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LE FLÔ (Adolphe-Charles-Emmanuel)

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Général Le FLO (1804-1887)

Adolphe-Charles-Emmanuel LE FLÔ, né à Lesneven (Finistère) le 2 novembre 1804 et décédé au château de Nec'Hoat (Morlaix, Finistère) le 16 novembre 1887, est un général et un homme politique français.

Il sort de Saint-Cyr en 1825. Après avoir servi en Algérie (prise de Constantine), il devient colonel en 1844, général de brigade en 1848 et est nommé commandant de la subdivision de Bône.

Il est envoyé en Russie comme ministre plénipotentiaire le 23 août de la même année.

En avril 1848, il est élu député du Finistère à l'Assemblée constituante. Il est réélu en mai 1849 à l'Assemblée législative dont il devient questeur. Il siège parmi la majorité antirépublicaine jusqu’à la rupture entre les monarchistes parlementaires et l'Elysée. Il combat alors la politique du prince-Président Louis-Napoléon Bonaparte qu’il avait auparavant soutenu. Sa qualité d’adversaire acharné du président lui vaut d’être banni après le coup d'Etat du 2 décembre 1851. Incarcéré à Vincennes et à Ham, il est ensuite expulsé de France, se réfugie en Belgique puis en Angleterre. Exilé par Napoléon III, il gagne l’amitié du tsar de Russie.

Autorisé à rentrer en France en 1857, il se tient à l’écart de l'Empire et vit en son château de Nec'Hoat. Il est réélu député du Finistère de 1871 à 1876. Il est nommé ambassadeur à Saint-Pétersbourg de 1871 à 1879 et utilise ses relations personnelles avec le tsar Alexandre II pour neutraliser la politique agressive de l'Allemagne en 1875. Admis à la retraite en 1879, il est remplacé à Saint-Petersbourg par le général Alfred Chanzy. Il meurt en son château de Nec'Hoat (Finistère) le 16 novembre 1887.

I. CARRIÈRE MILITAIRE.

Adolphe-Charles-Emmanuel Le Flô naquit à Lesneven (Finistère), le 2 novembre 1804, la même année que Bedeau. Pour plaire à son père, il entra à Saint-Cyr. Il n’avait guère songé jusqu’alors à la carrière militaire. Au jour de son examen d'admission, il avait littéralement stupéfait son examinateur par cette réponse inattendue à la question d’usage : « Connaissez-vous quelque langue étrangère ? — Oui, je sais le bas-breton ». A l’armée, comme plus tard dans la diplomatie, ses saillies, tour à tour pleines d’humour ou de raison sérieuse, suivant les cas, mirent plus d’une fois les rieurs de son côté.

Général Le FLO (1804-1887)

Sorti de l’école en 1823, sous-lieutenant au 2ème léger le 1er octobre 1825, il fut envoyé de bonne heure en Algérie et y servit presque constamment dans l’infanterie légère et les zouaves, cette troupe d’élite où il fut des premiers à entrer. Lieutenant le 5 novembre 1830, capitaine le 20 janvier 1836, Le Flô prenait part avec ce grade à l’assaut de Constantine. Il commandait les bataillons d’élite du 2ème léger, associés dans la première colonne aux zouaves de Lamoricière.

Lors de la terrible explosion que nous avons racontée plus haut, dans la biographie de Bedeau, Le Flô fut blessé à la tête et aux mains.

A quelque temps de là, remis de ses blessures, mais n’ayant pas encore eu le loisir de renouveler son uniforme de campagne, il se trouvait prendre part à une réception militaire chez le duc d'Orléans. Un colonel, qui ne connaissait point le capitaine Le Flô, arrête sur lui son regard, s’étonne et, dans un mouvement irréfléchi : « Capitaine, dit-il me semble que votre uniforme n’est pas de la première fraîcheur. — Colonel, répond le capitaine Le Flô, en relevant fièrement la tête, au milieu du silence provoqué par cette interpellation, je connais beaucoup d’officiers qui payeraient bien cher le droit de le porter ainsi maculé ! ». — Quelques instants après, le duc d'Orléans saluait dans un toast le capitaine Le Flô, qui avait eu l’honneur de porter haut le nom français en sautant en l’air au siège de Constantine !.

