Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

LA CHEVALERIE DU DUCHÉ DE BRETAGNE

  Retour page d'accueil      Retour page "Chevalerie du duché de Bretagne"    

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

TOURNOIS. — PAS D'ARMES. — EMPRISES. — DESCRIPTION D'UN TOURNOI QUI EUT LIEU A NANTES EN 1459. — TOURNOIS ET JOUTES DANS LESQUELS DES CHEVALIERS ET ÉCUYERS BRETONS SE SONT DISTINGUÉS. — VŒU DU PAON OU DU FAISAN. — ROIS D'ARMES ET HÉRAUTS.

C'était surtout dans les tournois que la jeune noblesse faisait voir son habileté dans les exercices militaires. On les appelait écoles de valeur et de prouesse. Tantôt les chevaliers combattaient deux à deux, tantôt en troupes qui tournoyaient dans la lice, d'oit est venu le nom de tournoi, que l'on a traduit en latin par le mot torneamentum [Note : Du Cange ; Glossaire Saint-Allais ; Encyclopédie de la noblesse. Lacurne de Sainte-Pallaye].

La plupart des auteurs français et étrangers reconnaissent les Français comme les inventeurs des tournois. Mathieu Paris, écrivain anglais, les appelle conflicti gallici et Raoul Gogeshe rapporte que Geoffroi de Mandeville ou de Magneville, comte d'Essex, mourut à Londres d'une blessure qu'il reçut, en 1268, dans un tournoi, qui eut lieu selon la mode française : dum more Francorum cum hastis, vel contis, sese cursim equitantes vicissim impeterent.

Le comte Balthasar de Castiglione parle de l'adresse des Français, nel torneare, tener un passo, combattere una sbarra. Foucher de Chartres dit que les Français étaient admirables pour donner un coup de lance, mirabiles de lanceis percussores.

La princesse Anne Comnène, qui était à Constantinople à l'époque où cette ville fut prise par les Français et les Vénitiens, c'est-à-dire en 1202, fait dans ses écrits la même remarque.

Du temps de Charles le Germanique, frère de Charles le Chauve, qui régnait en France en 842, il existait, au rapport de l'historien Nithard, des jeux militaires qui avaient rapport avec les tournois.

La plupart des auteurs allemands prétendent que l'empereur Henri, surnommé l'Oiseleur, qui mourut en 936, fut l'inventeur des tournois ; mais quelques autres, avec plus de fondement, en font l'honneur à un autre Henri, qui est postérieur d'un siècle au premier. En ce cas, les Allemands auraient peu d'avantage sur les Français, chez lesquels les tournois furent établis vers le milieu du XIème siècle, par Geoffroi de Preuilly, qui passe pour leur inventeur, et qui fut tué dans un tournoi à Angers, en 1006, ainsi que le rapporte la chronique de Tours : Gaufridus de Pruliaco, qui torneamenta invenit, apud Andegavum (Angers) occiditur...

Si ces combats simulés existaient avant Geoffroi de Preuilly il paraît certain que ce fut lui qui en imagina l'ordonnance et les lois. Les tournois qui avaient lieu du temps de Henri l'Oiseleur, ne paraissent pas avoir été autre chose que des réunions militaires, où la noblesse venait se montrer et faire assaut de richesse et de magnificence. L'auteur des Pandectœ triumphales prétend qu'Henri l'Oiseleur introduisit en Allemagne l'usage des tournois, jusqu'alors inconnu à cette nation, mais qui était pratiqué par la noblesse de France et d'Angleterre.

Malgré les ordonnances faites pour que ces jeux se passassent avec courtoisie, ils donnaient lieu à des accidents continuels. Dans l'ardeur de la lutte, les chevaliers et les écuyers n'étaient plus maîtres d'eux-mêmes. Excités par la vue et par les applaudissements des dames, ils se laissaient emporter par l'ardeur et par la passion de vaincre, et souvent faisaient tous leurs efforts pour renverser leur adversaire, de quelque manière que ce fut, de sorte que quelquefois les tournois dégénéraient et devenaient de véritables combats, assez meurtriers pour que l'Église essayât, par ses défenses, de les arrêter ; mais elle ne put y parvenir.

L'histoire nous a conservé les noms d'un grand nombre de princes et de seigneurs qui périrent dans les tournois. Dans un tournoi qui eut lieu à Nuys, suivant Philippe Mousker, quarante-deux chevaliers et beaucoup d'écuyers y perdirent la vie. L'auteur espagnol du roman de Tyran le Blanc, décrivant des joutes qui durèrent plusieurs jours, ajoute que plus de cent-cinquante chevaliers y périrent.

Pour éviter des accidents aussi funestes, les règles des tournois obligeaient les tournoyeurs à être armés de nobles harnais de tournoi, chacun armorié à ses armes, en haute selle, pissière et chanfrein, pour tournoyer, de gracieuses épées et pointes brisées, et de courts bâtons. Ils devaient frapper de haut en bas, et non d'estoc.

Wulson de la Colombière attribue à l'abolition des duels juridiques et des tournois, la fureur des duels qui s'empara de la noblesse française, réduite à se faire justice elle-même, et qui ne savait, pendant la paix, quel aliment donner à son ardeur belliqueuse et à son activité. Les duels étaient si nombreux sous Henri IV, que ce prince délivra 4.000 lettres de grâce pour cause de duel.

Dans les premiers-temps de la chevalerie, les chevaliers seuls prenaient part aux tournois. Mathieu Paris, écrivain du XIIème siècle, dit que pour être capable d'assister aux tournois il fallait être chevalier, et que pour cette raison, le comte de Glocester fit son frère chevalier, afin qu'il y fût admis. A cette époque, la subordination des écuyers vis-à-vis des chevaliers était si grande, qu'ils n'eussent pas osé jouter contre eux. Mais il n'en était plus ainsi au XIVème siècle, car on voit Bertrand du Guesclin, qui pouvait à peine, à cause de sa jeunesse, prétendre au titre d'écuyer, se présenter au tournoi qui eut lieu à Rennes en 1338, et a remporter le prix.

Voici, d'après le livre des Tournois du roi René, comment au XVème siècle ils se publiaient.

L'un des poursuivants de la compagnie du roi d'armes, qui avait la plus forte voix, criait par trois fois, à différents intervalles ou à trois grandes reposées :

Or ouez, or ouez, or ouez.

On fait assavoir à tous les princes, barons, chevaliers et écuyers de la Marche de l'Isle de France, de la Marche de Champagne, de la Marche de Flandre, de la Marche de Ponthieu, de la Marche de Vermandois, de la Marche d'Artois, de la Marche de Normandie, de la Marche d'Aquitaine et d'Anjou, de la Marche de Bretagne et de Berry, et aussi de Corbie, et à tous autres de quelques Marches qu'ils soient, de ce royaume et de tous autres royaumes chrestiens, s'ils ne sont bannis ou ennemis du roi nostre Sire, que tel jour de tel mois, en tel lieu de place, sera un grandissime pardon d'armes et très-noble tournoi, frappé de masses de mesure et épées rabattues, harnais propre pour ce faire, en timbres, cottes d'armes, houssures de chevaux, armoyés des armes des nobles tournoyeurs, ainsi que de toute ancienneté est de coutume.

Duquel tournoi sont chefs, très-hauts et très-puissants princes et redoutés seigneurs, le duc de Bretagne pour appelant, et le duc de Bourbon pour défendant. Et pour ce, font de rechef assavoir à tous princes, barons, chevaliers et écuyers des Marches susdites et autres, de quelque nation qu'ils soient, non bannis ou ennemis du Roi nostre Sire, qui auront vouloir et désir de tournoyer pour acquérir honneur, qu'ils portent de petits écussons que cy présentement donnerai, et à ce, qu'on connaisse qu'ils sont tournoyours.

Et puis ce, en demande qui en voudra avoir, lesquels écussons sont écartelés des armes desdits quatre chevaliers et écuyers, juges diseurs du tournoi. Et audit tournoi il y aura de nobles et riches prix, par les dames et demoiselles donnés.

Outre, j'annonce à entre vous tous, princes, seigneurs, barons, chevaliers et écuyers, qui avez l'intention de tournoyer, que vous êtes tenus de vous rendre ès auberge le IIIème jour d'avant ledit tournoi, pour faire de vos blasons fenêtres [Note : Les gentilshommes qui voulaient prendre part au tournoi, étaient obligés de placer aux fenêtres de leur hôtel leur blason, afin que les rois d'armes pussent juger s'ils étaient dignes d'être admis à entrer dans la lice. Il fallait faire preuve, pour paraître dans les tournois, de quatre lignes, c'est-à-dire de quatre degrés paternels et de quatre maternels. Les juges du camp pouvaient, à la requête des dames, exclure les gentilshommes qui avaient mal parlé d'elles], sous peine de ne pas être reçus audit tournoi, et cecy vous fais je assavoir de par Messeigneurs les juges diseurs, et me pardonnerez, s'il vous plaît.

Hauts  et puissants princes, seigneurs, barons, chevaliers et écuyers, qui êtes au tournoi partis, je vous fais assavoir de par Messeigneurs les juges diseurs, que chacune partie de vous soit demain dans les rangs ; à l'heure de midi feront les juges couper les cordes pour commencer le tournoi, auquel aura de riches et nobles dons par les dames donnés. Outre plus, je vous avise que nul d'entre vous ne doive amener dans les rangs varlets à cheval pour vous servir, outre la quantité, c'est à savoir quatre varlets pour prince, trois pour comte, deux pour chevalier et un pour écuyer ; et de varlets de pied, chacun à son plaisir, car ainsi l'ont ordonné les juges.

Lorsqu'il sera temps de donner les prix, lesdits juges et le chevalier d'honneur, accompagnés du roi d'armes, hérauts et poursuivants, iront choisir une des dames et deux damoiselles de la compagnie, les mèneront hors de la salle en quelque autre lieu, avec foison de torches, et puis retourneront en ladite salle avec le prix, dans l'ordre qui suit :

Premièrement iront les trompettes du juge devant, en sonnant, puis tous les hérauts et poursuivants après en flotte, et après eux le roi d'armes seul, après lequel ira le chevalier d'honneur, tenant un tronçon de lance en sa main, long de cinq pieds ou environ. Après le chevalier d'honneur viendra la dite dame, qui tiendra ledit prix couvert du couvre-chef de plaisance [Note : Le couvre-chef de plaisance était un timbre ou casque, qu'on élevait au-dessus de la lice pour faire cesser le combat, quand il devenait trop animé], que aura porté ledit chevalier d'honneur, et à dextre et à sénestre des deux chevaliers, seront deux damoiselles, tenues par-dessous le bras par les deux écuyers juges, lesquelles deux damoiselles soutiendront les deux bouts dudit couvre-chef, et feront trois tours à l'environ de la salle, puis s'arrêteront auprès de celui auquel elles voudront donner le prix.

Le livre des Tournois, du roi René, contient un certain nombre de planches coloriées dont nous allons donner la description, pensant qu'elle pourra intéresser nos lecteurs.

