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LE FORT ET CHATEAU DU TAUREAU |
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Lorsqu’en 1522, les Anglais surprirent et saccagèrent Morlaix, cette malheureuse ville resta longtemps déserte, et par le grand nombre de prisonniers que les Anglais emmenèrent avec eux, et par l’effroi qui dispersa dans les campagnes voisines ceux qui avaient échappé au feu du vainqueur et aux flammes qui détruisirent une grande partie de la ville. Insensiblement les prisonniers revinrent, les citoyens dispersés se réunirent et rebâtirent presque une nouvelle ville. Mais pour éviter dans la suite de pareilles surprises, ils établirent des corps-de-garde à l’entrée de la rade, et placèrent quelques batteries sur les passages ou passes de Léon et de Tréguier. Les habitants de la ville close et de Saint-Martin, assistés des paroisses de Taulé, d'Henvic et de Carantec prirent la garde de Pennalan, pointe qui vers le Léon regarde la passe de ce côté ; ceux de Saint-Melaine et de Saint-Mathieu veillaient avec les paroisses de Ploujean, Plouézoc'h et Plougasnou, au poste de Bararmenez sur la passe de Tréguier.
Fatigués bientôt de ces gardes continuelles, ils pensèrent à s’en délivrer en faisant bâtir un fort sur un rocher situé entre les deux passes et qu’on appelait le Taureau. Le duc d'Etampes, gouverneur de la province, passant à Morlaix et étant allé visiter les batteries qui défendaient la rade, les habitants saisirent cette occasion, et l’un des notables nommé Ambroise Masson, s’adressant au duc lui dit : « Monseigneur, vous pouvez voir le grand ennuy et coustage qu’ont les manans de Morlaix et ceux qui sont sur la coste de cette rivière d'estre ainsi contraints de faire guest, de fournir et mener de la ville de Morlaix, artillerie et autres munitions de guerre en ce lieu pour empescher la descente des ennemis ; s’il vous plaisait moyenner du Roy en falveur des habitans de Morlaix et peuples circonvoysins, congé de bastir un fort sur ce rocher que vous voyez à l’entrée du havre qui va à Morlaix, (et en cet endroit le lui montrait pour le peu de distance qu’il y avait entre le rocher et ladite pointe,) ce serait relever la ville d’un grand ennuy et coustage ensemble ceux de ceste coste ».
Ceci contredit le récit du père Albert le Grand, qui raconte qu’un Jacobin nommé frère Nicolas Trocler donna le premier l’idée du fort et fut député au duc d'Etampes pour la faire approuver par lui. J’ai cru devoir préférer aux récits de cet historien, peu exact d’ailleurs, les pièces originales et les dépositions des témoins oculaires. Le duc d'Etampes promit aux habitants toute protection et tous les services qui dépendraient de lui. Sur cette promesse, la ville commença à bâtir à ses dépens un fort sur le Taureau ; on dressa des rôles de cotisation, chacun contribua, selon ses facultés, les départements en furent faits dans l’église de Notre-Dame du Mur, et Jean Kerammennou, qui depuis fut lieutenant du port, fut chargé du paiement des ouvriers et de l’inspection et conduite des ouvrages, après que le comte Claude de Boiséon et le Sr. de Tivarlen, commissaires délégués par le duc d'Etampes, eurent fait un rapport favorable de l’assiette du lieu proposé pour le fort.
Le duc d'Etampes se trouvant à Morlaix, quelque temps après alla visiter les nouveaux ouvrages, il fut étonné d’en voir les commencements et de ce qu’on construisait le fort en pierres de taille. « Mes amis, dit ce seigneur, vous devriez en ce lieu bâtir seulement de terre, afin que la guerre passée, vous auriez moins de coustage de le rapparer, puisque le roy ayant affaires ailleurs ne voudra voulontiers participer aux frais de la dite continuation ; toutefois si avez volonté de le parachever comme avez commencé, je vous assure que le roy vous advouera ». Les habitants le lui promirent et le duc de son côté promit de leur faire avoir la garde du fort.
Effectivement étant revenu à Morlaix, il fit assembler les notables et en pleine congrégation leur déclara : « qu’il avait donné à entendre au roy qu’ils auraient basti le dit fort du quel il leur laissait la garde et entretenement, parce qu’il avait répondu et s’était constitué pleige envers sa dite majesté pour eux, qu’il n’en arriverait aucun inconvénient ».
La ville ainsi assurée de la posession de ce fort, fit travailler avec une nouvelle ardeur à sa construction. Le dauphin régent du royaume, pour leur en faciliter les moyens, leur accorda (1542) de nouvelles lettres d’affranchissement, exemption et don des devoirs d’aides, des impôts et billots qui furent affectés à l’entretien de la garnison, il leur accorda aussi la permission d’y mettre un gouverneur, des soldats et de les appointer à leur volonté.
On travaillait encore, en 1552, à l’achèvement du château mais il se trouva logeable, en 1544, et cette année les habitants solennellement assemblés chez Guillaume de Kerimel, seigneur de Coetinisan, Kerouzéré, Goudelin et Kerprat, lieutenant du gouverneur de l’évêché de Tréguier, vu la guerre et le danger d’une descente, élurent, le 6 juillet, pour premier capitaine du fort et château du Taureau, Jean de Kermellec l’un des manants et habitants de la ville, et lui donnèrent trente hommes de garnison, sans cependant se charger de leur donner des gages. Je me trouve ici encore en contradiction avec Albert le Grand, qui prétend que, le 3 janvier 1544, dans une assemblée publique de la ville, les habitants nommèrent le Sr. Kermellec, le 3 janvier, en l’église du Mur et que cet officier prêta serment devant le lieutenant de la cour royale. M. de Boiséon, dans sa déposition de 1569, dit lui-même avoir reçu les serments de divers capitaines en qualité de commissaire du roi en l’évêché de Tréguier, après cependant que les habitants ont reçu un pareil serment. Il se trompe encore, les registres du temps en font foi, sur les appointements des soldats qu’il porte à 60 livres monnaie et qui sont côtés à 50 livres monnaie faisant 60 livres du temps. Il se trompe également lorsqu’il dit que le château du Taureau fut bâti en 2 ans et du tout achevé ; on y travaillait encore en 1552, huit ans après l’installation du Sr. de Kermellec.
