Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

LA SÉNÉCHAUSSÉE DE CHATEAUNEUF-DU-FAOU : les affaires criminelles.

  Retour page d'accueil      Retour "Sénéchaussée de Châteauneuf"     Retour "Ville de Châteauneuf-du-Faou" 

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Affaires criminelles.

Les limites de la sénéchaussée bornaient l’action des juges d'une façon plus régulière au criminel qu'au civil. Il ne se présentait guère de conflit entre le siège royal et les justices seigneuriales en cette matière : celles-ci s'étaient volontiers débarrassées du soin de poursuivre les criminels, leurs officiers n'ayant aucun intérêt à retirer de ces procédures. D'autre part, lorsque les juges de Châteauneuf s'occupaient d'affaires criminelles étrangères à leur ressort, c'était en vertu d'une commission expresse. Quand un siège royal était suspect ou récusé dans une affaire, un arrêt du Parlement en attribuait la connaissance à une cour voisine ; c'est ainsi que la cour de Châteauneuf eût à trancher des procès entre les habitants de La Feuillée [Note : S. R. de Chât., Procéd. crim. (1775)], entre le recteur de Guiscriff et le procureur fiscal de Gournois [Note : S. R. de Chât., Procéd. crim. (1734)], entre un avocat et un notaire de Châteaulin [Note : S. R. de Chât., Procéd. crim. (1782)], et à instruire une procédure contre le sénéchal de Carhaix [Note : S. R. de Chât., Procéd. crim. (1750)]. C'est aussi en vertu d'un arrêt de la Cour du Parlement qu'elle eût à juger une troupe de voleurs, dont le quartier général élait au Faouët ; l'un des brigands ayant été condamné par les juges de Châteauneuf pour des crimes commis dans leur ressort, il dénonça ses complices, et l'instruction générale de l'affaire fut confiée à ces mêmes juges par arrêt du 18 novembre 1673 [Note : Trévédy, Marion du Faouët, 54. Contrairement à ce que croyait M. Trévédy, parmi les affiliés de la troupe de Marion du Faouët, il s’en trouva un qui se jugea digne de prendre sa succession : ce fut son frère Corentin, aidé de ses trois enfants, Joseph, Jeanne et Guillaume. Cette affaire occupa les juges de Châteauneuf-du-Faou pendant trois ans]. A l'inverse, les causes où le siège de Châteauneuf était suspect étaient renvoyées soit à Carhaix [Note : Arch. Fin., S. R. de Carhaix, Proc. crim. (1696, 1698)], soit à Châteaulin [Note : S. R. de Châteauneuf, Proc. crim. (1768)]. Mais toutes ces commissions étaient régulières.

Seule l'application des ordonnances sur les cas prévôtaux, dont la connaissance n'appartenait pas aux juges de la sénéchaussée, occasionnait des difficultés. La raison en était l'impossibilité de savoir de prime abord l'endroit où avait été commis le crime. Avait-il eu lieu dans un champ ? C'était la sénéchaussée qui était compétente. Au contraire, avait-il eu lieu sur un grand chemin ? C'était le présidial jugeant prévôtalement qui instruisait le procès. Aussi les exemples d'incertitude ne sont pas rares. Tantôt les juges de Châteauneuf-du-Faou envoient une affaire à la maréchaussée de Quimper, qui ne veut pas en connaître et à son tour l'adresse au siège royal de Carhaix [Note : S. R. de Châteauneuf, Proc. crim. (1775)], tantôt on leur retourne de Quimper l’instruction d'une attaque sur un grand chemin [Note : Arch. Fin., B, 878]. La même ignorance règne du reste partout [Note : Trévédy, Marion du Faouët, 19. Les juges d’Hennebont gardèrent une affaire de voleurs de grands chemins en 1747]. En 1721, les juges du Grannec renvoient à la maréchaussée une affaire qu'ils ont instruite au sujet d'actes de violence suivis de vol et commis dans un champ dépendant de cette seigneurie [Note : Arch. Fin., B, 828] ; de leur côté, les juges prévôtaux leur retournent un procès de la compétence des justices seigneuriales [Note : Arch. Fin., B, 875]. C'est que souvent l'instruction seule peut révèler les circonstances qui constituent l'espèce du crime, et que, d'autre part, les prescriptions des ordonnances de 1670 et de 1731 ne sont pas assez précises pour éviter toute complication.

Ces hésitations peuvent aussi provenir de la tiédeur des juges dans les poursuites criminelles : on constate le fait en différentes occasions, et le procureur général fut investi d'un pouvoir de surveillance à cet égard. Une briève exposition des principales phases d'une affaire criminelle ne serait guère intéressante si l'on omettait de parler des diverses circonstances qui viennent charger l'instruction et la retarder : le nombre des accusés, les difficultés de s'en saisir, leurs évasions fréquentes des prisons, la multitude des témoins à entendre expliquent la longue durée de certaines procédures. On ne doit pas non plus passer sous silence le secours que trouvent les juges dans les procès-verbaux des chirurgiens ou des experts et surtout dans les monitoires et les réaggraxes. L'étude des procédures criminelles serait encore incomplète si l'on n'examinait pas quelles étaient les peines portées par les sentences : on verra qu'elles étaient, en général, très dures, mais que l'arrêt définitif de la Tournelle en atténuait souvent la rigueur. Les crimes commis par imprudence ou en cas de légitime défense étaient soumis à une procédure toute particulière. Il en était de même de procès criminels de faible importance appelés petits crimes. Comme on a parlé des prisons, presqu'aussi importantes au point de vue civil, sous le régime de la contrainte par corps, qu'au point de vue criminel, il convient d'étudier l'aspect qu’elles présentaient, la façon dont elles étaient administrées et le régime auquel étaient assujettis les prisonniers.

