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LES PRISONS EN BRETAGNE AU XVIIIème siècle

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Les prisons sont très nombreuses en Bretagne au XVIIIème siècle, moins nombreuses cependant que les tribunaux. La justice royale seule, indépendamment des tribunaux civils et criminels, comme le Parlement, les quatre Présidiaux de Rennes, Vannes, Nantes et Quimper, et vingt-six sénéchaussées, présente huit groupes de juridictions spéciales, civiles ou militaires, comme les tribunaux de commerce, les tribunaux de police, les monnaies, les eaux-et-forêts, les traites, l'amirauté, la maréchaussée, les conseils de guerre. Le nombre des tribunaux qui relèvent du roi n'est rien à côté de celui des juridictions seigneuriales, investies, suivant leur importance, du droit de haute, moyenne ou basse justice. Il y en a tant, sur tous les points de la province, que l'administration s'y perd et se déclare incapable de les compter. Elles sont tellement rapprochées les unes des autres, que leurs juges manquent de clientèle. Beaucoup en sont réduits à ne tenir leurs assises que tous les deux ans (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 1818). Plus de neuf cents seigneuries sont investies du droit de haute justice ; celles qui n'exercent que la moyenne ou la basse justice sont en bien plus grand nombre (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 1819).

Voir aussi Prisons de Bretagne au XVIIIème siècle " L'ancienne juridiction royale de Lannion ". 

La Bretagne aurait dû comprendre au moins vingt-neuf prisons royales. En réalité, elle n'en comprend que vingt-sept. La sénéchaussée du Gâvre est si peu importante, qu'elle n'a pas besoin de prison (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 109). Celle de Jugon est plus considérable, mais sa prison, détruite par un incendie à la fin du XVIIème siècle, n'a pas été rebâtie. Dans les rares occasions où les juges condamnent un malfaiteur, ils l'envoient à Lamballe (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 111). La justice royale aurait besoin d'une prison à Vitré, où siège un tribunal des traites : elle se contente d'emprunter celle du duc de la Trémoille, baron de Vitré (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 116). Quelques prisons royales sont souvent vides de pensionnaires, comme celle de Belle-Isle-en-Mer (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 118). Il est si rare qu'elle ait des prisonniers, qu'elle n'a pas même de geôlier. En 1746, elle servit pendant dix mois à loger un prisonnier : il fallut employer un huissier pour le garder (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 42). Les prisons de Gourin, Châteauneuf-du-Faou, Bazouges-la-Pérouse, Saint-Aubin-du-Cormier, Carhaix, ne sont guère occupées qu'en temps de guerre ou lors du passage des troupes. Elles se remplissent alors de soldats mutins ou de déserteurs.

Les prisons royales servent en même temps à toutes les juridictions royales dans le ressort desquelles elles sont placées. Ainsi, la prison de Bazouges-la-Pérouse est commune à la sénéchaussée de Bazouges et à la maîtrise des eaux-et-forêts de Villecartier (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 106). Celle de Fougères est commune au Parlement, au Présidial de Rennes, à la sénéchaussée de Fougères, au tribunal des traites et au tribunal de commerce (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 113). Enfin, toutes les prisons, dans les villes qui n'ont pas de corps-de-garde, reçoivent les soldats punis par leurs officiers et remplacent ce que nous appelons maintenant la salle de police (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 2463).

En vertu de l'ordonnance criminelle de 1670, tout seigneur haut justicier doit avoir sur le territoire de sa seigneurie une prison solide et bien entretenue, dans laquelle il est forcé de recevoir les malfaiteurs et vagabonds, en quelque lieu qu'ils aient été capturés (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 118). Mais cette ordonnance est restée lettre morte. Les seigneurs ont soin de conserver et d'entretenir les fourches patibulaires, qui sont la marque extérieure de leur autorité judiciaire (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 134). Quant aux prisons, les seuls qui en élèvent sont les grands personnages, comme les évêques, les seigneurs de Léon, Guémené, Penthièvre, Vitré, Ancenis, Châteaubriant. La plupart des autres seigneurs n'ont que des prisons dérisoires, comme celles de Quimerc’h et du Faouët (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 114), ou même n'en ont pas du tout. « De vingt-cinq seigneuries qui relèvent de la juridiction de Léon, à Lesneven, il n'en est que deux qui aient des prisons » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 123). Plus de deux cents seigneurs hauts justiciers en sont réduits à emprunter les prisons du roi. Quarante-trois seigneurs laïques ou ecclésiastiques empruntent celles de Rennes (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 124), trente-et-un celle de Hédé (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 110), vingt-trois celle de Lesneven (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 112), vingt-et-un celle de Lannion (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 110), quinze celle de Carhaix (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 111), quatorze celle de Morlaix (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 112). En 1772 parut une ordonnance qui autorisait les juges seigneuriaux à renvoyer tous les criminels devant les juges royaux. Les juges seigneuriaux se hâtèrent de se débarrasser des procès criminels, qui ne leur rapportaient rien. Les prisons seigneuriales devinrent alors inutiles pour le service de la justice criminelle et ne reçurent plus que des prisonniers pour dettes ou des individus condamnés pour délits de police (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 123).

