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LES DERNIERS ÉTATS DE BRETAGNE (1788-1789)

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I.

La fin de l'année 1788, année si fertile en incidents pour notre province, devait être marquée par la dernière tenue des Etats de Bretagne.

A la même époque se préparait, dans toute la France, la solennelle réunion des Etats généraux d'où devaient sortir tant de changements et d'événements alors imprévus. Un décret du Roi, publié à Versailles le 8 août 1788, en annonçait la convocation pour le 1er mai 1789. Mais une grave question agitait alors les esprits : sur quelles bases serait faite cette convocation ?. Cet appel à la nation allait-il être un véritable appel au peuple ! Cette consultation serait-elle vraiment nationale ?.

Ou bien verrait-on Juges en leur propre cause, les classes privilégiées, assurées d'une majorité de suffrages, soutenir, encore une fois, le maintien de faveurs et de prérogatives contre lesquelles, depuis si longtemps déjà, protestaient les deux tiers de la nation ?.

La dernière assemblée de ce genre avait eu lieu en 1614, mais plus d'un siècle et demi écoulé depuis avait apporté de profondes modifications dans les affaires du royaume et surtout dans les idées de la nation devenues plus libérales.

L'aristocratie avait régné sur la France pendant plusieurs siècles, la démocratie, à son tour, relevait la tête en disant : « l'Etat c'est NOUS », nouveau principe politique dont, quelques mois plus tard, l'abbé Sieyès devait énoncer la formule : 

« Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? — Tout. 

Qu'a-t-il été jusqu'à présent ? — Rien. 

Que demande-t-il ? — A devenir quelque chose ».

Se mettant à la tête du mouvement en ce sens, les Etats du Dauphiné venaient de décider que, dans leur assemblée, l'ordre du Tiers serait, à l'avenir, représenté par un nombre de députés égal à celui des deux autres ordres réunis, et que les délibérations auraient lieu par tête, et non par ordre.

La première Assemblée des Notables, sous le ministère de Calonne, était entrée dans le même ordre d'idées, en faisant droit aux voeux exprimés par le Tiers-Etat réclamant l'abolition des privilèges, l'égale répartition des impôts, la participation de tous à la représentation et à l'administration du royaume. Le Parlement de Bretagne se prononça contre cette opinion, ainsi que nous l'avons vu ; la noblesse, jalouse de la conservation de ses privilèges, partagea son avis. Dès lors la scission devint profonde entre les trois ordres.

Une seconde Assemblée des Notables, convoquée par le ministère de Necker [Nota : La première avait cessé de siéger en mai 1787], se prononça contre les prétentions du Tiers, au sujet du nombre des députés par lesquels celui-ci serait représenté aux Etats généraux, proposant de prendre pour base le chiffre de la population des villes chargées de nommer ces députés. Quant à la forme dans laquelle les Etats généraux voteraient, (par ordre, ou par tête), la résolution à prendre, à ce sujet, fut laissée à cette Assemblée elle-même.

Les décisions des Notables soulevèrent un vif mécontentement dans les rangs de la bourgeoisie. Toutes les municipalités s'assemblèrent, prirent des délibérations, et envoyèrent des députés à Versailles, pour protester contre les résolutions des Notables et réclamer une organisation véritablement nationale des futurs Etats généraux.

Appuyé sur cette manifestation unanime des municipalités, Necker adressa au Roi un rapport si précis, et si nettement opposé aux vues des Notables, que Louis XVI statua que la convocation des Etats généraux aurait lieu d'après le système préconisé par ce ministre. Cette ordonnance, rendue le 27 décembre 1788, fut accueillie à Rennes par de joyeuses manifestations.

II.

Tel était l'état des esprits à la veille de l'assemblée provinciale, convoquée pour le 29 décembre. Les députés accouraient de toutes parts et une vive animation régnait dans la capitale de l'ancien Duché de Bretagne. Plus de neuf cents gentilshommes étaient arrivés de tous les points de la province. Nul n'aurait voulu manquer au rendez-vous : la tenue promettait d'être mouvementée, aussi, ceux-mêmes qui se trouvaient alors hors de France avaient-ils franchi monts ou mers pour se rendre à Rennes.