Ce n'étaient pas toujours des scrupules d'incompétence qui empêchaient les juges de connaître d'une affaire criminelle [Note : Sur la négligence des juges royaux à poursuivre les crimes, cf. Trévédy, Marion du Faouët, 15]. Le parlement de Rennes fut obligé d'enjoindre au procureur du roi de Châteauneuf de poursuivre de son office et aux juges de rendre « bonne et brève justice », après un incendie au manoir de Rosanpoullou et dont les auteurs n'étaient pas recherchés [Note : S. R. de Chât., Procéd. crim. (1744)]. Mais souvent aussi les juges étaient forcés d'agir, sous la poussée de l'opinion publique, lorsque les circonstances qui avaient accompagné le crime avaient été particulièrement tragiques. Une procédure de 1728 nous en fournit la preuve. Un nommé Joseph Morvan, de la Garenne, en Collorec, ayant affermé de l'archidiacre de Poher les dîmes de la paroisse de Plovénez-du-Faou, sous-loua celles de Kerambrou à Henry Kervran, dont la réputation était assez mauvaise. Mais à la prière d'une de ses parentes qui habitait ce village et craignait les tracasseries de cet individu, il se saisit par ruse du billet qu'il avait signé et le déchira. Kervran lui jura que cela lui coûterait la vie. En effet, une nuit qu'il revenait d'une noce à Leinscoff, en Loqueffret, Morvan fut cerné dans un chemin creux entre Kergodel et Pralinou, par Kervran et plusieurs autres dont sa ferme des dîmes lui avait attiré la haine. Deux femmes se trouvaient avec les conjurés : l'une d'elles déclarait que c'était le moment de punir Morvan, mais l'autre, se mettant à genoux dans la boue, demandait grâce pour lui, disant qu'il valait mieux lui casser un bras ou une jambe que de le tuer, car il avait huit jeunes enfants à nourrir. Sans écouter ces supplications, les complices se ruèrent sur Morvan et après lui avoir littéralement tordu le cou le transportèrent un peu plus loin, près d'une mare, pour faire croire à un accident. Quelques personnes qui revenaient également de Leinscoff, trouvèrent le cadavre et restèrent près de lui en attendant l'arrivée du procureur du roi et du chinirgien. Le cheval de Morvan, qui avait été attaché à un arbre, fut délié ; il partit au trot, passa à Saint-Clair devant l'auberge où les assassins s'étaient réunis pour boire, et à l'aube il entrait dans la cour de la Garenne [Note : S. R. de Chât., Procéd. crim. (1728)]. Un tel forfait méritait un châtiment prompt et exemplaire. Le procureur du roi était cependant mou dans ses poursuites. Le sénéchal répétait qu'il fallait « désabuser le public du sentiment pernicieux où il était qu'on ne cherchait pas sérieusement les coupables » ; il avait beau le « stimuler à donner ses conclusions », c'était en vain [Note : S. R. de Chât., Procéd. crim. (9 et 10 juin 1728)]. Pendant ce temps les assassins tachaient de gagner le procureur du roi par l'intermédiaire de « son chirurgien ordinaire » et lui faisaient proposer 2.000 livres pour arrêter l'affaire. Il fallut la découverte de cette tentative de corruption pour forcer le procureur à sortir de sa torpeur [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., Diverses pièces de 1728].

Ces exemples, quoique fort rares, suffisaient néanmoins à expliquer la surveillance exercée par le procureur général sur les procédures criminelles. Le subdélégué de l'intendance devait expédier tous les semestres à Rennes un état des procédures criminelles dans l'étendue de sa subdélégation avec la mention du dernier acte de chaque procédure. Il n'en existe pour Châteauneuf qu'à partir de 1777, et dès 1784 le procureur du roi cessa d'adresser ces états au subdélégué de Châteaulin, qui ne put plus par conséquent les transmettre au procureur général [Note : Arch. I.-et-V., C, 138, 139].

En cas de négligence de la part des juges, une plainte de la victime ou de ses parents faisait commencer les poursuites aussi bien qu'une requête d'office ou une ordonnance d'information. Cette plainte se terminait parfois par la demande d'être « mis sous la protection du roy et de la justice » [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., Requête du 22 février 1707], et était accompagnée, s'il y avait lieu, des certificats ou du procès-verbal de visite du médecin. Lorsque les charges étaient suffisantes, on ajournait les prévenus à comparaître en personne ; suivant leur réponse on les laissait en liberté ou on les décrétait de prise de corps. L'instruction se poursuivait à la requête du procureur du roi, devant le sénéchal, premier juge criminel, ou l'un des autres en son absence. L'accusé, après son emprisonnement, ne pouvait plus prendre conseil de qui que ce fût. Il fallait alors fixer la nature du procès. Si la gravité des faits reprochés permettait de les ranger dans les grands crimes, l'affaire était réglée à l’extraordinaire. Pour cela le juge qui avait procédé aux informations s'adjoignait les deux autres, ou en cas d'empêchement deux avocats, juges dans les sénéchaussées royales voisines, ou exerçant des juridictions seigneuriales, ou postulant dans le ressort. C'est l'arrêt porté par ces trois juges qui s'appelait le règlement à l'extraordinaire. L'information continuait ensuite devant le tribunal ainsi constitué, on procédait aux confrontations des accusés et des témoins entre eux, puis tous étaient « récolés » sur leurs dépositions ou leurs interrogatoires. L'instruction close, le procureur du roi donnait ses conclusions définitives, et les accusés étaient une dernière fois interrogés « sur la sellette ». La sentence, rendue par les trois juges, était immédiatement signifiée par le greffier, soit dans la chambre du conseil, soit dans la prison entre les deux guichets. Si une peine afflictive ou infamante avait été prononcée, l'appel au Parlement était de droit. Le condamné se portait ordinairement appelant, mais lorsqu'il ne voulait pas le faire, le procureur du roi interjetait appel pour lui et le confiait aux Messageries qui devaient le remettre à la Conciergerie du Parlement. Les pièces de la procédure étaient expédiées au greffier criminel de cette cour.

Toutes ces phases de la procédure ne se déroulaient pas toujours d'une façon régulière et bien des difficultés venaient en retarder le développement. Chose remarquable, un grand nombre de crimes, à cette époque, étaient commis par des groupes de malfaiteurs. La tentative de meurtre sur Guillaume Corre, à Créc'hmadiec, en 1707, était l’œuvre de trois ou quatre paysans : en 1718, à Saint-Hernin, un nommé Jean Pierre fut attaqué par une cinquantaine d'individus. L'assassinat de Joseph Morvan, dont il a été question plus haut, fut commis par « huit ou dix adhérés ». La poursuite dirigée contre les délibérateurs concussionnaires de Berrien, en 1761, mit en cause les principaux habitants de cette paroisse. En 1763, les exploits de la troupe de Corentin Tromel, dite des Finfond, au Cleuron en Gourin, au château de Meros, aux environs de Guiscriff et du Saint occasionnèrent des poursuites contre quatorze associés [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., aux diverses dates indiquées]. C'était l’âge d'or des bandes de voleurs. Dans le pays de Châteauneuf, « on se plaignait tellement de vols qu’on se barricadait toutes les nuits » [Note : S. R. de Chât., Procès-verbal de torture du 7 déc. 1763].

