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LA SÉNÉCHAUSSÉE DE CHATEAUNEUF-DU-FAOU : fonctionnement et compétence des justices seigneuriales.

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Suivant le même plan que nous avons adopté pour le siège royal, nous étudierons le fonctionnement des justices seigneuriales, c'est-à-dire la tenue des audiences et des plaids généraux, avant d'examiner leur compétence civile, criminelle et administrative. Mais les juges seigneuriaux connaissaient encore des délits relatifs aux Eaux et Forêts ou affaires de gruerie et des contestations au sujet des tenues et des droits féodaux. Sur ces deux points, leurs attributions dépassaient donc celles de la sénéchaussée. En principe leurs pouvoirs étaient très étendus, on verra qu'en fait ils tendaient sans cesse à décroître.

Les audiences des justices seigneuriales se tenaient dans des lieux fixés d'avance et appelés auditoires. Dans les premiers temps, les audiences étaient délivrées, soit dans des églises, comme celles du Grannec, au porche de l'église tréviale de Collorec [Note : Fonds Car. Déch., Liasse 3 (1622)], puis dans la chapelle de Sainte-Barbe au Pinity [Note : Fonds Car. Déch., Liasse 5 (1654)], ou comme celles de Keraznou dans la chapelle située près du château [Note : Jurid. de Keraznou., Aud. civ., 1638, 1641], soit dans les auditoires royaux, comme celles de Kerverziou à Châteauneuf [Note : Arch. Nat., F 1747, f° 433], celles de Botmeur [Note : Arch. Nat., P 1747, f° 345] et de Keraznou [Note : Arch. Nat., P 1750, f° 121] à Huelgoat, et celle du Grannec à Landeleau [Note : Fonds Car. Déch., Liasse 3 (1650)], plus rarement dans des locaux spécialement affectés à l'exercice de la juridiction [Note : Arch. Nat., P 1752, f° 87]. Mais dans la suite, les seigneurs choisirent dans ce but des salles dans les maisons qu'ils possédaient au chef-lieu de la paroisse. L’état de ces auditoires était des plus rudimentaires. Pour la justice de Rozéonnec, c'était un cabinet au-dessus d'une auberge, au bourg de Plonévez-du-Faou ; « il y avait un lit, une table et des bancs, qui paraissaient plus propres à des gens qui boivent qu'à des officiers qui rendent la justice ».

L’aubergiste, déclarait le procureur fiscal lors de l’ouverture d’une régale, avait fait placer le lit sans la permission du seigneur ; il faisait remarquer que les bancs avaient des dossiers, et que la seigneurie n'était pas assez riche pour avoir des sièges bourrés. Le sénéchal de Châteauneuf ne trouva pas l'auditoire convenable, il oubliait sans doute l'état du sien [Note : Arch. Fin., Juridic. de Rozéonnec]. Au XVIIIème siècle, les audiences de Méros et annexes se tenaient au bourg du Moustoir celles du Grannec à Collorec, et celles de Kergoat à Saint-Hernin. Les auditoires ne devaient pas être beaucoup plus décents que celui de Rozéonnec.

Au XVIIème siècle, les jours d'audiences n'avaient guère de fixité : ils variaient suivant l'auditoire adopté. La juridiction du Grannec avait d'abord choisi le lundi, puis le vendredi, et finalement s'était arrêtée au mardi, au milieu du XVIIIème siècle. A la même époque, les officiers de Méros et de Rozéonnec délivraient leurs audiences le lundi et ceux de Kergoat le jeudi.

Mais les audiences ne se tenaient pas toutes les semaines : leur nombre n'avait jamais dépassé une moyenne de dix-huit ou dix-neuf par an à Keraznou et au Grannec ; il allait même sans cesse en diminuant. Pour Le Grannec, la moyenne était de dix-huit jusqu'en 1750, de cette année à 1772 elle tomba à quatorze, et à la veille de la Révolution elle n'était plus que de six. A Kergoat elle était tombée de dix à sept dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Il arrivait parfois dans cette juridiction qu'il n'y avait que quatre, trois et même une audience dans une année [Note : Arch. Fin., Jurid. de Kergoat-Trévigny, 1751, 1765, 1766, 1768]. Si le nombre en avait augmenté à Méros, à partir de 1755, c'est que cette justice s'était enrichie de fortes annexes : sa moyenne était montée de six à seize par an. Lorsque les audiences étaient plus rapprochées, comme à Keraznou, le besoin de vacances se faisait sentir. A la fin de juillet ou au commencement d'août, les affaires ordinaires étaient renvoyées à une date ultérieure et seules les causes exigeant célérité devaient être expédiées de quinzaine en quinzaine [Note : Arch. Fin., Jurid. de Keraznou, Aud. civ. du 29 juillet 1638, du 14 août 1640], jusqu'au mois d'octobre. Dans la suite, il n'y eut plus de nécessité d'accorder des congés aux plaideurs pour leur permettre de vaquer aux travaux de la moisson. Les audiences des justices seigneuriales étaient suffisamment espacées, leur nombre diminuait, ce qui était un signe certain de la décroissance de leur clientèle.

Le désordre s'y était glissé. On s'en rendait compte en plusieurs circonstances. Les juges, qui habitaient souvent loin du lieu d'exercice de la juridiction, négligeaient de venir eux-mêmes expédier les affaires : ils cumulaient d'autres charges qui leur donnaient de nouvelles occupations. D'ailleurs, les propriétaires des seigneuries ne nommaient pas toujours des juges dans leurs justices. Ainsi, à Kergoat il n'y eût plus de sénéchal à partir de 1750, ni à Rozéonnec à partir de 1780. L'existence d'un juge en titre donnait pourtant plus de régularité au fonctionnement de la juridiction. Les intervalles entre les audiences y étaient de moins longue durée. Dès l'installation de Le Rouxeau comme sénéchal du Moustoir, cette justice fut exercée avec plus d'ordre qu'auparavant. Il est vrai qu'à diverses époques et dans toutes les justices seigneuriales de la sénéchaussée, on remarqua de longues et fréquentes interruptions dans la tenue des audiences, au Grannec, du 22 mai an mois de novembre en 1623 [Note : Fonds Car. Déch., Liasse 3] ; il y eût des intervalles de quatre mois à Kergoat [Note : Jurid. de Kergoat, Aud. civ. de 1752], et de cinq et six mois au Moustoir [Note : Jurid. de Méros, etc., Aud. civ. de 1750, 1752], et même de sept mois au Grannec [Note : Jurid. du Grannec, Aud. civ. de 1780].

