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La succession de Nicolas Armez dans les Côtes-du-Nord.

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Il est permis de supposer que la retraite de Nicolas Armez ne déplut pas à l'administration centrale. Un chercheur attentif saura s'en rendre compte et retrouver, ici et là, le détail infime qui le montre.

Mais c'était une succession bien délicate à recueillir, en un moment, où l'administration, par suite de l'état de siège, était réduite à la simple besogne des bureaux, besogne lourde j'en conviens, mais sans grand éclat, où le représentant qualifié de l'autorité civile, en face de l'autorité militaire, était le commissaire du Directoire.

Daniel-Kérinou n'était pas l'homme de la situation. Il se pouvait que, sur les indications des représentants des Côtes-du-Nord, il fût nommé par le Directoire, mais jamais il n'aurait inspiré la confiance sans limites qu'inspirait son prédécesseur. Il s'en rendit parfaitement compte, et jusqu'à la nomination de Boullaire-Villemoisan, il insistera sans cesse pour être enfin déchargé du fardeau du commissariat.

Les nombreuses difficultés que, pendant cette période, le ministre rencontrera, vont encore discréditer l'administration et amener nécessairement le Directoire à lui étendre son coup d'Etat, au lendemain des élections de l'an V.

Nicolas Armez (Bretagne).

Le parti des « patriotes » qu'Armez aurait voulu voir consulter sur la nomination de tous les fonctionnaires publics [Note : Lettre du 18 pluviôse an IV (7 février 1796) au Ministre de l'Intérieur. « … Ne croiriez-vous pas convenable de proposer au Directoire Exécutif de ne nommer que sur la présentation d'un certain nombre de bons et honnêtes citoyens du Département qui formeraient une espèce de jury et après la discussion des sujets présentés dans une assemblée des Députés à la Législature… » (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord)], par la répugnance de ses membres les plus qualifiés à accepter la place vacante, ne sera d'ailleurs pas étranger à cette mesure.

Dès le 20 vendémiaire an V (11 octobre 1796) (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord), le ministre Bénezech avait demandé une liste de candidats aux députés des Côtes-du-Nord. Le 7 brumaire (28 octobre) (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord) il insistait auprès d'eux à nouveau. Enfin le 21 brumaire (11 novembre) (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord), il présentait au Directoire une liste de quatre citoyens désignés par les représentants : Daniel-Kérinou, faisant fonctions de commissaire, Vauquelin [Note : Louis-Alexandre Vauquelin, avocat et procureur à Châtelaudren, élu en 1790 administrateur du District de Saint-Brieuc, puis, la même année, 4ème juge au tribunal du District. Nommé en 1792 administrateur du Département], ancien juge, Pouhaër [Note : François-Germain Pouhaër, avocat à Plourivo. Procureur-syndic du District de Pontrieux depuis 1790 jusqu'à la suppression des Districts. Le 30 brumaire an IV (21 novembre 1795) l’administration le désignait comme commissaire provisoire près de l'administration municipale du canton de Paimpol. Le Directoire Exécutif le nommait à titre définitif le 26 brumaire (arrêté enregistré le 21 frimaire). Nous le verrons remplacer Boullaire-Villemoisan, révoqué en qualité de commissaire central. En l'an VII il fut élu député au Conseil des Cinq-Cents. Il y resta jusqu'au coup d'Etat de brumaire. Président du tribunal de première instance de Pontrieux, il fut appelé en 1811 à la vice-présidence du tribunal civil de Saint-Brieuc. Il était célibataire et possédait une fortune évaluée à 90.000 francs en capital. Sa mort survint en 1812], ancien procureur syndic du District de Pontrieux, Boullaire Villemoisan, juge de paix du canton de Lamballe, ce dernier recommandé surtout par le député Delaporte [Note : « … Il a toujours été administrateur ou procureur syndic depuis le commencement de la Révolution. Aux dernières élections, il fut appelé par le peuple aux fonctions judiciaires. Jamais on n'a élevé de doute sur son patriotisme ni sur ses talents. C'est véritablement un sujet distingué, et c'est autant pour la chose publique que pour lui qui ignore ma démarche que je vous prie de le nommer ». Lettre au ministre de l'Intérieur le 16 brumaire V (6 novembre 1796). A une nouvelle insistance de Delaporte en faveur de Boullaire, le ministre répondit le 28 brumaire (18 novembre) qu'il avait à ce moment présenté une liste de candidats au Directoire Exécutif, sans quoi il aurait indiqué en marge, près de son nom, le témoignage que portait de lui le représentant Delaporte. Désormais il appartenait au Directoire de statuer, et il encourageait son correspondant à s'adresser directement à lui. (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord)].