Il en résultait de sérieux obstacles pour l'instruction. Les accusés, laissés libres après la plainte, jusqu'à ce qu'ils fussent suffisamment chargés, essayaient par tous les moyens d'empêcher les témoins de parler. Ils tachaient de les gagner par des libations ou des repas [Note : S. R. de Chât., Requête du 9 mars 1707 contre les accusés qui gagnent les témoins par tous les moyens : repas, menaces, argent], et s'entendaient pour les menacer chacun dans son rayon. Il n'était pas rare de trouver le témoin « le verre en main, chargé de vin rouge, buvant avec les accusés, quoiqu'il n'aye pas été interrogé » [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (14 février 1707)]. Mais l'intimidation était le moyen de corruption le plus employé, comme le plus sûr. Un accusé déclarait fort bien à une femme « qu'elle eût à prendre garde de ce qu'elle déposerait, que sinon on la tuerait comme son mari » [Note : S. R. de Chât., (1707)]. Le recteur de Lennon lui-même, désigné par l'évêque pour lire à Plonévez-du-Faou les seconds réaggraves, ne voulut remplir cette mission qu'à la condition d'être accompagné les trois dimanches par le procureur du roi qui viendrait le prendre à son presbytère et l’y reconduire chaque fois après avoir assisté à la fulmination de ces réaggraves [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., février 1729].

La tâche des juges devenait donc très pénible. Ce n'était plus une instruction qu'ils avaient à faire : c'était plutôt une petite guerre qu'ils avaient à soutenir contre les accusés et leurs partisans. Et ils en avaient beaucoup, car ce n'était guère à leur premier coup d'essai que la justice s'occupait d'eux. Kervran, comme beaucoup d'autres, se vantait de ses exploits, d'avoir tué plusieurs maltôtiers sur la route de Nantes : il portait un bonnet à la dragonne galonné d'or et d'argent, qui en était, disait-il, la preuve [Note : S. R. de Chât., Monitoires du 14 septembre 1728]. Mais il était toujours armé, et lorsqu'on arrivait dans son village pour se saisir de lui, sa femme criait à la force du roi pour rassembler tous ses partisans [Note : S. R. de Chât., (10 avril 1728)]. Dans de telles conditions, il était difficile de s'emparer de la personne des accusés. En 1765, six perquisitions de personne à domicile par divers sergents demeurèrent inutiles : les bans à cri public et à son de trompe n'eurent pas plus de succès [Note : S. R. de Chât., 23 septembre 1765]. On avait alors recours à la ruse : des espions, au compte du procureur du roi, se chargeaient de l'informer des mouvements des prévenus. C'est sur les indications de l'espion « ordinaire » qu'on arriva à se saisir d'un accusé dans un champ où il avait rendez-vous [Note : S. R. de Chât., 11 août 1728], d'un second « lorsqu'il était paisiblement chez lui charroyant de la litière pour mettre sur son estrevet » [Note : S. R. de Chât., (3 septembre 1728)], et d'un troisième revenu chez lui après une absence prolongée, « pour semer son seigle, au moment où il donnait à manger à ses enfants » [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (24 octobre 1728)]. Mais pour toutes ces arrestations, qui avaient demandé bien du temps, il avait fallu l’aide des cavaliers de la maréchaussée de Landerneau et des sergents des justices seigneuriales étrangères au ressort et par suite inconnus des accusés.

Ceux-ci, une fois arrêtés, ne restaient pas longtemps à la disposition des juges. Les évasions des prisons étaient très fréquentes, bien qu'elles constituassent un nouveau crime [Note : Chéruel, Dictionnaire des institutions, v° Prisons]. Elles étaient rendues très faciles, comme on le verra, par l’état déplorable des locaux de détention. A la fin de novembre 1765, pendant le procès instruit contre la bande des Finfond, on s'aperçoit un beau matin que cinq détenus ont pris la clé des champs [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (30 novembre 1765)] : l'un d'eux est repris quelques jours après, mais le dernier ne retomba aux mains de la justice qu'environ un an plus tard. Plusieurs accusés se sont échappés deux fois au cours de la même procédure. Gilles Lozach s'évada deux fois durant son procès, la première fois avec deux de ses co-détenus [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1781)] ; l’année précédente, l'un de ses complices lui en avait donné l'exemple [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1780)]. La veuve Le Duff de Bédiés s'était fait enlever par des gens masqués [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1727)]. Un certain Bernard s'échappa deux fois en cinq mois [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1766)]. Bref, il n'est guère de prisonnier qui ne se soit évadé des prisons au moins une fois pendant la procédure instruite contre lui [Note : Les condamnations par contumace étaient nombreuses : 1, le 30 juin 1746 ; 5, le 15 juillet 1766 ; 1, le 19 août 1772, etc.]. Pendant une certaine période, les juges de Châteauneuf furent obligés d’emprunter les prisons voisines, les leurs étant « carantes de réparations », et pour les interrogatoires et autres formalités de l'intruction ils devaient se transporter soit à Morlaix, soit à Carhaix, soit à Châteaulin où se trouvaient alors les détenus.

Ce qui précède montre combien les procédures criminelles étaient laborieuses. Les auteurs du crime commis à Kergodel occupèrent quarante séances de confrontation, et cinquante-six de recollement, où furent entendus cent soixante et onze témoins [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1730)], la bande des Tromel, vingt-sept séances de confrontation et autant de récollement : il y avait quatorze accusés [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1766)]. Il fallait souvent entendre des témoins qui demeuraient au loin, éclaircir des faits qui s'étaient passés dans d’autres ressorts judiciaires ; pour cela, le siège décernait des commissions rogatoires qui retardaient encore la fin de l’affaire [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., Commission rogatoire aux juges de Lorient, aux juges du Châtelet, en 1784].

Il n'y a donc pas lieu de s'étonner de la longue durée des procédures criminelles. Les juges ayant à vaquer d'abord aux affaires ordinaires ou d’office, devaient trouver en dehors de ces occupations le temps nécessaire à l'instruction des procès criminels. Il s'écoulait donc de longs mois, parfois plusieurs années entre l'information préliminaire et la sentence définitive. L'affaire de l'empoisonnement de Guillaume Le Duff de Bédiés par sa femme, commencée en 1723, ne se termina qu'en 1727 ; la procédure relative à l'assassinat de Joseph Morvan dura depuis le mois de février 1728 jusqu'au mois de mai 1730 ; celle au sujet du meutre de Jean Malaterre, de Plonévez, de 1730 à 1734. Une affaire pour usage de faux poursuivie à la requête des employés des Devoirs occupa les juges de juillet 1758 à février 1760 ; le procès des délibérateurs de Berrien, de 1761 à 1763 ; celui des complices de Corentin Tromel, de février 1764 à décembre 1766 [Note : S. R. de Chât., aux diverses dates indiquées]. Des affaires de minime importance ont une durée aussi longue : des poursuites pour vols dans les foires, pour coups et blessures ne sont closes qu'après trois ans d'informations [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1780 et 1786)]. Il est bien rare de voir des coupables condamnés trois mois et même seulement deux après leur crime, comme Guillaume Hémery en 1763 et Trébuchet en 1784 [Note : S. R. de Chât., (1763, 1784)]. La brièveté de ces instructions est tout à fait exceptionnelle.