Prison de Lannion

Chaque prison devrait comprendre au moins deux chambres civiles destinées aux prisonniers pour dettes, deux chambres pour les prisonniers des deux sexes arrêtés par sentence des juges de police, deux chambres criminelles pour les accusés des deux sexes, deux cachots pour les condamnés, une chambre pour loger le geôlier, une chapelle, une infirmerie, une cour pour faire prendre l'air aux prisonniers. Il faudrait, en outre, une chambre pour l'interrogatoire des criminels, un hangar pour le bois et la paille. Même dans le cas où les prisons seraient aménagées conformément aux conditions que nous venons d'indiquer d'après la correspondance des intendants, elles offriraient encore bien des inconvénients. Les criminels, réunis dans la même chambre, peuvent en effet se concerter, soit pour dérouter les juges lors des interrogatoires, soit pour préparer leur évasion. Enfin, les malfaiteurs ainsi réunis ne peuvent que se corrompre mutuellement et s'endurcir au mal. Cependant, quoique ces conditions soient indispensables, il est peu de prisons où elles soient remplies. Toutes les prisons de Bretagne ont un défaut commun, c'est de n'offrir qu'un nombre insuffisant d'appartements. Celle de Concarneau ne comprend que deux chambres, dont une forme le logement du geôlier. Dans l'autre sont entassés pêle-mêle les prisonniers de tout sexe et de toute origine (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 108). A Antrain, « la prison ne consiste que dans deux chambres et un cachot noir. Le concierge ne peut y faire sa demeure, et conséquemment il est obligé à des soins et des démarches onéreuses pour veiller à la garde des prisonniers et pour leur service » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 134). A Auray, la prison comprend « un cachot qui devient inutile l'hiver par la quantité d'eau qui y séjourne, une chambre criminelle et le grenier qui est au-dessus, qui sert de chambre civile. Il n'y a pas de logement pour les femmes, ce qui arrête le cours de la justice » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 106). En 1768, « l'insuffisance des appartements y retient un homme dont les délits ne peuvent être suivis, parce que sa femme, aussi méchante que lui, décrétée de prise de corps, ne peut être arrêtés, n'ayant pas où la loger ». Quand on a plusieurs complices d'un même crime, il est impossible de les interroger séparément. « La police est totalement interrompue, écrit le sénéchal. Les coureurs de nuit et perturbateurs du repos public agissent sans crainte, sachant qu'on ne peut sévir contre eux, » parce que la prison est trop petite pour les recevoir (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 117).

A Quimper, où siège cependant un des quatre Présidiaux de la province, « les prisons consistent en quatre appartements et un petit caveau. Le rez-de-chaussée est occupé par le geôlier, la chambre au premier étage sert de chambre criminelle. Dans un des recoins on a dressé une cloison qui sert de séparation, mais peu sûre, pour enfermer les femmes. Au second étage est une chambre pour les prisonniers civils, et au troisième, enfin, est une chapelle. Sous l'escalier est le caveau qui sert de cachot. Ces prisons sont beaucoup trop petites et l'insuffisance des logements occasionne des communications qu'on doit toujours éviter. Deux malfaiteurs accusés du même crime ne peuvent être séparés, et l'on sent parfaitement les dangereuses conséquences qui naissent de cette impossibilité de séparation. Les hommes et les femmes ne peuvent pas non plus être bien séparés dans les prisons de Quimper : on a vu plus d'une fois les effets de ce défaut de séparation. La chambre qu'on appelle civile est aussi incommode. Elle sert en même temps à renfermer les prisonniers pour dettes, les prisonniers de passage, ceux des régiments et ceux des milices gardes-côtes » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 113). Dans toutes les prisons, quand le geôlier a des chambres libres à sa disposition, il est autorisé à les louer aux prisonniers pour dettes qui les demandent. A Quimper, la seule chambre qu'il ait à offrir est la chapelle. Il y dresse des lits pour les prisonniers de distinction, à raison de 12 livres par an.

Ces prisons si étroites n'appartiennent pas même au roi. Elles sont la propriété d'un particulier, qui les loue moyennant 300 livres par an (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 125).

La sénéchaussée de Ploërmel est une des plus étendues de la province. Son ressort embrasse cent quatre-vingt-dix-neuf paroisses. La prison de Ploërmel n'en est pas moins beaucoup trop petite pour un si vaste ressort. Elle n'a pas assez de chambres pour permettre de séparer les hommes et les femmes, ce qui amène des désordres monstrueux. « Il y a toujours ici neuf ou dix accusés de crimes, écrit en 1782 le sénéchal Tuault, subdélégué de l'intendant. Il passe habituellement des déserteurs, des mendiants, des filles. Tout cela est confondu. Il se passe des désordres qu'on prévoit et qu'on ne peut empêcher, même en plein jour et devant témoins. J'y suis descendu une fois en robe, mais un peu trop tard pour m’opposer à l'union illicite de douze déserteurs et douze coquines, qui venoit d'avoir lieu sous les yeux et malgré les cris et les remontrances de la geôlière et de quelques personnes charitables qui s'étoient rendues aux prisons pour soulager les malheureux » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 134).

