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Les Origines du diocèse de Dol |
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Emigrations
bretonnes et formation du royaume de Domnonée. — Fondation de l'évêché
de Dol par le roi Judual en faveur de saint Samson (555). — Erection de
Dol en archevêché par Nominoë (848). — Limites et enclaves du diocèse
de Dol. — Longue querelle entre Dol et Tours. — Fin de l'archevêché de
Dol (1199). |
LES ORIGINES DU DIOCESE DE DOL Les historiens bretons se sont divisés au sujet de la fondation de l'évêché de Dol : les uns font remonter cet établissement aux siècles primitifs du christianisme ; les autres ne reconnaissent son existence qu'au IXème siècle ; plusieurs enfin — et nous sommes de ce nombre — attribuent ses commencements à saint Samson, vivant au VIème siècle. Parmi les partisans du premier système se trouve l'abbé Déric, qui place un certain Sénieur — complètement inconnu d'ailleurs — à la tête du catalogue des évêques de Dol ; il le fait suivre de Mansuet, Libéralis, saint Samson Ier, saint Téliau, etc. Mais il n'y a pas de preuves que ces divers personnages aient été évêques de Dol, et l'Eglise ne reconnaît point deux saints Samson de Dol, quoi qu'ait dit l'abbé Gallet (Dom Morice, Histoire de Bretagne, I, 948). Bertrand d'Argentré croit aussi qu'un premier siège épiscopal exista près de Dol, à Carfantain, et Albert Le Grand regarde Lanmeur comme ayant été la résidence des prédécesseurs supposés de saint Samson. Par malheur, aucun document sérieux ne vient à l'appui de semblables prétentions, et rien ne confirme les traditions locales de Carfantain et de Lanmeur, envisagées de cette façon (nota : Ces traditions ne prouvent qu'une chose : le séjour d'évêques de Dol dans ces localités ; mais c'étaient des évêques successeurs et non pas prédécesseurs de saint Samson). Quant à l'opinion de ceux qui, avec le P. Le Large, prétendent reculer jusqu'au IXème siècle l'établissement de l'évêché de Dol, ne regardant saint Samson et ses successeurs que comme des abbés, dom Morice l'a réfutée depuis longtemps, et de nos jours M. de la Borderie a montré, une fois de plus, l'inanité des preuves apportées en faveur de ce système ; nous ne pouvons mieux faire que renvoyer nos lecteurs à leurs savantes dissertations (Histoire de Bretagne, II, Catalogue des Evêques de Dol – Annuaire de Bretagne, 1862, p. 172). A nos yeux, c'est à l'évêque saint Samson et au roi breton Judual qu'est due la fondation de l'évêché de Dol, au VIème siècle. Pour bien nous en rendre compte, il nous faut dire quelques mots des émigrations qui amenèrent dans notre contrée, pendant près de trois siècles, un si grand nombre de saints personnages chassés de Grande-Bretagne par les barbares. Ces Bretons, débarqués en Armorique, y répandirent non-seulement la religion catholique, mais encore des germes assez puissants de nationalité pour absorber bientôt la population indigène, fonder de petits royaumes indépendants et donner leur nom à notre pays, qui s'appela désormais la Petite-Bretagne. Ces nouveaux Etats furent : les royaumes de Domnonée, de Léon, du Browerech et de Cornouailles, et le comté de Poher, démembrement de ce dernier. Parlons seulement ici de la Domnonée. Au Vème siècle, la région armoricaine occupée par les Curiosolites, et correspondant à peu près à la partie septentrionale des départements actuels d'Ille-et-Vilaine et des Côtes-d'Armor (anciennement Côtes-du-Nord), fut successivement envahie par de nombreuses bandes de Bretons émigrés. La première, arrivée sur nos côtes vers 465, avait pour chef Fracan, père de saint Gwenolé, et elle s'établit sur les bords du Gouët (à Ploufragan dans les Côtes d'Armor). Elle fut suivie de trois autres colonies, qui se fixèrent autour du golfe appelé maintenant baie de Saint-Brieuc, et qui obéissaient à des chefs nommés Riwal, Conan et Conothée. Ces derniers furent rejoints, vers 480, par saint Brieuc, qui fonda un grand monastère, berceau de la ville portant encore son nom. Ces émigrations, toutefois, n'étaient pas très-importantes ; mais, en 513, un autre Riwal, également prince breton, entraîna sur nos côtes une multitude d'hommes formant le tiers de la population d'une des principales provinces de l'île de Bretagne. Ce roi — que nous appelons Riwal II, pour le distinguer du précédent émigré de même nom — régnait originairement sur les tribus bretonnes de la Domnonée insulaire ; fuyant devant les Saxons, il occupa avec les siens tout le Nord de