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LA SÉNÉCHAUSSÉE DE CHATEAUNEUF-DU-FAOU : les limites du Ressort et Conflits de juridictions.

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Limites du Ressort et Conflits de juridictions.

La sénéchaussée de Châteauneuf-du-Faou, formée de l'union des trois châtellenies de Huelgoat, de Châteauneuf-du-Faou et de Landeleau, exerçait sa juridiction sur ces trois domaines [Note : Le domaine comprend ici l'ensemble des terres nobles ou roturières qui relèvent toutes de la même châtellenie royale. Le domaine, au sens féodal, signifie au contraire la portion de la seigneurie, qui n'a pas été inféodée par le seigneur et dont il s'est réservé personnellement la jouissance ou l'a rendue commune à tous les vassaux de son fief]. En Bretagne, la justice étant limitée par le fief dans les sénéchaussées royales aussi bien que dans les juridictions seigneuriales [Note : Giffard, Les justices seigneuriales en Bretagne, 165], il semble naturel qu'après avoir établi les limites des domaines, on ait obtenu par là même l'étendue du ressort judiciaire. Toute seigneurie avait, en effet, ses limites fixes, qu'il s'agisse de finances ou de justice. Mais ce qui était vrai aux premiers temps de la féodalité ne demeura pas rigoureusement exact dans la suite. Les limites de la juridiction et du domaine, bien qu'à la Cour des Comptes ces expressions fussent employées comme synonymes, ne coïncidaient pas plus dans l’une que dans l'autre de ces sénéchaussées. Cela était dû surtout à l'influence des justices seigneuriales : la mobilité de leurs limites, l'intermittence même de leur exercice ou leur extension sous plusieurs barres royales, tantôt diminuaient, tantôt augmentaient l'aire d'action des juges royaux. Les empiétements des officiers de justice sur les juridictions voisines produisaient d'autres variations dans l'étendue des ressorts, tantôt passagères, tantôt durables, selon qu'il se produisait ou non de conflit ; et ces difficultés survenaient également avec les cours royales avoisinantes. La connaissance exacte du ressort judiciaire était encore rendue moins aisée par la continuation des scellés et inventaires, les commissions données aux juges, la négligence à faire chiffrer les registres paroissiaux à la sénéchaussée de l'église.

La châtellenie de Huelgoat n'avait pas tardé à subir de fortes pertes. La commanderie de La Feuillée qui comprenait toute cette paroisse en avait été distraite : les ducs en ayant conservé la proche mouvance [Note : Chan. Guillotin de Corson, La commanderie de La Feuillée, Association bretonne, 1895, p. 132], elle était devenue postérieurement un arrière-fief du présidial de Rennes. La châtellenie de Plouyé [Note : Elle fut achetée en 1586 par Vincent de Plœuc, seigneur du Tymeur à Guillart de la Villedel. En 1616, les terres du Tymeur (Poullaouen), de Plouyé et de Kergorlay (Motreff) furent érigées en marquisat du Tymeur] portait sa mouvance à Lesneven depuis le XIIIème siècle. Mais il resta toujours quelque souvenir de l'ancienne attache de ces deux importantes seigneuries à Huelgoat. En 1481, les nobles de La Feuillée et de Plouyé furent appelés sous les châtellenies de Huelgoat, Châteauneuf-du-Faou et Landeleau [Note : De Fréminville. Antiquités du Finistère, II, 364, 365]. La Feuillée continua à relever de Châteauneuf-du-Faou pour les cas royaux, les juges de Rennes étant trop éloignés : la connaissance de ces matières était, il est vrai, déniée aux juges de la sénéchaussée par ceux de la commanderié [Note : S. R. de Chât., Lsse 61 (26 avril 1784)] ; ce droit était néanmoins fréquemment exercé, soit par des descentes au presbytère [Note : S. R. de Chât., Lsse 57 (1712)], soit par la visite des moulins ordonnée par l'arrêt du Parlement du 18 juillet 1770 [Note : S. R. de Chât., Lsse 60 (1771)] ; en 1789, cette paroisse envoya ses députés à Châteauneuf-du-Faou. En Plouyé, la seigneurie de la Salle-Kersauson, composée de tènements disséminés dans cette paroisse, faisait toujours ses déclarations d'obéissance féodale sous la juridiction et la barre de Huelgoat [Note : Arch. Nat., P 1749, f° 409. — Arch. Fin., E, 442 (1681)]. D'après un aveu de 1586, ce n'aurait été qu'un arrière-fief de la châtellenie de Plouyé ; ce qui est certain, c’est que la justice y était exercée par le Tymeur et que les sentences rendues au sujet de ces terres allaient en appel à Lesneven [Note : Arch. Fin., Ibid. (pièce de la fin du XVIIème siècle)]. Bien qu'il subsistât quelques traces de l'ancienne sujétion, la perte était encore, somme toute, plus forte à Plouyé qu'à La Feuillée.