A Lesneven, la prison est presque toujours insuffisante pour une sénéchaussée qui embrasse la plus grande partie du pays de Léon. Quand elle est encombrée, ce qui arrive souvent, le geôlier entasse dans la chapelle les criminels des deux sexes. En général, il étend un rideau devant l'autel (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 112) ; mais il n'a pas toujours cette précaution. Nous avons remarqué, dit dans un rapport le grand vicaire de l'évêque de Léon, « que ladite chapelle est exposée à être journellement profanée par les jurements, les blasphèmes et conversations indécentes des prisonniers ; que l'autel servoit indifféremment aux prisonniers pour divers usages profanes, et que la pierre sacrée qui y est apposée pouvoit être rompue par les personnes qui montent et s'asseoient sur ledit autel ». Il menace d'interdire la chapelle si l'on ne remédie à ce désordre. On en est réduit à substituer au rideau du geôlier une cloison qui s'ouvre au moment des offices (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 123).

La prison de Rennes devrait avoir des dimensions respectables. C'est la plus importante de la province, celle qui comprend le plus de prisonniers de toute espèce, à cause du voisinage du Parlement. Elle constitue une véritable maison centrale, où sont amenés tous les accusés qui, des sentences prononcées contre eux par les tribunaux de première instance, en appellent au Parlement. Elle est sur bien des points mieux outillée que les autres prisons. Elle a une vaste chapelle, une infirmerie bien tenue, un chapelain en titre qui loge dans l'établissement, un médecin et un chirurgien. Elle n'en est pas moins beaucoup trop petite et mal distribuée. « Les hommes, quoique séparés des femmes, peuvent leur parler d'une cour à l'autre. La galerie du premier étage, où sont les criminels, domine sur la cour des femmes ». Cette cour même est trop étroite pour sa longueur ; l'air ne s'y renouvelle pas (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 114).

Les prisons qui possèdent une chapelle sont une exception. On en trouve qui n'ont même pas de cour pour faire prendre l'air aux prisonniers (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 108). Les infirmeries sont encore plus rares que les chapelles. Il faut, pour les fonder et les entretenir, le zèle et les aumônes des personnes charitables. L'administration n'y contribue en rien et ne s'en mêle jamais. En 1740, à Rennes, un incendie dévore une partie de la prison, brûle le linge et le mobilier de l'infirmerie. Les soeurs et le chirurgien réclament les secours de l'Etat pour réparer le désastre. Le contrôleur général leur refuse absolument toute indemnité. « Il ne paroit pas, leur dit-il, que les meubles de l'infirmerie des prisons aient jamais été entretenus aux dépens du Domaine, et cela ne se pratique même dans aucune prison royale » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 36). Il n'y a d'infirmerie que dans les prisons considérables, comme celles de Rennes, Nantes, Vannes, ou dans les prisons reconstruites aux approches de la Révolution, comme celles de Lesneven et Saint-Brieuc. A Lesneven même, en construisant une infirmerie, on oublie de la meubler : on la laisse sans lits (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 134).

En général, les prisons sont mal placées, mal bâties, humides et malsaines. Ce sont presque toujours de vieilles constructions féodales transformées en prisons parce qu'on ne savait à quoi les employer. A Nantes, la prison est le palais qu'habitaient les ducs de Bretagne avant d'avoir fait bâtir le château (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 124). Il en est de même, à Rennes, de la prison de la porte Saint-Michel. Cette prison se trouve dominée d'un côté par les remparts, de l'autre par des maisons particulières qui l'entourent et y laissent à peine pénétrer les rayons du soleil (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 127). A Dinan, la prison est formée de deux tours qui s'élèvent dans les remparts (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 109). Il en est de même à Fougères (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 141). A Brest, ce sont deux tours à l'entrée de la porte du Château. L'une de ces tours sert de prison militaire, l'autre est réservée aux prisonniers civils et aux criminels. Les appartements pratiqués dans ces tours sont obscurs, étroits, incommodes, à peine aérés (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 107). « Il n'existe pas de cachots plus horribles et plus meurtriers que ceux de Brest », écrit en 1786 l'évêque de Léon (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 118). A Quimper, la prison « est située dans un endroit où le soleil ne paroit jamais et où il règne tant d'humidité, que la paille qu'on donne aux prisonniers y pourrit en très-peu de temps, de sorte qu'ils sont presque toujours couchés sur le fumier » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 125). De pareils établissements sont des foyers de putréfaction.

