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 SAINT-CLAIR - Premier évêque de Nantes

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I

Mgr Richard a remis en lumière, dans ses notices sur les Saints de l'Eglise de Nantes, l'éphéméride que le Grand Chantre de la cathédrale notait, à l'Ordinaire de 1263, sous la date du 10 octobre : « Fête du bienheureux Clair, évêque et confesseur. Ce saint fut le premier évêque de l'Eglise de Nantes, qui, envoyé par le Pontife romain à cette même Eglise, apporta avec lui le clou que saint Pierre avait à la main droite durant son martyre, et que nous avons en grande vénération »

Voilà, à peu de choses près, tout ce que nous savons sur saint Clair. Les anciens bréviaires manuscrits, échos d'une tradition constante, ajoutent qu'après avoir établi son siége à Nantes, bâti en l'honneur des Apôtres saint Pierre et saint Paul un oratoire dont la cathédrale actuelle occupe l'emplacement et déposé dans cet oratoire le clou qui perça la main du pécheur de Galilée, saint Clair, accompagné de son diacre Déodat, évangélisa les contrées qui sont devenues depuis les diocèses de Vannes et de Rennes. 

Pendant longtemps Vitré a soutenu que, dès l'an 72, saint Clair y avait prêché la foi nouvelle, et avec tant de succès, que les habitants avaient immédiatement transformé les sanctuaires païens en églises chrétiennes ; le temple de Pan serait ainsi devenu l'église de la Trinité (plus tard la chapelle des Augustins), et le temple de Cérès, l'église Notre-Dame. M. de la Borderie, auquel j'emprunte ces détails, conteste absolument — il a toute autorité pour cela — l'exactitude d'une légende qu'il croit fabuleuse de tous points et historiquement insoutenable. 

Mais l'inexactitude de certaines dates et de quelques détails n'en laisse pas moins subsister la certitude que saint Clair a semé les vérités évangéliques dans toute la haute Bretagne. L'Eglise de Vannes est aussi affirmative sur ce point que celle de Nantes. Non­seulement Réguiny (commune du canton de Rohan, entre Pontivy et Josselin) montre le tombeau et la fontaine de saint Clair ; le village de Kerbellec (mot à mot : la maison du prêtre) est encore indiqué comme le lieu où il résida, et les paroisses des environs, dédiées aux Apôtres Pierre et Paul, comme la cathédrale de Nantes et l'église de Réguiny, s'honorent de devoir leur fondation au même missionnaire. 

II

Mais notre saint Clair n'aurait-il point porté ailleurs l'Evangile ? N'aurait-il point arrosé le midi de la France de ses sueurs et de son sang ? Dom Aurélien, des Célestins de France, qui a si intelligemment étudié les origines apostoliques des Eglises des Gaules, répond : Non. Il dit, dans une note communiquée à Mgr Guérin : « La prétention du P. Papebrock, de confondre saint Clair d'Albi et de Lectoure avec saint Clair de Nantes, ne saurait tenir en présence des monuments liturgiques de l'Eglise de Nantes. Tandis que Lectoure montre encore le lieu traditionnel du martyre de son Apôtre, Nantes place à Réguiny, paroisse du diocèse actuel de Vannes, le lieu où mourut saint Clair, son premier évêque-confesseur ». Ajoutons que, pour entrer dans l'opinion du P. Papebrock, il faudrait, ou bien reculer de plusieurs siècles l'apostolat de saint Clair de Nantes, ou bien avancer d'autant celui de saint Clair d'Albi ; ce que l'histoire de ces deux Eglises rend également impossible. 

La qualification de martyr, donnée à saint Clair par d'anciens monuments, a pu occasionner cette confusion, à l'origine ; mais elle ne signifie rien : ces qualifications n'ont pas toujours eu le sens précis que nous leur donnons, avec l'Eglise, aujourd'hui. Ainsi, à l'époque où Joinville terminait son histoire de saint Louis, il écrivait (en parlant de la canonisation de son maître par Boniface VIII, en 1297), que la bulle attribue au nouveau saint le rang de Martyr Confesseur. Aux premiers temps de l'Eglise, les martyrs seuls reçurent l'honneur de la canonisation, et leur titre fut conservé pendant des siècles pour désigner les saints confesseurs qui leur furent adjoints, quand saint Martin de Tours en eut ouvert la glorieuse liste. Tous ne sont-ils pas également les « témoins » du Seigneur, les uns par le sang, les autres, comme saint Clair, par la parole et par l'exemple ?