Le 24 brumaire (14 novembre), le député Guynot-Boismenu [Note : Pierre-François-Guynot de Boismenu, notaire et procureur à Plérin. En 1790 il est élu membre du Directoire du District de Saint-Brieuc. Elu député aux Cinq-Cents, il y siégea jusqu'au coup d'Etat de brumaire. Le premier consul le nomma en l'an VIII membre du conseil de Préfecture] qui venait d'être élu et était en communion si parfaite d'idées avec l'administration centrale des Côtes-du-Nord que nous pouvons le considérer comme son porte-parole officieux à Paris, écrivait au ministre que Daniel-Kérinou n'accepterait pas, que Vauquelin et Boullaire conviendraient « sous tous les rapports et sont très propres à entretenir la bonne intelligence qui règne parmi eux (les administrateurs) » [Note : C'était une faute. C'était indiquer, en quelque sorte, que Boullaire ne ferait rien pour secouer l'inertie de l'administration centrale. Delaporte le comprit si bien que lors de la nouvelle consultation, il recommandera lui aussi F. G Pouhaër. Dès lors la nomination de Boullaire était très compromise, et si elle se fit plus tard c'est que aucun des patriotes proposés ne voulut accepter, et que les élections de l'an V furent mauvaises pour ce parti. Mais dès à présent, il est facile de prévoir que si l'administration est destituée, son commissaire ne tardera pas à subir un sort identique], mais que, à peu près convaincu du refus de Vauquelin, il propose fermement Boullaire.

La nomination de Boullaire semblait donc assurée, et cependant elle ne se faisait pas.

Pour la troisième fois, le 14 frimaire an V (4 décembre 1796) [Note : La 2ème est du 23 vendémiaire V (14 Octobre 1796)], Daniel-Kérinou insiste pour qu'une solution intervienne. L'administration est surchargée. Il est même parfois difficile, étant donné qu'elle ne comprend plus que quatre membres, d'obtenir une décision à la majorité, et l'intérêt général en souffre.

Nous relevons au travers de cette lettre, et de la main même du ministre, semble-t-il, ces mots : La nomination est faite (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord).

En réalité si elle fut, elle dut être vite rapportée, et soudain, sous une influence qui paraît être celle de Nicolas Armez et des anciens Conventionnels, tout fut remis en question. J'ignore absolument s'ils avaient des griefs contre Boullaire-Villemoisan, mais ils durent considérer que sa nomination semblerait confirmer les échecs subis par le parti patriote depuis la mise en vigueur de la Constitution de l'an III. Il était dès lors naturel qu'ils combattissent la candidature de Boullaire, candidature appuyée par le parti de Delaporte, auquel s'était rallié Guynot-Boismenu. Les députés consultés à nouveau — et tous le furent-ils [Note : Seuls répondirent Toudic, Vistorte, Gaultier et Delaporte. Du moins ce sont les seules réponses que nous ayons trouvées. (Arch. Nat. F 1 b II Côtes-du-Nord)] ? — désignèrent en majorité l'ami très intime de Nicolas Armez, François Germain Pouhaër, l'un des membres les plus en vue du parti opposé au modérantisme de Lenormant-Kergré.

