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LA SÉNÉCHAUSSÉE DE CHATEAUNEUF-DU-FAOU : les affaires civiles.

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Affaires civiles.

Le siège de Châteauneuf-du-Faou, comme les autres sénéchaussées, connaissait de toutes les affaires civiles, quelle que fût l'importance du litige. Seules, certaines causes déterminées lui échappaient, et étaient attribuées à des tribunaux spécialement institués pour les juger. La Maîtrise des Eaux et Forêts de Carhaix lui enlevait plusieurs affaires qui auraient dû lui appartenir ratione loci ; les difficultés relatives à la perception de la capitation et du vingtième étaient tranchées par l'intendant [Note : Esmein, Cours élémentaire d’histoire du Droit français, 544] ; enfin, les causes bénéficiales étaient dévolues au présidial [Note : Potier de la Germondaye, Introduction au gouvernement des paroisses, 281]. Malgré ces restrictions, la compétence civile de la sénéchaussée restait fort étendue.

L'importance du rôle judiciaire de cette cour, au civil, rend nécessaire une étude plus approfondie de la filière qu'y suivaient les procès, de la manière dont les juges s'en saisissaient et rendaient leurs sentences, et nous amène à rechercher le nombre approximatif des affaires qui y étaient expédiées. L'étude de la procédure, rendue uniforme dans toute la France par l’ordonnance de 1667. n'offre guère d'intérêt en elle-même : d'autre part, les documents antérieurs à cette date sont en trop petit nombre. Il n'y a pas lieu davantage d'examiner les coutumes générales de Bretagne qui étaient suivies dans ce ressort. Cependant, deux usements très particuliers, communs sans doute à quelques autres sénéchaussées bretonnes, mais somme toute peu répandus, méritent que l'on indique leurs dispositions et l'étendue de territoire ou ils s'appliquaient.

La cour de Châteauneuf-du-Faou était a la fois un tribunal de première instance et un tribunal d'appel. Ses sentences étaient rendues en première instance lorsqu'elles réglaient des contestations survenues soit entre les habitants du domaine proche du roi ou les tenanciers des seigneuries, qui n'avaient pas le droit de justice, soit au sujet de ces biens et de ces tenues. Les causes d’appel étaient fournies par les juridictions seigneuriales du ressort dont les sentences civiles, toujours susceptibles d'appel devaient être portées devant la cour supérieure en l’espèce à Châteauneuf-du-Faou [Note : Rev. hist. de Droit, 1893. Trévédy, op. cit, 206]. L'appel des justices seigneuriales suivait, en effet, le lien feodal des officiers seigneuriaux, les questions en litige passaient aux juges royaux qui en connaissaient, lorsque l’echelle de la hiérarchie feodale était épuisée. En fait dans la sénéchaussée de Châteauneuf sauf pour la juridiction de Trefflec'h qui relevait du Grannes, mais qui lui fut annexée au début du XVIIème siècle, il n’y a pas d’exemple qu'une même affaire ait pu être jugée plus d'une fois avant d'être soumise au siège royal. Pour y parvenir, le plaideur mécontent faisait dresser une carte d’appel qu'il faisait signifier par un sergent [Note : Arch. Fin., H 57 (1632)] ; dès lors, sa demande était traitée comme une cause ordinaire de la sénéchaussée.

Aucune des sentences de cette cour n’était rendue en dernier ressort ; elles étaient toutes susceptibles d'appel. A partir de l’édit de création des présidiaux, qui, on s'en souvient, enleva à Carhaix les appels des sièges de Châteauneuf, de Huelgoat et de Landeleau, les sentences de la sénéchaussée de Châteauneuf, sauf cependant la période de sa suppression momentanée, furent portées au présidial de Quimper, qui prononçait dans les deux cas de l'édit, c'est-à-dire en dernier ressort jusqu'à 10 livres de rente ou 250 livres de capital et avec exécution par provision jusqu'à 20 livres de rente ou 500 livres de capital ; le surplus était réservé au parlement [Note : Edit de mars 1551. Le présidial ne recevait pas les appels de police et ne connaissait pas en dernier ressort des affaires d'office. (Devolant, Recueil d’arrests, II, 53, 54)].