On pourrait croire que le greffier oublia parfois de rapporter des audiences. Si étonnant que cela puisse paraître, il semble bien que c'est intentionnellement que le greffier de Keraznou laissa plusieurs feuillets blancs entre l'audience du 2 septembre 1660 et celle du 26 avril 1661. En général les greffes étaient administrés avec peu de soin. En 1764 et en 1765, les audiences de Kergoat furent rapportées sur deux registres distincts. Souvent des cahiers étaient commencés par les deux bouts : sur l'un figuraient les audiences civiles et sur l'autre des comparants au greffe [Note : Jurid. du Grannec, Cahiers de 1757, 1762, 1769] ou des dépôts et retraits de sacs [Note : Jurid. de Keraznou, Cahier de 1659 ; de Méros, Cahier de 1759]. Mais le plus ordinairement si des audiences n'ont pas été transcrites par le greffier, c'est qu'en réalilé elles n'ont pas eu lieu. Dans les justices seigneuriales le nombre des affaires n'a jamais été très élevés : à Keraznou, à certains moments, les affaires inscrites n'atteignent qu'un chiffre minime [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. civ., janvier et février 1641]. En 1641, le 17 janvier, il n'y eut qu'un défaut à décerner, le 31 mai suivant, deux affaires ; en 1662, le 19 janvier, une affaire, le 22 juin quatre défauts : en août et septembre, il n'y eut qu'une affaire pour deux audiences. Parfois, faute de cause, la tenue était renvoyée à huitaine [Note : Jurid. de Keraznou, Aud civ. du 25 juin 1660]. A cela rien d'étonnant : le territoire de la juridiction était de faible étendue. Mais dans les autres justices le rôle des affaires n'était pas beaucoup plus chargé [Note : Cf. Cahiers du Grannec, 1695, de Méros, 1755].

Les audiences étant pour cette raison intermittentes, la date en était arrêtée par les suppôts du barreau [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. civ. du 5 juin 1641] et bannie par un sergent [Note : Fonds Car. Déch., Liasse 5 (1625)]. Si cette dernière formalité n'avait pas été exécutée, les juges refusaient d'expédier les affaires et en renvoyaient la délivrance à une date ultérieure, après avoir, il est vrai, condamné le sergent à une amende [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. civ. du 6 juillet 1639 ; Fonds Car. Déch., Liasse 3 (20 novembre 1623)]. D'autres fois les praticiens occupés ailleurs ne venaient pas représenter leurs clients, qui « se trouvaient dans le cas d'être déboutés faute de comparoir ou de défendre par la négligence des procureurs » [Note : Jurid. de Méros, Aud. civ. du 8 octobre 1764]. A Méros, en 1769, le sénéchal fut une fois obligé de se retirer, « ne s'étant trouvé aucun procureur à l'auditoire » [Note : Jurid. de Méros, Aud. civ. du 13 novembre 1769].

Dans le début, le seigneur tenait lui-même sa cour ; puis il abandonna ces fonctions, qui lui furent finalement interdites. Quelquefois cependant il assistait aux tenues. En 1562, le seigneur de Trefflec’h était présent aux « plectz et homaiges » de sa juridiction [Note : Fonds Car. Déch., Liasse 9]. L'usage était encore assez fréquent au commencement du XVIIème siècle [Note : Hévin, Questions féodales, 76. — Arch. Côtes-du-N., B 541], mais il ne tarda pas à disparaître. Les juges restèrent seuls chargés de l'expédition des affaires et de la tenue des audiences. Mais assez fréquemment, à cause de leur éloignement ou pour d'autres motifs, ils négligeaient de remplir personnellement les obligations de leur charge. Jamais deux juges ne siégèrent ensemble dans les juridictions où il y en avait deux, comme Keraznou et Le Grannec. Au XVIIème siècle, la présence d'un juge à l'audience était le cas le plus ordinaire. Mais au siècle suivant, il n'en était plus de même. Les avocats et à leur défaut les procureurs remplaçaient les officiers pourvus. Ces substitutions étaient régulières [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. civ. de 1641 ; du Grannec, 1627]. Leur fréquence causait cependant des inconvénients. Le désordre avait commencé à poindre au XVIIème siècle [Note : Fonds. Car. Déch., Liasse 5 (5 août 1658)], il ne prit de grandes proportions que bien plus tard. En 1717, le sénéchal de Carhaix était venu tenir l'audience du Grannec ; un avocat s'y opposa, prétendant avec raison qu'il devait être reçu par les juges de Châteauneuf ; mais le sénéchal Raguideau protesta, déclarant qu'il était mandataire des Carmes, propriétaires de la seigneurie, et que cela suffisait. Il passa outre aux objections qui lui furent faites, mais sa conduite était loin d'être conforme à la coutume [Note : Fonds. Car. Déch., Liasse 11 (30 avril 1717)]. En 1787, un autre sénéchal de Carhaix vint sans plus de raison recevoir un procureur fiscal au Grannec, ce qui était le privilège du siège de Châteauneuf [Note : Jurid., du Grannec, Aud. civ. du 6 mars 1787]. Les avocats du ressort étaient obligés de se soumettre à ces irrégularités [Note : Jurid., du Grannec, Aud. civ. du 4 décembre 1749 ; Jurid. de Kergoat (1753)]. Ils avaient pris cependant une place importante dans les justices seigneuriales. Pendant près de vingt ans ce furent eux qui régirent la juridiction du Grannec, dont le sénéchal habitait à Carhaix [Note : Cf. Reg. de la Jurid. du Grannec à partir de 1773].