Dans la prison de Brest « règne une infection qui met à une cruelle épreuve la charité la plus courageuse » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 118). A Auray, « l'air qu'on respire est d'une infection insupportable et très-dangereuse ». Les criminels s'évadent, « ou bien ils seroient exposés à périr dans ce lieu de corruption » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 117). A Ploërmel, écrit en 1782 le sénéchal Tuault, « la puanteur, la maladie et la mort sont enracinées dans le réduit trop étroit de la prison. Tout accusé ou débiteur qui y entre est à peu près sur d'être sous quinze jours attaqué de la fièvre maligne, qui en a fait périr plusieurs, entre autres toute la famille du concierge, père de celui-ci. Elle y règne depuis cinq ou six ans. Ses germes sont collés aux murs, aux planchers. C'est un lieu où l'on ne respire que des miasmes malins et pestilentiels. Le chirurgien, le curé, les gardes-malades, tout ce qui approchoit des prisonniers dans le fort de la crise a eu la fièvre maligne, hors le greffier et moi, sur lesquels, sans avoir agi vivement, elle fait peut-être l'effet d'un poison lent ». Cependant, quand il se rendait à la chambre criminelle pour interroger les accusés, il portait avec lui du vinaigre des quatre voleurs, afin de conjurer le mauvais air. Il évite de condamner personne à la prison pour délit de police, parce que ce serait condamner les coupables à la maladie (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 134).

La plupart des prisons sont à chaque instant décimées par d'effroyables épidémies. En 1768, une maladie contagieuse se déclare dans la prison de Rennes. En quelques jours elle enlève trente prisonniers ; beaucoup d'autres sont réduits à la dernière extrémité (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 114). En 1786, survient une autre épidémie tout aussi meurtrière (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 138). En 1787 s’élève dans la prison de Lorient une épidémie encore plus grave. Cette prison, quoique construite au XVIIIème siècle, forme un bâtiment long, étroit, mal aéré. On y a entassé des prisonniers pour dettes, des filles de joie, des criminels, des contrebandiers, même des nègres échappés, qu'un navire doit reconduire aux Antilles. Le plus fort contingent est celui des contrebandiers, arrêtés pour avoir vendu du tabac en fraude. Ils étaient emprisonnés sur la réquisition des fermiers généraux, qui les laissaient sans secours, sans linge, sans vêtements de rechange, L'épidémie enleva rapidement le tiers des détenus, atteignit le reste et se répandit dans les maisons voisines. Sur les instances de l'intendant Bertrand de Molleville, on assainit la prison, on transporta les malades à l'hôpital ; on leur improvisa une infirmerie, on élargit les contrebandiers qui n'avaient pas encore été traduits devant les tribunaux. On arrêta ainsi les progrès du fléau (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 124).

En général les prisons sont si vieilles, si délabrées, qu'elles n'offrent aucune solidité. Sans cesse, les prisonniers percent les murs et prennent la fuite. A Rennes, « les murs, du haut en bas, ne valent rien, la chaux et le sable n'ayant plus de liaison par l'humidité qui y règne, ce qui occasionne de fréquents effondrements de la part des prisonniers, qui n'ont besoin pour cela que de leur couteau et d'un morceau de bois qu'ils cassent de leur lit » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 127). A Lesneven, « la prison n'est bâtie qu'en simple mortier ; les murs sont faibles, vieux et pourris en partie. Les prisonniers trouvent toujours moyen de les percer en quelque endroit » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 123). La prison de Morlaix est tellement délabrée en 1785, qu'il n'est plus possible de la réparer (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 124). A Hédé, la prison s'écroule de fond en comble en 1755 (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 110). A Saint-Brieuc, il faut chaque jour réparer les murs, qui chaque jour se lézardent. « Un simple morceau de bois est le seul instrument nécessaire pour faire en peu de temps, dans la partie la plus solide des murs, des dégâts considérables » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 130). A Quimperlé, la porte d’entrée de la prison « est si pourrie par le bas, que les clous ne pourroient soutenir les planches qu’on y mettroit » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 114). A Morlaix, la chapelle est dans un état si lamentable, qu'il devient impossible d'y célébrer la messe. Une des tours de la prison menace ruine et ne vaut plus la peine d'être réparée (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 124). A Carhaix, en 1764, la prison est tellement délabrée que le sénéchal est obligé de la faire réparer d'urgence et à ses frais (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 119). A Antrain, en 1769, une partie des murs s’écroule brusquement sur une maison voisine ; le reste se lézarde et prend une inclinaison menaçant (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 118). En 1777, l’intendant écrit à M. de Beaumont, directeur général des Domaines : « Par le compte que je me suis fait rendre de l’état des prisons royales dans cette province, je vois que presque toutes sont dans le plus grand délabrement. Aussi M. le garde des sceaux verra par l'état des crimes que je suis sur le point de lui envoyer, que presque tous les prisonniers s'évadent, parce que les prisons, établies pour la plupart dans de vieux bâtiments, sont en trop mauvais état pour les contenir. Il y en a plusieurs qui ne sont pas même susceptibles de réparation et qu'il faudroit reconstruire » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 121).

