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LE DOYENNÉ D'ÉTABLES

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ÉTABLES ET BINIC.

Au début de la Révolution française, nous trouvons à Etables (aujourd'hui Etables-sur-Mer) bon nombre de prêtres. Le chiffre paraît un peu élevé, mais tout s’explique en disant qu’autrefois Etables comprenait le village de Binic et une partie du Portrieux. Puis, chaque chapelle était desservie par un prêtre qu’on appelait tantôt curé, tantôt chapelain ou prêtre habitué, et tous étaient à la disposition du recteur, selon les besoin du ministère paroissial.

Voici leurs noms avec la date de leur naissance et de leur prêtrise :

Pierre Robert, prémontré, né en 1718, prêtre en 1743, recteur d'Etables en 1755 et décédé en 1795 ; Mathurin Guibert, né en 1703, prêtre en 1730 ; Jean Touroux, né en 1734, prêtre en 1760 ; François Richard ; Yves Moro, né en 1734, prêtre en 1760 ; Jean-Pierre Charmoy, né en 1740, prêtre en 1767 ; Claude Cotard, curé de la paroisse d'Etables ; Jérôme Gleyo, prêtre de la paroisse d'Etables ; Jean Jan, prêtre de la paroisse d'Etables ; Tréguy, prête le la paroisse d'Etables.

Tels étaient les prêtres qui desservaient la grande paroisse d'Etables lorsque parut la Constitution civile du clergé. Aussi zélés qu’intelligents, ces Messieurs comprirent toujours leurs saints devoirs, et leur attitude devant l'exigence du serment a été ferme et chrétienne.

Il a fallu un étranger, un Faramus, pour déshonorer en quelque sorte le clergé d'Etables. Recteur de Saint-Maudan, il devient curé intrus de la paroisse. Inutile de dire qu’il fut toujours en horreur aux Tagarins. M. Robert et ses vicaires ne se laissent pas désarmer devant cet apostat. Prêtres de Jésus-Christ, ils travaillent jusqu’au bout à la sanctification des âmes. Autour d’eux sont rangés tous ceux qui sont croyants, tous ceux qui, par conviction ou tradition, tiennent aux sacrements, tous ceux qui, par habitude ou foi, ont envie ou besoin d’entendre la messe. Faramus n’a pour auditeurs que quelques gens de clubs et d’administration, des individus pervers qui viennent à l’église comme à la maison commune, non par zèle religieux, mais par zèle politique, et qui soutiennent l’intrus pour soutenir la Constitution. Les vrais chrétiens ne pouvaient voir ni sentir cet apostat. Aussi ne pouvait-il sortir sans entendre ces mots de la part des bonnes gens : « Le vois-tu, l’intrus, regarde-le donc, ô l’intrus, l’intrus ». La tradition rapporte que des gens indignés de sa conduite lui lançaient des pierres même en chaire.

A la vue des attentats révolutionnaires, en butte à des menaces quotidiennes de mort, plusieurs prêtres d’Etables prirent le chemin de l’exil. Presque tous se réfugient à Jersey. Parmi les prêtres exilés dans cette île, nous relevons les noms suivants :

Allain, prêtre d'Etables ; Charmoy, curé d'Etables ; Cotard C., curé d'Etables ; Gleyo J., prêtre d'Etables : Jan Jean, prêtre d'Etables.

Ce dernier passa de Jersey à Alwik (Angleterre), où il se fit jardinier. Tous ces infortunés restèrent dans ce pays jusqu’au rétablissement du culte, vivant de leurs mains et de la charité de quelques bonnes âmes.

M. Allain, grand-oncle de M. Benjamin Allain, recteur de Plourhan, a été député à l'Assemblée constituante et repoussa par son vote le décret de la Constitution civile du clergé.

Quant aux autres qui voulurent braver sur place les atrocités de la Terreur, quelques-uns purent exercer en cachette leur ministère, les autres furent saisis, incarcérés et condamnés à la déportation.

M. Robert fut pris et emmené à Guingamp, où il resta captif jusqu’à la fin de ses jours.

M. René Jouanin, prêtre et vicaire d'Etables, fut condamné à la déportation en vertu de la loi du 19 fructidor, an V, 5 septembre 1797. Il a été détenu dans la citadelle de Saint-Martin de Ré. Né à Etables, il était âgé de 44 ans lors de son arrestation. Il fut libéré le 12 juillet 1800. Pendant son affreux séjour dans cette île, il eut à souffrir la cruauté et la barbarie des geôliers.

L’abbé Loie, diacre à Etables, secondait autant que pos­sible le ministère de M. Tréguy, caché dans la paroisse. Enfant du pays, connaissant toutes les familles, il se mettait assez facilement au courant des affaires de la localité. Il pourvoyait, à l’occasion, au besoin des véritables apôtres du Christ, les avertissait de ce qui se passait, et il se faisait surtout un bonheur de répondre la sainte messe. Un jour qu’il traversait les Frênes, il fut surpris par les Bleus. Une femme mettait du linge à sécher sur une haie d’épines. L’abbé Loie se cache au milieu d’un buisson que la vénérable recouvre d’un drap. Les révolutionnaires demandent à celle-ci où est allé le chouan qu’ils avaient aperçu. Pour toute réponse la bonne femme hausse des épaules et continue son travail. Sentant, pour ainsi dire, le sang chrétien, un forcené cherche et fouille partout. Il découvre enfin le pauvre jeune homme blotti dans les broussailles. Sans plus de jugement, le forcené le fusille comme un lièvre au gîte.

Pour ce qui regarde M. Robert, on ne peut pas dire qu’il soit tombé martyr, c’est-à-dire qu’il ait péri de mort violente, mais on peut considérer sa mort comme le résultat de la misère et des fatigues de la détention. Il mérite quand même le titre de confesseur de la foi. Une vie telle que la sienne est digne d’être relatée.

Frère Pierre Robert est né en 1718. A l’âge de 15 ans il entre à l’abbaye de Beauport et n’en sort qu’à 35.

Chargé pendant dix ans d’enseigner la théologie à ses jeunes confrères, il se remplissait lui-même de la science des saints et était un modèle de ferveur dans une maison alors et longtemps depuis distinguée par sa régularité. On s’y levait à minuit pour les Matines, ce qui n’a cessé qu’en 1795, que l’office de la nuit fut supprimé à Prémontré même. M. Robert veillait habituellement depuis Complies jusqu’à Matines, et consacrait à l’étude les quatre heures que les autres donnaient au repos.

Devenu curé d'Etables le 17 février 1754, il fut un pasteur plein de zèle, instruisant, exhortant, visitant assidûment les malades, et tout occupé du salut de son troupeau; vivant avec austérité, il donnait aux pauvres tout ce qu’il se refusait à lui-même. Mais il n’était sévère que pour lui et ne montrait aux autres que bonté, douceur et indulgence. La nature lui avait donné beaucoup d’esprit, une belle imagination, un coeur sensible et une rare facilité à s’exprimer, surtout sur les objets de la religion. A ces belles qualités il ajoutait celle d’administrateur émérite.

Ce digne pasteur à son arrivée à Etables a mis dans le meilleur ordre ce qui regardait les rentes de fondations qui étaient en grand nombre et qu’il trouva en fort mauvais état. En 1761, il appela et installa à Etables deux soeurs du Saint-Esprit, tirées de la Communauté de Plérin, alors Maison-Mère ; en 1769 et 1770, il fit bâtir le beau choeur de l’église auparavant trop petite. L’ouvrage, dont le devis était de 9.000 francs, fut fait par économie. Outre cette dépense à laquelle Beauport contribua pour cent pistoles, l’église d'Etables fut pourvue d’ornements, d’un dais, d’une lampe, de burettes d’argent avec leur plat, les barrières du cimetière furent faites, l’église réparée ; 1.500 francs furent donnés pour aider à bâtir la chapelle de Binic, en remplacement d’une autre bien trop petite et de fort mauvais goût ; le bel autel de l’église, tiré de Marseille, coûta deux mille deux cents livres. Toutes ces choses furent faites sous le rectorat de M. Robert et dans le cours d’environ quinze années. C’est encore par les soins et le zèle de ce très vénérable ecclésiastique que fut construite, vers 1788-1789, la tour assez remarquable dans le pays. Le prix n’est pas connu.

