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Brutus Magnier arrêté ; en prison à Paris.Est-il l'auteur du journal le Démocrite ?. |
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Brutus Magnier arrêté ; en prison à Paris. Est-il l'auteur du journal le Démocrite ?
Le 9 thermidor, le régime de la Terreur, dont Brutus Magnier avait été l'agent actif et zélé, avait pris fin. Les ennemis de l'ex-président s'attaquèrent alors directement à lui. Le 21 du même mois il fut arrêté sous la triple accusation de dilapidations de fonds publics, d'abus d'autorité et d'intelligences avec les ennemis de la République.
Magnier s'était bien décerné, dans son Compte rendu du 20 prairial, un certificat pompeux de zèle, de patriotisme, de probité et de désintéressement ; mais toutes ces belles qualités n'étaient pas pour tous aussi évidentes que pour lui-même.
Roussel fils, écrivain de la Commission, lui réclamait un mois de traitement, 45 livres ; Blondeau, huissier, se disait aussi frustré, par son président, de 154 livres ; les héritiers de Remacly, auquel on avait fait de si magnifiques funérailles, affirmaient n'avoir point reçu le reliquat de ses appointements, 185 livres ; enfin on prétendait que Magnier avait saisi sur Montgodin, cuisinier du prince de Talmond, 335 livres, et qu'il n'en avait inscrit que 234 sur le registre ; c'était donc un joli ensemble d'escroqueries qu'on reprochait à ce magistrat si probe et si désintéressé. La lettre du 17 germinal écrite au concierge Gâtelier paraissait aussi, non un acte de zèle, mais un effroyable abus d'autorité. D'autre part, ses rapports fréquents avec un certain Hubert Villambre, émigré en arrestation dans les prisons de Rennes, les égards exceptionnels dont il l'avait entouré, servaient de base à la troisième accusation (Acte d'accusation de Magnier. Archives nationales, W Ib 497 - 64).
Les deux derniers chefs d'accusation rendaient Magnier justiciable du Tribunal révolutionnaire siégeant à Paris ; on le dirigea donc le 15 brumaire, an III, sur cette ville. A son arrivée il fut écroué à la maison d'arrêt du Plessis.
On était alors en pleine réaction thermidorienne, et Magnier trouva dans cette prison de nombreux compagnons de geôle appartenant au parti de la Montagne : c'étaient les membres et les jurés de l'ancien Tribunal révolutionnaire de Paris, Lebatteux, de Redon, l'ami de Carrier, Germain, Julien, etc.... L'ancien président fut flatté outre mesure de se voir rangé parmi les personnages importants du régime déchu ; c'était la réalisation de son rêve dans des circonstances critiques, il est vrai ; mais il allait être en vue, on allait s'occuper de lui, et cette seule perspective suffisait pour faire taire chez lui toute autre préoccupation.
La vie qu'on menait au Plessis n'était point faite pour l'attrister. Non-seulement les prisonniers pouvaient se réunir dans une salle commune et y deviser à leur aise, mais il leur était permis d'inviter à leurs repas leurs parents, leurs amis et même leurs amies. Il faut croire même que ces dernières étaient de la part des convives l'objet d'attentions particulières, car l'accusateur public interdit ces repas en commun, et Magnier, si rigide autrefois pour ses « gibiers de guillotine, » se plaint en ces termes de cette défense :
« Aurait-on trouvé mauvais que des maris ou de jeunes amants eussent exprimé leur amour à ceux qui en étaient l'objet, par des baisers de feu trop souvent répétés ? Eh bien ! on les excuse et on leur dit de prendre garde à eux. Ils goûteront vos avis, et, à moins d'être d'un mauvais caractère, ils ne s'en fâcheront pas ».
Les entretiens des prisonniers n'étaient point toujours aussi joyeux ; ils sentaient leurs têtes menacées et ils cherchaient entre eux le moyen de conjurer le danger. En communication journalière avec leurs amis du dehors, ils espéraient en leurs fidèles des faubourgs pour fomenter une insurrection qui les délivrât et les replaçât au pouvoir. Mais si, dans l'armée de la Montagne, il y avait encore des soldats, il n'y avait plus de chefs, ils étaient tous sous les verrous ; de plus, la presse terroriste était bâillonnée. C'est, croyons-nous, pour donner une direction, un lien à ces bonnes volontés éparses, que les prisonniers résolurent de rédiger un journal, qu'il leur était facile de faire parvenir au dehors.