Les causes étaient évoquées par le sergent de service à l’audience ; les sentences et autres décisions des juges étaient rapportées par les greffiers sur des registres ou des cahiers destinés à cet effet.

Dans les justices seigneuriales, comme au siège royal, outre les audiences ordinaires, il y avait aussi des généraux plaids, tenus aux mêmes endroits qu'elles, sauf ceux de Keraznou qui avaient lieu à Brennilis [Note : Arch. L.-Inf., B 1185, Aveu de 1547, f° 17 r°]. Tout en persistant jusqu'à la Révolution, ils cessèrent d'être ce qu'ils étaient au début et perdirent leur caractère primitif. Ils consistaient en une réunion plénière de justice, où devaient se présenter tous les vassaux de fief. Le nom qu'ils portaient au XVIème siècle, généraux plectz et homaiges, rappelait bien leur première destination. Les vassaux comparurent au Grannec en 1622 [Note : Fonds Car. Déch., Liasse 3 (7 novembre 1622)], à Keraznou en 1659, en 1660 et en 1666 [Note : Jurid. de Keraznou, P. G. des 22 avril 1659, 6 avril 1660, 4 mai 1666]. Les deffaillants étaient condamnés à une amende de 30 sols vers la seigneurie [Note : Jurid. de Keraznou, P. G. de 1660]. Mais l’usage commençait à se perdre : en 1663 et en 1665 les tenanciers de Keraznou ne furent pas appelés aux plaids généraux. En 1718, les vassaux du Grannec vinrent déclarer qu'ils n'avaient aucun sujet de plainte contre leurs officiers {Note : Fonds Car. Déch., Liasse 10] ; puis ils cessèrent pour toujours de comparaître à ces assises. Le seigneur n'y recevant plus les hommages de ses hommes n'avait aucun intérêt à les convoquer : les aveux avaient été remplacés par des déclarations écrites [Note : Giffard, Les justices seigneuriales, etc., p. 145].

Mais jusqu'à la Révolution, les sergents et les notaires et à partir du XVIIIème siècle les procureurs, en un mot les officiers subalternes des juridictions seigneuriales, étaient tenus d'assister aux plaids généraux. Les absents étaient le plus souvent condamnés à une amende de 64 sols [Note : Parfois de 20 sols, Jurid. de Keraznou, P. G. de 1665], à moins qu'ils ne fussent exoinés [Note : Jurid. de Keraznou, P. G. de 1659 et de 1660]. L'amende était quelquefois accompagnée d'une interdiction temporaire [Note : Jurid. de Keraznou, P. G. de 1661]. Cette peine pouvait être aussi infligée toute seule [Note : Jurid. de Keraznou, P. G. de 1660]. Mais avec le temps cette sévérité diminua. Au Moustoir, cependant, le dernier sénéchal fit observer jusqu'à la fin les principes avec rigidité : des peines étaient prononcées contre les officiers négligents avec obligation pour eux de lui exhiber leur mandat dans quinzaine, à peine d'interdiction [Note : Jurid. du Méros, P. G. des 19 juin 1781, 24 nov. 1783, sept. 1785]. Dans les autres juridictions, les juges se contentaient de recommander aux officiers d'être plus exacts à l'avenir [Note : Jurid. du Grannec, P. G. de 1787]. Mais ces observations n'étaient guère écoutées.

Au reste, les plaids généraux n'étaient tenus qu'à des intervalles tout à fait irréguliers. Ainsi, de 1638 à 1643, il n'y en eùt pas à Keraznou, tandis qu’il s'en tint tous les ans de 1659 à 1666, sauf en 1664, le mardi de la Quasimodo, au bourg de Brennilis, « par privilège ancien » [Note : Jurid. de Kerarnou, Cf. les P. G., 1659, 1660, etc.]. Au XVIIIème siècle, dans les autres juridictions les juges fixaient des plaids généraux quelquefois deux fois par an, puis n'en délivraient plus pendant des périodes de deux, six, dix et même treize ans. Pour remédier à ce désordre, le procureur fiscal de Kergoat déclara que les vassaux de sa cour se plaignaient qu'il n'y eût plus de généraux plaids et il requit en conséquence qu'il y eût désormais deux tenues par an, l'une le jeudi avant le dimanche gras, et l'autre le jeudi après la Saint-Pierre en juin [Note : Jurid. de Kergoat, Aud. civ. du 9 novembre 1752]. Une ordonnance conforme à ses conclusions fut bannie par ses soins ; mais son zèle ne dura guère. On ne tint aucun compte de cette fixation. Ailleurs, il ne paraît pas qu'il y eût de date déterminée ; le juge était libre de décider le jour suivant ses convenances personnelles et il en donnait connaissance aux intéressés [Note : Jurid. du Grannec, Aud. civ. du 23 octobre 1753]. Les plaids généraux étaient une institution qui périclitait ; elle aurait disparu si elle n'avait pas été utile au procureur fiscal pour réclamer aux notaires des extraits des actes notariés relatifs aux tenues du fief, pour parvenir à l'éligement des divers droits de mutation. De plus, elle était nécessaire aux acquéreurs d'immeubles par la certification qu'y faisaient les sergents des bannies des contrats de vente. Sauf ces particularités, les plaids généraux des justices seigneuriales n'étaient plus, à la veille de la Révolution, que des audiences ordinaires précédées d'un appel des officiers subalternes.

Les appropriements par bannies ne pouvaient se faire qu'aux plaids généraux de la haute justice, dont relevaient les biens vendus, la basse et la moyenne justice n'ayant point ce privilège [Note : Hevin, Questions féodales, 201. — Poullain-Duparc, Cout, générales, II, 135]. Mais dans la sénéchaussée de Châteauneuf, toutes les seigneuries qui faisaient exercer leur juridiction étaient des hautes justices. Toutes elles jouissaient donc de la plénitude de la compétence civile et criminelle, sauf appel. De plus, au point de vue adminsitratif, elles jouissaient encore de certaines attributions.