Voici l’extrait de l’acte d’instruction de Jean Kermellec comme capitaine du Taureau. « Comparus devant nous Guillaume de Kerimel en la maison où demeure Rolland Lucas à Morlaix, notre logis, Richard Rogeau, Guillaume Geffroy, Vincent Nouel, Jehan Nouel, Alain Dagorne, Jehan Gricho, Pierre Jagu, Jacques Tournemouche, François Leblonsart, Jehan Kerouzéré, Guillaume Noyal, Jacques Bouchier, Auffroy Campion, Jehan le Bigot, François Pacheu, Jehan Rigolé, bourgeois, manants et habitants de cette ville et les faubourgs de Morlaix, et le dit Rigolé, l’un des procureurs des dits bourgeois, auxquels avons remontré les dangers et périls qui sont eminents parce qu’il y a bruit que les ennemis du roy menacent faire descente en ce pais, mesmes .... en ce quartier de Morlaix, s’il n’est mis et donné ordre en la forteresse, dite le Taureau, que les bourgeois font faire et bastir à l’entrée du havre de Morlaix, les sommant ... qu’ils aient à nommer entre eux un personnage coignoisseur et entendu au faict de la guerre pour estre chef et capitaine sur tel nombre de gens qu’ils adviseront .... et ont esté les nommés d’avis que l’on envoye à la forteresse 30 hommes et .... et que d’iceux 30 hommes, Jehan de Kermellec, l’un des manants et habitants de cette ville ait la charge et soit leur capitaine .... sans obliger à bailler gages ni état au dit de Kermellec .... lequel .... par nous faict venir et interroger s’il voulait suivant les ordres des dits bourgeois prendre et accepter la charge a dit et respondu qu’il voulait et désirait fort faire service au Roy à Monseigneur et aux bourgeois et qu’il estait prest d’aller bien armé et en bon ordre à la fortesse avec les 30 hommes et d’employer à son pouvoir ............ partant suivant les avis des dits bourgeois, avons commandé au dit de Kermellec prendre et accepter la charge et s’en acquitter diligemment pour obvier aux entreprises et surprises que pourroient faire les ennemis. Fait au dit Morlaix, le 3ème jour de juillet 1544, signé Guillaume de Kerimel et plus bas du commandement de Monseigneur lieutenant, Le dy Moine ».
La garnison du Taureau fut composée d’un trompette, d’un canonnier et de vingt-trois soldats, payés chacun à 4 livres 3 sols 4 deniers monnaie ou 5 livres tournois. Parmi les souldarts on trouve les noms de Claude de Quelen, Sinsan Kermellec, frère du capitaine, Yvon Kermellec, Allain Bigot, Jean Kerret, Christophe du Cosquer, Jean Quentin, Jacques de Kerjehan, etc. Il y avait encore un aumônier nommé Jean Penvidic, appointé à 15 livres tournois par quartier.
Le capitaine fut appointé à 50 livres monnaie ou 60 livres par quartier, ce qui faisait 240 livres tournois par an, somme considérable pour le temps et qui équivaut, vu le prix du marc et surtout celui des deniers de première nécessité, à plus de 2.000 livres par an [Note : Jean de Quellenec, premier officier de la maison de Rohan-Guemené n'avait alors pour état que 250 livres d'appointement]. En 1552, les appointements furent augmentés et la garnison fut aussi augmentée d’un lieutenant, ensuite d’un sous-lieutenant et de trois dogues qui veillaient toutes les nuits et avertissaient les sentinelles.
Outre la garnison ordinaire dans les temps de guerre et lorsqu’on appréhendait quelque descente, on envoyait de la ville un renfort plus ou moins considérable, suivant l’exigence du cas.
On en trouvera des détails plus circonstanciés à l’article du gouvernement du fort.
Il y avait environ vingt ans que la ville jouissait de la possession de ce fort, lorsque M. du Mesgouez, qui fut depuis gouverneur de la ville, tenta de la troubler dans cette possession et de s’approprier le gouvernement du Taureau et les revenus qui devaient servir à son entretien.
Troïlus du Mesgouez, marquis de la Roche, gentilhomme de la chambre, chevalier de l'Ordre, était fait pour aller à la fortune et il avait accompli son destin, protestant dans les provinces, catholique à la cour, et au fond indifférent sur les deux religions dans ce qu’elles ne pouvaient servir à sa fortune. Il avait mérité de plaire à Catherine de Médicis dont le caractère était fait pour s’associer à celui de M. du Mesgouez : favori et amant aimé d’une reine régente, toute puissante à la cour, tout lui promettait le succès qu’il espérait de ses desseins.
En 1565, les habitants osèrent porter au conseil du roi leurs plaintes et y plaider contre M. du Mesgouez. Ils donnèrent alors un exemple rare de patriotisme, ils se cotisèrent et formèrent pour soutenir ce procès une somme de 3.000 livres monnaie somme très-considérable pour le temps. J’ai cru devoir ajouter ici les noms des particuliers et la somme qu’ils donnèrent :
Jacques Caulmor (1 livre).
Guillaume Touchart (2 livres 1 sol 8 deniers).