En 1793, M. Robert, fort âgé et fort attaché aux vrais principes de la religion, reçoit du gouvernement ordre de lire en chaire le décret de la Constitution civile. Le pasteur s’exécuta ; après quoi il démontra que c’était là une affaire schismatique, que pour lui, il ne pouvait y souscrire, et il s’écria en présence de tout son peuple et de son clergé : Je jure — à cette parole les vicaires se lèvent et répondent : De grâce ne jurez pas, nous vous suivrons ; — Je jure, reprend-il (un mouvement d’effroi saisit l’assistance), je jure de ne jamais jurer. Plutôt la mort que l’apostasie ! Ce serment solennel fut reçu avec applaudissements et tous les prêtres habitués d'Etables suivirent l’exemple de leur recteur. Celui-ci dénoncé par la vile populace, fut saisi et amené par une troupe de soldats à la maison de détention des ecclésiastiques à Guingamp. Les habitants d'Etables voyant leur pasteur emmené comme un criminel, voulurent résister, mais devant la force ils durent céder. Le bon prêtre leur conseilla lui-même de souffrir qu’on le conduisît à la mort. Tous le suivirent processionnellement et l’auraient accompagné sans doute à la prison, si le bon Père ne les eût congédiés par de douces paroles ...

Pendant sa captivité il n’oublia pas sa chère paroisse d'Etables, il ne cessa de prier pour elle et pour la pauvre France. Il console ses confrères, leur parle de la Passion de Jésus, et tous ses compagnons de captivité écoutent avec plaisir le langage de la vertu dans la bouche de ce vieillard octogénaire. L’esprit de pénitence toujours dominant en lui, lui fit constamment refuser mille secours en linge et autres articles qui lui étaient offerts. Couvert de vermine, il vécut dans ce triste séjour jusqu’au 7 février 1795, moment où le Seigneur, content de tant de sacrifices, l’appela à une meilleure vie. Il récitait alors son office à 6 heures, à 7 on le transporte à l’hospice, et à 9 il rendit à Dieu sa belle âme. M. Robert fut inhumé dans le cimetière de Guingamp. Plus tard, les habitants d'Etables, pleins de vénération pour leur ancien recteur, furent recueillir les cendres de ce tendre père. Des hommes et des femmes furent députés à cet effet. Pendant que les hommes étaient en ville, les intrépides femmes se mirent à l'oeuvre en fouillant la tombe du bienheureux, et mirent dans leurs sacs tout ce qu’elles trouvèrent de cendre et d’ossements.

Son habit de bure qu’il n’avait jamais quitté, et une partie de son corps n’avaient subi, dit-on, presque aucune altération. La troupe, joyeuse, s’en revint le sac sur le dos et disant à l’arrivée : ah ! voici enfin notre bon recteur qui nous revient.

Les restes mortels furent transférés avec pompe et respect dans l’église d'Etables. On les déposa à droite de l'autel du Rosaire, sous un tombeau de marbre, aux frais des habitants, et l’on y a gravé une épitaphe pour consacrer leur amour et leur reconnaissance envers l’homme de bien qui n’avait vécu que pour eux.

Au-dessous du tombeau du vénérable, on a trouvé cette magnifique inscription qui résume sa vie.

Chargé d’indignes fers dans les cachots du crime,

Il mourut loin de vous ce pasteur courageux,

De monstres inhumains innocente victime,

Fidèle à ses serments dans des temps orageux.

0 peuple, tant chéri du père le plus tendre,

De pleurs qu’il mérita, viens arroser sa cendre.

La mémoire de M. Robert continue d’être tellement en vénération à Etables, que le peuple se sent, en quelque sorte, pressé de l’invoquer comme un saint, l’ayant toujours vu en retracer les traits d’une manière si frappante. La vénération des Tagarins pour ce bon père consistait à rouler sur la pierre tombale les petits enfants qui tardaient de marcher, ainsi que les infirmes, et bien souvent Dieu exauça les voeux par l’intercession du saint. Un enfant du nom de Vincent, natif du Pilori, était pied bot. Sa mère, tourmentée par cette infirmité, eut recours à la toute-puissance du bienheureux. Elle fit une neuvaine en son honneur, et tous les jours elle se rendait auprès du tombeau, demandant avec instance et compassion que son cher enfant marchât comme les autres. Au bout du neuvième jour, sa prière fut exaucée, le pied de l’enfant devint droit pour toujours …. Pour dégager ce coin de l’église, on a démoli le tombeau en 1890 et on a remplacé le tout par une superbe plaque de marbre scellée au mur.

M. Robert a été prieur d'Etables pendant environ 40 ans.

Voici le portrait de cet homme de bien par un de ses contemporains. Le vénérable Robert d'Etables, religieux de Beauport et prieur curé d'Etables, cénobite fervent, pasteur d'un zèle infatigable, d'une inépuisable charité. Homme d’esprit, saint, aimable, discoureur, abondant par les richesses de son imagination, et remplaçant par le talent de bien dire ce que quelques autres pouvaient avoir au-dessus de lui du côté des connaissances acquises. Il avait néanmoins enseigné pendant 15 ans la théologie à l’abbaye de Beauport.

Quels sont les prêtres qui reprirent possession de leur poste, ou qui rentrèrent dans le pays après la tempête révolutionnaire ?

Etables revit MM. Duval-Vilbogard, Touroux, Charmoy, Cotard, Jan, les deux frères Hassenault de la Ville-Colvez. Ces Messieurs avaient souffert les rigueurs de la cruelle persécution de 1790 et années suivantes, et ils n’avaient pas balancé d’abandonner leurs familles, leur patrie, et d’aller en exil, plutôt que de se montrer infidèles à leurs saints devoirs. A la grande joie des habitants d'Etables, l’église qui avait servi d’écurie, s’ouvrit, et l’on put comme autrefois déployer la pompe des cérémonies de la sainte liturgie. Le premier brave que nous trouvons à la tête de la paroisse, est M. Marc Duval-Vilbogard, ancien recteur de Tréveneuc, venu de Jersey.

Il nous reste maintenant à relater les faits religieux de la période révolutionnaire dont le souvenir s’est conservé.

Les habitants d'Etables sont restés fidèles à leur Dieu et à leur roi.

1° La preuve est au soutien. La garde nationale appelée pour escorter la procession de la Fête-Dieu, se présentait, la cocarde blanche au chapeau, portant un drapeau blanc, et aussitôt des drapeaux semblables garnissaient presque toutes les fenêtres du bourg.

2° Les bonnes gens aimaient mieux, malgré tout, se passer de messe, que d’assister à celle du jureur Faramus. Le dimanche, personne ne voulait travailler. Chacun restait chez soi, récitant les prières de la messe, le chapelet et autres prières. Sur la semaine, quelques femmes pieuses ayant à leur tête Madame Eulalie de la Ville-Colvez, se rendaient à l’église pour invoquer Notre-Dame du Rosaire. Elles lui demandaient la cessation du fléau et le retour du culte sacré.

3° M. Tréguy n’a pas cessé de faire le bien nuit et jour pendant toute la période révolutionnaire. Il se retirait ici et là, même dans le bourg, au milieu des bleus pour ainsi dire. Sa retraite la plus commune a été la maison qui appartient à la fin du XIXème siècle à M. Piquenais, à l’entrée de la route qui mène au Tertre. Sous un déguisement plus ou moins varié, M. Tréguy visitait et consolait, autant que possible, les pauvres malades. Des personnes sûres étaient dans chaque quartier de la paroisse chargées de le mettre au courant de la situation. Puis elles annonçaient aux autres que tel jour ou telle nuit, à telle heure, M. Tréguy devait confesser, baptiser et célébrer la sainte messe. Aussi, que de précautions fallait-il prendre pour éviter l’éveil des révolutionnaires. Malgré tout, ceux-ci découvrirent une de ses cachettes. Ils avaient appris que le calotin se retirait parfois à la ferme de la Villemain. Vite, une colonne se met en marche dans cette direction. C’en est fait cette fois du ministre de Dieu. Chemin faisant, les bleus rencontrent Jacques Lyonnais, tisserand de profession, et le chef l’interpelle ainsi : « Ah ! ça, citoyen, c’est toi qui caches le calotin, tu es de bonne prise ». — « Qui, moi, répond notre Jacques, je ne connais point de calotin, j’ai du reste assez de ma famille sans avoir des étrangers chez moi ». — « Restes-tu à la Villemain, répond le chef de la bande ? ». — « Non ». « Mène-nous quand même à cet endroit ? ». — « Vous n’avez qu’à suivre tout droit, je suis pressé ; en qualité de père de famille, il me faut travailler ; je n’ai pas grand temps à perdre, je vais chercher du fil ». Enfin, à force de parlementer, Jacques Lyonnais parvient à continuer sa route.