Le domaine de Huelgoalt fort réduit, comprenait la paroisse de Berrien avec ses trêves, Huelgoat et Locmaria [Note : Le « terroir » de Botmeur, bien qu'enclavé à l'ouest de la paroisse de La Feuillée faisait partie de celle de Berrien], et ce qui en Loqueffret ne relevait ni de Châteaulin ni du Faou, c'est-à-dire la plus grande partie située à l'est ; elle s'étendait jusqu'à la place du bourg, de sorte que l'église, étant sous le fief de Châteaulin, on disait que Loqueffret relevait de ce dernier siège, bien que ce fut pour la moindre part.

Les officiers royaux exerçaient la juridiction sur tout ce domaine, sauf sur les terres qui dépendaient de seigneuries ayant droit de justice, qui étaient Botmeur, Le Relec, Keraznou et Quinimilin. Ils en recevaient seulement les appels, et à la mort du propriétaire, sauf dans les fiefs amortis, ils y exerçaient la régale. Leur ressort en première instance en était singulièrement diminué. Un coup d'œil jeté sur la carte permet de voir que les justices seigneuriales l'emportaient presque sur le domaine royal. La seigneurie de Botmeur s'étendait sur toute l'enclave de ce nom [Note : Arch. Nat., P 1749, f° 345] ; l'abbaye du Relec possédait presque toute la paroisse proprement dite de Berrien [Note : Arch. Nat., P 1750, f° 300] ; les deux membres qui constituaient la terre de Quinimilin comprenaient une dizaine de gros villages et s'étendaient au nord et au sud jusqu'aux dernières maisons de Huelgoat [Note : Arch. Nat., P 1750, f° 45] ; enfin, la seigneurie de Keraznou couvrait plus de la moitié du ressort en Loqueffret [Note : Arch. Nat., P 1750]. Ces juridictions étaient, certes, de faible importance, elles n'entamaient pas moins et assez fortement l'étendue du domaine direct.

Mais cet amoindrissement n'était parfois que passager. La justice de Botmeur semble avoir eu une existence intermittente, et celle de Keraznou ne s'exerça plus à partir de la fin du XVIIème siècle. Le ressort des juges royaux en première instance s'accroissait d'autant plus. Mais un danger plus menaçant pour eux consistait dans les appels des justices seigneuriales. Plusieurs de ces justices étaient formées de tronçons situés dans différents domaines royaux : or, elles portaient souvent par habitude leurs appels à la sénéchaussée dont relevail le chef-lieu. Cette situation étonnait quelquefois les employés des domaines : un scribe de Carhaix, ayant relevé en Spézet des convenants tenus sous Pratuloch, écrivait en observation : « Cette seigneurie relève de Châteauneuf », ignorant qu'elle pouvait être mixte [Note : Arch. Fin., A, 16]. Tous les droits à payer au domaine étaient réglés en bloc : le fisc n'y perdait rien, la recette était la même, quel que fût le bureau de versement, Châteauneuf ou Carhaix. En justice c'était différent : les officiers avaient leurs intérêts directements opposés à ceux de leurs voisins. Les sentences du Relec rendues à des justiciables de Berrien devaient être portées en appel devant les juges de Huelgoat et non à Lesneven ; celles de Kergoat-Kerviniou relatives à des tenues en Locmaria, à Huelgoat et non pas à Carhaix. De même après que la juridiction de Quinimilin eût été acquise par le seigneur du Tymeur et fut exercée concurremment par les juges du marquisat, elle devait ressortir directement à Huelgoat. Les juges de ce siège reçurent bien quelques appels [Note : Arch. Fin., H, 57 (1632). — S. R. Chât., varia (1768). — Scellés du Tymeur en Berrien (1784)]. Mais il est improbable que tout se passât régulièrement. Ce qui est hors de doute, c'est qu'ils perdirent la régale dans ces seigneuries non homogènes : la cour supérieure du chef-lieu administrant la justice dans toute l'étendue de la juridiction en rachat. C'était le cas à Huelgoat pour Quinimilin et Kergoat de Poullaouen.