D'anciens aveux [Note : Arch. L.-Inf., B 1183 (Aveu de Châteaugral, 1619) ; B 1185 (Aveu de Keraznou, 1547) — Fonds Car. Déch., Liasse 3 (1540)] détaillent les droits des seigneurs hauts justiciers au civil. Ils exerçaient leur juridiction sur les hommes à foi et à domaine et pouvaient les contraindre à procéder devant leur cour. Leurs juges instituaient des tuteurs et des curateurs ; leurs greffiers apposaient les scellés et dressaient les inventaires ; ils recueillaient eux-mêmes les successions vacantes et celles des bâtards ; ils percevaient les lods, ventes et gallois. Leurs vassaux devaient être à tour de rôle forestiers et receveurs des taux et amendes de la juridiction. Enfin chaque haute justice avait ses sceaux pour les actes et les contrats [Note : Bull. Soc. Arch. du Fin., XXXI, p. 62, n. 1].

La compétence seigneuriale dans les affaires civiles était donc illimitée quant à l'importance des matières en litige [Note : Giffard, Les Justices seigneuriales, etc., pp. 106, 108]. La Goutume seule apportait quelques restrictions à ce principe : le seigneur n'avait pas de juridiction dans son domaine, c'est-à-dire dans son manoir et ses moulins [Note : Nouv. Cout., art. 43 ; Devolant, Rec. d’arrests, I, 156]. Les forêts faisaient partie du domaine de la seigneurie ; on verra que par exception le haut justicier connaissait des délits de gruerie.

Malgré cette compétence étendue, le chiffre des affaires civiles, dans les justices seigneuriaies, décroissait sensiblement : la preuve en est fournie par la diminution des audiences constatée au XVIIIème siècle. Les usements particuhers de ces juridictions, la quevaise et le domaine congéable de Poher, ont été étudiés plus haut. Il n'y a donc pas lieu d'y revenir. Quant à la façon dont étaient rendues les sentences, comme il n'y avait le plus souvent qu'un juge dans ces justices seigneuriales, il tranchait seul les procès qui lui étaient soumis. Un reproche général adressé par les Cahiers de 1789 à la justice de l'ancien régime était l'abus des sentences sur dictum [Note :  Les sentences sur dictum intervenaient « dans les affaires jugées par appointement, c'est-à-dire instruites en chambre du Conseil, sur écrits et produits des parties ». Giffard (Les justices seigneuriales, etc., p. 116, n. 2)]. De fait, il s'en trouve un grand nombre dans les liasses des juridictions seigneuriales au XVIIIème siècle.

Les décisions des juges seigneuriaux étaient toutes susceptibles d'appel. Dans la sénéchaussée, les justices seigneuriales étant toutes égales entre elles à partir de l'absorption de Trefflec'h par Le Grannec, leurs appellations étaient reçues indistinctement par la cour de Châteauneuf.

Celles de Kergoat et du Grannec étaient traitées comme celles de Méros. Mais la sénéchaussée n'était pas compétente dans tous les cas. Le parlement recevait directement les appels des affaires criminelles, de police, de gruerie et d’office [Note : Giffard, Les justices seigneuriales, etc., pp. 66-69]. Dans toutes ces causes on avait voulu supprimer les degrés de juridiction qui retardaient la marche des procédures.

La cour de Châteauneuf perdait de la sorte beaucoup d'appels. Les affaires d'office tenaient une place considérable dans les justices seigneuriales ; elles occupaient les juges presque autant que les affaires civiles ordinaires. Les ancins registres du Grannec et de Keraznou montrent qu'au XVIIème siècle elles étaient expédiées aux audiences en même temps que celles-ci [Note : Jurid. de Keraznou, 1638.- Fonds des Car. Déch., Liasse 3 (1622)]. Cette façon de procéder fut abandonnée dans la suite : les juges seigneuriaux cessèrent d’exercer leur juridiction gracieuse aux audiences. Les affaires d’office très nombreuses furent dorénavant rapportées sur des cahiers spéciaux.

Les affaires criminelles, au contraire, n’occupaient que fort peu les juges seigneuriaux. A partir du milieu du XVIIIème siècle ils s'en désintéressèrent même complètement. Exception faite des crimes dont la prévention royale leur enlevait la connaissance, leur compétence en droit était illimitée. Ce principe se maintint jusqu'à la Révolution. Mais seigneurs et officiers seigneuriaux se gardèrent bien d'user des droits qu’il leur conférait, bien que ce fut une obligation morale pour eux de le faire [Note : Giffard, Les justices seigneuriales, etc., p. 124] ; le seigneur, en effet, ne retirait de ces procédures que des frais à payer, et ses juges, conformément à leur mandat, devaient faire gratuitement les poursuites criminelles.

Au XVIème siècle, les seigneurs hauts justiciers faisaient exercer la justice criminelle. En 1555, Henry de Kernegues se rappelait avoir vu pendre un voleur, condamné par la cour du seigneur de Châteaugal, aux patibulaires qu'il avait en la trève de Kergloff [Note : Fonds de Châteaugal, Pièce du 2 mars 1555]. A Keraznou, en 1638, le procureur fiscal, ayant appris « qu'après une batterye, à Brennilis, une femme était morte avec son enfant, mais qu'avant de mourir elle avait chargé quelques personnes », enjoignit au sergent de service d'assigner les témoins [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. Civ. du 19 mars 1638]. Plusieurs mois plus tard il avait obtenu des monitoires, pour la même affaire, selon toute apparence [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. Civ. du 7 octobre 1738]. Les pièces n'indiquent pas quel fut le résultat des informations. Après cela, il n'existe aucune trace de procédures criminelles dans les justices seigneuriales du ressort. Les juges seigneuriaux se préoccupaient fort peu de remplir leur devoir. Au reste, les accusés demandaient eux-mêmes leur renvoi devant les juges royaux, comme si ces derniers avaient été seuls compétents pour les juger [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1737)].