Mais avant que les causes civiles parvinssent à ces cours supérieures, comment les juges de Châteauneuf en connaissaient-ils ? En principe, tous ils avaient droit à la connaissance des affaires, à moins d'être absents, de se déporter ou d'être récusés. Les épices constituaient à peu près leur seul traitement et les intérêts de la somme qu'ils avaient versée pour l'acquisition de leur office [Note : Les gages, que leur payaient les domaines, étaient, en effet, dérisoires : en 1644, ils s'élevaient, y compris ceux du commis à la recette à 85 l, 4 s. (Bib. Nat, ms. 11.528) ; au XVIIIème siècle, le sénéchal recevait 19 l. 4 s., le bailli, 18 l., le procureur du roi, 12 l., et on en retenait encore le dixième. (Arch. L.-Inf., B 2717, f° 72 v°). Le bailli de Gourin recevait 40 sols]. Aucun d'eux n'entendait être frustré de ce profit légitime.

Lorsqu'un juge était absent, il ne pouvait évidemment pas juger : mais il n’était réputé absent que trois jours après son départ ; les remplaçants ne devaient tenir audience que passé ce délai : aussi le bailli défendit-il au commis du greffe de rapporter les audiences délivrées par le procureur du roi lorsqu'il ne s'absenterait par exemple que de huit heures du matin à trois heures et demie [Note : Aud. civ. de Chât., 26 juillet 174]. Les juges étaient tenus, de leur côté, de s'inscrire au greffe au moment de leur départ et de leur arrivée. Sans qu'ils fussent absents, certaines causes leur échappaient encore naturellement : c’étaient celles où ils étaient parents ou alliés d'une des parties, ou séparés de l’une d'elles par la haine ou des questions d'intérêt. Ils étaient incapables de trancher impartialement la question en litige et se déportaient de leur propre mouvement.

Mais comme ils voyaient de la sorte leurs revenus s'échapper, ils ne voulaient pas toujours admettre les moyens de suspicion proposés contre eux, et l'on était obligé de les récuser. A Châteauneuf, où juges et hommes de loi appartenaient presque tous aux familles du pays, ces déports et ces récusations se présentaient fréquemment et occasionnaient parfois bien des difficultés. En 1776, le sénéchal demandait des juges pour une récusation portée contre lui : les deux doyens des avocats étaient son père et son beau-père ; des deux suivants dans l'ordre du tableau, l'un avait refusé de remplacer les gens du roi, l'autre était dénonciateur au procès ; enfin, le dernier « avait de la haine contre le suppliant ». Pour des raisons diverses, les six procureurs ne pouvaient pas non plus connaître de cette récusation. Dans une autre affaire, en 1782, le sénéchal s'étant déporté, une partie récusa le bailli, le procureur du roi, le greffier et son commis : des avocats, l'un habitait hors du ressort, le deuxième avait été aussi récusé, les quatre autres étaient parents ou conseils d'un des plaideurs : le doyen des procureurs était partie en cause, le deuxième son oncle, le troisième son procureur, le quatrième, procureur adverse, le cinquième était créancier et le sixième allié d’une des parties. En 1784, les juges de La Feuillée ne pouvaient parvenir à expédier une requête, les procureurs refusaient d'occuper pour eux, les uns comme parents, les autres comme ennemis d'un avocat en cause : tous les avocats s'étaient du reste déportés [Note : S. R. de Chât., Liasse 61].

Les récusations étaient quelquefois jugées immédiatement : à une audience, un avocat ayant récusé le lieutenant, celui-ci quitta son fauteuil : mais le sénéchal et le bailli ayant débouté le demandeur, il remonta aussitôt le siège [Note : Aud. civ. de Chât., 10 mars 1723]. Lorsqu'on voulait récuser les trois juges, c'était, comme on l’a vu, un avocat [Note : Aud. civ. de Chât., 5 juillet 1724] ou un procureur qui avait à se prononcer sur les moyens développés contre eux. Les greffiers et leurs commis sujets également à récusation étaient remplacés en cas de besoin, soit par un procureur du siège [Note : Aud. civ. de Chât., 21 avril 1723], soit par tout autre personnage. Mais, comme les juges, ils ne se laissaient pas toujours remplacer de bon gré.

