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Le Passeport de Gigault de Bellefond.

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Le 15 ventôse an III [Note : L'administration de Lenormant-Kergré n'entra en fonctions qu'en brumaire IV (novembre 1795)] (5 mars 1795), un combat avait eu lieu à la ferme de la Villemario [Note : V. un assez bon récit dans Ch. Le Maout : les Annales Armoricaines (pp 358-359), d'après Habasque], aux environs de St-Quay-Portrieux, où les Chouans avaient été défaits. Parmi les blessés se trouvait un certain Bernard Le Franc que les troupes républicaines avaient mis assez mal en point. Le général Valletaux lui avait accordé un sauf-conduit et on l'avait transporté, pour être soigné, chez une dame de la Villeaudren qui habitait Hénon et qui ne tarda pas à venir s'établir à St-Brieuc. L'administration du Département [Note : C'était alors l'administration épurée, en fin prairial, par les représentants Guezno, Guermeur et Grenot. Le Directoire se composait de M. Le Mée, Ozou (des Verries). Le Dissez fils, Lorin, Limon, Vauquelin, Boullaire-Villemoisan et Guy-Marie Lorin. Le procureur général syndic était Olivier Rupérou], avisée, y avait consenti à la seule condition que Madame de la Villeaudren se déclarât responsable et se portât caution du blessé. Le traitement de Bernard Le Franc dura de longs mois. Ses mutilations étaient effrayantes. Il avait eu notamment la mâchoire brisée, ce qui ne lui permettait pas de mastiquer et lui interdisait presque complètement la parole. Néanmoins, une fois hors de danger, il vint le 16 frimaire an IV (7 décembre 1795), faire sa soumission au Département. Le registre de police administrative, civile et militaire la reproduit comme il suit (Arch. Dépt. des C.-d.-N. L 7 10 ff 48-49) :

« ... Alexandre Gigault de Bellefond, natif de la commune de Hayneville de la ci-devant province de Normandie, lequel a déclaré que pour éviter les persécutions qu'on faisait éprouver aux ci-devant nobles, dans les premières années de la Révolution, il fut contraint d'abandonner son domicile vers la fin de l'année 1791 ; qu'après s'être tenu caché et (avoir) erré sur les confins des ci-devant provinces de Normandie et de Bretagne, il s'était vu forcé de prendre partie dans les Chouans ; que, par suite de ses courses, il s'était trouvé à l'affaire de la Villemario, en Saint-Quay, le 5 mars 1795 (v. s.), 15 ventôse de la 3ème année républicaine ; qu’il y fut grièvement blessé de manière à avoir été privé jusqu'à ce moment d'une connaissance parfaite des événements qui se sont passés depuis ; que, par un arrêté du représentant du peuple Corbel, du 28 floréal suivant (17 mai), il fut autorisé à voyager dans l'intérieur de la République, que, d'après cet arrêté, il fut accueilli chez la citoyenne Villaudren demeurant lors en la commune de Hennon, que cette dernière ayant quitté Hennon pour venir habiter Saint-Brieuc, le général Valletaux lui fit passer une autorisation en date du 6 messidor suivant (24 juin) pour se rendre à Saint-Brieuc, près du Département, pour y faire sa déclaration ; que, l'état où il était ne lui permettant pas de faire aucune déclaration, la citoyenne Villeaudren se présenta elle-même au Département et y fit le 9 messidor (27 juin) une déclaration consignée sur les registres [Note : Du 9 messidor, l'an 3 de la République française une et indivisible. Séance tenue par les citoyens G.-M. Lorin, président, Boullaire, Ozou, Lorin. Présent le citoyen Le Mée, suppléant du procureur général syndic. La citoyenne Villaudren de la paroisse de Hénon a déclaré au Département que d'après un arrêté du représentant du peuple Corbel du 28 floréal (17 mai) qui chargeait le procureur-syndic du district de St-Brieuc de donner un passeport au citoyen Bernard Lefranc, blessé à l'affaire de la Ville-Mariau (sic) en St-Quay, elle avait reçu ledit citoyen Bernard Lefranc et que d'après la lettre du général Valletaux du 6 messidor (24 juin) qui l'autorise à venir se faire soigner de ses blessures dans cette commune, elle l'a fait déposer chez le citoyen Chaumont, rue St-Guillaume, que l'état où il se trouvait, ne pouvant ni voir ni parler, l'empêchait de venir signer sa soumission à la République. Elle a ajouté que le citoyen Chaumont n'entendait le garder que sur l'assurance de n'être point inquiété et a signé ; de la Villaudrain. Le Département a décerné à la citoyenne Villaudren acte de sa déclaration et a arrêté qu'elle serait envoyée à la Municipalité pour la prévenir d'empêcher que les citoyens Chaumont et Bernard Lefranc ne fussent troublés ni inquiétés. Et sera une expédition du présent envoyée au général Valletaux. G.-M. Lorin : Lorin ; Ch.-F. Bouliaire ; J.-L. Ozou ; M. Le Mée. (Arch, Dépt. des C.-d.-N. — 47-6. f. 79)] par laquelle il est constaté qu'il ne pouvait dans ce moment faire ni signer de déclaration, attendu qu'il ne voyait ni ne parlait, et lorsqu'ayant appris aujourd'hui que la déclaration que la citoyenne Villeaudren avait faite pour lui sous le nom de Bernard Le Franc, nom sous lequel il était connu dans les ci-devant armées catholique et royale, et le seul sous lequel il pouvait être connu, il s'empresse de profiter du premier moment où il peut articuler quelques mots, pour ratifier cette déclaration sous son véritable nom en demandant à jouir des effets de la pacification, signée entre les représentants du peuple et les chefs de l'armée royale à la Mabilais, près de Rennes, le 1er floréal an III (20 avril 1795), à laquelle il déclare adhérer et contre laquelle on ne peut lui reprocher aucuns actes. En conséquence de sa soumission et de l'arrêté du représentant du peuple Corbel et pour se procurer les secours pressants et indispensables que demande son état, il demande qu'il lui soit délivré un passeport pour se rendre à Paris.
Le citoyen a lui-même présenté et signé sa présente déclaration. Alexandre-Bernard GIGAULT DE BELLEFOND »
.