Les blessures reçues à Constantine ne furent pas les seules. A l'Oued-Djeba, le 30 avril 1840, il fut contusionné à l’épaule droite, puis au bras gauche, le 12 mai, à Milianah. Par dix fois en ses campagnes d'Afrique, il fut cité à l’ordre de l’armée, et Lamoricière lui donna cette note : « Le Flô. — Officier d’une rare distinction et d’une énergie absolument exceptionnelle. Ferait marcher des soldats de bois (sic) ».

Général Le FLO (1804-1887)

Chef de bataillon le 21 juin 1840, lieutenant-colonel aux zouaves, le 31 décembre 1841, colonel du 32ème de ligne, le 29 octobre 1844, Le Flô revient en France après la révolution de février 1848. Il est général à quarante-trois ans et a le « corps plein de plomb », disait-il.

 

II. MINISTRE EN RUSSIE — LE TSAR NICOLAS ET LA RÉPUBLIQUE DE 1848.

Au mois de juillet 1848, le général Cavaignac, devenu chef du Pouvoir exécutif, envoya le général Le Flô à Saint-Pétersbourg en qualité de ministre plénipotentiaire. C’était une mission de confiance et qui pouvait avoir de grands résultats pour la France.

En Russie régnait encore le tsar Nicolas, l’ancien allié de Charles X et qui avait amèrement ressenti la chute de ce prince. Aussi n’avait-il jamais pardonné à Louis-Philippe d’avoir usurpé le trône de son cousin. « Tôt ou tard, disait-il, les pavés qui servent de trône au roi des Français s’écrouleront sous de nouveaux pavés. La France, un beau matin, se réveillera au bruit des barricades ». Aussi, à la nouvelle de la chute de Louis-Philippe, le tsar s’écria : « Je l’avais prévu ; au fait, j’aime mieux cela. La république, tout impraticable qu’elle me paraisse en France, est au moins un principe ; la royauté de Louis-Philippe n’était qu’un déni de principe. Justice est faite ».

Mais devant les désordres qui suivirent la chute de la royauté et en présence de l’agitation qui, de la France, gagnait rapidement toute l'Europe, Nicolas se ravisa promptement « Messieurs, dit-il à ses officiers en leur communiquant les nouvelles de la révolution, préparez-vous à monter bientôt à cheval ». — Des ordres furent aussitôt donnés pour réunir l’armée, et un manifeste impérial du 26 mars annonça à l'Europe les résolutions du puissant monarque.

Mercier, chargé d’affaires, représentait alors la France à Saint-Pétersbourg. L’empereur le fit venir au palais et lui dit que, dans l’intérêt de ses peuples et pour sa propre dignité, il ne pouvait consacrer par son assentiment des faits qu’il considérait comme fatals au repos de l'Europe. Il l’engagea à prendre le plus promptement possible ses passeports et poussa la gracieuseté jusqu’à lui offrir l’argent dont il pourrait avoir besoin pour quitter la Russie et rentrer en France.

Toutefois, le tsar déclarait encore « ne pas méditer d’agression et vouloir la paix. La Russie, disait-il officiellement, se maintiendra dans une stricte neutralité, spectatrice des événements, inoffensive, mais vigilante ; en un mot, elle n’attaquera point, si elle n’est elle-même attaquée ».

La France répondait à ce langage de l’autocrate de toutes les Russies par des déclarations en faveur de la Pologne et de nos frères les peuples allemand et italien. La Pologne était trop éloignée pour la secourir efficacement. Nos frères les Allemands refusaient notre concours et réclamaient même l'Alsace et la Lorraine, comme faisant partie de la grande Allemagne. Les Italiens déclaraient la guerre à l'Autriche pour Lui enlever le Milanais et la Vénétie ; la France offrit ses armées à l'Italie contre l'Autriche, mais les Italiens refusèrent dédaigneusement; l'Italia farà da se, disaient-ils, et ils menaçaient de combattre nos soldats, s’ils descendaient en Italie, tout comme ils combattaient les Autrichiens.

