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LES DERNIERS DES BOTDERU.

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Comment s'éteignit un vieux nom breton. — LES DERNIERS DES BOTDERU.

Hyacinthe Antoine Jean-Baptiste Victor du Botderu (fils de Jean-Baptiste-René du Botdéru et de Jeanne-Renée-Thomasse de Ploeuc) est un général et homme politique français né le 13 ou 15 novembre 1764 à Plouay (56, Bretagne) et mort le 6 juin 1834 à Plouay. Colonel de cavalerie, il émigra pendant la Révolution française, revenant d'exil sous le Consulat, et devint député du Morbihan de 1815 à 1816 et de 1820 à 1827, siégeant avec la majorité soutenant la Restauration. Il est nommé maréchal de camp en 1825 et devient pair de France de 1827 à 1830. Il vivait au château de Kerdreho en Plouay.

Nous reprenons notre récit au fils aîné de Jacques du Botdéru et de Agathe du Bois de Brûlé, qui apparaît elle-même comme la représentante autorisée d'une famille de chefs d'escadre dont elle était héritière par sa grand'mère paternelle, les Nesmond, et qui devait être à son tour l'aïeule de nouvelles dynasties maritimes.

Jean-Baptiste-René du Botdéru, né en 1726 à Hennebont, où il eut pour marraine Mme de Tinténiac, fut d'abord sous-lieutenant (1743), puis capitaine (1753), au régiment de son père, les Dragons de la Reine. Il ne semble pas que ce régiment ait pris part à la guerre de Sept Ans ; il se préparait seulement au départ, n'ayant fait jusque là qu'un service de garde-côtes dans les Flandres [Note : Le régiment fut d'abord cantonné à Ardres et à Calais, puis à Bergues et à Dunkerque, avant de prendre à Lille ses quartiers d'hiver au retour de la paix. « Les 1er et 3ème escadrons partent demain pour se rendre à Calais ; les 3ème et 4ème occuperont Ardres et Guines... toute notre auberge, composée des 1er et 3ème escadrons, vous fait un million de compliments. Nous aurons un détachement tous les huit jours à Dunkerque pour être embarqué dans les deux bateaux plats ; dites après cela qu'il n'est pas nécessaire de savoir nager » (Salornay à Botdéru, Douai, 9 juin 1762). Mais ces exercices préparatoires ne devaient pas être suivis de plus d'effets que ceux de Boulogne sous Napoléon. « Nous sommes toujours dans la même position, dix compagnies à Calais et six à Ardres, que je commande. On parle toujours de l'embarquement ; mais, que je ne voie des vaisseaux de guerre et arriver d'autres troupes, je n'en croirai rien » (Cabanes à Botdéru, Calais, 21 août 1762)] ; et ce ne dut pas être un regret pour la femme du lieutenant-colonel, car elle avait subi, comme tant d'autres Français, ce prestige extraordinaire qu'exerçait à distance Frédéric II par le moyen de ses amis philosophes et par la presse, qu'il s'entendait à manier en pays étranger, ainsi que l'ont maniée et même réglementée - ils l'avouent — ses successeurs [Note : En 1901-1902, un agent du Ministre des Affaires étrangères à Berlin disait à Sir Valentine Chirol, envoyé du « Times », que leur système de propagande se trouvait aussi savamment équipé, supérieurement organisé, que l'armée allemande même. « Elle a d'ailleurs », ajoutait-il, « l'avantage sur l'armée d'opérer en temps de paix comme en temps de guerre et en pays étranger comme à l'intérieur » (Quartelry Review, octobre 1914 ; pp. 429-430 ; voir encore avril 1915 : p. 148)]. « Le général Daun a battu à plate couture le général prussien Keith », écrit l'abbé du Botdéru, le 24 septembre 1757, « et les Russiens ont eu un autre avantage considérable sur un autre général prussien. J'en suis bien fâché pour Mme du Botdéru, car j'ai cru entrevoir qu'elle avait une furieuse passion pour ce supposé Salomon du Nord, qui n'est qu'un fou téméraire ». On approchait de la fameuse bataille de Rosbach, et l'abbé terminait sa lettre par des espoirs patriotiques qui ne furent malheureusement pas exaucés. « Le roi de Prusse, l'intime ami de Mme du Botdéru, a fait des sottises pour pouvoir avoir affaire aux Français. J'espère que nous l'en remercierons bien honnêtement » [Note : Il s'agit sans doute ici du combat de Moys remporté le 7 septembre 1757, par le prince Charles de Lorraine et l'armée du Maréchal Daun sur le prince de Bevern, obligeant ce dernier à reculer de Gorlitz sur Liegnitz, puis sur Breslau ; ce qui, joint à la victoire précédente (30 août) du général russe Apraxine sur le maréchal Lehrwaldt, inclina momentanément Frédéric à risquer des ouvertures de paix (Richard Waddington : La guerre de Sept Ans, Paris, Didot, II : 561-585 — Alfred Rambaud : Russes et Prussiens, guerre de Sept Ans, Paris, Berger-Levrault, 1895 : 85-106)].

La fin de la guerre permit au capitaine du Botdéru d'offrir sa démission et de s'établir en mariage .... En janvier 1763, il épousait Jeanne-Renée-Thomase de Plœuc, fille de Thomas, marquis de Plœuc, seigneur du Guilguiffin en Landudec, et de dame Françoise de Kervenozaël. Née en 1737, Thomase de Plœuc avait été élevée au couvent des Ursulines du Faouët ; elle y acquit ou fortifia un caractère que traduisaient déjà des traits plutôt virils, si l'on en croit son portrait, et qui lui permit de traverser l'époque révolutionnaire sans quitter Kerdrého, défendant pied à pied les biens de la famille que les confiscations risquaient de réduire à néant, d'autant qu'elle avait un fils émigré. Mais en attendant ces heures tragiques, que lui-même ne devait pas voir, le capitaine du Botdéru continuait d'entretenir avec ses amis du régiment une correspondance d'un genre assez rare, paraît-il, qui permet de connaître l'esprit et les préoccupations d'un corps d'officiers à la fin de l'ancien régime. Ces Messieurs sont d'ailleurs assez cérémonieux ; mais, sous les formes toujours courtoises des relations, on retrouve des sentiments d'amitié dont la sincérité n'éclate pas moins que sous les formes plus banales et faciles de nos camaraderies actuelles. Il semble bien que, sans exagération, Botdéru fût apprécié comme un officier sérieux, gardant le sens des devoirs et des hautes convenances. Et, de fait, parmi ces jeunes gens qui ne visent pas à l'austérité, mais qui vivent d'une existence plutôt modeste, un prêt de quelques louis leur est parfois d'un précieux secours, que l'on se passe comme une lettre de change.

Il n'en est qu'un, d'un nom connu dans les milieux ministériels à la veille de la Révolution et dans le monde académique de notre temps, qui attire par sa conduite désordonnée la réprobation générale. Le roman discret y avait quand même sa part, légitime ou non. Du reste, comme dans la marine anglaise de nos jours, on entrait au service dès l'extrême jeunesse : le capitaine d'Esclapon de Cabanes, cornette à 11 ans, en 1733/; le capitaine Teyssier des Farges, fils d'un gentilhomme du duc de Bourbon, capitaine au régiment de Bourbon-Cavalerie, entré lui-même à 16 ans aux Mousquetaires Gris, en 1744. Les officiers plus sérieux ou plus âgés servaient parfois de mentors à cette jeunesse. « Je vous dois l'hommage du peu que je vaux », écrit à Botdéru son ami Desfarges ; « la nature ne m'avait pas fait vicieux, mais vous m'avez éclairé sur plusieurs de mes devoirs, et vous me les avez fait aimer et pratiquer avec la satisfaction que l'on trouve toujours à les suivre ; ainsi, mon cher, la reconnaissance se mêlant à toutes les raisons que j'ai de vous aimer, vous assure la possession d'un cœur à qui vous avez enseigné les moyens d'être content de lui » (septembre-octobre 1761).

Et le capitaine de Cabanes ne marque pas moins d'affection : « Il me serait impossible, mon cher Botdéru, de vous exprimer mon chagrin en apprenant votre retraite d'un régiment dont vous faisiez tout l'agrément, étant respecté, estimé, aimé et chéri de tout le monde. Mais, disputant la vivacité de ces sentiments avec tout le corps, je ne puis trouver de consolation que dans la certitude que vous me donnez de vouloir bien me continuer votre amitié dont je fais un cas infini » (27 février 1762.).

« Point de remerciements, cher Botdéru, » écrit le capitaine de Salornay, qui s'était chargé avec « le cher oncle » — l'abbé — de trouver acquéreur pour la compagnie de l'officier démissinnaire comprenant 40 chevaux, vendue 15.000 livres. « Vous ne m'en devez pas même d'avoir surmonté ce qu'il m'en coûtait pour travailler à votre retraite ; ma satisfaction propre ne pouvait que céder à vos intérêts ; j'y ai mis tout autant de chaleur que si cela ne m'eût assuré la perte et l'éloignement d'un camarade et d'un ami que je ne cesserai de regretter » (12 février 1762).

L'abbé faillit traiter, au prix de 18.000 livres, avec un parent de Montmartel, qui se chargeait de l'agrément officiel. Mais le successeur fut le capitaine d'Alvimar. Le colonel de Morant s'entremit pour obtenir une pension que les bureaux se montraient fort récalcitrants à octroyer, tant parce que Botdéru n'avait pas trente ans de service que parce qu'on lui reprochait de quitter le régiment sur un mouvement d'humeur pour un refus de congé. « J'ai combattu et vous ai donné autant de maux que je vous désire de bien. J'ai même ajouté que vous m'aimiez trop pour avoir quitté, sous mon règne, sans des raisons valides… Si je ne réussis pas, l'amitié, l'estime, l'intérêt de la justice n'auront pas lieu de se plaindre de la façon dont je traiterai cette affaire, car j'ai bien tous ces sentiments pour vous » [Note : L'abbé du Botdéru à son frère, déc. 1761 - Morant au même, 15 mars 1762. Une lettre antérieure du colonel parlait déjà de ce reproche qu'on opposait à Botdéru : « J'allais partir pour la campagne, Monsieur, quand j'ai reçu la lettre que vous m'aviez fait l'honneur de m'écrire. J'ai descendu de voiture pour demander votre congé et pour vous en informer » (Paris, 29 oct. 1761 (?) « Route de Rouen pour Dieppe, affaire du Roy, pressée »). Toute cette correspondance régimentaire et hiérarchique, jusqu'à la suscription officielle de la lettre, garde le style des traditions que l'on retrouve de nos jours dans l'armée britannique, avec cette égalité sociale hors du service qui surprit tant Napoléon à Sainte-Hélène, mais qu'il finit par approuver après réflexion. (Le « Times littéraire », 16 mars 1922 ; p. 172)]. La pension fut accordée : le colonel en retira l'ordonnance à Versailles et se chargea, d'en faire expédier le premier quartier. M. de Morant était Breton, quoique d'assez fraîche date, allié à plusieurs familles de l'aristocratie et du Parlement, comme les Plœuc, les Meneust [Note : C'est par les Meneust que lui était venue sa terre de Bréquigny, près de Rennes, d'où la lettre est datée, qui confirme ces nouvelles (14 mai 1762). Voir sur la famille de Morant le Nobiliaire, de Potier de Courcy et le Parlement de Bretagne de M. Saulnier] ; or Botdéru allait épouser une Dlle de Plœuc.

Outre son désir très naturel d'être maréchal de camp — il était question de Morant pour remplacer M. de Marbœuf, satisfaction prochaine qui « influe sur l'humeur », écrivait malicieusement un de ses officiers (23 décembre 1761) — il s'ingéniait à servir ses compatriotes : « J'ai trois emplois vacants, Cicey (Cissey), Passard et M. de Morant l'aîné qui quittent. Je les remplace par M. de Kerninon, mon plus proche parent — sa mère est Saint-Pern — Gouyon du Vaurou (Vaurouault) et un petit Catuélan qui sort de l'école de la province. Il lui fait plus d'honneur que par L... (Sic). Croiriez-vous que l'exemple que j'avais donné aux colonels bretons de prendre de ces sujets n'a été suivi par aucun ? Aussi la commission a-t-elle averti qu'on me remercierait et qu'on rendrait compte aux Etats de l'attachement que je marquais à mes compatriotes » [Note : 15 mai 1762?) L'école de la province s'appelait officiellement l'Hôtel des Gentilshommes, fondée à Rennes en 1743 par un prêtre de vieille famille, l'abbé de Kergu. Subventionnée par les Etats (1748), approuvée par Louis XV (1749), l'école avait pour objet l'éducation d'une trentaine d'enfants de gentilshommes pauvres, admis à l'âge de 7 à 12 ans, et qui suivaient les classes du collège des Jésuites tout voisin, celui de Saint-Thomas ; au sortir de l'école, les élèves recevaient pendant cinq ans une pension de 400 livres s'ils se destinaient à l'armée ou à la marine, de 300 livres s'ils entraient dans l'Eglise ou au barreau. En 1752, leur fut construit un hôtel ou Hôtel Kergu, « l'une des plus belles constructions du XVIIIème siècle », a bien voulu nous dire M. de la Rogerie, maintenant dissimulée dans les services de l'armée qui l'occupe. En 1778, l'abbé de Kergu compléta sa fondation par la création similaire d'un hôtel de demoiselles nobles, s'inspirant toujours à la fois de l'esprit du collège de la Flèche et du couvent de Saint-Cyr. Mais cet hôtel des gentilshommes de Bretagne fit naître l'école royale militaire, exemple suivi par les nations étrangères, et qui marque l'influence de l'abbé de Kergu sur son siècle. Il eut pour successeur, son ami et parent l'abbé Le Forestier, d'une des nombreuses familles de ce nom, qui paraissent avoir pour origine commune, dit le Cte de Rosmorduc, les seigneurs de Callac dont était la dame de Kerdrého, femme de Louis II du Botdéru, et qui, nous l'avons vu, appartenait, comme l'abbé Le Forestier, à la branche du diocèse de Saint-Brieuc. (Abbé Guillotin de Corson, Revue de Bretagne de Vendée et d'Anjou ; février 1802; pp. 103-122.)].