En raison de cette soumission, l'administration centrale confirma au pétitionnaire l'amnistie que la loi du 8 floréal an III (27 avril 1795), accordait aux anciens Chouans et pria la municipalité provisoire de Saint-Brieuc de lui accorder le passeport qu'il sollicitait.

C'était la municipalité, qu'en vertu d'un arrêté, daté de Rennes des représentants Guezno, Guermeur et Grenot, le procureur-général-syndic Rupérou [Note : Oliver Rupérou, sénéchal de Guingamp avant la Révolution. Il fut élu en juin 1790 membre du Directoire du Département. Le sort l'en éloigna le 15 novembre 1791. Peu auparavant il avait été élu premier député suppléant à l'Assemblée Législative. En décembre 1792 l'assemblée électorale réunie à Lamballe le choisit à nouveau pour administrateur du Département. En cette qualité il prit une part active au mouvement fédéraliste et fut décrété d'arrestation avec son collègue Ozou. En floréal an III Guermeur, Guezno et Grenot le nommaient procureur-général syndic... Nous le retrouverons juge au tribunal de cassation] avait réorganisée le 11 prairial (30 mai) précédent. Elle avait pour maire Dubois Saint-Sévrin jeune [Note : Dubois Saint-Sévrin, jeune, maire, Gautier, Langlois, Deschamps-Oisel, Conan le jeune, Cartel jeune, Sébert aîné, Viel, Vésuty. — Poulain-Corbion père était procureur de la commune. — Le conseil général comprenait Léonard Charner, Le Péchon. J.-B. Derrien, Alexis Nouvel, Orsini père, Gélineau le jeune, Bretange, Désury, Pierre Pouliquen, J.-M. Cadiou, La Bonne, Ch. Pradal, J.-F. Royer, Michel Adam, Bouvier-Destouches, Rimet aîné, Fr. Frogé, Ruellan ; — Jouvin, secrétaire greffier. Ces citoyens avaient été tenus d'accepter leur emploi. (D'après Ch. Le Maout, Annales Armoricaines, p. 361)].

Bien que plus modérée que les municipalités qui l'avaient précédée, elle n'en était pas moins profondément imbue des idées révolutionnaires et « patriotiques » et beaucoup plus hostile aux émigrés et aux chouans que l'administration centrale, issue de la première assemblée qui s'était réunie en conséquence de la Constitution de l'an III.