III

L'identité de saint Clair bien constatée, reste maintenant à savoir quelle fut la date de son apostolat. 

M. l'abbé Flohy, recteur de Mauron, a déchiffré l'inscription mutilée qui entoure le tombeau vénéré à Réguiny. Cette inscription laisse lire que saint Clair mourut en ce lieu, l'an 96. Bien que postérieure de beaucoup au décès de saint Clair, évidemment cette inscription n'en est pas moins un très-ancien et très-considérable témoignage. Albert le Grand assigne cette même année à l'entrée au ciel du premier évêque de Nantes, et, malgré les critiques souvent sans mesure de dom Lobineau, il est certain que le dominicain de Morlaix n'écrivait pas à l'aventure. Il recueillait avec soin les traditions ; il compulsait des manuscrits présentement disparu ; et, sans éviter assurément des erreurs, il en commettait notablement moins qu'on ne l'a dit. 

Différents auteurs, comme l'abbé Deric et Ogée, font aussi mourir saint Clair l'an 96 ; d'autres, au contraire, fixent au second, au troisième (275) et même au début du quatrième siècle (à 309) la date de son décès : sur quelles données ? Je l'ignore. Le nom du pape qui renvoya en Armorique est forcément inconnu, au milieu de ces hésitations. 

Mgr l'archevêque de Larisse, dont on connaît la précision et la judicieuse critique, a parfaitement résolu la question. Il fixe « l'arrivée de saint Clair à la fin du premier ou au commencement du second siècle de l'ère chrétienne, et rattache ainsi son apostolat à la prédication primitive de l'Evangile dans les Gaules. Les monuments les plus anciens de notre histoire religieuse locale, les suffrages des hommes les plus versés dans les études historiques et hagiographiques sont venus confirmer cette tradition, conservée invariablement par nos pères et qui n'avait été abandonnée momentanément qu'à la fin du XVIIIème siècle, sous l'influence de la critique trop souvent incrédule de cette époque ». S'il ne fut pas directement disciple des Apôtres, saint Clair dut au moins les connaître, et notre foi se rattache ainsi à l'enseignement même du Sauveur. La mission que notre premier évêque reçut du Pontife romain à l'aurore du christianisme est un des arguments employés par les écrivains ecclésiastiques contemporains, pour établir l'apostolicité de nos Eglises de France. 

Le siége de Nantes serait dès lors, et de beaucoup, le plus ancien de la Bretagne, et notre catholique province devrait à saint Clair la première connaissance de la foi, qu'elle garde avec tant de fidélité et d'honneur. En effet, toute respectable qu'elle soit, la tradition qui fait remonter l'Eglise de Rennes aux prédications de l'Evangéliste saint Luc dans nos pays paraît, sinon fausse, au moins vague et peu certaine. 

Comme le faisait remarquer récemment M. l'abbé Teulé, autant on suspectait, au dernier siècle, les antiques souvenirs des Eglises, autant on est enclin, aujourd'hui, à les étudier, avec circonspection sans doute, mais aussi avec respect. On est surtout heureux de pouvoir admettre tout ce qui rattache nos premiers évêques à saint Pierre et à ses successeurs immédiats. 

IV

Il serait difficile maintenant d'écrire une notice sur saint Clair sans parler de son tombeau à Réguiny : c'est ce qui est arrivé cependant, dans cette Revue, et il y a peu d'années, à un prêtre du diocèse, aussi renommé par son éloquence que par son esprit. Le pieux auteur ignorait la tradition constante de son Eglise sur ce point ; il l'avoua plus tard à un ecclésiastique éminent, né à l'ombre du tombeau de saint Clair. 

Ce tombeau, bien oublié, il faut le dire, dans le diocèse de Nantes, semble, dans celui de Vannes, se revêtir depuis quelques années d'une splendeur nouvelle. « La solitude refleurit », pour parler comme l'Ecriture. L'an dernier (1875), plus de dix mille pèlerins ont célébré le 10 octobre à Réguiny ; une foule à peu près aussi nombreuse s'y est trouvée cette année (1876). J'ai eu le regret de représenter seul, et très-indignement, la postérité spirituelle de notre bienheureux évêque. 