la péninsule armoricaine, de l'embouchure du Couasnon (Couësnon) au cours du Kéfleut (c'est-à-dire depuis le Mont-Saint-Michel jusqu'à Morlaix), partagea entre ses compagnons les parties inoccupées de ce grand territoire, et donna à la région tout entière le nom de Domnonée, en souvenir de sa patrie. « Quant aux Armoricains indigènes et aux émigrés bretons qui l'avaient précédé, loin de les dépouiller ou de les chasser, il les laissa tranquillement jouir de leurs possessions, et se borna à exiger d'eux que tous le reconnussent, quoique nouveau venu, pour leur roi ou chef supérieur. Ainsi fut constitué d'une manière définitive le royaume de Domnonée » (M. de la Borderie, Annuaire historique et archéologique de Bretagne, 1862, p. 22). Ce royaume renfermait à peu près le territoire entier du Département des Côtes-d'Armor (anciennement Côtes-du-Nord) et une partie des départements de l'Ille-et-Vilaine et du Morbihan, c'est-à-dire les anciens évêchés de Dol, Saint-Malo, Saint-Brieuc et Tréguier. La Domnonée était bornée au Nord par la mer, à l'Est par le cours du Couasnon (Couësnon) et plus loin celui de la Vilaine, depuis Blossac jusqu'à Saint-Ganton ; à l'Ouest, par le Kéfleut ou rivière de Morlaix, et au Sud par un massif de bois formant au centre de la Bretagne la célèbre forêt de Brocéliande, dont la lisière défrichée et habitée s'appelait le Poutrecoët (pagus trans silvam). Les émigrations bretonnes continuèrent sous les successeurs de Riwal II ; alors abordèrent en Domnonée saint Tugdual, vers 520-530, saint Samson en 548, et saint Malo vers 580. Le premier fonda le monastère de Trécor (Trégor), à l'ombre duquel s'éleva la ville épiscopale de Tréguier ; le second créa l'évêché de Dol, et le troisième convertit les habitants d'Aleth, qui se rangèrent sous sa houlette pastorale. Nous n'avons ici à nous occuper que de saint Samson et de ses fondations à Dol. Né en Grande-Bretagne et élevé à l'école de saint Iltut, Samson, ayant fait profession de la vie monastique, fut d'abord établi abbé d'un monastère en Cambrie, puis ordonné évêque par saint Dubrice. Abandonnant sa patrie, il débarqua en Armorique avec une troupe d'émigrés et y fonda un couvent, origine et noyau de la ville de Dol. Puis, en sa qualité d'évêque régionnaire, il parcourut les diverses parties de la Domnonée, prêchant l'Evangile et combattant le paganisme, défrichant des forêts et fondant des monastères. Ce fut alors qu'il apprit tous les crimes commis par Comorre, comte de Poher ; ce scélérat avait usurpé le pouvoir en Domnonée, après avoir assassiné Jonas, roi de ce pays. Le fils unique de ce dernier, Judual, héritier légitime du trône, n'avait échappé aux coups du tyran qu'à l'aide de l'évêque saint Lunaire. Il s'était réfugié en France ; mais, au lieu d'un protecteur, il n'y avait trouvé qu'un maître qui l'y retenait captif. Le cri des victimes de Comorre émut le coeur de Samson ; il alla trouver le roi Childebert à Paris (vers 550), et en obtint la mise en liberté de Judual. Comme ce prince était encore fort jeune, Samson le conduisit dans les îles de Jersey et de Guernesey, que Childebert venait de donner au saint prélat, et où il n'avait rien à craindre de la part de ses ennemis. Un peu plus tard, Judual rentra en Domnonée, vainquit l'usurpateur Comorre, que les évêques venaient d'excommunier à cause de ses crimes, et remonta sur le trône de ses ancêtres (554). Ce roi ne se montra pas ingrat. « Judual, disent les biographes, aima et vénéra Samson comme son père et sa mère ; il mit sa joie à amplifier de plus en plus les possessions de son monastère de Dol ». Enfin, par un acte exprès de son autorité, « il soumit pour jamais à la juridiction épiscopale de Samson et de ses successeurs la Domnonée tout entière » (« Et totam dominationem totius Domnoniœ hereditario pontificati tradidit illi » (Vita S. Samsonis, 11, 19, Blancs-Manteaux, XXXVIII ) — Annuaire de Bretagne, 1862, p. 154. — L'opinion qui fait de Childebert le fondateur de l'évêché de Dol n'est pas contraire à ce qui précède, car on sait que le roi des Francs prétendait exercer une sorte de suzeraineté sur la Bretagne ; ses bons rapports avec saint Samson le firent probablement approuver la fondation de Judual, et c'est dans ce sens que D. Morice lui en attribue l'honneur ; mais on ne peut pas aller plus loin, et prétendre que Childebert créa l'archevêché de Dol serait embrasser un système inventé par les Bretons du Xème siècle, mais ne reposant sur rien de solide). C'est ainsi