Mais, inspiré sans doute par son bon ange, il se faufile dans un chemin de traverse. Coûte que coûte, il tient à sauver le prêtre qui à ce moment célèbre la sainte messe à la Villemain. Leste comme un chevreuil, il bondit par des chemins détournés et arrive avant les bleus à la ferme. M. Tréguy était en effet à l’autel. « Monsieur, s’écrie Jacques Lyonnais, vite, échappez-vous, voici les républicains qui arrivent à l’instant : ils vous recherchent. Il n’y a pas de temps à perdre, filez vite ». En un clin d'oeil, le prêtre se dépouille de ses ornements, s’échappe par le jardin, et court se cacher non loin de là, dans un champ de hauts genêts. Il est sauvé !

La bourgeoise de la maison glisse les ornements dans son tablier et se dispose à traverser la cour pour se rendre à l’écurie, quand survient la colonne. Ne perdant point son sang-froid, elle se rend auprès de ses bêtes, et prenant son tablier des deux mains, elle le balance et fait mine de jeter à ses vaches une geonnerée de choux. C’étaient justement les ornements sacrés. D’un coup de fourche, la bonne femme recouvre le tout d’un peu de litière. Tout était sauvé. Les bleus font leur ronde dans la ferme, cherchent et fouillent partout, interrogent, mais rien. Ils s’en retournent en maugréant et jurant que le calotin ne leur échapperait pas longtemps.

Une autre fois, M. Tréguy faillit encore être pris. Il finissait de célébrer le saint sacrifice de la messe non loin de l’église qui servait d’écurie et du presbytère qui servait de poste, quand une bonne âme vint l’avertir que les bleus se préparaient à le saisir. Aussitôt, l’abbé Tréguy grimpe sur un tas de fagots et se laisse tomber dans un trou qu’on avait eu soin de pratiquer au milieu. Jamais les révolutionnaires n’eurent l’idée de regarder de si près.

Maître Faramus, ayant appris que les ornements sacerdotaux se trouvaient cachés au château des Noës, s'y rendit avec sa poignée de vauriens. Après bien des recherches, il les trouva. Croix en tête, ils regagnèrent tous le bourg processionnellement, affublés des ornements et chantant quelques hymnes. Sur le parcours, un des hommes se détacha des rangs pour accoster M. Charmoy qu’il reconnut : Confrère, soyons amis, cimentons notre amitié, donne-moi une accolade. L’abbé Charmoy le repousse en disant : Est-ce possible ? non, jamais, ce serait le baiser de Judas, et il se retira.

Les révolutionnaires étaient au comble de leur joie. Ils se trouvaient les maîtres et en profitaient pour tout piller, voler et tuer. Un jour, en allant opérer la capture d’un prêtre qui se tenait caché près de Binic, ils s’arrêtèrent à la Ville-Jacob dans une maison où ils firent la plus honteuse orgie. La servante apprit que ses hôtes avaient l’intention de saisir le prêtre qu’ils avaient découvert. Vite, après leur avoir servi nombre de bouteilles, elle court annoncer au prêtre de vouloir bien déguerpir plus loin ; puis revient et continue son service. Les bleus partirent, en effet, mais ils ne trouvèrent plus personne. En revenant à Etables, ils se vengèrent sur la personne d'un père de famille. Les enfants du village de la Cour prenaient ensemble sur la route leurs ébats. A la vue de ces forcenés, l’un d’eux accourut malheureusement chez lui pour avertir son père, ce qui attira l’attention de la colonne. Ces monstres saisirent le père Guillo, le conduisirent dans le quartier des Villas-Robert où ils le fusillèrent.

Toutes les perquisitions, les taquineries et les dénonciations venaient en partie d’un appelé Lénard, maire de la commune et armurier du département.

Les Tagarins, surexcités par ses extravagances, ne purent le supporter longtemps. Cinq ou six jeunes gens, affublés d’un habit de gendarme, vont le trouver, sous prétexte de faire réparer des fusils. Pendant que maître Lénard en examinait un, il reçut une balle qui le tua raide dans sa propre maison. Tout d’abord les chouans avaient pressé M. de Pierrepont de se mettre à la tête de la compagnie chargée d’exécuter cette vengeance politique, mais il refusa et se retira l’indignation au coeur. Si l’esprit de parti raisonnait, ce refus formulé avec une grande énergie eût sans doute empêché de commettre ce crime. Malheureusement le fanatisme en politique éteint au cœur de l’homme tout sentiment d’humanité et bouleverse dans sa tête les notions les plus simples du juste et de l’injuste. Ce qui poussa M. de Pierrepont à refuser, fut la circonstance suivante. Peu de temps auparavant, il était tombé lui-même au pouvoir de ses adversaires politiques. Garrotté et jeté dans une charrette parmi d’autres prisonniers, on le dirigeait sur Orléans, où tous devaient être jugés, disait-on ; mais en passant à Versailles, une bande de misérables, envoyée à leur rencontre pour les massacrer, se rua sur la charrette. Un boucher, aux formes herculéennes, en arrache M. de Pierrepont, le délie, lui place son bonnet rouge sur la tête, en lui disant à l’oreille : « Sauvez-vous ». M. de Pierrepont était officier et parent de l’abbé de Garaby, dont notre département garde un si bon souvenir. Il n’a jamais revu son libérateur, mais il aimait à citer cette belle action et disait lui-même que ce fut en souvenir de cette délivrance généreuse qu’il voulut sauver le misérable Lénard, au péril de ses jours.

S’il y a eu chez quelques Tagarins de la lâcheté, on peut dire hautement que presque tous sont restés fidèles au trône et à l’autel. Assurément., Etables eut sa part de la gloire acquise pendant la Révolution, témoin la conduite des habitants. Un Tagarin entre autres mérite d’être signalé.

M. Yves Le Guyader exerçait, au commencement de la Révolution, le commerce des toiles Sa probité, sa bonne conduite et son activité lui avaient concilié l’estime générale ; aussi eut-il la satisfaction de voir ses entreprisses couronnées de succès. Son négoce lui avait enfin procuré une belle fortune. La Révolution éclate ; il ne balance pas ; quoique ses affaires exigeassent les soins les plus assidus, son premier soin fut de prouver son zèle pour son roi, et dès le mois de septembre 1792, il prend les armes. Après avoir guerroyé dans le pays, il s’enrôle sous les ordres du général Boishardy qui était à Lamballe. Il quitta donc Etables et la famille et le négoce. Pour la noble cause qu’il avait embrassée, son temps, ses bras, sa fortune, tout fut sacrifié. Plus de 8.000 francs furent employés pour loger et nourrir le général et son état-major. Pour toute récompense, il ne demandait que l’honneur des expéditions les plus périlleuses.

Le 17 décembre 1793, il enleva seul un convoi considérable de boeufs, destiné à l’armée républicaine, et ce coup hardi lui fit donner le grade d'adjudant-major. Tant de zèle et de dévouement ne pouvait à cette époque désastreuse demeurer impuni. Saisi par les soldats de la République, plongé dans les cachots, traduit au tribunal révolutionnaire, condamné par le même tribunal, la chute de Robespierre put seule le soustraire au sort qui attendait les défenseurs du trône et de l’autel.

Le général Boishardy n’oublia pas un officier qui lui avait rendu de signalés services, et grâce à ses soins généreux, il fut rendu à la liberté en échange de plusieurs prisonniers. Le Guyader dont le courage grandissait avec le péril, reprend les armes de nouveau, et se rend à Angers, pour s’entendre avec le comte Joseph de Puisaye, alors général en chef, qui en reconnaissance le nomma capitaine.

Il se préparait à mériter de nouvelles faveurs lorsque, le 20 juin 1795, il fut tué, trois semaines après sa sortie de prison, et trois jours après le général Boishardy, jour glorieux pour lui, où il scella de son sang le voeu qu’il avait fait d’être fidèle à sa religion et à son roi. A la fin du XIXème siècle, les petits-fils de ce vaillant soldat habitent Etables et, entre autres, Mlle Amélie Rebours raconte volontiers à qui la veut entendre, les exploits de M. le capitaine Le Guyader. J’ai vu l’autographe d’une lettre écrite à Sa Majesté Louis XVIII par Madame Le Guyader à l’effet de demander des secours après la perte de son mari et de sa fortune. Le fait est certain.