Un arrêt du conseil de 1710 faisait retomber sur le seigneur les frais des procédures instruites par les juges royaux lorsque les crimes avaient été commis dans l'étendue de sa juridiction [Note : Giffard, op. cit., 125. — Autre arrêt concernant le même sujet, ibid., et de Freminville, Pratique des terriers,, II, 205]. Mais cette mesure ne fut pas suffisante pour stimuler le zèle des officiers seigneuriaux. En vain un exécutoire décerné contre le seigneur de Rosily le condamna-t-il à payer 176 livres pour l'instruction et le jugement de procès criminels poursuivis à la requête du procureur du roi [Note : Inventaire des titres de Kerverziou, p. 128]. L'habitude était prise. L'éditde 1772 devait porter un coup mortel à la compétence criminelle des juridictions seigneuriales, en exemptant les seigneurs des dépens, dans le cas ou leurs officiers auraient commencé des poursuites [Note : Giffard, op. cit., 127, 343]. Quelques formalités suffisant à décharger le seigneur des frais, il était à présumer qu'après leur accomplissement ses juges ne se soucieraient guère de terminer le procès. Mais cet édit n'avait pas de raison d'être dans la sénéchaussée de Châteauneuf, où depuis longtemps déjà l'activité des officiers seigneuriaux se bornait à l'instruction des petits crimes.

Les plaintes étaient le plus souvent relatives à des rixes, des coups et blessures. Elles étaient l'objet d'une information, où le procès verbal du chirurgien jouait un grand rôle. Le sénéchal condamnait ordinairement le coupable à payer tous les frais et accordait en outre au plaignant une certaine somme pour médicaments et aliments. Parfois ces affaires étaient converties en procès ordinaires [Note : Jurid. du Grannec, Liasse de Proc. crim. (1781)] : les juges y avaient tout intérêt.

D'ailleurs ils ne s'occupaient pas toujours plus volontiers des petits que des grands crimes. Une preuve de leur mauvaise volonté à ce sujet est relatée dans un cahier de la juridiction du Grannec [Note : Jurid. du Grannec, Cahier de dépôts de 1766]. Après une plainte d'un nommé Bourlès contre un certain Cariou déposée le 14 juin 1766, le procureur fiscal de la juridiction, Alirot, conclut le surlendemain à l'ajournement personnel de l'accusé, les charges lui paraissant assez fortes. Le décret fut rendu le 17 par le bailli, et la procédure suivit lentement son cours. Environ un mois après, le 15 juillet, le procureur de Bourlès déposa au greffe un exploit à fin de notification contre l’accusé principal, et le 12 août contre un de ses complices. D'autres pièces furent adminisirées au juge le 2 septembre par le défendeur, et le 30 par le plaignant. L'affaire en était là, quand le 18 novembre, le procureur fiscal se déporta « pour raison à lui connue ». Le greffier communiqua alors le dossier au plus jeune procureur, Guillaume Plassart, qui le refusa jusqu'après avoir pris connaissance des motifs de déport du procureur fiscal. Obligé de s'exécuter, celui-ci déclara « qu'une requête avait été mise contre un nouvel accusé, Mathieu Pichon, et qu'il avait un compte à régler avec lui ». Mais Plassart persista dans son refus, prétextant avec raison que l'instruction de l'affaire revenait au plus ancien procureur inscrit. Bref, le 30 décembre, Lefebvre, le doyen des praticiens du Grannec, se chargea de la procédure. Mais au mois d'avril 1767, il n'était pas encore intervenu de sentence dans une affaire commencée dix mois auparavant.

Par contre, il arrivait parfois aux juges seigneuriaux d'outrepasser leur mandat dans l'instruction des petits crimes. Leurs pouvoirs ne leur étaient, en effet, conférés que pour l'étendue de leur justice. Néanmoins, en 1774, les juges de Méros poursuivaient un individu de Bodéost, vassal de leur fief, mais pour un vol commis à Ty-ar-Gall en Lannédern et hors de leur ressort [Note : Jurid. de Méros, etc., Proc. crim. (1774)]. Ou bien si le délit avait eu lieu dans leur juridiction, ils se permettaient de rechercher le coupable sur le territoire d'une seigneurie voisine.

Un vol de ruche d'abeilles ayant été commis aux Fontaines, le sénéchal du Moustoir descendit sur les lieux. « Mais les lois autorisant le spolié à prendre son bien partout où il se trouve », le sénéchal procéda à des perquisitions dans une autre maison des Fontaines ne dépendant pas de sa juridiction, puis dans plusieurs habitations situées à Châteauneuf, dans la rue Saint-Michel, et tenues prochement sous le roi [Note : Jurid. de Méros, etc., Proc. crim. (1786)]. C'était une usurpation sur les juges royaux : mais le sénéchal se croyait dans ses droits ratione loci, comme son prédécesseur pensait agir régulièrement ratione personae à Lannédern, en 1774.

De tels empiétements étaient fort rares. On pourrait moins reprocher aux juges seigneuriaux leur activité que leur paresse. Aussi prisons et fourches patibulaires étaient-elles devenues inutiles. Les seigneurs hauts justiciers devaient avoir des prisons, mais hors de leur château [Note : De Fréminville, Pratique des terriers, II, 183]. Dans le ressort de Châteauneuf, celles de Botmeur sont seules mentionnées. Elles consistaient en un bâtiment large de quatorze pieds et long de treize, attenant au château ; dans la cuisine, on voyait « une fenêtre avec deux barres de fer, par où les prisonniers demandaient leurs vivres et nécessités, qui leur étaient administrées par autre endroit ». En 1626, il n'en existait plus que les vestiges [Note : Arch. Fin., E 512, P v. du 4 décembre 1626]. L'abbaye du Relec, d'après sa déclaration à la Réformation des Domaines, possédait une prison à Plounéour-Menez ; mais elle était sous Lesneven [Note : Arch. Nat., P 1750, f° 300]. Aux XVIIème et XVIIIème siècles, les hautes justices de la sénéchaussée n'avaient aucune prison, et en cas de besoin, elles empruntaient celle du siège royal [Note : S. R. de Chât., Proc. crim. (1779). — Fonds Carm. Déch., Liasse 11 (1718)]. C'était une économie pour le fisc seigneurial.