Pl. I. Le duc de Bretagne, placé sous son dais ducal, remet à son roi d'armes l'épée qu'il lui ordonne d'aller présenter au duc de Bourbon, défendant du tournoi projeté. Le roi d'armes et les deux poursuivants d'armes sont à genoux. Les hérauts, debout, attendent les ordres. Le duc de Bretagne porte un justaucorps amaranthe, un bonnet brun en forme de turban, des chausses de même couleur, et des souliers à la poulaine, de cuir jaune.

Pl. II. Le héraut du duc de Bretagne présente, en la tenant par la pointe, l'épée du duc de Bretagne au duc de Bourbon, assis sous un dais, sur un fauteuil recouvert d'une étoffe bleue fleurdelysée d'or. Le duc de Bourbon est vêtu d'un pourpoint plissé à manches très-larges, d'une étoffe grise ; un maillot collant amaranthe, des souliers noirs à la poulaine, et un chapeau noir ressemblant par la forme à une barque renversée, complètent son costume.

Pl. III. Le héraut du duc de Bretagne, appelant, présente au duc de Bourbon, défendant, le blason de quatre chevaliers et écuyers, parmi lesquels le seigneur duc, défendant, choisit les juges diseurs du tournoi.

Pl. IV. Le roi d'armes, portant en guise de manteau une pièce de drap d'or ou de velours recouverte d'un parchemin où les deux chefs du tournoi sont figurés prêts à combattre, et aux quatre coins l'écusson des juges diseurs choisis pour diriger le tournoi, présente à ces derniers les lettres qui leur en donnent avis, et les prient d'accepter cette offre.

Pl. V. Le même roi d'armes, suivi de ses poursuivants d'armes couverts des hermines de Bretagne, fait distribuer des écussons aux armes des quatre juges diseurs, aux chevaliers et écuyers qui se proposent de prendre part au tournoi. Ces seigneurs passent ces écussons au cordon de leur chapeau.

Pl. VI. Armes et harnais.

Pl. VII. Les ducs de Bretagne et de Bourbon y sont peints à cheval, armoyés et timbrés, tels qu'ils doivent être au tournoi. Le casque du duc de Bretagne a pour visière une grille ; il est surmonté de deux trompes d'éléphant ou proboscides, mouchetées d'hermines. Entre ces proboscides est assis un lion doré, lampassé de gueules. Le casque est couronné et orné de lambrequins. Le duc est couvert d'une cotte d'armes d'hermines en forme de dalmatique ; il tient dans sa main droite une épée de tournoi, large, courte et émoussée, retenue au brassart par une chaîne ; une masse d'armes est suspendue à l'arçon de la selle. Le cheval est couvert d'une housse traînante, mouchetée d'hermines. L'armure de tête du cheval consiste dans un chanfrein d'acier, dont l'extrémité se prolonge entre les oreilles du cheval, en forme de proboscide. Sur le milieu du chanfrein est placé un petit écusson aux armes de Bretagne. Le cou est défendu par une armure composée de lames de fer.

Le duc de Bourbon est vêtu d'une cotte d'armes bleue fleurdelysée d'or. La housse de son cheval est également bleue et fleurdelysée. Le chanfrein est surmonté d'une fleur de lys.

Pl. IX. Vue perspective de la lice.

Pl. X. Entrée du duc de Bretagne et des gentilshommes de sa suite qui doivent prendre part au tournoi. Il est précédé de son héraut à cheval, de pages et de trompettes aux armes de Bretagne. Les gentilshommes portent tous au chapeau les écussons des juges diseurs.

Pl. XI. Les seigneurs-chefs du tournoi, ainsi que les chevaliers et écuyers qui doivent y prendre part, font de leurs blasons fenêtres. Leurs bannières sont déployées aux croisées de leur logis, et l'écusson de leurs armes est attaché au-dessous des bannières.

Pl. XII. Entrée des juges diseurs et de leur suite. Ils sont à cheval, vêtus de longues robes rouges, coiffés de chapeaux noirs ; ils tiennent dans la main de longues baguettes, insignes de leur dignité. Leurs chevaux portent des caparaçons blancs et rouges. Ces juges sont précédés de hérauts et de trompettes, richement vêtus.

Pl. XIII. Le roi d'armes tient les bannières des juges diseurs. Ce sujet devait être peint et exposé au-dessus de la porte du logis des juges. 

PI. XIV. Translation de la bannière, du pannon et du timbre du duc de Bretagne dans la maison des juges diseurs, ainsi que des bannières des chevaliers et écuyers des seigneurs appelant et défendant, pour les ranger, les reconnaître, et en faire part aux deux parties [Note : Les princes seuls pouvaient faire porter ensemble bannière et pannon]. Un héraut à cheval, vêtu d'un justaucorps roux et d'un maillot vert, porte sur un bâton le heaume du duc de Bretagne. Deux autres hérauts pareillement costumés portent, l'un la bannière carrée du duc, et l'autre son pannon ou pannonceau semé d'hermines. Des trompettes aux armes de Bretagne ouvrent la marche.

Pl. XV. Les bannières et les timbres sont rangés dans un cloître. Ils sont conduits au lieu du tournoi par ordre des juges, en présence des dames et des tournoyeurs. Les dames portent de grandes coiffes carrées et des robes traînantes à taille courte, bordées d'hermines, dont la queue est soutenue par des suivantes.

Pl. XVI. Les ducs de Bretagne et de Bourbon viennent avec leurs bannières dans la lice. Ils sont seulement armés de tronçons de lances et de bâtons. C'est la veille du tournoi. Ils viennent se montrer sur les rangs et prêter serment, ainsi que ceux de leur suite qui doivent prendre part au tournoi, de se conformer à tout ce qui est prescrit par les lois des tournois et ordonné par les juges diseurs. Ceux-ci occupent leur tribune, et le roi d'armes se tient prêt à transmettre leurs ordres. Les dames occupent les tribunes qui leur sont réservées. Les lices sont remplies d'une foule de pages et de serviteurs montant des chevaux aux caparaçons de mille couleurs.

Pl. XVII. Le seigneur appelant et le seigneur défendant, et leur suite, sont en présence dans la lice. Les juges sont placés sur leurs siéges, et le roi d'armes attend d'eux l'ordre de faire couper les cordes qui séparent les combattants. Le chevalier d'honneur choisi par les dames occupe l'intervalle qui sépare les deux cordes, attendant que le signal soit donné. Il est à cheval, revêtu d'un hoqueton blasonné de lions léopardés de gueules. Le caparaçon de son cheval porte les mêmes insignes. Il tient à la main un étendard. A droite et à gauche de la tribune des juges diseurs sont celles réservées aux dames. Un valet désigné pour cette fonction tient le couvre-chef de plaisance, dont se servait le chevalier d'honneur pour faire cesser, d'après l'ordre des dames, un combat disproportionné, ou séparer les combattants quand leur ardeur transformait une simple joute en véritable combat. Ce couvre-chef était un timbre ou casque que les dames faisaient abaisser sur la lice.

Pl. XVIII. Mêlée et combat en troupe, en présence des juges diseurs et des dames. Les casques des tournoyeurs sont ornés de toute espèce de cimiers, têtes de lévrier, de sauvage, de loup, etc.. Les chevaux sont couverts de housses, aux couleurs variées. Les combattants sont armés de larges épées. A droite les trompettes donnent le signal de la retraite, ouverte par les hommes d'armes, portant les bannières des combattants.

Pl. XIX. La dame du tournoi, suivie de deux demoiselles de son choix, des juges diseurs et du chevalier d'honneur, donne le prix au vainqueur.

M. Mellinet, dans son Histoire de la commune et de la milice de Nantes, a donné une description très-intéressante d'un tournoi qui eut lieu à Nantes en 1459. Nous la rapportons ici, regrettant qu'il n'ait pas fait connaître le manuscrit d'où il l'a tirée.

C'était le 5 novembre 1459. Depuis trois mois, on ne songeait à Nantes qu'au fameux tournoi qui allait avoir lieu sur la place du Bouffay, la grande place où se donnaient les pardons d'armes. Les seigneurs s'y préparaient au milieu des fêtes, et le peuple ne parlait d'autre chose en se livrant à ses travaux. Depuis trois jours, les bannières héraldiques appendues à diverses fenêtres indiquaient quels étaient les chevaliers qui devaient prendre part à une lutte qui promettait d'être brillante. On attendait le retour du duc, lequel était allé à la chasse dans les environs de Châteaubriant, où il avait fait un pari avec le seigneur du Chaffaut, à savoir lequel tuerait plus de perdrix. Le seigneur du Chaffaut savait la politesse, et le jeune duc revint à Nantes plus heureux de sa victoire sur les perdrix que s'il avait gagné mainte bataille.

Enfin l'heure de la fête approche, la foule encombre les alentours du château de l'Hermine, où se rendent ceux qui doivent faire partie du cortège, car c'est là qu'il va se porter. Le temps s'écoule, un grand bruit de trompettes a retenti dans la cour ducale, le peuple jette un cri de joie ; le pont-levis s'abaisse, on entend le pas des chevaux pesants qui le traverse, voilà le cortège !!!

Au partir du château, tout en premier, sous le commandement du capitaine Ramonet [Note : Ramonet de Boissi est qualifié dans un compte de 1465 du trésorier Landays, capitaine des archers du duc. Il fut ensuite capitaine de Clisson et gouverneur du comté de Montfort. (D. M., Pr.)], s'avancent les archers du duc, hucqués en manteaux d'orfèvrerie, avec jacquette en livrée blanc, noir et violet, à cordellière de fil d'or de Venise, tenant chacun son voulge en bel arroi [Note : Le voulge était une espèce d'épieu armé d'un fer aigu et tranchant d'un côté. C'était l'arme des archers. Les hommes d'armes portaient la lance].

Viennent ensuite les trompettes avec des coiffures de pierreries et de plumes, des habits en toile d'or et d'argent, ayant tous également leurs chevaux caparaçonnés en toile d'or et d'argent. Les cinquante gens d'armes de l'ordonnance du duc suivent, ayant leurs cottes d'armes aux armes de Bretagne, et commandés par le capitaine Jehan Blosset [Note : Jehan Blosset, sr. de Saint-Pierre, chevalier, était en 1461, d'après un compte du trésorier Landays, capitaine des cinquante et une lances de l'ordonnance du duc. Il devint ensuite sénéchal de Normandie, capitaine de cent lances, conseiller et chambellan du roi. Il avait épousé Marguerite de Derval, dont les biens furent plus tard confisqués par le duc]. Après lui se présentent en caracolant, sous les ordres de messire Thomas de Québriac, sr. de Bressé [Note : La charge de grand écuyer de Bretagne était devenue héréditaire dans la maison de Québriac, par suite de la possession de la terre de Bressé, à laquelle cette charge était attachée], premier écuyer des écuries du duc, des coursiers en main, que des chevaucheurs d'écurie, tous vêtus de belles jacquettes d'orfèvrerie, portant un émail aux armes du duc, ont peine à contenir avec les grands cordons d'or, houppés et frangés d'argent et de soie, auxquels ces chevaux ardents sont attachés. Tous ont des ailes, des bonnets garnis de plumes et d'aigrettes, et sous leur riche caparaçon, aux armes ducales brodées d'or et semées d'hermines d'argent, dont les glands d'or traînent à terre, frémissent leurs jambes nerveuses, aux sabots dorés et argentés.