Plusieurs semaines à l'avance, Monsieur Gillard de Keranflech écrivait au jeune Pic de la Mirandole : « Vous qui savez résister aux démonstrations dans un pays asservi par Kervélégan [Nota : Auteur des Réflexions d'un philosophe, violent pamphlet contre la noblesse, paru en janvier 1788], je vous engage à ne pas manquer la tenue prochaine. Ce sera une tenue mémorable et nombreuse, suivant les apparences, dont je serais bien fâché de ne pas être. Il y aura de la dissension entre la Noblesse et le Tiers, qui veut nous faire descendre jusqu'à lui, ou s'élever jusqu'à nous : c'est un petit nombre d'avocats, ambitieux à l'excès, qui ont conçu ces beaux songes... ».

Un autre gentilhomme breton, M. de la Bélinaye, était en voyage à Londres, accompagnant un prince du sang, lorsqu'il apprit la convocation des Etats. Il devait, ce jour-là, remplir le premier rôle d'une comédie de salon où sa présence était indispensable. Rien ne put le retenir, ni les prières, ni les ordres, ni même les menaces de l'Altesse Royale : « Monseigneur, lui dit fièrement le marquis, je vous obéirais en toute autre circonstance, mais, devant le membre souverain des Etats de Bretagne, vous n'êtes plus que Monsieur de Bourbon. Je ne connais que mon droit et mon devoir ».

Et il partit sans autre bagage que son épée (Pitre-Chevalier, Bretagne et Vendée).

Dans les deux camps on s'apprêtait à l'action. La Noblesse s'assemblait, délibérait ; les salons du Président, ceux du gouverneur et des principaux membres de cet ordre ne désemplissaient pas. Les plus exaltés excitaient les autres et les anoblis eux-mêmes, farines par l'éclat de leur nouveau blason, étaient les plus obstinés à là défense de leurs privilèges menacés. Les pauvres gentilshommes campagnards, à peine arrivés de leurs manoirs, avec une queue passée de mode et un antique habit de soie puce ou aurore brandissaient fièrement leur rapière de fer, dont la rouille recouvrait parfois les traces du sang des ennemis de la France, et menaçaient, aujourd'hui, d'en pourfendre leurs adversaires politiques.

Chateaubriand nous dépeint à merveille l'agitation des esprits dans les lignes suivantes :

« Le comte de Boisgelin, qui devait présider l'ordre de la Noblesse, se hâta d'arriver à Rennes. Les gentilshommes furent convoqués par lettres particulières, y compris ceux qui, comme moi, étaient encore trop jeunes pour avoir voix délibérative. Nous pouvions être attaqués : il fallait compter les bras autant que les suffrages. Nous nous rendîmes à notre poste. Plusieurs assemblées se tinrent chez M. de Boisgelin avant l'ouverture des Etats. Le chevalier de Guer, le marquis de Trémargat, mon oncle, le comte de Bédée, qu'on appelait Bédée l'artichaud, à cause de sa grosseur, par opposition à un autre Bédée, long et effilé, qu'on nommait Bédée l'asperge, cassèrent plusieurs chaises en grimpant dessus pour pérorer. Le marquis de Trémargat, officier de marine à jambe de bois, faisait beaucoup d'ennemis à son ordre : on parlait un jour d'établir une école militaire où seraient élevés les fils de la pauvre noblesse, un membre du Tiers s'écria : « Et nos fils, qu'auront-ils ? — L'hôpital ! » répondit Trémargat ; mot qui, tombé dans la foule, germa promptement...

Le résultat de nos délibérations fut que la Noblesse traiterait d'abord les affaires générales et ne s'occuperait du fouage qu'après la solution des autres questions, résolution directement opposée à celle du Tiers.

Les gentilshommes n'avaient pas grande confiance dans le clergé qui les abandonnait souvent, surtout quand il était présidé par l'évêque de Rennes (Monseigneur François Bareau de Girac, 1732-1820), personnage patelin, mesuré, parlant avec un léger zésaiement qui n'était pas sans grâce, et se ménageant des chances à la Cour ...

Un journal, La Sentinelle du Peuple rédigé à Rennes par un écrivailleur (Volney, Constantin-François Chasseboeuf, comte de Volney, écrivain et orientaliste français, 1757-1820) arrivé de Paris, fomentait les haines » (Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe).