A toutes les époques, la fête de saint Clair a été chômée dans la paroisse de Réguiny, même lorsque le 10 octobre ne tombe pas un dimanche. Depuis que cette fête a pris une plus grande extension, ou mieux, depuis que son ancienne popularité s'est renouvelée, les premières vêpres et la veille de la fête sont réservées à la paroisse ; le lendemain, aux étrangers. 

Les deux jours, à l'issue des vêpres, a lieu une procession solennelle, où l'insigne relique de saint Clair est portée sur un brancard par des prêtres en dalmatiques. Le 10, les paroisses voisines viennent, leurs recteurs en tête, assister aux offices — qui se terminent par un feu de joie — et s'en retournent le soir, toujours en procession. Ces deux dernières années, l'affluence des pèlerins a nécessité la célébration de la messe en plein air, sur une estrade. Mgr l'évêque de Vannes a délégué, pour présider la cérémonie, l'un de ses vicaires généraux. Assurément cette petite paroisse fait plus, pour honorer son apôtre, que la grande Eglise de Nantes.

V

C'est qu'aussi, Réguiny garde la fontaine, la tombe et le chef de saint Clair. 

Et d'abord, la fontaine. — Il est bien rare que chaque saint, en Bretagne, n'ait pas la sienne. Celle qu'on montre à Réguiny est à un kilomètre du bourg, environ, voisine de Kerbellec et située en 1876 sur la propriété de M. Dahirel. Une assez lourde construction en granit la recouvre : au fond est la statue de l'évêque. Une piscine, destinée aux ablutions des malades, reçoit le trop-plein des eaux. 

S'il fallait, en dehors des affirmations de nos plus anciens monuments liturgiques et d'une tradition constante, chercher des preuves de l'identité de saint Clair, premier évêque de Nantes, et de saint Clair, honoré à Réguiny, nous trouverions certainement la date de sa fête (assignée de tout temps au même jour, 10 octobre, à Nantes comme à Vannes) ; nous trouverions ensuite le vocable des Saints Apôtres sous lequel sont encore et la cathédrale de Nantes et les églises des environs de Réguiny fondées par saint Clair ; nous indiquerions enfin la croyance, commune aux deux diocèses, que Dieu guérit les maux d'yeux par l'invocation de saint Clair.

Cette croyance a trouvé, à Nantes, son expression dans la belle oeuvre d'Hippolyte Flandrin, exposée à la cathédrale (le vitrail voisin réunit tout ce qu'il faut de défectuosités pour faire ressortir, par comparaison, les beautés du tableau) ; l'office de saint Clair offre, à chaque ligne, des allusions à la même tradition. Nous avons là, sans doute, le souvenir de guérisons miraculeuses opérées par l'apôtre durant sa vie, probablement au début de ses prédications ; c'est aussi peut-être un symbole de la lumière dont il est venu éclairer ceux qui « étaient assis dans les ténèbres et à l'ombre de la mort ». Comment celui qui alluma, pour éclairer les intelligences, le flambeau de la foi, ne rendrait-il pas la vue aux yeux éteints ? L'oraison de son office demande à Dieu « d'éclairer les ténèbres de nos coeurs par l'intercession de celui qui illumina les aveugles »

Réguiny, l'eau de la piscine est l'instrument de guérisons, souvent renouvelées, dont quelques-unes ont été constatées régulièrement. J'ai vu des pèlerins suivre la procession, un cierge à la main, en signe de miracles et d'actions de grâces. 

M. Dahirel veut bien laisser aux pèlerins, pour parvenir à la fontaine, le plus gracieux accès. Un petit étang, entouré de belles futaies, dort au bas de la prairie où se trouve la source. C'est dans une île en miniature, au milieu de l'étang, qu'on allume le feu de saint Clair, aux lieux même où il venait puiser l'eau qui ouvrait aux catéchumènes le sein de l'Eglise et les portes du ciel. La flamme de ce bûcher est symbolique : avant d'être un signe de joie, c'est l'image de la foi ardente de l'évêque et de l'éclatante lumière de la vérité qu'il a fait, le premier, luire parmi nous. 