Naturellement les affaires de service tenaient une assez grande place dans cette correspondance familière : « Je ne vous parlerai pas du régiment, il n'est pas que vous ne sachiez ce qui s'y passe. Je sais que Pelletier et plusieurs autres vous ont écrit » [Note : Salornay à Botdéru, 9 juin 1762]. Durant cet hiver de 1761-1762, alors que Botdéru se trouvait simplement en congé, mais n'avait pas encore remis sa démission, qui ne fut connue qu'à la fin de février, on se préparait activement à faire campagne, le colonel pressant de compléter le régiment en hommes et en chevaux et de préparer les équipages. « Si, par hasard, vous n'avez pas d'arrangement pour la campagne, « écrivait Desfarges », je me propose avec empressement pour être la femme de votre ménage et manger avec vous, si je puis vous convenir. Si vous êtes déjà deux et que le tiers ne vous déplaise pas, donnez-moi la préférence  » (27 décembre 1761). On vivait encore sous le régime ancien. Les officiers, propriétaires de leurs troupes, les devaient remonter à leurs frais, même jusqu'à leur dernier sol. « Najac est venu passer avec moi le carnaval ; il est reparti pour Toulouse. Je lui ai écrit suivant ta lettre ; je doute qu'il me remette les 10 louis, attendu que je lui ai prêté un demi-louis pour s'en retourner. Il est vrai qu'il a fait deux hommes » (Pelletier, 8 mars 1762). Les soldats eux-mêmes s'y mettent : « Le nommé Le Bris ne veut point partir, par délicatesse, avant la fin de la campagne ; et, au premier congé qui sera délivré, M. d'Alvimar lui en donnera un pour aller chez lui, où il travaillera à faire un homme à sa place. Aussitôt qu'il l'aura fait, on lui enverra son congé absolu » (Cabanes à Botdéru, 15 juillet 1762).

Les chevaux donnaient parfois encore plus de tablature, avec leur facilité à tomber malades comme par épidémies. Si la compagnie de Botdéru se trouvait en excellent ordre — lui-même estimait qu'on avait peut-être montré trop de zèle à ses dépens pour la mettre en état, reproche qui désolait ses intermédiaires, car il fallait tout mettre au point, du harnachement à la tente de campagne [Note : Cabanes à Botdéru, le 27 février 1762 : « Vous pouvez être bien assuré que tout le régiment plaidera votre cause… Votre troupe étant si belle et si bien maintenue qu'elle causera de l'admiration à celui qui en sera pourvu et à tous ceux qui la verront » — Petitbois à Botdéru, 29 avril 1762: « Je ne sçaurais croire que vous pensiés que nous ayions voulu vous faire dépenser de l'argent sans nécessité ; vous nous rendrez plus de justice, et nous ne sommes conduits en tout cela que par le motif de faire pour le mieux »], les diverses compagnies n'étaient pas également en règle. Montcanisy, qui remplaçait le capitaine des Cajeuls, démissionnaire comme Botdéru, écrivait à ce dernier : « J'avais compté trouver la compagnie des Cajeuls très mauvaise en chevaux; mais je ne m'en étais pas encore fait un assez vilain portrait et des Cajeuls ne m'en avait pas non plus assez dit. On m'a déjà tué 4 chevaux depuis que je l'ai, et 6 qui jettent encore ; et malheureusement pour moy, nous partons à la fin du mois pour aller à l'armée des Flandres » (3 avril 1762).

D'ailleurs le régiment se comportait comme une petite province autonome ou pays d'État. Le conseil du régiment déterminait l'achat des armes ; et ce sont des transactions sans fin pour que le directeur de la fabrique de Maubeuge livre des fusils sur le modèle de ceux qui sont fabriqués à Rouen, « d'un ouvrage aussi fini en ce genre qu'on en puisse voir ». Mais Maubeuge en demandait 38 livres et le conseil n'en voulait donner que 33. Le moment approchait — on le voit même venir dans cette correspondance — où le roi prendrait à sa charge toute l'administration régimentaire, ce qui n'alla pas sans quelques regrets des officiers.

Ce fut, en effet, l'un dès résultats de la guerre de Sept Ans, nécessités par les difficultés financières. Nous n'avons pas à retracer ces réformes militaires qui appartiennent à l'histoire générale, mais à montrer l'impression qu'elles produisaient sur les cadres de l'armée. Si, dans les régiments, le titre de colonel appartenait à un seigneur de haut parage, le grade de lieutenant-colonel, la cheville ouvrière, appartenait aux officiers de carrière ; on y accédait dans le régiment même. Quant au major, ce n'était qu'un capitaine chargé d'un service spécial comme adjudant-major. A l'avenir, « le major devient la troisième personne du corps: le roi élève son grade audessus de celui des capitaines et leur ordonne de lui obéir désormais. En conséquence, de Claye, qui a 21 ans de commission, avant que le mois soit expiré, enverra les étendards chez d'Orgères [Note : Le major d'Orgères était Breton, comme tant d'autres officiers du régiment]. Ce n'est pas tout : on ne parviendra point par l'ancienneté à ce grade ; on ne peut même plus prétendre à la lieutenance colonelle.... Le roi se charge de prendre indistinctement, parmi tous les régiments de chaque corps, les sujets qu'il jugera bon pour les remplir ; ainsi, comme dit de Claye, nous voilà capitaines à poste fixe pour la vie. Par cet article, l'émulation est entièrement détruite, car il n'y a qui que ce soit qui ne travaillât plus ou moins pour mériter qu'on le trouvât digne de monter à ce rang, seule récompense que pouvaient envisager les bons serviteurs à qui la fortune a refusé les moyens extraordinaires d'avancement. Ce que l'on devenait au péril de sa vie et de sa bourse, ce qu'on obtenait à force de constance, le crédit et l'argent le donneront.

Le roi se charge des recrues et entretiens de toutes les troupes : ainsi, plus d'intérêts qui nous lient à nos compagnies ; nous les regardions comme des effets à nous, comme notre famille ; tous ces liens sont rompus, nous ne serons plus que les exécuteurs de l'ordonnance du service ; le soldat n'a plus de douceur à attendre de son capitaine, on n'a plus de raisons d'avoir des égards pour lui ; il ne reste plus que celle de l'humanité dont la voix devient tous les jours plus faible, et qui ne se fait entendre que d'un petit nombre. Je doute fort que l'Etat retire quelque bien de ces changements. L'esprit des corps en faisait la plus grande force. Il n'y en a plus ».

On doit se rappeler que ces doléances se rapportaient à un régime de service volontaire, où le capitaine avait intérêt à maintenir, en vue du recrutement, le renom et le bien-être de sa compagnie [Note : Voir des exemples dans Albert Babeau : La Vie militaire sous l'Ancien Régime, Tome I, les soldats ; Paris, Didot, 2ème édit. 1890 ; pp. 113-4 ; 122-4. — Les exemptions et rachats de congés définitifs venaient emplir la caisse du régiment et servaient à son utilité. Cabanes prie son ami Botdéru de lui retrouver un dragon nommé Simon, de Guer, qui, après avoir obtenu un congé de semestre et offert plus de 600 livres pour un congé définitif, ne rejoint pas, quoique sa famille soit fort riche, et se cache, dit-on, sous l'habit de moine (13 déc. 1762). — Au moment où s'arrête la partie de la correspondance, en 1763, le régiment est ainsi composé : Colonel : de Flamarens. Capitaines : de Claye, de Cabanes, de Marsilly, d'Hautefeuille, des Farges, de Salornay. Lieutenants : de Fontanieu, Deviolès, du Monard, Pelletier, de la Rochette, de Champoussain, de Murat, Davance. Sous-lieutenants : Petitbois, de la Choue, de Cretteville, Devaux, Alexandre, de Caumont, Bougnol, de Najac. Aides-majors : de Kerléan, de Morant. Sous-aides-majors : d'Autentot, le chevalier de Montcanisy].

Mais, à travers ces nouvelles du régiment, auxquelles semble s'intéresser vivement Botdéru, se glissent quelques confidences sentimentales, ainsi qu'il était naturel « sous Louis le Bien-Aimé » [Note : M. Jean Lemoine a publié sous ce titre une correspondante amoureuse et militaire pendant la guerre de Sept Ans, qui est exactement dans la note que nous indiquons ici. (Paris, Calman-Lévy, 1906)], passionnettes qui s'éteignent, tendresses qui se nouent en mariage. Parfois la confession s'exprime d'une plume légère, comme il sied à un contemporain de Marivaux ; et l'élégance du doigté, la délicatesse de touche excuseront peut-être l'irrégularité de la situation. « Je vais au Mans où je vous prie de me donner de vos nouvelles. L'amour m'y conduit, mais je ne sais s'il daignera m'y recevoir. Il en faudra peu, à vous dire vrai, pour payer celui que j'y rapporte : j'en ai eu beaucoup, mais j'en ai laissé un peu par ci, un peu par là ; il s'est prodigieusement affaibli par l'absence ; il s'éteindra peut-être entièrement par la présence. Mon imagination prête des charmes à une personne qui n'en a peut-être plus, ou qui m'en refusera la jouissance. On me retrouvera tel que l'on me voudra, mais je sens que ce sera plutôt ami qu'amant. On me défend d'avoir des prétentions à ce dernier titre, mais qui sait si ce n'est pas un artifice pour me le faire trouver plus doux ! Vous recevrez, en qualité de très cher confident, le détail de la réception qu'on m'aura faite. Je n'aurai point à vous entretenir des peines qu'on m'y aura fait souffrir, car on est trop honnête pour en causer à un ami et je ne puis désormais en recevoir d'elle qu'en cette qualité ».

La visite eut lieu, sans doute pendant un congé de semestre : « J'ai quitté Le Mans à la fin d'avril. Je puis me flatter d'y avoir laissé quelque désir de me revoir ; car je ne valais pas à beaucoup près autant à mon premier séjour, pendant lequel j'avais cependant mérité qu'on m'aimât. Je sens que l'absence opère merveilleusement pour ma tranquillité. J'ai appris sans inquiétude que quelqu'un dont le nom seul me troublait est de retour auprès de ma belle. Je conserverai toujours beaucoup d'amitié pour elle, car elle est aussi estimable qu'aimable. L'amour, ou je ne me connais guère, est tout près d'expirer dans mon cœur. Il est une certaine amitié tendre, presque aussi sensible que l'amour. Ses sentiments n'ont point la même fin et n'en sont que plus honnêtes. On s'y livre tout entier avec plaisir : ils sont sans tourments, sans sollicitude et ne procurent que des douceurs. Je crois qu'ils pourront seuls désormais m'occuper et changer en jouissance toutes les craintes de l'amour. Vous me trouverez peut-être indiscret de vous entretenir de mes plus secrètes pensées, et moi je vous donne avec plaisir cette marque de confiance que je crois vous être due par mon amitié. J'ai eu quelque peine à faire admettre que vous eussiez part à ce mystère, et j'ai dit que je ne vous ai rien caché avant de savoir si on le trouverait bon. Me sentant fort de l'estime qui vous est due, je n'ai pas craint qu'on me reprochât de vous avoir traité comme un ami à qui l'on doit tenir son cœur ouvert » (Desfarges à Botdéru. Oct. 1761-10 sept. 1762).

Après ce gentil roman mélancolique qui s'efface comme un pastel aux teintes pâlies, en voici un autre, plus imprévu, pour qui carillonnent les cloches d'église : « Comme j'ai toujours été empressé, mon cher Botdéru, à suivre vos exemples, je fais encore de même. En conséquence, j'ai l'honneur de vous faire part d'un établissement qui vous surprendra. Je suis à la veille d'épouser ma nièce, fille unique de mon frère, l'aîné. J'ai le bonheur de rencontrer dans le même objet de la piété, de la vertu, beaucoup de douceur, un caractère charmant, une figure très agréable, faite à peindre, et affligée de 19 ans. C'est enfin la seule personne qui peut me rendre heureux. Je suis persuadé, mon cher Botdéru, que vous prendrez part à ma joie. J'attends samedi prochain les dispenses de Rome qui me coûteront 8.000 livres, suivant les réponses que le banquier expéditionnaire a reçues. Je compte me marier le lendemain de la Quasimodo ; et, comme mon semestre finit au 1er de mai, j'ai demandé un congé que je suis incertain d'obtenir … » [Note : Cabanes à Botdéru, Aix en Provence, 13 nov. 1763. Le capitaine de Cabanes — nous ne savons pas a quel titre. — Appelle fréquemment Botdéru son « cher pays »].