La rareté des procédures criminelles avaient fait abandonner les prisons comme inutiles ; elles auraient dû être conservées à cause de la contrainte par corps toujours possible. Les patibulaires, au contraire, n'avaient plus d'autre but que la « décoration de la seigneurie ». Lugubre décoration que ces piliers ou postz de pierres de taille réunis par des barres transversales, auxquelles étaient pendus les condamnés. Ces fourches étaient placées sur des hauteurs bien en vue ou au bord des chemins fréquentés. Elles s'appelaient vulgairement les justices : d'où le nom donné à un grand nombre de pièces de terre ; à Rosily, il y avait un parc en justice ; à Kervazain, une lande dite Menez en justice [Note : Inventaire des titres de Méros, pp. 155, 369. — Ceci porterait à croire que Rosily avait ses patibulaires avant son annexion à Méros et que Kervazain était à l’origine une juridiction]. En 1555, on se rappelait avoir vu exécuter des voleurs aux patibulaires de Châteaugal, mais dans la suite on n'y pensait plus : les patibulaires comme les prisons « périrent par vétusté et laps de temps » [Note : Arch. Nat , P 1747, f° 433]. Si, à la fin du XVIIème siècle, il en existait, dans plusieurs seigneuries, des vestiges, ils ne tardèrent pas eux-mêmes à disparaître [Note : Botmeur : Patibulaires à 4 postz sur la montagne d'Arrez, près la route de Quimper à Morlaix (Arch. Fin., E 512. — Arch. Nat., P 1749, f° 345). — Keraznou : Patibulaires à 4 piliers, cept et collier à Brennilis et près Notre-Dame des Cieux à Huelgoat. D’après un aveu de 1547 (Arch. L.-Inf., B 1185), patibulaires en Loqueffret près le chemin de Carhaix à La Feuillée, entre Huelgoat et Brennilis. — Locmaria : Patibulaires à 4 piliers en ruines sur la montagne de Poullaba (Arch. Nat., P 1749, f° 409). — Le Rusquec : Patibulaires à 4 postz en ruines, sur Menet Du (Ibid, P 1750, f° 121). — Châteaugal : Patibulaires à 3 postz, sur autorisation du Duc en 1423, le 4ème pilier accordé en 1535 (Fonds de Châteaugal) ; au XVIème siècle en Kergloff et au XVIIème siècle en Landeleau (Arch. L. Inf. B 1183 ; déclaration de 1669. — Arch. Nat., P 1751, f° 37 . — Kergoat : Patibulaire à 4 piliers (Ibid., P 1752, f° 87). — Le Moustoir : Patibulaires à 3 piliers (Ibid., P 1747, f° 163), probablement sur Mene Justic. entre Kervais et Kerven en Châteanneaf. — Méros : Patibulaires près de Penanlan, en Plonévez-du-Faou (Ibid., P 1748, f° 33). — Kerverziou : Patibulaire à 4 pôts en ruines à Magorveur en Châteauneuf (Ibid., P 1747, f° 433) — Rozéonnec : Patibulaires à 4 pôts à Trébuon, en ruines, sauf quelques voltiges (Ibid.. P 1748, f° 241) ].

Il semblerait que ce dût être un droit pour les hauts justiciers d'avoir des patibulaires et de les relever à leur gré. Cependant, au XVème siècle, le seigneur de Châteaugal demandait au duc l'autorisation d'en construire, « obstant son droit de justice » [Note : Fonds de Châteaugal. Induction à la Chambre royale de 1673]. Deux siècles plus tard, le seigneur de Rosily obtenait la réintégrande de ses fourches patibulaires tombées en ruines [Note : Inventaire des titres de Méros. P. 371 (1649)]. Il fallait donc la permission du pouvoir souverain pour en décorer une seigneurie [Note : Cf. Giffard. Les justices seigneuriales, etc., p. 210 et de Fréminville. Pratique des terriers, II, 261].

Le nombre des piliers dépendait de l’importance de la terre. Rosily n'en déclarait que deux, Le Moustoir trois ; toutes les autres justices prétendaient avoir droit à quatre postz, mais sans raison très probablement. Du reste, ces usurpations dans les déclarations des seigneurs étaient sans conséquence. Ceux-ci n'usaient point de la liberté que leur laissaient les sentences de réception de leurs aveux, au sujet des patibulaires. Le besoin ne s’en faisant plus sentir, l’entretien n'était plus qu'une source de frais à supprimer.

Si les justices seigneuriales avaient perdu, en fait, à la fin de l'ancien régime, leur compétence criminelle, elles conservèrent toujours l'exercice de la juridiction foncière.

La juridiction foncière avait pour objet les contestations relatives aux tenures soit nobles, soit roturières, et à l’éligement des droits féodaux [Note : Rogier, Les justices foncières dans le nord de la France, p. 3. — Poullain-Duparc, Cout. Générales, I, 132]. En Bretagne, elle n'était pas distincte de la basse justice [Note : Poullain-Duparc, Coût. Générales, I, 132 ; III, 804. — Hévin, Consultations sur la Coutume, p. 4], mais elle existait néanmoins. L'article 28 de la nouvelle coutume en fournit la preuve. Il restreignait le pouvoir judiciaire du seigneur foncier, en permettant à ses vassaux de s'adresser à la cour supérieure quand il leur réclamait des droits plus élevés que ceux qu'ils avouaient [Note : Poullain-Duparc, Coût. Générales, I, 106]. Il ne fut pas, paraît-il, appliqué au XVIIIème siècle [Note : Giffard, Les justices seigneuriales, etc., p. 155] ; mais il l’était précédemment [Note : Hévin, Questions féodales, 263]. Et c'est très probablement en vertu de ses dispositions qu'en 1640 le seigneur de Méros portait devant les juges de Châteauneuf une contestation entre lui et ses tenanciers de Kerroignant [Note : Inventaire des titres de Méros, 107], et qu'il leur soumettait plus lard un litige au sujet du champart d'une garenne dépendant du convenant Breut, à Kereffrant [Note : Inventaire des titres de Méros, 53, 54 et 340]. En tout cas, que l'article 28 fut tombé en désuétude, il reconnaissait implicitement l'existence en Bretagne de la juridiction foncière.