Pour clôturer l’histoire sommaire d'Etables, on ne peut s’empêcher de dire un mot des soeurs du Saint-Esprit. Comme nous l’avons vu, M. l’abbé Robert avait installé dès 1761 deux religieuses à Etables. Il leur procura le local et tout ce dont elles avaient besoin pour leur entretien. Pendant l’époque de la Terreur, nous n’avons pas à enregistrer, Dieu merci, la mort d’aucune d’elles. Seulement, comme partout, ces bonnes religieuses changèrent d’habit pour ne pas trop éveiller l’attention des brigands d’alors. La soeur dont la tradition garde seulement le souvenir est soeur Etiennette. Cette chère religieuse se trouvait dans les 22, à la maison-mère de Plérin, au moment où les commissaires du District leur signifiaient de vider la communauté dans les 3 jours qui en suivaient la notification. Sœur Etiennette, âgée alors de 26 ans, s’en revint à Etables rejoindre les deux autres soeurs qui y résidaient dans leur propre maison. Marie Houard, née à Etables et âgée de 60 ans, qui se trouvait aussi à Plérin, s’en revint chez elle. Soeur Etiennette s’appelait de son nom de famille Julienne Thérèse Thomas, née à la Ville-Jacob, partie actuelle de Binic. Elle était la soeur de la grand’mère de la mère de l’abbé Houard, vicaire à Plourhan.

Durant tout le temps de la Révolution, soeur Etiennette, comme les autres religieuses, allait et venait, malgré tout, voir, visiter et soigner les malades, s’occupant aussi en même temps de l’enfance. Elle portait chez les pauvres comme chez les riches ses meilleurs soins et les plus grandes consolations. Au dire de la tradition, elle avait son passe-partout. Personne ne l’inquiétait. Tout le monde la soutenait et encourageait, et elle, de son côté, n’écoutait que son courage pour aller là où le besoin la demandait. Eu égard aux services qu’elle avait rendus au Pays, elle avait tout droit de circuler librement. Sa bonté lui avait acquis cet ascendant, comme il arrive ainsi à toutes les religieuses. A la suite de la Révolution, la maison mère nomma comme supérieure d'Etables soeur Etiennette ; cette chère religieuse y est morte après avoir passé plus d’un demi-siècle ; son nom reste gravé comme légendaire dans l’esprit de tous les habitants d'Etables et des environs, à l’instar de celui de M. Robert.

 

LANTIC.

L’assemblée constituante fit promulguer la constitution civile du clergé, qui établissait le schisme dans l’Eglise de France.

M. Langlais, recteur de Lantic, natif de Maroué, et M. Joseph Saintilan, son digne vicaire, originaire de Pordic, refusèrent de prêter serment à cette constitution ; ils ne faisaient en cela que suivre l’exemple de leur évêque et de tous les saints prélats et prêtres du royaume. Ce refus les dévoua à la persécution. La municipalité de Lantic, entièrement dans le sens de la Révolution, les chassa du presbytère, et ils furent obligés de se réfugier à la Fontaine-Bouche-d’en-Haut, qui avait alors une maison avec chambre et rez-de-chaussée. Le presbytère fut livré au vicaire de Tréguidel, M. Olivier Hélary. Cet infortuné avait fait le serment et était devenu, en retour, recteur constitutionnel et intrus de Lantic. On ne sait combien de temps ce prêtre égaré demeura dans la paroisse, mais il est certain que n’ayant point pour lui la partie saine du pays, il fut obligé de retourner à Tréguidel bien avant la fin de la Terreur. Pendant tout ce temps, un prêtre catholique, M. Conan, brava le feu de la persécution, au péril de sa vie. Il desservit la paroisse jusqu’à l’arrivée du glorieux exil de M. Langlais. Que si M. Hélary a eu le malheur de prêter serment, il a eu aussi le courage de se rétracter et de faire publiquement amende honorable. Il est mort à Tréguidel, où, comme recteur, il a fait le bien pendant 26 ans.

Malgré les tracasseries et les persécutions qu’ils eurent à souffrir, le vénérable pasteur M. Langlais et son digne vicaire dirigèrent Lantic, tant que la position fut tenable. Voyant qu’il leur était désormais impossible de faire le bien et, qu’à cause d’eux, les fidèles étaient persécutés, ils jugèrent à propos de s’exiler pour un temps en Angleterre. M. Saintilan partit le premier, et, en 1793, M. Langlais alla le rejoindre. Débarrassée d’un recteur qu’elle craignait et qu’elle ne pouvait, si mal disposée qu’elle fût, s’empêcher de respecter, la municipalité de Lantic suivit en aveugle tous ses mauvais penchants. Les gens de bien, saisis de crainte, ne pouvaient plus vivre, suivant l’expression d’un bonhomme de 1850, et qui avait été témoin de toutes les sauvageries de la Terreur. Le crucifix de Notre-Dame-de-la-Cour fut abattu, l’église paroissiale fut dépavée et labourée comme un champ pour y chercher du salpêtre. Enfin sonna l’heure de la vengeance. La municipalité de Lantic avait, par ses excès et ses extravagances, fixé l’attention des royalistes. Un jour qu’elle était réunie au presbytère, elle se vit attaquée par ceux-ci et perdit trois de ses principaux membres pendant la fuite qui suivit le sauve qui peut. Le Chais, Rolland, Denis Rouxel, juge de paix, telles furent les victimes. Les autres purent se sauver. Les royalistes étaient décidés à les immoler tous. Ils croyaient peut-être que du sacrifice de la pauvre municipalité de Lantic dépendait le salut de la France. La leçon fut terrible, mais elle fut efficace. Depuis ce jour, la paix régna dans la paroisse.

En 1803, M. Langlais rentra dans sa paroisse, M. Saintilan l’avait devancé de quelques mois. Dans quel état ces braves apôtres trouvèrent-ils les églises ? Les vieillards dirent qu’elles le cédaient aux écuries. M. Langlais et M. Saintilan, son vicaire, moururent la même année, en 1809, regrettés de tous leurs paroissiens et de tous ceux qui les ont connus. Leur souvenir est encore vivace dans le pays. On peut dire que le recteur a rendu aux gens les plus grands services, sous tous rapports. C’est à lui qu’on doit le défrichement du pays.

Les habitants de Lantic étaient alors paresseux. Il les contraignit en quelque sorte à cultiver leurs terres, et par ce moyen, il les arracha à la misère, source de tous les vices. Les vieillards se plaisent à raconter de quelle manière il secouait l’indolence de leurs pères. Le dimanche qui suivait ses fréquentes visites, du haut de la chaire, il s’exprimait en ces termes : « Mes Frères, j’ai visité telle partie de la paroisse, j’y ai trouvé un champ donnant sur tel chemin, borné par tel autre champ, et je n’y ai vu que des ronces, des chardons et d’autres mauvaises herbes. Le propriétaire du champ est un fainéant que je signalerai au mépris général, si à mon premier passage tout n’a pas changé de face ».

Parmi les faits religieux de la période révolutionnaire dont le souvenir s’est conservé, nous pouvons signaler les efforts des fidèles pour la conservation de Notre-Dame-de-la-Cour.

Les sept fenêtres ogivales et à meneaux flamboyants, dont quatre grandes d’une rare beauté, étaient vitrées en verres coloriés et à personnages historiques, comme ceux que l’on admire à la plus grande des fenêtres. Les ravages du temps n’ont pas peu contribué à la destruction de ces chefs-d’oeuvre de l’art ; la Révolution de 1789 a fait dans l’espace d’un jour ce que le temps n’aurait pu faire en cent ans. Les anciens de Lantic nous représentent les impies, les sacrilèges, les barbares de cette époque d’horreurs, armés de marteaux attachés avec des cordes aux extrémités de longues perches et brisant toutes vitres qui les offusquaient. Les anciens pleuraient, demandaient inutilement grâce pour la maison de Marie, pendant que les enfants riaient, s’amusaient avec les fragments qui volaient de toutes parts.

François Rouxel, maire de Lantic, s’opposa à la vente du monument, protestant qu’il en avait besoin pour ses publications. Deux grilles en fer, dont l’une un peu moins haute partageait le sanctuaire de l'avant-choeur de la nef, furent enlevées dans le même temps et portées à Saint-Brieuc. On y porta également les vases sacrés et deux des trois cloches que possédait la chapelle.

 

PLOURHAN.

En 1789, la bonne paroisse de Plourhan était, comme ses voisines, dans le calme le plus parfait. L’administration civile et religieuse s’entendaient à merveille, et dans le cours de l’année, tous avaient tenu à aider à la reconstruction de la tour. Les laboureurs, on aime à le répéter, furent magnanimes de zèle et de dévouement, pas une pierre, pas un grain de sable, pas un morceau de bois qui ne fût donné et porté gratuitement. Les habitants admiraient leur flèche qui s’élançait gracieuse dans les airs. On aimait plus que jamais à venir prier et adorer Dieu dans sa maison, après une semaine de fatigues et de labeurs, quand une poignée de scélérats de la capitale et de la province y jeta par ses décrets le trouble et la désolation.