Quant au capitaine du Botdéru, en sa qualité d'aîné de famille, il avait été depuis longtemps question de son mariage parmi les siens, parents ou amis. L'abbé se plaignait à son frère, le lieutenant-colonel, en 1756, de n'avoir jamais obtenu de réponse à une proposition de ce genre. Au moment même où Desfarges menait son idylle avec la dame du Mans, il écrivait de cette ville à son intime camarade, en s'excusant de l’indiscrétion : « Il a été question de vous au passage d'une belle dame (Mme Lechat) qui a passé huit jours chez Mme de Fond… [Note : Nous ignorons le nom complet de la dame]. Elle avait avec elle les deux plus jolies chattes qu'on puisse voir. Il y a quatre ans qu'elles promettèrent de tenir beaucoup de leur mère, elles ont bien tenu parole. L'une a 17 et l'autre 16 ans. Elles sont petites-filles de secrétaire du Roi. Les parents promettent 80.000 francs en mariage à chacune d'elles sur des effets qu'ils ont en France. Elles ont deux frères avec qui elles doivent partager 800.000 francs que l'on assure composer la fortune de M. et Mme Lechat. La cadette plaît plus généralement que l'aînée. Elle n'a, à la vérité, ni les grâces ni cet air décidé qu'a celle-ci ; mais elle l'emporte sur elle par la fraîcheur de toute sa personne, un air de douceur et d'une certaine timidité répandue dans sa physionomie. Elle annonce plus de ce qu'il faut pour plaire à un mari honnête homme, une grande sensibilité dans la réserve et un maintien naturellement modeste. J'ai été confirmé dans l'idée que j'en avais pris sur son extérieur par Mme de Fond, qui connaît à fond l'une et l'autre, d'après les relations de la mère qui ne lui cache plus rien. En suite d'une conversation, qui fut assez longue, à ce sujet, elle se rappela combien je vous souhaitais de bien, et me demanda si elle ne vous conviendrait pas : je répondis que je ne le croyais pas et vous fais part à tout hasard de ce qui s'est passé, afin de n'avoir pas à me reprocher de vous avoir peut-être privé de ce qui pourrait vous plaire » (27 décembre 1761).

Mais Jean-Baptiste-René du Botdéru suivait son plan, qui était de n'attacher pas importance moindre à la naissance qu'à la fortune. Thomase-Renée de Plœuc, à laquelle il allait s'allier, promettait de lui apporter l'une et l'autre. Née le 29 décembre 1737, elle était fille de Nicolas Louis, marquis de Plœuc, successivement garde de la marine, lieutenant de dragons, enfin conseiller au parlement et qui, de son mariage avec Marie-Françoise de Kervenozaël, en 1731, n'avait eu que deux enfants, Louis-René et Thomase. D'ailleurs, le jeune comte de Plœuc, né en 1732, devenu conseiller au parlement, comme son père, était mort en 1760. Thomase devait donc hériter, du chef de sa mère, des importantes propriétés que la marquise avait apportées dans la famille. D'autre part, le marquis, inquiet de la santé déclinante de son fils et soucieux de voir s'éteindre sa descendance masculine, devenu veuf le 6 octobre 1758, s'était remarié, le 15 octobre 1759, bien qu'âgé de 65 ans — il était né le 17 juin 1694 — avec une jeune fille de 24 ans, Jeanne Guillemette du Boisguéhenneuc, qui ne lui donna pas moins de neuf enfants, dont deux fils, et qu'il ne quitta qu'au bout de 20 ans, le 30 juin 1779, ellemême lui survivant jusqu'en 1825. Les arrangements de succession, dans ces conditions difficiles, n'allèrent pas sans quelques vifs démêlés de justice entre le marquis de Plœuc et sa fille aînée, la comtesse du Botdéru.

Jean-Baptiste René entrait en ménage avec l'enthousiasme modéré qui convenait à son caractère. « Je vois arriver avec plaisir le terme fixé pour votre bonheur », lui écrivait Desfarges, qui pour l'aider à franchir le cap dispendieux du mariage, avait mis à la disposition de son ami la moitié de ses économies d'officier. « Je voudrais fort être à portée d'être témoin de cet événement. Vous méritez trop pour que cette affaire ne finisse point selon vos vœux. L'âge de la demoiselle n'est point celui où l'on doit craindre du changement ; je n'ai point d'inquiétude à ce sujet, mais la plus grande impatience d'apprendre qu'un prêtre, un oui et trois mots latins vous ont fait seigneur et maître de sa fortune et de sa personne. Elle me plaît fort pour vous, telle que vous me la dépeignez. Vous ne prendrez point d'amour, vous serez plus tranquille. Vous commencerez par l'amitié et la reconnaissance qui, seules, peuvent former des liens durables » (A Bergues, 17 novembre 1762).

« Cette année sera heureuse pour moi, où vos projets s'accomplissent. J'ai la plus grande impatience d'apprendre que l'affaire de votre mariage est terminée. La demoiselle est majeure ; ainsi vous savez plus que jamais à quoi vous en tenir. Je compterai les jours jusqu'à ce que je sache que vous êtes plein et entier possesseur de sa personne et de ses biens ; et puis après, jusqu'à ce que je puisse aller repaître mes yeux du spectacle de votre bonheur, dont vous devez croire que l'amitié me fera jouir autant que vous-même » (A Lille, 2 janvier 1763). Approuvé en forme authentique (2 novembre 1762), le contrat fut signé au grand parloir des Ursulines du Faouët, le 15 janvier suivant, par la fiancée, qui défendit, ce semble, ses droits avec une décision convenable à son âge de 25 ans ; la proche famille des Botdéru y joignit son nom : Agathe du Bois de Brûlé ; Pierre Toussaint de Brûlé ; Jérôme René, prieur de Beaurevoir ; Hyacinthe, chevalier du Botdéru, lieutenant de vaisseau ; Agathe du Botdéru : mais ce sont les seuls signataires.

Les deux notaires étant, l'un de la cour et sénéchaussée de Gourin, l'autre de la cour et baronnie du Faouët, la demoiselle aura le droit d'élire ici son juge pour le règlement de ses intérêts, en cas de prédécès de son mari, auquel elle devait survivre plus de vingt ans ; et, par prudente précaution, Mlle de Plœuc stipule que si elle renonce alors à la communauté, « le troussel » et ses habits de deuil et de ses gens seront fixés « à la somme de dix mille livres, payables au tiers en argent, si elle le requière, et en meubles meublants, non chargés de l'unique écusson de la maison du Botdéru ».

Jean-Baptiste René s'installe désormais dans sa nouvelle situation de grand seigneur terrien. Quelques années plus tard, nous le trouvons « lieutenant de MM. Les maréchaux de France, juge du point d'honneur ». C'est à ce titre que nous voyons un confrère de Chaumont-en-Bassigny réclamer son concours afin de retrouver un neveu enrôlé pour les îles après avoir dissipé son avoir, et dont l'absence depuis 1754 gêne le règlement des affaires familiales. On espère que les recrues d'alors, rapatriées maintenant à Lorient, pourront renseigner sur son sort.

Mais l'ambition était venue au châtelain de Kerdrého d'entrer dans l'ordre de Saint-Lazare, et d'obtenir pour son fils les honneurs de la cour, ce qui authentiquerait l'ancienneté de la famille. Ce ne fut pas une mince affaire. Il y fallut mobiliser un historiographe de France, Dom Berry, qui dut parcourir la Bretagne en bien des sens, « renvoyé de Caïphe à Pilate », cherchant dans les études de notaires, les greffes de tribunaux, les archives de grandes familles, comme celle des Rohan, dont une partie se trouvait à la Tour du Louvre, et celles de la duchesse de Liancourt en son château de Quinipily [Note : Cette histoire a été racontée plus en détail dans « l'Intermédiaire des Chercheurs et Curieux » du 30 juillet 1912, pour montrer à quelles conditions les contrats de mariage étaient signés par le Roi, et avec quelle sévérité se vérifiaient les titres de noblesse à la veille de la Révolution], puisque la terre du Boterf « était dans la frérie de Locmaria en Plumelin, et relève de la seigneurie et fief de Camors, qui relève prochainement du duché de Rohan » [Note : D. Berry ; Rennes, 10 avril 1784].

Finalement, le bon historiographe écrit : « Monsieur, j'aime votre franchise et je vais vous parler avec la même sincérité. Vous savez, Monsieur, que nous avons trouvé dans vos archives les chemises de toutes les pièces qui ont été produites pour l'obtention de votre arrest de maintenue de noblesse, le 31 d'aoust 1669, jusqu'en 1424. Les chemises ont servi aux originaux qui doivent être dans la maison de Langle [Note : Il dut y avoir bien d'autres « fuites » ou pertes de document. « En attendant la permission de M. le duc de Liancourt pour voir s'il se trouvera dans ses archives la pièce que M. Berthier exige… j'ai trouvé une procédure pendante à Ploërmel de Pierre le Sarrazin [le Sérazin] contre Guy Riou, seigneur de la Porte-Camus, qui aurait épousé Guyonne du Botdéru, sœur aînée de Jeanne qui avait épousé M. de Sérazin, et qui devint héritière par le décès de Guyonne sans hoirs. Ce Guy Riou, seigneur de la Porte-Camus, survécut à sa femme et s'empara de tous les effets mobiliers, actes, papiers, etc. C'est pour la restitution de ces objets qu'il y eut procès. Ce M. de Sérazin demandait 6.000 écus en dédommagement des dits actes et papiers. Je n'ai pas trouvé quelle fut la solution ; mais il est bien certain que ces papiers doivent être chez les représentants de ces Messieurs Riou ou des Sérazin. Je suis à la recherche de cette maison des Riou ; je la crois éteinte ». (Le comte du Botdéru au comte de Pluvié, chez le comte de Guibert, à Paris : Melle de Guibert avait épousé l'héritier de Ménéhouarne). — « Je savais bien », avait d'abord avoué le châtelain de Kerdrého, « que je n'y trouverais que des titres regardant Yvon du Botdéru qui a formé ma branche, et que les anciens avaient suivi la branche aînée » ; mais dans cette descendance même d'Yvon, il y avait ici, ce semble, confusion ; Pierre le Sérazin était, nous le savons, l'oncle de Guyonne et de Jeanne de Boterff, l'une dame de la Porte-Camus, l'autre religieuse de Saint-Georges à Rennes — non le beau-frère de l'une et le mari de l'autre]. Si vous les trouvez, je réponds de votre affaire, parce qu'il ne manquera plus que deux pièces jusqu'en 1300, que j'espère retrouver à Blain ou à Kimperlé, ou dans les environs. Si nous ne retrouvons pas les pièces qui ont été fournies pour obtenir l'arrêt dont j'ai une copie, que M. de Bougainville m'a confiée, je ne vous conseillerais pas de faire des recherches ultérieures, parce que cela vous constituerait en des dépenses de 18 ou 20 mille francs. Si nous ne retrouvons pas ces pièces, vous me rembourserez, si vous voulez, les frais de mon voïage.

Voilà tout ce que vous risquez, Monsieur. Votre famille est une des meilleures de Bretagne. Je vais travailler à faire une carte généalogique en règle, avec la note des pièces à côté de chaque degré énoncé dans l'arrêt. Par ce moïen, nous verrons d'un coup d'œil les pièces qui nous seront nécessaires après avoir recouvré celles qui ont été produites.

J'ai l'honneur d'être avec respect, Monsieur le Comte, D. Berry, B. hist. de France » [Note : Abbaye de Saint-Germain-des-Prés, Paris, 25 juin 1785. A cette pièce sont annexés deux reçus, l'un de 1800 livres versées par M. de Pluvié, le 23 mai 1786 ; l'autre de 3.000 livres, remises par Victor du Botdéru le 15 juin 1787 au nom de son père. Cette dernière pièce est signée Wery].

A Paris même, les démarches à continuer étaient confiées au chevalier de Silans, beau-frère du comte du Botdéru, et à Bougainville, son neveu par alliance, dont nous parlerons plus loin. Dès le 21 juillet 1784, Bougainville écrit à son oncle: « J'ai eu, dimanche dernier, une fort longue explication avec M. de Saint-Paul. Je ne lui ai pas laissé ignorer combien la noblesse des provinces était mécontente et dégoûtée et combien tout ce qu'on faisait paraissait fait exprès pour produire leur dégoût (sic). Je vais m'occuper de voir M. Chérin et des démarches pour Saint-Lazare. Il y a aussi pour cet objet un bien grand nombre de concurrents ; mais il faut toujours demander ».

Le 23 juillet, le chevalier de Silans écrivait à son tour : « Je joins ici la note de M. Chérin relative à la nature des titres à produire pour être admis dans l'ordre de Saint-Lazare, où le généalogiste convient que vous avez de beaux droits ». Vient en annexe la note remaniée par M. de Silans : « M. Chérin m'a montré sur le registre de Bretagne la suite des Botdéru pendant douze degrés. Il m'a même dit que, par Mme la comtesse du Botdéru, vous étiez parent du duc de Richemond au degré nécessaire pour en porter le deuil [Note : Mme du Botdéru, née Thomase de Plœuc, se trouvait apparentée à Louise Renée de Kerouazle, la duchesse de Portsmouth dont la mère, Marie-Anne de Plœuc, troisième fille de Sébastien de Plœuc, avait épousé en 1645 Guillaume de Pénancouët, seigneur de Kérouazle, en Guilers, que l'Almanach de Gotha, par une curieuse erreur, orthographie Perrencourt. La demoiselle avait eu du roi Charles II un fils, Charles Lennox, duc de Richemond (1672-1723). La descendance porte aujourd'hui, en raison de son alliance avec des cousins, les ducs de Gordon, le nom patronymique de Gordon-Lennox. L'histoire des ducs de Richemond est des plus intéressantes du point de vue mondain, romanesque, anecdotique. Une arrière-petite-fille de Louise de Kerouazle, Sarah Lennox, serait devenue reine d'Angleterre, s'il lui avait convenu d'épouser Georges III, qui en était passionnément épris. Elle devint du moins la mère de trois brillants officiers - les trois Napier - dont l'un fut l'historien très connu de la guerre d'Espagne qu'il avait faite sous Wellington. Sa sœur Suzanne, lady Holland, fut la mère de Charles James Fox, le célèbre adversaire de Pitt en politique. Ajoutons simplement que les Richemond n'ont pas encore perdu le souvenir de leur parenté bretonne avec les Plœuc, et nous en avons eu la preuve personnelle, voici quelques années. D'ailleurs, l'un d'eux, gouverneur du Canada sous notre Restauration, se plaignait devant un gentilhomme franco-canadien que ce « coquin de Buonaparte » lui eût volé ses orangers. Seraient-ce ceux du château d'Aubigny ? demande le Canadien dans ses Mémoires (Aubert de Gaspé, p. 464].

