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LA POPULATION DES PRISONS EN BRETAGNE AU XVIIIème siècle

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Examinons maintenant les diverses espèces d'individus qui forment la population des prisons. Cette population se compose de cinq éléments : les prisonniers pour dettes, les prisonniers de police, les prisonniers militaires, les contrebandiers, les criminels.

Nous avons vu que les prisonniers pour dettes sont entretenus aux frais de leurs créanciers. Ce sont généralement des débiteurs de mauvaise foi, qui profitent de la longueur des procédures pour se soustraire à la nécessité de tenir leurs engagements. Les créanciers les font emprisonner, pour les forcer de composer avec eux et de leur abandonner une partie des ressources qu'ils ont dissimulées (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 142). Souvent aussi le seul but des créanciers est de se venger. En 1769, on compte deux cent quarante prisonniers pour dettes dans les prisons royales. Il est probable qu'il y en avait au moins autant dans les diverses prisons seigneuriales. Il y a donc au moins cinq cents prisonniers pour dettes détenus chaque année dans les diverses prisons de la province.

Ces prisonniers sont moins malheureux que les autres, puisqu'ils peuvent obtenir certains avantages, comme un lit, une chambre séparée. Ils ont même le droit, quand le geôlier n'a pas de lit à leur louer, d'en faire apporter un dans la chambre commune (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 132). Cependant, s'ils n'ont d'autres ressources que la maigre subvention exigée de leurs créanciers, ils sont, aussi bien que les autres prisonniers, exposés à souffrir de la faim. Il faudrait, écrit en 1782 le sénéchal de Ploërmel, porter à 5 sous par jour le prêt de chaque prisonnier pour dettes. « On trouveroit dans cette augmentation un frein à l'avarice, qui l'empêcheroit d'attenter pour peu de chose à la liberté des hommes. Il vient d'en mourir trois en prison pour dettes civiles dont les totaux ne passent pas 100 fr. » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 134).

Les prisonniers de police sont de deux sortes. Les uns sont des individus plus ou moins grossiers, condamnés pour rixes, tapage nocturne, querelles de cabaret. Les autres sont des mendiants, des vagabonds. Les uns et les autres sont fort nombreux. En général, au XVIIIème siècle, le menu peuple est violent, brutal, adonné à l'ivrognerie. Les paysans bas-bretons ont la réputation d'être particulièrement turbulents et querelleurs (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 136). Ceux de la Bretagne française ont moins mauvaise réputation et ne valent pas mieux. Les foires, les pardons ne se terminent jamais sans querelles violentes (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 140). Toute la population aime les distractions bruyantes, les fêtes qui se renouvellent à toute occasion. Jamais on ne manque de célébrer le carnaval, encore moins le retour du mois de mai. Cette dernière fête arrive le 30 avril, « jour où les polissons s'assemblent et vont courir les rues, les uns en traînant après eux des pelles et des pinces de fer, d'autres en traînant des chaînes, ce qu'ils appellent vulgairement aller au sabbat » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 147). Chaque ville, comme chaque village, a sa fête patronale, qui met en liesse toutes les classes de la société (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 147). Alors les cabarets se remplissent, les ivrognes pullulent. Indépendamment des fêtes publiques, il est des fêtes de famille où les libations ne sont pas moins copieuses. Quand un paysan tue son cochon gras, il ne manque pas d'offrir un repas, où il invite ses parents et ses amis (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 144). Mais rien n'égale l’importance et la longueur des festins de noce. Il est rare que la plupart des convives, hommes, femmes et enfants, n'en sortent pas complètement ivres (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 145). L'ivresse amène des querelles et des arrestations. Les mêmes scènes sont encore plus fréquentes dans les villes, où la population est plus agglomérée, les cabarets plus nombreux. Quand la police est bien faite, les prisons regorgent d'hôtes de passage, qui viennent, pendant quelques heures, expier les excès auxquels les a conduits l’ivrognerie. Ils ne sont pas inscrits sur les registres d'écrou. Ils ont seulement à payer 24 sous à titre de droit d'entrée et de sortie. Mais souvent ils sont trop pauvres pour payer la totalité de cette somme, et le geôlier est forcé de leur accorder une réduction (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 134).