Le Démocrite ou journal de Midi parut le 24 pluviôse. Il ne fut jamais imprimé ; on ne connaît que l'exemplaire manuscrit déposé aux Archives nationales. Il eut 25 numéros et cessa de paraître le 23 ventôse ; il est tout entier écrit de la main de Brutus Magnier, qui s'en dit le seul rédacteur ; le n° 16, toutefois, fut écrit par Julien. Chaque numéro se compose de six pages in-4° à deux colonnes, et contient un résumé de la séance de la Convention de la veille, une appréciation de la situation politique et un article de variétés (Archives nationales, W 2, 548).
Voici comment débute le nouveau journal :
« C'est un buveur de sang qui se fait gloire d'être de ces patriotes énergiques qu'on entasse par milliers dans les prisons, qui veut se mêler aussi de faire un journal qui paraîtra chaque jour à midi…… Les patriotes pourront entendre, lire et copier ce journal à leur gré, l'auteur ne craint pas de le signer, dût-il passer pour chef d'une conspiration de prison (avis aux mouchards). Le prix de l'abonnement est un certificat de civisme ».
Magnier fut-il le seul rédacteur du Démocrite ? Fut-il seulement le secrétaire de quelques prisonniers réunis pour le rédiger ? N'eut-il pas au moins pour collaborateurs quelques-uns de ses compagnons de geôle ? Nous admettrions volontiers l'une de ces deux dernières hypothèses, qui nous semblent avoir un grand caractère de vraisemblance. Sans vouloir camparer le Démocrite, ainsi qu'on l'a fait, aux Révolutions de France et de Brabant, il faut reconnaître cependant que le style piteux, emphatique, des jugements de la Commission de Rennes s'y retrouve rarement ; on y rencontre au contraire, de temps à autre, des morceaux d'une allure vive et assez spirituelle, témoin ce tableau de l'enthousiasme vaniteux et un peu égoïste de la petite bourgeoisie pour le mouvement de réforme de 1789 :
« Il fallait voir ces messieurs (les marchands) en 1789 ; ils ont vraiment contribué à organiser notre Révolution ; nous avons cru d'abord que c'était par amour pour la patrie ; c'était au contraire par pur égoïsme. La tyrannie des nobles entravait leurs avides spéculations ; ils ont travaillé à la ruine des nobles, mais ils ont prétendu prendre leur place, ou au moins se distinguer soigneusement de ce qu'ils appelaient la canaille et la populace ; et si on eût proclamé l'égalité dès 1789, ils auraient dès lors fait cette ligue anti-populaire qui existe aujourd'hui sous le nom d'honnêtes gens. C'était pour eux que le peuple devait travailler, mais quand ils ont vu qu'il ne travaillait que pour le bonheur commun, ils l'ont entravé.
Fallait voir à la formation des gardes nationales, ces gros papas quitter leurs comptoirs un jour de dimanche, revêtus d'un bel habit d'uniforme ; bonnet de grenadier sur la nuque, épée battant sur le mollet ; en vérité ils se pavanaient, se croyant les objets de l'admiration publique ; la porte Saint-Denis leur paraissait trop basse, ils s'inclinaient pour passer dessous ».
Si cette satire est de Magnier, elle est d'un Magnier tout autre que le niais et ridicule président de la Commission militaire, d'un Magnier auquel la prison donnait des qualités de style et de verve que rien jusqu'alors n'avait fait pressentir.
Une autre raison, d'ailleurs, que nous avons déjà indiquée, nous porte à croire que le Démocrite fut le produit d'une collaboration ; son but évident fut de développer un plan d'insurrection qui délivrât les prisonniers ; il y pousse avec une ardeur telle qu'on peut l'attendre de gens qui voient là leur dernière planche de salut. Aussi, croyons-nous que le projet d'insurrection développé dans les 11 premiers numéros du Démocrite n'est, pas plus que le reste du journal, l'œuvre propre de Magnier, mais le résumé des conversations qui se tenaient dans la salle commune.
Voici quels étaient les motifs et le plan de cette insurrection : « Ainsi que le disait Babœuf, il y a lieu à insurrection, puisque le gouvernement viole les droits du peuple ; » or, les droits du peuple sont violés, car ses vrais amis les terroristes pourrissent en prison, et l'Egalité n'existe plus, car on voit, comme sous l'ancien régime, reparaître des privilégiés.