Cette mauvaise grâce des officiers de la sénéchaussée à se déporter de la connaissance de certaines affaires malgré la demande des plaideurs, nous permet de croire que leurs profits constituaient pour eux, aussi bien que le sentiment du devoir, un stimulant à remplir leurs fonctions, et fait même supposer que le partage des épices [Note : A cette époque les épices étaient payées en argent. Pourtant en 1719, le sénéchal demanda comme épices le nouveau Perchambault en deux tomes (Fonds Car. Déch., Liasse 9)] ne se faisait pas sans difficultés. Pour éviter ces discussions d'intérêt, les juges concluaient entre eux des traités [Note : S. R. de Chât. Liasse 6. Traités du 4 octobre 1729, du 16 septembre 1732]. En 1749, le sénéchal et le bailli de Châteauneuf, dans le but « d'accélérer l'administration de la justice, tant par un plus prompt jugement des procès appointés qu'en évitant toutes discutions d'intérêt », convinrent que lorsqu’il y aurait cinq procès jugés le sénéchal prendrait par preciput les deux tiers des épices d'un des procès à son choix, les épices des autres seraient partagées également : le produit de l'exécution des jugements était divisé et attribué de la même façon, sans examiner qui aurait jugé l'affaire, chacun devant prendre une affaire à tour de rôle. En cas de maladie, quelle qu'en fut la durée ou d'absence ne dépassant pas trois mois, le juge empêché n'éprouvait aucune perte : le partage des épices s’opérait suivant l'accord convenu : le procès où l’on avait marqué le plus d'épices étant supposé choisi par le sénéchal. Pour les enquêtes civiles ordonnées à l’audience, le bailli toucherait le tiers du profit, qu'il y fut procédé par lui ou par le sénéchal. Ce contrat ne supposait que deux juges à Châteauneuf ; le sénéchal avait, en effet, acheté la charge de lieutenant, mais il conservait la faculté de faire recevoir un troisième juge [Note :  S. R. de Chât., Varia, Pièce du 15 décembre 1749].

En 1767, sur huit procés à distribuer, le sénéchal prit d’abord un de preciput, un de premier choix, puis le bailli et lui choisirent alternativement entre les autres. Le mode de distribution semble donc avoir été changé ; mais il n’est pas probable que chaque juge gardât les épices de l'affaire qu'il avait rapportée ; sur ce point, l'ancien système dût être maintenu : à différentes reprises, en effet, le bailli reçut le tiers des épices marquées dans un jugement [Note : Arch. Fin., B 807 (1782) ; S. R. de Chât., Procéd. crim., 1769].

Un arrêt du Parlement portant règlement sur toutes ces questions entre les juges de Carhaix [Note : Recueil des arrests du parlement de Rennes (Vatar, 1734), p. 64. (Arrêt de 1682)], renferme des renseignements qui devaient aussi s'appliquer à la sénéchaussée de Châteauneuf-du-Faou. Outre les jours d'audience, les juges, à date fixée, se réunissaient dans la chambre du conseil ; les affaires qui y étaient jugées étaient tranchées à la pluralité des voix, la voix du président étant prépondérante. Mais à Châteauneuf ce cas se présentait, semble-t-il, rarement : dans l'accord dont il a été question plus haut, le sénéchal et le bailli avaient décidé de juger l'un en l'absence de l'autre.

Les plaintes étaient reçues par le premier juge dans l'ordre de préséance ; l'instruction lui appartenait, mais le procès au fond entrait en distribution. De plus, de préférence aux autres juges, le sénéchal connaissait des affaires relatives aux arrêts de renvoi, lettres patentes, commissions et arrêts du conseil : il expédiait de même les affaires d'office, telles que tutelles, curatelles, émancipations, dispenses d'Age, décrets de mariage. Il fallait que son absence fût de plus de vingt-quatre heures pour que le bailli ou le lieutenant fussent admis à le remplacer dans ces causes « célères ».

D'après ce même règlement, les affaires appointées devaient être distribuées entre les juges de quinze jours en quinze jours. A Châteauneuf, le nombre des procès soumis au siège ne permettait sans doute pas des distributions aussi fréquentes. Mais comme à la fin du XVIIIème siècle les affaires civiles se terminaient le plus ordinairement par des sentences sur dictum [Note : S. R. de Chât., Liasses 39 et 40], les cahiers de distribution nous renseigneraient de façon à peu près satisfaisante sur le nombre des affaires civiles expédièes dans cette sénéchaussée. Il n'en subsiste malheureusement que deux [Note : S. R. de Chât., Cahiers de distributions : (1767-1770) et (1773-1782)]. Le premier nous apprend que l'on distribua huit procès le 7 juillet 1767, sept le 14 mai 1768, cinq le 20 juin 1769, cinq le 8 juillet suivant, et cinq autres le 24 mars 1770. Le second, qui contient certainement une lacune, donne quatorze procès du 31 mars 1773 au 15 mars 1776, et vingt du 6 mai 1781 au 6 décembre 1782. Le nombre des affaires variait beaucoup d'une année à l’autre, mais la moyenne en était fort peu élevée, et l'on comprend la raison pour laquelle les juges voulaient tirer quelque profit de chacun des procès.