Mais la pièce que vous m'avez confiée ne peut servir que comme une seule pièce pour entrer dans l'ordre de Saint-Lazare. Il ne peut faire les preuves que de neuf degrés ; mais chaque degré doit être prouvé par trois titres originaux, savoir : contrats de mariage, partage, foy et hommage, testament, aveux, minute, vente, achat, échange, transaction, procuration, etc. Il sera bon d'y joindre les commissions, brevets, provisions de charges, s'il y en a. D'ailleurs, il vaut toujours mieux mettre tous les degrés que l'on a. Il faut être colonel pour être admis dans l'ordre et il y a grande presse. Bougainville vous prie de communiquer cette note au chevalier du Botdéru (le frère puîné du comte, capitaine de vaisseau) ; dès que l'on commencera à se mettre en règle, les démarches se suivront auprès de Monsieur ».

On remarquera que, si d'Hozier se contentait au XVIIème siècle, comme preuves de noblesse, de copies plus ou moins authentiques, plus ou moins légalisées et justifiées |Note : Arthur de Boislile : Revue des Questions Historiques. Oct. 1897, p. 446], Chérin, père lui-même du généalogiste qui devint général de la République, et son acolyte Berthier, se montraient infiniment plus sévères, rigoristes jusqu'au jansénisme nobiliaire. « Samedi dernier » continuait Bougainville, le 8 mai 1786, « j'ai été, avec l'abbé Béri, porter aux Grands-Augustins vos titres mis en ordre et la table correspondante. J'ai de mon mieux harangué MM. Chérin et Berthier pour les engager à expédier. Ils se disent accablés de besogne et me paraissent se faire beaucoup valoir. Nous les presserons autant qu'il sera possible. Il n'y a plus de présentation pour monter dans les carrosses que jusqu'au 15 de ce mois, et, après cette époque, il faut attendre le voyage de Fontainebleau. J'espère que notre affaire sera prête pour ce moment-là, mais il ne faudra pas perdre ces messieurs de vue ».

Du reste, il y avait vraiment encombrement. « J'ai écrit à M. Berthier et j'ai passé plusieurs fois moi-même aux Grands-Augustins pour presser le travail de la généalogie de Victor. Rien n'est encore commencé ; et j'ai vu sa liasse avec deux cents autres, dont il y en a qui y sont depuis trois ou quatre ans ». — « Le juge d'armes est écrasé de travail et je doute fort que celui qui nous intéresse soit fini dans l'année » (Chevalier de Silans, 27 septembre 1786).

Puis, autres difficultés plus graves : « Bougainville, en quittant Paris, me mandait que le généalogiste avait rebuté un titre, quoique admis en Bretagne, ce qui avait nécessité le voyage de Dom Bérry à Kerdréhau » (Chevalier de Silans, 5 décembre 1786) - « Si cette besogne était faite, et le certificat expédié, avait écrit Bougainville, le reste irait tout seul, et je verrais le duc de Coigny, de qui je crois que les arrangements subséquents dépendent ».

Mais, en 1787, ce fut d'abord un autre Breton de marque authentique dont le duc de Coigny dut s'occuper suivant son office, et dont la réception est encore dans tous les souvenirs littéraires, le jeune chevalier de Chateaubriand (19 février).

La réception de Victor du Botdéru aux honneurs de la cour n'eut lieu que le 2 juin 1787, avant même son mariage avec Mlle Sophie de Coislin, dont le contrat plus tard devait être signé par la famille royale.

Il ne semble pas que les négociations aient abouti pour l'entrée dans l'ordre de Saint-Lazare ; car le comte du Botdéru, dans un testament dicté aux notaires d'Hennebont, le 25 novembre 1789, ne s'attribue que la croix de Saint-Louis. Dans ce testament, où l'on sent comme l'approche de la Révolution, le testateur, qui habitait la petite ville, port d'attache ou refuge de tant d'ancêtres dans leurs vieux jours et de cadets sans fortune, demandait qu'on l'enterrât « le plus simplement possible et comme le dernier particulier » ; si même il décédait à Plouay, qu'on l'inhumât dans le cimetière du bourg, sans ouvrir aucun enfeu de sa famille. Il léguait 150 livres aux capucins d'Hennebont ; 300 livres aux capucins de Roscoff, et 1.200 livres de rente viagère au gardien de ce dernier couvent, le P. Ignace, de Quimperlé ; 1.200 livres de rente encore à sa sœur, Mlle du Botdéru, avec ordre de les économiser chaque année pour ses héritiers, au cas où elle ne les accepterait point ; enfin, avec quelques autres menus legs de charité, une année de gages à trois de ses domestiques, soit : 300 livres, 180 et 150. Il mourut dans son hôtel, sur le quai de la ville, non loin des vieilles fortifications qui avaient tenu tant de place dans les inquiétudes de ses aïeux, au temps de Jérôme d'Arradon, mais ayant vu la crise qui allait rendre inutiles tous ses efforts pour la glorification de sa famille et l'éclat de son nom.

Sa femme, nous l'avons vu, lui survécut plus de vingt ans. Mme du Botdéru ne mourut qu'en septembre 1810, à Kerdrého, laissant à son fils tout — « absolument tout » — ce dont les lois nouvelles permettaient de disposer [Note : Testament notarié, 1er septembre 1810 ; présenté le 28 ; enregistré le 5 octobre]. Elle n'avait eu d'ailleurs que trois enfants : une fille non mariée, Jeanne-Charlotte-Amélie, née en 1763, qui mourut après 1830, ayant passé au lit les trente dernières années de sa vie sans avoir été malade, — exemple curieusement imité par une autre parente appartenant aux mêmes branches familiales, qui acheva son existence en alitée volontaire et suivant la même hygiène nonchalante, une trentaine d'années plus tard [Note : Il se peut que cette habitude singulière ait eu d'autres fidèles. On cite deux sœurs âgées de Brillat-Savarin, qui tenaient sa maison en province et gardaient le lit pendant toute la durée de ses absences à Paris, sous le Consulat ; Blackwood's Magarine, août 1925 ; 220] ; un fils, Antoine-Jean-Baptiste-Hyacinthe-Victor, né le 13 ou 15 novembre 1764, baptisé, suivant l'usage retardataire si fréquent à l'époque, le 18 août 1779 ; enfin, une fille, Renée, née en 1765, qui disparut de bonne heure. Mais pour sauver, autant que le pouvait son courage, les biens de la famille, la douairière de Kerdrého avait tenu tête à la Terreur, non sans connivence secrète, on peut le supposer, avec la Chouannerie, comme permet de l'entrevoir un tragique incident de 1795. Elevée, nous le savons, aux Ursulines du Faouët, dont le parloir l'avait vue débattre froidement avec les notaires les clauses de son mariage, elle n'avait pas dû savoir sans une tristesse mêlée d'irritation son ancien couvent devenu une prison de prêtres et d'honnêtes gens, obligés de payer eux-mêmes la troupe qui les gardait, en attendant qu'on les encageât de barreaux de fer. Mais, en ce temps-là, les paroisses morbihannaises étaient aussi, presque toutes, le théâtre de drames sanglants où Blancs et Bleus étaient tour à tour victimes et bourreaux [Note : P. Nicol : Entre Chouans et Bleus ; Corentin Le Floch et les prêtres Jureurs de Lignol ; Vannes, Lafolye frères, 1910 ; p. 3]. L'attaque du Faouët de trois côtés à la fois, le 29 janvier 1795, par les 2.000 hommes de Louis Calan, dit Louis de Pluméliau, ou le général Salomon, à cause de son parler « mystique et sentencieux », ne dut pas surprendre beaucoup l' « ex-comtesse », la bande étant recrutée dans tous les entours de sa demeure : Melrand, Quistinic, Languidic, Inzinzac, Calan, Lanvaudan, sans nommer les paroisses plus distantes. En tous cas, lorsque les Bleus reprenant l'offensive infligèrent aux Blancs des pertes sensibles, ceux-ci se replièrent sur Plouay ; et, passant rapidement non loin de Ménéhouarne, traversant le village, se réfugièrent à Kerdrého, distant d'une petite demi-lieue. Ce fut là que, le 30 janvier, Louis de Pluméliau, découvert au-dessus d'un ciel de lit et arrêté par une colonne républicaine aux ordres du capitaine Pianelli, fut conduit au Faouët, puis, au bout de quelques jours, dirigé sur Vannes par Hennebont et Auray. Mais « l'escorte qui le conduisait et dans laquelle marchait le représentant du peuple Brüe, fut attaquée à une lieue de Landévant par une troupe de rebelles d'environ 200 hommes, commandée, dit-on, par Georges Cadoudal et Mercier ». Sur quoi Brüe, craignant de se voir enlever son principal prisonnier, le fit fusiller sur place et sans forme de procès, quitte à s'en disculper, ce qu'il fit longuement, devant le Comité de Salut Public [Note : Ibid. 102-104 — Duchâtellier : Histoire de la Révolution en Bretagne, IV, 379 et suiv. — René Kerviler : Armorique et Bretagne, III, 141 et suiv.].

Mme du Botdéru ne manquait d'ailleurs pas d'exemple d'énergie dans son entourage. Sa nièce, Mme de Bougainville, dans la Manche, tenait les Bleus en campagne ; et tout proche, Un voisin presque apparenté, Jacques-François de Lantivy, dans son château de Kervéno, en Languidic, mettait tranquillement en vente les propriétés saisies par l'Etat, sans s'inquiéter de l'indignation que témoignait le district d'Hennebont, qui les tenait pour propriétés nationales (Histoire de la famille de Lantivy, p. 77).

Mme du Botdéru, nous le verrons, agissait différemment; elle rachetait par personnes interposées les biens de son fils confisqués comme biens d'émigré. On employait à cet office, ainsi que nous l'a montré M. G. Lenôtre, jusqu'à des fonctionnaires jacobins, qui, moyennant une honnête commission, un juste pourboire, se livraient à une mission cette fois acceptable : à quoi l'on n'avait rien à redire. En arrachant les terres patrimoniales aux griffes de la Révolution, la veuve du comte du Botdéru témoignait d'une activité qui ne servait pas moins à la dignité de la famille que les honneurs de la cour et les ordres décoratifs si fort ambitionnés de son mari, aux temps lointains d'un autre âge qui ne remontait pas même à 10 ans.

Victor du Botdéru, le dernier du nom en ligne directe, héritait de son père à l'âge de vingt-cinq ans, mais la Révolution débutante ne le laissa guère jouir de ses prérogatives seigneuriales. Il avait été élevé chez les Jésuites au collège de Vannes ; et lorsque, devenu jeune officier, son père reçut nouvelles de quelques dettes contractées au régiment, le vieux capitaine de dragons adressa à ce dépensier de fils la plus verte semonce que jamais père modèle ait infligée à un rejeton peu soucieux de suivre ses traces. Comme le futur pair de France eut l'occasion de montrer par la suite qu'il ne manquait ni d'activité de corps ni de souplesse d'esprit, nous pouvons sourire de cette indignation, devant laquelle Victor ne négligea pas de s'incliner avec une déférence respectueuse, qui, de nos jours, friserait un peu l'ironie : « Depuis votre naissance je me suis mis à la gène pour vous procurer toutes les douceurs qui pouvaient dépendre de moi. J'ai payé avec plaisir tous les maîtres qui pourraient vous donner des connaissances utiles et agréables. Vous n'avez profité d'aucuns. Lorsque vous revîntes de Vannes, vous racliès du violon ; et puis, c'est tout. Nulle connaissance du dessin, ni du chiffre ; une teinture fort légère de musique et de danse. Cependant, depuis l'âge de sept ans, vous avez eu de suite tous ces maîtres. Vous avez été pendant votre séjour à Vannes du plus grand dérangement. Vous avez été assez osé pour prendre à crédit et faire des dettes sans certitude de les payer. ». Et voici que dès, ou avant, le régiment, de nouvelles dettes s'annoncent avec la même imprévoyance. « M. de Mauduit me mande que les 1.200 livres que je lui avais remis pour vous sont dépensées. Vous aviez donc fait des dettes ? Je vous croyais mieux pensant… Quant à cela, vous serès la seule dupe de votre nonchalance ; mais à l'égard de votre conduite, elle m'est réversible, et il n'est pas juste que je sois à la gêne pour payer vos extravagances. Si vous vous rendés indigne, vous trouverés toute la fermeté d'un père qui, s'étant bien conduit, exige de ses enfants de la conduite (Botdéru). » — « Vous envoierés, dès sa réception, porter la lettre ci-jointe à M. de Mauduit. Donnés attention à ce qu'elle lui soit remise exactement et sans retardement » [Note : « A M. du Botdéru fils, officier de cavalerie au régiment Cte d'Artois à Nevers » (probablement 1783)].