Soit pour faire pièce à l'administration de Lenormant-Kergré, soit qu'elle crût vraiment que la loi du 8 floréal avait été intégralement rapportée, la municipalité décida, avant d'accorder le passeport demandé par Gigault de Bellefond, d'attendre que le Département eût persisté.

Le Département persista et le 20 frimaire an IV (11 décembre 1795) enjoignait au bureau municipal de Saint-Brieuc de délivrer le passeport. Dans ses considérants, il faisait remarquer que la loi du 8 floréal n'avait été abrogée qu'à l'égard de ceux qui avaient abusé de la confiance des représentants, que tel n'était pas le cas du pétitionnaire et qu'en définitive on ne pouvait rien avoir à redouter de cet ex-chouan que ses mutilations rendaient inoffensif.

Cette fois-ci la municipalité obtempéra. Mais, presque aussitôt, elle protestait auprès de Bénézech, le ministre de l'Intérieur, contre l'excès de bienveillance de l'administration centrale. Il serait aisé de retrouver cette dénonciation. Quoiqu'il en soit, les arguments qu'elle contenait produisirent certainement impression, car le secrétaire chargé de fournir un rapport au ministre sur le passeport de Gigault de Bellefond, le concluait en ces termes : « Ce département paraît bien indulgent et a besoin d'être surveillé » [Note : Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord] (nivôse an IV).

Le ministre ne perdit pas de temps et demanda aussitôt à la députation des Côtes-du-Nord des renseignements sur les administrateurs du Département. Les représentants déclarèrent par une lettre collective du 21 nivôse (11 janvier 1796) qu'ils répondraient séparément.

Les Députés des Côtes-du-Nord étaient en effet bien éloignés d'avoir les mêmes idées et la moindre unité de vues. Deux partis bien tranchés s'étaient formés : l'un était composé des anciens conventionnels, notamment de Pierre Guyomar [Note : Pierre Guyomar, né le 9 septembre 1757, négociant à Guingamp. Maire de Guingamp en 1790. Député à la Convention en 1792. Il vota pour la détention provisoire de Louis XVI pondant la guerre et le bannissement à la paix, se ralliant à l'opinion de son ami Thomas Payne. Après la Convention, il fut de ceux qui resteront au Corps Législatif. Il siégea au Conseil des Anciens jusqu'au Coup d'Etat de brumaire. Le premier Consul le nomma membre du conseil général des Côtes-du-Nord. Il était toujours négociant, était marié, avait cinq enfants et possédait une fortune d'environ 70.000 francs de capital], ancien maire de Guingamp, de Couppé [Note : Gabriel Hyacinthe Couppé, né en mars 1757, sénéchal de Lannion. En 1789 il fut élu député aux Etats-Généraux. L'année suivante, en octobre 1790, ses concitoyens l'élisaient second juge au tribunal de Lannion, tribunal qu'il présida en 1792. Nommé à la Convention, il vota en faveur de la réclusion du Roi. Le 1er juillet 1793, il abandonna son poste et fut remplacé par Jean-Jules Coupard, premier suppléant du Département. Il revint siéger à la Convention après le 9 thermidor ; puis il siégea aux Cinq-Cents jusqu'au coup d'Etat de brumaire. Il devint alors président du tribunal criminel du Département. Sa fortune, en l'an Xl, s'élevait à 30,000 francs en capital], ancien sénéchal de Lannion, ancien constituant, de Goudelin [Note : Guillaume-Pierre-Julien Goudelin, avocat à Sévignac. Nominé en 1790 membre du conseil général du Département, il ne tarda pas à démissionner. En 1792 il est administrateur du district de Broons. Elu quelques mois après à la Convention, il vota la réclusion du roi pendant la guerre et le bannissement à la paix. Maintenu eu Conseil des Cinq-cents, il fut atteint par le sort le 15 ventôse an V (5 mars 1797)], auxquels s'était réuni Vistorte [Note : Vistorte de Boisléon, né le 25 septembre 1758, à Trégonneau, juge et subdélégué à Guingamp. En 1790 il est membre du Directoire du district de Guingamp. Par dévouement, il consent à remplir les fonctions d'accusateur public près du tribunal du District. Elu en l'an IV député aux Cinq-Cents il y siégea jusqu'en l'an VII. Il aurait voulu obtenir du premier consul la sous-préfecture de Guingamp. Il fut seulement nommé président de son tribupal de première instance. En l'an XI il est marié, père de 6 enfants et sa fortune s'élève à environ 20.000 francs en capital], ancien administrateur du District de Guingamp, ancien accusateur public ; l'autre formé de la majorité des députés élus en exécution de la constitution de l'an III comptait surtout François Delaporte [Note : Nous n'avons que peu de renseignements sur Jean-Baptiste-François de la Porte, avocat à Lamballe, élu en 179O second juge au tribunal du district de Lamballe] ancien juge au tribunal du District de Lamballe et Macaire [Note : De Mecacaire de Rougemont nous ne savons presque rien. Nos recherches ne nous ont rien donné de suffisamment précis, autre que ce que donne le Dictionnaire des Parlementaires auquel nous renvoyons].