Cette proposition était trop conforme aux désirs du Ministre et du Directoire pour n'être pas accueillie. Pouhaër fut nommé : il refusa.

Sa lettre de refus est particulièrement utile à la connaissance de la situation du Département. Aussi la citons-nous en entier.

Paimpol, le 1er nivôse an 5ème de la République (21 décembre 1796). Le Commissaire du Directoire Exécutif près l'administration municipale du canton de Paimpol.
Au Ministre de l'Intérieur,
Citoyen Ministre,
J’ai recu par l'intermédiaire de l’administration centrale du Département
[Note : Le 23 frimaire (13 décembre 1796) l'administration accuse réception de trois nominations de commissaires dont celle du « citoyen Pouhaër, comminissaire auprès de l'administration départementale, auquel nous venons d'expédier un gendarme d'ordonnance, en l'invitant de se rendre à son poste pour faire enregistrer sa commission » (Arch. Nat. le F 1 b II. Côtes-du-Nord)] la commission par laquelle le Directoire Exécutif me nomme son commissaire près cette administration en remplacement du citoyen Armez démissionnaire. J'attache d'autant plus de prix à cette nouvelle confiance du gouvernement que j'ai le sentiment intime de ne la devoir qu’à mon dévouement constant au triomphe de la liberté depuis le commencement de la Révolution.

Mais, citoyen ministre, malgré tout mon désir d'y correspondre, je ne puis me déterminer à me rendre au nouveau poste auquel je suis appelé, car, outre que, d'un côté, j'ai encore besoin de repos pour finir de rétablir ma santé qui avait soufferte (sic) de l'exercice sans interruption des fonctions de procureur syndic du District de Pontrieux depuis son établisement jusqu’à sa suppression, c’est que, de l’autre, il est trop difficile dans les circonstances actuelles....... pour le républicain prononcé. Témoin l’exemple du citoyen Armez, qui, aux talents et aux principes les plus purs, joignait du zéle et de l’activité, n’a pu s’y maintenir. Témoin encore l'embarras du gouvernement dans son choix parce qu'il m'est revenu [Note : Il serait intéressant de savoir qui le tenait ainsi au courant. Peut-être Armez ?] que des différents sujets qui vous ont été désignés par la députation des Côtes-du-Nard, aucun ne devait accepter.

Dans cette position, je me permets un conseil. L’intérêt seul de mon département le suggère, et la confiance que vous me témoignez l'autorise : c'est d'attendre aux élections prochaines avant de nommer à cette place importante. Ce terme auquel nous touchons amènera nécessairement des changements qui pourront faire disparaitre les difficultés actuelles. Je compte, citoyen ministre, sur votre discrétion, comme vous pouvez le faire sur mon dévouement à la chose publique, Salut et fraternité : POUHAËR [Note : Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord].

Plus de trois mois devaient s'écouler avant les élections.

Le ministre s'adressa encore à la députation du département le 12 nivôse an V (1er janvier 1797) (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord) pour qu'elle lui désigne un nouveau candidat. La fraction modérée des représentants, après avoir sans doute cherché en vain, ne put que lui proposer Boullaire (3 pluviôse-22 janvier) (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord). Le ministre le désigna à son tour au Directoire le lendemain.

Mais le Directoire ne s'empressait pas de prendre une décision, circonvenu qu'il était par les députés avancés et par Nicolas Armez.

Cependant, l'administration des Côtes-du-Nord, comprenant les causes de ces retards successifs, écrivait le 7 pluviôse (26 janvier) pour se plaindre une fois de plus de l'excès de ses travaux, dans un département « populeux et riche en domaines nationaux », montrait tout le mal qui devait résulter de la prolongation de cet état de choses et concluait avec adresse : « Nous savons qu'il serait un mal plus grand encore : ce serait de voir près de nous un commissaire qui ne mériterait ni la confiance du gouvernement ni la nôtre ; mais ce danger ne nous paraît pas à craindre quand nous réfléchissons à l'influence que vous avez sur le choix... » (Arch. Nat. F 1 b II, Côtes-du-Nord). Le 19 (7 février) elle insistait à nouveau, puis le 2 ventôse (20 février) (Arch. Nat. F 1 b II, Côtes-du-Nord).