qu'en 555 ou 556 la Domnonée fut constituée en diocèse régulier, avec Dol pour siège, et avec des limites qui étaient celles du royaume lui-même. Mais non-seulement Judual plaça sous la juridiction de saint Samson ce vaste diocèse de Domnonée, de plus, « il attacha spécialement à son monastère et à son siège, c'est-à-dire à l'Eglise même de Dol, de nombreuses possessions propres et perpétuelles (dicumbitiones), sans doute des fonds de terre, des maisons, des oratoires, parfois des plous tout entiers » ; ce fut l'origine de ce qu'on appela plus tard les enclaves de Dol (M. de la Borderie, Annuaire de Bretagne, 1862, p. 155). L'étendue du vaste territoire du diocèse de Domnonée ne permet pas de douter que les prélats dolois ne se soient aidés d'évêques auxiliaires dans leur administration. Il existait, en effet, chez les Bretons un antique usage d'après lequel, lorsqu'avait lieu une consécration épiscopale, le prélat consécrateur sacrait toujours en même temps trois évêques, un titulaire et deux assistants ou auxiliaires. Cette coutume, signalée dans la Vie de saint Samson, explique le grand nombre d'évêques dont les sièges sont inconnus et qui parurent en même temps dans les émigrations bretonnes ; de ce nombre fut notre saint Lunaire, dont il est impossible de fixer positivement le siège épiscopal. « Saint Samson, dit M. de la Borderie, avait eu lui-même en Grande-Bretagne cette qualité d'évêque auxiliaire (nota : D. Lobineau a réfuté l'erreur de ceux qui ont avancé que saint Samson avait été archevêque d'Yorck. - voir Vies des Saints de Bretagne) ; cette institution lui était donc familière, et d'ailleurs, avec son immense diocèse, il y avait pour lui nécessité forcée d'y recourir ». Mais, dans la suite des temps, quelques circonstances spéciales, ou simplement la commodité passée en coutume, firent attribuer de préférence à ces évêques auxiliaires de Domnonée certaines résidences déterminées, telles que Saint-Brieuc, Tréguier et Aleth, qui par là « devinrent des sièges épiscopaux d'un ordre particulier, occupés par des prélats, vicaires ou délégués de l'évêque principal (siégeant à Dol), toujours maître de restreindre ou d'étendre à volonté les bornes de leur juridiction » (Annuaire de Bretagne précité, p. 160). C'est dans ce sens que Ruélin, successeur de saint Tugdual à Tréguier, appelle l'évêque de Dol son métropolitain, quoique ce dernier prélat ne fût ni archevêque, ni à la tête d'une province ecclésiastique proprement dite telle qu'on l'entend aujourd'hui. C'est également de cette seule manière que s'explique l'histoire des commencements de l'évêché d'Aleth, comme nous aurons plus tard occasion de le démontrer. Le royaume de Domnonée, — qui eut la gloire de compter saint Judicaël parmi ses souverains, — subsista jusqu'à l'époque de la conquête de notre Bretagne, en 799, par les lieutenants de Charlemagne. Alors disparurent les principautés bretonnes, c'est-à-dire, outre la Domnonée, le Browerech, la Cornouailles et le Léon, correspondant aux évêchés de Vannes, de Quimper et de Saint-Pol. Cependant les Bretons ne se soumirent pas facilement : « Après plusieurs soulèvements sans résultat, ils engagèrent de nouveau la lutte en 841, sous les ordres d'un habile et vaillant chef, Nominoë. Cette fois, ils furent plus heureux. Battu par eux en plusieurs rencontres, — notamment à Ballon, en Bains, — Charles-le-Chauve, roi des Francs, se résigna à traiter en 846 : il reconnut les Bretons indépendants sous l'autorité de Nominoë » (Annuaire de Bretagne précité, p. 168). « Cette Bretagne indépendante de 846, — continue M. de la Borderie, — ne comprenait point encore les pays de Rennes et de Nantes ; mais elle embrassait le reste de la péninsule, y compris l'évêché de Vannes tout entier jusqu'à la Vilaine. Sur cette terre affranchie restait cependant une trace vivante et peut-être dangereuse de la domination renversée : c'était plusieurs évêques de race franque, imposés à nos diocèses par Charlemagne ou son fils, et dont le nouveau prince breton redoutait avec raison les menées contre son pouvoir. Comme il songeait aux moyens de les réduire à l'impuissance, le vénéré fondateur de l'abbaye de Redon, saint Convoyon, vint à point nommé lui dénoncer le scandale donné au peuple par ces évêques qui, depuis des années, ne conféraient qu'à prix d'argent les ordres sacrés et se rendaient ainsi coupables du crime de simonie. Le prince somma ces prélats de répondre à cette accusation ; ils reconnurent la réalité des faits, en