Entre ces deux partis, c'étaient des dissentiments perpétuels si bien que, quelques mois plus tard, le 17 prairial an V (5 juin 1797), au moment le plus aigu de la crise qui suivit la démission du commissaire auprès de l'administration centrale, le ministre de l'Intérieur terminait ainsi un rapport au Directoire Exécutif. « Le ministre doit ajouter une observation : c'est que le choix des commissaires des administrations centrale et municipales des Côtes-du-Nord n'ont jamais réuni l'assentiment de toute la députation. Le citoyen Guyomar n'a jamais approuvé les commissaires qui étaient du goût du représentant La Porte, et celui-ci a souvent jeté les hauts cris contre ceux appuyés par son collègue Guyomar. Au milieu de ces vents contraires, le ministre a souvent été embarrassé » (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord).

On conçoit dès lors que Lenormant-Kergré et ses collègues aient plutôt été défendus par les députés du parti de Delaporte (encore faut-il noter qu'ils le furent avec une grande modération), tandis qu'ils étaient vivement attaqués par le parti conventionnel, désireux de voir ses amis revenir au pouvoir.

A l'envi les représentants s'empressèrent de répondre.

Le 23 nivôse (13 janvier), Delaporte écrivait :
« Je, soussigné, député au Corps Législatif par le Département des Côtes-du-Nord, déclare ...... de dire ce que je pense de l'opinion publique de chacun des membres de l'administration départementale.
Lenormant-Kergré, président.
Il fut nommé électeur aux premières assemblées primaires et secrétaire de l'assemblée électorale. Je l'avais perdu de vue jusqu'à la dernière assemblée dont il fut nommé président. J'appris qu'il avait été détenu comme suspect. Je n'entendis personne parler de son patriotisme. Il est vraisemblable que l'assemblée ne le révoquait pas en doute, puisqu'elle le nommait pour la présider, et il est certain que les lois y furent exactement exécutées.
Le Febvre-Volorezenne. Je le connais peu. Il fut membre de la première assemblée électorale. Il y fut nommé administrateur du Département. Il devint ensuite juge de paix à Quintin. J'ai appris qu'il s'était bien comporté dans cette place et qu'il avait obtenu un certificat de civisme à Quintin, pendant le règne de la Terreur, quoique la rigueur fût extrême en cette ville.
Michel-Morvonnais. Je crois qu'il fut envoyé par Port-Malo [Note : Saint-Malo] aux ci-devant Etats de Bretagne en 1788, lorsque le nombre des députés fut augmenté. Il parla avec avantage à Rennes à l'assemblée qui nomma les députés à l'Assemblée Constituante. Il y parla et rédigea la partie du cahier des charges qui concernait la marine. Il a été ensuite membre de la Législature, et depuis sur le point d'être traîné à l'échafaud sous Robespierre. Ayant fixé son domicile dans le Département des Côtes-du-Nord, il a été nommé électeur et ensuite membre du Département quoiqu'il ne voulût pas l'être [Note : Il demissionna le 20 germinal V (9 avril 1797) à la veille des élections pour le renouvellement de l'administration].
Daniel-Kérinou. Je ne le connais pas. J'en ai entendu dire du bien.
Le Mée [Note : Mathieu Le Mée, négociant à Saint-Brieuc. En 1790 il fut élu membre du Directoire du Département. Il suppléa Nicolas Armez, procureur général syndic démissionnaire de janvier 1792 à octobre de la même année. En décembre 1792 l'assemblée électorale tenue à Lamballe le maintint dans ses fonctions de membre du Directoire. De même fit le représentant Boursault le 30 frimaire III (20 décembre 1794) ; de même les représentants Guezno, Guermeur et Grenot en floréal de la même année. L'assemblée tenue à la fin de l'an III le nomma membre de l'administration départementale. Le 1er thermidor an IV (19 juillet 1796) ayant été nommé receveur des Contributions, Limon le remplaça. En floréal IV (mai 1798) il revint à l'administration. En l'an VII il fut élu pour trois ans au Conseil des Anciens. Après le coup d'Etat de brumaire, il fut le seul représentant des Côtes-du-Nord maintenu au Corps Législatif] a été nommé administrateur du Département par toutes les assemblées électorales et par tous les représentants. Il passe pour le meilleur administrateur du Département.