Le Clergé, en effet, plus sage et surtout moins passionné que la Noblesse, plus éclairé, peut-être, sur la situation et l'état des esprits par ses rapports fréquents avec la bourgeoisie et le peuple, avait compris depuis longtemps déjà, leurs aspirations bien légitimes. Il admettait, sans peine, que le Tiers ne se trouvât pas suffisamment représenté aux Etats, par quelques membres humiliés, tant de leur propre faiblesse que de l'arrogance de leurs rivaux.

Il comprenait, d'autre part, que les privilèges de la noblesse, particulièrement l'exemption des impôts, étaient devenus un contre-sens intolérable et une injustice légale, dès lors que ne subsistaient plus les charges de guerre dont ces privilèges étaient, autrefois, la légitime compensation.

Enfin le Clergé trouvait fort naturel que le Tiers, intelligent et instruit à l'égal de la Noblesse, supérieur quant au nombre aux deux autres ordres réunis, réclamât à haute voix sa place au soleil dans la hiérarchie gouvernementale.

Aussi le Clergé avait-il prouvé sa haute intelligence de toutes ces questions par un accord habituel avec le Tiers, dans les plus orageuses séances des derniers Etats de Bretagne, et on le verra, par la suite, approuver plus d'une fois les réclamations de la bourgeoisie de 1789. De son côté celle-ci, en demandant pour tous les citoyens l'égalité des charges et des honneurs de la nation, plaidera la cause du bas clergé, non représenté aux Etats, réduit à la portion congrue [Note : Portions congrues des prêtres des paroisses en France, aux XVIIème et XVIIIème siècles : 303 livres aux curés des paroisses contre l'abandon de tous leurs revenus de dîmes et de biens fonds et 500 livres à la fin du XVIIIème siècle, après l'édit du Roi, du 3 mai 1768. Les vicaires recevaient au XVIIème siècle 150 livres, puis plus tard 300 livres. Le vicaire perpétuel était mieux partagé, on nommait ainsi le desservant d'une église paroissiale unie à un chapitre. Celui-ci était alors curé primitif et le desservant son vicaire. Ces rentes étaient versées aux prêtres des paroisses par les gros décimateurs qui étaient les monastères, abbayes, prieurés, chapitres, évêchés. Il y avait aussi des laïques qui jouissaient des dîmes dites inféodées, c'est-à-dire celles où le clergé n'avait aucune part, les paroisses ou chapitres ayant été obligés de les aliéner] comme nous l'avons dit plus haut. Aussi le clergé paroissial liera-t-il tout d'abord son sort à celui du Tiers-Etat, ayant tout à gagnera un nouvel ordre  de choses tandis que le haut clergé et la noblesse, tous deux privilégiés, se soutenant mutuellement jusqu'à la fin, seront unis dans la lutte pour le maintien d'une situation dont ils possédaient tous les avantages financiers et honorifiques.

III.

Délégués par toutes les villes de la Bretagne, de nombreux membres des municipalités avaient, plusieurs jours à l'avance, accompagné leurs députés à Rennes, afin de se concerter, eux aussi, et d'arrêter les bases sur lesquelles ces députés devaient agir aux Etats ainsi que l'ensemble de leur cahier des charges.

Celui-ci était l'expression formelle de la volonté du Tiers-Etat en Bretagne. En voici le résumé :

Extinction absolue de la corvée ; abolition du tirage au sort pour la milice de terre, de mer et des côtes ; répartition égale des impôts entre les trois ordres ; élection du président du Tiers, par son ordre seul, et qu'il ne fût ni noble, ni anobli, ni privilégié ; admission aux Etats des recteurs [Note : Avant la Révolution le mot curé signifiait vicaire ; le titulaire de la paroisse s'appelait toujours recteur. C'est lui qui avait droit aux bénéfices de la paroisse : son vicaire, que l'on appelait heure, était à la portion congrue, comme nous l'avons dit ci-dessus] des villes et des campagnes, pour députés élus par leurs pairs : composition du Tiers, en raison d'un député par dix mille habitants ; égalité d'honneurs entre les dignitaires du Tiers et ceux des autres ordres ; répartition égale et proportionnelle des fouages (impôt sur chaque feu ou ménage roturier) entre les trois ordres ; remplacement de la corvée par une contribution égale et proportionnelle de ceux-ci, dans la ville et dans les campagnes ; impôt sur les chiens de chasse, les voitures, les laquais, les gens d'affaires et les financiers ; admissibilité du Tiers dans les tribunaux, les emplois, les offices  enregistrement au Parlement de l'ordonnance en 1768, qui augmente les portions congrues ; création d'un fonds pour assurer, dans les villes, le passage des troupes et délivrer le pauvre du logement militaire etc. (Ogée, Dictionnaire de Bretagne, notes de la deuxième édition).