Yvon Arnoult (2 livres 1 sol 8 deniers).
Nicolas Rolland (2 livres 3 sols 4 deniers).
Jean Le Flech (2 livres 3 sols 4 deniers).
Nicolas Kerouzéré (2 livres 5 sols).
Barbe Parmenhery (3 livres 16 sols 4 deniers).
François
Lesque!en (4 livres 3
sols 8 deniers).
Vincent Richart (4 livres 6 sols 7 deniers).
Guillaume
Botmeur (4 livres 7 sols 7 deniers).
Pierre
Baillemont (4 livres 13 sols 4 deniers).
Raphaël
Frémoniec (6 livres 5 sols).
Pierre Oriot (6 livres 8 sols).
Cphe Le
Garrec (6 livres 10 sols).
François
et Anne Quintin (7 livres 3 sols 4 deniers).
Jean
Dubers (7 livres 15 sols).
Yves Guen
(8 livres).
Auffroy
Guillemet (8 livres 6 sols 8 deniers).
Jean
Prusseau (8 livres 6 sols 8 deniers).
Jacques
Beuschet (8 livres 6 sols 8 deniers).
Yvon Le
Moine (8 livres 6 sols 8 deniers).
Pierre
Kerandret
(9 livres).
Germain, Michel et
Yvon Corre (10 livres
10 sols).
Anne Le
Lagadec (10 livres).
Etienne
et Antoine Bidegan (10 livres 5 sols 8 deniers).
Jean Le
Gendre (10 livres 12 sols 6 deniers).
Guillaume
Le Dreux (10 livres 16 sols 8 deniers).
Vincent
Le Guyader (12 livres
10 sols).
Guillaume
de Bihan (12 livres 10 sols).
Jean
Tribara (12 livres 10 sols).
Hervé et
Yvon Fouquet (12 livres 13 sols).
François
Le Dourechus (16 livres 16 sols 8 deniers).
Germain
Poulmic (12 livres 16 sols 8 deniers).
Gme. et
Guillemette de Botmeur (13 livres 10 sols).
Silvestre et Martin
Nouel (14 livres 3 sols 4 deniers).
Guillaume,
Anne-Fs. Geffroy (14 livres
18 sols 4 deniers).
Jacques
Toulcoat (17 livres 6 sols 8 deniers).
Nicolas Nuz
(17 livres).
Jean
Duplessis (18 livres).
Vincent
Guermelle (20 livres 6 sols 8 deniers).
La
Fabrique de Saint-Martin (21 livres 10 sols).
Richard
Campion, Jean Calloet (43 livres
6 sols 8 deniers).
Rolland
et Gme. Le Boulouch (24 livres 18 sols 4 deniers).
Jean et
François Le Borgne (31 livres).
Jean
Kerguz,
de Mezambez (40 livres
16 sols 8 deniers).
Jean Le
Souriman (41 livres 8 sols 4 deniers).
Perrine
Le Premeur (41 livres 13 sols 4 deniers).
Anne Le
Jeune (41 livres 10 sols).
Jean et
Madec Floch (42 livres 15 sols).
Jean et
Tanguy Le Levyer (16 livres).
Jean et
Bernard de l'Eau (49 livres
16 sols 4 deniers).
Pierre de
Kermerchou (64 livres 3 sols).
Jean,
Philippe,Yvon et Paul Kerret
(68 livres 8 sols 4 deniers).
Dlle. Constance Le Lagadec,
Ve. Le Guy de la
Foret de Pont-Blanc (79 livres 18 sols 4 deniers).
Jean
Rigolé (85 livres 16 sols 8 deniers).
Richard ,
Guillaume Merriadec, François
et Nicolas Ballasvene (97 livres 10 sols 8 deniers).
Pierre
Quemener, pr. du Mur (100 livres).
La
Fabrique de Saint-Melaine (166 livres 13 sols 4 deniers).
La Confrérie
de la Trinité (166 livres 13 sols 4 deniers).
Plusieurs
particuliers (210 livres 16 sols 8 deniers).
Thomas
Colin (223 livres 6 sols 8 deniers).
Ve.
et enfants Morequin (243 livres 6 sols 8 deniers).
François
Le Gac (252 livres 10 sols).
Jacques Tournemouche, Maurice
Forget
son gendre et Jean Forget (293 livres 6 sols 8 deniers).
Total ................................................... 3.067 livres 17 sols 8 deniers.
Troïlus revêtu en 1568 de la charge de capitaine de Morlaix, qui fut alors érigée en gouvernement pour lui, prétendit que le fort du Taureau en était un démembrement et que le gouvernement lui en appartenait. A ces prétentions il joignit celles d’avoir comme gouverneur de la ville, des appointements considérables, et de lever un impôt sur les habitants pour les frais de guet et de garde. Les habitants demandèrent à faire informer des faits, soutenant que le fort du Taureau avait été bâti à leurs dépens, que la garde leur en avait été confiée, que cette place, en tout temps, était indépendante du gouverneur de la ville, que jamais aucun capitaine n’avait eu d’appointements, et qu’enfin les habitants n’étaient sujets qu’à une garde volontaire, et encore dans les temps de guerre seulement.
L’information ayant été ordonnée, M. de Kersimon, commissaire nommé par la cour et le sénéchal de Tréguier procédèrent à l’audition des témoins. On sera peut-être curieux d’en lire l’extrait ; on y verra la preuve de tout ce qu’on a précédemment rapporté au sujet de la construction du fort du Taureau.
Enquête des 20, 21 et 22 août 1569, devant Messire Guillaume Duchatel, Sr. de Kersimon, chevalier de l'Ordre du Roi, M. Le Rouge, Sénéchal de Tréguier, commissaires en cette partie, assistés de Claude Ménerer, avocat-greffier de cette Commission.