Armez, lui, écrivait dans les Côtes-du-Nord, consultait son ami Duval-Villebogard [Note : Duval-Villebogard est né à Rennes. Au moment où Armez lui écrit il est commissaire du pouvoir exécutif près des tribunaux civil et criminel de St-Brieuc. Il sera dans la suite député aux Cinq-Cents et habitera à Paris, 3, rue des Champs-Elysées. En l'an VIII il demandera au premier consul une place dans l'administration ou la magistrature. Son vœu sera exaucé car, en l'an XI, il préside la première session à la Cour d’assises des Côtes-du-Nord en qualité de conseiller à la Cour impériale de Rennes] et finissait par suggérer aux députés Guyomar, Gaultier [Note : Gaultier le jeune (de Pontrieux), avocat et subdélégué à Pontrieux. Administrateur du Département en 1790, puis commissaire du Roi près du tribunal du District de Pontrieux. Député à la Convention Nationale, il vota pour la détention perpétuelle du Roi. Ne pas le confondre avec René-Claude Gaultier (de la Motte), également député aux Cinq-Cents, ni avec Jean-Baptiste Gaultier, vicaire épiscopal, 2ème député suppléant à l'Assemblée Législative], Toudic [Note : Pierre Toudic, avocat à Guingamp. Il fut administrateur du Département (membre du Directoire), du 6 décembre 1791 au 8 février 1792. Il en fut exclu parce qu'il avait épousé la niéce de son collègue, Toussaint Prigent, de Lannion. Elu 2ème suppléant à La Convention Nationale, il n'y siégea pas, après la mort de Loncle, car il était suspect de Fédéralisme] et Couppé, la candidature du juge de paix de Saint-Brieuc, Barbédienne, que ceux-ci recommandèrent au ministre le 15 ventôse (5 mars) [Note : Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord] .... « La maturité de son âge, son expérience et son civisme lui donnent des droits incontestables à la confiance du gouvernement, comme les services qu'il a rendus sans interruption depuis 1789, lui en ont acquis à la reconnaissance de ses concitoyens ».

Ils ajoutaient que leur collègue Goudelin devait joindre sa signature à la leur, mais, son nom étant sorti le jour même dans le tirage au sort du tiers des représentants à remplacer, il était immédiatement rentré dans son Département.

Mais cette recommandation arrivait trop tard. Duval-Villebogard qui s'était chargé de pressentir Barbédienne n'avait pu vaincre sa résistance. Deux jours auparavant, il l'écrivait à N. Armez et lui proposait Couessurel-La Brousse, juge au tribunal du District de Saint-Brieuc [Note : 13 ventôse an V (3 mars 1797). « Il serait inutile, citoyen ami, de songer au citoyen Barbédienne. Rien ne serait capable de le décider à accepter. Il vient de me l’assurer de la manière la plus positive. Je viens d'indiquer au ministre de l'intérieur, le citoyen Couesssurel La Brousse, juge au tribunal civil pour la nomination du Directoire Exécutif, ex-président de Broons et administrateur du département. J'ignore si vous connaissez personnellement Couësssurel. Je puis vous assurer qu'il réunit à de grandes lumières la sagesse, la fermeté de caractère et le civisme le plus inébranlable. Je suis persuadé que personne n'est dans le cas de répondre mieux que lui à la confiance du gouvernement, et s'il est nommé il en résultera un grand bien. Je le désire beaucoup, pour ce qui me concerne, étant assuré de trouver en lui un collègue tel que je puis le souhaiter pour votre successeur. Salut et amitié pour la vie » (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord)]. Estimant qu'il n'y avait pas un moment à perdre, il le recommandait également au ministre. « ... Les représentants Guyomard, Fleury [Note : Honoré-Marie Fleury, avocat à Quintin. Elu en 1789 député suppléant aux Etats Généraux ; commandant de la garde nationale de Quintin. En 1792, député à la Convention Nationale il vota pour la détention de Louis XVI. Député aux Cinq-Cents, il y siégea jusqu'au coup d'Etat de brumaire. En l'an VIII, le premier consul le nomma membre du Conseil général du département. Nous le retrouvons en l’an XI juge de paix à Quintin] et Goudelin de la députation des Côtes-du-Nord, pourront, ainsi que le citoyen Armez, ex-commissaire, vous donner des renseignements sur la moralité, le civisme inébranlable et les lumières du citoyen Couessurel ... » (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord).