se défendant seulement sur les circonstances et en protestant d'ailleurs qu'ils ne changeraient rien à leur conduite. En face de cette obstination, Nominoë envoya Convoyon à Rome pour demander au Saint-Père la punition des coupables, qui, de leur côté, y députèrent deux d'entre eux pour présenter leur défense. Saint Convoyon vint à Rome dans le courant de 847. Le pape Léon IV reconnut la culpabilité des simoniaques ; mais au lieu de les juger et déposer, comme sans doute Nominoë l'espérait, il déclara que leur condamnation ne pouvait être prononcée que par une assemblée de douze autres évêques. Saint Convoyon rapporta cette réponse en Bretagne dans le courant de février 848. Evidemment le tribunal demandé par Léon IV était impossible à réunir contre nos simoniaques, que les autres prélats francs auraient certainement refusé de juger » (Annuaire de Bretagne). Que fit alors Nominoë ? Il réunit dans le monastère de Redon une grande assemblée de seigneurs et de prélats. Là il produisit des témoins qui accusèrent quatre évêques d'avoir conféré à prix d'argent les ordres sacrés. Les quatre accusés furent Suzannus, évêque de Vannes ; Salacon, évêque de Dol ; Félix, évêque de Quimper, et Libéral, évêque de Léon. Tous les quatre confessèrent ce qu'on leur reprochait, déposèrent dans l'assemblée leurs anneaux et leurs crosses et s'en furent chercher un refuge près de Charles-le-Chauve. Alors Nominoë plaça d'autres évêques sur les sièges de Dol, Vannes, Quimper et Léon, érigea en métropole l'Eglise de Dol et donna des limites fixes aux sièges secondaires de la Domnonée, c'est-à-dire à Saint-Brieuc, Tréguier et Aleth. Ayant ainsi démembré la province de Tours, dont tous ces évêchés dépendaient primitivement, le roi breton assembla ses évêques à Dol et s'y fit sacrer. Quoique blâmable au point de vue canonique, l'oeuvre de Nominoë est facile à comprendre. « Son but, purement politique, était de détruire les dernières racines de l'influence des Francs en Bretagne, et de faire sacrer par l'Eglise sa jeune royauté. Pour cela il fallait se débarrasser des prélats simoniaques. L'impossibilité de les faire déposer dans la forme indiquée par Léon IV poussa Nominoë à employer l'intimidation. L'impossibilité d'obtenir, pour leurs successeurs bretons, la consécration de l'archevêque de Tours, le poussa à se séparer de cette métropole et à faire de son Etat une nouvelle province ecclésiastique. La nécessité de relever d'un même coup l'importance de cette nouvelle province et la dignité de son archevêque l'amena à multiplier les évêchés suffragants » (M. de la Borderie, Annuaire historique et archéologique de Bretagne, 1862, p. 171). Les Bretons applaudirent nécessairement à l'oeuvre de Nominoë ; ils avaient toujours négligé le métropolitain de Tours (nota : En 567, le Concile de Tours, sur les plaintes formulées par l'archevêque du lieu, défendit les consécrations d'évêques faites en Armorique sans le consentement du métropolitain ; ce qui prouve la tendance des évêques bretons à se soustraire à la juridiction de Tours. De plus, depuis saint Samson, on ne trouve point d'évêques bretons dans les Conciles de France, ce qui fait assez voir, dit D. Morice, qu'ils avaient peu de relations avec les archevêques de Tours), et ils ne croyaient pas qu'un peuple fort éloigné de cette ville française, formant un Etat indépendant, ayant sa langue et ses moeurs particulières, déjà pourvu de nombreux évêchés, dût reconnaître pour le spirituel un chef étranger. Expliquons maintenant comment s'y prit Nominoë pour former la province ecclésiastique de Bretagne. Il n'y avait pas de difficulté pour les évêchés de Léon, de Cornouailles et de Vannes ; ils existaient depuis longtemps, et se soumirent volontiers à Dol, conservant à peu près leurs anciennes limites; aussi Nominoë n'opéra-t-il de changements que dans le vaste évêché domnonéen. En 848, en effet, la Domnonée était, comme nous l'avons vu, « divisée en trois grands arrondissements, gouvernés, sous l'autorité des prélats de Dol, par trois évêques auxiliaires en résidence à Tréguier, Saint-Brieuc et Aleth. Un dernier arrondissement, le moins étendu de tous, entourait la ville de Dol : c'était celui que gouvernait immédiatement l'évêque principal. Il gouvernait aussi de la même sorte un assez grand nombre de petits cantons semés çà et là, en plein milieu de chacun des grands territoires confiés aux évêques-vicaires. Que les évêques de Dol aient retenu sous leur administration directe la moindre