Dans l’intervalle, se produisit la terrible insurrection des journées de juin 1848 : Paris à feu et à sang pendant quatre jours, des combats sanglants entre les troupes et les insurgés, sept de nos généraux tués ou grièvement blessés, l’archevêque de Paris succombant sur une barricade, l’ordre enfin triomphant, grâce à l’énergie de nos soldats et à la froide résolution du général Cavaignac.

C’est à ce moment que le général Le Flô était envoyé représenter la France auprès du tsar Nicolas. Un biographe nous montre notre ambassadeur préoccupé de savoir si le tsar consentirait à recevoir de sa main une lettre autographe du général Cavaignac.

Nicolas, plus gracieux envers le chef de la République française qu’autrefois envers Louis-Philippe, reçut la lettre. — Au mois de décembre, Le Flô, qui avait été nommé, dans le Finistère, membre de la Constituante, quitta Saint-Pétersbourg. — A cette date, Cavaignac cédait lui-même le pouvoir au prince Louis-Napoléon Bonaparte, élu, le 10 décembre, président de la République. — Le temps avait évidemment manqué à notre ambassadeur, et plus encore l’appui de son gouvernement, pour ramener les bonnes dispositions du tsar. Et le refus de Cavaignac était, d’ailleurs, trop récent pour ne pas laisser des blessures d’amour-propre dans l’esprit du puissant empereur.

Quoi qu’il en soit de ce grand projet d’alliance entre la France de 1848 et le tsar Nicolas Ier, et quelle que soit la part que le général Le Flô ait pu prendre à ces délicates négociations, il est du moins certain que lui et son successeur, le général Lamoricière, opérèrent une heureuse influence sur l’esprit de l’empereur de toutes les Russies. — Vingt-sept ans plus tard, dans des circonstances solennelles, Le Flô devait recueillir le fruit des liens d’estime et d’amitié réciproques qu’il avait noués en 1848 à la cour de Russie.

 

III. M. ASSEMBLÉE CONSTITUANTE — ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE — COUP D’ÉTAT DU 2 DÉCEMBRE 1851 — EXIL — GUERRE DE 1870 — MINISTRE DE LA GUERRE.

A propos du rôle du général Le Flô à la Constituante et à l'Assemblée législative de la deuxième République, M. de Vogüé écrit : « Comment il tomba dans un Parlement et ce qu’il alla y faire, lui, le général Le Flô .que nous avons connu, cela passe la compréhension. Il y promena ses passions tout d’une pièce, d’abord pour, ensuite contre le prince-président. Nommé questeur, il fut joué par son camarade Saint-Arnaud, le 2 décembre 1851 ; c’était là, au fond, le grief qu’il ne put jamais pardonner à l’empire ».

Général Le FLO (1804-1887)