Alors paraissent les archers de la grande garde du corps, commandés par le capitaine Philippe de Malestroit [Note : Philippe de Malestroit était écuyer du duc en 1457. Il fut, en 1458, un des témoins de l'hommage du duc Arthur III au roi de France. Il devint, en 1462, capitaine de Chantocé. En 1464, Ramonet de Boissi le remplaça dans la charge de capitaine des archers de la garde du duc], qui montre à tous sa devise : Quœ numerat nummos, non malestricta domus ; puis marchent les sergents d'armes, tenant et portant leurs masses d'argent pour faire la voie, et les pages vêtus avec élégance, en habits de satin, qui précèdent le fou du duc, M. Denis d'Espinal, entre les fameux fauconniers Marescot et Antoine de la Mandaye [Note : Antoine de la Mandaye figure comme fauconnier, dans un compte de 1462 du trésorier Landays. (D. M., Pr.)], ayant leurs oiseaux sur le poing, et les astrologiens, Messires Nicolas de Poulaine et Arnoul des Mares, tous montés sur de beaux chevaux richement caparaçonnés.

Enfin, voilà le duc de Bretagne lui-même sur un magnifique coursier, lequel, conduit par la belle Antoinette de Villequier, est tenu par une écharpe attachée à la bride. A ses côtés est le charmant Guyot [Note : Il est compris parmi les pages du duc, dans un compte du trésorier Landays de l'an 1460], le page favori du duc. François II a voulu jusqu'à la lice marcher armé de toutes pièces, et son armure dépasse bien en effet toutes les autres en somptuosité. Le cimier de son casque est composé de deux grandes cornes d'argent semées de mouchetures d'hermine, avec un lion d'or assis au milieu d'icelles sur la couronne ducale, le tout appuyé sur un bonnet écarlate retroussé d'hermine et couvrant le casque, qui est d'or. Son armure est recouverte d'une robe de drap d'argent toute semée d'hermines. Une épée au fourreau d'or pend à son côté gauche, et à sa droite est attachée une autre épée plus courte, également à poignée et à fourreau d'or. Son cheval est entièrement couvert d'une toile de drap d'argent, aussi semée d'hermines et soutenue par la tétière à sa bride, laquelle est en tissu d'or. Une plaque d'or couvre le chanfrein, et le cou est garni jusqu'au garot de lames d'or enchâssées les unes dans les autres. Tout derrière le duc est Pierre Landays  [Note : Pierre Landays, devenu ministre tout-puissant du duc, fut arrêté, à l'insu du duc, par les seigneurs et pendu en punition de ses crimes], son trésorier, naguère son simple garde-robier. Tous les seigneurs de la cour du duc marchent après lui, ce dont tout bas murmurent. Là se trouvent le chancelier Guillaume Chauvin [Note : Guillaume Chauvin, chancelier de Bretagne en 1458, fut créé chevalier de l'Hermine en 1466 et mourut en prison, victime de l'injustice et de la haine du trésorier Landays], Thomas de Kerazret le Prévot, Olivier de Quélen, grand maître de l'artillerie, le sire de Bolouy [Note : Jean Tournemine, sr. de Bolouy, chevalier de l'Hermine, grand veneur en 1457], Jean de Rohan, grand fauconnier, le vicomte du Fou [Note : Jean du Quellenec, vicomte du Fou, amiral de Bretagne], Henri de Villeblanche [Note : Henri de Villeblanche, capitaine de vingt-cinq lances, grand maître d'hôtel de Bretagne en 1451], Pierre de la Marzelière [Note : Pierre de la Marzelière, en 1442 chambellan du duc, et en 1449 capitaine de vingt–cinq lances, et du château de Hédé. Il devint ensuite conseiller et chambellan du roi], Jehan du Périer et Jehan de Châteaubriant, Jehan du Fau [Note : Jean du Fau, chambellan du duc, chevalier de l'Hermine en 1454], grand maître des monnaies de Bretagne, Jehan du Cellier, président aux comptes [Note : Jehan du Cellier avait été chancelier en 1457], messire Jehan L'Epervier, sénéchal de Nantes, Tanneguy du Chastel, grand maître de Bretagne [Note : Tanneguy du Chastel, vicomte de la Bellière, chevalier de l'ordre du roi, grand écuyer de France, gouverneur du Roussillon, etc., fut créé par le duc, en 1462, banneret et grand maître d'hôtel de Bretagne. Il ne faut pas le confondre avec le célèbre, prévôt de Paris], portant le bâton haut sur l'épaule, et autres seigneurs et barons, dont le peuple admire les riches costumes et qu'il nomme à mesure que chacun d'eux passe entre les écuyers.

Enfin voilà les chevaliers qui doivent combattre au tournoi. Ils se distinguent par leurs couleurs, leur blason, et surtout par les cimiers de leurs casques, car le casque est la plus noble partie des armes d'un chevalier. Aussi la variété des cimiers excite la curiosité populaire, car c'est surtout par les cimiers que le peuple désigne chaque concurrent dont la visière est baissée ; c'est une aigle éployée d'or ou d'argent, ou au naturel, avec des défenses d'argent, des cornes d'or et d'argent avec panaches, un double éventail d'azur avec un lion ou un loup d'or assis au milieu, un croissant d'or avec une tête de cygne en argent, soutenue par deux anges d'or, une tête de bélier en argent incrustée d'or, une grue ailée, deux sauvages en or ou argent, tenant un joli enfant par la main, une tête d'ours muselée, un dragon ailé d'or, un cerf d'or, une tête de More au naturel avec un turban d'argent, une gerbe de blé d'or attachée par un lien d'argent, de grandes plumes d'or ou d'argent, un faucon d'or, une tête de limier, un sauvage de carnation tenant un lévrier d'argent, une touffe de romarin, un griffon d'or, une tête de femme en or, avec un voile d'argent, une tête de jeune fille en argent, etc. Les cimiers sont pour la plupart en cuir bouilli, ou en carton verni, pour être moins pesants, et attachés avec trois courroies sur le casque.

On remarque, parmi les tenants, Olivier du Chaffaut, Silvestre du Chaffaut, Pierre de la Jaille, Eustache de l'Espinay, Jehan le Bouteiller, Berthelot de la Ville-Eon, Arthur de Thouaré, Jehan de la Tousche, Hector de Mériadec, Jehan l'Enfant, Alain de la Roche, Robert de la Mothe, Jehan de Chevigné, Guillaume du Tiercent, Robert Richer, Eon de Carné, Bertrand Derien, Guillaume du Guiny et quelques autres, dont les chroniques ne révèlent pas les noms [Note : Olivier du Chaffaut, en 1461, au nombre des cinquante et une lances de l'ordonnance du duc. Sylvestre du Chaffaut était écuyer du duc en 1457. Jean de Rostrenen fut un des témoins de l'hommage rendu par François II à Louis XI en 1461, et commissaire en 1462, pour tenir les montres de l'évêché de Rennes. Pierre de la Jaille, écuyer du duc en 1452, et en 1461 au nombre des cinquante et une lances de l'ordonnance. On trouve encore au nombre des cinquante et une lances de l'ordonnance : Eustache de l'Espinay, messire Jehan le Bouteiller, depuis chevalier de l'Hermine, Berthelot de la Villéon, Arthur de Thouaré, Jehan de la Tousche, Hector de Mériadec, depuis capitaine de Carhaix, Jehan l'Enfant, Alain de la Roche et Guillaume du Tiercent. Eon de Carné fut un des commissaires nommés pour informer sur le fait des anoblis ou des personnes indûment imposées aux fouages. Robert Richer était probablement petit-fils d'autre Robert, chevalier, en 1380. Jehan de Chevigné était homme d'armes de la retenue du maréchal de Malestroit. Bertrand Derien et Guillaume du Guiny sont compris au nombre des gentilshommes qui, à l'époque du décès du duc François II, en 1488, reçurent pour vêtements de deuil quatre aunes et demie de drap noir, pour robe et chaperon. (D. M. Pr.)].

Tous sont dans l'équipage le plus somptueux qu'on puisse imaginer, avec les plus belles étoffes, les broderies et les pierreries choisies pour leur ornement, afin de rehausser avec plus de lustre et plus d'éclat le mérite de leurs personnes, mais surtout la galanterie de leur esprit, qui se révèle dans le choix de leurs couleurs, des devises et des bannières que portent les écuyers qui les accompagnent.

La beauté et les harnais de leurs chevaux répondent à cette magnificence. Ils sont ornés de riches caparaçons, ou de bardes couverts d'or et de pierreries avec peinture de blasons. Plusieurs ont des harnais de bandes de broderies, houppes et cordons de soie, rênes et selles de même, mors et étriers dorés et sculptés d'une foule de petits ornements tous plus ingénieux et plus bizarres les uns que les autres, avec les bossettes en orfèvrerie de diamants. D'autres ont le harnais de tête et le poitrail en argent de trait ; ils sont couverts de plaques semées de rubis et de turquoises, avec de grands panaches sur la tête et sur la croupe. D'autres encore ont des harnais éclatants de broderie de cannetille d'or et d'argent, et le chanfrein couvert d'une quantité de plumes ondoyantes où le vent se joue de toute part, tandis qu'un long rameau de pierres précieuses, qui s'étend par­dessus le panache, demeure ferme et résiste à leur violence. Ce rameau de pierreries se balance et reluit de mille couleurs, sous le mouvement moelleux du piaffer du cheval, qui semble fier de cette riche parure, et se carre sous l'assiette solide qui le contient.

Pendant cette marche, les dames se placent sur les échafauds ; à quatre rangs de sièges, couverts par de très-belles tapisseries, élevés sur la place du Bouffay. La chronique dit que les dames sont vêtues en grande liberté, montrant la plupart d'icelles leurs visages colorés, leurs blanches épaules et tous les charmes qui enivrent le chevalier qui les regarde et lui assurent la victoire, quand ce regard est celui de la femme aimée. Tout le peuple qui entoure la lice en groupes pressés entre chaque entrée de la carrière, ne se lasse pas de contempler ces dames si belles et si richement parées, et elles en sont tant glorieuses, que c'est une droite fagerie, comme qui dirait enchantement. Mais aussi la même chronique ajoute que la plupart sont formées avec de telles perfections, qu'elles rappellent le temps où les dames mettaient les dieux en jalousie avec les hommes en leur faisant trouver le séjour de la terre préférable à celui du ciel.

Quand le cortège arrive et que chaque chevalier les salue de sa lance, leur orgueil de beauté s'accroît encore, quoiqu'elles soient un peu en crainte, les unes pour un combattant, les autres pour un autre.