Mendiant en Bretagne

Le nombre des mendiants et des vagabonds égale, s'il ne dépasse celui des ivrognes. Les mendiants pullulent dans la province. « Il seroit difficile, écrit en 1768 le subdélégué de Nantes, Gellée de Prémion, d’assigner toutes les causes qui produisent cette maladie. Les principales sont la fainéantise, la débauche, la contrebande malheureuse que l'accroissement des droits sur plusieurs objets multiplie tous les jours, et peut-être plus que tout cela le manque de nourriture occasionné par les excès des tailles et autres impositions dans plusieurs généralités, les familles ruinées étant obligées d'envoyer leurs enfants mendier, et celles qui ne le sont pas les accoutumant à cet infâme métier pour se donner une apparence de pauvreté qui leur procure quelque modération sur leurs impositions » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 72). A Dinan, en 1773, le commerce est anéanti ; « la plupart des ouvriers et artisans sont sans ouvrage, les autres ne retirent pas de leur travail de quoi vivre et faire vivre leur famille, attendu la disette et cherté excessive des grains, ce qui fait que plus d'un quart des habitants sont ou mendiants ou pauvres honteux » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 119). En 1787, l'intendant Bertrand de Molleville déclare « qu'on peut évaluer le nombre des mendiants de Bretagne au quart des habitants. On en compte dix mille à Rennes qui reçoivent la charité dans les rues ou dans les maisons » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 124).

La mendicité a pour conséquence inévitable le vagabondage. A chaque instant la maréchaussée ou les juges de police arrêtent des artisans nomades, qui circulent sous prétexte de chercher du travail et qui mendient en attendant. La nuit ils couchent dans les fermes ou dans les bois (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 135). Sur la lisière des forêts habitent des colonies de sabotiers, de bûcherons, sans demeure fixe et vivant de maraude (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 156). En 1737, la ville de Nantes est envahie par une bande de vagabonds qui mendient le jour, et, la nuit, dévalisent les maisons mal gardées (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 2460). En 1754, une véritable émigration de gens sans aveu s'établit à Dol et y commet toute espèce de désordres (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 56). En 1774, après avoir opéré de grands travaux dans l'arsenal de Lorient, on congédie les ouvriers. Deux mille d'entre eux « se répandent par bandes de vingtaines dans les campagnes, où ils demandent l'aumône, et lorsque les cavaliers de maréchaussée menacent de les emprisonner, ils disent qu'ils ne craignent point cette punition, parce qu’au moins ils y seront nourris » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 2401).

Il faut remarquer, d'ailleurs, que le vagabondage et la mendicité ne sont point des fléaux particuliers à la Bretagne : ils sont communs à toutes les provinces du royaume. « Je reçois tous les jours, écrit en 1763 le contrôleur général des finances, de nouvelles plaintes des désordres que les vagabonds et mendiants commettent dans les différentes provinces, où, sous prétexte de demander un asile aux habitants des campagnes, ils exigent d'eux des contributions en toutes sortes de denrées, qu'il est dangereux de leur refuser, parce qu'ils portent leurs excès jusqu'à incendier les fermes des habitants qui ont refusé la subsistance » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 72). Les aumônes qu’ils reçoivent ne les empêchent pas de se livrer à la maraude. Quand ils vont mendier dans les fermes, ils sont humbles s'ils aperçoivent le maître de la maison ou quelqu’un de ses valets, insolents et menaçants quand ils ne trouvent que des femmes ou des enfants pour leur répondre. Les paysans ont des armes dans les maisons éloignées des centres d'habitation. Ils veillent armés autour de leur blé à l'époque de la moisson ; ils ont soin de garder le chanvre qu'ils font rouir, sans quoi ils seraient pillés par les maraudeurs (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 156).

Les vagabonds qui circulent ainsi dans les villes et surtout dans les campagnes, ne sont pas tous Bretons ni même Français. Parmi eux se trouvent des étrangers de toute race, de toute profession : prêtres défroqués, moines de contrebande, marchands forains, charlatans qui, entre autres denrées, débitent des billes des loteries émises à Amsterdam (Archives d'lle-et-Vilaine, C. 2494). Les mendiants et vagabonds, quand ils sont arrêtés par la police, ne font que paraître dans les prisons. Après un interrogatoire sommaire, ils sont transférés dans les dépôts de mendicité (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 93).