Au moment où éclata la persécution religieuse, en 1790 et 1791, imposant aux prêtres le serment à la Constitution civile du clergé, nous trouvons comme recteur de Plourhan M. Mathurin Hinault. Né en 1734, prêtre en 1762, il devint recteur de la paroisse en 1771. Ce vénérable avait pour vicaires : Pierre-Maurice Grandgiens, Morice, natif de Ploubazlanec, François Le Collen et Hervé.

Le Pasteur tint bon en présence de cette constitution et ne voulut jamais souscrire à cet abominable schisme.

Les autres n’eurent pas la force de suivre l’exemple de leur digne maître. Soit par faiblesse, soit par ambition, ils apostasièrent tous.

1° Pierre Hervé, des Trois-Fontaines, était d’abord intrus à Boqueho. Partout où il a passé, il fut le tourment journalier de son recteur par l’exaltation de ses idées révolutionnaires et son gros orgueil de prétendu savant. Le chanoine Lesage ayant réussi à l’éloigner, Hervé passa à Plourhan, dont le recteur, le bonhomme Hinault, but le calice qu’il avait écarté. Ce malheureux, d’une audace sans exemple, après avoir affligé un vieillard qui n’avait contre lui pour défense que ses larmes, demanda la paroisse de Boqueho, promettant d’y détruire le mauvais esprit dont M. Le Sage en avait imbu les habitants. Il y fut nommé et s’annonça comme devant en prendre possession le dimanche de la Pentecôte.

Il y fut, en effet, sous bonne escorte. Mais les fidèles ne lui marquèrent que de l’horreur. Cinq personnes assistèrent à son office. Les autres suivaient le vrai pasteur dans les chapelles. Ne pouvant rien faire à Boqueho comme recteur, il passa à Plouvara où il finit par épouser sa servante. Acquéreur et dénonciateur, il fut fusillé par les chouans.

2° En 1792, François Morice, curé de Plourhan, devint assermenté et par suite officier municipal de la commune.

François Le Collen a été curé d’office et puis recteur de la paroisse sous l’évêque constitutionnel Jacob, de 1791 jusqu’en 1793. Il devint tout puissant aux yeux de la révolution. Le citoyen Jacob le chargea provisoirement du spirituel de la paroisse de Saint-Quay pour une raison connue. D’après plusieurs actes, on voit qu’il a pu faire du ministère à Saint-Quay-Portrieux. Il signe : François Le Collen, curé de Plourhan et de Saint-Quay-Portrieux. Il n’est pas seulement chargé des âmes, mais même du temporel de la commune de Plourhan. Il accumule toutes les charges possibles. Ainsi on le voit membre du conseil général, autrement dit : officier public de la localité. Cet intrus disparaît, on ne sait comment, vers 1793.

3° Ces jureurs, appuyés par la faction radicale, purent rester au moins quelques années de plus.

M. Hinault, brisé par l’âge et les infirmités, fut contraint de s’exiler. Il aimait mieux encore quitter son pays, sa chère église, plutôt que de souscrire à un schisme. Le chagrin, les peines, les privations de toutes sortes abrégèrent sa vie. Il mourut à 62 ans, inhumé le 20 juillet 1796 dans le cimetière de Saint-Sauveur, à Jersey.

4° Il paraît que les prêtres assermentés n’étaient pas plus à l’abri que les autres, car, nous avons à enregistrer le meurtre de M. Pierre-Maurice Grandgiens, prêtre habitué à Plourhan. D’après la tradition, cet homme depuis son assermentation n’était plus le même. Paraissait-il trop libéral ou trop modéré, regrettait-il sa faute ? Toujours est-il qu’il a été martyrisé.

M. l’abbé Grandgiens se tenait le plus souvent caché au village de la Ville-Douroland, dans la maison qui appartient, à la fin du XIXème siècle, à Jean-Marie Allenou de Grandchamp, époux de Marie Morvan. Ce vieillard croyant que la Terreur s’apaisait, crut pouvoir habiter le presbytère et circuler librement, malgré l’avis des gens qui le logeaient. Il s’avisa un jour de remonter le bourg du côté des Mottes. A ce moment, il y avait une paissellerie dans une des fermes. On y dansait et chantait. On y menait joyeuse vie, quand quelqu’un reconnut M. Grandgiens qu’il livra à un autre vaurien. Celui-ci l’attacha à la queue de son cheval et d’un coup de fouet lance la bête au grand galop. En quelques secondes le pauvre prêtre a les membres brisés, la figure meurtrie et ensanglantée. Ce n’est pas encore assez ; la soif du sang de prêtre n’est pas assouvie. L’assassin détache sa victime, la traîne sur le Grattoi, sur ce petit emplacement qui se trouve à l’angle de la route de Plouha et de la Villeneuve, et qui aujourd’hui sert au reposoir. Plus féroce que le sauvage des forêts, ce révolutionnaire lui plonge le couteau dans la gorge et le saigne avec cruauté.

Après ce crime inouï, le monstre creuse une fosse dans le talus et y jette sa victime. La tradition rapporte que lorsqu’il fut question de niveler le talus, la terre retombait toujours ; impossible de la faire tenir au niveau du reste. On essaya de planter dessus des épines et autres arbustes, mais comme pour marquer ce lieu, rien n’a pu prendre pendant longtemps.

Tout porte à croire qu’il fallut aux citoyens Morice et Le Collen déguerpir au fort de la tempête révolutionnaire, car il n’est plus question d’eux, ni de leur signature, dans les registres de 1793 à 1800....

Enfin, la France a vu naître un de ces hommes extraordinaires qui sont envoyés de loin en loin au secours des empires prêts à tomber. Il faut, disait-il, une croyance religieuse, il faut un culte à toute association humaine, et voilà pourquoi Bonaparte et Pie VII rédigèrent et signèrent-ils le Concordat. Par suite, le culte fut rétabli en France, et l’église de Plourhan se rouvrit à la grande satisfaction de tout le monde. La religion que l’on avait crue détruite un temps, renaissait aussi saine que par le passé. La joie était dans tous les coeurs ; la population de Plourhan n’avait qu’un regret : c’était la perte de leur pasteur bien aimé dont les cendres reposaient à l’île de Jersey.

Le premier brave que l’on trouve à la tête de la paroisse après la Révolution, est M. l’abbé J. Conan qui s’intitule curé d’office et qui devint sans tarder vicaire de Saint-Etienne.

Après lui, nous voyons M. François Ferchal, premier desservant de cette paroisse, comme l’atteste l’ordonnance suivante :

« La paroisse de Plourhan a été érigée en succursale par le décret du premier frimaire an 12, approuvé le 25 nivôse suivant, sous l’invocation de saint Pierre, son patron, et ce de l’arrondissement de Plouha, 1804 ».

Quant aux faits religieux de la période révolutionnaire, on peut dire que ce sont toujours les mêmes partout, à part quelques épisodes. A Plourhan, comme ailleurs, des prêtres fidèles exerçaient en cachette le saint ministère. Le jour ils se cachaient ou travaillaient dans les champs ; la nuit ils célébraient la sainte messe dans des maisons particulières, confessaient, communiaient et même mariaient. La cachette la plus habituelle d’un de ces apôtres était une maison qui se trouve au bas du bourg et qui à la fin du XIXème siècle appartient à Marie Hamono.

A Plourhan, pays des vrais chouans, on combattait vaillamment pour Dieu et pour la patrie. Tous, à part quelques étrangers, travaillaient à conserver la religion et à purger le pays de ces bandits, de ces maraudeurs appelés les faux-chouans.

Les chefs royalistes, sûrs de l’opinion de la localité, recrutaient les hommes les plus valides et les plus alertes. C’est ainsi que, dans la nuit du 2 au 3 février 1799, les chouans contraignirent les jeunes gens de Plourhan à marcher avec eux.

Les royalistes, au nombre de 4 à 500 hommes, armés de pied en cap, parcoururent en tous sens la commune de Plouha, puis descendirent à Paimpol.

 

SAINT-QUAY.