des subdivisions de leur vaste diocèse, il n'y a rien là d'étonnant. En agissant ainsi, ils ne diminuaient point leur autorité, qui continuait de s'exercer dans la Domnonée entière par l'organe de ces évêques délégués, sur qui ceux de Dol gardaient tous leurs droits ; ils ne faisaient que diminuer leurs embarras. Quand Nominoë voulut créer en Bretagne un métropolitain, il n'eut donc pas à hésiter : il donna ce titre à l'évêque de Dol, non-seulement parce qu'il possédait jusque-là le plus vaste et le plus important des diocèses bretons, mais aussi parce qu'il était déjà, à l'égard de ses évêques auxiliaires, un métropolitain au petit pied. Pour faire réussir cette entreprise, Nominoë comprit bien qu'il ne fallait froisser, en Bretagne du moins, aucun intérêt, aucune tradition, aucune habitude acquise, mais gagner au contraire à son dessein, par de nouveaux avantages, le plus de partisans possible. C'est pourquoi il conserva et il érigea en diocèses fixes et réguliers les arrondissements territoriaux où les évêques résidant à Saint-Brieuc, à Tréguier et à Aleth n'avaient exercé jusqu'à ce moment qu'une puissance déléguée. Par là le nouvel archevêque eut de suite trois suffragants, dont la soumission dévouée lui fut acquise autant par intérêt que par habitude, et dont l'exemple entraîna nécessairement l'adhésion des trois autres sièges, Vannes, Léon, Cornouailles. Il est vrai aussi que par cette mesure l'évêque de Dol vit son diocèse propre étrangement restreint ; mais il trouva une compensation plus que suffisante dans l'extension de sa suprématie métropolitaine sur toute la Bretagne (nota : c'est-à-dire, bien entendu, sur toute la partie de notre péninsule formant les Etats de Nominoë, qui ne comprenaient encore ni Nantes ni Rennes. Aussi ces deux derniers évêchés ne durent-ils point entrer dans la nouvelle province ecclésiastique fondée en 848) et dans les honneurs sans pair rendus à son nouveau titre. Par cette mesure, Nominoë obtint un autre résultat : il ramena le gouvernement ecclésiastique de la Domnonée à une forme meilleure et bien plus en harmonie avec la discipline usitée dans le reste des Gaules. Aussi l'Eglise gallo-franque, qui poursuivit de ses attaques réitérées la nouvelle métropole, approuva par son silence les nouveaux évêchés, les nouvelles circonscriptions. La métropole schismatique sombra, les nouveaux diocèses restèrent. Dans ce qu'elle avait de légitime et sans doute de plus utile, l'oeuvre de Nominoë se maintint jusqu'en 1789 ». En conséquence, le diocèse de Dol se trouva donc limité au Nord par l'Océan, au Levant par les diocèses d'Avranches et de Rennes, au Midi et au Couchant par celui de Saint-Malo. Il comprit une quarantaine de paroisses groupées autour de la ville épiscopale et une cinquantaine d'enclaves. Le plus grand nombre de ces dernières était dispersé dans la Bretagne soumise à Nominoë en 848 ; quelques-unes seulement se trouvaient hors des limites bretonnes. Il est utile de dire ici quelques mots de ces paroisses renfermées dans des diocèses étrangers ; parlons d'abord des enclaves bretonnes : « Ces enclaves formaient ensemble, au moment de la Révolution, 42 paroisses et 7 trèves, toutes situées dans les limites de l'ancienne Domnonée, à une seule exception près, Locquénolé, petite paroisse placée sur la rive gauche de la rivière de Morlaix, du côté de Léon, mais encore pourtant sur l'extrême limite de Léon et de Tréguier. Un tel fait ne peut être l'oeuvre du hasard. L'origine de ces enclaves remonte évidemment aux rois de Domnonée. Locquénolé n'est pas même un embarras, quand on songe que les princes domnonéens exercèrent pendant un temps une sorte de suzeraineté sur le Léon. Or, justement, nous voyons dans la Vie ms. de saint Samson que le roi Judual lui donna en toute derniers propriété, pour la dotation de l'Eglise de Dol, un grand nombre de domaines (dicumbitiones), exemple qui, sans aucun doute, fut suivi par plus d'un des successeurs de Judual. Par convenance autant que par intérêt, il est clair que les évêques de Dol ne pouvaient s'en fier qu'à eux-mêmes de l'administration directe des biens de leur Eglise, même quand ils étaient situés dans l'un ou l'autre des arrondissements confiés au gouvernement de leurs auxiliaires. Nominoë trouva les choses dans cet état ; et comme il se borna à consacrer d'une façon définitive les habitudes déjà existantes dans le gouvernement ecclésiastique de la Domnonée, il laissa sous la juridiction diocésaine du nouvel archevêque tout