Les prisons seigneuriales ne valent pas mieux que les prisons royales. Celle de Lorient, où survint l'épidémie dont nous avons parlé, est une prison seigneuriale appartenant au prince de Guémené. La prison de Port-Louis offre si peu de sécurité, qu'en 1770 le gouverneur de la place doit enchaîner tous les prisonniers (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 2488). En 1733, huit malfaiteurs s'échappent à la fois de la prison du regaire ou fief épiscopal de Tréguier, dont les murs sont trop mauvais pour résister à un effondrement (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 2458). Les prisons de Quimerc'h et du Faouët sont si mal construites qu'on n'ose y enfermer les criminels ; on les envoie à Quimperlé (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 114). La prison du regaire de Saint-Malo est beaucoup trop petite, bien qu'elle serve en même temps pour le fief du chapitre, l'amirauté, la police, le tribunal de commerce, les traites et plusieurs juridictions seigneuriales. « A l'exception de la chapelle, des grilles et des fenêtres des trois chambres des hommes, tout y est en mauvais état, principalement le cachot qui donne dans la cour de l'évêché et dont le mur n'a que dix-huit pouces d'épaisseur ». De ce cachot s'évadent neuf prisonniers à la fois en 1771 (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 130). En 1786, on est forcé de reconstruire entièrement cette prison, la seule de la ville (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 93). Il n'y a dans toute la province qu'une prison seigneuriale solide et bien aménagée. C'est celle de Vitré, grâce aux soins du duc de la Trémoille (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 116).

Les prisons royales sont surveillées à Rennes par une commission de conseillers du Parlement, dans les autres villes par les juges royaux. Elles font partie du Domaine de la Couronne. Sur plusieurs points de la province, le Domaine est engagé depuis la fin du XVIIème siècle à différents seigneurs qui en perçoivent les revenus. Le Domaine de Rhuis est engagé à la princesse de Conti, dont les droits passent au duc de la Vallière, son héritier (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 115) ; celui de Morlaix au marquis de Goësbriand, qui transmet ses droits à son gendre, M. de Saint-Tropez (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 112) ; celui d'Antrain, Auray, Bazouges, Carhaix, Dinan, Fougères, Hennebont, Jugon, Lannion, Lesneven, Ploërmel, Quimper et Quimperlé au duc de Penthièvre, héritier du comte de Toulouse (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 106-116). En 1763, un arrêt du Conseil enleva aux engagistes les charges et les profits qui résultaient de l'entretien des prisons. Toutes les prisons royales furent ainsi ramenées sous l'autorité directe de la Couronne. Plusieurs d'entre elles cependant conservèrent des traces de l'ancienne organisation féodale. Ainsi, la prison de Châteaulin a pour geôlier héréditaire M. de Penfenténio, seigneur de Mesgrel, sergent voyer de la sénéchaussée. A son titre de sergent voyer est attachée la terre de Rosarnou, qui lui donne 2.000 livres de revenu. M. de Penfenténio est chargé de l'entretien et de la garde de la prison. Il n'exerce pas lui-même les fonctions de geôlier, il les délègue à un commis (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 108). La prison de Ploërmel a pour geôlier féodal le comte de Brilhac, en qualité de seigneur de Crévy (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 113). A Quimperlé, M. de Tinténiac, comme sergent féodé seigneur de Quimerc'h, a les mêmes attributions. C'est lui qui désigne le geôlier. En cas d'exécution capitale, d'autres seigneurs sont tenus de fournir la potence et de payer le bourreau (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 126).

Prison de Lannion

Prison de Lannion

Ce sont là des bizarreries qui font sourire les agents de l'administration, particulièrement les subdélégués de l'intendant, mais qui ne changent rien au régime général des prisons. Ce régime est aussi simple que possible. L'administration des prisons au XVIIIème siècle n'offre aucun rouage compliqué. Elle est restée ce qu'elle était au moyen-âge. Une prison n'a qu'un personnage à sa tête : le geôlier. Dans les prisons importantes il prend des guichetiers à son service, mais son caractère ni ses fonctions ne subissent aucun changement. Le geôlier n'est pas un administrateur, mais un entrepreneur qui, sous certaines conditions, se charge de garder et de nourrir les prisonniers à ses risques et périls, sans autres gages que les bénéfices qu'il peut réaliser sur son entreprise. Primitivement même, les geôliers étaient des fermiers, dont chacun se faisait adjuger aux enchères la garde d'une prison royale ou seigneuriale. Alors, écrit en 1769 le contrôleur général Mainon d'Invau, « la garde des prisons, bien loin d'être onéreuse au roi, produisoit un revenu fixe qui faisoit partie de la ferme du Domaine » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 126). Pendant longtemps les seigneurs de Crévy avaient tiré de bons revenus de la ferme des prisons de Ploërmel (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 125). L'usage d'affermer la garde des prisons royales fut abandonné en 1724. Il resta en vigueur pour plusieurs prisons seigneuriales. La prison de Vitré est encore affermée à la fin du règne de Louis XV ; le bail dépend de la ferme générale de la baronnie de Vitré (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 116). Au reste, le produit de ces sortes de fermes diminue d'année en année. Pour les seigneurs, aussi bien que pour le roi, l'entretien des prisons devient une lourde charge au lieu d’être un avantage.