1er témoin. Noble et puissant Claude sire de Boiséon, commissaire et pensionnaire du roi, âgé de soixante-six ans, dit « être mémoratif » que lorsque la ville de Morlaix fut pillée et en partie brûlée par les Anglais, il y a quarante-cinq ou quarante-six ans, (1522), elle fut quelque temps déserte, qu’il y a environ vingt-quatre ans que par l’avis de « feu de bonne mémoire » le duc d'Etampes, ils bâtirent un fort à l’entrée de la rivière sur un rocher appelé le Taureau, qu’il fut commis avec le feu S. Rosmadec de Tivarlen pour en examiner l’assiette et en faire leur rapport au duc d'Etampes, qu’avant l’achèvement des ouvrages le duc d'Etampes les étant allés visiter, il leur dit ces paroles qu’il entendit : « mes amis vous devriez bastir seulement de terre affin que la guerre passée vous auriez moins en courtage de la rapparer parceque le roy ayant affaires ailleurs ne vouldra volontiers participer aux frais de la continuation, toutte foys si avez volonté de parachever comme avez commencé, je m’asseure que le roy vous advouera, » ce que les habitants lui promirent de faire, et que sur leur bonne volonté ce duc leur promit la garde du fort ; qu’il l’a toujours vu exercer depuis ; qu’il a vu les habitants nommer dans leur assemblée un procureur de ville pour un an et qu’après en avoir éprouvé la fidélité, ils le nomment, l’année suivante, capitaine du fort ; qu’il a souvent même, comme commissaire du roi « sur le fait des guerres, » reçu le serment de ces nouveaux capitaines après qu’ils l’avaient prêté aux habitants ; que d’ailleurs ce gouvernement leur convient mieux qu’à tout autre, parce que la ville ne subsistant que de son commerce avec l’étranger, et la confiance étant la barre du commerce, ces étrangers ne redoutant rien d’un gouverneur négociant, intéressé lui-même à favoriser le commerce, qu’un autre gênerait peut-être, ce qui ruinerait la ville et en même temps ferait perdre au roi les grandes sommes qu’il retire de Morlaix, ce qu’il ne doit qu’à l’activité de son commerce dont les environs se ressentent aussi par la facilité qu’ont les paysans d’y vendre toutes sortes de denrées.
Qu’il n’a jamais vu que les habitants fussent obligés à aucun service, qu’il a vu MM. de la Fontaine de Poignant, de Kergariou Trémen, Daneremel, successivement capitaines de Morlaix n’en exiger qu’en temps de guerre, et jamais ne lever aucune taxe pour cet objet, ni prétendre aucuns appointements, excepté le Sr. de la Roche ; « combien que notoirement il soit de la religion prétendue réformée, tel tenu et réputé par tous et, comme tel, dit avoir ouï par plusieurs grands personnages que aux premiers troubles il portait les armes contre le roy ».
2ème témoin. Noble et puissant Guillaume de Boiséon Sr. de Chef du Bois Godelin, âgé de 40 ans, fait les mêmes dépositions, loue le soin qu’ont les habitants de l’entretien du fort, y a vu, même en temps de paix, porter de l’artillerie et des munitions de guerre, que la ville et le château sont distincts et séparés quant au gouvernement, que M. Daneremel, capitaine de la ville, institué par M. de Mercœur, n’a jamais eu d’autres salaires que l’honneur « de faire service » au roi, qu’il a vu le sieur du Mesgouez porter les armes contre le roi, dans les derniers troubles avec les protestants.
3ème témoin. Jean Fleuriot, écuyer, Sgr. de Guersaliou, capitaine de la ville de Tréguier, âgé de cinquante et un ans. Après avoir fait à peu près les mêmes dépositions que les précédents, il ajoute avoir su de la bouche même du duc d'Etampes qu’il avait fait donner aux habitants la garde du Taureau ; qu’elle était d’autant mieux placée entre leurs mains qu’elle leur attirait la confiance des étrangers et accroissait leur commerce ; que si le roi s’en chargeait, ce serait pour lui une dépense de 6.000 livres sans compter les gages des officiers et des soldats, et qu’une personne mal intentionnée pourrait abuser du droit d’être maître de l’entrée et de la sortie par mer de Morlaix et en ruiner le commerce.
4ème témoin. Sire Yves Larmor, marchand et bourgeois de la ville de Saint-Paul, âgé de 66 ans, a passé par Morlaix quelque temps après son saccagement, l’a trouvé désert par le grand nombre de personnes qu’avaient emmenées les Anglais et par la fuite de plusieurs habitants ; que les habitants bâtirent ensuite un fort d’environ quarante pas de long sur vingt de large pour les frais duquel, il a vu faire à Morlaix plusieurs cottisations et départemens ; que tous les capitaines qu’il a connus dans le fort, étaient des négociants et habitants de la ville ; qu’il est besoin dans ce fort d’un homme connaisseur des vents et marées pour en tirer parti lors d’une attaque ; qu’en temps de guerre, lorsque le vent favorisait les descentes, il a vu envoyer au fort des renforts d’hommes, tirés des trois paroisses, etc.
5ème témoin. Sire Simon Jacques, marchand et capitaine de navire à Roscoff, « seigneur propriétaire d’un navire nommé le Lion, » âgé de quarante-deux ans, après avoir fait en substance les mêmes dépositions que ci-dessus, ajoute avoir vendu à Pierre Quémener, procureur de la fabrique de Saint-Melaine, il y a cinq à six ans, deux pièces d’artillerie pour la défense de la ville, et vu les procureurs des autres paroisses en acheter souvent ainsi que diverses autres munitions de guerre pour la défense de la ville.