Justice et domaine ne concordaient donc plus exactement : nous savons avec quel zèle les receveurs des domaines s'opposaient à toute innovation dans leur département; leurs archives leur étaient pour cela d'un précieux secours [Note : Dupont-Ferrier, Les officiers royaux des bailllages etc., 543 et sqq.]. Mais les officiers de justice en étaient dépourvus : ignorant souvent les limites exactes du fief royal, ils ne pouvaient toujours agir suivant leurs droits.

La même anomalie régnait à Châteauneuf-du-Faou. L'ancienne chatellenie s'étendait sur les paroisses de Châteauneuf avec sa trêve Le Moustoir, du Quilliou, de Plonévez-du-Faou et la presque totalité de sa trêve, Collorec. Le proche domaine du roi y était plus étendu qu'à Huelgoat. Quelques seigneuries rompaient cependant par leurs membres épars la continuité du ressort. Méros-Rosily et Rozéonnec étaient moins denses que les seigneuries mouvant, à Huelgoat, mais comme celles-ci, par leurs variations elles agrandissaient ou rétrécissaient le ressort de première instance à Châteauneuf. Rozéonnec demeura longtemps sans exercice : sa faible importance en était la cause. Le chef-lieu, simple manoir sur un mamelon dominant l'Ellé, était isolé des autres terres de la seigneurie [Note : Arch. Nat., P 1748, f° 241]. Méros-Rosily, qui s’était annexé depuis longtemps Le Moustoir, ne devint vraiment considérable que lorsque vers 1750 la justice de Kerverziou fut restaurée et lui fut unie [Note : Arch. Nat., P 1747, 165, 433 ; 1748, 33]. Seul, Le Grannec, par son proche et son arrière-fief [Note : Fonds Car. Déch., Liasse 3], couvrait un beau territoire. Son chef-lieu était sous Landeleau, mais la plus grande partie des villages qui en dépendaient étaient situés sous Châteauneuf-du-Faou.

Comme à Huelgoat, l'annexion à une seigneurie étrangère de membres situés dans le ressort avait fait perdre la justice de plusieurs villages. Le fief de Bot-Guigneau, qui relevait du domaine de Châteauneuf-du-Faou était uni à La Roche et Laz : il portait bien quelques appels à Châteauneuf [Note : S. R. de Chât., Procéd. crim. (1769). — Aud. Civ. (9 janvier 1765). — Arch. Fin., S. R. de Carhaix, Procéd. crim. (1696)], mais la régale y étail certainement exerrée par les juges de Quimper. Il en était de même d'une possession de l'abbaye de Landévennec, en Plonévez-du-Faou, Locunolé, qui relevait judiciairement de Guelevain, en Edern [Note : Arch. Nat., P 1748, f° 309]. A l'inverse aussi, certaines seigneuries, dont le chef-lieu était sous Châteauneuf, faisait bénéficier cette juridiction royale des appels pour des terres situées hors de son domaine et de leur régale. La seigneurie du Nezert, en Loqueffret, du domaine de Châteaulin, était dans ce cas, car elle était tenue à ligence sous Le Grannec. Bien plus, des convenants de Rozéonnec passèrent, en même temps que de la justice, du domaine de Châteaulin en celui de Châteauneuf [Note : Perros, en Lannédern et Garsangaro en la trêve du Cloître qui ne sont pas employés dans l'aveu de 1541 (Arch. L.-Inf, B, 1186), le sont dans la déclaration à la réformation du domaine de Châteauneuf-du-Faou (Arch. Nat., P 1748, f° 241)]. Le seigneur de Rozéonnec avait le souci de la régularité, mais malgré lui, à Châteauneuf comme à Huelgoat, domaine et juridiction étaient loin d'être synonymes.