Il importait d’abord pour le coup d'Etat, dit M. Victor Pierre, dans son Histoire de la deuxième République, de s’assurer du palais de l'Assemblée et de la personne des questeurs qui logeaient au palais. On les savait très énergiques et décidés à se défendre. Saint-Arnaud confia cette délicate mission au colonel Espinasse. Celui-ci, avant de l’accepter, voulut étudier le terrain, et mettant à profit les relations intimes qui l’unissaient au général Le Flô, il le pria de lui faire visiter le palais. Le questeur se prêta sans défiance au désir de son ami, le promena partout et lui montra même le passage secret par lequel, en cas de surprise, il comptait s’échapper pour donner l’alarme. — Le 1er décembre, le tour de garde revenait au 42ème de ligne. C’était le régiment d'Espinasse. Vers 5 heures, il était dans le palais et la police arrêtait le général Le Flô dans son lit, tandis que son enfant, âgé de sept ans, embrassait les genoux du commissaire, en criant : Grâce, Monsieur Bonaparte. — Cependant le général avait voulu revêtir son uniforme dans l’espoir de pouvoir parler aux soldats et de les entraîner. Dans la cour, il rencontra le colonel Espinasse, son ami de la veille. « Colonel, dit-il, vous êtes un infâme, et j’espère vivre assez pour arracher de votre habit vos boutons d’uniforme ». Le colonel baissa la tête. Un chef de bataillon agita son épée en criant : « Nous en avons assez des généraux avocats ! ». — On poussa le général Le Flô dans un fiacre ; et, à Mazas, le questeur retrouva son collègue, M. Baze, les généraux Cavaignac, Lamoricière, Changarnier et Bedeau. Avec eux, il fut conduit, le 4 décembre, au château de Ham, et, le 8 janvier 1852, à la frontière.

Durant l’exil, il demeurait à Jersey avec Victor Hugo, qui prenait des leçons d’équitation. « Qu’est-ce que vous f... donc sur cette bête, Hugo ? criait le général ; vous allez vous casser le cou. — Ami, répondait le poète, nous ignorons ce que demain réserve ; un chef d’État doit savoir monter à cheval ». — Rentré de l’exil en 1859, en même temps que Lamoricière et Bedeau, Le Flô vécut dans la retraite jusqu’au 4 septembre 1870. La Défense nationale le fit ministre de la Guerre.

C’était le dernier poste qui lui convint, écrit M. de Vogüé. Lorsqu’il s’agit de traiter de l’armistice, « Jules Favre le traîna aux conférences de Versailles. Le Flô y était encore moins à sa place, incapable de se contenir, de disputer froidement les lambeaux de la patrie. Laissant cette douloureuse besogne à son collègue, il attendait dans le jardin du château, mâchonnant un cigare et sacrant à sa guise ». — Thiers, nommé chef du Pouvoir exécutif, conserva le portefeuille de la Guerre au général Le Flô, dans le premier ministère de la troisième République. Au 18 mars, ses avis pour reprendre les canons aux gardes nationaux ne furent pas écoutés « et il fallait lui entendre raconter ses démêlés héroï-comiques avec M. Thiers pendant le second siège ».

Au mois de juin 1871, le général Le Flô reprit la route de Saint-Pétersbourg, cette fois avec le titre d’ambassadeur de la République française. — Depuis seize ans, Alexandre II, le fils de Nicolas Ier, régnait en Russie. Neveu de l’empereur d'Allemagne et profondément blessé par les procédés de Napoléon III envers lui, le tsar était loin d’être favorable à la France.

Ce sera l’éternel honneur du général Le Flô d’avoir su conquérir le cœur d'Alexandre II, d’avoir gagné son estime et son amitié, et d’avoir, en un jour de crise, obtenu l’intervention de la Russie contre l’Allemagne. L’histoire compte peu d’ambassadeurs qui aient aussi bien servi leur pays.

 

IV. AMBASSADEUR EN RUSSIE - LA CRISE DE 1875.

C’est à ce moment, écrivait M. de Vogüé dans les Débats, que je voudrais le peindre, notre général, au hasard des souvenirs que la funèbre dépêche fait remonter dans ma mémoire, et tel qu’il nous est apparu dans ces années de collaboration intime : diplomate impassible, objet de scandale et d’envie pour ses collègues, d’orgueil et d’affection pour ses subordonnés.