VI

N. Aurélien de Courson, qui ne parait pas avoir étudié, au moins à fond, la biographie de saint Clair et l'époque de sa mission, a donné, du tombeau de notre évêque, cette description sommaire : « Le tombeau de saint Clair, l'apôtre du pays nantais, se voit dans une petite chapelle, dite de saint Clair, près de l'église paroissiale de Réguiny (dans le cimetière)..... Sa statue, en costume d'évêque, avec la mitre et la crosse, est couchée sur une pierre plate supportée par quatre petits piliers polygonaux, qui reposent sur un socle peu élevé »

Le tout est entouré d'une grille en fer, rompue en quelques endroits et retenue par des bouts de ficelle, tout simplement. L'ensemble et les détails n'ont rien, malheureusement, qui soit digne du grand missionnaire dont le corps fut déposé en ce lieu. La table de pierre a eu, autrefois, une épaisseur double au moins de celle qu'elle présente aujourd'hui : on a, en effet, profité de cette épaisseur pour y sculpter assez grossièrement, en demi-relief et à une époque relativement récente, la statue dont parle M. de Courson, statue d'évêque, couchée, la tête à l'orient. 

Une inscription gravée au pourtour de la pierre a été, par ce travail, coupée dans sa hauteur. Elle subsiste pourtant, encore assez matière, ainsi que je l'ai dit, pour que des archéologues aient pu y déchiffrer, il y a quelques années, le nom de saint Clair, ses qualités et la date de sa mort. L'effigie du saint a été mutilée pendant la Révolution et la tête a reçu des coups de sabre. 

Ce tombeau est bien loin de remonter à la mort de saint Clair : le costume seul, donné par le sculpteur à l'évêque, l'indique assez ; mais nous savons que cette sculpture est elle-même postérieure à l'édification da monument. Mon ignorance en pareille matière m'empêche d'assigner, même approximativement, un âge à cette tombe. D'ailleurs, ainsi que N. de Fréminville l'a remarqué à propos du monument de saint Renan, dans l'église de Locronan, « les tombeaux antérieurs à l'an 900, même ceux des plus grands personnages, n'étaient que de simples cercueils de pierre, en forme d'auge, sans aucune espèce d'ornements ni de sculpture, si ce n'est quelquefois une simple croix grossièrement gravée »

A Réguiny on remarque, au niveau du pavé et entre les piliers polygonaux qui soutiennent la pierre actuelle, une dalle usée, quadrangulaire, plus étroite à une extrémité qu'à l'autre et de la dimension d'un cercueil ordinaire. Je la comparerais à la partie supérieure des tombes de saint Gildas, de saint Félix et de saint Goustan, qui sont dans l'église abbatiale de Rhuys, si elle n'était à peu près plate. On peut y distinguer encore, en relief, une croix assez mal ébauchée, usée sans doute par les genoux des pèlerins. Il est facile d'y reconnaître le couvercle du tombeau primitif, où les pieds étaient tournés à l'orient. 

Que recouvre cette pierre ? peut-être un trésor : le cercueil où fut déposé saint Clair et une partie de ses reliques, comme il était d'usage autrefois d'en laisser dans les sépulcres, quand on levait solennellement les corps saints (c'était la forme de canonisation usitée aux premiers siècles et longtemps observée) ; peut-être aussi rien du tout : la déception de l'abbé Tresvaux, quand il fit ouvrir le tombeau de saint Efflam, doit nous prémunir contre une trop ferme espérance. 

Enfin, s'il arrivait que cette tombe fût un jour recouverte d'un monument plus digne de saint Clair et des trois catholiques diocèses qu'il a évangélisés, espérons qu'avant de commencer les travaux, on serait autorisé par l'évêque de Vannes à faire, dans le sol, quelques recherches, dussent-elles demeurer sans résultat. 

C'est donc là, sans doute possible, que fut déposé le corps de l'Apôtre, quand Dieu l'appela, après tant de travaux, au repos et à la gloire ; c'est là que le diacre Déodat confia son corps, temple de l'Esprit-Saint, à la terre ; c'est là que des générations, toujours fidèles à sa mémoire, l'ont invoqué depuis, sans interruption. Dieu veuille que le chemin de ce sanctuaire, si cher aux Nantais autrefois, leur redevienne familier ! 

Si la restauration du tombeau réclame leurs aumônes, la chapelle qui le garde est pauvre aussi ; transformée en écurie pendant la Révolution, elle s'est relevée de cette profanation, mais à grand peine. Quoique propre, sans doute, et convenable à la rigueur, elle est bien modeste. 