Il en était de même à Landeleau. Cette châtellenie comprenait Landeleau, deux ou trois villages en Collorec [Note : Arch. Nat., P 1748, f° 65 ; P 1753, f° 17], Cleden-Poher [Note : La trêve de Kergloff relevait de Carhaix], la plus grande partie de Saint-Hernin [Note : Une partie de la seigneurie de Coatquévéran et la terre de Callac, à l’abbaye de Langonnet, étaient sous le domaine de Carhaix (Arch. Fin., H, 11, v° 21643 et sqq, 22672 et sqq)] et quelques villages de la seigneurie de Kergoat-Trévigny, situés en Mofreff el en Spézet [Note : Arch. Nat., P 1752, f° 87]. Les terres « décorées » du droit de justice étaient au nombre de trois. Le Grannec s'étendait surtout sous Châteauneuf, comme on vient de le voir : Châteaugal, en Landeleau, dont l'importance s’était bien accrue par l'adjonction de la seigneurie des Iles de Crapado, au milieu du XVIIème siècle, possédait aussi quelques villages en Châteauneuf et en Plonévez : Kergoat-Trévigny [Note : Du nom de ses propriétaires pour la distinguer de Kergoat-Kerviniou en Poullaouen], en Saint-Hernin, seigneurie très dense, à cheval sur Saint-Hernin et Cléden-Poher, comprenait de plus les petites mouvances dont on vient de parler. Ces justices réduisaient à peu de chose le proche fief du roi. Mais le domaine dépassait en divers points la juridiction. Coatquévéran, dont le chef-lieu relevait de Carhaix [Note : Arch. Fin., A, 11. v° 21643 et sqq.] possédait sous Landeleau un certain nombre de villages [Note : Arch. L.-Inf., B, 1188. — Arch. Nat., P 1752, f° 367] ; mais lorsque cette seigneurie fut déboutée de la haute justice, ce furent les officiers de Carhaix qui exercèrent la juridiction dans toute l'étendue de cette terre [Note : Arch. Fin., S. R. de Carhaix]. De même une partie de Bolèder, en Cléden-Poher, dépendait de la petite juridiction de Kerligonan-Le Quelennec, qui ressortissait elle-même au Tymeur. Landeleau perdait donc les appels et la régale en ce qui concerne ces convenants. En revanche, le seigneur de Kergoat faisait exercer par ses juges la justice sur ses vassaux qui étaient du domaine de Carhaix [Note : A Kernabat et à Kervennec en Plouguer ; à Poulancerf en Spézet]. Châteaugal et Le Grannec agissaient de la sorte dans leurs mouvames en Plouyé, dont la situation féodale n'était pas très claire. Il y avait peut-être compensation pour le siège royal ; mais l’irrégularité n'en existait pas moins, contrairement au principe féodal.

La perte que subissaient les juges de la sénéchaussée de la régale de certaines terres et peut-être de quelques appels, ces variations des limites des seigneuries ou des juridictions royales, ces différences entre domaine et juridiction n'intéressaient guère les justiciables. Ils savaient par leurs aveux de vassaux à quelle cour ils devaient s'adresser, du moins en première instance. Aussi, n'en trouvons-nous pas de mêlés à des conflits de juridictions : ceux-ci sont, en quelque sorte, le monopole des officiers seigneuriaux et royaux, de ceux qui auraient dû avoir une connaissance exacte et approfondie des ressorts judiciaires.