D’ailleurs, qui l’a connu alors connaissait toute sa vie ; il aimait à la raconter avec une force de souvenir et un bonheur d’expressions sans pareil. Avec des saillies déconcertantes et des façons de courir à l’assaut, avec beaucoup de finesse sous beaucoup de droiture, Le Flô s’était fait une diplomatie à lui, qu’il prenait là où on ne prend guère la diplomatie, dans le cœur. Elle eût peut-être échoué en toute autre place et en tout autre temps, il serait périlleux de l’imiter, on ne singe pas le naturel ; elle réussit à souhait près de celui qu’il fallait gagner. L’âme impressionnable et généreuse d'Alexandre II fut amusée d’abord par les boutades de l’enfant terrible, bientôt conquise par la loyauté du preux ; à quel degré, on le sait du reste. J’ai vu le tsar pleurer à chaudes larmes, quand il serra pour la dernière fois dans ses bras son vieil ami ; c’était chose bien nouvelle dans la froide étiquette d’une cour ; mais rire aux éclats n’y est pas chose plus fréquente, et si Alexandre a pleuré ce jour-là, c’est peut-être qu’il avait souvent bien ri.

C’était une des joies du souverain quand le général, mal monté à une parade, piquait des deux pour le rejoindre et lui criait : « Sire, c’est cette rosse qui n’avance pas ! ». Et les qualificatifs de pleuvoir sur la rosse, des qualificatifs à faire évanouir tous les chambellans. Le tsar s’amusait parfois à attirer Le Flô dans son péché d’habitude, les diatribes contre le second empire. Il y en avait de légendaires.

Un soir, à un bal du palais, Alexandre fit remarquer à l’ambassadeur quelqu’un de la cour qui ressemblait d’une façon singulière à Napoléon III. Le général regarda, avec son jeu caractéristique de physionomie, le plissement de toutes les rides de son front sur ses petits yeux vifs ; il éclata : « Vraiment, sire, c’est frappant ! oh ! mais c’est à tirer dessus ! ». Il était sérieux, capable de le faire comme il le disait.

Aussi bien, il ne fallait pas juger les passions et la politique du général avec nos idées d’aujourd’hui. Le Flô était d’un autre siècle : et ses manières, comme la pensée qu’elles traduisaient, rappelaient des temps disparus. Ceux qui l’entrevoyaient en passant, ceux qui entendaient une fois ce langage tout hérissé de jurons, coutumier d’un seul verbe plus pittoresque que diplomatique, ceux-là disaient avec dédain : « C’est un vieux troupier ». Beaucoup s’y sont trompés. Ils ne soupçonnaient pas quelle fleur de chevalerie s’alliait à ce sans-gêne de parole ; ils ignoraient que ce vieux troupier savait être grand seigneur dans sa maison, courtisan chez un prince, de la meilleure grâce du monde et avec la meilleure tradition d’autrefois. Je me suis pris souvent à penser qu’Henri IV devait penser et sentir comme lui, jurer du même air, et, comme lui, faire tout le reste.

Il eut de très grands succès. Je ne veux rappeler que celui de 1875, le jour où, comme d'habitude, au mépris de toute étiquette, de son petit pas alerte et décidé, il alla frapper droit à la porte, puis au coeur de son auguste ami, le tsar Alexandre II.

Général Le FLO (1804-1887)

Il est nécessaire d’exposer ici les faits de cette crise de 1875. Déjà, en 1873 et en 1874, l'Allemagne avait cherché à nous faire la guerre, parce que, à ses yeux, la France se relevait trop vite de ses désastres. Au printemps de 1875, la guerre allait éclater avec ou sans déclaration de guerre. Le prétexte était la formation d’un 4ème bataillon voté par l'Assemblée nationale. Partout les agents diplomatiques de l'Allemagne faisaient montre de leurs alarmes feintes. Bismarck envoya un de ses familiers, de Radowitz, au prince Gortchakof, « pour lui ouvrir les yeux et lui offrir les compensations qu’il désirerait en Orient ».

A ce moment, le général Le Flô était absent de Saint-Pétersbourg. Il était venu prendre part, à l'Assemblée nationale, au vote des lois constitutionnelles. Il allait repartir pour son poste, sans rien savoir de la gravité de la situation, lorsqu’au dernier moment, sur, une indication officieuse, il courut chez le maréchal de Mac-Mahon, président de la République, qui lui donna communication de dossiers secrets qui révélaient les projets menaçants de l'Allemagne.