ce que l'évêque de Dol avait jusque-là retenu sous son administration directe, — y compris par conséquent les dicumbitiones enclavées dans les trois nouveaux diocèses. Voilà pour les enclaves de Domnonée, dont l'existence, comme on voit, fut une suite toute naturelle de l'organisation primitive de l'évêché de Dol. Quant aux enclaves situées dans le diocèse de Rennes, formant trois paroisses, — Rimou, Saint-Rémy-du-Plain et La Fontenelle, — et à celles comprises dans les limites du diocèse de Rouen, qui en formaient quatre, — Saint-Samson-sur-Risle, Saint-Samson-de-la-Roque, Conteville et le Marais-Vernier, — elles provenaient des donations du roi Childebert Ier ; la Vie de saint Samson le dit formellement, et ce fut sans doute pour mieux marquer son extrême révérence envers ce saint que le roi mit sous sa juridiction supérieure et celle de ses successeurs les domaines temporels qu'il lui donnait » (M. de la Borderie, Annuaire de Bretagne, II, 183, 184). L'établissement de l'archevêché de Dol par Nominoë suscita promptement de vives récriminations en France ; alors commença cette longue querelle entre les archevêques de Tours réclamant leurs droits de métropolitains orthodoxes et les prélats de Dol soutenus par les princes bretons et défendant leur nationalité, querelle qui dura 350 ans, et qui, malgré la monotonie de ses diverses phases, ne peut être ici passée sous silence. Nous terminerons donc ce chapitre des Origines du diocèse de Dol par un coup d'oeil, jeté sans parti pris, sur le long procès soutenu devant Rome par les prélats rivaux de Tours et de Dol. La province de Bretagne venait d'être organisée en 848 ; dès l'année suivante, le Concile de Tours, présidé par l'archevêque Landran, menaça d'excommunication Nominoë ; mais le roi breton, occupé à guerroyer contre les Francs, ne parut pas s'occuper des doléances et des menaces du métropolitain français. Ce fut également en vain que le pape Benoît III fit des démarches auprès d'Erispoë, fils et successeur de Nominoë ; il ne put rien obtenir. En 859, le Concile de Savonnières, près de Toul, supplia Salomon, qui régnait alors en Bretagne, de rendre la paix à l'Eglise, et ordonna aux quatre évêques bretons nommés par Nominoë d'obéir, sous peine d'excommunication, à l'archevêque de Tours. Ici on voit clairement que les Pères de Savonnières ne songeaient nullement à contester l'existence des sièges épiscopaux récemment établis, mais réclamaient seulement sur les droits de la métropole (nota : M. de Barthélemy, Mélanges historiques sur la Bretagne, III, 84. — M. de Barthélemy ayant résumé dans ce recueil la longue et difficile question de l'archevêché de Dol, nous avons beaucoup emprunté à son intéressant travail. — Voir aussi Dom Morice, Preuves de l'Histoire de Bretagne, I, 289, 291, 309, 316, 735, 739, 743, 753, etc., etc.). « Le pape Nicolas Ier, continue le même historien, poussa encore plus loin la modération ; dans ses lettres au roi Salomon il se contente de demander que le procès des évêques accusés de simonie et déposés irrégulièrement par Nominoë soit révisé canoniquement ; quant à la question de métropole, il ajoute qu'il examinera ultérieurement, quand les Bretons et les Francs ne seront plus en guerre, quel est le véritable métropolitain de la Bretagne. Au lieu de se rendre à ces avis bienveillants, Salomon et Festinien, archevêque de Dol, poursuivaient le Souverain-Pontife de leurs importunités, pour le forcer à trancher immédiatement la difficulté en leur faveur ; Salomon demandait avec instance le pallium pour son prélat ; celui-ci, de son côté, alléguait que jadis les Papes avaient accordé cette distinction à ses prédécesseurs. A tous deux Nicolas Ier répondait qu'il n'y avait dans les archives romaines aucune trace de ces concessions, et les engageait, du reste, pour en finir, à se faire représenter devant lui par des personnes munies des pouvoirs et des connaissances nécessaires » (Dom Morice, Preuves de l'Histoire de Bretagne, I, p. 86). Adrien II, successeur de Nicolas Ier, bien que Salomon eût essayé de gagner sa bienveillance par de riches présents, ne se départit pas de la ligne de conduite tracée par son prédécesseur. D'un côté il promit à Actard, archevêque de Tours, qu'il ne cèderait en rien aux Bretons dans ce que ceux-ci lui demandaient contrairement à la justice et à la raison ; d'autre part, il chercha à ramener Salomon par la persuasion, et il lui envoya un bras du pape saint Léon ; mais il refusa avec fermeté le pallium à