Ces conflits de juridictions se produisent généralement lors des appositions de scellés, des inventaires après décès, etc. S'il est difficile à un juge de savoir pour quelle raison un vassal de la cour procède devant une autre barre, ces formalités sont visibles à tous. Les limites des juridictions, les endroits éloignés des chefs-lieux où les mouvances sont enchevêtrées, sont le théâtre ordinaire de ces différends. Les sentences de réception d'aveux des seigneuries ne sont pas, comme il le faudrait, aux mains des greffiers [Note : A Châteauneuf, il y avait dans le début du XVIIIème siècle, un commissaire enquêteur, sénéchal ou bailli, agissant de concert avec le greffier dans les inventaires (S. R. de Chât., Liasses 1, 4, 5). Quant il n'y en avait point, le greffier agissait seul (P. Devolant, Recueil d'arrests, II, 292)] à qui incombent ces fonctions parfois délicates : aussi se guident-ils d'après les errements de leurs prédécesseurs [Note : Jurid. de Méros-Rosily, 10e cahier des affaires d'office] sans aller consulter les extraits des receveurs des domaines.

Les empiétements sur les justices voisines n'ont pas toujours soulevé de réclamations. On peut s'étonner d'une telle indifférence lorsqu'il s'agit de villages situés à proximité du chef-lieu de leur juridiction, comme Guirizit [Note : S. R. de Chât., Liasses 7 et 1], Le Mennec [Note : S. R. de Chât., Liasses 11], Trédiern [Note : S. R. de Chât., Liasses 10] en Châteauneuf, comme Kérandouaré [Note : S. R. de Chât., Liasses 18], Kerdaouéret [Note : S. R. de Chât., Liasses 19] et Le Spernen [Note : S. R. de Chât., Liasses 25] en Plonévez, où les officiers royaux ne semblent pas avoir été inquiétés. On comprend mieux, quand il s'agit de lieux éloignés, que les greffiers des seigneurs, jugeant leurs frais de déplacement plus élevés que leurs vacations, ne se soient pas dérangés, comme celui du Grannec pour Kerroc'hou, auprès de Huelgoat [Note : S. R. de Chât., Liasses 4], et celui de Châteaugal pour Penanros-Rozaon [Note : S. R. de Chât., Liasses 5] ou pour Roshubot [Note : S. R. de Chât., Liasses 18], par exemple. Mais celle négligence amenait finalement la perte de la mouvance. C'est ce qui arriva à l'abbaye du Relec : le droit de justice qu'elle exerçait sur Bleinguéeur et Prat-Duigou au XVIème siècle fut oublié dans la suite et lui fut ôté par une sentence de 1691 [Note : S. R. de Chât., Liasses 28].

D'ordinaire, les officiers seigneuriaux ne se laissaient pas traiter de la sorte et les plaintes suivaient de près les empiétements. En 1737, le seigneur de Châteaugal se plaint de l’apposition de scellés à Lenzach, en Landeleau, par le greffier de la sénéchaussée [Note : Aud. Civ. de Chât., 5 juin 1737]. En 1775, le seigneur de Rosily, acquéreur des Iles de Crapado, réclame énergiquement la Mouvance sur Le Cloître [Note : Aud. d'office de Méros, 10ème cahier], Le procureur du roi ignore lui-même les limites de son ressort : en 1782, il ordonne d'apposer les scellés à Ligouffin, bien qu'ils y eussent été déjà mis par le greffier de Kerverziou [Note : S. R. de Chât., Liasse 3]. Mais presque toujours c'est le greffier qui est le coupable. Il s'étonne un jour que son collègue de La Feuillée ait apposé le sceau de la commanderie au Peulliou, en la tréve de Collorec, « sans pouvoir justifier par la moindre raison apparente ny par aucun titre coloré y avoir droit » [Note : S. R. de Chât., Liasse 14]. Or, trois ans auparavant, il avait usé de ce droit, comme il le fit encore trois ans plus tard [Note : J. de la Feuillée, Scellés 1769. — S. R. de Chât., Liasse 25]. Le minu de la commanderie mentionnait cette mouvance dès 1574 [Note : Arch. L.-Inf., B, 911]. C'était apparemment un titre suffisant.