Mendiant en Bretagne

Mendiant en Bretagne

Les prisonniers militaires sont de deux sortes : les filles de joie, qui souvent accompagnent les troupes, et les soldats indisciplinés ou déserteurs. La débauche et la prostitution sont deux fléaux très-répandus au XVIIIème siècle. Elles ont pour cause la misère, qui démoralise les classes inférieures de la société. Malgré la surveillance exercée sur les filles-mères, malgré « la permission illimitée accordée aux prévôts des hôpitaux de descendre chez les matrones et chirurgiens, même chez les filles soupçonnées de grossesse, » le nombre annuel des infanticides est quelque chose d'effrayant. En 1713, en nettoyant un égout de Rennes, on y trouve quatre-vingts cadavres d'enfants nouveau-nés. En 1733, deux enfants sont tués et un troisième exposé en un mois (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 154). Indépendamment des malheureuses qui vivent de prostitution dans les villes, il n'est pas rare d'en voir d'autres abandonner leur famille, pour courir à la suite des troupes de comédiens ou des régiments. En 1745, dix d'entre elles sont arrêtées à la suite du bataillon de milice de Fontenay-le-Comte, en garnison à Brest. La plus jeune a dix-huit ans, la plus âgée vingt-cinq. Parmi elles sont deux soeurs qui ont abandonné leurs maris ; les autres sont des filles de paysans (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 154). Dans les places fortes, les gouverneurs et les officiers supérieurs, dans l'intérêt de la santé de leurs soldats, ont soin de surveiller toutes ces beautés vagabondes. Ils cherchent à les effrayer en les faisant battre de verges, en les exposant nues sur un cheval de bois dans la cour des casernes, en les retenant plusieurs mois en prison. Une ordonnance royale en date du 1er mai 1765, interdit à leur égard les punitions corporelles. En vertu de cette ordonnance, toute femme débauchée surprise dans un corps-de-garde, dans une caserne ou dans la chambre d'un soldat logé chez, l'habitant, doit être immédiatement arrêtée par les soins de l'officier de service, qui avertit aussitôt le commandant de la place. Si la femme arrêtée est domiciliée dans la ville, le commandant la livre au juge de police. Si c'est une femme étrangère à la localité et sans aveu, « le commandant de la place la fera mettre au cachot pendant trois mois, au pain et à l'eau, aux dépens de Sa Majesté, pour être ensuite enfermée le reste de ses jours dans la maison de force la plus voisine » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 75).

Tel est le sort des filles de joie. Quant aux soldats, recrutés dans la lie de la société, ils sont naturellement grossiers, querelleurs et turbulents. Il faut une discipline de fer pour les maintenir dans le devoir. Si la discipline se relâche, ils se livrent à tous les excès. A Ancenis, en 1749, les dragons du régiment de la Reine imaginent d'empêcher la perception de l'octroi, pour avoir le vin à meilleur marché (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 47). En 1753, les troupes casernées à Oudon et à Ancenis pratiquent ouvertement la contrebande du tabac, du sel et de toutes les marchandises, avec la connivence de leurs officiers, qui profitent de la fraude et partagent leurs bénéfices (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 56). En 1758, les soldats du Royal-Vaisseaux font le métier de faux saulniers entre Mayenne et Fougères (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 63). En 1760, les soldats du régiment irlandais de Berkeley, avant de quitter Bain pour se rendre à Rennes, envahissent les maisons, pillent les coffres et les armoires, vident les barriques de cidre et s'enivrent en masse aux dépens des habitants (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 67). A Dinan, en 1753, est caserné un régiment de dragons presque tous jeunes et débauchés. La nuit, leur passe-temps est d'aller faire du tapage dans les faubourgs. Ils arrêtent une jeune fille qui sort avec une lanterne pour aller au-devant de son père ; elle est saisie, bâillonnée, portée sur les remparts, où les bandits, après l'avoir outragée, la laissent meurtrie et à demi-morte sur un tas de fumier (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 53). A Lamballe, en 1772, deux soldats en congé passent leurs nuits à courir les rues, à frapper aux portes, à décrocher les enseignes. Quand l'exempt de la maréchaussée essaie de les calmer, ils lui répondent qu'ils se f..... de lui. « Les soldats en semestre sont ordinairement dérangés. Au moyen de leurs sabres et épées dont ils sont toujours munis, ils menacent et intimident le peuple et font du tapage impunément » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 83). Les miliciens sont aussi turbulents que les soldats de l'armée régulière. Eux aussi bravent les magistrats et se livrent aux plus violents excès, tantôt en corps (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 29), tantôt isolés, « prétendant apparemment que leur état de miliciens leur doit donner plus de licence qu'aux autres et les mettre à couvert de toute recherche » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 33).