6ème témoin. Noble M. Yves Le Barbu, Sgr. de Kermoyec, âgé de soixante-seize ans, dit qu’étant en chemin pour se rendre à la « monstre » de l’arrière-ban assigné à Guingamp, en 1522, ils apprirent que les Anglais étaient descendus à Morlaix ; qu’à cette nouvelle, ils y retournèrent et trouvèrent toute la ville en armes, de sorte qu’ils furent obligés de coucher en rase campagne ; que cette nuit même, les Anglais surprirent, brûlèrent, pillèrent la ville et emmenèrent un grand nombre de marchands prisonniers ; et que la ville fut longtemps presque déserte ; qu’elle bâtit le fort à ses dépens et qu’il a lui-même payé sa part des cotisations, demeurant alors à Morlaix ; qu’il a vu des gouverneurs de la ville et du fort, mais qu’ils étaient toujours indépendants l’un de l’autre, etc.
7ème témoin. Noble M. Philippe de Crémeur, Sgr. du Quistilic, y demeurant, paroisse de Taulé, âgé de soixante-sept ans, dit qu’il se trouva à Pennalan lorsque le duc d'Etampes vint visiter les batteries que les habitants y avaient placées, et qu’il entendit un des habitants, nommé Ambroise Masson, dire au Seigneur : « Monseigneur, vous pouvez voir le grand ennuy et coustage qu’ont les manans de Morlaix et ceux qui sont sur la coste de cette rivière, d’être ainsi contraints de faire guest, de fournir et mener de la ville de Morlaix artillerie et aultres munitions de guerre, en ce lieu, pour empescher la descente des ennemys. S’il vous plaisait moyenner du Roy, en faveur des habitans de Morlaix et peuples circonvoysins, congé de bastir un fort sur ce rocher, à l’entrée du havre qui va à Morlaix, (et, en cet endroit, le luy monstrait pour le peu de distance qu’il y avait entre ce rocher et la dite pointe) ce serait relever la ville d’un grand ennuy et coustage ensemble ceux de cette coste ». Le duc d'Etampes y consentit à condition qu’ils le bâtiraient à leurs frais ; que les renforts qu’on envoie au château sont alternativement prie des trois paroisses, sans que ceux qui sont nommés puissent aucunement s’exempter de marcher ; que toute l’artillerie qui est dans la ville, appartient aux habitants qui l’ont achetée, etc.
8ème témoin. Sire Robert Morvan, de Roscoff, marchand, capitaine et maître de navire, âgé de soixante ans, dit avoir vu le duc d'Etampes sur une pointe, nommée Pennalan, etc. ; qu’il e vu faire les cotisations et départements pour les frais de la bâtisse du château, en l’église de Notre-Dame du Mur où s’assemblent ordinairement les habitants ; que, pendant cinq ou six ans, il a vu Jean Kerammennou, qui depuis fut lieutenant du château, payer les ouvriers, etc.
9ème témoin. Sire Jean Bernard, de Roscoff, marchand marinier, âgé de cinquante-six ans dit que le saccagement de la ville fut si grand que, pendant longtemps, on ne put trouver moyen de la rebâtir ni de s’y loger avec quelque commodité ; qu’il a connu trois ou quatre capitaines de la ville qui tous étaient des gentilshommes voisins, commis par le gouverneur de la province, servant sans gages, et employés seulement en temps de guerre, etc.
10ème témoin. Sire Gabriel Siochan, marchand, de Paimpoul (Paimpol), bourgeois et propriétaire de plusieurs navires, dit avoir vu Jean Kerammennou payer toutes les semaines les ouvriers qui travaillaient au château, de l’argent qu’il disait être « du propre des habitants » ; qu’il a vendu aux habitants une grande pièce de fonte pour leur ville, etc.
11ème témoin. Sire Jacques Guillou, maître de navire, demeurant à Roscoff, âgé de quarante-sept ans, fait les mêmes dépositions sur Jean Kerammennou, etc.
12ème témoin. Hervé Hamon, écuyer, Sgr. de Pennanru, capitaine de la ville de Saint-Pol-de-Léon, âgé de quarante-sept ans, dit que jamais les habitants de Morlaix n’ont fait qu’un guet volontaire ; que les capitaines qu’il y a connus, y ont toujours servi sans gages, et que le Sr. de la Roche est notoirement connu pour protestant et, comme tel, qu’il a porté, dans les premiers troubles, les armes contre le roi.
13ème témoin. François Laurans, marinier et matelot, demeurant à Roscoff, âgé de soixante ans, dépose avoir vu les ouvriers être payés par Jean Kerammennou, etc.
14ème témoin. Jean Mathieu Le Roux, marchand et bourgeois de Roscoff, âgé de quarante-sept ans, dépose avoir, avec son bateau, porté souvent des pierres de l’île de Callot, sur le rocher du Taureau, et avoir été payé de l’argent des habitants par Jean Kerammennou, bourgeois de Morlaix.
15ème témoin. Jehan de Kersaingilly, écuyer, Sr. du Mesgouez, âgé de cinquante-cinq ans, dépose avoir vu Morlaix presque désert après son saccagement, avoir vu les rôles de cotisation faits par les habitants, pour la bâtisse du fort du Taureau et avoir vu le duc d'Etampes « en pleine congrégation » à Morlaix, dire aux habitants : « qu’il avait donné à entendre au roy qu’ils auraient bâti le dit fort du quel il leur laissait la garde et entretennement, parce qu’il avait respondu et s’étoit constitué pleige envers sa dite majesté pour aux qu’il n’en arriverait aucun inconvénient » et que tous !es prudents capitaines de la ville ont servi sans gages et satisfaits de « faire service à son roy et à son pais ».