Au midi de cette chapelle, dans le cimetière, j'ai remarqué une très-ancienne croix, assez petite, fixée au sommet d'un fragment de rocher qui affecte la forme d'un peulven : est-ce le souvenir ou le reste de celle que saint Clair vint substituer aux sanglants monuments de l'époque préhistorique ? 

VII

Après la fontaine de saint Clair et son tombeau, parlons de ses reliques. 

On prétend, à Nantes, qu'elles sont toutes perdues ; qu'elles furent, quelques siècles après la mort de saint Clair, transférées de Réguiny à Nantes ; qu'en 878, pour les soustraire à la fureur des Normands, on les porta à Angers, dans l'église de l'abbaye de Saint-Aubin, où elles furent conservées dans une châsse de vermeil jusqu'à la Révolution ; qu'à cette époque, elles furent profanées et détruites. — A ce récit on ajoute que le chef de saint Clair et son anneau furent, jusqu'à la même date, honorés dans la Cathédrale de Nantes, où ils seraient revenus d'Angers ; quand ? comment ? on l'ignore. 

La tradition constante de l'Eglise de Vannes contredit, en partie, ces faits ; elle admet, faute de preuves contraires, la translation à Nantes et à Angers, mais avec cette restriction : que le chef demeura à Réguiny, où il est encore, et un bras dans la chapelle de l'Hospice, à Josselin, où il est toujours honoré, dans le sanctuaire, près de l'autel. 

Quant à la légende locale, elle est fort curieuse. — D'après elle, il y aurait eu, à une époque non désignée, un combat acharné entre les Nantais et les habitants de Réguiny, pour la possession du corps de saint Clair. — Le fait en lui-même n'aurait précisément rien d'invraisemblable : il s'est souvent produit, aux siècles de foi, ainsi que les vols de reliques ; et saint Convoyon a bien soustrait, au neuvième siècle, pour l'emporter à son  abbaye de Redon, le corps de saint Apothème, évêque d'Angers, comme les moines de Vertou enlevèrent à leurs frères de Durivum celui de leur père commun, saint Martin. Pour les corps saints disputés les armes à la main, on ne les compte pu. Nous admettons donc facilement qu'il a pu y avoir, à un moment quelconque, querelle, bataille même, si l'on veut, entre Nantes et Réguiny. 

Mais voici où le merveilleux intervient. — Toujours d'après la même légende, les Nantais, demeurés vainqueurs, auraient chargé les reliques sur un chariot et réussi à sortir du cimetière qui entoure la chapelle. Arrivés à un chemin creux qui borde ce cimetière au midi, en face de l'antique croix dont j'ai parlé, voilà les boeufs qui traînaient le chariot arrêtés net au beau milieu d'un bourbier ! Le combat recommence, sans que, malgré cris et coups, les boeufs puissent faire avancer le véhicule ; ils font, tant qu'on le veut, des pas en arrière ; en avant, pas un seul. Ce que voyant, et de guerre lasse, les Nantais coupent l'index de la main droite de saint Clair, et regagnent leur pays.

La querelle dont cette légende fait foi s'était-elle terminée par la concession à la Cathédrale de Nantes de l'anneau qu'on y a vénéré jusqu'en 1792 (et de quelque autre relique notable) ? C'est probable. Voilà sans doute la part de vérité contenue dans cette légende. « A mon sens, disait M. Guizot, il y a souvent plus de vérités à recueillir dans ces récits où se déploie l'imagination populaire, que dans beaucoup de savantes dissertations ». Le bon sens parle de même. Quant au miracle du chariot stationnaire et des boeufs, il n'a rien assurément que des catholiques ne puissent admettre. La vie des saints et l'histoire de leurs reliques en offrent d'identiques à chaque page, depuis le corps de saint Martin, évêque, remontant la Loire en bateau, pour regagner Tours, sans le secours des rameurs, jusqu'aux prodiges qui ont accompagné, il y a peu d'années, au milieu d'un siècle de doute et de critique, la translation des reliques de sainte Philomène. L'Italie tout entière a vu ces prodiges et le monde en a retenti. 

VIII

Mais le chef ? — C'est ce que l'Eglise appelle une « relique insigne », c'est la partie d'un corps saint qu'on honore le plus, qu'on entoure de plus de soins et de respect, comme la partie la plus noble de l'homme, le siége de l'intelligence. Dans saint Clair, c'est le front même où furent imposées les mains apostoliques. — Celui qu'on présente à nos hommages, à Réguiny, est-il bien le chef de saint Clair ? 