On ne sait comment se terminèrent ces conflits entre greffiers ; mais les juges ne couvraient pas tous les jours les agissements de leurs subalternes. En 1716, le praticien qui faisait les fonctions de procureur fiscal à Kergoat obtint du siège de Châteauneuf la levée des sceaux apposés à Kerdivoal, en Cléden-Poher [Note : Aud. civ. de Chât. (20 Juin 1716)]. En 1788, le greffier royal, Bourriquen, s'étant transporté à Languyen, y brise la bande collée par celui du Grannec ; il appose son sceau, puis il demande au sénéchal une commission provisoire pour les formalités qui restent à faire touchant la succession, la provision étant de droit en cas de « conflit véritable ». Le procureur du roi lui répond qu'il ait à se pourvoir « vers qui il verra en cour supérieure », le lieu en question relevant à sa connaissance de la juridiction du Grannec. Le greffier dut se le tenir pour dit [Note : S. R. de Chât., Liasse 28]. Mais comme de raison, il lui arrivait parfois d'être condamné à rapporter à la juridiction qu'il avait lésée les vacations qu'il avait indûment perçues [Note : Fonds Car. Déch., Liasse 5 (26 juin 1730)].

Tous ces faits témoignent de l'importance du rôle des greffiers dans les usurpations de justice. Aussi bien était-ce à lui qu'étaient signifiés les arrêts réglant la mouvance d'un village avec ordre d'en donner avis aux juges royaux [Note : Fonds Car. Déch., Liasse 5 (14 juillet 1688) ; Liasse 3 (5 juillet 1713) ; Liasse 9 (1719-1721)].

Il ne faut pas croire pourtant que tous les torts fussent du côté des officiers de la sénéchaussée, que les seigneurs ou leurs agents n'aient pas commis aussi des tentatives plus ou moins frauduleuses sur le fief du roi. Dans leurs aveux on peut constater le continuel désir de s'agrandir au détriment du domaine royal, en confondant dans leurs seigneuries des terres roturières, sur lesquelles ils n'avaient aucun droit féodal, avec leur fief propre. Il était difficile de tromper l'attentive habileté des gens des comptes ou des employés des domaines : le seigneur de Rosily déclarait tenir prochement du roi avec droit de justice des terres qui étaient dépendantes de Kerverziou, dont la juridiction était annexée au siège de Châteauneuf. Les commissaires ne s'y trompèrent point [Note : Arch. Nat., P 1747, f° 417]. Ils relevèrent les mêmes tentatives dans les déclarations de Châteaugal, de Kerverziou, de Méros-Rosily, de Rozéonnec, etc. Mais si dans les acquêts récents ils arrivaient facilement à distinguer les terres roturières de celles qui étaient tenues noblement, et que dans la sentence de réception ils en attribuaient la mouvance à qui de droit, il est permis de croire que l'ancien état des terres avant leur entrée en la possession du seigneur était oublié deux cents ans après ou davantage. C'est ainsi que le seigneur de Kerverziou avait acheté à Langalet-Bras des biens tenus « sous la taille hors du bourc de Chasteauneuff » [Note : Fonds de Kerverziou, Liasse 9, n° 17 (Pièce de 1470)] ; or, en 1684, le fief noble en était attribué à cette terre [Note : Arch. Nat., P 1747, f° 433]. Ce cas ne devait pas être isolé.