Je tombai de mon haut, a écrit le général Le Flô. — Comment, dis-je au maréchal, de pareilles choses existent ; j’ai l’honneur d’être accrédité auprès du seul grand souverain qui puisse nous venir en aide, et on me les laisse ignorer ? Quelle confiance avez-vous donc en moi ? Le soir, j’étais en route pour Saint-Pétersbourg, profondément contristé, mais absolument résolu à ne m’inspirer que de mon patriotisme.

Le lendemain, notre ambassadeur voyait Alexandre II et en recevait l’assurance formelle que si les craintes de guerre étaient sérieuses, il en serait aussitôt prévenu, « et vous serez prévenu par moi, » déclara le tsar. — Alexandre se refusait, en effet, ainsi que le prince Gortchakof, à croire que l'Allemagne voulût nous déclarer la guerre. — Néanmoins, sur la demande du général Le Flô, il fit connaître à Berlin son désir de voir la paix se maintenir, et la reine Victoria appuya la démarche du tsar. — Cette double intervention, surtout celle d'Alexandre, produisit aussitôt son effet à Berlin. Mais, après de si belles alertes, il ne suffisait pas au gouvernement français d’avoir enrayé la crise; il fallait en conjurer le retour. C’est ce qu’il demanda à la grande influence du général Le Flô. Le 29 avril, le duc Decazes, ministre des Affaires étrangères, écrivait, à titre personnel au général :

Mon cher général, je vois clairement que c’est l’attitude de la cour de Russie qui a écarté de nous le danger imminent, et vous voudrez bien en exprimer à qui de droit notre reconnaissance.

Il appartient à Sa Majesté Impériale de compléter et de fortifier son oeuvre. Je vous ai dit souvent qu'à mes yeux, l’empereur de Russie était l’arbitre de la paix du monde. Il peut l’assurer pour longtemps aujourd’hui par le langage qu’il tiendra à Berlin à son passage et l’énergie avec laquelle il affirmera sa volonté de ne pas permettre qu’elle soit troublée … Ma sécurité serait absolue du jour où Sa Majesté aurait déclaré qu'Elle considérerait une surprise comme une injure, et qu'Elle ne laisserait pas cette iniquité s’accomplir.

Avec ce mot-là, la paix du monde serait assurée.

C’était, certes, une tentative hardie d’oser mettre le tsar en demeure de déclarer qu’au besoin il tirerait l’épée pour protéger la France contre l’Allemagne. Le général. Le Flô, en proie à une vive perplexité, voulut consulter le prince Gortchakof. Il lui lut la lettre du duc Decazes, mais. en passant certaines expressions par lesquelles il craignait de choquer son interlocuteur. Son embarras et ses hésitations le trahirent.

« Vous ne me lisez pas tout, fit le chancelier. Entre vous et moi, rien ne doit être caché. J’ai besoin de tout savoir ». — Le général Le Flô obéit. Puis, quand il eut achevé de lire, Gortchakof lui demanda la lettre. Il voulait l’envoyer à l’empereur.

« Ce fut, dit M. E. Daudet, que nous suivons pour ces négociations, le mérite du général Le Flô de comprendre en cette circonstance tout ce qu’il pouvait tirer de l’occasion inespérée qui s’offrait à lui et de la saisir sans hésiter. Il savait, d’ailleurs, qu’il n’y avait pas un instant à perdre. L’empereur allait partir pour Berlin, et le chancelier devait travailler avec lui le lendemain pour la dernière fois de la saison. Ces considérations décidèrent notre ambassadeur ».

Le général n’allait pas tarder à apprendre de la bouche même du tsar combien son procédé avait été agréable. Il écrivait, en effet, le 7 mai, au duc Decazes.