Les plus redoutables de ces agents de désordre sont les déserteurs. En temps de guerre, ils remplissent les prisons. Ils n'y restent jamais longtemps, parce qu'on se hâte de les renvoyer à leur corps. Mais n'auraient-ils qu'une nuit à passer, ils exigent de la paille fraîche et harcèlent le geôlier à force d'exigence (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 125). Quand ils parviennent à s'échapper, ils errent dans les campagnes. Quelquefois ils se réunissent en bandes qui se livrent au brigandage. Grâce à leur habitude des armes, ils forment de dangereux malfaiteurs (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 2470). C'est surtout au moment de changer de garnison que les militaires bravent avec le plus d'audace les magistrats civils. Ont-ils commis quelque crime sur les terres d'un seigneur, la justice est presque entièrement désarmée à leur égard. Les officiers de la seigneurie ne manquent jamais de poursuivre l'affaire. Le coupable est inévitablement condamné à mort par contumace. Mais là s'arrête la procédure, parce que, pour obtenir l'extradition du coupable, pour le faire ramener devant ses juges et purger sa contumace, il faudrait des dépenses exorbitantes devant lesquelles reculent les seigneurs. Il en coûte plus de 400 livres en 1754 au marquis du Gage pour faire amener de Strasbourg à sa seigneurie de Rimaison, près de Pontivy, un soldat coupable de meurtre (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 141). Aussi la plupart des seigneurs se contentent d'une platonique condamnation  par contumace, dont ils se gardent bien de poursuivre l'exécution.

Les contrebandiers fournissent une bonne partie de la population des prisons. En 1769, la seule prison de Vitré comprend quatre-vingt-trois faux saulniers (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 116). En 1787, celle de Lorient contient une centaine de détenus, coupables de fraude sur le tabac (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 125). Les contrebandiers se trouvent toujours en grand nombre dans les prisons de Nantes, Saint-Brieuc et Saint-Malo. La contrebande s'exerce sur toutes les marchandises, mais particulièrement sur le vin, le sel et le tabac. Elle règne sur les côtes et sur les frontières de la province (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 156). Nous n'exposerons pas ici les ruses qu'emploient les contrebandiers, les luttes à main armée qu'ils soutiennent contre les commis des différentes fermes. La contrebande est favorisée par la haine qu'ont de tout temps inspirée les agents de la gabelle et l'hostilité générale des populations contre les fermiers généraux. L'énormité des peines prononcées par une législation draconienne n'empêche nullement les tentatives de fraude. En 1783, une ordonnance royale fit de Lorient une ville franche pour le commerce du tabac. Elle devint aussitôt un foyer de contrebande. Une foule de malheureux se laissaient chaque jour surprendre en essayant de porter du tabac hors de la ligne de franchise (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 124).

Les contrebandiers emprisonnés sont à la charge des fermiers généraux qui les ont fait arrêter. En général, ceux-ci les laissent le plus longtemps possible en prison avant de les traduire devant les juges des traites. Ils se contentent de payer régulièrement leur solde journalière, sans leur accorder aucun secours pour subvenir à leurs besoins. En 1787, dans la prison de Lorient, on trouve plusieurs contrebandiers détenus depuis vingt mois, « sans habits, sans lit, vivant dans la pourriture, rongés par la vermine et éprouvant sans relâche toutes les horreurs de la misère et de la maladie » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 124). C'est à dessein d'ailleurs que les fermiers généraux se montrent sans pitié pour leurs prisonniers. Ils espèrent ainsi les décourager et ne réussissent qu'à attirer sur eux la pitié.