Mais parmi les affaires civiles de la sénéchaussée de Châteauneuf-du-Faou, il s’en trouvait parfois d’intéressantes : les contestations relatives à des modes spéciaux de tenure comme la quevaise et le convenant franc et congéable à l’usement de Poher. Il importe d’étudier la nature et l’extension territoriale de ces deux coutumes locales.

La quevaise, ou convenant non congéable [Note : A. du Châtelier, L'agriculture et les classes agricoles en Bretagne, 26], a été assez fréquement l’objet de savantes recherches pour qu’il suffise d’en résumer brièvement les dispositions. Elles sont amplement exposées dans une déclaration des biens de l’abbaye du Relec sous le domaine de Huelgoat [Note : Arch. Nat., P 1750, f° 300].

On peut noter parmi les principaux traits caractéristiques de ce mode de tenure bizarre, l'absence d'habileté successorale en matière collatérale et l'exclusion des aînés dans la possession de la tenue par le plus jeune fils ou par la plus jeune fille à défaut d'héritier mâle. A ces restrictions au point de vue des successions, s'ajoutaient d'autres dispositions aussi vexatoires. Le quevaisier ne pouvait quitter son tènement plus d'un an et un jour, ni tenir à la fois deux quevaises ; il ne devait grever sa terre en aucune façon, et s'il obtenait la permission de la vendre, il versait à l'abbaye le tiers du prix de vente. Enfin, il était tenu d'ensemencer tous les ans le tiers de ses terres chaudes pour ne pas frustrer l'abbaye du droit de champart, d'accomplir certaines corvées, de faire certains charrois et de suivre la cour et le moulin.

C'est avec raison qu'on a assimilé les quevaisiers aux mainmortables [Note : H. Sée, Etudes sur les classes rurales en Bretagne au moyen âge, p. 40]. Quel était donc le nombre des tenues dont les détenteurs étaient ainsi soumis à une espèce de mainmorte, dans le ressort de Châteauneuf ? On sait que la quevaise régissait les terres des abbayes du Relec et de Bégard. Le fief du Relec, qui seul nous intéresse, était divisé en quatre membres : Lanven, en Léon, Plufur, en Tréguier, Le Parc, où se trouvait le chef-lieu, s'étendant en Léon et en Cornouailles, enfin Outrellé, compris en entier dans ce dernier évêché. La portion du Parc située en Cornouailles n'était pas toute entière dans la sénéchaussée de Châteauneuf : on comptait, en 1709, seize quevaises en Scrignac, dépendant de Carhaix, mais la plus grande partie, exactement soixante-quatre, qui constituaient presque toute la paroisse proprement dite de Berrien, relevait en arrière-fief de Châteauneuf [Note : Voir la carte. Les dépendances du Relec en Berrien sont tenues à quevaise. sauf une maison au bourg]. Quant à la pièce d'Outrellé, elle n'était formée que de possessions disséminées au sud-ouest de l’Ellé. Elle comprenait un certain nombre de convenants dans la tréve de Saint-Rivoal en Brasparts, mais on trouvait des quevaisiers à Foréhan, en Loqueffret, à Guellan, à Kerfloux, à Quilliégou, en Pleyben, et jusqu'à Kerdrein, en Gouézec, le tout sous la barre de Châteaulin [Note : Arch. Fin., H 33.. Rentiers du Relec du XVème siècle au XVIIIème]. Sous Châteauneuf, où la seigneurie d'Outrellé avait peu à peu perdu ses diverses rentes, on ne constatait l'existence de quevaises que dans un seul village de Plonévez-du-Faou, à Blenguéeur. Une sentence de la cour de Châteaulin. en 1682, maintenait l'abbaye dans le titre de quevaise sur ce lieu [Note : Blenguéeur dépendait de Châteauneuf ; pourtant de 1640 à 1729 des procès relatifs à ce village sont portés indifféremment à Morlaix, à Châteaulin et à Châteaulin et à Châteauneuf] ; mais la commission de Réformation des Domaines, en 1691, déclara que les redevances sur Blenguéeur nétaient que de simples rentes sans fief [Note : S. R. de Chât., Liasse 28], de sorte que le siège de Châteauneuf n'eût à connaître en appel des difficultés surgies entre l'abbaye et ses quevaisiers que dans la paroisse de Berrien.