Au contraire de ce qui se passait dans le Nord de la France [Note : Rogier, Les justices foncières dans le nord de la France, pp. 190 et sqq], elle s'y exerçait dans les mêmes formes que les affaires civiles ordinaires. Aussi, était-ce à l'audience qu'étaient rendues les sentences au sujet du champart dû sur les terres froides [Note : Fonds Car. Dêch., Liasse 3 (1627)] et des droits de lods, ventes et rachat [Note : Inventaire des titres de Méros, 35 (1702)], que les vassaux étaient condamnés à rendre aveu [Note : Inventaire des titres de Méros, p. 200. — Jurid. de Keraznou. Aud. civ. du 7 janvier 1638, Inventaire des titres de châteaugal, 115]. On y procédait à l'adjudication des dîmes dues aux seigneuries sur les terres des colons et les convenants [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. cit. du 17 septembre 1642].

En plus de leur compétence civile, criminelle et foncière, les juges seigneuriaux étaient encore les juges gruyers du seigneur. Ils réglaient la surveillance des bois et taillis du fief, poursuivaient les délits commis en ces matières et les infractions au droit de pêche dans les ruisseaux dépendant de la seigneurie. Dans le territoire de la sénéchaussée, toutes ces affaires étaient de la compétence d'une cour spéciale, la Maîtrise particulière des Eaux et Forêts. Aussi le pouvoir royal essaya-t-il d'ôter aux justices seigneuriales la connaissance de ces matières. L’usage de la province qui ôtait au seigneur la juridiction sur son domaine avait cependant fait en sa faveur une exception sur ce point. François Ier avait créé des Maîtrises des Eaux et Forêts en Bretagne [Note : Dom. Morice. Pr., III, 1015 — Hevin, Questions féodales, 151] ; mais les justices seigneuriales avaient continué à connaître des affaires de gruerie [Note : Hévin, Questions féodales, 335] ; leurs registres du XVIIème siècle sont remplis de procédures de cette espèce. Au Grannec les sergents de la juridiction étaient parfois en même temps forestiers [Note : Fonds Car. Déch., Liasse 3 (1622, 1623)]. A Keraznou, les juges recevaient le serment des verdiers ou gardes forestiers : les vassaux des seigneuries devaient, en effet, à tour de rôle, deux à deux, remplir cette charge pendant un an [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. civ. du 28 janvier 1638 et du 27 juin 1640]. En sortant de charge ils nommaient leurs successeurs [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. civ. du 19 juin 1641] ; mais comme ces fonctions constituaient une véritable corvée, une charge féodale mentionnée dans les inféodations, les verdiers se retiraient immédiatement à l'expiration de leur mandat [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. civ. des 19 juin 1641 et 23 juillet 1643]. Les juges avaient bien souvent des difficultés à les amener à l'audience pour prêter serment [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. civ. du 5 avril 1663]. A la fin de leur exercice les forestiers devaient remettre au procureur fiscal un procès-verbal de l’état des bois, et bien qu’ils fussent responsables des dégâts qu'ils n'avaient pas dénoncés [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. civ. du 7 mai 1660], il fallait souvent les assigner our avoir leur rapport [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. civ. des 6 avril 1660 et 25 janvier 1663 ; Fonds Carm. Déch., Liasse 10 (15 février 1628)]. A jour fixé, les juges procédaient en leur présence à la visite des bois de la seigneurie [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. civ. des 2 juillet 1642 et 16 juillet 1643]. Les vassaux accusés par les verdiers étaient poursuivis à la requête du procureur fiscal [Note : Fonds Car. Déch., Liasse 10 (24 mars 1629)]. Les coupables étaient parfois nombreux : à Keraznou, en 1660, trente et un furent condamnés le même jour « à 38 sols d'amende par chêne coupé et à 32 par pied de fouteau, à 100 sols par charretée d'émondes et à 5 par faix de bois de chauffage » [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. civ. du 7 mai 1660]. La pêche dans les ruisseaux de la seigneurie était rigoureusement interdite. Les juges de Keraznou prononcèrent « une amende contre ceux qui s'émancipaient tant de jour que de nuit de pêcher tant à la ligne, bâches, filets, etc., dans les rivières dépendant de la cour, et les rendaient arides, friches et toutes dépeuplées de poissons ». L'ordonnance fut bannie trois dimanches consécutifs à Loqueffret [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. civ. du 14 avri 1665].

La connaissance des matières de gruerie appartenait donc aux justices seigneuriales au XVIIème siècle. Les juges royaux de la Maîtrise avaient simplement la prévention quand les gruyers étaient les officiers ordinaires de la juridiction [Note : Giffard, Les justices seigneuriales, etc., pp. 151, 153]. Mais lors de la Réformation des Domaines, les conmissaires du roi s'efforcèrent à diverses reprises de restreindre le droit des seigneurs bretons et même de le supprimer complètement. Un édit de 1707 devait trancher en principe toute difficulté à cet égard. En fait il ne changea rien à la situation antérieure. S'il reconnaissait aux seigneurs justiciers la compétence forestière [Note : Poullain-Duparc, Cout. générales, I, 134], en créant dans chaque juridiction seigneuriale un juge, un procureur et un greffier gruyers, son but était essentiellement fiscal. Le pouvoir royal n'avait institué ces offices que pour les vendre aux seigneurs. Mais cette mesure n'eût guère de succès : très peu des charges nouvellement créées furent acquises ; un édit de mai 1708 déclara les autres réunies de plein droit aux offices seigneuriaux ; et un arrêt du 16 octobre suivant fixa la somme à payer pour la réunion : elle s'élevait à 150 livres par paroisse pour chaque justice [Note : Arch. I.-et-V. C, 3478]. L'injustice était criante. L'importance des seigneuries n'était pas proportionnée au nombre des paroisses où elles s'étendaient. Le Grannec ne fut taxé qu'à 300 livres, tandis que Kergoat devait payer 730 livres [Note : Arch. I.-et-V., C 3479]. Le trésor ne perçut rien et les Etats de Bretagne passèrent, en 1709 [Note : Giffard, op, cit., 38], avec les commissaires du roi, un contrat par lequel ils s'engageaient à verser pour toute la province la somme de 190.000 livres, en se réservant le droit d'en faire la répartition. La taxation fut cette fois plus équitable. Mais parmi les seigneuries taxées, plusieurs n'avaient pas le droit de justice : on leur imposait une nouvelle charge en leur reconnaissant des attributions qu'elles ne possédaient pas auparavant. Locmaria, Le Moustoir, Kerverziou, Châteaugal, Pratulo et Coatmeur, Le Rusquec versèrent leur cotisation, mais les autres refusèrent de s'exécuter. En 1714, le comptable demandait certaines décharges, n'ayant pu se faire payer [Note : Arch. I.-et-V., C 3479].