Enfin le duc de Bretagne vient avec sa cour se placer au milieu de cette corbeille de beautés, et tout se prépare pour le tournoi, pendant que de nombreux maîtres d'hôtel sous la direction de Jehan de Rieux et de Jehan de Domaigné, écuyers porte-plats, ayant chacun un bâton d'or avec hermines d'argent, vont, par les ordres de leur royal maître, offrir des rafraîchissements aux dames, dans des tasses d'or et d'argent godronnées, travaillées magnifiquement en orfèvrerie par Hacquinet et Pierre Lelong, habiles ouvriers nantais, ciselées et gravées par Charles de May.

Là, paraissent sur de somptueux échafauds les trois duchesses douairières de Bretagne, Isabeau, Françoise et Catherine. Là, sont les deux filles de la duchesse Isabeau, portant les riches costumes de leur mariage, à savoir, Marguerite et Marie de Bretagne ; Marguerite, l'épouse délaissée du duc, a la tête couverte d'un cercle d'or enrichi de pierreries, elle portait un corset de velours cramoisi fourré d'hermines, avec une grande robe traînante à flammes d'or sur un fond cramoisi. Elle avait pour dames d'atour Madame de Penhoët, en corset écarlate, et Madame de Kaër [Note : Femme de Jean de Malestroit, sire de Kaër, qui devint, en 1444, chevalier de l'Hermine, et en 1457 grand-maître d'hôtel de Bretagne].

Avant de prononcer l'ouverture du tournoi, le héraut d'armes Bretagne, qui se tient auprès du duc, en son somptueux costume herminé, indique à haute voix, en s'adressant aux dames, les bannières que les écuyers viennent de planter autour de la lice et appartenant aux chevaliers qui vont combattre, afin que s'il y eût nul qui ait des dames médit, elles descendent pour toucher sa bannière, que les juges le déclarent incapable de fournir sa course, et qu'il soit bien battu par les estafiers, en étant mis hors de la lice ; que ses épaules s'en ressentent de manière à ce qu'une autre fois il ne parle pas honteusement des dames ; ou, s'il n'est pas chassé de la lice, que les sangles de son cheval soient coupées, qu'on l'enlève avec sa selle et qu'on le place ainsi à califourchon sur les barres de la lice, en ne souffrant pas qu'il en descende avant la fin du tournoi, de façon à amuser fort les dames et surtout les demoiselles ; à moins que le chevalier félon ne se rachète de ses forfaitures en criant à haute voix : Merci ! aux dames, en expiation d'en avoir vilainement médit, jurant à l'avance de n'en jamais dire de mauvaises paroles. Cette fois, rien de semblable n'a lieu ; tous les chevaliers n'ont que bien parlé des dames, et tous sont admis à courir.

Le tournoi commence. Les chevaliers quittent leurs élégants destriers pour monter leurs chevaux de combat. Ceux-ci marchent si rudement le long des lices avec leurs pesantes armures, que sous leurs pieds semble que le terre doit profonder. Le sol en tremble jusqu'au rivage, et la Loire elle-même s'en émeut en agitant ses flots.

C'est dans cette première course que de toutes parts ; on cherche à distinguer les plus beaux hommes d'armes qui vont se mesurer de coeur et de force. Chaque cavalier s'emploie à l'envi à montrer sa grâce et son aplomb, pour les faire voir des jolies châtelaines, car elles n'excusent pas la mauvaise grâce de ceux qui entrent en lice, puisqu'ils ne peuvent y paraître que pour être agréables aux dames. Et si, en effet, paraît quelque geste du tenant qui ne soit pas de bonne grâce, soit avant la course, soit pendant icelle, la risée s'en fait généralement parmi elles. Les châtelaines sont rieuses et moqueuses, cela tient à leur espèce, Dieu ayant fait ainsi le sexe. Elles ne souffrent pas l'image d'un vilain, qui ne sait que faire de lui-même. Elles aiment à contempler un noble chevalier, pour leur donner du plaisir, exécutant avec hardiesse et de bonne façon tout ce qu'il entreprend, sans demeurer court, étant certain que les belles et gentilles prennent davantage de plaisir à voir un galant chevalier commencer, continuer et finir une belle course, sa lance ferme dans la main, avec gaillardise à l'arrêt, que de considérer un mauvais gendarme mal placé sur son cheval, mal partant, la lance branlante et vacillante. Et quand elles regardent les vrais hommes d'armes de la main et du cœur, se chargeant avec furie sur des chevaux pleins de fougue, cela met en appréhension les pauvrettes, aussi bien qu'elles rient de pitié du faible et du lâche. Et pourtant ces pauvres chevaliers, contenus dans leur armure de fer, ne peuvent hausser, tourner la tête, ni remuer l'épaule gauche [Note : Au XVème siècle, on abandonna le bouclier, et pour fortifier la partie gauche de la cuirasse, plus exposée aux coups, on agrandit l'épaulière de gauche et on la renforça par des saillies en arêtes, appelées passe-gardes. La partie droite de la cuirasse était munie d'un arrêt fixe appelé faucre, sur lequel l'homme d'armes couchait sa lance. Souvent elle était munie d'une rondelle de fer, ou petit bouclier, qui préservait la main, le bras et même l'aisselle. On voit à Paris, au Musée d'artillerie, un spécimen de cavalier ainsi équipé] ; seulement, il leur reste le mouvement depuis le coude, pour pouvoir arrêter le cheval.

Les voilà qui se mêlent et se frappent furieusement ; on n'entend que les coups portés sur les harnais l'un de l'autre. La lice retentit du cliquetis des armes, du son des trompettes, du hennissement des chevaux, de la voix des chevaliers qui menacent, du cri des écuyers qui crient chacun les cris de leurs seigneurs, des acclamations de la foule, qui s'émeut des chances diverses de la lutte.

Le tournoiement devient plus bruyant encore, les frênes des lances volent en éclats, chacun s'échauffe en son harnais, on met la main aux épées, on se fatigue à force de coups, on se renverse à terre. Les chevaux, échappés, légers de n'avoir plus leurs pesants maîtres, ayant rompu leurs rênes, s'échappent en s'ébattant. Les chevaliers se tiennent corps à corps, ils s'animent d'une vraie colère, et la réalité remplacerait le jeu d'armes, si le duc, dessus son échafaud, voyant les combattants trop animés, n'ordonnât à Bretagne de les séparer.

A son geste, les hérauts se précipitent dans l'arène au milieu des combattants. Tout rentre dans l'ordre, la chamaille cesse, et alors ont lieu des combats deux à deux, à la suite desquels de brillants prix sont décernés de la main des dames.

Alors les acclamations éclatent avec de nouvelles forces. On ne saurait dire la quantité innombrable de monde qui assiste à ce spectacle et l'ordre excellent qu'on y apporte, en sorte qu'il n'y a aucune confusion ; la multitude de dames si bien parées et si enrichies de brillants, qu'on peut juger que tout ce qu'il y a de richesses dans le monde a été employé à leur ornement ; ces troupes de chevaliers et de chevaux qui bondissent, à l'admiration des spectateurs ; cette quantité d'habits et de caparaçons avec tant de variété ; ce grand nombre de lances, de banderolles et de panaches de toutes couleurs ; cette diversité d'emblèmes que portent les écuyers, l'éclat des étoffes, de l'or, de l'argent, du pourpre, de l'azur et des pierreries, ne peut être imaginé qu'avec peine. On ne saurait aussi représenter le contentement de l'âme au même instant, au son d'un nombre infini d'instruments et au bruit éclatant des trompettes, tout cela mêlé avec les acclamations du peuple, avec le hennissement des chevaux, avec les redites et réponses réitérées de l'écho, c'est un plaisir, un contentement indicibles.

Après le tournoi, une scène de gaîté vient exciter une joie universelle. Deux troupes de malins pages, d'une part, en costumes de femmes, et de l'autre en jeunes écuyers, s'avancent à cheval dans la lice, chacun ayant à la main un panier doré où sont des oeufs pleins d'eau de senteur, dont ils font des charges en façon de carrousel.

La fête est terminée par un ballet de six chevaliers et de six écuyers, à la cadence de la musique.

La figure d'entrée est de six chevaliers, les six écuyers après, au pas et à courbettes ; la seconde un tour au pas en rond, et un autre à courbettes ; la troisième deux demi-voltes à courbettes, les écuyers un tour au galop ; la quatrième deux passades à courbettes, et les écuyers deux voltes terre à terre ; la cinquième deux voltes à courbettes, et les écuyers deux voltes terre à terre ; la sixième trois chevaliers au milieu du rond, les trois autres allant et venant à courbettes de côté, les écuyers après faisant une volte et demie à terre, chacun autour de son chevalier. A la septième entrée, les chevaliers partent vis-à-vis l'un de l'autre, et font une volte en changeant de compagnon, deux à deux, puis une demi-volte, retournant chacun à sa place, toujours à courbettes ; ensuite les écuyers s'entrelacent en faisant une chaîne terre à terre. Pour la huitième, pendant que les écuyers font la chaîne, les chevaliers reprennent leur rang, et allant vingt pas à vingt courbettes, ils font une belle figure, et puis les écuyers en font une où l'adresse n'est pas moindre ; alors ils reprennent la même suite, et se trouvant en bon ordre et en belle figure, ils se retirent continuellement au pas et à courbettes. Ce beau ballet est admiré de tout le monde.

Un tournoi eut lieu à Compiègne en 1238 à l'occasion de l'hommage rendu par Thomas de Savoye, comte de Flandre, et par la comtesse Jeanne, son épouse, au roi de France Louis IX. Le comte d'Artois y fut représenté par vingt-quatre de ses plus braves et de ses plus nobles chevaliers. Une foule de seigneurs venus de toutes les parties de la France y prirent part. Parmi eux, on distinguait les chevaliers bretons dont les noms suivent [Note : Le tournoi de Compiègne, par M. Goethals. — Revue nobiliaire, mars 1866] :

1.    Le sire de Lohéac portait un écu vairé.

2.    Le seigneur de Diernal (de Derval) portait d'argent à deux fasces de gueules, brisé d'un écusson de gueules du côté dextre en chef.

3.    Aubert le Sénéchal portait un écu d'or, au chef de gueules, à 2 pals vairés.

4.    Guy de Mathefelon portait d'or à 6 chevrons de gueules, au lambel d'argent à 3 pendants en chef.

5.    Henri Dorrays (peut-être d'Auray) portait de gueules à 2 pals de vair, au chef d'or, chargé en chef d'un lambel d'azur à 5 pendants.

6.    Aimery Bières portait un écu d'or, au lion de gueules, couronné, armé et lampassé d'azur, à la bordure de sable, chargée de besants d'argent.

7.    Olivier de Rougy (de Rougé) portait de gueules à la croix d'argent.

8.    Olivier de Montauban portait un écu de gueules, à dix macles d'or en pal, brisé d'un lambel d'argent à 3 pendants en chef.

