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COURONNEMENT DE NOTRE-DAME DU FOLGOET |
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Aux premiers jours de septembre 1888, le bourg du Folgoët sortait de son calme et de son silence habituels. Une grande animation régnait dans tout le vaste espace qui s’étend de l’esplanade jusqu’à l’église. La statue de Notre-Dame, naïve dans sa raideur hiératique du moyen âge, clémente et douce aux fidèles qui s’agenouillent devant elle avec amour, allait, recevoir, au nom du Souverain Pontife, les honneurs du couronnement.
Dès le 6 septembre, les mâts se dressent, reliés par des guirlandes. Sous la tente où se célébreront les offices pontificaux, sont déjà placés les blasons aux armes des prélats qui assisteront à la solennité ; à l’extérieur, à côté des armes de Léon XIII, celles de Mgr. Lamarche, évêque de Quimper, et les armes de Bretagne. Le long du chemin, que suivront les processions, s’élèvent les poteaux portant des banderoles. Les étendards, aux couleurs pontificales et aux couleurs de la France, alternent avec les oriflammes chargées de pieuses inscriptions. L’église, elle aussi, a reçu la décoration qu’exigeait la circonstance : au sommet du clocher, les couleurs françaises sont encore unies aux couleurs du Pape. Sous les vieilles voûtes du choeur et de la nef, courent des festons de roses et de verdure, et sont suspendues des corbeilles pleines de lumières et de fleurs. On a surtout prodigué les hermines de Bretagne, associées aux fleurs de lys d’or, sur fond d’azur.
Le lendemain, dix mille pèlerins assistent aux premières vêpres, que préside un vénérable archevêque missionnaire, Mgr. Laouénan ; trois autres évêques sont présents auprès du pasteur du diocèse. Un prédicateur de la lignée des grands missionnaires du XVIIème siècle, le chanoine Favé, curé de Plouguerneau, adresse la parole à ce peuple, en breton, sur ce thème : La Vierge a tant aimé son pauvre innocent Salaün, qu’elle a voulu prendre jusqu’à son nom et s’appeler ici Itroun Varia ar Folgoat.
Avec le jour qui tombe, la procession aux flambeaux se met en mouvement.. Les maisons s’illuminent ; le clocher est devenu comme un phare, sur le vaste plateau dont Le Folgoët est le centre. De l’église à l’estrade, c’est la houle étincelante des cierges. La procession se déroule au chant du Patronez dous alternant avec l'Ave Maria de Lourdes. Quand la foule s’est massée devant le trône où s’élève la statue de Notre-Dame, la sainte image apparaît, toute lumineuse dans des feux d’un admirable éclat.
La multitude se disperse. Il est dix heures. Beaucoup de pèlerins seront sans logement ; ils s’abritent un peu partout, dans les granges, dans les hangars, dans les plus pauvres réduits, mais surtout dans l’église.
Le 8, dès minuit, les messes commencent ; elles se succéderont sans interruption, aux huit autels, jusqu’à huit heures. En même temps, la communion est distribuée sans cesse.
Quatre vingt processions sont arrivées. Les « trésors » des églises ont sorti ce qu’ils contiennent de plus précieux : des croix de grand style, riches par les dimensions, par l’abondance des métaux rares, par l’ornementation des dorures ; des bannières aux fins dessins, aux somptueuses broderies. On admire la pittoresque polychromie des costumes, où se remarquent les coiffes étranges et les châles écossais du groupe nombreux des femmes de Plougastel ; la gracieuse coiffure à brides des Ouessantines à la longue chevelure, qui ont affronté les flots agités du Fromveur et du goulet de Brest.
Deux cents paroisses sont représentées. Cinq cents pèlerins de Saint-Pabu ont parcouru sept lieues et demie derrière leur croix et leur bannière : beaucoup sont venus à jeun, afin de pouvoir communier, et cette paroisse n’était pas une exception.
Le long cortège s’ébranle. Six cents prêtres défilent, précédés de la bannière de Saint-Corentin de Quimper, représentant ici l'Eglise-mère du diocèse, et de la croix de l’évêque. Quatre chanoines [Note : MM. Belbéoch, supérieur du Petit Séminaire de Pont-Croix ; Fleiter, Arhan, Bellec, curés de trois paroisses de Brest : Notre-Dame du Mont-Carmel, Saint-Martin, Saint-Sauveur ; le quatrième curé de Brest, M. Cloarec, archiprêtre de Saint-Louis, devait avoir aussi son rôle dans la fête, puisqu’il prêchera après les vêpres, en langue bretonne] portent un brancard garni de soieries et surmonté d’un coussin de satin blanc : sur ce coussin reposent les deux couronnes d’or, avec leur parure de pierres précieuses. Précédant les évêques, s’avancent Mgr. Ribaud, prélat de la Maison du Pape, grand vicaire du Cap Haïtien et Mgr. du Marhallac'h, protonotaire apostolique, vicaire général de Quimper.