16ème témoin. Sire Guillaume Guillauré, marchand et marinier de Roscoff, capitaine de mer au dit lieu, âgé de cinquante ans, dépose avoir entendu dire à Jean Kerammennou, son oncle, que c’était lui qui payait les ouvriers de l’argent de la ville.
18ème à 36ème témoins. Noble et puissant Pierre de Coatedrez, Sgr. du dit lieu, Du Rest, capitaine des gentilshommes de l’évêché de Tréguier, Louis Eon, Sgr. de Kergouanton, capitaine du Portblanc, François de Kerouzy, écuyer, Sgr. du dit lieu, capitaine d’une compagnie de gens de pied, Yvon le Serp, écuyer, Sgr. de Kermarquer, François de Kermabon, écuyer, Sgr. de Kerlouez, Pierre de Kerguézay, écuyer, Sgr. de Coatizac, capitaine de la ville de Lannion, François Kerlaudin, écuyer, Sgr. de Lesquelen, Yvon Pinart, écuyer, Sgr. du Val, Rolland de Coatedrez, écuyer, Sgr. de Trogriffon, François du Parc, écuyer, Sgr. du Plessix, Guillaume Eon, écuyer, Sgr. de Lezorec, Jehan de Kergariou, écuyer, Sgr. du Pennalan, Pierre Quintin, écuyer, Sgr. de Coatamour, tous gentilshommes de l’évêché de Tréguier, témoignent par François de Kermabon, écuyer, Sgr. de Kerlannou, que le fort du Taureau a été bâti aux dépens des habitants ; qu’il fait la sûreté de la ville de Morlaix et des pays circumvoisins, les vaisseaux qui entrent en rade étant obligés de le côtoyer à la portée « d’un demi-trait d’arquebuse » ; que les habitants y font la garde la plus exacte ; que cet établissement attire, avec confiance, à Morlaix, tous les étrangers ; que le commerce de la ville a beaucoup augmenté depuis ; qu’en d’autres mains l’entretien du fort coûterait plus de 8.000 livres et qu’aucune morte-paie [Note : Les morte-paies étaient des vétérans chargés de la garde d’une place peu importante. Lorsque Louis XIV commença à gouverner par lui-même, il supprima ce corps] n’y voudrait servir pour 200 livres par an, vu l'incommodité du château et la petitesse du lieu, etc.
On ne trouve pas qu’aucun de ces témoins ait requis ni qu’il leur ait été proposé aucune taxe ou salaire, mais, en récompense, la ville les nourrit, les défraya eux et leur train, ainsi que les commissaires et ils furent traités, à leur retour, avec une abondance qui effraie l’imagination, sans exciter la sensualité.
Comme curiosité voici en gros la note du dîner servi à M. de Boiséon et à vingt et un autres gentilshommes : 123 quarts de vin, deux veaux, un mouton et demi, 3 chevreuils, 3 lièvres, 4 couples de pigeons, 4 pâtés de venaison, 6 langues de boeuf, 4 cochons, 4 grandes pièces de boeuf salé pour servir d’entrées de table, 2 jambons, 4 douzaines d’oeufs, 3 têtes de veau, des pieds de mouton et autres choses pour faire fricasser, chair de lard à larder, pour faire le potage, beurre, poulailles, poulets à proportion et pour 6 livres 10 sols de pain. Pour faire comprendre la quantité de ce pain, il faut savoir qu’un cochon ne coûtait alors que 30 sols monnaie, un veau 20 sols, et il y eut pour 45 sols de lard à larder et à mettre au pot.
Tandis que les habitants passaient ainsi par des verges juridiques, M. du Mesgouez pensait à assurer par la force ses droits incertains. Le maire aussitôt appela au service de la ville tous les gentilshommes des environs. MM. de Lannusouarn, de Calloët, de Toulbrunault, de Kermadeza et dix à douze autres gentilshommes, avec une suite nombreuse de gens d'armes et de serviteurs, vinrent défendre par la force les privilèges dont quelques-uns d’entre eux avaient joui, en qualité d’anciens maires. Alors M. du Mesgouez parut plus traitable, il semble vouloir entrer en accommodement. Il eut plusieurs conférences avec les chefs de la ville et avec la noblesse qui s’était attachée à la communauté, enfin on fit un accord dont les conditions ne sont pas venues jusqu’à nous. Il paraît que les habitants craignirent le crédit de leur gouverneur, ils crurent ne pouvoir racheter trop tôt ni trop cher leurs privilèges qui étaient disputée ; ils offrirent de l’argent, médiateur toujours heureux, on ignore au juste quelle fut la somme ; on voit seulement par les comptes de 1569 qu’il lui fut payé 2.500 livres tournois pour solde de partie (environ 20.000 livres de valeur en 1765), de l’accord fait entre lui et les habitants, sans compter près de 1.200 livres, aussi du temps, que coûtèrent les frais des commissaires et des gentilshommes appelés par le maire [Note : Du Mesgouez obtint de la Cour le gouvernement de Terre-Neuve et contribua à la colonisation du Canada].
Il fut alors facile aux habitants de faire assurer leurs droits au conseil du roi et d’obtenir un arrêt favorable qui fut rendu en 1572. Les privilèges des habitants leur furent confirmés et ils furent maintenus dans la jouissance du fort du Taureau « comme par le passé », ainsi que des droits d’impôts et billots pour son entretien. Le Sr. Colin de Poulras, député de la ville, à la suite de cette affaire en cour, y avait dépensé, en 1570, 500 livres monnaie, c’est-à-dire environ 4.000 livres de notre monnaie en 1765. Après vingt-quatre ans de possession tranquille, M. du Plessix, écuyer, Sr. de Kerangoff, nommé capitaine du fort du Taureau, après avoir été maire, l’année précédente, profita des guerres civiles et des discordes de la ligue pour s’approprier un gouvernement dont il était dépositaire pour un an seulement.