Entre temps, le ministre avait fait une nouvelle démarche auprès d'Armez, pour le décider à reprendre sa démission. Le succès n'y répondit pas et le 19 ventôse (9 mars) il accusait réception du refus définitif de l'ancien commissaire et lui en exprimait ses regrets [Note : Lettre du 19 ventôse an V du ministre de l'Intérieur « au citoyen Armez, commissaire du pouvoir exécutif près l'administration centrale des Côtes-du-Nord. J'ai reçu votre seconde lettre, citoyen, par laquelle vous persistez à donner votre démission. Je proposerai donc votre remplacement au Directoire, mais ce ne sera pas sans regret. Le zèle, l'intelligence, le patriotisme que vous avez déployés dans l'exercice de vos fonctions ont entraîné mon estime et vous ont mérité celle du Directoire. Je crois devoir vous observer qu'une retraite absolue des affaires publiques ne vous est pas permise. Vous pouvez servir trop utilement votre pays, pour que je ne désire pas vous voir dans un poste conforme à votre goût, à vos talents et à votre infatigable activité. Salut et fraternité » (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord). Il s'agit très évidemment ici de l'espoir de voir Nicolas Armez élu prochainement au Corps législatif. Nous avons déjà dit par ailleurs qu'il ne fut pas élu comme représentant, à cause de la question du domaine congéable].

Bénézech n'avait encore proposé ni Barbédienne, ni Couessurel, maintenant en quelque sorte la candidature de Boullaire. Mais le Directoire était averti, et, le jour même, son secrétaire-général Lagarde demandait au ministre s'il avait bien consulté toute la députation des Côtes-du-Nord. La réponse, nous la connaissons déjà. Elle est du 17 prairial (5 juin 1797), tardive, comme on le voit, et nous en avons cité la fin qui dénote une mésintelligence quasi-complète entre le parti de Guyomar et celui de Delaporte.

Armez ne pouvant compter sur Barbédienne, appuyait cependant avec chaleur la candidature de Couessurel, ainsi que l'indique ce billet à son ami Champagneux (28 ventôse-18 mars) : « Citoyen, Vous verrez par la lettre ci-jointe sans signature qui est du Commissaire près les tribunaux civil et criminel, que Barbédienne n'accepterait point la place. Je désire que celui indiqué par Villebogard lui soit substitué. Le témoignage de ce dernier est un fort argument pour lui. Salut et amitié, N. ARMEZ » (Arch. Nat. F 1 b. II. Côtes-du-Nord).

Pendant toutes ces tergiversations, le temps avait passé. Les élections de germinal étaient proches et on allait se résoudre à en attendre le résultat, suivant les conseils de Pouhaër, dans l'espoir qu'un revirement se produirait et que les électeurs travaillés par le parti des patriotes, mettraient en minorité Lenormant-Kergré et ses collègues.