Bien que tous leurs essais n'aient pas été couronnés de succès, on pourrait à la rigueur louer les seigneurs d'avoir voulu donner à leurs usurpations judiciaires une couleur de droit. Mais leurs officiers ne se bornaient pas à agir dans les terres déclarées aux aveux. Pour les affaires civiles où l'appel était possible, ils pouvaient craindre le contrôle de la cour royale ; mais, dans les affaires d'office, telles que les tutelles, curatelles, émancipations, dispenses d'âge, décrets de mariage, ils ne se gênaient guère. Le greffier de Châteaugal vint, en 1736, apposer des scellés à Tremellé-Bihan en Châteauneuf ; or, ce lieu dépendait de Kerverziou, dont la juridiction alors sans exercice était aux mains des juges de Châteauneuf [Note : S. R. de Chât., Liasse 6]. Les greffiers seigneuriaux apposaient leurs scellés en plein domaine royal à Kernévez-an-Sec'h, à Kerdiellou, en Collorec, à Kerveur, à Kerros, au Boulven, en Châteauneuf ; celui de Kergoat considérait comme de son ressort Kerdivoal, Coatanhu, Kerguenves [Note : Arch. Nat., P 1752, fos 293, 461], le moulin de Cabornais ; il se rendait sans ombre de raison à Kerorhant, en Plovénez, et jusqu'à Kerdicquel, près de Callac [Note : Cf. les Scellés et Inventaires des Justices seigneuriales du Ressort (Arch. Fin.)]. Les exemples pourraient être multipliés ; ceux-ci prouvent amplement que dans les juridictions subalternes on imitait les procédés usités dans la sénéchaussée.

Ces conflits surgissaient également entre le siège de Châteauneuf et les juridictions royales avoisinantes, comme la Maîtrise des Eaux et Forêts, la Cour de Carhaix et celle de Châteaulin. Un petit fleuve, l'Aune, et un de ses affluents, l’Hyer, bornaient la sénéchaussée sur une grande longueur. De qui relevaient ces cours d'eau ? Les juges de Châteauneuf s'occupaient de l'état des réparations nécessaires aux ponts et de l'adjudication des travaux [Note : S. R. de Chât., Liasse 59 (1780) ; Aud. Civ. (8 août 1680)] : ils faisaient la levée des cadavres des noyés [Note : S. R. de Chât., Liasse 58]. Mais un beau jour les officiers de la Maîtrise des Eaux et Forêts de Carhaix leur contestèrent ce droit ; le greffier vint procéder à la levée du corps d'un sieur Chrestien, noyé dans l’Hyer, près de Leznevez, en Cléden-Poher. Lorsque le bailli de Châteauneuf, descendu sur les lieux, vit sa tâche accomplie, furieux il se rendit au bourg, et, après avoir relaté dans son procès-verbal tous les précédents qu’il pouvait invoquer en sa faveur, il fit exhumer le cadavre qu'on venait d'enterrer une heure auparavant et ne permit de l'ensevelir de nouveau qu'après un second examen d'un chirurgien. Le procureur du roi, de son côté, prit des conclusions tendant à ce que les frais de leur descente fussent payés par les domaines. L'affaire dut se terminer à leur profit [Note : S. R. de Chât., Liasse 58 (1744). — Au dos de la pièce : « un arrêt deffent aux juges de la maîtrise de faire pareilles levées »].

Mais à Carhaix, les juges de la sénéchaussée étaient aussi entreprenants que ceux de la Maîtrise ; la proximité de Saint-Hernin et de Cléden-Poher, qui dépendaient du domaine de Landeleau, excitait leur convoitise. De fait, il reste des traces des usurpations des juges de Carhaix à Leintudec, à Kerlerc'h, à Kerhamon-Bras, à Goarem-ar-Boulc'h en Saint-Hernin [Note : Arch. Fin., S. R. de Carhaix, Liasses 53 et 54] ; ils ordonnèrent des prisages et des mesurages en Cléden-Poher [Note : Arch. Fin., S. R. de Carhaix, Liasse 142]. La sénéchaussée de Châteaulin avait profité de l'enchevêtrement des fiefs en Loqueffret pour apposer des scellés à Linscoff [Note : Arch. Fin., S. R. de Châteaulin, Liasse 13]. De leur côté les officiers de Châteauneuf répondaient à leurs voisins par les mêmes procédés : en 1770, ils descendirent au Moulin du Roi, près de Carhaix, comme relevant de leur juridiction, et au Moulin-Neuf, en Poullaouen [Note : S. R. de Chat., Liasse 60].