La tête est petite ; sauf l'os maxillaire inférieur, elle est intacte ; les sutures du crâne sont ossifiées, comme on le remarque chez les personnes âgées. Ces os n'offrent point l'apparence pulvérulente que tant de siècles auraient dû leur donner et qu'on observe dans le chef de saint Hermeland, par exemple, ou dans celui de la bienheureuse Françoise d'Amboise ; ils ont au contraire un aspect poli et luisant qui semble, au premier abord, inexplicable, et qui n'a cependant rien que de fort naturel. Jusqu'aux années dernières, en effet, deux fois par année on plongeait ce chef dans l'eau et cette eau était distribuée aux malades. En le retirant de l'eau, on essuyait soigneusement le chef et il doit son apparence marmoréenne à ces frictions réitérées. N. Motel, recteur de Réguiny (vers 1876), — dont le zèle pour le culte de saint Clair n'a d'égal que celui de M. l'abbé Bihel, son vicaire, — a fait cesser cette coutume abusive. 

D'après une tradition que l'Eglise de Vannes a adoptée et qui parait inattaquable, le chef de saint Clair n'aurait jamais quitté Réguiny. Depuis des siècles, au moins, sa présence y est constatée de la manière la plus formelle. Ce culte ininterrompu doit suffire, si Tertullien dit vrai : Traditio est, nihil quœras amplius. Mais, quoi qu'en ait dit Calvin dans son Traité des Reliques, l'Eglise a toujours veillé avec un soin scrupuleux, devenu plus grand aujourd'hui que jamais, à ce que la dévotion des fidèles se portât exclusivement sur des reliques absolument certaines. Seulement, les formes des précautions ont varié avec le temps, et s'il fallait exiger pour les anciennes reliques, les sceaux et les authentiques sans solution de continuité, il n'y en aurait guère que l'on pût conserver, — je dis parmi les plus précieuses. C'est pour cela qu'après les profanations des Calvinistes, on fit subir, à beaucoup de reliques sauvées, l'épreuve du feu. 

Il ne faut donc pas, tout en gardant une prudence rigoureuse, la pousser à l'excès. Et, pour la relique qui nous occupe, s'il en est une qui soit en possession d'une authenticité non suspecte, c'est assurément celle-là. Qu'y-a-t-il d'invraisemblable à ce que, transférant soit à Nantes, soit à Angers, le reste du corps, on en ait laissé une partie considérable, et la plus précieuse, au lieu d'origine ? C'est encore ce qui a lieu aujourd'hui. Cette relique n'a point voyagé comme l'aurait fait celle qu'on honorait à Nantes, pour parvenir, après beaucoup de vicissitudes, au trésor de la Cathédrale. On la suit, dans son état actuel, depuis un temps immémorial, jusqu'au 9 octobre dernier. Ce jour-là même, après avoir pris les précautions minutieuses prescrites par l'Eglise, M. l'abbé Flohy, vicaire général de Mgr Bécel, a renouvelé l'authentique, en scellant le chef de saint Clair dans un nouveau reliquaire (Note : Voici le texte même de l'authentique : « …. Sacrum caput sancti Clari, episcopi nannetensis primi, in parochia vulgo dicta Reguiny defuncti, fideliter asservatum, ut es immemoriali nec interrupta traditione constat, necnon et per ultimi sœculi nefarias perturbationes mirabiliter custoditum... »). 

Ce reliquaire, en cuivre doré, trop modeste pour un si vénérable dépôt et surtout trop exigu — quoique fort suffisant, en attendant que la piété des Nantais en offre un autre, — remplace une ancienne tête en argent, vendue il y a quelques années. La conservation de cette tête et de la relique, pendant la Révolution, passe à Réguiny pour miraculeuse. On les avait cachées dans une maison du bourg, avec d'autres objets religieux sauvés du pillage. Des soldats qui faisaient une perquisition dans cette maison trouvèrent et profanèrent le reste. Ils ouvrirent aussi un coffre au fond duquel était le chef : la relique dut leur sauter aux yeux, et on devait d'autant moins s'attendre à la voir épargner, que la valeur vénale de la tête d'argent était assez considérable ; par bonheur, le couvercle du coffre, en retombant subitement, effraya les profanateurs et coupa court à leurs recherches. Corpora sanctorum in pace sepulta sunt, dit l'Ecriture. 