La tenure à domaine congéable suivant l'usement de Poher avait, dans la sénéchaussée, une importance plus considérable, moins sans doute à cause des particularités de ses dispositions qu'en raison de l'étendue de pays où elles étaient suivies.

Le domaine congéable était sujet à des variations assez nombreuses et assez sensibles suivant les différents cantons : on connaît les usements de Cornouailles, de Rohan, de Tréguier et de Goëllo, de Broérec (Vannes) ; mais il a été rarement question de celui de Poher, qui n'était qu'une variante de l'usement de Cornouailles.

L'usance de Poher régissait tout le pays de ce nom, c'est-à-dire les ressorts de Carhaix, de Duault, de Châteauneuf-du-Faou, de Huelgoat et de Landeleau ; elle diminuait donc notablement l'aire de la coutume générale de l'évêché [Note : Les convenants tenus par les paysans directement et roturièrement sous le roi n'avaient de la chose que le nom : des Lettres patentes de Henri II et Charles IX avaient remplacé le domaine congéable par le féage. (Cf. les afféagements faits en conséquence de ces lettres à Huelgoat, à Châteauneuf et à Landeleau, Arch., L.-Inf., B 704)].

Les aveux rendus aux seigneurs, aussi bien que les déclarations des seigneuries aux domaines du roi, prouvent nettement son existence et font connaître les terres où elle était adoptée. Les convenants de l'enclave de Botmeur [Note : Arch. Fin., E 442, 443] étaient tenus à l'usement « du terroir et quanton de Poéher » [Note : Fonds. Car. Déch., Liasse 7]. Les domaines de la juridiction du Moustoir [Note : Arch. Nat., P 1747, fos 165 et sqq.], qui s'étendait dans les paroisses de Châteauneuf et de Plonévez, les villages de la minuscule seigneurie de Keramoal, qui avait de bonne heure perdu ses droits de fief, les possessions du seigneur de Pratulo en Châteauneuf [Note : Arch. Nat., P 1747, fos 201 et sqq. Arch. Nat., P 1748, fos 463 et sqq.], les terres dépendant de Méros et Rosily [Note : Arch. Nat., P 1747, fos 33 et sqq.], du Cleuziou [Note : Arch. Nat., P 1747, fos 65 et sqq.] de Kervazaën [Note : Arch. Nat., P 1747, fos 157 et sqq.] du prieuré du Quilliou [Note : Arch. Fin., H 365], ainsi que d'autres seigneuries de moindre importance suivaient cet usement.

Mais d'après les déclarations à la Réformation des Domaines de 1678, il est facile de se rendre compte que l'usement de Cornouailles avait pénétré bien avant dans le pays de Poher. Le seigneur de Kerverziou énumérait plusieurs villages, comme le Divid, Penanrun, Kergodel et Keransaux, où il était pratiqué [Note : Arch. Nat., P 1747, fos 433 et sqq.]. Les tenanciers de Kerdaniou-Pont-ann-Aour déclaraient que ce lieu était régi par l’usement de Cornouailles [Note : Fonds de Kerverziou, Décl. de 1713].

Les seigneuries du Nezert [Note : Arch. Fin., Jurid. du Grannec, Liasse des Prisages] en Loqueffret, et de Locmaria, en Berrien [Note : Arch. Nat., P 1749, f° 409], suivaient également l’usement ordinaire de l’évêché. Bien plus, le seigneur de Rozéonnec l’avait aussi adopté, délaissant l'usance de Poher qui était précédemment appliquée dans ses terres [Note : Arch. L. Inf., B 1186 (1541). - Arch. Nat., P 1748, f° 241] : les nouvelles baillées apportaient des modifications à l’ancien état des choses.