Dans chaque prison, la seule autorité constituée est le geôlier, qui agit en maître sous la surveillance des magistrats. A Rennes, trois autres personnages paraissent à côté de lui : ce sont le chapelain, l'apothicaire et le chirurgien. Un arrêt du Conseil du 3 août 1684 attribue au chapelain un logement dans la prison et une amende de 75 livres à titre de gages. Le chirurgien et l'apothicaire reçoivent chacun deux amendes de 75 livres (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 50). Mais ces trois personnages n'ont aucune autorité administrative et ne peuvent empiéter sur les attributions du geôlier. De ces attributions, la plus importante est la garde des prisonniers, dont le geôlier est responsable au point qu'en cas d'évasion causée par sa négligence, il peut être emprisonné lui-même et mis aux fers (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 120). Quand une prison manque de geôlier, ce qui arrive quelquefois, ce sont les huissiers qui le remplacent et veillent sur les prisonniers (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 132). Dans les circonstances graves, ou le geôlier et ses guichetiers craignent soit une révolte, soit une évasion en masse, ils appellent à leur secours tantôt la maréchaussée (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 59), tantôt les troupes de la garnison (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 132) ou la milice bourgeoise (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 138), qui n'interviennent jamais gratuitement. Il faut toujours leur accorder des indemnités ou des gratifications pour prix de leurs services (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 128).

L'entretien des prisonniers peut-être à la charge du roi, ou bien à la charge des seigneurs, des régiments, des fermiers généraux, des créanciers. Quelquefois même les prisonniers sont forcés de s’entretenir à leurs frais. En vertu d'une ordonnance de l'année 1680, chaque prisonnier reçoit 3 sous par jour pour sa nourriture. Le geôlier reçoit en outre un droit de gîte et de geôlage, pour prix duquel il est tenu de fournir l'eau et la paille nécessaires aux détenus. La quotité du droit de gîte et de geôlage varie suivant l'origine du prisonnier. Il est de 1 sou par jour et par tête pour les prisonniers à la charge du roi, de 3 sous pour les prisonniers dont l'entretien est à la charge des particuliers ou qui s'entretiennent à leurs propres dépens. Les prisonniers de police qui ne passent que quelques heures en prison paient un droit d'entrée et de sortie dont le total est de 24 sous par tête. Les soldats pour qui la prison tient lieu de salle de police paient aussi un droit d'entrée et de sortie, mais il n est que de 10 sous (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 65). Ce sont les droits de gîte et de geôlage et les droits d’entrée et de sortie qui constituent les bénéfices du geôlier.

Les prisonniers pour dettes, quand ce sont « des personnes de considération, » ou qui possèdent quelque aisance, peuvent louer une chambre séparée et un lit sérieux, si le geôlier est assez riche, la prison assez vaste pour leur offrir ces objets de luxe (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 130), ce qui n'arrive pas toujours. Les prisonniers de passage peuvent même obtenir soit un lit à deux, soit un lit à une seule place, à condition de payer au geôlier un supplément de 3 sous par jour dans le premier cas, de 5 dans le second (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 65). Mais ce sont là des raffinements de délicatesse que ne peuvent se permettre qu'un petit nombre de détenus. La plupart des prisonniers n'ont pour lit qu’une couchette de paille. Le geôlier leur doit tous les huit jours une botte contenant 12 livres de paille fraîche (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 8). Comme nourriture, leur ordinaire se compose d'eau et de pain à perpétuité. Encore n'ont-ils pas le pain à discrétion. Un arrêt du Parlement de Rennes, en date du 16 octobre 1688, porte « que les prisonniers civils et criminels doivent avoir, de deux jours l'un, trois pains de bon froment pesant chacun 10 onces, pour ceux qui sont dans les chambres et hors des basses-fosses, et ceux qui sont dans les basses-fosses quatre pains de pareil poids. L'autre jour il doit être donné 3 sous à chacun desdits prisonniers indifféremment, pour employer à ce que bon lui semblera » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 111).

C’est là une prescription très-sage et très-bienfaisante. Malheureusement, elle est complètement impraticable. Le prisonnier n'a que 3 sous pour sa nourriture. Cette somme ne suffit même pas toujours pour lui procurer la ration ordinaire de 21 onces de pain par jour, à cause des brusques variations du prix des céréales. Ainsi, à Lesneven, en 1769, la livre de pain « de seigle fromenté » coûte 3 s. 6 d., de sorte qu'un prisonnier n'est pas même en état d'en acheter une livre par jour (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 112). Ces sortes d'accidents se renouvellent souvent. En pareil cas, le contrôleur des finances accorde aux détenus un faible supplément de solde. Quelquefois même le Parlement, quand il y a urgence, prend les devants et ordonne d'office un supplément de solde payé par le Domaine pour les prisonniers à la charge du roi, par les particuliers pour les détenus qui sont à leur charge. A Rennes, la solde des prisonniers est portée à 4 sous par jour en 1769 (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 114). A Saint-Brieuc, en 1768, un ordre du premier président l'élève au même chiffre (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 107). Les militaires sont plus favorisés que les autres prisonniers : ils ne risquent jamais de mourir de faim, parce qu’ils reçoivent leur pain du régiment (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 115).