IX

Mais si le chef de Réguiny est authentique, celui que l'on honorait à Nantes avant la Révolution était donc apocryphe ? 

S'il fallait absolument choisir entre les deux, nous opterions sans hésiter pour celui de Réguiny. Son histoire est claire ; sa possession d'état, séculaire ;  il n'a point voyagé. Celui de Nantes est loin d'être dans le même cas : on ne pourrait ni produire sa description et l'historique de sa translation, ni indiquer la date précise de son arrivée à Nantes ou seulement de sa destruction. Au moins n'ai-je pu obtenir aucun renseignement sur ces points, en m'adressant cependant à des hommes compétents, versés dans notre histoire religieuse locale. — Mgr Richard, peu suspect ici, et attaché autant que personne aux traditions nantaises, a vénéré lui-même et reconnu le chef de Réguiny. 

Le pieux et savant prélat a-t-il pour cela insinué qu'on avait jadis honoré à Nantes une fausse relique ? Pas nécessairement. Personne n'ignore, en effet, que dans les inventaires de reliques possédées par les Eglises, on désignait souvent sous les titres : Corps de saint X, ou : Chef de saint A, une partie seulement du corps ou du chef de ces saints. Ce sont justement ces désignations, sinon fausses au moins incomplètes, — autant que sa mauvaise foi et son imagination, — qui ont amené Calvin à prétendre que le corps d'un même saint était honoré parfois en cinq ou six lieux différents. Vers 1876, à Toulouse, à la procession des corps saints, on porte des bustes nommés : chef de saint Y, ou de saint Z, dans lesquels sont enfermées des parties, souvent des parcelles, du chef de ces saints. Je pourrais citer à l'infini des exemples analogues. Si l'on prenait ces désignations à la lettre, il faudrait admettre, par exemple, que le chef de saint Thomas d'Aquin, qui est à Saint-Sernin, est en même temps, également authentique, à Fosseneuve (abbaye Cistercienne où mourut le Docteur angélique). 

J'incline donc à penser que ce qu'on appelait, à Nantes, chef de saint Clair, était tout simplement l'os maxillaire qui manque à Réguiny, et que ce maxillaire, enchâssé dans un buste et non vérifié pendant longtemps, a passé, par une illusion volontaire ou involontaire, pour la tête tout entière. 

X

J'oserai alors dire, d'accord avec l'Eglise de Vannes, que Mgr Richard a commis une erreur, en écrivant : « On garda jusqu'à la Révolution, dans la Cathédrale de Nantes, le chef ou plutôt une partie du CRANE de saint Clair ». Malheureusement, cette erreur a trouvé place dans le propre de Nantes, aux leçons de l'office de saint Clair : CAPUT ipsius, y lisons-nous, una cum annulo ejus pastorati, in ecclesia cathedrali nannetensi, usque ad tempora perturbationis Galliœ in fine sœculi decimi octavi, honestissime servabatur

Mgr Bécel sollicite pour son diocèse la concession de l'office de saint Clair, avec le propre nantais ; si la S. Congrégation des Rites ne modifie rien à la rédaction que je viens d'indiquer, le clergé de Vannes récitera désormais une leçon qui contredit absolument l'une de ses plus chères et de ses plus respectables traditions. La substitution de l'expression : pars capitis au mot caput me semblerait concilier les affirmations des deux Eglises, ces affirmations n'étant pas du tout, à mon sens, contradictoires. — Ai-je réussi à le prouver? 

C'est à raison précisément de cette difficulté liturgique, à raison aussi de l'importance de la relique, que je me suis arrêté un peu longuement sur la question d'authenticité du chef. Cette question, malgré sa réelle gravité, puisqu'elle touche à une partie fort délicate du culte catholique et qu'elle regarde tout ce qui subsiste, à peu près, de notre père dans la foi, intéressera peut-être peu de lecteurs. Ceux qui demeurent fidèles à la mémoire des saints ne croiront pas que ce soient là de petites choses, et ceux-là m'excuseront. L'essentiel, à mes yeux, c'est que saint Clair se souvienne auprès de Dieu que j'ai cherché à assurer l'authenticité de ses inestimables restes. 

Ce bon saint ne peut demeurer insensible à la recrudescence d'affection que le diocèse de Vannes lui témoigne à présent. Vannes ira, ce semble, plus loin que Nantes dans le culte de leur commun apôtre. Il en recevra la récompense. Dès maintenant, j'affirmerais volontiers que la paroisse de Réguiny, bonne et chrétienne entre toutes, doit à sa dévotion à saint Clair la piété qui distingue ses habitants. 