9.    Helvins de Balains (Hervé de Blain) portait de vair au croissant de gueules.

10.  Guillaume le Nuz portait d'azur au besant d'or.

11.   Roland de Dinan portait un écu de gueules, à fasce de 3 fuseaux d'hermines entiers et deux demis, accompagnée en chef de 4 besants d'hermines, et en pointe de 3 besants de même 2 et 1, brisé en chef d'un lambel d'azur à 4 pendants.

12.  Pierre de Tournemine portait un écu écartelé d'or et d'azur.

13.  Godefroy de Chastel-Bruant (Geoffroi de Châteaubriant) portait de gueules au chef d'argent.

14.   Helvins de Léons (Hervé de Léon) portait un écu d'argent, au lion de sable, armé et lampassé de gueules.

15.   Payes de Malestraus (Payen de Malestroit) portait un écu de gueules à 12 tourteaux d'or mis en pal.

16.   Guy de la Roche (de la Rochebernard) portait un écu d'or à l'aigle de sable.

17.  Jean Boterians (peut-être Boutier, en latin Boterius, Buterius, Boteri) portait un écu d'argent, au chef de gueules, chargé d'un lambel à 5 pendants d'argent.

18.  Henri de Nancoué (ce nom est inconnu en Bretagne) portait un écu d'argent au chef de gueules, chargé d'une demi-poire d'or.

Nous ferons, au sujet des personnages précédents, les observations suivantes : les sires de Lohéac et de Derval sont probablement Eudes de Lohéac et Guillaume de Derval, qui figurent avec Roland de Dinan, Hervé de Blain, Geoffroi de Châteaubriant, Hervé de Léon et Payen de Malestroit, tous tenants du tournoi, dans l'acte de fondation en 1225 de la ville de Saint-Aubin du Cormier. Nous trouvons dans les planches de l'Histoire de Bretagne de D. Morice, le sceau d'Hervé de Blain, chevalier, en 1277, fils du précédent, qui portait, comme lui, de vair au croissant de gueules.

Le nom de Bières n'est mentionné qu'une fois dans les Preuves de D. Morice ; Raginaudus de Bieri figure, comme témoin, dans l'acte de fondation du prieuré de Châteauceaux, vers l'an 1040.

Le nom de Dorrays est inconnu en Bretagne, à moins qu'il ne faille lire d'Auray, qui est le nom d'une ville de Bretagne. En 1254, Cunégonde, dame d'Auray, épousa Rivoalon, baron de Vitré. Une autre famille du même nom a produit, en 1436, un maître de la vénerie du duc, dans la personne de Jean d'Auray.

Olivier de Rougé se croisa en 1248. Roland de Dinan est qualifié chevalier dans une charte de l'abbaye de Beauport de 1242.

Geoffroi de Châteaubriant, qui suivit saint Louis en Égypte, portait dans son écu un papelonné d'or, avant que ses armes n'eussent été, suivant la tradition, modifiées par saint Louis, qui lui permit d'y substituer les fleurs de lys de France, comme récompense de la bravoure qu'il avait montrée au combat de la Massoure. Geoffroi de Châteaubriant, qui figure au tournoi de Compiègne, et qui portait de gueules au chef d'argent, pourrait donc être un personnage différent. Au reste à cette époque les sceaux étaient très-variables ; on trouve souvent les chartes d'un même seigneur scellées de sceaux différents.

Guy de la Roche appartenait à la maison de la Roche-Bernard, dont les seigneurs sont souvent désignés dans les anciens titres, par le seul nom de la Roche. Ainsi, dans un acte de donation faite à Saint-Gildas, environ vers l'an 1199, figure Oliverius, dominus Rochœ, nom que D. Morice traduit par : Olivier, sr. de la Rochebernard.

Il existe en Bretagne plusieurs familles du nom de Nuz, ou le Nuz, mais aucune d'elles ne porte les armes indiquées comme étant celles de Guillaume le Nuz.

Les trois familles du nom de le Sénéchal qui existent en Bretagne portent des armes différentes d'Aubert le Sénéchal, qui prit part au tournoi de Compiègne. L'une d'elles, à laquelle nous présumons qu'appartenait Aubert le Sénéchal, était un ramage de celle de Rohan, dont un des seigneurs avait donné autrefois à un de ses juveigneurs l'office héréditaire de sénéchal féodé de la vicomté de Rohan.

Jean Boterians, ou Boteriaus, car il est facile de prendre l'u pour l'n, pourrait appartenir à la famille Boutier, en latin : Buterius, Boterus, Boteri, Botier, famille distinguée de Bretagne, qui est connue depuis Thomas Boteri, qualifié miles, dans une charte de l'an 1133.

Le nom de Nancoué nous est inconnu.

La maison de Tournemine est une des plus illustres de Bretagne. Pierre Tournemine, dont il a été précédemment question, était fils d'Olivier Tournemine, sr. de la Hunaudaye, qui vivait en 1214.

M. Goethals a aussi donné, dans le numéro de septembre 1866 de la Revue historique et nobiliaire, la description d'un tournoi, qui eut lieu à Cambray le 27 mai 1267, à l'occasion du mariage de Jean, duc de Brabant, avec Marguerite de France, fille de saint Louis. Le roi d'armes Gilbert, chargé de faire l'histoire du tournoi, s'en acquitta soigneusement et orna son travail d'un grand luxe de miniatures. Un seul seigneur breton prit part à ce tournoi, ce fut Raoul, sr. de Rieux, qui portait un écu d'azur à 10 besants d'or 3, 3, 3 et 1 ; son cimier était une roue de gueules.

Les noms que M. Goethals donne dans la description de ces deux tournois montrent qu'au XIIIème siècle les seigneurs les plus qualifiés, ou les chevaliers seuls, paraissaient dans les tournois, usage qui disparut au siècle suivant.

Bertrand du Guesclin ne fut pas seulement le plus grand capitaine des temps féodaux, mais encore un rude jouteur. En 1338 eut lieu le mariage de Jeanne de Penthièvre, duchesse de Bretagne, avec Charles de Châtillon, comte de Blois, neveu du roi de France. A cette occasion, un grand tournoi fut donné à Rennes, sur la place des Lices. Bertrand était alors âgé de dix-huit ans. Le seigneur du Guesclin se rendit à Rennes en somptueux équipage, laissant son fils au château, car il avait emmené tous les chevaux, de sorte que Bertrand, qui ne voulait pas manquer l'occasion d'assister à de si belles fêtes, n'eut d'autre ressource que de prendre une jument de haras, avec laquelle il se rendit à Rennes.

Dans ce triste équipage, il se mit dans la foule des spectateurs, qui, ignorant sa naissance, ne lui épargnaient pas les quolibets et les railleries, car le pauvre Bertrand ne payait pas de mine, et sa monture n'était pas propre à lui attirer beaucoup de compliments. Il souffrait toutes ces moqueries en silence, et contemplant les belles et nobles dames si richement parées, placées sur les échafauds qui entouraient les lices, il faisait un triste retour sur sa laideur et pensait qu'il ne pourrait jamais être aimé des dames, ni avoué par aucune d'elles pour son chevalier. Mais bientôt il est distrait de ces tristes pensées par les trompettes qui se font entendre ; les tournoyants s'avancent dans toute la pompe féodale, revêtus d'armures brillantes, leurs chevaux caparaçonnés de drap d'or et d'argent, et accompagnés d'une foule d'écuyers et de pages. Les acclamations des spectateurs se font entendre, les hérauts crient Honneur aux fils des preux ! et le tournoi commence.

Bertrand était attentif à toutes les phases de la lutte, se désespérant de ne pouvoir y prendre part, lorsque sa bonne fortune le servit à son gré et lui procura un moyen inespéré d'entrer dans la carrière. Il vit un gentilhomme qui, ayant fini les courses fixées par les juges du camp, quittait les rangs pour rentrer à son hôtel. Bertrand le suivit, monta dans sa chambre et se jeta à ses genoux, le conjurant de lui prêter son cheval et ses armes, pour qu'il eût l'honneur d'entrer dans la lice ; il se nomma et lui jura qu'il serait éternellement reconnaissant d'un semblable service. Ce gentilhomme, ravi de voir une si grande ardeur dans un jeune homme, accéda à sa demande, l'arma lui-même et ordonna qu'on lui donnât un cheval frais au plus vite. Bertrand, plein d'ardeur et de reconnaissance, vole vers la place des Lices, entre la visière baissée dans les rangs et fait signe à un des tenants qu'il veut se mesurer avec lui. Il était permis à ceux qui voulaient rester inconnus de se présenter la visière baissée, mais avec l'obligation de se faire connaître aux juges du tournoi.

Le défi de notre jeune écuyer est accepté, les trompettes sonnent, et les deux champions courent à bride abattue l'un contre l'autre. Dès le premier coup de lance, Bertrand enlève la visière de son adversaire, ce qui était le chef-d'oeuvre de ce genre de combat, où il était d'ordonnance que le casque ne fût pas attaché, et du même coup il heurta si violemment le cheval, qu'il le renversa avec son cavalier dans la poussière. Le chevalier voulut avoir sa revanche, mais, n'ayant pas été plus heureux, il se retira.

Le seigneur du Guesclin, qui était un des tenants, sortit des rangs pour fournir la seconde course au vainqueur. Bertrand se présenta pour la soutenir ; mais, reconnaissant son père à sa cotte d'armes, il s'arrêta tout court, baissa sa lance et fit une profonde inclination à son adversaire. Cette action surprit toute l'assemblée, et on pensa que c'était un effet de la réputation que le seigneur du Guesclin s'était acquise dans les joutes.

Un troisième combattant se présenta pour venger la défaite du premier et éprouva le même sort. Du premier coup, le jeune homme lui enleva son casque, qui tomba douze pieds plus loin, et renversa de dessus son cheval.

Enfin Bertrand, toujours inconnu, fournit quinze courses pareilles avec le même succès et donna à toute l'assemblée tant d'admiration et d'impatience de savoir qui il était qu'on engagea un seizième champion à se mettre sur les rangs. C'était un chevalier de Normandie, généralement renommé par sa force et son adresse. Le défi ayant été accepté, au signal donné, les combattants courent l'un contre l'autre. Le chevalier justifia bien la confiance qu'on avait dans son adresse, car du premier coup de lance il parvint à lever la visière du jeune écuyer ; mais celui-ci, passant près de lui, lui jeta le bras gauche autour du corps, et l'enlevant de dessus la selle, il le renversa sur le sable.

Robert du Guesclin, à l'aspect du visage de son fils, fut frappé de surprise et pénétré d'attendrissement en le voyant se signaler dans la carrière des armes par un début aussi brillant. Il l'embrassa avec des larmes de joie. Son oncle et sa tante, qui avaient assisté au tournoi, partagèrent son bonheur. Tous les spectateurs étaient ravis d'admiration, et Bertrand, proclamé vainqueur d'une voix unanime, remit le prix des joutes, qui était un cygne d'argent de grandeur naturelle.

Dès ce moment, son père lui donna un équipage convenable, et le mit à même de continuer avec honneur la carrière des armes, à laquelle sa naissance le destinait [Note : Vie de Bertrand du Guesclin, par MM. de Fréminville et Guyard de Berville].