Victor ne se fit pas répéter la mercuriale. Il était parti pour Nevers le 13 mai 1783. Sur-le-champ, il envoyait à son père le décompte minutieux de son voyage, sans oublier le sonneur de Bubry qui avait mis en branle les cloches de l'église (3 livres) et le métayer de Bruslé qui avait fait des préparatifs pour le recevoir (2 livres), et cela jusqu'à Nevers où il arrivait le 29 à 4 h. du soir. Par les temps d'agitation fébrile et de déplacements continus où nous vivons, la note ne manque pas d'intérêt : « Vous devez être étonné, écrivait Victor, de tout l'argent que j'ai donné pour ces chevaux de louage ; mais je puis vous assurer, mon très cher père, que j'ai fait de mon mieux pour dépenser peu d'argent dans ma route. Cependant elle me coûte 385 livres, dont il faut rabattre 36 livres pour des bottes fortes, et une selle qui me coûta 36 livres que j'ai achetée à Laval, d'un officier qui passait en voiture. Il avait perdu de l'argent au jeu, et il vendait quelques-uns de ses effets pour en avoir ». Ajoutons 139 livres pour les chevaux de poste pris à part, suivant l'occasion, et qui coûtaient moins cher que la poste même : ci, à raison de 4 livres 10 sols par poste, 139 livres de supplément. Plus instructif encore est son budget de jeune officier en juillet suivant. Nous sommes loin des largesses grandioses où les écrivains romantiques se plaisent à montrer la vie insouciante de l'officier sous l'Ancien Régime ; et la médiocrité d'allures chez Victor, au régiment du Comte d'Artois, confirme celle que nous connaissions déjà par son père aux dragons de la Reine : l'expérience de celuici ne devait pas s'y tromper. Le total est de 260 livres 18 sols, ce qui devait représenter 600 à 700 francs au début du XXème siècle. Pour les dettes de jeu, terreur des parents, elles ne montent qu'à 17 livres en 3 soirées — on ne parla pas du gain éventuel. Le logement n'est que de 16 livres ; les repas pris à l'auberge 95 livres, les petits déjeuners à part, 4 livres ; pour le domestique, 24 livres d'auberge ; et pour le cheval, objet d'importance dans cette condition, 24 livres 16 sols de nourriture, 4 livres 4 sols de pansage, 2 livres de ferrage. Mais on note un complément d'éducation naturel : maître d'armes, 6 livres ; maître de danse, 12 livres ; maître de dessin, 15 livres, avec 3 livres de crayons et papier. Ajoutons un artiste plus modeste, mais qui tenait alors son rôle dans la mise en scène du régiment et de l'uniforme : le perruquier : 3 livres 12 sols, employant 1 livre 4 sols de poudre et pommade. « Tous ces détails vous seront peut-être ennuyeux, convient Victor, mais mon désir est, mon très cher père, de vous prouver que je ne veux pas manger l'argent que vous m'avez donné, mal à propos » (31 mai 1873). En tout cas, l'écriture est ferme, nette ; l'orthographe vaut celle de n'importe quel robin de profession, notaire, procureur, avocat. Le séjour au collège de Vannes n'avait pas été du temps perdu.

Dès l'automne suivant, 1783, en même temps qu'il relève d'une grave maladie, on s'occupe dans l'armée qui « se recueille » après les secousses budgétaires de la guerre d'Amérique — comme on dira modestement, à la suite de guerres ruineuses, au siècle suivant — de lui assurer le grade de capitaine, sur la démission prochaine d'un gentilhomme breton, M. de Lauzanne, causée par la nouvelle ordonnance, — ce qu'explique son parent M. de Guichen, le célèbre chef d'escadre, d'ailleurs ami des Botdéru et « compagnon de chasse » du jeune Victor, qu'il désigne sous ce nom :

« J'arrive de rendre les visites dont on m'a honoré à Goudmail, ce qui ne m'a pas permis de vous témoigner plus tôt toute la part que je prends au rétablissement de notre camarade de chasse dont j'ignorais la maladie ; et je comptais toujours qu'il m'eût fait l'amitié de venir tuer nos perdrix. J'en aurais été bien inquiet si je l'avais appris plus tôt ; sa santé et tout ce qui vous intéressera me sera toujours bien cher....

Je n'ai vu qu'un extrait de l'ordonnance concernant la cavalerie. Il paraît que l'on ne veut y comprendre que des gens de cour ou d'une richesse immense à sacrifier au service. M. de Lauzanne, qui n'a aucune de ces deux qualités, est décidé à remettre sa commission. Je l'ai engagé d'attendre encore quelques mois, espérant toujours quelques changements plus favorables. Je désirerais bien qu'il y en eût un qui me permît de vous prouver mon zèle pour tout ce qui pourrait vous être agréable. Je m'y emploierais avec toute la satisfaction possible par la sincérité des sentiments d'attachement et respect avec lesquels j'ai l'honneur d'être. GUICHEN ».

« Je pars lundi pour Kerauter, chez M. de Lauzanne, y passer quinze jours » [Note : A Goudmail, par Châtelaudren, 28 septembre 1783. Kerauter appartenait à M. de Lauzanne, le gendre de M. de Guichen, qui, réformé dans la cavalerie, désirait, ainsi qu'un autre parent de M. de Guichen, M. Le Grand, une commission de capitaine dans un bataillon de garnison (Saint-Paul à Guichen, Versailles, 17 juillet 1784.) Sur le mariage de M. de Lauzanne avec Melle de Guichen, voir Rev. des Quest. Hist., juillet 1906, p. 182]. Deux mois plus tard, nouvelle lettre : « Rien encore de si incertain que mon voyage de Paris, sur lequel le Ministre ne s'est pas encore expliqué. J'en attends la nouvelle au plus tôt mercredi, et dont j'aurais l'honneur de vous prévenir si je reçois l'agrément de partir. Je pense bien, Monsieur, que la présence de Monsieur votre fils ne pourrait que faire un très bon effet; mais je penserais aussi qu'il serait essentiel que M. le prince de Tingry l'approuvât sur l'espoir qu’il aurait de réussir à obtenir ces agréments.... Aussi, Monsieur, je le consulterais avant d'entreprendre ce voyage et sa réponse vous déterminerait. Quant à moi, soyez très certain que j'y emploierais tous mes faibles moyens et que je ne remettrai la démission que le plus tard qu'il me sera possible. Mais, si mon voyage a lieu, il sera borné à un mois tout au plus ; ainsi vous n'avez point de temps à perdre pour employer vos amis, sur l'avis que vous avez de la démission de M. de Lauzanne dans le régiment royal de cavalerie.

Je désirerais bien, Monsieur, que les circonstances me permissent de profiter de l'amitié dont vous m'honorez de m'engager d'aller juger de la couleur de votre vieux vin. Ce serait avec la plus grande satisfaction que je me rendrais à Kerdréau vous y témoigner ma reconnaissance et les sentiments de respect avec lesquels je suis. etc. » (Lorient, 29 novembre 1783).

Et Guichen termine, en adressant par post-scriptum, avec ses hommages pour la Comtesse et Melle du Botdéru, ses sentiments d'amitié à M. de Silans et à son camarade de chasse. Silans, — mais ceci est une autre histoire, — se trouvait par malencontre et sans qu'il y eût de sa faute, officiellement exclu de la marine.

La réponse du prince de Tingry dut être affirmative ; et le 30 décembre, il écrivait à son tour ce billet : « Je me concerterai, Monsieur, avec M. le comte de Guichen pour faire les démarches qu'il trouvera convenables vis-à-vis du Ministre. Il est arrivé hier seulement, et, dans le courant de cette journée, j'irai le chercher. M. de Bougainville et Monsieur votre fils m'ont fait l'honneur de dîner chez moi, et le premier m'a expliqué la demande que se propose de faire M. de Guichen. Agréez les assurances de l'attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, MONTMORENCY-TINGRY, ce 30 à Versailles » [Note : Décembre 1783. Le comte du Botdéru se trouvait déjà en relation avec le prince de Tingry, auquel il avait adressé des félicitations à l'occasion de son mariage ; mais la réponse du prince, très courtoise, ne porte pas de date précise].

Quoi qu'il en fût, la négociation réussit : « C'est avec bien du plaisir, mon cher Botdéru, lui écrivait un ancien camarade, le capitaine de Marsilly, que je vous fais mon compliment sur le succès de la demande de M. de Guichen pour Monsieur votre fils. J'avais toujours pensé que le Ministre ne s'y refuserait pas, la circonstance étant, trop heureuse. Quoique vous n'ayez encore qu'une parole, je la regarde cependant comme positive, M. le Maréchal de Ségur n'étant point dans l'usage d'en donner légèrement et ayant pris ses mesures pour qu'on ne lui forçât pas la main ; j'ai le regret, mon cher Botdéru, de n'avoir pu être bon à rien à Monsieur votre fils ; je n'en suis pas moins dévoué à vous et à lui, s'il se présente d'autres occasions de vous servir dans ce pays-ci ».

Marsilly ajoute en post-scriptum : « Monsieur votre fils, qui veut bien être porteur de cette lettre, vous dira qu'hier la nouvelle de la promotion était publique à Paris. Ainsi le travail des régiments et des compagnies suivra, et le Ministre ne tardera guère à en instruire M. de Guichen » (Paris, 12 janvier 1784).

Il s'agissait, en effet, bien au delà d'une simple commission d'officier à obtenir, d'une refonte de l'armée à la suite de la guerre d'Amérique, ce qui intéressait tout le militaire, autant dire tout le monde de la cour. Mais précisément, remarquait le comte de Guichen, pour empêcher la parole du Ministre de s'égarer dans les bureaux, il y avait « nécessité de suivre cette affaire par des personnes à la cour, qui ne la perdissent pas de vue, pour en presser l'expédition et remettre la soumission de 10.000 francs à l'ordre de M. de Saint-Paul, lorsqu'il remettra le brevet de réforme ». La nomination n'allait pas sans des frais et des indemnités, et l'on comptait sur Bougainville pour aider à ce service (Guichen, 28 janvier 1784). Saint-Paul, d'ailleurs, mandait à, Guichen que M. du Botdéru était « fort dans le cas de concourir à toutes les nominations de réforme.... Cependant on ne peut pas se dissimuler que la concurrence sera toujours également forte et qu'il est impossible de compter sur le succès ». Aussi conseillait-il de retirer les 10.000 francs consignés, « et il sera temps de les consigner quand il sera nommé ». En attendant, Saint-Paul s'occupait aussi du parent de Guichen, M. Le Grand, qui souhaitait toujours une compagnie dans un bataillon de garnison, — bataillons dont on ne s'occupait pas encore — et de M. de Lauzanne, capitaine réformé dans le régiment royal de cavalerie (De Versailles, 17 juillet 1784). Et Bougainville confirmait, le 21 juillet, que le jeune prétendant se trouvait en concurrence avec 1.400 personnes.

Enfin la commission vint, définitivement datée à Versailles du 16 février 1785, d'une sous-lieutenance en la compagnie de Saint-Martin, dans le régiment d'Artois cavalerie, vacante par la promotion du lieutenant d'Avaugour de Bellouan à une lieutenance en second [Note : M. de Bellouan fut admis aux honneurs de la cour en juin 1787 — (Courcy, Nobiliaire, I ; 67)]. Victor n'avait été jusque là que sous-lieutenant simplement attaché. Puis ce fut, le 21 mai 1786, le rang de capitaine au même régiment, commandé par le baron de Fumel, maistre de camp.

Entre temps, le jeune officier, sans doute de passage en Alsace, s'était fait recevoir, le 17 octobre 1785, dans la franc-maçonnerie, par la loge des Beaux-Arts, à « l'Orient de Strasbourg ». [Note : Strasbourg était à l'époque un centre international très recherché de vie intellectuelle, mondaine et militaire, ce qui justifie sans doute ce voyage. (Jean de Pange, Gœthe en Alsace ; Paris, 1925 ; pp. 36 et suiv.)]. Il est vrai que la devise était un peu bien aristocratique : Durat cum sanguine virtus avorum. Le grand maître de toutes les loges régulières du royaume était alors Louis-Philippe d'Orléans, duc de Chartres. Bougainville, oncle de Victor, qui connaissait le duc très intimement, avait été, comme on pense, enrôlé dans la confrérie maçonnique. Mais le temps allait bientôt venir où le prince du sang, le duc de Crussol, dont la signature figurait sur le diplôme, et le jeune néophyte lui-même, allaient apprendre le danger de revêtir des prétextes humanitaires pour accueillir avec indulgence les jeux préliminaires de la Révolution [Note : On voit ici le caractère hybride de la franc-maçonnerie : aristocratique dans le recrutement de son personnel, démagogique dans son action pour affermir son pouvoir occulte. Elle reconnaît maintenant qu'elle prépara ou dicta les cahiers de 89, surtout en Bretagne (Gaston Martin : La Franc-maçonnerie et la préparation de la Révolution de 1789 en France et spécialement en Bretagne ; Toulouse, Falandry, 1925, p. 22. Conférence devant un auditoire maçonnique en janvier 1925 et dont les conclusions sont acceptées par la Rev. Hist., juillet 1925, 263). — En quoi, du reste, la franc-maçonnerie n'agissait pas autrement que ne font aujourd'hui les politiciens extrémistes qui rédigent les logs ou réclamations outrancières des ouvriers dans les démocraties aventureuses d'Australie (Rev. d'Edimbourg, avril 1925, p. 202-203). Dans tous les cas, Bougainville, commandant à Brest, à la fin de 1790 et au début de l'année suivante, se vit aux prises avec une population difficile, que menaient quatre grandes loges de Frères et Amis : l'Heureuse Rencontre, Saint-Jean des Amis intimes. l'Ecossaise de la Vraie Union, la Constance].