Pendant des procédures aussi longues, il est malaisé aux juges de conserver dans son intégrité le faisceau de preuves nécessaires à fixer leur conscience sur la culpabilité du prévenu. Au milieu des difficultés qui viennent d'être énumérées, ils ne trouvent de secours que dans les monitoires avec leurs réaggraves et dans les rapports des chirurgiens ou des experts.

A la vérité, les monitoires étaient pour eux d'un concours très précieux. Pour obtenir ces monitoires, le procureur du roi dressait la liste des faits dont il voulait obtenir la preuve et sur une ordonnance du sénéchal ou de tout autre juge la soumettait à l'Ordinaire. L'autorité diocésaine lui délivrait la permission de faire lire par les curés, pendant trois dimanches consécutifs, au prône de la grand'messe des paroisses, cette articulation de faits en y ajoutant la monition aux fidèles de déclarer, sous peine d'excommunication, ce qu'ils savaient relativement aux points à éclaircir : cette lecture s'appelait la fulmination des monitoires.

Les monitoires abondent dans les procédures criminelles du siège de Châteauneuf. Au sujet de l'assassinat de Morvan, en 1728, on en fulmine à Plouyé, à Loqueffret, à Plonévez-du-Faou, à Collorec, au Cloître ; l'année suivante on lit des seconds monitoires dans les mêmes paroisses, et de plus à Lennon. Il en est de même en 1765, à Gourin, au Faouët, à Guiscriff, à Lanvénégen, pour avoir révélation des crimes commis par la bande des Finfond. Dans une affaire de La Feuillée (1777) des monitoires furent lus dans six églises différentes. Bref, on en trouve dans toutes les procédures où il y a quelque point obscur, pour l’effraction d'un tronc dans l'église de La Feuillée (1783), pour un vol de marchandises à Huelgoat (1743), après la découverte d'un enfant nouveau-né, à Keradilly, en Châteauneuf (1778), et somme toute dans la plupart des affaires, quelle qu'en soit leur importance [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., aux dates indiquées].

Cela devenait un abus et l’autorité ecclésiastique y répugnait malgré les bons résultats produits souvent par les monitoires. Leur fréquence, du reste, avait affaibli leur action sur le public effrayé déjà par les menaces des accusés ou de leurs alliés. Elle avait parfois rendu nécessaires les réaggraves [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., Conclusions du sénéchal du 26 mai 1728]. Ceux-ci étaient obtenus de la même façon que les monitoires el consistaient en trois lectures de l’énumération des faits dont il fallait se procurer la preuve ; mais ils se publiaient « au son des cloches et avec des cierges allumés que le clergé tenait en main et qu'il éteignait ensuite en les jetant à terre ». La censure prononcée vers les témoins qui n'auraient pas déclaré ce qu'ils savaient « privait celui qui en était frappé de tout usage avec la société civile » [Note : Chéruel, Dict. des institutions, aggraves, monitoires, réaggraves]. On a cru que ces formalités n'étaient pas d'usage en Bretagne [Note : Trévédy, Marion du Faouët, 42]. C'est à elles pourtant que faisait allusion le sénéchal de Châteauneuf, dans une de ses ordonnances. « Le peuple grossier, disait-il, ne se croit absolument obligé de dire vérité que lorsque frappé des formalités extérieures qui accompagnent les réaggraves il craint l'excommunication dont il se voit menacé » [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., Procès-verbal du sénéchal du 26 mai 1728].

Les réaggraves étaient, comme on le pense, beaucoup plus rares que les monitoires. On en fulmina, cependant, à propos d'un vol de marchandises, à Huelgoat ; mais il n'y en eût pas, comme on aurait pu s'y attendre, après des effractions commises dans les églises de Saint-Hernin, de Berrien et de Cléden-Poher [Note : S. R. de Chât., (1775)].

C’est d'ailleurs le seul exemple qui nous soit parvenu d'un pareil usage.

Le concours fourni par l'Eglise dans ses monitoires et ses réaggraves était de la plus grande utilité pour la justice séculière à cette époque. Les divers experts auxquels on faisait appel étaient de médiocres auxiliaires : leurs talents n’étaient pas à la hauteur de leur zèle.

Des exhumations étaient ordonnées pour visiter les cadavres lorsque la mort ne paraissait pas naturelle : mais les rapports des chirurgiens jurés au rapport — les médecins légistes ne datent pas d'aujourd'hui — ne fournissaient pas de renseignements de nature à mettre en lumière les circonstances du crime.

Les experts en écriture semblent avoir été plus utiles. La fille d’un sergent général et d'armes, Marie-Gabrielle Lymon, qui avait épouse contre son gré un avocat, Guillaume Le Duff de Bédiés, était accusée de l’avoir empoisonné. Une des preuves les plus accablantes pour elle consistait dans trois billets adressées à la veuve d'un apothicare de Quimper pour lui demander de la « mort-aux-rats », or, ces billets étaient signés du nom de la veuve d'un sénéchal de Châteauneuf-du-Faou et l’inculpée niait énergiquement les avoir écrits. Maîtres Le Guillou et Le Lay, l’un notaire et l’autre praticien, furent nommés experts d’office et dans leur rapport ils affirmèrent l’identité de l'écriture des billets avec celle de la veuve Le Duff [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1723)].

Avec ou sans ces concours et après toutes les longueurs de la procédure retardée encore par mille incidents, le moment arrivait enfin où les juges pouvaient porter leur sentence. On sait qu'ils n'avaient ni à motiver leur opinion, ni à se renfermer dans un maximum ou un minimum pour l’application des peines. Il est très intéressant de se rendre compte de la manière dont ils usaient de cette grande latitude, qui leur était laissée.