Peu de temps après, survint cette terrible guerre entre Charles de Blois, neveu du roi de France, que le parlement de Paris avait déclaré duc de Bretagne, du chef de sa femme, Jeanne de Penthièvre, et Jean, comte de Montfort, son oncle, qui prétendait au duché, comme dernier descendant mâle des souverains bretons. Du Guesclin embrassa le parti de Charles de Blois, et se distingua bientôt dans maintes rencontres contre les Anglais, alliés de Montfort.

En 1351, plusieurs gentilshommes bretons, parmi lesquels on remarquait le maréchal de Beaumanoir, Martin de Fléchières, Yves Charruel, le sire de Penhoët, Bertrand du Guesclin et Bertrand de Saint-Père [Note : La maison de Saint-Père est différente de celle de Saint-Pern], s'embarquèrent au port du Blavet pour conduire en Angleterre les deux enfants de Charles de Blois, qui devaient servir d'otages au roi d'Angleterre pendant que leur père viendrait en France, afin d'y chercher l'argent nécessaire pour payer sa rançon.

Le roi d'Angleterre, pour faire fête aux ambassadeurs bretons, ordonna des joutes et les invita à y prendre part. Les Bretons, connaissant la jalousie des Anglais, ne se souciaient pas d'entrer en lice dans un pays où ils avaient toutes sortes de désavantages, mais enfin ils se rendirent aux instances du roi, qui leur promit que, quelque événement qui pût arriver, il n'en serait point mécontent. Sur cette assurance, Beaumanoir, Charruel, Fléchières, Geoffroi de Dinan, Henri de Plédran, Pierre du Boisbouëssel, Bertrand du Guesclin et Bertrand de Saint-Père, s'armèrent, joutèrent contre les Anglais, rompirent leurs lances et remportèrent le prix du tournoi.

Mais il advint qu'il y fut tué un Anglais qui était favori du roi, ce qui lui déplut tellement, qu'il fit cesser les joutes et que les Bretons comprirent qu'ils n'étaient plus en sûreté. Le roi leur proposa une trève en leur promettant de la jurer ; mais aucun ne voulut répondre, de crainte d'offenser le roi. Alors Bertrand du Guesclin, qui était encore jeune homme, s'avança et dit résolument au roi qu'ils garderaient la trève comme il la garderait lui-même et que, s'il venait à l'enfreindre, ils l'enfreindraient aussi. Le roi fut fort irrité de ce qu'on semblait douter de sa parole, et qu'un simple gentilhomme osât le traiter comme son égal. Il aurait même fait un mauvais parti à du Guesclin, si Yves Charruel, pour calmer le roi, ne s'était avisé de lui dire que leur camarade avait la cervelle légère, et que, dans leur compagnie, on le regardait comme un plaisant dont on avait coutume de se divertir. Le roi parut se contenter de cette excuse et les laissa repartir, après qu'ils eurent remis entre ses mains les deux enfants de Charles de Blois pour otages [Note : D. Morice, Hist., T, 1. — D'Argentré, p. 395].

En 1367, époque ou Bertrand du Guesclin était en Espagne la tête des grandes compagnies, se trouvait en Portugal un écuyer breton du nom de la Barre [Note : M. de Fréminville, qui décrit cette joute dans son Histoire de du Guesclin, ne fait pas connaître le prénom de la Barre ; mais ce la Barre pourrait bien être Jean de la Barre, dont on trouve dans les Preuves de D. Morice la quittance suivante : " Sachent tuit que je Johan de la Barre, escuier de Bretagne, confesse avoir eu et receue de Philippe de Saint Père, commis à recevoir et distribuer les deniers ordonnés estre baillez à Monsieur de Craon, lieutenant du Roy nostre sire, ès pays d'Anjou, du Maine, de Touraine, et aux gens d'armes estant sous son gouvernement, la somme de quarante francs d'or, sur les gages de moi vingtième combattant deservis et à deservir dans la compagnie de Monsieur Johan de Champagné, pour la garde des pays d'Anjou et du Maine, esquiels ledit Monsieur de Craon m'avait ordonné demourer jusqu'à son retour du pays de Guyenne, où il estoit allé par devers le prince de Galles. Desquels quarante francs d'or je me tiens bien payé et en quitte ledit Philippe. En tesmoin de ça je ay scellé cette quittance de mon propre scel le 29 jour de juillet 1363. Le sceau représente une fasce chargée de 3 étoiles, et accompagnée de 3 croissants, 2 en chef et 1 en pointe "]. Il passait pour un rude jouteur ; mais l'avantage qu'il remporta dans un tournoi sur Mathieu de Gournay, un des plus fameux champions d'Angleterre, que l'on disait n'avoir jamais trouvé de rivaux dans une joute, augmenta beaucoup sa réputation.

Mathieu de Gournay, chevalier anglais, un des chefs des grandes compagnies, avait été envoyé par du Guesclin, comme ambassadeur, au roi de Portugal, pour savoir au juste où en étaient les négociations entre D. Pedro et ce souverain. Il fut bien accueilli par le roi de Portugal, qui même l'admit à sa table. Le repas fut égayé par des joueurs d'instruments, mais leurs concerts ne plurent pas à Mathieu de Gournay, qui n'était pas fait à ces sortes de cacophonies, dont les sons étaient si discordants qu'ils lui écorchaient les oreilles. Il ne put dissimuler le peu de goût qu'il prenait à cette grossière symphonie, disant qu'en France et en Angleterre la musique avait bien plus de charmes, et que les instruments y étaient touchés avec beaucoup plus de délicatesse. Le roi fit entendre qu'il avait deux hommes de réserve, qui n'avaient point leurs semblables au monde dans cet art, et que lorsqu'il les aurait entendus, il en serait tellement enchanté, qu'il conviendrait que dans toute l'Europe personne ne pouvait enchérir sur le talent qu'ils avaient d'enlever le cœur par les oreilles. Le chevalier témoigna qu'il serait heureux s'il pouvait avoir ce plaisir.

Ce prince les fit appeler. Ils entrèrent dans la salle avec une fierté qui surprit Mathieu de Gournay, car outre qu'ils étaient vêtus comme des princes, ils avaient derrière eux chacun un valet qui portait leurs instruments. Ce chevalier s'attendait à quelque chose de fort rare, mais il ne put se tenir de rire quand ils commencèrent à jouer comme ces vielleurs qui vont en France par les villages, quémander par les tavernes et les cabarets [Note : M. de Fréminville, qui rapporte cette histoire en donnant le récit du théologal d'Arras, fait à ce sujet la réflexion qu'en France, au XIVème siècle, les ménestrels jouaient déjà du violon, de la viole et de la flûte, tandis qu'en Espagne et en Portugal on ne faisait alors usage que des instruments empruntés aux Maures et aux Arabes, tels que trompettes, timbales, cimbales et cornets. Il n'est donc pas surprenant que Mathieu de Gournay, qui avait séjourné en France, ne trouva pas le concert portugais à son goût].

Le roi voulut savoir le sujet de sa raillerie, mais ce prince fut encore bien plus déconcerté quand ce chevalier l'assura que ces instruments étaient le partage des aveugles et des gueux, à qui l'on donnait l'aumône quand ils avaient joué deux ou trois fois de la sorte que venaient de faire ces deux hommes, qu'il estimait tant. Il en eut tant de confusion, qu'il jura qu'il ne s'en servirait plus. En effet, il leur donna leur congé pour le lendemain, ne voulant plus retenir à sa cour de ces sortes de gens qui lui faisaient affront devant les étrangers, qui seraient capables de le tourner en ridicule quand ils diraient partout que le roi de Portugal n'avait point de plus agréable concert, ni de plus charmant plaisir que d'entendre des vielleurs, qui sont partout ailleurs si communs et si méprisés dans tout le reste de l'Europe.

Le bon prince se consola de cette petite humiliation, dans l'espoir qu'il serait peut-être plus heureux le lendemain au tournoi qui devait avoir lieu. Il se flatta que la magnificence qu'il déploierait, le nombre, la bravoure et l'adresse de ses chevaliers, donneraient au dédaigneux Anglais une haute idée de la splendeur de la cour de Portugal. Il l'invita donc non-seulement à assister à ce tournoi solennel, mais il le pressa encore d'y prendre part lui-même, espérant secrètement que Mathieu pourrait être vaincu par un de ses sujets, et qu'à son tour il lui faudrait rabattre de son orgueil britannique. Il mit tant d'insistance dans sa prière, que le chevalier qui, d'ailleurs, était bien aise de faire paraître en si belle occasion sa vigueur et son adresse, mit de côté pour un moment sa dignité d'ambassadeur et consentit à participer aux joutes.

Elles eurent lieu le lendemain, en présence de toute la cour et avec toute la pompe imaginable. Le bruit s'étant promptement répandu qu'un chevalier anglais des plus célèbres devait y prendre part, une foule immense y accourut pour être témoin de ses faits d'armes. Le prix du tournoi était une mule superbe estimée cent marcs d'argent, richement caparaçonnée, et dont la selle était en ivoire avec le harnais d'or. Les courses eurent lieu de grand matin, pour éviter la chaleur du jour. Il y eut, dit la chronique, force casques, force écus brisés, et nombre de chevaliers jetés sur la poussière ; mais Mathieu y fut toujours vainqueur et désarçonna coup sur coup douze chevaliers portugais qui avaient voulu se mesurer avec lui.

Le roi de Portugal se désolait de voir ainsi toutes ses espérances trompées et ses chevaliers si gaillardement culbutés sous les rudes atteintes du chevalier anglais. Il pensait avec confusion que celui-ci en quittant sa cour, n'en parlerait qu'avec mépris, et raillerait autant la valeur des Portugais que leur pauvre musique. Tout à coup il se souvint qu'il avait depuis quelque temps à son service un écuyer français natif du duché de Bretagne, et qui avait la réputation d'être aux armes d'une adresse incomparable, qualité à laquelle il unissait une force physique telle que personne ne pouvait lutter contre lui. Il l'envoya chercher aussitôt, et lui montrant l'Anglais que déjà toutes les dames proclamaient vainqueur avec de grands applaudissements, il lui demanda s'il se sentait le courage de s'éprouver contre lui. Lors, dit le manuscrit de d'Estouteville, demouroit avec le roy, un Breton de grande renommée qui estoit nommé la Barre, lequel estoit grand et fort, et avoit dure eschine, les poings gros et quarrez, et de grosse taille par les bras et par les jambes ; que ledit roy appela et lui dist : « Vous avez renommée en Bretaingne et ailleurs en maint pays, d'être preux et hardy. Aurais-tu la char si hardie que tu osasses jouster contre cet Englaiz ? ». Et la Barre lui répondit : « Sire, par la Vierge Marie, s'il me doit tuer de une lance, je jousteroy je à lui s'il vous plaist ». — « Oyl, » dist le roy, puis le fist armer et monter suffisamment.