Mais, une fois son fils établi régulièrement dans la hiérarchie militaire, le comte du Botdéru ne devait rien avoir de plus à cœur que d'assurer la continuité de son nom. L'abbé Jérôme avait déjà glissé quelques ouvertures, auxquelles il se plaignait que l'on ne répondît pas. Un projet de mariage fut ébauché pour Victor, mais le ciel y mit terme par la disparition de la fiancée.

Le 14 juillet 1785, Silans, écrivant à Botdéru, lui donnait l'exacte indication de sa fortune [Note : Nous reproduisons ce petit détail à raison de la descendance d'Olympe : « Voici l'exposé clair et fidèle de ma fortune.: mes biens du Bugey évalués 50.000 francs ; deux maisons sises à Lyon : 160.000 livres. J'ai refusé (à) la dernière date, de celle que j'habite, 84.000 livres, la mieux placée il est vrai, mais la moins considérable ; 75.000 francs placés sur l'hôpital de la Charité de Lyon, rendant le 4% net ; 60.000 francs rapportant le 5% net ; un petit domaine près de Lyon de 22.000 livres… ; ce qui ferait un capital de 350.000 livres au moins, sans parler du mobilier. Le tout bien épuré, sans dette, ni procès ». La dot immédiate devait être de 120.000 livres], et ajoutait, de son style curieusement archaïque : « Les décrets de la Providence ayant mis fin aux jours de celle que vous désiriez associer au sort de Botdéru, je ne dois plus me faire une délicatesse d'aller sur les droits de cette rivale qui convenait mieux dans le temps à mon neveu. Autorisé par le penchant d'Olympe, qui a la prétention de lui succéder, j'avoue que, loin de l'en détourner, mon cœur a savouré ce choix. Puissiez-vous, cher frère, l'envisager de même, et successivement le principal intéressé, à qui ce nouveau lien ne saurait plus m'attacher. Parlez-moi librement, cher frère, sur cette tendre question. En désirant une occasion qui sans doute ferait le bonheur de nos vieux jours, ne perdons jamais de vue celui de nos enfants ». Et, en post-scriptum, l'excellent homme ajoutait : « Olympe a reçu votre charmante lettre qui a contribué à lui inspirer que vous la regardiés déjà comme votre brue. Pour moi, je ris aux anges du mérite de son présage ».

Il fut donc convenu que Victor du Botdéru irait, à la fin de 1785, à Lyon, visiter sa tante et sa cousine, et que les Bougainville, arrivant directement de La Brosse, leur terre auprès de Paris, viendraient l'y rejoindre. Il avait probablement connu Olympe dans son enfance ; mais elle venait de terminer son éducation à Paris, au couvent de l'Abbaye-au-Bois, et l'on sait par quelles transformations passe une jeune fille en voie de fleurir. Malheureusement la rencontre ne réussit pas. Avec toutes les qualités de cœur dont elle ne cessa de donner l'exemple, « elle était née sans beauté, écrit doucement le cardinal de Cabrières, et cette privation lui avait valu sans doute, à l'âge où les jeunes filles ne craignent pas d'être remarquées, quelques-uns de ces signes d'indifférence pénibles pour l'amour-propre. Elle avait, paraît-il, — le cardinal ne connaissait pas les documents de Kerdrého — distingué parmi ses cousins le comte du Botdéru (futur député de l'extrême droite à la Chambre de 1815), et n'aurait pas été fâchée de lui donner sa main. Mais, de propos délibéré, le jeune Breton ne la lui demanda pas. Olympe de Silans se vengea noblement en donnant, en toute occasion, à ce parent si décidé contre ce projet d'alliance, la preuve de l'amitié la plus sincère » (Cabrières et Veaune ; Paris, Pion, 1917, p. 107).

Victor du Botdéru, qui se proposait sans doute une carrière et une alliance plus éclatantes afin de se rapprocher du monde éblouissant de Versailles, commenta donc par recevoir les honneurs de la cour, suivant l'ambition de son père. On connaît le protocole de cette présentation par le célèbre récit de Chateaubriand, reçu la même année [Note : Mémoires d'Outre-Tombe, édition Biré ; Paris, Garnier, I, 203 et suiv.]. Puis l'année suivante, en juin 1788, Victor épousait Sophie du Camboust de Coislin, troisième fille de Pierre François, marquis du Camboust (1734-1817), et de Louise Charette de Briord [Note : Sur cette branche de Coislin, cf. Kerviler : Bio-bibliographie, VII, 337-338, et sur les Charette de Briord : VIII, 352-353. En 1786, l'un des MM. de Briord s'intéressait au dessèchement du lac de Grandlieu. Pour la famille de Coislin, en général, voir Kerviler : La Bretagne à l'Académie française]. Les préparatifs du mariage, pour un jeune provincial, qui se devait d'être à la hauteur des circonstances, avaient réuni autour de Victor ses cousins et connaissances de la branche Montendre, y compris les Bougainville, pour le choix des emplettes, « M. de Bougainville, auquel j'avais écrit, m'a répondu d'une manière aussi obligeante qu'honnête et il me promet de m'accompagner partout où besoin sera de ma présence. J'attends aussi la lettre de M. du Camboust pour pouvoir commencer mes visites. J'ai couru ces jours-ci tout Paris pour voir diamants et voitures, et j'étais accompagné de M. de Montendre, de sa femme et de Mme de Bougainville. A l'égard des diamants, quand on en donne, il est actuellement de première nécessité de donner des bracelets, et pour en avoir d'honnêtes, il faut y mettre 9.000 ou 10.000 livres au moins. On porte aussi, comme vous savez, des bagues ; il faut un étui d'or, boîte à mouches, etc. Quant à la voiture, elle vous coûtera de 4.000 à 4.600 livres. Cette emplette m'embarrasse peu… Votre Saint-Esprit est estimé 560 livres. On en peut faire une bague ». Un ami, M. de Villeblanche, se mariait au même moment et les cadeaux de mariage étaient de même ordre (Victor à son père, 17 mai 1788). Les parents continuant, de part et d'autre, à habiter la province, le contrat fut dressé suivant deux procurations habilitant, l'une, le marquis de Tinténiac au nom du comte du Botdéru/; l'autre, le marquis de Sérent, au nom des Coislin. Puis l'acte fut signé à Versailles, comme achèvement normal des honneurs de la cour, par le roi, la reine, Mme Élisabeth et le comte d'Artois, chef du régiment auquel appartenait le jeune fiancé, mais sans cérémonie ce semble, et même à part des époux qui signèrent le lendemain à Paris. Parmi les autres signataires, on relève la marquise de Tinténiac (Anne-Marie-Françoise de Kersulgaër), d'une famille apparentée déjà aux Botdéru ; Bougainville, cousin germain par alliance du marié ; la marquise douairière de Coislin (née Anne-Louise-Adélaïde-Mélanie de Mailly-Rubempré, d'une branche détachée des Mailly-Nesles) [Note : Sur le marquis et la marquise de Coislin, voir le comte Fleury : Louis XV intime ; Paris, Plon, 1899, page 145 et suiv.] ; la marquise de Sérent (Bonne-Félicité de Montmorency-Luxembourg) ; le duc et la duchesse de Rohan (Marie Bretagne [Note : Ce prénom adventice se retrouve chez d autres grands seigneurs bretons comme Amédée Bretagne Malo de Durfort, marié à Claire de Coëtnempren de Kersaint, plus tard duc et duchesse de Duras] Dominique de Rohan-Chabot et Émilie de Crussol) ; le marquis de Martigné (Guillaume-Marie-René de Guickardi) ; le chevalier et Mme du Pé-d'Orvault (Armand-Charles-Marie Bourigan et Jeanne - Séraphine - Renée Baude) ; Pierre Guillaume-Joseph Le Franc des Fontaines, abbé commendataire des abbayes royales de Geneston (diocèse de Nantes) et de la Pélice (diocèse du Mans) ; Charles-Marie-Henri du Bois de la Ferronière, mestre de camp d'infanterie ; Marie-Charles Hay, chevalier des Nétumières ; Pierre-Louis Godet, chevalier, seigneur de Châtillon ; Louis-Barthélemy de La Bourdonnaye, chevalier de Malte, lieutenant aux gardes françaises; René-François-Joseph-Marie du Boberil, comte de Cherville, procureur syndic des États de Bretagne, ainsi que deux autres députés en cour des États : Mathurin-Jean Le Provost de la Voltaie, député de la noblesse, et Yves-Vincent de la Motte-Fablet, maire de Rennes.

Mais, trait curieux, après tant de signatures illustres, respectables ou simplement notables, les parents, en leur genre, se réservaient de donner après coup leur approbation et ratification, ce que ne firent le comte et la comtesse du Botdéru qu'avec des réserves expresses pour tout ce qui dépassait « leurs intentions clairement manifestées dans leur Procuration ». Aussi n'admirent-ils du coup que les articles 1er, 2, 6 et 8 du contrat, à cause de leur réciprocité (Ratification du 16 août 1788). Ces articles stipulaient la communauté des acquêts pendant le mariage, suivant la coutume de Bretagne ; le maintien des apports de biens propres, quittes et nets de charges, et la reprise des effets personnels en cas de dissolution.

Malgré tout cet apparat et tant de précautions, la fortune des époux, ainsi qu'il était fréquent dans la noblesse, n'était pas des plus brillantes. Victor du Botdéru apportait 120.000 fr. ou 6.000 livres de pension ; Sophie de Coislin 60.000 francs ou 3.000 livres de pension. Ajoutons le traitement de capitaine, soit 1.500 livres, diminué de 500 livres ou 10.000 francs de capital par l'achat et l'indemnité du grade.

L'année suivante, 1789, le décès de Jean-Baptiste-René, survenu, comme nous l'avons déjà dit, le 25 novembre, laissait le jeune ménage en possession de la propriété, château et terres de Kerdrého. Mais déjà l'heure de la Révolution avait sonné, la crise commençait de se faire sentir au vif, jusque dans les existences inoffensives. Et, tandis que le chevalier de Silans, qui se trouvait aux premières loges pour assister aux troubles de Lyon [Note : Louis de Launay : « Les trois Ampères » ; Revue des Deux Mondes, 1er avril 1924, 590-603], conseillait à son neveu de Kerdrého de supprimer, sur les lettres, les titres et cachets suspects d'aristocratie, l'insubordination taquine, sinon haineuse, commençait de se traduire en Bretagne. Dès le 13 février 1790, Silans écrivait à son neveu, qui demeurait chargé des intérêts de Mme de Silans, au sujet des propriétés et des risques d'insurrection : « Mme la vicomtesse du Botdéru (femme du chef d'escadre Nicolas) me mande celles de votre beau-père menacées ; je juge son avis une fausse alarme, puisque vous ne nous en dites mot ». Et le 1er avril : « Je pense que vous êtes installés à Kerdrého en pleine famille et que cette possession et autres ont été et seront préservées des ravages ; les crises qui se succèdent, sans en prévoir le terme, ne présentent qu'un tableau affligeant, au moins pour plusieurs générations ». Mais déjà, le 22 avril, il apparaissait bien dans cette correspondance que la bourrasque — ou mieux le cyclone, car il commençait par abattre les arbres — s'était étendu jusqu'à Plouay : « Rendus à Kerdrého, où je vous suppose avec famille, de pénibles souvenirs ont dû accompagner cette installation, un saccage monstrueux dans vos bois de décoration est la suite des désordres malignement provoqués. Ce supplément de perte dans tous les objets, et sans en pouvoir calculer le terme, n'est propre qu'à détacher de cette vie et une riche réflexion pour qui saura la mettre à profit ». Puis, un peu plus loin : « Bougainville me mande qu'il a refusé une très belle représentation en Russie, par le même esprit de sagesse qui exige que l'on reste à portée de sauver de l'incendie ce que l'on pourra ».

Par où l'on voit quels durent être les sentiments de Bougainville lorsque, quelques mois plus tard, commandant militaire à Brest, il dut recevoir à sa table les jacobins brestois et faire arborer à la flotte le drapeau tricolore en remplacement du drapeau blanc fleurdelisé [Note : Vers cette époque, Silans écrira : « Nous sommes au courant de ce qui se passe à Brest.; les crises de ce lieu ont, comme ailleurs, des secousses plus ou moins fortes. Il paraît que M. Destaing ambitionne de remplacer M. Dalbert, et je n'en ai pas meilleure opinion de lui. Je ne considère d'heureux et de sage dans les circonstances que l'être isolé dont tous les soins se bornent à être ignoré ». C'était presque dans les mêmes termes, mais prise du bord opposé, la phrase rancunière de Napoléon, quelques années plus tard, contre le citoyen qui, s'effaçant au fond de la province, échappe à la main-mise de l'Etat (Taine, Régime moderne, I, 89)].

Enfin, concluait Silans, « le code militaire fait et connu, vous déciderez aussi d'après son exigence. La rentrée de votre déboursé serait à mon avis, s'il est possible, le préférable quant à moi, qui ai à peu près fini mon temps, le seul engagement qui me satisfasse est de vous voir empressé à nous aimer, et d'y répondre par tous les moyens que vous désirerez ; le tout réversible à vos alentours, à qui le ménage lyonnais offre hommages et tendresses ».