En 1769, le nombre des criminels détenus dans les prisons royales de Bretagne s'élève à trois cent quatre-vingt-douze. A dater de l'ordonnance de 1772, ceux qui auparavant étaient enfermés dans les prisons seigneuriales viennent à leur tour s'entasser dans les prisons du roi. Le nombre moyen des criminels détenus chaque année dans les prisons pendant la seconde moitié du XVIIIème siècle, est d'environ huit cents. Nous n'avons pu trouver à cet égard aucun document précis, mais notre conjecture repose sur les comptes-rendus des opérations de la justice criminelle envoyés chaque année au garde des sceaux par l'intendant. Dans ces comptes-rendus, le nombre des crimes ou délits susceptibles de la peine de mort ou d'autres peines afflictives, varie de huit cents à huit cent cinquante par an. Ce chiffre ne représente qu'imparfaitement celui des prisonniers, parce que dans le nombre des crimes enregistrés figurent les suicides. La liste des intendants présente en outre beaucoup de contumaces que la justice ne peut atteindre. Elle donne cependant une idée approximative du nombre probable des prisonniers criminels (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 137).

Le noyau principal de ce groupe de prisonniers est formé par les malfaiteurs, qui pullulent presque, autant que les vagabonds. Par moments ils se réunissent et forment de véritables bandes qui font trembler les campagnes. En 1747, deux bandes se montrent à la fois, l'une aux environs de Ploërmel, dans la paroisse de Guer (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 43), l'autre dans le pays de Léon, autour de Ploumoguer (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 136). En 1748, une troupe de quarante voleurs s'organise autour de Lorient et rançonne plusieurs paroisses, dans un rayon de dix lieues à la ronde (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 136). En 1751 paraît dans la paroisse de Plumelin, au bois de Guénoné, une troupe de voleurs et de déserteurs qui circulent tout armés, « mettent de jour et de nuit tous les villages du canton à contribution, prenant les bons meubles où ils ne trouvent pas d'argent, et menaçant du feu si on les refuse » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 136). En 1763, deux criminels, échappés de la prison de Quimperlé, groupent autour d'eux un déserteur, deux galériens, une douzaine d'autres bandits, et font trembler toute la région comprise entre Quimper et Quimperlé. Ils attaquent les passants sur les routes et les poursuivent jusque dans les villages. « Les laboureurs craignent et n'osent dire qu'ils les ont vus, logés et nourris » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 2476). En 1764, quatorze malfaiteurs désolent les paroisses de Pontrieux, Plouer, Ploëzal et Pommerit-le-Vicomte. « Il n'est pas de jour dans la semaine qui ne soit marqué par quelques-uns de leurs vols de nuit dans les campagnes, en bestiaux, chevaux et autres denrées » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 43). En 1769, les environs de Quimperlé sont de nouveau infestés de bandits. Quatre laboureurs qui font route ensemble, en revenant d'une foire, sont assassinés à un quart de lieue de la ville (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 2486). Autour de Piré sévissent d'autres malfaiteurs, dont les vols continuels désolent les paysans (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 2487). En général, c'est surtout dans les environs de Lorient qu'aiment à se grouper les malfaiteurs. Dès qu'ils ont commis un crime, ils s'engagent au service de la Compagnie des Indes, s'embarquent et restent impunis (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 141).

La plupart de ces bandits sont incorrigibles. A peine sortis des mains de la justice, ils commettent de nouveaux méfaits. En 1775, sept malfaiteurs échappés de la prison de Hennebont, à peine rendus à la liberté, « percent le mur d'une boutique et volent pour 6.000 livres de marchandises » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 122). Marie Collen, dite l'Escalier, condamnée en 1749, pour vol dans une foire, à être fouettée à trois jours de marché et bannie pour toujours de la province, reparaît sur le théâtre de ses exploits, commet de nouveaux larcins, jusqu'à ce qu'une sentence prévôtale la condamne à la prison perpétuelle (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 142). Il est des malfaiteurs chez qui le vol et le brigandage sont héréditaires, des familles qui ne vivent que de rapine. Les enfants « sentent leur sang » et suivent l'exemple de leurs parents (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 26).