Festinien, quoi qu'en ait écrit plus tard un clerc de Dol de mauvaise foi, falsificateur de la lettre pontificale. Lorsque Adalard devint archevêque de Tours, en 875, il se plaignit au Pape de l'entêtement des Bretons, qui refusaient de se soumettre à sa juridiction. A cette occasion, le pape Jean VIII menaça encore la Bretagne de l'excommunication ; mais les malheurs du temps empêchèrent les démarches de l'archevêque de Tours d'avoir une suite. Les Normands envahirent, en effet, la Bretagne qui bientôt dépeuplée par la fuite de ses habitants terrifiés, devint la proie des barbares. Nous ne devons donc pas nous étonner de voir le procès de Dol suspendu pendant près d'un siècle ; c'est justement la période pendant laquelle l'invasion, puis le désordre qui suivit, empêchèrent de s'occuper de ce qui pouvait toucher à l'indépendance de la nation bretonne. Lorsque, vers 988, Conan-le-Tort devint le chef suprême des Bretons, la lutte des métropoles recommença. Hardouin, archevêque de Tours, s'était en effet rendu à Rome et s'y était amèrement plaint de ce que ses droits étaient méconnus en Bretagne. Le pape Jean XVI (nota : « Jusqu'à présent, dit M. de Barthélemy, les deux lettres dont nous parlons ici ont été attribuées au pape Jean VIII ; c'est une erreur évidente. En effet, il y est fait mention du comte Bérenger, qui régna de 953 à 960, et de l'archevêque de Tours Hardouin, dont la prélature peut être placée entre 969 et 988 » - Mélanges historiques, III, 89) écrivit en conséquence au clergé breton pour l'engager à rentrer dans l'ordre, le prévenant, ainsi que le duc et les autres seigneurs du pays, que les dissidents s'exposaient à être excommuniés ; il avertit aussi Main, occupant alors le siège de Dol, et ne lui donna dans sa lettre que le titre d'évêque. « Mais le moment, dit M. de Barthélemy, n'était pas favorable pour obtenir un acte d'obéissance du clergé et des barons de Bretagne. Conan-le-Tort se vantait de descendre, par les femmes, de la race de Nominoë ; il prenait le titre de princeps Britannorum, et, suivant Raoul Glabert, portait le diadème à la manière d'un roi ; sa qualité de souverain est formellement reconnue par les neuf évêques de Bretagne dans un acte de 990, passé à Dol (Dom Morice, Preuves de l'Histoire de Bretagne, I, p. 350). La nationalité bretonne se reformait ; aussi, de 990 à 1049, on voit Main, Junkène et Juthcaël prendre le titre d'archevêques de Dol dans des actes nombreux ». A ce Juthcaël, appelé aussi Johonée, prélat scandaleux dont nous aurons occasion de reparler, succéda Even ; avec ce dernier le procès de Dol entra dans une nouvelle phase. Les Papes précédents avaient refusé le titre d'archevêque aux prélats de Dol ; mais Grégoire VII, préoccupé des désordres qui régnaient dans le diocèse de Dol par suite de la déplorable administration de Juthcaël, accorda provisoirement à Even le titre d'archevêque ainsi que le pallium. Raoul, archevêque de Tours, s'émut de cette décision ; toutefois, pour le tranquilliser, le Souverain-Pontife lui fit remarquer que cette faveur, toute exceptionnelle, n'était donnée qu'en sauvegardant les droits de Tours. Il ajoutait qu'il s'occuperait prochainement de terminer définitivement le procès. Mais saint Grégoire VII mourut sans avoir eu le temps d'accomplir son dessein, et son successeur Urbain II trouva le litige encore pendant. Aussi au Concile de Clermont, en 1096, décida-t-il que les évêques de Bretagne ne devraient obéir qu'au métropolitain de Tours, et qu'après Rolland Ier, siégeant alors à Dol, les prélats qui lui succéderaient n'auraient plus le pallium. « Malgré cela, les Bretons ne se tinrent pas pour battus, et sous Pascal II, Callixte II, Innocent II, Célestin II, Luce II et Eugène III, c'est-à-dire de 1096 à 1140, nous retrouvons les choses dans l'état où elles étaient avant le Concile de Clermont. A chaque nouveau prélat élu à Dol, le Pape reconnaissait provisoirement le titre d'archevêque et le droit au pallium » (M. de Barthélemy, loco citato, p. 95). Toutefois les archevêques de Dol n'avaient plus que deux évêques bretons qui reconnussent leur juridiction, c'étaient ceux de Saint-Brieuc et de Tréguier ; les prélats de Léon et de Saint-Malo avaient abandonné la métropole de Dol vers 1119, et les autres évêques longtemps auparavant. Vers 1140, la querelle recommença plus vive que jamais et fut portée vainement devant les synodes du Mans, de Vannes, de Paris et de Poitiers. Eugène III chargea alors saint Bernard de s'occuper de