En résultat je crois que le peuple a accordé sa confiance à cinq hommes probes et qu'il serait au moins difficile de remplacer par la capacité, mais leur bonté peut les rendre enclins à une indulgence excessive et je crois que le bien public exige qu'on leur recommande de mettre de l'énergie dans leur conduite et de faire exécuter rigoureusement les lois.

Au reste le commissaire du Directoire Exécutif [Note : Nicolas Armez aîné] sera de la plus grande utilité à cet égard. C'est un excellent sujet qui a montré autrefois les plus grands talents dans la place de procureur-général-syndic et qui sûrement requerra toujours strictement l'exécution de la loi.
DELAPORTE »
(Arch. Nat. 1 F 1. b. II. Côtes-du-Nord).

Avec des atténuations c'était bien là une défense de l'administration. Déjà cependant Delaporte semble juger sa cause singulièrement compromise. Elle dut lui paraître tout à fait désespérée lorsqu'il eût pu avoir communication des lettres des députés Vistorte et Goudelin.

Aussi le 20 pluviôse (9 février 1796), revenait-il à la charge dans une lettre au Ministre, conçue en termes vagues, où il dénonçait toute une machination, très réelle à la vérité et qu'il devinait, contre les administrateurs. Il mettait le gouvernement en garde contre la tentation qu'il pourrait avoir de céder à certaines sollicitations, et de replacer à la tête des corps administratifs, sinon les anciens terroristes de 1793, du moins les anciens fédéralistes, les partisans de la réaction thermidorienne. « … Ces hommes (les administrateurs) ne sont point contre-révolutionnaires, écrivait-il, et ils désirent sincèrement la fin de la guerre civile. Ils sont probes et ils ont toute la confiance du peuple qui les a nommés. Ils vont être ses consolateurs et ils porteront ses plaintes aux généraux aujourd'hui que le gouvernement militaire est établi dans ce malheureux pays [Note : Du 4 pluviose an IV (24 janvier 1796) de la République française une et indivisible. Séance du soir tenue par les citoyens Le Normant-Kergré, président, Le Febvre, Michel, Daniel et Le Mée. Présent le citoyen Armez, commissaire du Directoire Exécutif. L'administration a reçu par la voie du général de St-Brieuc, une lettre du général Rey, commandant la grande division de l'Ouest, datée de Rennes le 26 nivôse (16 janvier) portant 4 des articles de l’arrêté du Directoire Exécutif du 7 nivôse (28 Décembre) et invitant à leur donner la plus grande publicité. L'administration, ouï et le requérant le commissaire du Directoire Exécutif, Arrête que ces articles concernant la police et sûreté générale seront transcrits sur son registre de police, imprimés au nombre de 500 et envoyés à toutes les communes.
— Articles de l'arrêté du Directoire Exécutif, en date du 7 nivôse, l'an 4 de la République française une et indivisible.
Article 1er. — Toutes les grandes communes des Départements insurgés sont déclarées en état de siège. On attachera à chacune d’elles une colonne mobile chargée de l'approvisionner et d'en éloigner les nombreux partis de chouans et brigands qui infestent le Pays.
Art. 11. — La commune qui après avoir été désarmée, recèlerait encore des armes, munitions, ou conserverait en son sein des émigrés, chefs non soumis ou des étrangers à leur territoire, paiera une amende en numéraire égale au tiers de sa contribution. Le produit de ces diverses amendes sera toujours versé dans la caisse des payeurs de l'armée et servira à la solde des troupes,
Art. 15. — Tous les jeunes gens de la réquisition qui sont dans les administrations civiles et militaires seront incorporés sur le champ. Leur remplacement aura lieu de suite par des vieux militaires ou des pères de famille instruits et indigents.
Art. 16 — Les réfugiés seront tenus d'habiter leurs foyers aussitôt que le calme sera rétabli et que l'injonction leur en aura été faite par les ofticiers-généraux. A. défaut d'obéissance, ils ne pourront prétendre aux secours que leur accorde maintenant le gouvernement.
Pour expédition conforme signé REUBEL, président. Par le Directoire Exécutif, le secrétaire général signé L’AGARDE.
Pour copie, conforme, le Ministre de la Guerre, signé : A. DURAYET. Pour copie conforme, Le général on chef de l'armée de l'Océan, signé L. HOCHE
Pour copie conforme, Le général commandant la grande division de l’Ouest, signé : REY.
M. Le Mée, François Michel, J. Le Febvre, P.-M. Daniel (Arch. Dépt. des C.-d.-N. L 10, 1. ff 57-58)].