Une sévérité rigoureuse semble avoir été la caractéristique des conclusions du procureur du roi aussi bien que des sentences. Certainement, les auteurs de l'assassinat de Morvan, qui a été raconté tout au long, méritaient un châtiment exemplaire ; mais tous les coupables ne l'étaient pas au même degré : le procureur du roi réclamait néanmoins pour six d'entre eux le supplice de la roue, et pour une femme la pendaison [Note : S. R de Chât., Proc. crim. (1730)]. Les peines requises étaient absolument disproportionnées avec les faits reprochés lorsqu'il s'agissait de vols : le procureur du roi requérait par exemple la peine de mort contre un certain Lozach, pour des menus vols à Châteauneuf [Note : S. R de Chât., Proc. crim. (1782)], et contre deux autres individus, Baron et Guengant, coupables d'avoir volé au marché de Huelgoat, de la toile, du savon, du lard et du tabac [Note : S. R de Chât., Proc. crim. (1746)]. Le Parlement de Rennes professait une souveraine horreur pour les quêtes d'aliments faites à domicile et qui parfois ressemblaient moins à d'humbles supplications qu'à des contributions forcées. Aussi, en 1713, le procureur du roi concluait-il à ce qu'une vagabonde tombée dans ce cas fut pendue et étranglée. Pour des effractions dans les églises, où l’on n'avait enlevé que de faibles sommes d'argent, 5 livres et quelques sols par exemple, il demandait également la peine de mort. Dans les affaires capitales, il requérait fréquemment des aggravations de peine ; contre la veuve Le Duff, empoisonneuse et faussaire, « qu’elle eût d'abord le poing coupé sur un poteau el qu'après sa mort sur l’échafaud son corps fût brûlé et réduit en cendres et ensuite jeté au vent, avec application préalable de la question ordinaire et extraordinaire » [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., Conclusions du 30 septembre 1727]. Rarement on le voyait requérir des peines minimes comme un mois de prison : ses conclusions étaient généralement d'une rigueur excessive.

Les sentences, il est vrai, ne reproduisaient pas toujours ces conclusions. Elles ne nous sont pas parvenues toutes avec le réquisitoire correspondant, mais on peut affirmer que le plus souvent elles sont moins sévères. Le procureur du roi, comptant probablement sur cet adoucissement, renforce ses conclusions. Pour le crime de Kergodel, Kervran est seul condamné à la roue et à l’exposition sur le lieu du crime : il est tardé à faire droit sur ses complices [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., 1730]. Pour un vol de cheval la sentence portait dix ans de galères au lieu des galères perpétuelles [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., 1784] : pour vol de fusil et de faux à un boutiquier, cinq ans de galères au lieu de vingt [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., 1785] : pour effraction de troncs dans une église, cinq ans de galères au lieu de la pendaison [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., 1788]. Des peines légères sont souvent prononcées : trois ans de bannissement hors du ressort pour vol d’une tabatière [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., 1781], vingt ans de la même peine pour tentative de meurtre [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., 1784].

Mais une sévérite outrée apparaît encore dans les sentences. La peine de mort est maintenue dans des affaires de faible importance, pour de simples vols en foire [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1782)]. En 1763, le malheureux Grégoire Stéphan est condamné à être pendu pour avoir dérobé à Langouilly et à Coatbihan divers objets dont la valeur ne dépasse pas 30 livres [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1763)]. Parfois même la sentence est plus dure que le réquisitoire. Pour trois des complices d'Hémery, le supplice de la roue fut prononcé au lieu de la pendaison ; pour quatre autres la pendaison au lieu des galères à temps ou du bannissement, et pour un enfant de quatorze ans la peine de dix ans de galères au lieu du fouet [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1766)].

Les sentences avaient encore quelque chose d'odieux. Les juges retenaient, en effet, avec les faits dûment établis, ceux sur lesquels il n'existait que des soupçons et qui devenaient pour ainsi dire des circonstances aggravantes. C'est ainsi que dans une sentence de 1766, Pierre Bernard fut déclaré convaincu de vols et de tentatives de vol et « violemment soupçonné d'avoir volé une paire de draps à Brasparts ». Bien plus, un certain Charlot fut condamné à dix ans de galères, « étant très violemment soupçonné d'avoir volé des chevaux qu'il s'est trouvé chargé par les informations, d'avoir vendus toujours aux mêmes particuliers, sans pouvoir dire de qui il les avait achetés » [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1766 et 1784)]. On condamnait donc sur de simples soupçons.

Outre la condamnation principale, la sentence portait des aggravations de peine, les unes relatives au mode d'exécution, comme la torture, l'amende honorable, la marque, l'exposition après le supplice : les autres à la liquidation des frais du procès.

Pour obliger le condamné à dévoiler ses complices on le soumettait à la question ordinaire et extraordinaire. Un procès-verbal de torture, trouvé dans le fonds du siège royal de Châteauneuf-du-Faou, explique tout au long en quoi elle consistait. Guillaume Hémery ayant été condamné à mort à Châteauneuf, cette sentence fut confirmée par arrêt du 28 novembre 1763, qui désignait le sénéchal Pic de la Mirandole pour assister à la torture. Le condamné fut amené par le premier huissier devant le juge ; il écouta à genoux l'arrêt lu par le greffier et traduit ensuite par un interprète. Il fit des aveux sur quelques-uns de ses crimes et dénonça plusieurs complices. Quand il eût terminé ses déclarations, l'exécuteur l'attacha sur le tourment et le chaussa d'escarpins de peau soufrée. Le sénéchal lui fit alors jurer de dire vérité et lui remontra qu'il valait mieux reconnaître la vérité, « afin de ne pas se laisser tourmenter par le feu ». Hémery répondit avoir tout dit. C'est à ce moment qu'on l'approcha du feu pour la première fois ; au bout de quelques instants il déclara qu'il dirait vérité « s'il était retiré du feu ». Dès qu'il en fut éloigné, il dévoila le nom d'un autre de ses complices. On l'approcha ainsi six fois du feu, et à chaque fois qu'on l'en écartait il avouait un nouveau crime. Il eût à subir ensuite la question extraordinaire : pour cela on l’approcha et on l'éloigna successivement trois fois du feu. Mais comme il avait déjà « chargé tous ses complices » et reconnu les circonstances dans lesquelles il avait commis ses vols et ses brigandages sur les grands chemins, il ne put rien ajouter. Le sénéchal, après l'avoir « menacé de plus grands tourments », le fit détacher et éloigner du feu de telle sorte qu'il n'en pût souffrir, puis lui fit jurer une troisième fois que ses dépositions contenaient vérité : ce sont ces déclarations qui constituaient le testament de mort du condamné [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (7 décembre 1763). Cf. Dr Corre, Les procédures criminelles en Basse-Bretagne (Cornouailles et Léon), aux XVIIème et XVIIIème siècles, p. 36].

