hugues, son père, leur avaient accordés, sitôt qu'il serait chevalier et qu'il aurait le droit de sceller ces chartes.

Nous voyons aussi dans les Preuves de D. Morice qu'Harsculphe de Soligné et Iseult de Dol, son épouse, confirmèrent en 1183 plusieurs donations faites par eux à l'abbaye de la Vieuville. Dans cette charte, Harsculphe de Soligné ajoute : El quia adhuc miles non eram et sigillum proprium non habebam, quando hanc concessionem fecimus, autoritate sigilii Domini Johannis, patris mei, cartulam istam sigillarimus.

Les sceaux équestres étaient de grande dimension et ne furent, en général, employés que par les hauts barons. Le plus ancien représenté dans les planches de l'histoire de D. Morice, est celui de Geoffroi de Dinan, en 1120. Les seigneurs d'Avaugour, de Dol, de Rohan, de Châteaubriant, de Malestroit, de Fougères, de Vitré, d'Ancenis, de Montfort, de Rochefort, de Léon, de Raiz, de Quintin et de La Guerche, usaient, comme ceux de Dinan, de sceaux équestres. Parmi les seigneurs inférieurs à ces barons qui en usèrent aussi, nous trouvons Guillaume, sénéchal de Rennes en 1220, Geoffroi le Voyer de Minibriac en 1224, Thomas Madeuc et Bernard du Chastel en 1274, et Pierre de Rostrenen en 1325.

Le titre de chevalier était en si grand honneur, que les princes, quand ils ratifiaient un traité, engageaient leur foi de chevalier de l'observer avec fidélité. Dans une procuration donnée en 1380 par Jean IV, duc de Bretagne, au comte de Flandre pour traiter en son nom avec le roi de France, il promet de ratifier les conventions dudit traité par la foi et serment de son corps, et la foi qu'il doit à l'ordre de chevalerie. Dans deux autres traités, en 1380 et en 1381, ce prince fait de semblables serments. Il serait facile de multiplier ces exemples.

 

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DÉGRADATION DES CHEVALIERS.

Si le titre de chevalier était la récompense du courage et de la vertu, celui qui s'en rendait indigne pouvait être dégradé. Voici comment, d'après le roman de Tyran le Blanc, avait lieu cette dégradation :

« Alors parurent douze chevaliers vêtus de longues robes de deuil avec leurs chaperons. L'empereur s'habille de même façon, et l'on fait monter sur l'échafaud deux des prisonniers qui étaient chrétiens. Là, on leur lut leur sentence, par laquelle ils étaient déclarés impies et maudits, pour s'être mis à la solde des infidèles et avoir porté les armes contre la chrétienté, et comme tels, condamnés à être dégradés de l'ordre de chevalerie et de toute noblesse.

Ensuite on procéda à l'exécution, qui se fit avec toutes les cérémonies qui sont en usage dans cette circonstance.

Voici ce qui se pratique alors :

On revêt le chevalier qui doit être dégradé de toutes ses armes, comme s'il allait à une bataille ou à une fête. On le fait monter ensuite sur une grande estrade, élevée de façon que tout le monde peut le voir. Sur cet échafaud, treize prêtres récitent l'office des morts, et à chaque psaume ils enlèvent au chevalier une pièce de son armure, en commençant par l'armet, parce qu'il garantit la partie qui a le plus péché contre l'ordre de chevalerie. On lui ôte ensuite, le gantelet de la main droite, parce que c'est celle qui attaque ; puis ensuite celui de la main gauche, parce que c'est celle qui défend. Ensuite on le désarme indifféremment de toutes les autres, en les jetant à terre. Les rois d'armes, les hérauts, doivent nommer chaque pièce par son nom, en criant à haute voix : « Ceci est l'armet, ceci est le gantelet de ce faux et déloyal chevalier », et on agit ainsi pour les autres pièces de l'armure. Après que son heaume lui a été en­levé, on apporte de l'eau chaude dans un bassin d'or ou d'argent, et les hérauts demandent à haute voix com­ment se nomme le chevalier. Les poursuivants d'armes prononcent son nom, mais les rois d'armes s'écrient qu'il ne s'appelle pas ainsi, et que c'est un lâche chevalier qui a déshonoré l'ordre. « Donnons-lui donc un nom », disent les chapelains. Alors le roi ou l'empereur, prenant la parole : « Que ce faux chevalier, dit-il, soit chassé de mes États, puisqu'il a voulu déshonorer la chevalerie ».

Aussitôt les rois d'armes lui jettent au visage de l'eau chaude qu'ils tiennent dans un bassin, en disant : « Tu ne porteras désormais d'autre nom que celui de traître ». Cependant le prince et les chevaliers témoignent une grande douleur, pendant que les hérauts continuent à lui jeter de l'eau chaude sur la tête, à chaque partie du harnais qu'on lui ôte. Lorsqu'ils ont fini de le désarmer, ils le font descendre de l'échafaud, non par l'escalier par lequel il est monté lorsqu'il était chevalier, mais en l'attachant sous les bras pour le laisser couler à terre. On le conduit ensuite à l'église en l'accablant d'injures. Là, on l'oblige à se prosterner devant l'autel, pendant qu'on récite sur lui les psaumes de malédiction ; après quoi, le prince et les douze chevaliers, qui représentent J.-C. et les apôtres, lui prononcent sa sentence de mort ou de condamnation à une prison perpétuelle, et récitent encore sur lui les psaumes de malédiction ».

Toutes les infractions aux règles de la chevalerie ne comportaient pas une punition semblable à celle de la dégradation, néanmoins ces infractions ne demeuraient point impunies.

Lorsqu'on voulait faire honte à quelque chevalier lâche et couard, qui, dans une bataille ou un tournoi, avait fui les coups et s'était tenu à l'écart, tandis que les autres s'avançaient au plus fort de la mêlée, on le mettait sur une vieille charrette traînée par un cheval maigre et hideux, et de la sorte on le promenait avec force risée et moquerie devant tout le monde. Cet usage était pratiqué très-anciennement, ainsi que l'apprend le roman de Méliadus, le Léonais.

Si quelque  chevalier se hasardait témérairement et était cause qu'il fût arrivé déshonneur à son parti, on marquait le bas de son écu d'une pile.

A celui qui était convaincu d'adultère, d'ivrognerie ou de faux témoignage, on peignait deux goussets de sable sur les deux flancs de son écu.

Au lâche, poltron et couard, on barbouillait son écu sur le flanc sénestre, en façon de gare, qui était un gousset échancré et arrondi en dedans.

A celui qui manquait de parole, on peignait une tablette, ou carré de gueules, sur le coeur de l'écu. A un infâme, à un paillard qui avait déshonoré par force une fille, on peignait son écu à la renverse sur un drap noir, parce qu'il méritait une mort honteuse.

S'il était convaincu de trahison, on diminuait les pièces de ses armes le premier jour, et le lendemain on brisait l'écu par plusieurs pièces avec un marteau. C'est ainsi que le roi Édouard d'Angleterre châtia la trahison d'un châte­lain, qui avait vendu une place maritime dont il avait le commandement.

Dans l'acte de condamnation de l'amiral de Coligny, en 1572, il est ordonné que ses armoiries seraient attachées à la queue des chevaux et traînées dans les villes.

La dégradation militaire, telle qu'elle est pratiquée encore aujourd'hui, est une imitation restreinte de l'ancienne dégradation des chevaliers (A. de Couffon de Kerdellech).

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