Dans le fait, Victor du Botdéru partit pour l'émigration et se rendit à l'armée du Brabant, en même temps que son beau-père, Pierre-François du Camboust, ancien capitaine au régiment de Piémont cavalerie, et son beau-frère Pierre-Louis du Camboust, né en 1769. Ils devaient rentrer tous les trois en France, et les deux beaux-frères notamment se retrouver à la Chambre des Pairs sous la Restauration. Mais, après le licenciement de l'armée des Princes, Victor, continuant de vivre en Allemagne, s'enfonça jusqu'en Pologne où il apprit tous les secrets de la chasse au loup, que la proximité de la Russie continuait d'alimenter de ce gibier dangereux [Note : Comtesse du Laz : Généalogie de la maison de Saisy de Kerampuil ; allocution prononcée par le vicomte de Saisy à l'inauguration du monument élevé à la mémoire du comte du Botdéru dans la forêt de Convaux (Vannes, Galles, 1896, 193-213)]. « Rentré en France, après 1800, sa fortune, qui lui avait été en grande partie conservée par le dévouement de sa vertueuse mère, lui permit de se livrer à ses goûts et d'être encore utile à son pays en le purgeant des animaux nuisibles qui y exerçaient de grands ravages. Il se créa une meute, et bientôt les forêts retentirent du bruit des cors, des chiens et du tamtam. Le tamtam, instrument en usage dans les chasses de Pologne, n'était pas connu en Bretagne : son effet, dans le principe, fut prodigieux, surtout sur les loups, qu'un seul coup faisait déguerpir à l'instant même ».

Thomase de Plœuc, restée courageusement en Bretagne, au milieu d'opérations militaires qui se poursuivaient comme en pays ennemi, préparées en secret à Lorient ou à Hennebont, conduites nuitamment en grand silence, marchant sur Plouay, appuyées d'artillerie et accompagnées de flanc-gardes, n'avait rien perdu de son caractère et de son sang-froid. Les terres de son fils, nous l'avons dit, avaient été naturellement confisquées. Aussitôt que l'horizon parut s'éclaircir, elle les racheta tranquillement autant qu'il se pouvait, Kerdrého et le reste, par personnes interposées [Note : Elle avait racheté, par l'intermédiaire de Me Laumallier, notaire à Rennes, au citoyen Bodin, les terres de Mohon, vendues en adjudication dans le Morbihan avec l'ensemble des biens confisqués sur le citoyen Botdéru, quoique situées dans l'ancien évêché de Saint-Malo]. Dès l'an VI, elle rachète les terres de Guiscriff, les 10, 15 et 20 prairial ; en l'an VII, le château, trois métairies et trois moulins (16 brumaire) ; en l'an IX, d'autres terres, à des citoyens qui les avaient acquises de l'administration du Morbihan : au total, 115 numéros, en Plouay, Calan, Bubry, Plumergat, Mohon. Le comte du Botdéru redevenait un personnage, et le nouveau pouvoir, qui tenait à utiliser chacun suivant ses aptitudes, n'allait pas s'en désintéresser.

« Sa chasse favorite fut toujours celle du sanglier », continue le vicomte de Saisy ; et les ravages de ces animaux, auxquels les loisirs de la Révolution avaient laissé la facilité de se multiplier, comme en Allemagne pendant la guerre de Trente Ans, devaient multiplier à proportion les plaintes des cultivateurs [Note : Dans le Wurtemberg, en 1657, il était habituel chez les princes de tuer 120 à 140 sangliers dans une seule chasse. (Mém. de Coulanges, édition Monmerqué, p. 14). Dans la saison de 1728-1729, Louis XV tuait encore 27 loups à Fontainebleau (Nolhac : Louis XV et Marie Leczinska, éd. Goupil, p. 82). Pour la Pologne d'aujourd'hui, voir les Souvenirs de la gouvernante anglaise de l'archiduchesse Elisabeth, fille de l'archiduc Rodophe et petite-fille de François-Joseph (Recollections of a Royal Governess ; Londres, Hutchinson, 1915, p. 82). Les aventures de Victor du Botdéru en émigration auraient, dit-on, fourni quelques traits au Messire de Foudras pour son héros de roman, « le Père la Trompette », infatigable chercheur de loups sur la frontière polonaise]. « Lors de l'institution de la vénerie, sous l'Empire, le comte du Botdéru fut nommé lieutenant de louveterie du Morbihan, et, quelque temps après, capitaine des chasses de l'ancienne province de Bretagne. Ce fut alors qu'il put donner un libre cours à son ardeur infatigable et que toutes les forêts de notre péninsule furent explorées, traquées dans tous les sens et dépeuplées de leurs nombreux habitants ».

Le 2 juillet 1808, en effet, « Alexandre (Berthier), vice-connétable et grand veneur », avisait le préfet d'Ille-et-Vilaine que M. du Botdéru, propriétaire à Kerdrého, était nommé capitaine de louveterie du 5ème arrondissement dont l'Ille-et-Vilaine faisait partie ; et le 21 mai 1817, au retour de la Restauration, il était nommé lieutenant pour les cinq départements bretons. — diminution de titre en apparence, les capitaines ayant été probablement supprimés, mais augmentation grande d'attributions qui lui demeurèrent telles jusqu'en 1830.

Toutefois, dès 1811, il avait commencé de prendre une part plus active à la politique, comme membre du Conseil général du Morbihan ; et en 1815, à la fin de l'Empire, l'arrondissement de Pontivy l'envoyait à la Chambre introuvable, puis l'y maintint fidèlement en attendant sa nomination à la pairie en 1827. Or, « en 1821, dit le chancelier Pasquier dans ses Mémoires, la question s'étant posée de savoir si l'on indemniserait les anciens soldats de Bonaparte qui avaient perdu leur dotation par le fait de sa chute, l'indemnisation des émigrés se posa du même coup. La discussion s'ouvrit à la Chambre le 22 mai. Le premier orateur qui prit la parole fut M. du Botdéru, ancien chef de chouans dans le Morbihan. Il avait passé sa vie à chasser et à se battre en partisan, dans les chemins creux ou derrière les buissons de la province ; franc et loyal, ne sachant pas un mot de droit public ou privé, il ne devait pas ménager ses paroles, il devait dire sa pensée tout entière… ».

Le discours fut, en vérité, d'une assez jolie venue, net, rectiligne et logique. « Certainement M. du Botdéru n'avait pas composé son discours ; mais il était parfaitement harmonisé avec son caractère. Aussi fut-il écouté en silence, même par la gauche. Ce manifeste de l'émigration, de la Vendée, de la Chouannerie était bien placé dans sa bouche ; l'impression qu'il produisit fut profonde » [Note : Pasquier, Mémoires, V, 222-4. Sur les exagérations des polémiques contre le milliard des émigrés, voir Marcel Marion, Le Correspondant, 10 avril 1923. Lamartine en avait très justement noté le caractère dans son Histoire de la Restauration : « Le Gouvernement rencontrait devant lui les deux forces les plus difficiles à convaincre : des préjugés et des intérêts. Ces préjugés et ces intérêts n'étaient que des sophismes. Cependant, quand avec des sophismes les orateurs remuent les susceptibilités nationales et les avarices malentendues des classes contribuables, ces orateurs peuvent susciter d'insurmontables obstacles aux meilleures pensées des hommes d'Etat » (Daguerre, 1852, t. VJII, 32-40)].

Néanmoins, revenant à sa véritable carrière, en 1824, il fut nommé maréchal de camp, ainsi que l'avait été son beau-frère, le Messire de Coislin, député de la Loire-Inférieure dès 1816 ; puis dans la grande fournée des 76 pairs désignés le 5 novembre 1827, il alla rejoindre encore son beau-frère à la Chambre Haute, où ce dernier siégeait depuis 1823. Cette fournée de pairs nouveaux, qui n'offrait rien d'extraordinaire dans l'histoire des prérogatives royales, en Angleterre comme en France, fut naturellement accueillie par les railleries et récriminations des anciens pairs dont le vote risquait d'être noyé dans le flot des nouveaux venus. Mais, au point de vue personnel, la nomination du comte du Botdéru ne devait éveiller aucune surprise. Jeune officier au régiment du comte d'Artois avant la Révolution, compagnon d'exil et d'émigration militaire, chasseur dans l'âme autant que Charles X, qui poussait à l'extrême la passion cynégétique [Note : Lamartine, ibid. 3-4. — Sur les Pairs « impromptus » de 1827, voir les amusants Souvenirs de l'un d'eux, Frénilly, 535-540], animé d'un royalisme solide et militant, l'amitié du roi devait depuis longtemps lui être assurée. Mais aussi la chute du trône, en 1830, l'atteignit douloureusement. La révolution nouvelle frappait son vieux prestige jusque sur son terroir ; et son successeur prochain à Kerdrého, un de ses neveux, Ernest de Fournas, fils de sa cousine germaine, fut destitué de la mairie de Plouay. Le vieux chouan, pour lui conserver le nom que lui donnait Pasquier, épanchait ses tristesses chez sa cousine Françoise de Fournas, la fille aînée de Nicolas du Botdéru, le chef d'escadre ; elle habitait un ancien manoir, le Crâno, dépendant de Kerdrého et s'y rattachant par une de ces longues avenues taillées dans les bois de pins, qui rayonnent, se recoupent autour du château et lui dessinent une physionomie à part sur la carte d'état-major, tracées comme à plaisir pour encadrer les cavalcades de chasseurs et faire résonner l'écho des meutes. Mais Mme de Fournas avait aussi ses préoccupations : « Tout s'organise plus vite à Paris que ne se réorganise ma pauvre tête ; dans quelques heures, un roi et une constitution pour 33 millions d'âmes !. Dieu n'allait pas plus rapidement en créant le monde » (A Hyacinthe de Bougainville, août 1830). Quoi qu'il advint, le comte du Botdéru n'imita pas son beau-frère, le Messire de Coislin, qui, se ralliant au régime orléaniste, conserva sa situation de pair de France. Il n'en eut que plus de loisir pour se livrer à sa passion célèbre ; à peine rentrant du bois, harassé de fatigue, il repartait pour la chasse en plaine, « tirant à balle le lapin avec une grande adresse, détruisant les blaireaux et prenant le nombre prodigieux de trois cents renards pendant le même hiver » (Saisy, pp. 302-303). — « Après trente-quatre ans d'une guerre à mort, la race des sangliers fut détruite et il semblerait que son extinction tint à l'existence de notre illustre ami. Deux mois avant sa fin, pour terminer dignement sa carrière de vénerie, il voulut donner une dernière chasse dans les Montagnes Noires. Six laies pleines et un gros sanglier tué à Kerjean en furent les trophées. Depuis l'on n'entendit plus parler de sangliers ».  Une chute sur la chaussée d'un des étangs du Pont-Callec hâta sa fin, non moins que le deuil de son régime politique. Ce vigoureux chasseur, dont le nom rappelait à ses amis l'illustre du Fouilloux, mourut à Kerdrého le 27 mai 1834.

Il avait eu de son premier mariage avec Sophie de Coislin, qui lui était tendrement attachée, une jeune fille, Pauline [Note : La tombe de Pauline fut violée pendant la Révolution, problablement en représailles du refuge que Louis Calan avait trouvé à Kerdrého, comme nous l'avons dit, où un bon accueil devait sans doute lui être assuré, puisqu'il comptait dans sa bande un parent de Botdéru, le jeune de Robien (du Chatellier, t. IV, 377). La pauvre mère, qui vivait encore, eut la tristesse de constater, au retour de l'ordre, les profanations commises. L'ancien cimetière de Plouay n'existe plus ; le cimetière actuel ne date que de 1825], et deux petites filles qui moururent avant l'heure. Puis, lorsque sa femme disparut également, il eut l'idée singulière d'épouser sa belle-sœur, Adélaïde de Coislin, qui n'éprouvait à son égard aucune sympathie ; aussi les nouveaux conjoints se séparèrent dès la sortie de l'église et les témoins de cette séparation en propagèrent longtemps le souvenir. La légende, qui ne manquait pas aux faits et gestes du dernier des Botdéru [Note : Parmi les anecdotes qui le mettent en scène, Elzéar-Blaze, frère de Castel-Blaze et l'oncle de François Buloz, aussi fervent chasseur qu'excellent mémorialiste militaire du premier empire, raconte l'anecdote suivante dans le Journal des Chasseurs d'octobre 1842. « M. du Botdéru s'entendait aussi bien en cuisine qu'en vénerie ; et pendant ses séjours à Paris, pour les sessions à la Chambre des Pairs, lorsque, chez Véfour ou Véry, il avait trouvé quelque plat qui lui convînt, il descendait à la cuisine et, moyennant une pièce de 40 fr., obtenait du maître-queux la recette convoitée. Certain jour, ayant du monde à Kerdrého, il avait fait un pâté de gibier. Satisfait de son œuvre, il lisait le journal dans le salon, lorsque son valet de chambre entre et le prie de venir couper le pâté « Couper mon pâté ? Et pourquoi ? »« C'est qu'il n'entre pas dans le four ». — « Couper mon pâté ? Faites venir le maçon. Qu'on démolisse la porte et  même le four ! ». Et plus tard, lorsqu'il grognait contre son serviteur, il ajoutait : « C'est ce drôle qui voulait me faire couper mon pâté ! ». Il est à croire que ces pâtés monumentaux n'étaient pas regardés comme exceptionnels sous l'Ancien Régime et ne demandaient que des estomacs à proportion pour les absorber. M. Castell Hopkins, dans son livre sur les seigneurs français au Canada, autrefois et aujourd'hui, c'est-à-dire vers cette même époque de transition, cite un pâté qui contenait : « un dindon, deux poulets, deux perdrix, deux pigeons, des morceaux de deux lapins, des tranches de lard gras, deux jambons, avec condiments et fines épices » (French Canada and the St-Laurence ; Toronto, Bell et Cockburn, 1913)], prétendait que le ménage ne se revit plus qu'en se croisant sur la route au relais de Landévant, entre Auray et Hennebont. « Toujours aussi disgracieux ? » aurait demandé la dame railleusement. — « Toujours aussi charmante ? » aurait répondu courtoisement le vieux gentilhomme. Ils n'en devaient pas moins s'accorder sur les principes politiques, chouan et chouanne, si l'on en juge par une correspondance de l'administration louis-philippique, propre à clore dignement les annales de cette vieille race qui avait su garder son indépendance à travers les troubles aussi bien de la Révolution que de la Ligue :