Il n'en fut rien. Les électeurs, plus que jamais entraînés à la réaction, renommèrent Lenormant-Kergré, Le Febvre-Volozenne et Daniel-Kérinou et remplacèrent Michel Morvonnais qui avait démissionné le 20 germinal an V [Note : Du 20 germinal an V. Séance tenue par les citoyens Lenormant-Kergré, président ; Limon et Le Febvre, administrateurs. Présent le citoyen Daniel, suppléant du commissaire du Directoire Exécutif. L'administration n'ayant pu obtenir du citoyen Michel qu'il retirât la démission qu'il avait envoyée. Arrête de la faire passer à l'assemblée électorale, après l'avoir enregistrée comme suit : Liberté - Egalité - Constitution. Soussigné, François Michel Morvonnais, l'un des administrateurs du département des Côtes-du-Nord, nommé par l'assemblée électorale du mois de vendémiaire an IV et ayant depuis rempli les fonctions, me trouvant dans l'impossibilité absolue de continuer mon service, que j'ai soutenu et prolongé autant qu'il a été dans mon pouvoir, je déclare donner ma démission, priant l'administration d'en donner connaissance à l'assemblée électorale qui va se réunir le 20 germinal présent mois, pour la mettre à lieu d'exercer le droit qui lui appartient de pourvoir à mon remplacernent, conformément à la Constitution. A Saint-Malo, ce 1er germinal an V de la République française. Signé : F. Michel Morvonnais. J. Le Febvre, F. Limon, Lenormant-Kergré, président (Arch. Dép. des C.-d.-N., L 7. 6. f. 164)] (9 avril 1797), et Limon [Note : Limon avait été membre du Directoire du Département lors de l'épuration de Guezno, Guermeur et Grenot. Il avait remplacé, le 1er thermidor an IV Le Mée nommé receveur des contributions] élu député aux Cinq Cents par Delpeuch-Mesguen [Note : Je n’ai à peu près aucune indication concernant Delpeuch-Mesguen] et... Boullaire-Villemoisan. A la suite des récents événements, ce dernier choix surtout était significatif et semblait bien irrémédiablement consommer, dans le département, la défaite du parti patriote.

Il était désormais impossible de retarder la nomination du commissaire central et cette nomination devenait plus délicate que jamais.

Non seulement on courait risque de déplaire à l'administration affermie par le dernier vote, mais encore on devait craindre d'accentuer la défiance du corps électoral à l'égard du gouvernement, et de le pousser tout-à-fait vers les Chouans qu'il subissait déjà assez volontiers [Note : L'administration était réduite d'autre part par l'absence de Daniel-Kerinou en congé. « Le dérangement de ma santé et de mes affaires, écrivait-il le 26 germinal (15 avril) au ministre de l'intérieur, exige que je suspende pendant quelques jours mes travaux à l'administration. Je vous prie, citoyen Ministre, de m'accorder un congé de deux décades pour m'en occuper. Je saisis cette occasion, citoyen Ministre, pour insister auprès de vous sur la nomination du commissaire du Directoire près l'administration du Département dont j'exerce les fonctions depuis neuf mois....... ». Ce congé lui fut accordé le 14 floréal (3 mai) (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord) et, bien entendu, l'administration désigna Boullaire-Villemoisan pour le suppléer pendant son absence (Arch. Dép. des C.-d.-N., L. 7. 6. f. 167)].

Les patriotes le sentirent parfaitement et mirent en avant la candidature de Baudouin de Maisonblanche, ancien député à la Constituante, dont les opinions étaient assurément plus avancées que celles des administrateurs, mais dont la modération relative pouvait être susceptible de rallier tous les esprits.

C'est alors que le ministre se décida à répondre à la demande qu'avait formée le 2 ventôse (20 février) le secrétaire général du Directoire. Le 17 prairial, il écrivait (5 juin) : « Le Directoire exécutif fait demander au Ministre de l'Intérieur si le citoyen Boullaire indiqué pour commissaire, près l'administration centrale du Département des Côtes-du-Nord, par la députation de ce département, a l'assentiment de tous les membres de cette députation.