La Barre, bien armé et monté sur un bon coursier d'Andalousie, se présenta fièrement dans la lice la visière baissée et une forte lance au poing ; il défia Mathieu de Gournay, qui, fier d'avoir successivement vaincu tous ses rivaux, et se préparant à recevoir le prix du tournoi, regarda d'un air méprisant l'arrogant inconnu qui osait se présenter pour le lui disputer. Persuadé qu'il le vaincrait aussi facilement que tous les autres tenants, il accepta son défi sans balancer. Tous les spectateurs redoublèrent d'attention et de curiosité pour cette dernière course ; la réputation de la Barre d'un côté, de l'autre les exploits que l'Anglais venait de faire aux yeux de tous, les tenaient en suspens sur l'issue du combat. Leur incertitude ne fut pas longue ; le signal fut donné et les champions coururent l'un sur l'autre. Le vigoureux la Barre atteignit son adversaire si à plein et avec tant de force qu'il lui fit vider les arçons. La chute de Mathieu fut si lourde qu'il se cassa le bras et demeura à terre tout étourdi. Le roi, très-satisfait de sa défaite, n'osa pas cependant trop faire éclater sa joie, par égard pour le caractère diplomatique dont le chevalier anglais était revêtu. Il recommanda qu'on allât vite le relever, et voulut même que le prix du tournoi lui fût adjugé pour le consoler de sa disgrâce et puisque d'ailleurs il avait été si près de l'obtenir. Mathieu fut transporté dans le palais et les chirurgiens du roi lui remirent le bras et le soignèrent jusqu'à ce qu'il fût en état de retourner à Séville, où se trouvait le roi D. Henri.

En arrivant à la cour de ce prince avec son bras en écharpe, on lui demanda quel accident lui était arrivé. Mathieu raconta son aventure. Du Guesclin, qui était présent, lui en fit son compliment de condoléances, mais fut ravi au fond du coeur en apprenant que c'était un de se compatriotes qui avait puni la vanité de l'Anglais.

Les rois et les princes seuls donnaient des tournois, mais les pas d'armes, les emprises ou entreprises d'armes, les castilles, offraient encore à la noblesse l'occasion de montrer sa valeur.

Le pas d'armes consistait dans l'attaque d'une place ou d'un endroit que des chevaliers entreprenaient de défendre, par exemple un pont, un chemin, par lequel on ne pouvait passer sans combattre celui qui le gardait. Les gentilshommes qui défendaient le pas pendaient leurs écus à des arbres, à des poteaux, ou à des colonnes élevées pour cet usage, et quiconque était disposé à disputer le passage touchait une de ces armoiries de son épée, ce qui était un cartel que les autres étaient obligés d'accepter. Le vaincu donnait au vainqueur le prix dont on était convenu avant le combat.

On appelait encore pas d'armes le combat ou défi qu'un tenant seul, accompagné de plusieurs gentilshommes, offrait dans les tournois contre tous venants. Le tournoi où Henri II fut blessé à mort, en 1559, était un pas d'armes, puisqu'il est écrit dans les lettres de cartel que le pas est ouvert par Sa Majesté Très-Chrétienne pour être tenu contre tous venants dûment qualifiés.

Les emprises ou entreprises d'armes étaient des engagements que prenaient des gentilshommes de porter sur eux certaines marques, en général attachées par la main de leurs dames, jusqu'à ce qu'ils eussent accompli les voeux qu'ils avaient formés et qu'ils eussent été délivrés de leurs emprises par d'autres chevaliers ou écuyers qui acceptaient le combat.

Jean, duc de Bourbon, pour éviter l'oisiveté, acquérir de la gloire et les bonnes grâces de sa dame, fit voeu en 1414, avec seize autres chevaliers et écuyers de nom et d'armes, de porter pendant deux ans, tous les dimanches, à la jambe gauche, un fer de prisonnier, savoir en or pour les chevaliers et en argent pour les écuyers, jusqu'à ce qu'ils eussent trouvé un pareil nombre de chevaliers et d'écuyers pour les combattre.

Le mot Castille, qui s'est conservé dans le langage familier pour signifier une dispute ou querelle, vient du mot latin castellum, qui signifie château. Ce jeu militaire consistait dans l'attaque d'un château, mais il était beaucoup moins en usage que les tournois et les pas d'armes.

Les plus célèbres pas d'armes sont ceux qui portent les noms de pas de l'Emprise de la gueule du Dragon, du château de Joyeuse-Garde, de la Bergère, de la Pèlerine, de l'arbre de Charlemagne, de la Fontaine des pleurs. On trouvera la description de la plupart de ces pas d'armes dans les Mémoires d'Olivier de la Marche.

René d'Anjou, roi de Sicile, qui se consolait de la perte de ce royaume en cultivant la peinture et en rédigeant les règles des tournois, était un amateur passionné de ces jeux chevaleresques. En 1447, il fit construire, près de Saumur, dans une plaine, un château en bois, qu'il fit orner de riches tentures et qui fut appelé le château de Joyeuse-Garde. Durant quarante jours, le roi, la reine Isabelle, Mme Yolande, sa fille, quantité de dames et de damoiselles, notamment la belle Jeanne de Laval, ainsi qu'un grand nombre de seigneurs, y demeurèrent en grande joie et magnifique fête, attendant tous ceux qui, pour acquérir de l'honneur, voudraient venir jouter contre le roi, chef de l'emprise. Il y combattit contre le duc d'Alençon et Guy de Laval [Note : La maison des anciens sires de Laval s'était fondue, en 1221, dans une branche de la maison de Montmorency, et celle-ci, en 1414, dans la famille bretonne de Montfort-Gaël, par suite du mariage de Jean de Montfort avec Anne, dame de Laval et de Vitré. Une des conditions de ce mariage fut que Jean de Montfort et ses descendants prendraient le nom et les armes de Laval].

Cependant il n'obtint pas le prix. Ferry de Lorraine et Florigny, chevalier presque ignoré dans les tournois, furent vainqueurs.

En 1449 eut lieu un autre pas d'armes appelé le pas de la Bergère, auquel assista le roi René, et dans lequel se distinguèrent Tanneguy du Chastel, chevalier breton, et Philibert de la Jaille, qui appartenait à une famille dont les branches étaient répandues en Bretagne et en Anjou.

On reconnaissait du Chastel à sa devise bretonne : Marc car Doué (s'il plaît à Dieu), tracée sur son écu de sable, et à ces mots qu'on lisait sur sa bannière déployée : Donat a levy (tu n'as qu'à venir), cri de guerre de sa maison. Une housse noire et rouge parsemée de lettres d'or, trois plumes d'autruche, noire, bleue et jaune, décoraient la tête de son coursier gris.

Le sire de Lenoncourt courut contre le sire du Chastel, et en trois coups ils rompirent trois lances [Note : Ce Tanneguy du Chastel n'était pas le fameux prévôt de Paris, qui mourut vers l'an 1448. mais son neveu Tanneguy du Chastel, vicomte de la Belliére, qui fut grand écuyer de France en 1454, gouverneur du Roussillon, chevalier de l'ordre du roi, capitaine de quatre-vingt-quinze lances, etc. Il fut créé grand maître d'hôtel de Bretagne en 1452 et banneret en 1462].

Messire Guy de Laval, seigneur breton, jouta aussi contre le sire de Lenoncourt. Il était monté sur un destrier bai à la housse blanche, rouge et bleue, ornée de rubans, le heaume surmonté d'un grand plumet à trois couleurs, l'écu également à trois couleurs. Il rompit aussi trois lances contre le sire de Lenoncourt et laissa le champ libre à Jean Bezelin, qui ferma noblement les joutes contre le même tenant de l'écu noir, en rompant bellement trois lances.

Le prix destiné au vainqueur était un bouquet attaché à une baguette d'or et un baiser de la pastourelle, que la relation ne nomme pas, mais qui était sans doute Jeanne de Laval, la belle et jeune damoiselle qui avait déjà distribué les prix à l'emprise du château de Joyeuse-Garde.

Elle donna aux deux mieux faisants de la journée, outre le doux prix du baiser, un fermaillet (boîte) d'or tout marcis (massif) et au second un très-noble destrier [Note : Manuscrit de la bibliothèque royale. Crapelet, éditeur, 1818].

Beaucoup de seigneurs, pendant les trèves et les loisirs de la paix, envoyaient des défis ou cartels dans divers pays de l'Europe, offrant de se battre contre tous venants, pourvu qu'ils fussent gentilshommes de quatre lignes, c'est-à-dire de quatre degrés nobles du côté paternel et autant du côté maternel. La Colombière, dans son Théâtre d'honneur et de chevalerie, a donné la teneur d'un de ces défis envoyé en France, en Espagne et en Portugal, par Jehan de Warchin, sénéchal de Hainaut. Ce brave chevalier accomplit le voyage qu'il avait annoncé ; il fit armes en sept différents lieux et se conduisit si vaillamment et si honorablement que tous les princes qui en furent juges furent très-contents de sa personne.

Les tournois et les pas d'armes étaient ordinairement suivis de bals et de banquets souvent remarquables par les machines ingénieuses qu'on y voyait et dont plusieurs faisaient mouvoir, comme s'ils eussent été vivants, des animaux fantastiques ou représentés au naturel. Olivier de la Marche a donné dans ses chroniques des descriptions de ces fêtes merveilleuses, qui attestent une magnificence dont nous ne pouvons nous faire une idée. Ces fêtes étaient ordinairement terminées par des voeux appelés voeux du paon ou du faisan. Ces nobles oiseaux, car on les qualifiait ainsi, représentaient, par l'éclat et la variété de leurs couleurs, la majesté des rois et les superbes habillements dont ils étaient revêtus pour tenir leurs cours plénières. La chair du paon et du faisan était, si on en croit nos vieux romanciers, la nourriture particulière des preux et des amoureux. Leur plumage avait été regardé, par les dames des cours d'amour du Languedoc et de la Provence, comme le plus riche ornement dont elles pussent décorer les troubadours ; elles en avaient tissu les couronnes qu'elles donnaient comme récompense des talents poétiques consacrés à célébrer la galanterie et la valeur. Enfin, suivant Matthieu Paris, une figure de paon servait de but aux chevaliers qui s'exerçaient à la course des chevaux et au maniement de la lance.

Au milieu de ces banquets, au bruit des instruments de musique, des pages, accompagnés de ménestrels et de jeunes damoiselles couronnées de chapelets de rose, apportaient sur un plat vermeil un paon ou un faisan souvent vif et quelquefois rôti, mais toujours orné de ses plumes, et chacun des chevaliers auquel on le présentait, la main étendue sur l'oiseau, faisait voeu d'accomplir ce que les dames désiraient ; chacune requérait un don, suivant son goût ou son caprice. Les unes demandaient au paladin de lui amener plusieurs chefs anglais tout armés, les autres prétendaient qu'il allât combattre le géant gardien du pont du Chêne ou des eaux brunes, ou qu'il tuât la malebête, effroi de la ville de Toulouse, ou le dragon veillant le passage du Rhône sous les arches du pont de Lyon.