« Ministère de l'Intérieur, Division de Police générale, 1er bureau. Paris, ce 24 Avril 1833,

Monsieur le Préfet, On me signale le départ de Paris de Mme la comtesse du Botdéru, femme séparée de l'ancien Pair de France de ce nom. Cette dame ne retourne pas, pour le moment, en Bretagne ; elle se rend, dit-on, à Villemer, près Fontainebleau, dans le château de son neveu, le comte de Soussay, chef de bataillon, en solde de congé, qui a servi dans la Vendée et dans la garde royale. Les démarches de Mme du Botdéru méritent une certaine attention. Une condamnation assez légère qu'elle a subie depuis la révolution de juillet, pour tentative d'embauchage, a excité chez elle un profond ressentiment. Avant de quitter la capitale, elle s'est munie de pistolets à piston. Les personnes qui la connaissent assurent qu'elle est familière avec l'usage des armes et que la résolution ne lui manque pas. Je la recommande donc à votre surveillance et je vous prie de me tenir exactement informé des observations auxquelles aura pu donner lieu son séjour dans votre département. Agréez, Monsieur le Préfet, l'assurance de ma considération distinguée. Le Pair de France, Ministre de l'Intérieur, Signé : Comte d'Argout. Monsieur le Préfet de Seine-et-Marne » [Note : Ce doit être à son adresse que le futur maréchal de Castellane note quelques remarques dans son journal de mars 1813 (t. 1er p. 224)].

Elle mourut en 1838.

La terre de Kerdrého devint, par héritage et legs, à la mort du comte du Botdéru, la propriété d'Ernest de Fournas, le second fils de Françoise, la cousine germaine du détunt, né en 1807. Il avait servi quelque temps dans la cavalerie, comme son frère Balthazar dans la marine. Son père était mort en 1829 à sa terre de Kervégant, sur le Scorff, dont héritait en qualité d'aîné le jeune marin, né le 20 août 1806 à Hennebont. Mme de Fournas, sur le point de se retirer au Crâno, songeait à l'établissement de ses fils et ne tenait pas à les voir suivre une carrière lointaine. En 1824, Ernest épousait une voisine, naturellement de la famille qui était intimement mêlée aux origines de Kerdrého et à l'histoire des Botdéru, Mlle Olympe de Pluvié, née en 1813. Le jeune ménage releva même le nom de Botdéru ; mais, comme il arrive souvent en pareil cas, ce ne fut qu'une résurrection momentanée : ils n'eurent point d'enfants. Cette sorte d'inactivité forcée dans la continuité de la famille leur donna le désir d'un voyage en Italie, telle qu'on la parcourait alors, non sans risques et peines, l'Italie romantique, celle de Stendhal, de Georges Sand et d'Alfred de Musset. « C'était, écrit quelques années plus tard, en 1847, le duc de Broglie, un grand voyage et même un voyage assez pénible que celui d'Italie. Une famille riche l'entreprenait une fois en sa vie » [Note : Revue des Deux Mondes, 1er mars 1925, p. 137].

Ils en firent le grand tour, à la façon des Anglais faisant leur tour d'Europe. Cette attitude pourtant ne laissait pas que de surprendre les indigènes, qui ne savaient dans quelle classe de forestieri les ranger [Note : La Quotidienne, 19 janvier 1828. — « Souvenir d'un vieux capitaine de frégate », publiés par son fils René Kerviler, Revue le Bretagne, de Vendée et d'Anjou, mars 1891, p. 218]. « Mademoiselle, demandait l'un d'eux à leur femme de chambre, quel est donc le pays de vos maîtres ? Je connais toutes les langues de l'Europe; je ne comprends pas un mot de la leur ». M. et Mme de Fournas s'entretenaient en breton du Vannetais. Evidemment tous les Italiens ne possédaient pas la science linguistique du cardinal Mezzoffanti, cette Pentecôte vivante, qui, avec son don des langues, reconnaissait, dit-on, les nuances des dialectes bretons, ceux de Cornouaille et de Léon, du Vannetais et du Trégorois.

Entre temps, le jeune ménage s'occupait de remanier Kerdrého, et d'un grand parc avec terrasses à la française, fit un immense jardin à l'anglaise couvrant plus de huit journaux. La chapelle avait disparu, probablement au temps de la Révolution. Aujourd'hui que les goûts romantiques s'effacent, on apprécie mieux le style traditionnel d'autrefois et l'on regrette que les plans disparus ne permettent pas de le ressusciter entièrement.

La révolution de 1848 amena les deux frères, Balthazar et Ernest de Fournas, à l'Assemblée constituante, comme députés du Morbihan. Balthazar avait, pour sa part, marqué dans la marine par ses débuts héroïques à la bataille de Navarin, le 20 octobre 1827. Embarqué comme élève de 1ère classe sur « l'Armide », il s'était rendu seul au milieu de la mitraille à bord de la frégate turque que son vaisseau français forçait d'amener, la « Grande Sultane », portant lui-même le pavillon blanc fleurdelisé pour l'arborer sur cette frégate et « traversant le gaillard d'arrière au milieu des Turcs qui pouvaient le poignarder ». Le capitaine turc, stupéfait de cette audace, lui remit son sabre, dont le commandant Hugon de « l'Armide » s'empressa de lui faire cadeau, comme témoignage de satisfaction [Note : Ce sabre existe encore chez un de ses petits-neveux par voie d'héritage]. Cependant l'amiral de Rigny ne voulut point le porter pour la décoration, par principe de ne rien demander pour les élèves. Balthazar dut attendre sa croix jusqu'au 3 août 1828 ; il n'avait quand même pas achevé ses 21 ans. Puis, lieutenant de vaisseau, le 3 août 1834, il donna sa démission.

Vint l'Empire, et les deux frères rentrèrent dans la vie privée. Ernest de Fournas décéda le 15 juin 1854. Sa veuve se cloîtra dans un deuil rigide, qu'elle devait observer pendant une trentaine d'années, vivant seule au milieu de ses terres, ne s'éloignant guère du château, dont elle parcourait le parc à pas comptés, suivant sa propre expression. Foncièrement charitable, très simple et très réservée de sa personne, quoique gardant une dignité de tenue qui convenait à sa situation, ses vieux amis, dont quelques-uns avaient connu, comme fonctionnaires, les beaux jours de la Restauration — entre autres M. Huon de Kermadec, ancien conseiller à la Cour de Rennes, et M. Hello, fils du procureur général, lui-même conseiller à la Cour de Paris sous le second Empire, bien que royaliste fervent et ami intime de Louis Veuillot — pouvaient se présenter à sa table journalière sans rien déranger à l'apparat de la maison. Chaque année elle sortait de son isolement pour passer un mois à Paris, auprès de sa famille, et recruter sa bibliothèque, où elle s'absorbait toute la journée. Sa curiosité livresque, partie de romans anglais, ceux de Walter-Scott, s'était étendue à toutes les œuvres d'histoire, de voyages, de philosophie ; elle rapportait ainsi, comme provende d'hiver, plusieurs caisses de livres sérieux, contenant tous les ouvrages en vogue qu'elle avait vu mentionner dans les grandes revues du jour. Le poète Brizeux, qui avait connu le chemin de Kerdrého, ne s'y trouvait pas dépaysé. D'ailleurs Mme de Fournas avait à proximité son frère, de l'autre côté du bourg, séparé de Plouay par une distance égale à celle de Kerdrého, dans son beau château de Ménéhouarne, au milieu d'un parc animé d'eaux vives et peuplé de chevreuils. Le comte de Pluvié y menait à peu près la vie qu'avait menée le comte du Botdéru, exerçant des attributions municipales et départementales, entretenant une meute pour la chasse à courre et, le soir, en famille, se délassant aux charmes de la musique, où il tenait sa part d'exécutant sur un violoncelle de Stradivarius, signalé en 1875 par le Journal de Musique comme l'une des œuvres les plus authentiques et précieuses du célèbre luthier d'Italie. Le frère et la sœur, soutenus par une profonde affection, s'éteignirent presque à la même date, en 1882, le comte de Pluvié quelques semaines avant la comtesse de Fournas. A la mort de celle-ci, le 1er septembre, on trouva la chambre de son mari complètement close, les persiennes fermées, telles qu'au jour du décès en juin 1854, la place du corps encore visible sur le lit. Seule, une vieille femme de charge avait eu l'autorisation d'y pénétrer pour y remettre un peu d'ordre indispensable. Mme de Fournas en avait fait son oratoire journalier.

De par la volonté formelle d'Ernest de Fournas, suivie par sa veuve, Kerdrého devenait l'attribution de Mlle Paule de Bougainville, mariée au général Albert, comte des Plas, et fille d'Alphonse de Bougainville, cousin issu de germain des Fournas. Ainsi, la terre qu'une demoiselle de Pluvié avait apportée au XVIème siècle dans la famille du Botdéru voyait le nom des Botdéru s'éteindre au XIXème siècle sur la même terre, avec une autre demoiselle de Pluvié, sans que la descendance eût été interrompue.

Quant à Balthazar de Fournas, par qui nous devons terminer cette branche familiale, le jeune élève de marine embarqué sur « l'Armide », le juvénile conquérant de la « Grande Sultane », nous le retrouvons, vingt-cinq ans plus tard, au temps de la mort de son frère, assagi, philosophe, dans un dessin joliment croqué par une malicieuse mémorialiste, fille du préfet maritime de Lorient, l'amiral de Suin, aux premiers temps du second Empire.

« Mon père avait eu la joie de voir surgir à la préfecture un de ses plus chers camarades, perdu de vue depuis les grades inférieurs, qui vivait dans une terre à quelques lieues de Lorient. Le comte Balthazar de Fournas avait quitté la marine pour se marier, avait perdu sa femme — Mlle Georgine de Montesson, — avait été représentant du peuple en 1848, et avait été mêlé à la partie la plus mondaine du faubourg Saint-Germain ; intimement lié avec les familles de Fitz-James et de Contades, il s'était rassasié des plaisirs de Paris ; puis, quittant le monde, bientôt il était revenu en Bretagne vivre tout seul dans son manoir, où il ne recevait jamais personne et où il ne lisait jamais qu'un livre : Montaigne. Environ deux fois par mois, quand il avait subi, quinze jours durant, le silence de la nature, il se sentait pris du désir de revoir les hommes, attelait un vieux cheval et arrivait en ville, pour faire son whist au cercle de Lorient et quelques visites à de rares amis, puis retournait le surlendemain à son désert.

La plupart des Lorientais ne le connaissaient que par sa réputation de causeur… On lui trouvait beaucoup d'esprit, et il en avait beaucoup, en effet. Cet esprit se nichait dans son œil, dans le coin de ses lèvres, dans un accent, dans une réticence, dans tout, sauf dans les mots… Il jouait les histoires plus qu'il ne les racontait… Nous l'aimions tous, sa venue était pour nous une joie... Parfois, nous l'allions voir à Kervégant : c'était un séjour paisiblement doux. Maison sans architecture, intérieur sans élégance, parc sans tracé, eaux vives sans direction ; mais, dans cette sauvagerie, des paysans singulièrement poétiques, des coins fleuris et pénétrants, la Bretagne, son indéfinissable charme et sa sauvage simplicité. Le maître de ce désert silencieux souffrait souvent de la goutte ; il s'enfermait durant les accès, afin de jurer en liberté, disait-il ; puis, quand la paix était rentrée dans son corps, il jetait ses béquilles et arrivait à la préfecture, où la sécurité de son humeur et la finesse de son esprit apportaient la gaieté qu'il disait y venir chercher » [Note : Mémoires de la comtesse Diane (Marie de Suin de Beausacq). Paris Ollendorff, 1903, pages 106-107].

La goutte, mal des bons vivants d'autrefois, et que la vie militaire de ces ardentes générations n'était pas faite pour exorciser, emporta les deux frères. Balthazar de Fournas s'éteignit le 31 mars 1871 ; il fut inhumé le 3 avril dans le petit cimetière d'Arzano qui domine la vallée du Scorff et dont le nom rappelle celui de Brizeux, cher à ses amis de Kerdrého, ainsi qu'à tous ceux qui gardent le souvenir de la vieille Bretagne poétique, La terre de granit recouverte de chênes.

Son manoir de Kervégant passa, sur sa désignation expresse, à la branche de sa cousine germaine, veuve d'un capitaine de vaisseau, Mme de Mauduit du Plessis, puis fut attribué régulièrement aux fils d'un autre brillant marin, Charles de Mauduit, chef d'état-major de l'amiral de la Grandière, mais qui n'était plus de ce monde pour en jouir, car la maladie terrible de Cochinchine l'avait enlevé avant la guerre de 1870, où son fils aîné Charles devait être tué à la bataille de Patay, parmi les zouaves pontificaux.

(Avocourt et Kerallain).

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