Le mode de paiement de la solde varie suivant la condition des prisonniers et suivant les prisons. Le créancier qui fait emprisonner son débiteur est tenu de payer toujours un mois d'avance. Il a donc à verser 9 livres par mois, soit 6 sous par jour, dont moitié pour la nourriture de son débiteur et moitié pour droit de gîte et de geôlage (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 114). Si le créancier néglige de payer, le débiteur recouvre sa liberté quinze jours francs après la date du jour où devait être consignée sa solde. « Je trouve cette condition bien dure, dit un subdélégué. Le prisonnier manque ainsi de pain pendant quinze jours. Il me semble qu'il seroit juste qu'il fût nourri au moins au pain du roi » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 113). Quant aux prisonniers criminels, leur solde est avancée par le geôlier, qui se fait rembourser par le Domaine. En certaines prisons, la solde des détenus leur est payée en nature. C'est ce qui arrive à Brest, où ils reçoivent une quantité de pain qui varie suivant le prix des céréales (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 115). A Hennebont, le geôlier délivre aux prisonniers, suivant ce qu'ils préfèrent, soit les 3 sous réglementaires, soit un pain de seigle de 5 sous pour deux jours (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 111). Quand les prisonniers reçoivent leur solde en argent, ils achètent eux-mêmes leur pain. A Rennes, tous les boulangers de la ville sont obligés d'apporter, à tour de rôle et chacun pendant trois semaines, le pain nécessaire, bon et bien conditionné, au prix fixé par une pancarte affichée dans les prisons (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 114). Le même usage existe dans d'autres villes, mais il n'est pas du goût des boulangers, auxquels il impose une corvée souvent ruineuse (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 134).

La faculté laissée aux geôliers de payer en argent la solde des prisonniers est un des plus graves abus qui règnent dans les prisons. « Quand les prisonniers ont reçu leur subsistance en argent, ils en font l'usage qui leur plaît. Les uns le jouent, le perdent et n'ont plus ensuite de quoi acheter du pain ; les autres le convertissent en boisson. Enfin, les prisonniers se volent entre eux, ce qui d'une part occasionne des querelles, et de l'autre met plusieurs prisonniers dans le cas de manquer de pain, de sorte qu'ils deviennent souvent malades de faim » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 128). Aussi bien, cette solde de 3 sous par jour, suffisante peut-être en 1680, est devenue dérisoire au XVIIIème siècle, parce que le développement de la richesse publique a fait baisser la valeur du numéraire et augmenter le prix de toutes les denrées. Avec 3 sous par jour, un prisonnier qui n'a pas de métier à son service pour lui procurer quelque léger salaire, n'a pas de quoi vivre (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 112). Quand même le gouvernement augmenterait cette solde dans des proportions sérieuses, l'humanité ne serait pas encore satisfaite, la société n'aurait pas rempli sa tâche envers les malheureux qu'elle est forcée de rejeter de son sein. « C’est un grand abus, écrit en 1787 l'intendant Bertrand de Molleville, que les prisonniers, même les plus criminels, soient abandonnés sans aucun secours dans des lieux infects, où les gens les plus charitables n'osent aller les visiter. Le roi donne aux prisonniers ce qui leur est nécessaire pour ne pas mourir de faim, et rien au-delà. S'ils sont malades, s'il leur faut un lit, du linge, des habits, c'est la charité qui le leur fournit » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 128).