Il avait obtenu promesse du maréchal d'Aumont de demeurer toute sa vie commandant du fort. Ce général, resserré entre le fort d’un côté et le château de la ville de l’autre, incertain de la fidélité du Sr. du Plessix, lui promit tout ce qu’il demanda, quoique dans la capitulation, le privilège de nommer le commandant du château eût été conservé à la ville. M. du Plessix eut ensuite l’adresse de surprendre du roi des lettres relatives à la promesse qui lui avait été faite. Fort de ces avantages, il refusa toujours de se dessaisir du château.
La ville crut le réduire en lui refusant à l’échéance des quartiers, les sommes destinées au payement de la garnison, mais, les ressources ne lui manquèrent pas. Il fit enlever les marchandises qu’il trouvait appartenant aux habitants, des cargaisons entières, les habitants eux-mêmes, les maires, et il leur faisait payer leur détention forcée. Ennuyé de toutes ces petites expéditions, il fit prendre par son fils, en 1600, la ferme des impôts et billots et jouit par ce moyen de tout ce revenu. Par lettre du roi, il fit augmenter ses appointements et ceux de sa garnison. Les habitants fatiguèrent vainement tous les tribunaux de leurs plaintes. Ils furent trop heureux de s'accommoder avec lui par l’entremise du maréchal de Brissac. Ils le déchargèrent de toute recherche au sujet de sa gestion, et lui payèrent 21.000 livres. Alors il quitta le château et le remit aux mains des habitants, après onze ans de possession.
Ils en jouirent jusqu’en 1640. Quelques malintentionnés ayant rendu suspecte à la cour la fidélité des habitants, le Sr. Kerhuel, exempt des gardes du corps, vint prendre au nom du roi, possession de ce château, mais, il fut rendu à la ville, en 1641 ; il lui fut encore ôté, en 1647 et puis encore rendu.
L’année 1660 fut l’époque dernière de l’exercice du droit des habitants sur ce château. Les divisions qui agitaient alors le ville, avaient éclaté en cour, de pareilles tracasseries renfermées dans la ville et dans un cercle si étroit, ne pouvaient jamais devenir dangereuses pour l'Etat, mais, des gens, intéressés à les grossir, feignirent de craindre pour la sûreté de la ville et que, forte de son château, elle ne se dérobât à l’obéissance du roi. Ils en parlèrent en cour comme d’une fermentation dont l’explosion pouvait ébranler le royaume, et la cour, qui se souvenait encore des troubles de la ligue, songea à mettre en ses mains ce fort dont l’importance fut encore exagérée. Le maire en donna les premières nouvelles à la communauté, le 6 juin 1660. Elle crut en vain par des députations vers le maréchal de la Meilleraie, détourner le coup qui la menaçait, le 22 février suivant, Mr. de Saint-Jean Beaucorps, officier des gardes, prit possession de ce gouvernement par le Sr. de la Noë, exempt des gardes qui eut commission du roi pour cette prise de possession.
Il fut arrêté alors que le gouvernement jouirait de tout le revenu des impôts et billots, mais le marquis de Goësbriant ayant eu dans la suite des discussions à cette occasion, le roi fixa à 10.000 livres, par an, les appointements du gouverneur du Taureau et abandonna à la ville la jouissance du surplus de cette ferme.
Ainsi finit le privilège singulier et peut-être unique pour des officiers municipaux, d’être gouverneurs de place frontière et souverains dans l’administration, la police et la garde d’une place de guerre.
Depuis que le château est entre les mains du roi, il est devenu maison de force et prison d'Etat ; il est rare de le voir sans prisonniers.
Nous compléterons Daumesnil en donnant le nom de quelques célèbres prisonniers d'Etat qui ont été enfermés au Château du Taureau. Sous le gouvernement du duc d'Aiguillon, le Parlement refusa (1765) une demande de deux sols par livre, que l’administration avait prescrite par un arrêt du conseil, et quelques années auparavant, le procureur général Caradeuc de la Chalotais avait dénoncé comme antisociales les constitutions des jésuites, qui étaient apuyés du gouverneur par contradiction. La compagnie puissante usa de toute son influence et le ministère décréta, le 11 novembre 1765, l’arrestation de La Chalotais et de son fils, sous prétexte de lettres anonymes, écrites au duc de la Vrillière, neveu du duc d’Aiguillon. Le courageux magistrat, qui était alors âgé de soixante-quatorze ans, fut traîné en prison comme un malfaiteur et enfermé dans les casmates du Taureau où il resta un mois. Le malheureux vieillard, pissant le sang et écorché par la gravelle, comme dit Voltaire, se plaignit amèrement des immondes cabanons qui lui servaient de cachots et son indignation était légitime. On croit cependant que, grâce à la tolérance de ses geoliers, le prisonnier pouvait visiter, sur parole, une de ses parentes qui habitait au château de Keranroux. Mais ce fait n’est pas bien prouvé et La Chalotais attribue à de tout autres motifs son transfert à Saint-Malo. La Bretagne avait été indignée du traitement infligé à ce magistrat mais, il fallait encore attendre dix ans avant que la Chalotais fût rendu à sa famille éplorée, et il revint même plus tard, avec l’évêque de Tréguier, visiter son ancienne prison du Taureau.
Vers 1788, un officier de marine du nom de Du ........... y fut écroué, par ordre du roi, pour actes de cruauté, exercés envers des matelots qui étaient sous son commandement ; fou de désespoir, cet officier se tua en se précipitant de la plateforme sur les rochers. On dit aussi que, suivant une ancienne coutume, une partie des arbres de l’avenue qui conduisait à sa demeure, fut abattue.