« Je fais voeu, disait un chevalier, je fais voeu à la belle et gentille damoiselle qui près de moi sied, d'aller, quand je serai appareillé de mes armes, délivrer la belle province de tous les chevaliers félons et discourtois, pourvu que la mort ne me devance. Je promets, disait un autre, de vaincre et d'amener prisonnier à la maîtresse dont je vous cèle le nom les dix-sept plus forts jouteurs du prochain carrousel, et si j'ai jouté outrageusement pour l'honneur des gentils chevaliers ci-présents, je les prie, à cause d'amour et de bonté d'âme, qu'ils me veuillent excuser ».

Les femmes ne s'exprimaient pas avec moins de candeur dans les ordres qu'elles donnaient à leurs chevaliers. La bannière d'Angleterre, disait l'une, a une image si bien pourtraite et si bien entourée d'or que c'est une chose plaisante à regarder, je vous prie donc que vous fassiez en sorte que je l'aie, car je la désirerais avoir.

Un banneret de Bretagne, disait une autre, a sur son cimier un paon dont les plumes sont d'émeraude et d'opale, et, pour ce que leur éclat est admirable aux rais du soleil, j'aurais plaisir à l'avoir à moi [Voir Marchangy. Gaule poétique].

Ces voeux étaient souvent inspirés par de plus nobles motifs. Dans un banquet magnifique qui fut donné en 1453 dans la ville de Lille par le duc de Bourgogne, les chevaliers qui y assistaient firent voeu d'aller combattre les infidèles ; mais la guerre dont leur pays fut le théâtre les empêcha de l'accomplir.

Voici le voeu de M. d'Etampes  [Voir Mémoires d'Olivier de la Marche] :

« Je voue à Dieu mon créateur et à sa glorieuse mère, premièrement et en après, aux Dames et au faisan, que si le plaisir de mon très honoré seigneur et oncle est que je voise en sa compagnie au saint voyage de la deffense de la foi chrestienne et résistence de la damnable emprise du Grand Turq et des infidelles, je l'accompagneray et serviray en ma puissance, et durant ledict saint voyage, si je puis savoir et cognoistre qu'il y ait aucun grans princes, ou grans seigneurs de la compagnie dudict Grand Turq et tenant sa loy, qui ayent volonté d'avoir à faire à moy, corps contre corps, deux à deux, trois à trois, quatre à quatre, cinq à cinq, je, pour ladicte foy chrestienne soutenir, les combattray à l'aide de Dieu le tout-puissant et de sa très douce mère, lesquels j'appelle toujours en mon aide par la manière dessus dicte ».

Le duc de Bourgogne fit voeu de combattre corps à corps le grand Turc, et plusieurs gentilshommes bourguignons promirent, non-seulement de prendre part à l'expédition, mais encore d'y conduire et d'y entretenir à leurs frais un certain nombre d'hommes d'armes.

Nous avons parlé précédemment des rois d'armes, ainsi que des hérauts et des poursuivants d'armes ; il ne sera peut-être pas inutile de spécifier les fonctions de ces officiers. Le roi d'armes de France annonçait la guerre, les trêves, les traités de paix et les tournois. C'était le chef des hérauts d'armes, dont les fonctions étaient de recevoir les preuves des nobles et des chevaliers, dont ils faisaient peindre les armes dans leurs registres. Ils connaissaient des différends entre les nobles pour leur blason, pour l'ancienneté de leurs races et prééminences, assistaient aux tournois et même aux batailles, faisaient le dénombrement des morts et redemandaient les prisonniers. Ils sommaient les places de se rendre, publiaient les victoires et en portaient les nouvelles aux cours étrangères.

On prétend que ce fut Louis le Gros qui donna le premier le titre de roi d'armes à Louis de Roussy. Cet office était considérable et l'installation du roi d'armes se faisait avec beaucoup de solennité. Il était d'usage de leur faire de grandes largesses, ainsi qu'aux hérauts d'armes. Nous verrons plus tard quelle fut la générosité de du Guesclin à l'égard d'un héraut du duc de Lancastre.

Le roi d'armes de France avait un nom particulier qui était Montjoie Saint-Denis, et les hérauts portaient les noms des trente principales provinces du royaume : Bourgogne, Normandie, Dauphiné, Bretagne, Alençon, Orléans, Anjou, Valois, Berry, Angoulême, Guyenne, Champagne, Languedoc, Toulouse, Auvergne, Lyonnais, Bresse, Navarre, Périgord, Saintonge, Touraine, Alsace, Charolais, Roussillon, Picardie, Bourbon, Poitou, Artois et Provence.

Le roi d'armes portait la cotte de velours violet avec l'écu de France sur les quatre endroits de cette cotte d'armes. Il fallait autrefois être noble de trois races, tant de l'estoc paternel, que de l'estoc maternel, pour être reçu Mont-Joye. Les poursuivants d'armes étaient inférieurs aux hérauts. Les gentilshommes pouvaient en avoir pour porter leurs cartels et leurs défis.

Le roi d'armes de Bretagne s'appelait Malo, et sa devise était Malo au noble Duc. Les noms des hérauts étaient : Bretagne, Hermine, Montfort et Rennes ; et ceux des poursuivants : Benon, Amavie (à ma vie), Epi, Châteaulin, Plaisance et Brest. Le fameux Gilles de Raiz, connu en Bretagne sous le nom populaire de Barbe-Bleue, avait un poursuivant d'armes nommé Princzay (Princé), à qui le duc Jean V donna une gratification considérable, en considération des services qu'il lui avait rendus auprès de son maître. Les Tournemine avaient aussi un poursuivant d'armes qui s'appelait Hunaudaye, nom de leur principale seigneurie. Quant aux Rohan, qui, suivant l'expression si juste de D. Morice, cotoyaient la principauté, ils avaient un héraut qui se nommait Rohan, et une maison montée sur le modèle de celle du duc.

Dans un manuscrit de la bibliothèque royale, coté n° 2338, intitulé : Famille de Rohan, nous avons trouvé un Etat de la maison du vicomte de Rohan au XVème siècle. En voici un extrait, qui ne se trouve pas dans d'autres comptes analogues rapportés par D. Morice.

Domestiques du vicomte de Rohan, d'après un compte du 20 octobre 1484.

Ecuyers et serviteurs domestiques.

Jean de Matignon, écuyer d'écurie.

Guillaume de Keraudi, maître d'hôtel.

Guillaume du Chastel.

Jacques de la Villeblanche.

Rolland de Coëtredrez.

Hervé de Malestroit.

1468.

Maître Jean l'Epervier, alloué de la vicomté.

Alain de Kerguiziau, maître des comptes.

1455.

Alain de la Court, sénéchal de Porhoët.

Guillaume de Bogat, maître d'hôtel.

Yvon de Keraudi, grenetier.

1463.

Charles de Rosmadec, receveur de la vicomté de Rohan.

1477.

Officiers du vicomte de Rohan.

Louis de Rosnyvinen, capitaine de la Roche-Morice.

Ecuyers.

Eustache Hingant, sr. du Hac.

Jean de Matignon.

Guillaume de Keraudi.

Jean de Saint-Morice.

Gallias Geffroy.

Hervé le Heuc.

Henri Combernault.

Guillaume d'Avaugour.

René de Keradreux.

Alain du Fou.

Jacques de la Villeblanche.

Tristan de Kerguezengor.

Adrien Derselledz.

Maître Bernard le Gluidic.

Jean de Coëtmen.

Olivier Avaleuc, argentier.

 

EXTRAIT DU TITRE DES COMPTES DE BLAIN.

Guillaume de Coëtlogon, sénéchal de la cour de Porhoët.

1481, 1483.

Jean de Matignon, écuyer de l'écurie de mon dit seigneur Jean, vicomte de Rohan en 1476.

Nicolas Kermeno, procureur de Porhoët en 1464.

Colin Glehalo, sergent de mon dit seigneur en 1464.

Maître Jean l'Epervier, alloué de la Chaise en 1468.

Jeanne, bâtarde de Rohan, pour pension 40 livres. Dans un autre compte rendu au vicomte de Rohan on trouve :

François de Matignon, maître d'hôtel de mon dit seigneur en 1492.

Guillaume de Kersauson, sénéchal de Landerneau en 1462.

Noble et puissant Tristan l'Epervier, seigneur de Quintin, et Jean, seigneur du Pont, curateurs de Jean, vicomte de Rohan, en 1472.

Gentilshommes et officiers.

A Antoine du Cambout : 200 livres.

A Guillaume Keraudi : 166 livres.

A Roland Coëtredrez : 166 livres.

A Jacques de la Villeblanche : 166 livres.

A Guillaume du Chastel : 120 livres.

A Guillaume d'Avaugour : 160 livres.

A Hervé de Malestroit : 160 livres.

A François de la Touche : 160 livres.

A Jeanne la Bâtarde et ses filles : 50 livres.

A Gilles Maclec : 160 livres.

Ecuyers et officiers 1479.

Jean des Déserts, maître d'hôtel : 80 livres.

Guillaume d'Avaugour, contrôle : 70 livres.

Jean du Cambout, écuyer : 60 livres.

Le petit Jehan des Déserts : 20 livres.

Jean de Keraudi, grenetier et bouteiller : 20 livres.

A Jean de Rohan, sr. du Gué de l'Isle, pour l'entretien de la vénerie : 160 livres.

Hervé de Keresant, procureur de Landerneau en 1490.

1493 et 1494.

Gentilshommes de la maison de Monsieur.

Antoine du Cambout : 200 livres.

Guillaume de Keraudi : 166 livres.

François de la Tousche : 166 livres.

Jean de la Jaille : 100 livres.

Guillaume du Chastel : 100 livres.

Olivier le Heuc : 100 livres.

Hervé de Malestroit : 100 livres.

Roland de Coëtredrez : 100 livres.

Prigent de Saint-Alouarn : 100 livres.

Cristophe de Kervouault : 100 livres.

Jean d'Avaugour : 100 livres.

Loys de l'Abrègement (de l'Hébergement) : 100 livres.

François de l'Espinay : 100 livres.

1496

Gentilshommes et écuyers.

Antoine du Cambout : 200 livres.

Prigent de Saint-Alouarn : 100 livres.

François de la Touche : 100 livres.

Guillaume de Keraudi : 100 livres.

Mr Jean de la Jaille : 100 livres.

Hervé de Malestroit : 100 livres.

Guillaume du Chastel : 100 livres.

Olivier le Heuc : 100 livres.

Cristophe de Kervouault : 100 livres.

Roland de Coëtredrez : 100 livres.

François de l'Espinay : 100 livres.

Geoffroi de Bonamour : 100 livres.

Julien d'Avaugour : 100 livres.

1485.

A Rohan, héraut de mon dit seigneur : 40 livres.

1523.

Louis de Montauban, l'un des gentilshommes de la maison de Monseigneur le comte de Porhoët, vicomte de Rohan et de Léon, donne quittance de la somme de cent livres, qu'il a reçue du receveur du vicomte de Rohan, dans la seigneurie de Guéméné (A. de Couffon de Kerdellech).

 © Copyright - Tous droits réservés.