Sa Majesté a commencé par me dire, en me prenant les deux mains avec un abandon auquel je ne suis pas habitué, malgré sa bonté ordinaire pour moi, qu'Elle avait été extrêmement touchée de. la confiance que j’avais eue en Elle, en lui communiquant des documents qui l’avaient vivement intéressée : « Tout cela se calmera, a dit l’empereur, je l’espère ; en tout cas, vous savez ce que je vous ai dit, je ne l’oublie pas et je le tiendrai ». Je n’ai plus à dire ce qui est aujourd’hui connu de tout le monde, écrira douze ans plus tard le général Le Flô, comment le noble empereur Alexandre II, d’impérissable mémoire, tint à Berlin les promesses qu’il avait daigné me faire.

« C’est pour la France, lui avait dit l’'mpereur de Russie, et c’est pour vous, général, que je défends de toucher à votre pays. — Et moi, racontait un jour Le Flô à Mgr. Dulong du Rosnay, les larmes aux yeux, et moi, je veux que ce souvenir et cette parole s’ajoutent au titre de noblesse de mes petits-fils ».

 

V. VERTE VIEILLESSE - LA « RÉSISTANCE » LA DIVULGATION DE 1887 — LA MORT.

En 1879, après la démission du maréchal de Mac-Mahon, le général Le Flô, âgé de soixante-quinze ans, et depuis huit ans notre ambassadeur en Russie, ne crut pas pouvoir conserver plus longtemps ces hautes fonctions. Il fut remplacé par le général Chanzy. Nous avons déjà dit que le tsar pleurait à chaudes larmes en serrant dans ses bras son vieil ami.

L’année précédente, le général avait perdu le seul fils qui lui restât, officier d’avenir, le plus jeune commandant de l’armée. Le brillant officier de zouaves était mort à Alger avec le regret de ne pas voir son père auprès de lui, mais avec la recommandation expresse qu’on lui transmit ses dernières paroles : « Je meurs en soldat et en chrétien ».

Retiré dans sa famille au Néc'hoat, près de Morlaix, le général ne se désintéressait d’aucune des grandes causes de l'Eglise ou de la patrie. — « Lors de l’exécution des décrets contre les Congrégations religieuses, écrit M. l’abbé Baraud, il se trouva comme sur le champ de bataille, au premier rang, pour protester avec toute l’énergie de sa foi contre cette violation flagrante de la liberté religieuse et du domicile des citoyens ».

Combien de fois on l’a vu gémir sur les tendances irréligieuses de cette jeunesse si mal élevée par des maîtres sans Dieu !.

Avec sa haute intelligence et la rare droiture de son esprit, dira Mgr. Dulong du Rosnay sur la tombe du général, au jour de ses obsèques, il ne pouvait admettre qu’on se permît de toucher au cœur ou à l’éducation de l’enfant, sans prononcer le nom de Dieu et sans lui montrer le crucifix de nos pères. Faire des Français sans Dieu ! cette idée étrange lui inspirait des révoltes, pleines d’indignation et d’éloquence, dans lesquelles son âme de chrétien et de patriote se révélait tout entière. Alors, arborant les noms de la liberté et de la France, les noms sacrés de Dieu et de son Christ, il se mettait là notre tête pour créer, de sa bourse et de son coeur, des écoles chrétiennes. A Morlaix, le général s’honorait tout particulièrement de son titre de président du Comité des écoles libres.

Général Le FLO (1804-1887)

Les années s’accumulaient sur la tête du glorieux général sans rien enlever à son ardeur. En 1885, à l’âge de quatre-vingt-un ans, pour combattre efficacement le combat moderne, on le vit fonder un journal, la Résistance. Le numéro-programme parut le 28 mars. Nous en reproduisons quelques lignes, elles feront connaître l'oeuvre et son fondateur.

« S'ILS TE MORDENT, MORDS-LES ! ».

LA RÉSISTANCE.

Le titre même de ce journal pourrait nous dispenser de tout programme.

La résistance …. , c’est la protestation, non pas muette, personnelle et passagère, mais publique, collective et incessante, contre tous les attentats quotidiennement commis, avec ou sans le couvert de la légalité, contre l'âme et la fortune de la France.