Les pontifes portent tous les insignes de leur haute dignité. Mgr. Bougaud paraît le premier : c’est l’évêque de Laval, l’auteur estimé d’ouvrages de spiritualité, qui ont fait les délices des communautés et de tant d’âmes d’élite dans le monde. Puis viennent Mgr. Trégaro, évêque de Séez, un Breton et un marin ; Mgr. Bécel, évêque de Vannes, qui a voué sa vie à la gloire de sainte Anne ; Mgr. Laouénan, archevêque de Pondichéry et patriarche des Indes, imposant par la distinction de sa personne, la majesté de sa physionomie, que rehausse encore la longue barbe blanche qui le fait ressembler aux vieilles images des saints primitifs. A sa suite vient Mgr. Lamarche, l’auteur des joies spirituelles ressenties en ce jour. Le cardinal Place, archevêque de Rennes, prélat officiant, clôt le brillant défilé, accompagné de ses diacre et sous-diacre d’office, diacre et sous-diacre d’honneur et, de son prêtre assistant. Il porte la calotte rouge et il est revêtu de la cappa magna. C’est lui qui, tout à l’heure, couronnera la Vierge. Pendant la messe qu’il célèbre, la foule chante avec une foi, un élan impressionnants, le Gloria, le Credo et les cantiques bretons.
Tous les sénateurs, tous les députés du Finistère sont présents, heureux de l’occasion qui leur permet à la fois de faire cette démonstration publique de piété et d’honorer leur collègue chargé du panégyrique de Notre-Dame. En attendant l’arrivée de Mgr. Freppel, le cantique Catholiques et Bretons toujours ! est chanté par toutes les voix. Il monte vers Dieu et Notre-Dame ; il s’adresse aux évêques, en particulier à celui que le Léon, la troisième circonscription de Brest, a choisi pour être, au Parlement, le défenseur de la conscience chrétienne et de la foi bretonne.
L’évêque d'Angers est un orateur prestigieux. Quelle page éloquente va donner à ses soixante mille auditeurs l’intrépide champion de l'Eglise, dont la parole s’imposait à la Chambre, même aux adversaires les plus passionnés ? Aura-t-il le secret de dire des choses nouvelles après ses admirables panégyriques d'Urbain II, de Grignion de Montfort et de Jean-Baptiste de la Salle ? Personne n’en doute, car il sait rajeunir ses thèmes. Le pèlerinage cinq fois séculaire du Folgoët lui inspira un discours impérissable, qui a fait connaître au pays tout entier la merveilleuse histoire de l'Innocent du Bois, « le sublime ignorant » et les motifs pour lesquels la Mère de Dieu a choisi, pour opérer le miracle du lys, la terre de Léon.
« … Qui s’émeut encore, s’écria-t-il, au souvenir de Charles de Blois et de Jean de Montfort, au souvenir des quinze cents combats et des huit cents sièges qui ont marqué ces temps de héros ? Tout ce bruit est allé se perdre dans l’indifférence des peuples. Mais les traditions du Folgoët sont restées debout, toujours vivantes ; mais, à cinq siècles de distance, l'Ave Maria de Salaün retentit encore au fond de nos coeurs et tout à l’heure évêques, prêtres, peuple chrétien, tous ensemble, nous cueillerons cet Ave Maria sur les lèvres de celui qu’on appelait par dérision " le fou des bois ", pour l’attacher comme un diadème au front de Marie. Voilà le surnaturel !
Non, l'Ave Maria ne s’est pas éteint sur les lèvres de l’ermite expirant. Le voilà qui sort de sa bouche et de son coeur, comme un refrain d’outre-tombe, gravé en lettres d’or dans le calice d’une fleur, emblème miraculeux de tant de candeur et de simplicité. Cet Ave Maria de Salaün, la Bretagne, tout entière, viendra le redire sur son tombeau fleurdelysé.
Là viendront les rois et les princes de la terre, depuis Jean de Bretagne jusqu’à François Ier de France, et ils tiendront à honneur d’incliner leur sceptre devant l’image de ce mendiant. Là viendront, sur les pas d'Anne de Bretagne, toutes ces familles illustrées par le sceptre et par l’épée, et de leurs armoiries rassemblées autour de celui qui avait été le rebut et la balayure du monde, elles lui formeront un blason incomparable de gloire et de noblesse. Là viendront se rencontrer, pour la première fois, sur la tombe de cet enfant du peuple, l’hermine de Bretagne et le lys de France [Note : En la personne du duc Jean V et de Jeanne, son épouse, fille du roi Charles VI], et cette alliance imprévue sera le signe prophétique de l’union qui se fera définitivement un siècle plus lard. Là viendront les évêques de Léon, et ils chargeront un clergé d’élite de continuer, à travers les siècles, l’oeuvre de louange et de bénédiction inaugurée par ce pauvre innocent : — Je vous salue, Marie —, tel est le cri qui sortira de toutes les poitrines, dans ces lieux désormais consacrés par le miracle ; et l’église du Folgoët elle-même ne sera qu’un gigantesque Ave Maria en dentelle de pierre, que le peuple de Léon fera monter vers le ciel, comme un magnifique témoignage de sa dévotion envers la Mère de Dieu » (L. Kerbiriou).
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