Le principe sur lequel repose le régime des prisons sous l'ancien régime est, en effet, que la justice ne doit aux détenus que ce qui leur est absolument nécessaire pour ne pas mourir de faim. Aussi n'ont-ils pour lit qu'une botte de paille, pour nourriture que du pain et de l’eau. Le linge, les vêtements quand ils sont en bonne santé, les soins et les remèdes quand ils sont malades, sont autant d'objets de luxe dont l'Etat ne s'occupe pas. C'est aux prisonniers de se procurer ce qui leur manque, soit par le travail, soit surtout en implorant la pitié des âmes charitables. La charité, en effet, est partout en éveil ; chaque jour elle s'évertue pour adoucir le sort des prisonniers. Elle leur prodigue à la fois les secours spirituels et temporels, La plupart des chapelles bâties dans les prisons et les offices qu'on y célèbre ne sont autre chose que des fondations pieuses (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 124). Quant aux secours matériels, les prisonniers en reçoivent continuellement. Chaque jour arrivent des dames charitables, qui viennent les visiter et qui leur apportent du pain quand ils en manquent, quelquefois du beurre ou de la viande, pour qu'ils se fassent faire du la soupe par le geôlier (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 112). C'est la charité qui organise, meuble et entretient les infirmeries, avec les soeurs qui distribuent du linge et des vêtements aux prisonniers. Les détenus de la prison de Ploërmel seraient morts de misère pendant l'hiver de 1781 à 1782, écrit le sénéchal Tuault, « sans les secours de la charité, plus active ici peut-être qu'ailleurs, parce qu'on y connoit mieux la pauvreté, qui se montre partout, qui environne tout » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 134). A Rennes, le produit des aumônes destinées aux prisonniers s'élève à 8.000 livres par an. Quand ces aumônes s'arrêtent, rien de plus lamentable que l'état des prisons. « Les prisonniers sont dans une misère affreuse, rongés par la vermine, sans linge, sans vêtements, ayant presque tous la gale, plusieurs attaqués par la fièvre. Tous se livrent au désespoir de voir prolonger leurs souffrances, sans savoir à quelle époque ils pourront être jugés. Il n'y en a pas un seul qui ne se trouvât très-heureux d'être envoyé aux galères » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 128). Tel est le tableau de la situation des prisonniers de Rennes en 1786, au moment où l'exil du Parlement a dépeuplé la ville et tari la source des aumônes. Nous venons d'exposer la situation générale des prisonniers.

Voir Prisons de Bretagne les diverses espèces d'individus qui forment la population des prisons de Bretagne au XVIIIème siècle.

Voir Prisons de Bretagne les évasions des prisonniers des prisons de Bretagne au XVIIIème siècle.

Voir Prisons de Bretagne les geoliers de Bretagne au XVIIIème siècle.

Voir Prisons de Bretagne les bourreaux de Bretagne au XVIIIème siècle.

Pour ce qui concerne les prisons, la première réforme à opérer était de reconstruire les prisons par trop mauvaises et de pourvoir sérieusement à l'entretien des autres. La somme de 300.000 livres affectée annuellement sur les fonds du Domaine à l'entretien de toutes les prisons du royaume, était évidemment insuffisante (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 123). Une enquête opérée en 1769 établit que, dans toutes les provinces, les auditoires et les prisons étaient dans un état de délabrement général. Le gouvernement fut effrayé des charges que les réparations allaient imposer au Trésor. Le 20 mars 1773 parut un arrêt du Conseil qui rejetait ce fardeau sur les villes. Les raisons alléguées dans cet arrêt étaient les avantages qu'elles retiraient de l'existence des auditoires et des prisons, l'affluence de peuple que les tribunaux amenaient dans leur enceinte, la plus-value qui en résultait pour leurs octrois (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 118). Les villes se trouvèrent donc chargées de l'entretien de leurs prisons. Mais il était impossible de compter pour ce service sur les communautés de Bretagne, depuis longtemps obérées. La plupart avaient à peine des ressources suffisantes pour leurs dépenses ordinaires. « Quand il leur reste quelques fonds libres, écrit en 1782 l'intendant, les officiers municipaux ont la plus grande répugnance à les employer aux réparations des prisons, surtout depuis qu'elles sont remplies de prisonniers qui étoient ci-devant à la charge des seigneurs » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 134). Les communautés étaient d'autant plus mécontentes du fardeau qui leur était imposé, que le gouvernement levait déjà sur elles, sous le nom d'octrois municipaux, une taxe dont le produit aurait suffi à l'entretien des prisons (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 123). La ville de Nantes se trouvait dans une situation exceptionnelle. En 1742, le roi lui avait abandonné plusieurs rentes domaniales ; ainsi que le loyer de divers bâtiments adossés aux prisons et au Palais-de-Justice, à condition qu'elle se chargerait de l'entretien de son auditoire et de ses prisons. La communauté, cependant, refusait de tenir son engagement comme trop onéreux (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 124).

Les intendants, qui connaissaient l'impuissance des villes de Bretagne, défendaient énergiquement leur cause auprès du contrôleur général. Ils firent si bien que l'arrêt du Conseil de 1773 ne fut jamais sérieusement appliqué. C'est aux frais du Domaine que furent rebâties les prisons de Lesneven et de Saint-Brieuc. Celle de Ploërmel fut agrandie et réparée dans les mêmes conditions. En même temps, Bertrand de Molleville réclamait avec éloquence l'amélioration du sort des prisonniers. Il proposait avec insistance d'assurer aux geôliers un salaire fixe, de mettre en adjudication la fourniture du pain, celle de l'eau et de la paille. Toutes ces questions étaient à l'étude et près d'être résolues, comme le prouvent les fréquentes circulaires des ministres, les avis et les renseignements qu'ils demandaient aux intendants. Les abus séculaires de l'administration des prisons allaient disparaître, quand survint la Révolution française.

Note : Dans cette étude, nous n'avons parlé que des prisonniers ordinaires, en laissant de côté les détenus enfermés par lettre de cachet soit dans divers monastères, soit dans les forteresses de la côte.

Antoine Dupuy.

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