La résistance … , c’est l’énergique affirmation, en toute occasion répétée, que la violence, la violence seule, la force brutale, pourra avoir raison de nos libertés et de nos droits ; mais que la violence même et la force ne viendront pas à bout de nous faire trahir nos devoirs ….

Le général Le Flô ne se contentait pas d'être le président du Comité du journal, il était aussi, et personne ne l'ignorait à Morlaix, l’auteur de nombreux articles politiques, surtout de politique extérieure. — Et les derniers mots que sa main devait tracer, et que la mort vint l’empêcher de terminer, étaient destinés à la Résistance.

Aux mois d’avril et mai 1887, l'Allemagne nous créait à la frontière les incidents les plus irritants, comme pour pousser à bout notre patience et nous contraindre à lui déclarer la guerre, comme en 1870, ce qui lui eût assuré le concours de ses alliés de la triple alliance. Devant ce danger, notre ancien ambassadeur à Saint-Pétersbourg livra à la publicité les documents relatifs à l’intervention de la Russie en notre faveur en 1875. Le gouvernement français crut devoir blâmer le vieux général d’avoir agi sans autorisation, mais celui-ci se consola facilement de ce blâme officiel, en constatant que la presse allemande ne put répondre à cette publication et que l’agitation que notre ennemi avait provoquée prenait bientôt fin. — Ce fut un dernier service rendu à la patrie par le général Le Flô.

Quelques mois après, le général mourait, dans sa quatre-vingt-quatrième année, après avoir reçu tous les secours de la religion. Chose curieuse ! Un sentiment excessif d’humilité avait tenu ce chrétien trop longtemps éloigné de la Table Sainte. Sa fille, Mme la comtesse de Nanteuil, le supplia de communier le plus tôt possible pour être prêt à tout événement. « Mais, depuis longtemps, je suis résolu, répondit le vieux soldat, à faire ce grand acte, quoique j’en sois bien indigne. Pourtant je ne voudrais pas recevoir mon Dieu dans alcôve ; je voudrais pouvoir communier publiquement, de manière à témoigner hautement de ma foi dans tous les enseignements de la religion catholique. —  Vous pourrez faire cela plus tard, mon père, reprit Mme la comtesse de Nanteuil ; mais, en attendant, consentez à communier ici … ».

Le lendemain matin, l'Eucharistie faisait dans la voiture même du général son entrée au Néc'hoat, paré comme en un jour de fête. En présence de toute sa famille, de ses domestiques, de ses fermiers, auxquels il tint à donner ce suprême exemple, le général communia avec des sentiments non équivoques d'humilité et de piété, et cette scène arracha des larmes aux assistants.

Maison du général Le FLO (1804-1887)

Le général Le Flô mourut le 16 novembre 1887.

Pour nous, qui vivons trop sur ces choses, écrivait M. de Vogüé, il fait bon penser à ce mort, alors même qu’on le regrette comme un proche.

Celui-là était dans la grande règle et non dans l’infime exception. Il laisse l’exemple accoutumé de nos gens de guerre, le souvenir d’un homme qui, pendant soixante ans, a tenu d’une main passionnée le drapeau, le portant gaiement dans la bonne fortune, le relevant fièrement dans la mauvaise, le servant avec toutes les armes et toutes les ressources, à la kasba de Constantine comme au palais d’hiver de Saint-Pétersbourg, toujours confiant dans ce drapeau, toujours souriant avec la belle humeur du devoir bien fait, avec l’allure résistante d’un soldat qui ne s’est couché que pour mourir. Et peut-être est-il mort pour nous rendre un dernier service, pour qu’aujourd’hui du moins les échos de France renvoient à l’étranger un autre nom de général, ce nom pur et vénéré de Le Flô. Dieu veuille nous en donner beaucoup de pareils ! En attendant, gardons celui-ci avec amour.

P. TRANQUILLE.

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