Voilà les réformes, utiles et justes, on en conviendra, que nos pères demandaient à cette époque. Leur réclamation était l'expression des voeux de la bourgeoisie et du peuple, dans la France entière à la veille de la Révolution ; et l'on a peine à comprendre, de nos jours, que l'on en fût encore à solliciter ces réformes en 1788.

Tels sont les sujets dont l'étude faisait le fond des délibérations du Tiers, réuni à Rennes quelques jours avant la tenue des Etats de 1788-1789. Non contents de s'assembler comme la noblesse, dans des demeures particulières, les membres du troisième ordre se réunissaient aussi dans des lieux publics, et même au milieu de la foule, sur la place du Palais, près de l'hôtel de ville, et autour du café de l'Union, devant la statue équestre de Louis XIV. Soutenu et assisté par les corporations, les jeunes gens des écoles, particulièrement de l'Ecole de droit, et le peuple de Rennes, c'est au milieu du peuple lui-même que le Tiers commentait et discutait ses projets et ses prétentions.

Aux approches du grand jour les cahiers du Tiers furent cérémonieusement déposés au greffe de la municipalité qui, pour la dernière fois, développa dans les rues de la bonne ville de Rennes le cortège majestueux de ses échevins aux longues robes et aux toques de velours, accompagnés de hérauts d'armes aux cottes pailletées d'or, aux clairons retentissants.

Le 28 décembre, ce fut le tour des hérauts des Etats, aux riches costumes de velours, brodés d'hermines et de fleurs de lis, coiffés de leurs énormes chapeaux aux plumes flottantes, et qui, montés sur des chevaux caparaçonnés de housses traînantes, en drap d'argent, brodées aussi de lis et d'hermines, annoncèrent à son de trompe, dans tous les carrefours de Rennes, l'ouverture solennelle des Etats de Bretagne.

Une grande salle du couvent des Cordeliers avait été disposée pour la tenue des Etats. Les immenses cloîtres de ce superbe monastère, perdant, pour quelque temps, leur silencieux recueillement, étaient envahis par de nombreuses boutiques d'objets de luxe que déjà assiégeaient d'élégants acheteurs. La place du Palais et les rues environnantes s'animaient d'allées et venues continuelles ; carrosses, chaises à-porteur, domestiques aux brillantes livrées, circulaient pour le service de leurs maîtres.

IV.

Enfin le 29, les trois Ordres, leurs présidents en tête, se rendirent séparément à la salle des Etats de Bretagne. Les évêques et les abbés portaient robes violettes et rochets brodés, leur croix d'or au cou, la mitre au front. Les nobles, l'habit à la française avec le catogan poudré et l'épée à la ceinture. Ils étaient précédés de la maréchaussée, officiers et trompettes en tête.

Le Tiers, en habits et manteaux noirs, avec jabots de dentelle, bas de soie et souliers à boucles, était précédé seulement par les hérauts.

Le comte de Thiard, gouverneur de la province, présidant les Etats au nom du Roi, avait revêtu le grand uniforme de lieutenant général. Ce fut lui qui prit place dans le riche fauteuil, élevé comme un trône, au sommet du théâtre dont nous avons donné par ailleurs la description, sous l'énorme dais violet et blanc, semé de lis et d'hermines. Autour et derrière lui, sur les marches, se rangèrent ses pages, son capitaine des gardes, son secrétaire et ses gentilshommes, tous richement vêtus de soie et de velours brodés d'or et d'argent.

Monseigneur de Girac présidait le clergé, le comte de Boisgelin la noblesse et M. Borie, sénéchal de Rennes, était président du Tiers-Etat.