Une déclaration postérieure à l'édit de 1707 vint restreindre le pouvoir des juges seigneuriaux en fait de gruerie [Note : Giffard, op. cit., p. 153]. Il rétablit la prévention royale précédemment supprimée. Mais rien ne fut changé dans la sénéchaussée de Châteauneuf [Note : Fonds Car. Déch., Liasse 14 (1749). — Jurid. du Grannec, Aud. civ. du 25 février 1757. — Jurid. de Kergoat, Aud. civ. du 9 janvier 1744]. En cas d'absence des juges ordinaires des seigneuries, les procureurs les remplaçaient dans l'ordre du tableau [Note : Jurid. du Grannec, Cahier de gruerie (1762)]. Pas plus qu'au siècle précédent, les officiers de la Maîtrise de Carhaix n'apparurent dans les juridictions [Note : Jurid. de Méros, Descentes diverses ; cahiers de contraventions (1767-1789)]. La seule innovation que l’on constate, c'est que les juges seigneuriaux se firent recevoir comme gruyers à la Maîtrise et non pas seulement à la sénéchaussée [Note : Le fait est certain bien que les liasses de réceptions d’officiers seigneuriaux par la Maîtrise de Carhaix ne contiennent aucune pièce concernant ceux du ressort de Châteauneuf]. Enfin, les forestiers n'étaient plus, comme autrefois, des vassaux choisis à tour de rôle, mais des officiers pourvus par mandat et régulièrement reçus à Carhaix, comme les juges [Note : Jurid. de Méros, 1er cah. de contraventions (23 novembre 1787) ; 3ème cahier (9 mai 1781)]. D'ailleurs, ils étaient parfois en même temps sergents de la juridiction : à Méros, à la veille de la Révolution, on les convoquait aux généraux plaids : sergents et gardes tendaient à se confondre. En fait de gruerie, les justices seigneuriales avaient donc conservé leur ancienne compétence.

Outre leurs prouvoirs judiciaires, elles possédaient, comme le siège de la sénéchaussée, des attributions administratives et policières, mais évidemment moins étendues. Les juges seigneuriaux pouvaient rendre, à la requête des procureurs fiscaux, des ordonnances portant des peines contre certains délits. Ils ne le faisaient que très rarement. En 1638, ceux de Keraznou défendirent d'enlever « des pierres de taille ou de grain du distroict de la seigneurie » [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. civ., 28 janvier 1638], et d'entrer dans les bois « avec cognées, faucilles, etc., à peine de 10 livres d'amende » [Note : Jurid. de Keraznou, Aud. civ., 12 mars 1638]. Sainf sur ces points particuliers, au lieu de rendre des ordonnances, ils se contentaient tous de faire enregistrer les arrêts du Parlement, les édits du roi, etc.

Ils ne semblent pas non plus s'être préoccupés outre mesure de la police qu'ils devaient exercer dans leur ressort. La police générale, la police sanitaire, la police des mœurs leur appartenaient. Mais c'est à peine si l‘on trouve une ordonnance des officiers de Keraznou qui « en l'absence de ceux de Huelgoat défendirent à un individu, à sa femme et à ses domestiques, attendu la maladie notoire contagieuse à Huelgoat, de fréquenter les habitants de la ville, à peine d'être chassés comme rebelles à la justice ». Ils commandèrent à un sergent de faire tuer dans les vingt-quatre heures les chiens, pourceaux, et de nettoyer les rues, à peine de 100 livres d'amende [Note : Jurid. de Keraznou. « Attandu la maladye notoire contagieuse est en la ville d'Uhelgoet en l’absance de Messieurs les juges de la court d'Uhelgoet avons en l’absance d'iceux ordonné Pierre Bicrel, sa femme et ses domesticqz prendront logement à part du lieu détourné de la ville d'Uhelgoet avecque deffance de ne hanter ni frequanter les habitans de la ville d'Uhelgoet a paine d’estre chassé rebellairs à la justice mesme de se rettirer a paine d'estre tiré comme nous avons adjoint à Me Thomas Le Goff, sergent de faire tuer dans vingt-quatre heures les chiens pourceaux et nettoyer les rues a paine de 100 livres d'amende. Faict de l’ordonnance de Me de Lesquelen advocat en la dte jurisdion. Le 9e jör de Feb. 1640 »]. Les chemins dont l'état était très mauvais nont guère retenu l'attention des juges seigneuriaux : l'entretien des voies de traverse était pourtant de leur compétence ; leur sollicitude se bornait à enregistrer des arrêts de la cour sur ce sujet. Quant à la police des mœurs, ils reçurent seulement des déclarations de grossesse [Note : Jurid. de Kergoat, Cah. d'office (1756)], conformément à l'édit d'Henri II.

Les affaires administratives étaient donc très peu importantes dans les justices seigneuriales. A partir du milieu du XVIIème siècle, les procédures criminelles, exception faite des petits crimes, y étaient complètement abandonnées aux juges royaux. Le nombre des affaires civiles décroîssait.

L'activité des juges seigneuriaux se manifestait simplement dans l’expédition des matières d'office et des procès relatifs aux droits féodaux. On peut donc affirmer qu'à la fin de l'ancien régime les justices seigneuriales étaient dans un état de décadence bien réel, malgré l'agrandissement du territoire de plusieurs d'entre elles.

(Raymond Delaporte).

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