Le condamné à mort, avant de subir sa peine, était conduit par l’exécuteur de haute justice, « nuds pieds, en chemise, la corde au col, et à la main une torche de cire ardente », devant l'église paroissiale, et là demandait pardon à Dieu, au roi et à la justice. Il était ensuite mené au lieu du supplice pour y être pendu ou roué vif, selon la sentence portée contre lui [Note : Le supplice de la roue consistait pour le condamné à avoir les bras, jambes, cuisses, reins, rompus vifs sur un échafaud, son corps était ensuite placé sur une roue, la face tournée vers le ciel, pour y finir ses jours (S. R. de Chât., Proc. crim., Conclusions du 15 mai 1730)]. A Châteauneuf, l'échafaud était dressé à cet effet sur « la place publique des bestiaux », appelée quelquefois place martraitte. L'exécuteur des hautes œuvres venait probablement de Rennes [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., Lettre du 9 décembre 1766].

Les contumaces étaient exécutés « en effigie sur un tableau attaché à la potence » [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., Sentence du 30 juin 1746].
Les peines autres que la mort étaient souvent accompagnées du supplice de la marque. On marquait au fer rouge, sur l'épaule, les brigands de la lettre R, les condamnés aux galères des lettres GAL et les mendiants, avant leur internement dans un hôpital, d'une fleur de lys ou de la lettre M [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., 1700, 22 may 1780, 1746].

Enfin, pour les suppliciés, l'exposition de leur cadavre sur les lieux du crime était d'un usage courant. Kervran fut exposé à Pratinou, Hémery à Lezlec'h, en Plouyé, plusieurs bandits de la troupe des Tromel en divers endroits aux environs du Faouët. Une sentence de 1727 portait même que le corps d'un assassin serait après sa mort partagé en deux : le chef serait exposé à Toulaney, en Loqueffret, vis-à-vis de sa maison, et le tronc au bord de l'étang de Huelgoat [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1727)].

La sentence arrêtait enfin les frais de la procédure, qui comprenaient les dépens proprement dits et les épices des juges [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. Pour une affaire de La Feuillée (concussions), les épices des juges s'élevèrent à 450 l. (1778) ; pour une infraction de troncs d'église, les frais montèrent à 540 l. 9 s. 2 d. (1788)]. Elle prononçait en outre au profit du roi, soit la confiscation totale des biens du condamné, soit une amende dont elle fixait le taux.

Mais la teneur de la sentence, en cas de condamnation, n'était pas exécutée immédiatement, car elle n'était pas définitive, une des chambres du Parlement de Rennes, la Tournelle, revisait les procédures criminelles où une peine afflictive ou infamante avait été portée. On peut croire que le condamné n'avait qu'à se féliciter de cet appel forcé : car les sentences d'appel qui nous sont parvenues atténuent presque toujours les sévérités des premières. C’est ainsi que pour Hémery, condamné à la roue, on arrêta qu'il serait étranglé « avant de recevoir les coups ». Trois de ses complices seulement furent condamnés en appel à la roue : il fut tardé à faire droit au sujet des autres. Il en fut de même pour Jean Cras, en 1768 : à Châteauneuf-du-Faou il avait été condamné à la peine capitale deux ans auparavant. Cependant, la Tournelle arrêtait qu'une femme coupable d'infanticide serait pendue, brûlée, et ses cendres jetées au vent [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1763, 1766, 1768, 1731)].

Quant à l'exécution, il était parfois décidé qu'elle aurait lieu à Rennes, pour pouvoir continuer plus facilement, d'après le testament de mort d'un condamné, l’instruction de rappel de ses complices. Mais d'autres fois, on la renvoyait à Châteauneuf, quand l’exposition du cadavre du supplicié devait être faite à l'endroit où le crime avait été commis.

Cet appel nécessaire était un moyen de contrôle efficace sur les procédures criminelles. L'examen des pièces du procès indiquait si les poursuites avaient été sérieusement faites — au cas où les coupables n'avaient pu être découverts [Note : Une copie des pièces de toutes les procédures était expédiée au greffier criminel du Parlement, quel que fut le résultat des informations, que les auteurs du crime soient restés inconnus ou que les prévenus aient été acquittés ou condamnés] — si l'instruction avait été suivie d'une sentence et si les ordonnances criminelles avaient été ponctuellement observées.

Pour le condamné, l'appel était manifestement utile. Une erreur judiciaire pouvait être relevée. En ce cas, un arrêt du Parlement annulait la procédure déjà faite et renvoyait l’affaire à un siège voisin de celui dont la sentence venait d'être cassée. C'est ainsi qu'une affaire criminelle jugée à Concarneau fut renvoyée par le parlement à la cour de Châteauneuf-du-Faou, où, après une longue instruction, l'inculpé fut proclamé innocent [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., cf. Affaire Rospabé, de Bannalec (vol de linge). Commencement de l’affaire à Concarneau, 1730 ; sentence de ce siège, 11 juin 1734 ; renvoi à Châteauneuf, par arrêt du 16 septembre 1734 ; acquittement de l'inculpé, 16 juin 1736 ; mise en liberté de Rospabé, sur l’autorisation du procureur général le 3 octobre 1736].

Telle était avec toutes ses péripéties la marche habituelle des affaires qualifiées de grands crimes. Il y avait, en effet, une exception. Les homicides commis soit involontairement, soit en cas de légitime défense, suivaient une procédure toute différente. Le meurtrier, pour échapper aux poursuites dirigées contre lui, devait obtenir des Lettres de Rémission. Sans elles il était considéré et jugé comme un assassin ordinaire. C'est ce qui arriva à Guillaume Keruzoré, qui, pour avoir tué par imprudence son beau-frère, à Kerrannou, en 1745, fut condamné à mort par contumace [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1745)]. Il était donc prudent de se rendre à Versailles solliciter du roi des lettres de Rémission. Ces lettres obtenues, le titulaire devait se constituer prisonnier au siège où l'affaire était poursuivie Pendant les formalités de l'entérinement [Note : Cf. Abbé Favé, Lettres de rémission dans la Sénéchaussée de Carhaix (Bulletin de la Société Archéolog. du Finistère, t. XXX, 215 et sqq.]. Le procureur du roi à Châteauneuf semblait ignorer cette particularité de la procédure : en octobre 1744, il fit relâcher Jacques Rohou, accusé de l’assassinat de son frère, à cause de ses lettres de rémission en date du 27 janvier de la même année. Le bailli, en apprenant la levée de l'écrou, déclara « se pourvoir vers luy au Parlement, attendu que l’emprisonnement était régulier et qu'il fallait que l'accusé fût dans les prisons : au lieu de le mettre en liberté on aurait dû l’envoyer aux prisons du siège auquel les lettres étaient adresées » [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., Procès-verbal du 29 octobre 1744]. Celles-ci mentionnaient, en effet, par erreur, le présidial de Quimper au lieu de la cour de Châteauneuf.