Les membres des Etats, en 1788, étaient au nombre de neuf cent-soixante-cinq pour la Noblesse, trente pour le Haut-Clergé (le bas Clergé n'étant pas représenté) et quarante-deux pour le Tiers. On voit, par cette écrasante disproportion entre le chiffre des membres de la Noblesse et celui des deux autres Ordres, combien les réclamations du Tiers étaient fondées !.

La première séance fut, selon l'usage, consacrée au cérémonial, à la réception des commissaires du Roi, au discours du Président, à la vérification des pouvoirs. Le lendemain les trois Ordres allèrent processionnellement à la messe du Saint-Esprit, en revinrent de même, au milieu d'une affluence considérable, et commencèrent leurs travaux par le vote du don gratuit et le renouvellement des fermes [Note : La ferme des devoirs (droit sur les boissons) appartenait en propre aux Etats. Ils l'affermaient à chaque tenue pour deux années à dater du 1er janvier. Le don gratuit était, comme nous l'avons vu, la somme votée en faveur du Roi à chaque tenue d'Etats]. Le Tiers avait décidé de donner au Roi cette marque de confiance mais son énergique volonté de faire prévaloir ses revendications n'en était pas moins résolue et allait bientôt se manifester. Une fois les deux votes émis M. Borie se lève et s'adressant à la noblesse et au clergé : « Messieurs, dit-il, vous n'irez pas plus loin sans nous entendre ». Et il propose de mettre en délibération les griefs de son Ordre. C'était la déclaration de guerre, l'ouverture d'une lutte qui devait être âpre de part et d'autre.

Le Clergé et la Noblesse demeurent sourds et ne s'occupent que des commissions intermédiaires, Le 31, le Tiers renouvelle ses sommations, refus des autres ordres qui passent à la chiffrature des registres.

M. Borie déclare, au nom du Tiers, que celui-ci ne votera rien qu'il n'ait obtenu attention et satisfaction. Une enthousiaste acclamation, partie des tribunes du peuple, vient encourager le Tiers dans sa résistance. Celui-ci refuse de parapher les registres, tant qu'on n'aura pas fait droit à ses réclamations ; de plus, ceux de ses membres qui faisaient partie de la commission intermédiaire donnent immédiatement leur démission.

Refuser la chiffrature des registres, c'était, comme on l'a vu plus haut, frapper d'illégalité, et partant d'impuissance, toute délibération des Etats : telle était la tactique du Tiers.

En vain s'efforça-t-on de vaincre cette résistance, en vain les commissaires du Roi parlèrent-ils au nom du souverain, le Tiers, n'écoutant ni prières, ni menaces, demeura inébranlable.

Impuissants devant cette inertie, le Clergé et la Noblesse dépêchent un courrier au Roi, le 1er janvier 1789. En réponse, le 9, un arrêt du Conseil d'Etat enjoint à l'Assemblée de se dissoudre immédiatement ; et, ajournant la tenue des Etats au 3 février, renvoie les députés du Tiers devant leurs commettants pour faire renouveler leurs pouvoirs, chacun dans sa ville.

Le Tiers obéit sur-le-champ ; mais la Noblesse, moins docile, demeure et se déclare en permanence. Le chevalier de Guer lui propose, ainsi qu'au Clergé, de faire le serment de ne pas siéger dans une assemblée qui serait formée sur d'autres bases que celles jusqu'alors en vigueur. Ce serment est prononcé d'une voix unanime et tous s'engagent, en outre, à ne « représenter la Noblesse aux Etats généraux, qu'en vertu d'une élection faite dans l'Assemblée nationale de la province ». Le Clergé et la Noblesse adressent de plus un mémoire collectif au Roi.

Cependant les communautés s'assemblent, selon l'ordonnance royale, pour renouveler les pouvoirs des députés du Tiers. Prévoyant qu'ils allaient revenir plus forts et plus résolus encore qu'auparavant, la Noblesse appelle à son aide le Parlement qui, en dépit des ordres du Roi, défend toute assemblée des communes. La magistrature y gagne de partager, aussitôt, l'impopularité de la Noblesse et les assemblées n'en deviennent que plus nombreuses et plus ardentes. Le Parlement pouvait-il faire respecter son autorité au moment même où il violait celle du Roi ?.

La lutte fut bientôt des plus violentes. Engagée à coups d'arrêts, de députations à Versailles, de libelles et de pamphlets, elle devait sans tarder saisir d'autres armes de combat (J. Baudry).

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