Des convenants soumis à des usages locaux différents se trouvaient donc enchevêtrés les uns au milieu des autres ; l’usement de Poher ne régissait pas exclusivement le comté de ce nom. Il eût été impossible et inutile de déterminer le distroit de cette loi locale, comme le désirait Baudouin de la Maisonblanche [Note : Baudouin de la Maisonblanche, Institutions convenantières, II, 263, 264]. Que les seigneurs de Cornouailles et de Tréguier abusassent de l'incertitude des limites du Poher pour soumettre leurs colons à la coutume de ce pays, c'est fort possible [Note : Baudouin de la Maisonblanche, Institutions convenantières, II, 263, 264], mais une délimitation exacte n'eût pu le satisfaire, ni prévenir toute usurpation : l'usement à suivre pouvait varier suivant les conventions passées entre le foncier et le domanier. Girard demandait avec plus de raison que cet usement « n’eût force de loi que lorsque des titres très positifs y assujettissaient le colon et que le seigneur foncier ou féodal se fut inféodé envers le roi de ce droit exorbitant » [Note : Girard, Usemens ruraux de Basse-Bretagne, 24]. Mais ces titres et ces inféodations existaient le plus souvent. En 1780, à propos d'un congément à Kerflaconnier, en Loqueffret, il fut déclaré que les experts « procèderaient à l'uzement de Poher, conformément à la déclaration du 26 juillet 1712, si mieux n'aimaient les congédiés remettre d'autres déclarations contraires à celle cy-dessus » [Note : S. R., de Chât., Liasse 55]. Ceux-ci ne purent présenter de titres opposés.

L'usement de Poher était, en effet, plus dur pour le domanier que celui de Cornouailles : tous les auteurs sont d'accord sur ce point et leur témoignage doit faire foi, les procès-verbaux de congément étant rares [Note : Le sénéchal de Carhaix avait déposé lors de la dernière revision de la Coutume, en 1580, un mémoire, égaré aujourd'hui, sur cet usement. « Sommaire déclaration que fait le sénéchal à Karhaye de l’usance observée de tout temps au terrouer de Poher par les détenteurs de tenues à titre de convenant franc et congéable » (Baudouin de la Maisonblanche, Instit., convenantières, II, 269)]. Quel était donc ce droit exorbitant auquel ils faisaient allusion et dont ils cherchaient autant que possible à préserver les paysans ? Suivant cet usement, contrairement à ceux des autres cantons, le congément ordonné par un jugement se faisait entièrement aux frais du congédié, qui devait supporter les dépens de la procédure engagée par le demandeur en congément et de la sienne propre, comme défendeur, aussi bien que le coût du prisage [Note : Girard, op. cit., 23. — Baudouin de la Maisonblanche, op, cit., II, 46, 261]. Comme les conventions originelles, c'est-à-dire les premières baillées, étaient fort anciennes, il paraissait dur au tenancier expulsé d'avoir à solder toutes les dépenses qu'occasionnait son renvoi. Il y avait là quelque chose de très pénible pour le paysan habitué à considérer comme sa propre terre le convenant qui portait souvent le nom de ses ancêtres. Mais l'usage local avait été confirmé par un arrêt du Parlement du 15 juin 1694 qui devait être publié et enregistré dans les juridictions du comté de Poher « pour que les vassaux de ce comté fussent instruits de leurs droits » [Note : Baudouin de la Maisonblanche, op, cit., II, 261]. Ce n'était vraiment pas trop pour la situation précaire où pouvaient se trouver les colons en cas de congément. Les frais dépassaient souvent la valeur des biens réparés, surtout pour « les tenues non logées », quand « le domanier n'avait que quelques prairies ou des champs sans étage » : celui-ci n'avait, d'après les praticiens, qu'un parti à prendre, c'était d'abandonner gratuitement au congédiant les droits réparatoires [Note : Baudouin de la Maisonblanche, op, cit., II, 263]. Ce cas ne devait pas se présenter fréquemment, quoiqu'en dise Baudouin de la Maisonblanche; les congéments étaient excessivement rares aux XVIIème et XVIIIème siècles [Note : H. Sée, Etudes sur les classes rurales en Bretagne au moyen âge, 98]. D'ailleurs, au lieu de suivre la procédure judiciaire, le domanier cédait parfois à l'amiable ses droits réparatoires au foncier [Note : Inventaire des titres de Méros, p. 257, 259].

Somme toute, l'usement de Poher, dont le mode de congément constituait le seul trait distinctif, ne procurait pas plus d'affaires à la cour de Châteauneuf que la quevaise, bien qu'il eût plus d'extension. Du reste, ces usages locaux tenant la place d'autres modes de tenure également susceptibles d'occasionner des procès, n'augmentaient en rien la compétence à peu près illimitée des juges en matière civile. Celle-ci, nous l'avons vu, ne devait pas suffire à alimenter leur activité, ni peut-être même à satisfaire leurs désirs, les épices constituant pour ainsi dire leurs seuls émoluments. Mais le nombre des affaires criminelles dont ils eurent à s'occuper étaient assez important pour occuper les loisirs que leur laissait l'expédition des affaires civiles.

(Raymond Delaporte).

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