Dans cette même année, le parlement de Bretagne, à la suite des troubles qui eurent lieu à Quimper, au mois d’août, fit aussi enfermer au château de jeunes avocats de cette ville qui avaient pris part à cette manifestation [Le Coat (Gouin), Monographie du château du Taureau].
La Révolution de 1789 remplit ses casemates. Là fut incarcéré le maratiste Royou-Guermeur. En 1792, les meneurs de la commune de Paris l’avaient choisi, parce qu’il était ardent et vif, pour être leur agent dans le Finistère, et lui avaient remis le soin de démocratiser notre département. Il arriva à Quimper en chaise de poste et se mit aussitôt à faire de la propagande révolutionnaire. Les administrateurs du département, effrayés des menées du jeune jacobin, le firent amener devant eux. — Qui êtes-vous lui dit le président Kergariou ? — Claude-Michel Royou-Guermeur, envoyé de la commune de Paris, et chargé de ses pouvoirs pour poursuivre la vente des biens nationaux et la levée en masse des patriotes. Mais les administrateurs ne se laissèrent pas intimider par ses forfanteries et comme ses papiers n’étaient signés que de quatre ministres quand ils auraient dû l’être de tout le conseil, l’administration départementale le déclara suspect et le mit en arrestation. Il fut conduit au château du Taureau où il resta enfermé plusieurs mois. Nous avons trouvé dans son dossier la lettre suivante que lui écrivit Marat pendant sa détention. « Mon cher Guermeur, j’ai été scandalisé du peu de zèle qu’ont témoigné vos anciens amis pour vous tirer de votre captivité. Il y a plus de deux mois que je fis les démarches nécessaires au comité de surveillance et de sûreté générale de la Convention, je ne sais par quelle fatalité ma réclamation est restée à l’écart. Je l’ai renouvelée avec fureur, il y a dix jours, j’ai l’assurance que les ordres sont donnés pour votre élargissement. Vous serez à même de prendre à partie vos oppresseurs. J’ai traîné dans la boue vos coquins de députés de Quimper. Les scélérats tremblent sous le fouet de ma censure. Comptez que je vous vengerai de vos scélérats d’oppresseurs. Marquez-moi où en sont vos affaires et comptez toujours sur moi. Marat, l’ami du peuple et le vôtre. Paris, le 27 décembre 1792 ». On sait comment les amis de Marat vengèrent cette arrestation : plus tard les administrateurs du Finistère portèrent leur tête sur l’échafaud. Lorsque la Convention eut porté contre eux un décret d’accusation, en date du 19 juillet an II, plusieurs d’entre eux furent conduits au Taureau d’où ils ne sortirent que pour paraître devant le tribunal révolutionnaire.
Que de prêtres, que de proscrits y furent jetés pendant la Terreur ? La Convention y envoya à son tour ceux de ses membres, les Montagnards qui firent l’insurrection du 1er prairial an III. C’étaient Romme, Duquesnoy, Duroy, Soubrany, Bourbotte, Peyssard et Forestier ; des trois autres Rhul s’était poignardé, Albitte et Prieur de la Marne avaient pu s’enfuir. Les Thermodiriens vainqueurs les firent bientôt ramener à Paris où ils passèrent devant une commission militaire qui les condamna à mort. Ces vaincus de prairial furent ceux que la Révolution a appelés « les derniers des Romains ». Peut-être se trouvèrent-ils au château en même temps que Douzé-Verteuil, l’accusateur public du tribunal révolutionnaire de Brest, qui se vengeait, au Taureau, en appelant Morlaix, « un nid d’aristocrates ». Enfin après l’insurrection de la Commune, Blanqui y est resté enfermé pendant plusieurs mois [Note : Blanqui fut condamné à mort par le 4ème conseil de guerre de Paris qui le reconnut coupable d’avoir voulu, le 31 octobre 1870, renverser le gouvernement de la défense nationale. On sait que les membres du gouvernement furent délivrés par le bataillon des mobiles de Châteaulin]. Telle est l’histoire de l’ancienne forteresse municipale du château du Taureau.
« Cette fondation du XVIème siècle, dit M. Gouin, est un insigne honneur pour la cité morlaisienne. Elle atteste une initiative de volonté et de virilité qui, peut-être, découlait de la vigueur traditionnelle des anciennes curies romaines et de leur indépendance. Sans doute, la féodalité avait peu à peu interverti, rogné et envahi ces franchises séculaires que la cité possédait et dont les titres s’étaient perdus, lors de la brûlure de 1522. Toutefois, sans la tradition vague et populaire de ces libertés que le bras trop court des Carlovingiens n’avait pu atteindre, les grands bourgeois, comme s’exprimaient les vieux cartulaires, n’auraient jamais eu la pensée d’imiter les municipes d'Amalfi, de Gaëte ou de Venise. C’est que ces hommes-là savaient dire sans forfanterie aux puissants : Vous ne nous protégez pas ! nous nous protégeons nous-mêmes. C’est qu’il y avait en eux, l’histoire attentivement fouillée l’atteste, une sève saine et rude, une foi solide que la prévoyance de la royauté ne discerna point et que les classifications sociales condamnèrent à l’interdit. Aussi, lorsque les états généraux retentirent, ces hommes-là s’étonnèrent-ils de voir encore debout l’échafaudage étrange et suranné de cette constitution française qui n’était, pour eux, que l’effacement et le néant » [Note : Le nom de Lecarpentier a été oublié parmi ceux des conventionnels qui furent détenus au château à la suite du mouvement de prairial. Plus heureux que ses collègues, il fut compris dans la loi d’amnistie du 4 brumaire an IV].
Voir Gouverneurs du Fort du Taureau
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