L'action publique était seule éteinte par les lettres de rémission : l'action civile persistait. Il est donc naturel de voir le procureur du roi conclure à 600 livres de « compensation » à payer à la veuve Carré par le meurtrier de son mari, Michel Guillerm, mais on s'étonne à juste titre qu'il requière en même temps contre celui-ci une peine de deux mois d'emprisonnement. Cela devait être régulier, car la sentence étant du mois d'octobre 1741, le procureur général ne délivra que le 26 janvier suivant l'ordre d'élargissement de Guillerm [Note : S. R. de Chât., Proc. Crim. (1741)]. C'était en quelque sorte une simple punition infligée à une imprudence possible de la part du meurtrier et qui remplaçait la peine capitale dont il était passible. Mais cette façon de considérer l'affaire la faisait rentrer dans la catégorie des petits crimes.

C'était cette appellation assez singulière que l’on donnait aux affaires justiciables, de nos jours, des tribunaux correctionnels. Elles étaient réglées par un seul juge, le sénéchal ou un de ses remplaçants. C'étaient d'ordinaire des affaires pour coups et blessures ouvertes par une plainte ou une requête du procureur du roi demandant une information d'office. Elles aboutissaient rapidement à l'allocation d'une somme d'argent pour aliments et frais de maladie. Ceci se produisait également dans les procédures criminelles, mais n'arrêtait évidemment pas l'affaire, quant à l'action publique [Note : S. R. de Chât., Proc. Crim. (1707)]. Dans les petits crimes, des réparations parfois assez élevées étaient accordées par le juge au cours du procès [Note : S. R. de Chât., Proc. Crim., 68 l., 25, 36, 120. (1713, 1727, 1774, 1772)] mais aucune sentence définitive en ce genre d'affaires ne nous indique la sévérité des peines prononcées : très souvent, en effet, ces procès étaient civilisés, c'est-à-dire convertis en procès civils ordinaires. Il est permis de croire que dans les autres cas ils se terminaient par des emprisonnements de très courte durée.

Le rôle des prisons était plus important pour l'instruction des grands crimes, à cause des longues détentions préventives, et dans les affaires civiles à cause de la contrainte par corps. Il est donc utile de connaître l’état de celles de Châteauneuf.

En 1729, Pic de la Mirandole avait affermé au roi une maison pour servir à la fois d'auditoire et de prisons. La geôle ou conciergerie [Note : S. R. de Chât., Aud. civ. 13 octobre 1706], où habitait le geôlier, était au rez-de-chaussée, ainsi que la chambre criminelle et deux cachots, l'un pour les hommes et l'autre pour les femmes. La chambre criminelle, très exiguë, ne recevait de jour par aucune fenêtre : les murs, en très mauvais état, étaient protégés par des madriers ; au milieu de la pièce s'élevait un poteau, d'où partaient les chaînes, auxquelles les prisonniers étaient cadenassés. Les hommes y étaient seuls renfermés, les femmes couchaient dans la cuisine de la prison. Les cachots se trouvaient sous les deux escaliers.

La chambre civile, au premier étage, près de l'auditoire, était encore plus petite que la chambre criminelle [Note : 3m90 sur 2m30. — Arch. I.-et-V., C 119 (1776)]. On enfermait pourtant jusqu'à dix prisonniers dans cet étroit espace. Aussi le sénéchal était-il parfois obligé de leur permettre de se promener trois à trois à tour de rôle, deux heures le matin et deux heures le soir, dans les pièces adjacentes, et de transporter leurs paillasses où ils trouveraient de la place [Note : S. R. de Chât., Liasse 59 (juin 1767)].

Ces prisons auraient été, paraît-il, suffisantes [Note : Arch. I.-et-V., C 108] : le nombre des prisonniers ne se serait pas élevé à plus « de un tous les quatre ans au civil et de un ou deux par an au criminel », sans compter ceux qui étaient détenus pour affaires de police [Note : Arch. I.-et-V., C. 118].

Il est bien certain pourtant que les prisons étaient parfois littéralement bondées.

Elles n’étaient pas tenues en meilleur état que l'auditoire. En 1776, toutes les boiseries étaient vermoulues ; les grilles et les barres de fer, « mangées de rouilles », ne pouvaient offrir aucune résistance, les murs étaient en moëllons et mortier de terre [Note : Arch. I.-et-V., C 119].

Les évasions étaient donc très faciles. De la cbambre criminelle les détenus pratiquaient une ouverture dans la muraille et sortaient ainsi dans la rue, ou bien après avoir brisé la porte montaient à l'auditoire et sautaient par la fenêtre [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., 1765, 11 octobre 1780, 31 octobre 1766]. De plus audacieux allaient prendre les clefs sous l'oreiller de la geôlière, quand elle était malade, et ouvraient la porte donnant sur la rue, « le plus doucement possible » [Note : S. R. de Chât., Proc. crim., (1799)]. D'autres enfin grimpaient par la cheminée de la chambre civile, démolissaient une des parois et parvenaient ainsi dans un grenier d'où ils descendaient tranquillement par l'escalier de l'auditoire [Note : S. R. de Chât., Proc crim., (8 juin 1766) et Liasse 71 (1785)].

L'état sanitaire des prisons laissait aussi à désirer. « Les prisonniers périssaient ordinairement par les maladies contagieuses qui s'y engendraient, et quand on voulait les sauver on était obligé de les mettre sous la garde du geôlier à respirer un air libre sur la rue même » [Note : Arch. I.-et-V., C 119]. C'est du moins ce qu'affirmait l'auteur d'un rapport sur les prisons de Châteauneuf fait en 1776 : il exagérait certainement. Cependant, en 1777, deux prisonniers furent atteints de la dyssenterie, et un troisième du scorbut ; la chambre criminelle, située au-dessous du niveau de la place voisine, était excessivement humide, et les détenus couchaient sur un peu de paille, sans couverture, et ne recevaient que de mauvais aliments [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (27 décembre 1777)].

Les anciennes prisons, que l'on avait été forcé d'abandonner pour choisir de nouveaux locaux, étaient, on le pense bien, aussi misérables. Les prisonniers déclaraient au sénéchal « qu’il y pleuvait comme dehors, que les planches étaient si mauvaises qu'ils risquaient à chaque instant de se casser quelque membre » [Note : S. R. de Chât., Liasse 59 (1721)]. De son côté, Marie-Gabrielle Lymon, pour excuser son évasion, disait, dans son interrogatoire sur la sellette, que les prisons étaient « très incommodes et peu saines » [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (30 septembre 1727)].