Cette vérification n'est plus au pouvoir du ministre, mais bien du Directoire qui a sous ses yeux le rapport que le ministre lui a fait le 3 pluviôse dernier (22 janvier 1797) auquel rapport la lettre de la députation se trouve jointe en original.

Depuis lors, le Directoire a fait parvenir au ministre une lettre signée par cinq représentants du peuple [Note : Bien que nous n'ayons pas retrouvé la lettre, ces cinq députés semblent être Couppé, Fleury, Gaultier (de Pontrieux), Toudic et Vistorte], s'intitulant les députés des Côtes-du-Nord dans laquelle le citoyen Baudouin ex-constituant, est annoncé comme devant s'établir à Saint-Brieuc et comme étant très digne de la confiance du gouvernement pour le commissariat près l'administration centrale... ». Et le ministre terminait en déclarant que l'accord était impossible entre la faction Guyomar et la faction Delaporte (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord).

Néanmoins Armez ne perdait pas courage. Le 13 prairial (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord) (1er juin), il avait engagé le Directoire à fixer rapidement son choix sur Couëssurel ou Baudouin. Dans une lettre du 20 prairial (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord) (8 juin), il soutenait avec énergie un certain nombre de commissaires qu'il avait fait nommer auprès des administrations municipales, Jean-Marie Salaün, à Lanvollon, Charles-Joseph Gueudet, à Rostrenen, Devars, à Châtelaudren [Note : Cf, Léon Dubreuil. Le District de Redon]. Il proposait de remplacer Jouannin, démissionnaire au commissariat près de l'administration municipale de Saint-Brieuc intra muros par Poulain-Corbion [Note : Jean-François-Pierre Poulain de Corbion, maire de St-Brieuc, député électeur de la sénéchaussée de St-Brieuc, député aux Etats Généraux, colonel des volontaires nationaux de St-Brieuc. Réélu le 9 novembre 1791, maire de Saint-Brieuc, il refusa cette magistrature et fut remplacé par Denis Le Gal. Il périt, tué par les Chouans, lors de l'invasion de Saint-Brieuc, dans la nuit de 4 au 5 brumaire, an VIII (25 au 26 octobre 1799)], n'hésitait pas à mettre en cause Limon, Macaire et Gauthier de la Motte [Note : Il s'agit de René-Claude Gauthier], et les accusait d'avoir sollicité, sans succès, il est vrai, mais en vue d'un but aisé à découvrir les adhésions de Couppé et de Gaultier, de Pontrieux, contre les commissaires qu'il défendait. Et il ajoutait : « Vous n'ignorez pas, citoyen ministre, sous quelle influence les dernières élections ont été faites et combien il importe au Directoire que ses commissaires ne soient pas dans les principes de la majorité des élus par les dernières assemblées. S'ils y étaient, vous pouvez compter sur la plus grande lenteur dans la perception des impôts, sur un déficit considérable sur le produit présumé des patentes, sur l'imposition personnelle et somptuaire... Dans mon département, c'était un titre d'exclusion de toute fonction que d'être acquéreur de Domaines Nationaux [Note : Entendre ici : acquéreur de biens d'émigrés] et pourvu d'une place par le Directoire ». Et cependant ceux-là même qui ont contribué à accréditer cette proscription ne recherchent ces places que pour mieux paralyser l'administration. Si on les leur accorde, il ne faudra plus rien espérer des patriotes indécis.