Honneur au clergé de la noble paroisse de Saint-Quay ! MM. Carré, recteur, Brajeul, Le Rouillé, Vitel, Glen, les deux frères Conan, refusent carrément le serment à la Constitution civile du clergé. Le gouvernement est obligé d’aller chercher ailleurs un prêtre assermenté du nom de Le Nouvel. M. Carré, sur ces entrefaites, s’empresse de donner à sa paroisse une mission qui dura trois semaines. Elle fut présidée par M. Cormaux, recteur de Plaintel. Vingt-huit prêtres y travaillèrent, et à la fin de la mission, ils allèrent bénir les maisons de la paroisse, annonçant aux fidèles que leurs maisons leur serviraient de temples. L’événement justifia la prédiction. Dès 1791, Le Nouvel, prêtre intrus et schismatique, prit possession de la cure de Saint-Quay. Cet être osa même s’y présenter pendant la mission qui fut la dernière de Bretagne. A partir de ce jour, la lutte devient plus engagée entre les deux partis. M. Carré et ses vaillants auxiliaires, en qualité de gardiens des âmes, ne peuvent se dispenser de dire à leurs paroissiens que l’intrus est excommunié, que ses sacrements sont nuls, qu’on ne peut, sans péché, entendre sa messe. Comme fonctionnaire, le schismatique se hâte d’écrire aux autorités que les réfractaires accaparent les fidèles, fanatisent les consciences et doivent être réprimés par la force. Les curés fidèles font le vide autour du jureur et celui-ci a recours à la force brutale pour persécuter et chasser ses rivaux.

Voyant qu’on en voulait même à ses jours, le bon M. Carré se vit contraint de passer en Angleterre. Après six mois d’exil, il vint mourir au Portrieux, en 1793.

A la mort de ce vénérable, M. Brajeul fut nommé recteur de Saint-Quay par Monseigneur l'Evêque de Dol.

M. Brajeul est né à Saint-Quay en 1761 et il y est décédé en 1825. Il ne put prendre possession de sa cure et l’administrer. La Terreur l’obligea à gagner Jersey, où il demeura longtemps après le Concordat de 1802. Louis XVIII, pour le récompenser des services qu’il avait rendus à la royauté et aux exilés, le nomma chapelain de la chapelle royale de Paris. Dès 1791, Le Nouvel avait pris possession de la cure. Mais il ne put rester que quelques mois dans une paroisse où il n’avait que quatre familles pour adhérents et 12 personnes à sa messe. Le Nouvel, mort depuis le Concordat vicaire de Lanvollon, fut si bien honni, méprisé, insulté et même battu à Saint-Quay, qu’aucun intrus n’osa presque plus s’y présenter. On avait une telle horreur de Le Nouvel, que quand on le rencontrait dans les chemins, on faisait le signe de la croix. Par ordonnance des administrateurs du District des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), Morice, curé constitutionnel de Plourhan, devint curé de Saint-Quay, sans jamais oser en approcher qu’avec une escorte, et les registres de Saint-Quay furent, par autorisation de Jacob, évêque intrus des Côtes-du-Nord, réunis à ceux de Plourhan.

A l’exception des quatre familles, la paroisse de Saint-Quay demeura catholique, fervente, préférant s’exposer à toutes espèces d’avanies, de vexations, à l’imposition des garnissaires largement rétribués, plutôt que de faiblir dans la foi. Pendant ces jours de désolation, les services spirituels les plus assidus et les plus empressés furent rendus aux pieux habitants de Saint-Quay. Malgré une colonne mobile siégeant au presbytère, malgré la peine de mort qui planait sur les têtes, MM. Le Rouillé, décédé depuis recteur de Landehen, Vitel, Glen, décédé depuis curé de Saint-Michel (Saint-Brieuc), Conan aîné et son plus jeune frère, et plusieurs autres prêtres catholiques cachés dans la paroisse, disaient la sainte messe la nuit, et distribuaient les sacrements au peuple. Le service public, les prières de la messe, les vêpres et les enterrements, toutes les cérémonies, en un mot, étaient faites par un excellent laïque nommé Norbert Daniel. Tout le monde tenait à y assister...

Enfin, sonna l’heure de la délivrance. La tempête révolutionnaire s’était apaisée, les temples se rouvrirent, les prêtres purent célébrer au grand jour le saint sacrifice de la messe et administrer tous les sacrements. En 1804, M. Laurent Auffray devint recteur de Saint-Quay par décision de Mgr. Caffarelli, évêque de Saint-Brieuc. L’évêché de Dol ayant été supprimé, la paroisse de Saint-Quay fut réunie tout naturellement au diocèse de Saint-Brieuc.

M. Auffray, né à Saint-Quay, au village de Kertugal, le 22 février 1763, fit son séminaire à Dol. Ordonné prêtre, il évangélisa pendant 4 ans la paroisse de Saint-Marcan (diocèse de Dol). Persécuté en France pour la foi, il passa en Angleterre dans le courant de 1793, avec l’intention de rendre service au pays à la première occasion.

Le 16 juillet 1795, il était auprès de Mgr. de Hercé, de glorieuse mémoire. Son évêque débarque avec l’armée royale pour lui prêter les secours spirituels du saint ministère. Quand tout espoir de salut fut perdu, quand une partie de l’armée catholique se précipitait dans les flots de la mer, moins destructeurs que la mitraille de Hoche, général républicain, le saint évêque jette les yeux sur son digne collaborateur et lui adresse ces paroles : « Mon cher ami, je suis vieux, je ne puis plus être utile au salut des âmes, mes jours vont finir, le tombeau va me recevoir. Il n’en est pas ainsi de vous ; vous êtes jeune, vous pouvez faire beaucoup de bien dans le saint ministère, sauvez-vous, je vous en prie, vous qui savez nager, jetez-vous à la mer et tâchez de gagner les navires anglais qui ne sont pas éloignés ». M. Auffray, quoique disposé au martyre, obéit à son évêque comme à Dieu même, et bientôt il est auprès d’une embarcation anglaise. Mais que devenir ? Les Anglais repoussent avec leurs rames les Français qui leur demandent la vie ; ces barbares coupent même impitoyablement à coups de sabres et de haches, les mains et les bras de tous ceux qui s’accrochent à leur bord. Le vaillant prêtre s’aperçoit que l’embarcation n’a de factionnaires bourreaux que d’un côté ; la tourner et s’y précipiter est l’affaire d’un instant. M. Auffray est sauvé. Les Anglais, malgré leur sauvagerie, digne des temps les plus arriérés, font grâce à ceux qui sont entrés. Quand M. Auffray racontait ces particularités, il ne manquait jamais d’ajouter : apprenez à nager. C’est à cette science que je suis redevable de la vie.

En 1796, M. Auffray revint d'Angleterre à Saint-Quay où il passa 6 mois. Trouvant cette paroisse parfaitement dirigée par les ecclésiastiques qui y étaient cachés, et ayant reçu l’ordre de se porter où le besoin serait le plus grand, il partit pour Saint-Marcan, en compagnie de M. Vitel. Il ne revint à Saint-Quay qu’en 1802, après 6 ans d’absence. Pendant son rectorat, il établit en 1804 la Société de la Mère admirable, vulgairement dite la Société des Filles du Coeur de Marie. Dans l’espace de 19 ans, M. Auffray a sacrifié 19.000 francs pour cette fondation. En 1820, lui et sa sainte soeur, Marie-Thérèse Auffray, jetèrent les fondements de la communauté religieuse de Saint-Quay.

L’histoire de Saint-Quay ne paraîtrait point complète, si nous ne relations pas le combat de la Ville-Mario.

La Ville-Mario est sise à 1 kilomètre de Saint-Quay, sur une hauteur à gauche de Kertugal. C’est une ancienne baronnie avec justice, appartenant à la famille de Tréveneuc.

La Ville-Mario est devenue célèbre depuis l’affaire de ce nom, qui eut lieu en mars 1794. Une bande d’environ 200 chouans, armés de pied en cap, se rallie dans le château de ce nom, à la voix de M. Geslin de Bourgogne, du fameux douanier Laroche et de 17 émigrés venus des îles de Jersey et de Guernesey. Ce qui porte le chiffre de cette troupe à 2.000 paysans accourus de Plaintel, de Ploufragan et communes environnantes. Ils étaient venus pour favoriser un débarquement important de munitions, d’armes et de chefs que les Anglais devaient ce jour-là opérer au Palus de Plouha, baie spacieuse, plate, d’un bon fonds, distante d’environ 2 ou 3 kilomètres de la Ville-Mario.

Le capitaine Redouté, commandant les troupes républicaines cantonnées au Portrieux, pousse de nuit une reconnaissance sur ce point, mais voyant l’infériorité numérique de ses troupes, il bat en retraite et regagne son cantonnement après avoir perdu des hommes.

Cependant 200 chouans bien armés se rendent au Palus à l’effet de protéger le débarquement. Ils y trouvent un grand nombre de voitures qui s’y étaient rendues, afin de recevoir le matériel de guerre sur lequel on comptait, mais ce fut en vain, les voiles anglaises ne parurent pas. Vers le jour, ils se décidèrent à rentrer à la Ville-Mario. Craignant une attaque des républicains, on arrêta qu’on se porterait la nuit suivante sur le Portrieux. On voulait par là enlever les poudres et s’emparer des gardes-côtes et soldats qui s’y trouvaient. Le reste du jour se passa en préparatifs et en réjouissances.