De part et d'autre, on était donc parfaitement d'accord pour tenir le moindre compte possible des limites des sénéchaussées. Diverses particularités verraient encore augmenter la confusion. Lorsqu'un individu, décédé sous le ressort de la cour, laissait des meubles sous une autre, il n'était pas rare de voir le greffier se transporter bien loin hors de sa juridiction : il y apposait les scellés, y dressait des inventaires par continuation. Le greffier de Châteauneuf se rendit ainsi à Lezuverien, en Motreff [Note : S. R. de Chat., Liasse 6], et jusqu'au manoir de Pont-Lez, en Quéménéven [Note : S. R. de Chat., Liasse 16], ce qui agrandissait considérablement son aire d'action.

De leur côté, les curés et les marguilliers qui devaient faire parafer les registres paroissiaux par le juge royal du lieu [Note : Ordonnance de 1667, titre 20, art. 8. — Un édit de 1705 créa des offices de contrôleur des registres de baptêmes, mariages et sépultures ; mais ils furent supprimés dans la suite] s'adressaient quelquefois au siège le plus rapproché : les registres de Berrien étaient souvent parafés à Carhaix [Note : S. R. de Chât., Liasse 1], comme ceux de Laz et de Saint-Goazec à Châteauneuf [Note : S. R. de Chât., Liasse (1781)]. Ce désordre occasionna des difficultés lors de la convocation des Etats Généraux en 1789.

Enfin, sans parler des renvois d'affaires à des cours voisines pour cause de suspicion, de récusation ou autres motifs de ce genre, le Parlement donnait souvent aux juges des commissions pour opérer en dehors de leur ressort ordinaire. En 1706, le sénéchal de Châteauneuf, de séjour à Rennes, regut l'ordre de se rendre à Corlay pour instruire un procés de rébellion au sujet des Devoirs. Le procureur du roi, un sergent et un interprète vinrent l'y rejoindre de Châteauneuf, qui en était distant de plus de seize lieues [Note : S. R. de Chât., Liasse 70]. Au criminel, les commissions étaient encore plus fréquentes qu'au civil.

Si, à toutes ces raisons, on ajoute les changements que pouvait apporter dans les ressorts la prorogation expresse d'une justice, conformément à la Coutume [Note : Giffard, Les justices seigneuriales en Bretagne aux XVIIème et XVIIIème siècles 1661-1791 (1903). Art. 10 de la Nouvelle Coutume], on se fera une idée de la mobilité des cadres judiciaires. Mais on se servait rarement de ce moyen pour être certain de la juridiction à laquelle on devait s'adresser. Il fallait donc s'en tenir avec réserve au principe d’après lequel le domaine bornait la juridiction, bien qu'il fut constamment battu en brèche. Les limites intérieures essentiellement variables occasionnaient aux officiers de justice des erreurs parfois volontaires : le morcellement des fiefs inspirait aux seigneurs des convoitises qu'ils essayaient de satisfaire. Les limites extérieures quoique un peu plus nettes, étaient quelquefois violées. Elles n'étaient du reste pas rationnelles. La forme générale de la sénéchaussée était bizarre. S'étendant jusqu'aux portes de Carhaix, elle voyait celle de Quimper lui enlever, par l'intermédiaire de Trévarez, des justiciables à moins de cinq cents pas de son auditoire. Et pourtant elle n'était pas considérable en proche et en arrière-fief son étendue pouvait être évaluée à 37.000 hectares [Note : En 1789, sa population aurait été de 20.000 habitants. (Requête présentée au roi par les députés de Châteauneuf-du-Faou, Huelgoat et Landeleau de toutes les paroisses du ressort, Arch. Nat., B, III, 38, fos 393 et sqq)]. C'était peu en comparaison des vastes sénéchaussées de Ploërmel, de Rennes et de Nantes : il est vrai qu'en Bretagne plusieurs autres ne l'emportaient guère sur elle ; plusieurs étaient même plus petites.

(Raymond Delaporte).

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