Aux malfaiteurs de profession il faut ajouter les auteurs d'attentats commis dans les foires, les pardons, ou même les dimanches et jours de fête, à la suite des querelles de cabaret. Rien n'égale la violence et la brutalité des ivrognes des basses classes de la société. Un mot insignifiant, une plaisanterie inoffensive suffit pour les exaspérer. Ils sont toujours armés d'un bâton ou d'un redoutable morceau de bois appelé atel. A défaut d'atel ou de bâton, un aiguillon, un manche de fouet leur servent à appliquer sur la tête de leur adversaire un coup souvent meurtrier. Que deux ivrognes se battent, leurs compagnons les soutiennent et prennent part à la lutte ; une mêlée générale s'engage, qui se termine rarement sans la mort de quelque malheureux (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 140). Quand le cidre abonde, dit un subdélégué, les meurtres se multiplient (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 141). La plupart des coupables se hâtent de fuir quand les fumées de l'ivresse se sont dissipées. Ceux qui n'ont pas le temps de s'échapper passent quelquefois plusieurs années en prison. Les uns et les autres finissent toujours par obtenir des lettres de grâce, parce qu'il leur est facile de prouver qu'ils ont agi sans préméditation (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 140-146).

Les deux classes de criminels que nous venons d'indiquer ne méritent aucune sympathie. Il n'en est pas de même des innocents qu'on arrête quelquefois sur des soupçons mal fondés. Le plus souvent ce sont des paysans, des ouvriers, qu'on croit complices d'un assassinat et qu'on emprisonne avant d'avoir bien examiné les circonstances de l'affaire (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 139). Quelquefois aussi ce sont des personnages plus considérables, voire même des gentilshommes, qui sont un instant victimes des erreurs de la police. En 1759, le chevalier de la Mire imagine de quitter Paris et d'aller passer quelques semaines à Rennes auprès d'une personne dont il est amoureux. Pour réaliser son projet, il loue un cheval et un cabriolet, sans dire aux loueurs combien de temps il gardera la bête et la voiture. Le sellier, cependant, en lui fournissant la voiture, lui demande où il va. Le chevalier répond qu'il va à Metz. Le soir même il part pour la Bretagne. Le lendemain, il pense que le loueur de chevaux doit être inquiet de ne pas le voir revenir. Il lui écrit, pour le rassurer, qu'une circonstance imprévue le force de garder son cheval plus longtemps qu'il ne pensait ; qu'il ne le lui rendra que dans six semaines. Le loueur se croit joué, porte plainte au ministre de la Maison du roi. La police se met à la recherche du chevalier, qui est arrêté à Rennes et jeté en prison comme un vulgaire malfaiteur. Il se hâte d'avertir ses amis, d'écrire à l'intendant, pour lui raconter son aventure et le conjurer de l'arracher au plus vite à l'enfer où il se trouve placé (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 141).

Le chevalier de la Mire est aussitôt relâché ; mais combien d'autres languissent dans ce hideux séjour ! Les criminels, en effet, ont à subir un régime encore plus dur que les prisonniers ordinaires, parce qu'ils sont « enferrés ». Ils ont des entraves aux pieds et aux jambes ; quelques-uns mêmes sont enchaînés. Pour les accusés innocents ou faiblement coupables, la prison est un supplice affreux. Ce qui rend la peine encore plus cruelle, c'est la lenteur des procédures et l'insouciance des magistrats. Les juges ne se hâtent jamais de terminer les procès criminels, qui ne leur rapportent rien. Ils réservent tous leurs soins pour les affaires civiles, où ils ont à attendre des épices et des frais de vacation (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 82). Aussi les affaires criminelles sont quelquefois interminables. Dans les prisons de Nantes, en 1740, est un accusé octogénaire qui depuis sept ans n'a pu obtenir la conclusion des poursuites commencées contre lui (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 30). A Fougères, en 1772, se trouve une bande de malfaiteurs emprisonnés depuis neuf ans. Le subdélégué s'étonne que leur procès ne soit pas encore jugé. Les magistrats lui répondent « que c'est une affaire immense, pour laquelle ils ont entendu trois cents témoins ; que les coupables ont fait en différente temps des bris de prison, commis des vols, ont été suivis et repris, et que ces événements demandent une nouvelle instruction, une nouvelle procédure, avant de pouvoir terminer la principale affaire pour laquelle ils ont été une première fois arrêtés » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 82). A la longue, la lenteur et la négligence des juges finissent par exaspérer les prisonniers. « Ils se plaignent de n'être ni interrogés, ni jugés, écrit en 1774 le maire de Fougères ; ils sont au désespoir. Cette prison est un enfer ; je n'y vais qu'en tremblant » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 121).

Antoine Dupuy.

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