XI

Par la volonté de Dieu, les causes sont presque toujours pour nous un secret, et les moyens, un mystère : les effets seuls nous apparaissent. Le gland est enfoui, oublié, sous les racines du chêne sorti de lui. — De même saint Clair, père et fondateur d'Eglises florissantes après tant de siècles, nous est, comme nous venons de le voir, à peu près inconnu. Son nom ; celui de son diacre ; quelques circonstances qui peuvent se résumer en deux lignes ; une date incertaine ; une tombe et quelques ossements : voilà ce que nous savons et ce qui nous reste d'un homme qui changea la face de l'Armorique et enfanta à la foi les générations si fortement chrétiennes, qui portent fièrement, à une époque passablement effacée, le drapeau de la croix. 

Ce que nous connaissons le mieux, ce sont les fruits de l'apostolat de saint Clair. Même au point de vue purement humain, quelle gloire égale la sienne ? L'empire des plus illustres conquérants ne leur a guère survécu, quand il a même duré autant qu'eux ; les doctrines semées chez des barbares par un vieillard obscur, il y a tantôt deux mille ans, après avoir été toute la vie intellectuelle et murale de millions d'Armoricains morts avec la ferme croyance que ces doctrines sont la vérité même, font encore la gloire et la grandeur de notre race. 

Le plus récent et le plus illustre des biographes de saint Clair a remarqué que « l'Eglise, dans l'office des saints Pontifes, nous enseigne, avec l'un de ses docteurs, que tout ce qu'il y a de grâce et de vertu dans un peuple, vient de celui qui lui fut donné pour apôtre, comme les eaux bienfaisantes d'un fleuve découlent d'une source pure et limpide ». C'est donc par sa postérité spirituelle que nous pouvons juger saint Clair, et, sans parler des diocèses de Rennes et de Vannes, appelés par sa voix au culte de Jésus-Christ, aucune Eglise n'a été plus féconde que celle de Nantes. Sans compter la foule des élus sortis d'elle, et dont Dieu seul connaît les noms et le nombre, saints Donatien, Rogatien, Dulien, Dulcien, Gohard et ses innombrables compagnons, ont été, au prix de leur sang, les témoins de la foi que nous tenons de saint Clair. Saints Similien, Félix, Pasquier, Emilien, — sans doute Ennius et Odilard — peut-être même saint Mars, s'il faut en croire la tradition de Vitré, — ont honoré son siège par leurs vertus. Parmi les fils de la même Eglise, il faut citer encore saint Amand, évêque de Maëstricht, « le missionnaire infatigable qui évangélisa les Gaules et la Belgique, de l'Escaut aux Pyrénées » ; le patriarche saint Martin, grand voyageur aussi, fondateur de monastères, que l'Eglise de Poitiers, par la plume de dom Chamard, revendique en vain. Mais il est bien à nous, aussi bien que saint Benoît de Macérac, sainte Avénie, saint Hermeland, saint Victor, saint Vital, saint Friard, saint Secondel, et la dernière venue, notre bonne Duchesse, la bienheureuse Françoise d'Amboise. — Voilà les fruits de l'arbre planté à Nantes par saint Clair ; voilà son impérissable couronne, et plaise à Dieu que de nouveaux fleurons s'y ajoutent encore ! La foi qui nous est venue de Rome est plus chère que jamais au diocèse de saint Clair, et lorsqu'il a fallu des défenseurs au Saint-Siège, l'Eglise de Nantes n'a pas ménagé le sang de ses enfants. Joseph-Louis Guérin, Joseph Rialan (Note : Joseph Rialan appartenait au diocèse de Nantes par sa famille maternelle) et leurs nombreux émules en dévouement, continuent dignement la liste qui s'ouvre par les noms de saint Donatien et de saint Rogatien. 

En voyant son diocèse si fidèle à saint Pierre, — dont il a établi le culte parmi nous, en y apportant le clou qui perça la main droite de l'apôtre, — saint Clair doit nous pardonner un peu d'oublier son modeste tombeau et de laisser son chef sans hommages. — Le présent essai n'a pas d'autre but (ni d'autre excuse), que d'y ramener un instant l'attention.

(Robert Oheix - 1876)

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