Leurs détracteurs qui ont trouvé des gens faciles quoique honnêtes qui servent ici leurs passions avec ardeur, sont, je crois, des hommes exagérés qui désirent leurs places et qui, peut-être avec de bonnes intentions, occasionneraient les plus grands malheurs, tant par défaut de confiance en eux de la part des administrés que parce qu'ils n'ont pas les qualités nécessaires pour conduire les hommes.

Je crois donc qu'il serait très malheureux que les administrateurs que le peuple a choisis fussent destitués, et s'ils l'étaient, je crois qu'il serait encore plus malheureux que les dénonciateurs fussent mis à leur place.
DELAPORTE »
(Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord), (Rue Honoré, n° 116, maison du caffé Richard).

C'est qu'en effet la toute minime affaire du passeport de Gigault de Bellefond avait pris des proportions beaucoup plus considérables et l'administration centrale du Département se trouvait accusée de pactiser avec les ennemis de la Révolution, en un moment où se manifestait une recrudescence de Chouannerie.

Le 21 nivôse (11 janvier 1796), Vistorte avait répondu à la demande de renseignements du ministre, par la lettre suivante contresignée de Pierre Guyomar :

Citoyen Ministre,
Les membres du Département des Côtes-du-Nord sont Le Normant-Kergré, Daniel-Kérinou, Le Febvre-Volozenne, Michel-Morvonnais et Le Mée.

Le premier, beau-frère d'un prêtre réfractaire déporté [Note : Ce prêtre se nommait Bobony], aurait été patriote, s'il avait été lancé par le choix du peuple dans la Révolution. Mais ayant été négligé et ayant le goût de la domination, il s'est laisse entraîné dans le parti des nobles et des prêtres. Il a pour eux beaucoup d'indulgence parce qu'il s'en sert pour s'élever.

Le second, beau-frère d'un émigré [Note : Cf. la déclaration de Daniel-Kerinou, le 16 brumaire au IV (7 novembre 1795) (Arch. Dépt. des C.-d.-N. — L 7 6 f. 96)], s'est assez bien conduit dans les fonctions publiques qu'il a exercées à Lannion depuis le commencement de la Révolution. Il est un peu porté à l'indulgence pour tout ce qui tient aux nobles et aux prêtres.

Le troisième aimait les nobles et surtout les prêtres avant la Révolution. Il a regretté les premiers et pleuré les derniers. On est persuadé qu'il préférerait l'ancien régime au nouveau.

Le quatrième a été membre de la première Législature. Il passait pour patriote. Il n'habite le Département que depuis très peu de temps. Je ne le connais que faiblement et je ne me permettrais pas de te juger.

Le cinquième est un excellent administrateur. Il est dans le Département depuis le commencement de la Révolution, mais il est d'un caractère froid, et lorsqu'il a émis son opinion, il ne se donne aucun mouvement pour la soutenir.