Le capitaine Redouté n’était pas resté oisif. Il avait dépêché un courrier à Saint-Brieuc, et 200 hommes d’élite, partis de cette ville sous les ordres du chef de bataillon Message, arrivèrent pendant la nuit du 15 au 16, dans les environs de la Ville-Mario. Ils furent renforcés d’une centaine d’hommes, conduits par le capitaine Redouté. Tous s’embusquèrent dans des champs où donnait la principale issue du château, attendant en silence l’ouverture des portes. Cependant tout était bruit et confusion dans l’enceinte ; les chefs délibéraient dans la ferme, et les hommes armés et ceux qui ne l’étaient pas se promenaient pêle-mêle dans la cour.

A la pointe du jour, le silence se rétablit ; la porte du sud s’ouvrit, et les royalistes sortirent en ordre de la cour, précédés de ceux d’entre eux les mieux armés. Venaient ensuite les bâtonniers et sabotiers, armés seulement de bâtons ; la marche était close par quelques chouans armés de toutes pièces.

Les républicains laissèrent passer la tête de la colonne ; puis, quand la masse inerte des paysans sans armes fut engagée dans le chemin, le feu commença sur toute la ligne. A ce bruit, aux cris poussés par les malheureux qui tombaient atteints du plomb meurtrier, la tête de la colonne fit volte-face au château de Ruello et elle s’avança hardiment vers le champ de la Fontaine et le clos des Veaux. Alors s’engagea le combat ; mais le désordre s’étant mis parmi les paysans, ils jetèrent là sacs, sabots, bâtons, et s’enfuirent les uns vers le moulin de Merle et de la Ville-Augeard, les autres vers les métairies de Beauvoir, en Plourhan ; de là, ils gagnèrent Trégomeur. Ces fuyards entraînèrent la tête de la colonne qui elle-même fut obligée de se débander et de prendre la fuite. Les royalistes perdirent en tout une trentaine d’hommes, parmi lesquels trois émigrés, un quatrième eut les deux jambes traversées d’une balle. Laroche qui s’était fait remarquer pendant l’action par son audace et sa témérité, fut trouvé mort dans un champ, non loin du village d'Enhaut. M. Geslin de Bourgogne (arrière-grand-père de M. le comte de Tréveneuc), fut pris, attaché à un arbre, et les bleus le couchaient déjà en joue, quand ils entendirent quelques-uns des leurs crier au secours. Sûrs de leur homme, ils le laissèrent pour secourir leurs camarades. Quand ils revinrent, il était parti : un paysan, du nom de Jégou, avait coupé les cordes qui le retenaient à l’arbre, mais entendant revenir les révolutionnaires, il eut peur et l’abandonna. Pieds et poings liés, Geslin de Bourgogne fit un bond et alla tomber dans un fourré d’ajoncs ; il s’y faufila, il échappa même aux baïonnettes, et lorsque les bleus furent partis, le paysan revint, coupa les autres cordes et lui donna des habits qui lui permirent de traverser les lignes ennemies. Son neveu, âgé de 16 ans, fut tué dans ce combat.

Quinze jours après cette affaire, quatorze ou quinze petits navires anglais se présentèrent devant le Palus pour y effectuer le débarquement projeté. Ils y mouillèrent et restèrent au moins une huitaine de jours, mais ne se voyant pas attendus et trouvant les côtes qui dominent la grève occupées par un camp de 1.500 hommes, ils levèrent l’ancre. Chaque jour ils tirèrent plus de cent coups de canon sur les tentes sans les atteindre.

Note : L’amour des habitants du canton actuel d'Etables pour la religion et ses ministres en faisait des fidèles défenseurs du trône et de l’autel. Lorsque les royalistes firent appel à la population d'Etables et des environs, tous les hommes valides s’apprêtèrent à marcher pour le roi. On les avait avertis qu’un débarquement d’armes et de munitions devait être fait par les Anglais à un jour marqué et qu’ils devaient tous arriver à la Ville-Mario. Un jour auparavant, munis de bâtons, d’un sac et d’un pain, tous furent fidèles au rendez-vous, mais la trahison amena ce que l’on connaît : la défaite des royalistes par les soldats républicains, grâce au concours des Anglais qui les dénoncèrent et livrèrent à leurs ennemis. Nos prétendus amis les Anglais se conduisirent à l’égard des Chouans du pays, comme ils le firent à Quiberon. Pierre Jagot est né au Doley, village voisin de Saint-Barnabé, en Plourhan. Il avait 18 ans à l’époque de la bataille de la Ville-Mario. Les royalistes l’avaient enrôlé. Lui et ses parents étaient une providence pour les bons chouans. Les nobles et les autres braves gens descendaient sans crainte au Doley et étaient toujours parfaitement accueillis. Le lendemain du combat, Pierre Jagot s’en va, une serpe à la main, dans un de ses clos situé entre la Bourdonnière et Maureton. C’est dans ce champ, couvert de genêts, qu’il rencontra M. Geslin de Bourgogne attaché à un arbre. — « Approche, bon paysan, n’aie pas peur, je suis Geslin de Bourgogne, viens me délivrer, profite de l’absence des révolutionnaires pour me mettre en liberté, je te récompenserai ». — Aussitôt notre jeune homme délivre M. le Comte, qui par bonds se faufile et se cache dans le fourré. Quelque temps après que tout danger imminent eut disparu, Pierre Jagot revient à la charge, finit de couper les liens et donne un habit de paysan à M. Geslin de Bourgogne qui, après avoir mangé, parvient enfin à traverser les lignes ennemies. M. le Comte en retour d’une telle action voulut récompenser son sauveur. Il lui donna d’abord une assez forte somme, puis le pria d’aller passer au château de Bourgogne, en Lantic, la journée du pardon de Saint-Laurent. Pierre a été fidèle au rendez-vous chaque année, et tous les ans, il dînait au château. La famille reconnaissante lui remettait ensuite une pièce de 5 francs et un panier de fruits pour ses enfants. En souvenir, Mme de Tréveneuc a tenu à mettre, dans sa ferme de la Ville-Mario, une petite fille de Pierre Jagot. Pierre Jagot est mort au bourg de Plourhan, dans la ferme de Mlle Pauline Le Pomellec, à l’âge de 80 et quelques années. A la fin du XIXème siècle, il a encore comme petites-filles et filleules Marie Ruellan, du bourg, et Marie-Angèle Jagot, épouse de Jean Le Mené, de la Ville-Hellio, en Plourhan.

Comme couronnement de l’histoire de Saint-Quay, il est bien intéressant de connaître l’abrégé de la vie et des vertus de la très honorée Mère Marie de Sainte-Scolastique Corbel.

La Mère Marie de Sainte-Scolastique (demoiselle Corbel), naquit à Saint-Quay, d’une famille respectable où la piété semble héréditaire. On raconte qu’étant toute petite, elle fut une fois oubliée à l’église ; lorsqu’on vint la chercher, on la trouva sur l’autel embrassant le tabernacle de ses petits bras. C’était, répondit-elle à ses parents, pour être près de Jésus : sa jeunesse était exemplaire. Elle fit son noviciat avec une grande ferveur et fit sa profession religieuse.

La Mère Marie de Sainte-Scolastique était Assistante du Noviciat quand la Révolution détruisit la Communauté en 1791. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que les chefs de la Nation qui vinrent faire l’examen des soeurs et leur signifier l’ordre de sortir au plus tôt du monastère, distinguèrent cette chère Mère, sans doute à cause de sa modeste gravité, qui inspirait le respect et même la vénération à tous ceux qui la regardaient. Le commissaire en l’abordant lui demanda ce qu’elle pensait de la Nation. Je n’en pense rien, répondit-elle, mais ce que je sais, c’est que nous sommes dans la main de Dieu et, vous aussi. Citoyen, vous lui servez d’instrument pour nous châtier, mais il n’arrivera rien que ce qu’il voudra.

Le commissaire raconta cette judicieuse réponse à ceux qui l’accompagnaient, et il ajouta : Comme cette religieuse est respectable ! Il ne faudra rien lui dire qui puisse lui être désagréable. Elle ne fut pas mise en arrestation. Elle partit de Guingamp pour retourner à Saint-Quay, chez ses parents, d’où elle ne sortit qu’en 1808 pour l’établissement de Saint-Brieuc. Elle avait emmené avec elle chez son père et sa mère, la soeur Marie de Sainte-Thérèse Eon. La maison de M. Corbel est transformée en monastère. Il y a un prêtre que monsieur a caché ; tous les jours, le saint sacrifice y est offert et la pieuse famille y communie ; la bonne Mère Marie y réunit la jeunesse de Saint-Quay, qu’elle édifie par sa piété et à qui elle prêche. Le dimanche elle la rassemble à l’heure de la grand'messe lorsqu’il y en avait, et lui fait chanter dévotement l'Introït, Gloria, Credo et tout le reste des prières que l'Église chantait en des temps plus heureux.