« Les représentants en mission ressemblent à des Intendants de province ; ils voyagent dans un joli carrosse à huit chevaux, accompagnés d'une escorte de cavalerie ; aux approches d'une ville, ils sont accueillis par des flagorneurs qui viennent au-devant d'eux en armes. Est-ce là prêcher l'horreur des grands seigneurs, quand ils semblent les avoir remplacés ? Qu'un député prenne un cheval et une voiture modeste, et qu'il se rappelle qu'il est l'apôtre de l'Egalité ...... Il n'y a plus que les proconsuls qui voyagent avec célérité, mais voici comment ils s'y prennent. Huit jours avant leur départ, ils envoient de bons chevaux, soit des charrois, soit même de l'artillerie, car rien ne coûte pour un représentant, on ajournera plutôt une bataille que de les exposer à s'ennuyer en route ; ils les disposent dans les divers relais où ils sont nourris avec prodigalité, et quand le coureur de M. l'Intendant ou Représentant (c'est aujourd'hui la même chose), quand le coureur arrive, les chevaux sont préparés, la berline n'attend pas, et Monseigneur voyage agréablement. Les gardes nationales bordent la haie sur son passage ; et quand il voit un jeune tendron à une fenêtre, il s'incline avec grâce, et d'un ton suffisant lui dit : Serviteur, la belle enfant. — J'ai vu le député Boursault se rengorger dans de pareilles cérémonies ; mais, malgré ses grimaces, on reconnaissait le maladroit pantin, gêné, comme Jean Bart, dans ses culottes de drap d'argent ».
Voilà encore un tableau brossé de main de maître, avec une vigueur, un brio qui révèlent assurément une main très-habile. Si Magnier avait en lui de telles ressources, pourquoi les cachait-il avec tant de soin pendant sa présidence ? Quel intérêt trouvait-il à être alors si solennellement ridicule ?
Le Démocrite donne ensuite en 28 articles le programme que les terroristes victorieux devaient réaliser : d'établissement de la constitution de 1793 (art. 1) ; réinstallation des autorités constituées renversées le 9 thermidor (art. 2), et aussi des comités révolutionnaires (art. 3) ; mise en liberté des individus incarcérés depuis le 9 thermidor comme jacobins, buveurs de sang, etc (art. 5 ) ; retrait de l'amnistie de la Vendée (art. 7) ; arrestation de Legendre, Tallien, Fréron, Barras, Dumont, Dubois-Crancé et Pellet (art. 11 ) ; invitation aux sociétés populaires de « reprendre l'honorable fonction de surveiller les traîtres et les prévaricateurs » (art. 14) ; « remise des restes de la famille Capet à l'armée autrichienne » (art. 15 ) ; le Palais-Royal sera rasé (art. 19 ), etc., etc………
Ce plan d'insurrection est à peu de chose près celui qu'on tenta de réaliser le 1er prairial ; il est donc probable, possible du moins, ainsi que Magnier l'affirma plus tard, qu'il fut communiqué par lui au comité d'insurrection.
Pendant que l'ancien président de la Commission de Rennes écrivait ou tout au moins recopiait tous ces beaux projets, l'instruction dirigée contre lui s'était terminée, et il apprit que le 6 ventôse il paraîtrait devant le Tribunal révolutionnaire.
Dans son numéro du 4, il fait ses adieux à ses lecteurs : « Mes amis, je termine aujourd'hui l'agréable fonction de vous amuser et de vous intéresser. C'est demain que le tribunal des honnêtes gens décidera si j'ai été un homme de sang, et prononcera sur mon sort : je suis dans la position de l'agneau devant les loups ». Il termine ses adieux par une chanson de la dernière platitude qui devait se chanter sur l'air de la Soirée orageuse ; elle n'a pas moins de sept couplets ; nous nous bornerons à citer le premier, qui donne une idée suffisante du talent poétique de Magnier :
Oh ! Pour le coup, c'est tout de bon ; - Demain je monte à l'audience. - Amis, y écoutera-t-on - La voix de la simple innocence ? - Non, car traduire un citoyen - Au tribunal anthropophage, - C'est comme envoyer un Romain - Se faire juger dans Carthage.
(Hippolyte de la Grimaudière).
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