cette affaire, et vers 1150 Geoffroy Le Roux, archevêque de Dol, renonça à son titre de métropolitain, ne réclamant que le droit de porter le pallium ; pour prix de son obéissance, il fut bientôt promu à l'archevêché de Capoue. Mais Hugues, son successeur sur le siège de Dol, ne fut pas aussi conciliant : il réclama contre l'accord conclu par les soins de saint Bernard, et sur ses plaintes Adrien IV annula cette transaction et lui donna provisoirement le pallium et le titre d'archevêque ; ce Pape ordonna en même temps aux prélats de Tours et de Dol de paraître devant lui pour qu'il étudiât de nouveau leurs prétentions réciproques ; mais, cette fois encore, les bonnes intentions du Souverain-Pontife n'amenèrent aucun résultat. Nous arrivons enfin à la dernière période de l'histoire de ce long procès ; nous allons y voir paraître les rois de France, qui finirent par obtenir gain de cause contre les ducs de Bretagne. En 1177, en effet, Rolland II, élu évêque de Dol, s'empressa d'aller aussitôt à Rome plaider la cause de son Eglise ; Alexandre III manda à cette occasion près de lui Barthélemy, archevêque de Tours, mais ce dernier ne se rendit point à cette invitation. Le Pape écrivit en conséquence au roi de France, le suppliant de lui aider à remettre l'ordre dans la province de Tours. « Cette lettre, dit M. de Barthélemy, nous révèle tout d'abord la part que les rois de France prenaient alors au procès des métropoles et l'influence qu'ils exerçaient sur l'archevêque de Tours ; elle explique en même temps pourquoi celui-ci montrait si peu d'empressement pour se rendre à Rome, et discuter en présence de l'évêque de Dol une question qui était si claire au fond. A cette époque, d'ailleurs, la Cour de Rome penchait visiblement vers un arrangement dont le but était de maintenir Dol comme métropole de quelques diocèses bretons ». L'archevêque de Tours se rendit enfin à Rome, mais rien ne fut définitivement conclu. La tournure que prit le procès sous le pontificat de Luce III devint de plus en plus favorable aux Bretons : Rolland II, l'évêque élu de Dol, resté à Rome, y fut créé cardinal en 1184. Le roi Philippe-Auguste écrivit à cette époque au Pape pour défendre les droits de l'archevêque de Tours sur les Eglises de Bretagne et lui expliquer les motifs pour lesquels le métropolitain de Tours ne pouvait se rendre à Rome, où il était cité de nouveau. Luce III n'accepta point ces excuses ; le roi prit alors avec la Cour de Rome un ton hautain et menaçant et prétendit qu'en enlevant à Tours sa prééminence religieuse sur la Bretagne, le Pape semblait vouloir briser et fouler aux pieds la couronne de France. Telle était la situation, lorsque Luce III mourut sur ces entrefaites. Son successeur, Urbain III, ordonna une sérieuse instruction du procès, mais il sembla favoriser les voeux de Philippe-Auguste, désirant beaucoup que la paix fût promptement conclue entre les deux Eglises. Par ordre du Souverain-Pontife, le prélat de Dol, Jean de la Mouche, demeura neuf ans avec le seul titre d'élu ; la Cour de Rome, en effet, cessant d'user de palliatifs, ne voulut pas le consacrer évêque avant que sa qualité hiérarchique fût bien et dûment déterminée. C'en était fait des prétentions de l'Eglise de Dol, et il était réservé à Innocent III d'y porter le dernier coup. La longue bulle qu'il donna en 1199 et les enquêtes qui l'accompagnent, résument clairement, au point de vue religieux, toutes les phases par lesquelles passa le procès de la métropole bretonne depuis son origine ; elle ne laisse subsister aucun prétexte à de nouvelles observations, elle soumet définitivement tous les évêchés bretons à l'archevêché de Tours, et défend au prélat de Dol de prendre désormais le titre d'archevêque et de prétendre au pallium. En 1201, le duc de Bretagne Arthur Ier, après avoir consulté ses barons ainsi que les évêques de Rennes, Nantes, Saint-Malo, Vannes et Quimper, s'engagea à faire exécuter la sentence pontificale, et depuis ce temps le siège de Dol ne fut plus que le premier des évêchés bretons (Dom Morice, Preuves de l'Histoire de Bretagne, I, 759, 767). A dater de cette époque, la Bretagne commença véritablement à être une province du royaume de France, et, quelques années plus tard, Philippe-Auguste en donnait la couronne ducale à un prince de sa maison : l'oeuvre de Nominoë était en grande partie anéantie (Mélanges histoire de Bretagne, III, 107). (extrait du Pouillé de Rennes) |
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