La religieuse sut inspirer à Madame sa mère une si grande estime pour son genre de vie, qu’on gardait le silence, on priait aux mêmes heures qu’à Montbareil. Mme Corbel même couchait habituellement avec un voile de nuit à l’usage des religieuses, et elle ne voulut point mourir dans une autre coiffure.

La Mère Scolastique sut inspirer aux jeunes personnes de Saint-Quay un si grand amour pour la vie religieuse, qu’un bon nombre d’entre elles sont restées associées sous le titre de Congrégation des Coeurs de Jésus et de Marie. A la fin du XIXème siècle, elles ont un établissement considérable ; elles élèvent les enfants, font des retraites et reçoivent les personnes qui vont prendre des bains. Leur costume est noir, mais dans la forme des religieuses de Montbareil.

Cependant, la Révolution faisait des ravages épouvantables. C’étaient de nouvelles terreurs ; on cherchait les prêtres pour les fusiller. Il arriva un jour une troupe de brigands chez M. Corbel ; la Mère Scolastique va promptement trouver le prêtre qui demeurait chez elle, habillé en paysan, elle prend un paquet de lin, le lui jette sur le dos, puis elle le pousse dehors au milieu de la troupe. Ceux-ci le prenant pour un linatier le laissent passer. La Mère Scolastique vient ensuite avec un air grave et calme qui lui était naturel, et leur dit : « Avez-vous vu passer un linatier ? Je crois que le pauvre homme n’a pas les poches bien vides de mes affaires ».

Voulez-vous qu’on l’arrête, citoyenne ? dirent ces bandits, d’un ton respectueux. Oh ! non, répondit-elle, le pauvre homme, laissez-le aller. Au surplus, je lui donne ce qu’il a, ce n’est pas grand'chose. Dans ces temps de crise, il n’est rien arrivé de fâcheux à la famille Corbel.

Ses parents étaient si prudents, si paisibles, qu’ils se faisaient respecter des méchants mêmes. Quand les autres soeurs furent sorties d’arrestation, elles vinrent 6 ou 8 passer quelques semaines au couvent de Saint-Quay (c’est ainsi qu’on nommait la maison de Mme Corbel). Quelle consolation de se trouver réunies ! Le bon prêtre, M. Glen, était le confesseur de toutes. Là, elles étaient sûres de trouver la nourriture de l’âme.

Cependant, il y eut encore des alarmes, les soeurs crurent pour cette fois que tout était perdu. Elles coururent chez la Mère Scolastique, qu’elles trouvèrent aussi paisible que s’il n’y avait eu aucun danger. Surprises autant qu’édifiées de sa paix, l’une d’elles s’écria : 0 mon Dieu ! Quel heureux caractère !...

Enfin la mort de Robespierre vint terminer les frayeurs, la joie commença à dilater les coeurs, mais la Mère Scolastique était toujours la même, c’est-à-dire également éloignée de l’extrême joie, comme elle l’avait été de l’extrême tristesse.

Dans ces jours malheureux où les coeurs longtemps comprimés par la crainte s’ouvraient volontiers à une joie innocente, les soeurs voulurent prouver au bon prêtre M. Glen combien leur soeur était douce et patiente.

Les religieuses la choisirent pour supérieure. Pendant les 17 ans que la Mère Scolastique demeura à Saint-Quay, elle eut la douleur et la consolation de fermer les yeux à ses bons parents qui moururent tous les deux en prédestinés.

En 1808, Mgr. Caffarelli appela les soeurs à Saint-Brieuc pour commencer l’établissement. La Mère Scolastique demande à entrer aussi. Mme Sébert loua une maison le 29 septembre 1808 à 14 soeurs qui arrivèrent de différents pays.

Le prélat bénit une chambre et en fit une chapelle, puis on commença tous les exercices de communauté. A la première élection, la Mère Scolastique fut choisie comme supérieure de l’établissement dit aujourd’hui Montbareil. Pendant son supériorat, c’étaient la prudence et la sagesse, la douceur, la bonté, la piété. La communauté s’augmenta en nombre et elle s’affermit aussi dans l’amour de l’observance régulière. De supérieure elle devint directrice. Six ans après elle redevint supérieure par deux fois. A cette dernière élection, elle en témoigna une grande douleur. Nos soeurs, dit-elle, j’ai reçu aujourd’hui le coup de la mort, je ne puis plus gouverner la communauté. Je sais que tout en souffrira. C’était la crainte qu’elle en avait. Elle avait encore toute son intelligence et sa lucidité d’esprit.

Enfin, minée par la faiblesse, la mère Scolastique rendit sa belle âme à Dieu vers 11 heures du matin le 8 janvier 1852. Elle était âgée de 62 ans 9 mois, et de profession 42 ans.

 

TRÉVENEUC.

La gentille petite paroisse de Tréveneuc ressentit aussi les effets de la Révolution. Comme ailleurs, les vauriens s’attaquèrent tout d’abord aux vénérables prêtres qui dirigeaient la paroisse, en leur imposant le serment à la Constitution civile du clergé. Ces gens se trompaient, car ils trouvèrent le pasteur et les autres prêtres aussi fermes dans la foi que les premiers chrétiens. Tous préférèrent prendre le chemin de l’exil ou braver le feu de la persécution, plutôt que de s’avilir par la prestation du serment.

Au début de la Révolution, nous voyons M. Marc Duval-Vilbogard, recteur de Tréveneuc ; M. Guillaume Richomme, né en 1733 et prêtre de la paroisse en 1761 ; et M. Pierre Hassenault, de la Ville-Colvez, originaire de Plélo.

Le bon M. Duval, traqué comme une bête fauve, se voit forcé de se séparer de ses chers paroissiens et se retire à Jersey en attendant de meilleurs jours.

M. Pierre Hassenault, de la Ville-Colvez, plus jeune et plus alerte, se sent de force à rester dans le pays. Connaissant parfaitement tout le monde, il put exercer le saint ministère durant presque toute la Révolution. Pour éviter les pièges des bleus ou des faux chouans, il se cachait un peu partout, mais sa cachette habituelle était la Ville-Gallio. C’est dans ce village qu’il célébrait le plus souvent le saint sacrifice de la messe, qu’il confessait et communiait toutes les personnes du quartier. Malgré toutes les précautions, les bleus étaient parvenus à découvrir ses rendez-vous. Ces monstres sanguinaires avaient juré que le calotin ne leur échapperait pas longtemps. M. Hassenault de la Ville-Colvez se réfugie donc, sur les instances des catholiques, à Alwich, en Angleterre, vers la fin de la Révolution. Cet apôtre échappa ainsi à une mort certaine.

Les prêtres n’étaient pas les seuls visés pendant l’époque de la Terreur. Tous les honnêtes gens et tout ce qui pouvait être suspect, étaient chaque jour exposés à subir les atrocités des bandits : Apercevait-on un crucifix, une image, un objet quelconque de piété dans une maison, c’en était assez pour mettre tout à feu et à sang.

Un jour, les révolutionnaires se tendirent dans une ferme proche de Pont-Morio. Les habitants sachant leur arrivée quittent la maison tout en y laissant un petit enfant au berceau, avec cette pensée qu’il devait être à l’abri des coups. Hélas ! personne n’était épargné. Dans leur rage, ces dénaturés massacrèrent à coups de baïonnettes l'innocente victime et chavirèrent le berceau en partant.

Non loin de là, un autre enfant de 6 à 7 ans fut découvert par les mêmes dont l’attention fut attirée aux cris des oies. L’escorte républicaine entre dans la maison et y trouve un bel enfant qui se mit à sourire. Comme son voisin, il fut percé de coups de baïonnettes.

Pendant que des milliers de prêtres et de fidèles languissaient en Angleterre, les révolutionnaires se mangeaient entre eux, et vers 1801, leur règne était fini. Toute la France respire à l’aise, le calme succède à l’anarchie. Les portes de la France s’ouvrent à nos émigrés. Les prêtres de Tréveneuc peuvent regagner leur cher pays. M. de la Ville-Colvez, au grand contentement des habitants, devint recteur de la paroisse. Plus que jamais, il redouble de zèle et d’ardeur pour rétablir le bon ordre et la piété à Tréveneuc.

(le diocèse de Saint-Brieuc durant la période révolutionnaire).

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