Les prisonniers, au point de vue de l'hygiène, n'avaient rien gagné à ce changement de prisons ; les nouvelles étant vite devenues aussi malsaines que les autres. Ils restèrent d'ailleurs soumis au même régime. A leur entrée dans la geôle ils étaient écroués [Note : Ecrou : « Geollier des prisons de la Cour Royale de Châteauneuff du Faou, Huelgoat et Landelleau, vous este par moy soubzsigné Alain Le Ballennois, sergent royal héréditaire en Bretagne de l’établissement de Châteauneuf, Huelgoat et Landeleau résidant en la ville et paroisse du dit Châteauneuf chargé de la personne de Madeleine Lécuier se disante originaire de la ville de Brest comme voleuse et vagabonde jusques à nouvel ordre et ce à la reqte de Monsieur le Subz de Monsr le procureur général du roy, de laquelle vous feres bonne et surgarde et la norires au pain du roy à la manière acoutumé suivant les arests et règlements de la Cour. Fait pour charge ce jour 10e mars après-midy 1735. Ballennois ». — (S. R. de Chât., Reg. d'Ecrous)], à moins qu'ils ne fussent arrêtés que sur l’ordre des juges par mesure de police. Les Domaines devaient payer les frais de ferrement et donner à chacun des détenus 3 sols par jour pour sa nourriture — le pain du roi — et pour sa solde [Note : Arch. I.-et-V., C 108 (1769)]. Mais ils ne remplissaient ces obligations que très irrégulièrement. En 1721, les prisonniers déclaraient au sénéchal « qu'ils ne touchaient pas le pain du roi, que depuis qu'ils étaient incarcérés ils mourraient de faim ». A cela le geôher répondait qu'il n'avait rien reçu des Domaines, qu'il avait envoyé à Rennes pour y être visé l'exécutoire que les juges lui avaient décerné contre le Fermier, mais qu'on ne le lui avait pas encore retourné ; il était réduit « à chercher l'aumône de porte en porte pour les prisonniers [Note : S. R. de Chât., Liasse 59] ; ses moyens ne lui permettaient pas, en effet, de faire les avances, à cause du prix du blé » [Note : S. R. de Chât., Liasse 66 (1719-1720)]. La mauvaise volonté des fermiers des Domaines était manifeste. Un beau jour, l'un d'eux « déchargea » le geôlier de tous ses prisonniers, et les juges durent lui ordonner de les réintégrer en prison dans les vingt-quatre heures [Note : S. R. de Chât., Aud. civ. du 16 octobre 1737].

Aux ressources irrégulièrement fournies par les Domaines pour l'entretien des prisonniers s'ajoutaient d'autres plus intermittentes encore : les amendes prononcées par les juges et les suppléments à payer sur le montant des adjudications judiciaires [Note : S. R. de Chât., Aud. civ. du 12 octobre 1708]. Mais elles ne suffisaient pas à rendre enviable la place de geôlier.

Aussi n'était-il pas toujours facile d'en trouver ; parfois les sergents étaient chargés de la garde des prisons, et le fermier des Domaines était obligé de faire bannir que « la geôle était sans geôlier » [Note : S. R. de Chât. Aud. civ. (1737) ; Liasse 66 (1724)]. Celui qui consentait à assumer ces fonctions était reçu par les juges et prêtait serment, comme les officiers subalternes de la sénéchaussée à l'audience civile [Note : S. R. de Chât. Aud. civ., 31 mars 175]. On lui faisait quelques avantages. Il était exempt de capitation, du casernement et de la corvée des grands chemins : il touchait par jour 1 sol par prisonnier criminel et 3 sols par prisonnier civil, ce qui lui rapportait environ 18 livres par an : les droits d'entrée et de sortie lui valaient communément 24 livres [Note : Arch. I.-et-V., C 108 (1769). Un arrêt de 1688 défendait pourtant au geôlier de toucher des droits de bienvenue. Recueil d'arrests, 1734, p. 136)]. Le geôlier avait rarement des altercations avec ses prisonniers [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (30 novembre 1765)], qui le trouvaient exact à remplir ses fonctions [Note : S. R. de Chât. (27 décembre 1780)]. Mais les juges ne partageaient pas cette opinion. Le lieutenant accusait le geôlier d'avoir fait mourir une jeune fille à la suite de ses mauvais traitements, de ne pas donner à manger aux prisonniers et de laisser une femme prévenue de crime capital se promener librement à travers la ville : « tout le monde, disait-il, entrait dans la prison comme dans une auberge » [Note : S. R. de Chât., Liasse 59 (25 juillet 1724)]. Et de fait, des ouvriers de Châteauneuf venaient y jouer aux cartes avec le geôlier et les détenus [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (2 novembre 1726)]. Aucune surveillance n'était exercée dans la prison. Pendant la détention de la bande des Finfond, Jeanne Tromel devint enceinte : « il lui était, en effet, permis de se promener dans tous les appartements et la porte de son cachot était ouverte tous les jours » [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (23 août 1765)]. Tous ces exemple montrent suffisamment la mauvaise tenue des prisons.

Le désordre qui y règne, au point de vue de l’administration comme de la surveillance, n'est que le corollaire du système défectueux appliqué à la répression des crimes. Trop de liberté et pas assez d'hygiène dans les prisons, souvent trop de lenteur dans les poursuites criminelles et toujours trop de sévérité dans l'application des peines. Heureusement, le procureur général s'occupe parfois de l'état des prisons, et la Tournelle vient tantôt stimuler l'activité des juges et tantôt atténuer la rigueur de leurs sentences. Les Lettres de Rémission viennent aussi tempérer la sévérité de la Coutume. Les juges ont certainement bien des excuses et trouvent autant de circonstances atténuantes, si l'on veut les juger à leur tour, dans chacune de celles qui entravent la marche de la prorédure des grands crimes. L'instruction des petits crimes, plus facile, en effet, est menée plus rapidement. Et outre l'expédition des affaires civiles et criminelles, les juges ont encore d'autres fonctions à remplir [Note : Dans les derniers mois de 1790, la sénéchaussée de Châteauneuf-du-Faou eut à appliquer la nouvelle procédure criminelle décrétée par l'Assemblée Constituante. On désigna comme défenseur d'office d'un accusé l’un des procureurs de la juridiction (S. R. de Chât., Proc. crim., 1790)].

(Raymond Delaporte).

© Copyright - Tous droits réservés.