Le Directoire n'osa suivre les conseils d'Armez. Il pensa qu'il valait mieux composer avec l'administration départementale, tout au moins momentanément. Fin prairial il nommait Boullaire-Villemoisan [Note : « Du 6 messidor, an V de la République, Séance tenue par les citoyens (sic). Présent le citoyen Daniel, suppléant du commissaire du Directoire Exécutif. L'administration, après avoir entendu le suppléant du commissaire du Directoire Exécutif, Arrête d'enregistrer la commission du citoyen Boullaire comme arrivée par le courrier d'hier comme suit : Du 24 prairial, l'an 5 de la République française une et indivisible, Le Directoire exécutif, arrête ce qui suit : Le citoyen Boullaire, ancien procureur-syndic du District de Lamballe, est nommé commissaire du pouvoir exécutif près l’administration centrale du département des Côtes-du-Nord, en remplacement du citoyen Armez, démissionnaire. Ordonne en conséquence, qu'il se rendra sur le champ près de cette administration pour y remplir les fonctions qui lui sont attribuées par la loi. Pour expédition conforme : ainsi signé Carnot, président. Par le Directoire Exécutif : le secrétaire général, signé Lagarde ». « Le citoyen Boullaire a mis sa démission d'administrateur et a été installé commissaire du Directoire Exécutif. Le citoyen Daniel Kerinou l'a mis en possession du bureau destiné au commissaire et de toutes les pièces qu'il renferme, et il a repris ses fonctions d'administrateur » (Arch. Dép. des C.-du-N. L. 7. 6. f. 173)], qui était remplacé comme administrateur par un adjoint, Grandville-Cherdel [Note : Président de la municipalité du canton de Moncontour, appelé le 30 thermidor (17 août), il fut installé le lendemain, 1er fructidor].

Le 1er messidor (19 juin), inaugurant sa correspondance avec le nouveau commissaire, le Ministre de l'Intérieur, après lui avoir recommandé la discrétion la plus absolue, ajoutait : « ... Le gouvernement ne veut donner sa confiance qu'à des hommes bons républicains et vertueux. Quand vous trouverez de tels sujets, indiquez-les moi et je vous promets de vous les obtenir pour vos collaborateurs.

Je n'ai pas besoin de vous recommander de garder le silence... Cette discrétion est nécessaire pour qu'aucun intérêt particulier ne vienne s'opposer aux mesures à prendre par le Directoire Exécutif. Nous devons être inaccessibles à toutes les réclamations que le bien public n'aurait pas dictées. En se tenant dans le sage éloignement des passions particulières, les places deviendront le patrimoine des bons citoyens et nous aurons coopéré efficacement au retour de l'ordre, à la restauration des mœurs et à la félicité publique » (Arch. Nat. F 1 b II. Côtes-du-Nord) .

Peut-être le ministre était-il sincère ! C'étaient là de beaux projets, mais des projets que nul gouvernement moins que le Directoire n'était capable de mettre à exécution.

La chute du parti des Vistorte, des Guyomar, des Armez semblait donc bien définitive. Il n'en était rien cependant. Lorsque le Directoire se fut rendu compte que, avec la majorité réactionnaire des Conseils, majorité constituée aux élections dernières, il lui était impossible de gouverner, qu'il devait se résoudre à un coup d'Etat, la destitution de l'administration Lenormant-Kergré se trouvait par là même implicitement décidée.

Boullaire reçut la pénible mission de l'annoncer à ses amis et d'installer la nouvelle administration, composée d'acquéreurs de domaines nationaux et de « patriotes » convaincus. Puis trois semaines après, le 20 vendémiaire an 6 (11 octobre 1797), Boullaire était révoqué à son tour et remplacé par un ami d'Armez, par le plus fidèle dépositaire, peut-être, de sa pensée, par celui-là même qui avait refusé la place au début de nivôse, par François-Germain Pouhaër [Note : L'arrêté de révocation de Boullaire fut enregistré le 20 vendémiaire, ainsi que l'arrêté de nomination de F. G. Pouhaër. Boullaire cessa aussitôt ses fonctions. En attendant l'arrivée de son successeur, Le Bihan fut nommé suppléant. Pouhaër fut installé deux jours après, le 22].

Le triomphe avait suivi de près l'apparence de la chute, et, la nouvelle administration, tout imbue de la vague philosophie panthéiste d'alors, composée de révolutionnaires avérés, allait assumer, sans y parvenir d'ailleurs, la lourde tâche de régénérer l'esprit public et de rétablir l'ordre dans le département.

(Léon Dubreuil).

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