Tous les membres qui composent le Département sont instruits et probes. Le citoyen Armez, commissaire du Directoire, a de la capacité et du nerf. S'il ne parvient pas à faire marcher l'administration avec la vigueur qui est nécessaire dans le moment actuel et surtout dans un département dans lequel il y a des germes de Chouannerie, alors il sera constant que les administrateurs sont tout-à-fait gâtés et qu'il faudra désespérer de leur guérison. Salut et fraternité. (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord).

Le représentant Goudelin, dans une forme moins littéraire, se montrait beaucoup plus net encore et n'hésitait pas à porter contre eux de graves accusations, (lettre du 22 nivôse IV, 12 janvier 1796). « .... Les citoyens Le Normant-Kergré et Le Febvre-Volozenne, écrivait-il, ne sont point dans mon opinion francs patriotes ni dans les vrais principes républicains [Note : Il ne faut pas oublier que Goudelin avait été leur collègue au Conseil général du Département élu en juin 1790].

Je ne connais pas les citoyens Michel-Morvonnais et Daniel-Kérinou, mais d'après ce qu'on m'en a dit et ce que me fait (sic) penser deux différents arrêtés [Note : Il s'agit sans doute des deux arrêtés relatifs au passeport de Gigault de Bellefond que la municipalité de St-Brieuc dut envoyer aux députés qui partageaient ses opinions] de l'administration concernant des brigands, des gens soupçonnés d'émigration et des prêtres insermentés dont il m'a été donnné connaissance, je ne puis croire qu'ils sont patriotes et bien prononcés pour le maintien de la République.

Quant au citoyen Le Mée, je le crois excellent administrateur et capable de bien administrer avec des administrateurs patriotes et bien prononcés pour le maintien de la République.

Je le crois même bon patriote et dans de bons principes.
Salut et fraternité, GOUDELIN »
(Arch. Nat. F. 1 b II. Côtes-du-Nord).

Soit que ces demandes de renseignements et les réponses n'aient pas été tenues secrètes, — ce que tout fait penser — [Note : Champagneux, chef de la première division au ministère de l'intérieur, n'était-il pas un ami très intime d'Armez ?], soit pure coïncidence, le Ministre recevait peu après deux curieuses communications. La première était un billet anonyme, rédigé tout en capitales et contenant ces quelques mots : DES ADMINISTRATEURS DES CÔTES-DU-NORD, OTEZ QUATRE, RESTE UN : C'EST MATHIEU LE MÉE. IL FAUT DANS L'ADMINISTRATION UNE MAJORITÉ DÉCLARÉE VOUÉE A LA RÉPUBLIQUE (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nor).

La seconde, datée de Guingamp, le 10 floréal au IV (29 avril 1796) et signée d'un nommé Henri Peyron disait : « Vous n'avez d'ami de la chose publique dans le département des Côtes-du-Nord que le commissaire. Les émigrés ou plutôt leurs parents y trouvent toute faveur. Hâtez-vous de les culbuter ou ils culbuteront le Département. Salut el fraternité, Votre concitoyen : Henri PEYRON » (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord).

Quoique conçues dans un esprit différent, les lettres des représentants indiquaient bien toutes que l'administration centrale des Côtes-du-Nord était pour le moins coupable de mollesse. Toutes ces lettres, d'autre part, rendaient un même hommage au commissaire du Directoire, Nicolas Armez, qu'elles représentaient comme le seul capable d'inspirer l'énergie si nécessaire à l'administration en un moment où la guerre civile devenait plus menaçante.

Le ministre ne se tint pas pour satisfait des réponses qu'il avait reçues, et le 2 pluviôse au IV (22 janvier 1796), il s'adressait au commissaire pour lui demander des renseignements, à la fois sur les administrateurs et sur la situation du Département.

Cette lettre trouva Nicolas Armez fatigué [Note : Cf. Le Fureteur Breton n° 22], excédé de travail, aigri contre l'administration de Lenormant-Kergré, avec laquelle il n'était pas en communion d'idées, avide de retourner à Paris où il résidait avant d'être nommé commissaire. II y vit une excellente occasion de quitter Saint-Brieuc et de servir le parti des « patriotes » qui était le sien. Aussi par les nombreuses démarches qu'il va entreprendre, nous le verrons parvenir d'abord à imposer sa démission et provoquer ensuite, sans permettre à la moindre opposition utile de se manifester, la destitution de l'administration centrale, lors du coup d'Etat de fructidor.

(Léon Dubreuil).

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