L'HYDROMEL A L'ANCIENNE

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bullethand.gif (967 octets)   Les origines de l'Hydromel (1855)

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On ne sait pas quel fut le Dieu ou le simple mortel qui inventa l’hydromel, mais il est présumable qu’Osiris, personnage célèbre dans les annales de l’invention, fit usage d’hydromel avant d’inventer la bière ; car les dieux, ainsi que les hommes, durent être chasseurs avant que d’être cultivateurs ; et, parmi les produits de la chasse, le miel récolté dans le creux des arbres où s’étaient logées des abeilles dut figurer en première ligne.

L’art de faire l’hydromel pourrait bien, comme beaucoup de découvertes, être dû au hasard ; un rayon de miel exprimé par quelque Nemrod ignoré, dans une écorce d’arbre arrangée en vase dans lequel un peu de pluie tomba et fit fermenter la matière sucrée, voilà l’hydromel découvert !

Quoiqu’il en soit de cette origine plus ou moins vraisemblable, il est certain que l’hydromel a été la première boisson fermentée en usage. Nous savons que les Egyptiens en buvaient copieusement, qu’ils façonnaient avec le miel des nombreux essaims d’abeilles qu’ils cultivaient le long des rives du Nil et qu’ils menaient au pâturage à peu près comme le font nos apiculteurs de la Sologne et de quelques autres cantons de la France. Nous savons également que les Grecs, peuple très avancé en apiculture, puisqu’ils faisaient usage de ruches à rayons mobiles, n’en consommaient pas mal non plus, qu’ils mêlaient, le plus souvent, au jus de la vigne. Le vin si fameux du Mont-Hymette n’étaient que de l’hydromel façonné avec le miel récolté sur cette montagne auquel on ajoutait un peu de vin. Leurs poètes ont, Dieu merci, assez chanté ce miel et ce vin fameux pour que nous puissions nous dispenser d’en faire l’éloge.

Pendant longtemps les Scandinaves, les Germains, et surtout les Gaulois firent de l’hydromel leur boisson chérie : c’était leur nectar par excellence. Dans leurs sacrifices, les druides se seraient bien gardés d’arroser leurs victimes de bière ou de cidre, alors peu connus ; ils employaient l’hydromel, qu’ils considéraient comme devant être la boisson la plus agréable aux dieux, puisqu’elle était produite par le suc des fleurs.

Dans les premiers siècles de notre ère, les habitants de Lutèce, n’ayant pas, comme les habitants actuels de Paris, l’avantage de connaître la bière à quatre sous, ni le cidre de glucose, et ne considérant le vin, très rare du reste que comme un médicament, n’employaient d’autre boisson ordinaire que l’hydromel. Les prairies, les bruyères et les forêts qui bordaient la Seine nourrissaient une grande quantité d’abeilles, dont la plus grande partie des produits en miel était employée à la préparation de cette boisson.

Au Moyen-Age, l’hydromel était encore la boisson ordinaire et presque unique d’une bonne partie des Français. Le pays, couvert de vastes forêts, entretenait de nombreux essaims d’abeilles qui vivaient à l’état sauvage et n’en produisaient pas moins abondamment de miel. Nos forêts en nourrissaient autant que celles de la Pologne de nos jours, et le miel que procuraient ces essaims faisait d’excellent hydromel.

On sait que les arbres des forêts donnent en été une abondante sécrétion appelée miellée, et que le miel provenant de cette miellée est le plus convenable et le plus avantageux pour la fabrication de l’hydromel. En effet, qu’est-ce que cette sécrétion ? De la sève gommo-sucrée transsudée par les feuilles qui a une très grande analogie avec la sève ou le suc de la canne et celui de la betterave, lesquels sucs donnent l’un et l’autre une boisson alcoolique : la canne produit le rhum et la betterave l’alcool, en attendant qu’elle nous donne une boisson de table analogue sinon au vin, du moins à l’hydromel.

Aujourd’hui, l’hydromel n’est plus guère façonné et consommé en France que dans le département du Nord (NDLR : l’auteur de cet article ignore sans doute qu’il s’en fait encore une très grande consommation dans notre pays et notamment dans l’arrondissement de Lannion, surtout quand le cidre est cher), et encore, ce n’est plus comme boisson de table, mais comme boisson de dessert, comme liqueur qu’on en use dans cette localité. Je ne tiens pas compte de ce qu’en façonnent aussi, pour leur consommation, des agriculteurs intelligents disséminés sur tous les points ; car assez souvent ce n’est qu’un hydromel léger, une sorte de piquette faite avec les résidus des ruches après qu’on a extrait le miel. Dans quelques cantons de la Bretagne on appelle cet hydromel la miolette, et les gens de la campagne s’en régalent beaucoup.

Parce qu’on ne fabrique et ne consomme presque plus d’hydromel en France, est-ce à dire qu’on ne pourrait, disons mieux, qu’on ne devrait plus en consommer comme autrefois ? On peut répondre très affirmativement, surtout lorsque le vin est rare ; car, si l’abeille n’a plus chez nous, comme chez les Gaulois nos pères, d’immenses forêts où butiner, elle a les prairies artificielles d’une agriculture perfectionnée, et le miel des fleurs peut produire de l’hydromel tout comme celui des feuilles.

Ceci est tellement vrai que les peuples qui, plus intelligents que nous, usent encore de cette boisson agréable et bienfaisante, viennent se fournir chez nous du miel nécessaire à sa fabrication. C’est ainsi que les Hollandais, les Danois et jusqu’aux Norvégiens, viennent aussitôt la saison de la récolte, enlever tous nos miels des Landes, de la Gascogne et une partie de ceux de la Bretagne. Lorsque leurs vaisseaux vont à Bordeaux, ces peuples pourraient fort bien se charger des vins bordelais des meilleurs crus ; mais, lors même que ces vins sont à vils prix, ils trouvent un avantage économique et hygiénique à n’emporter que ces miels. Et nous autres buveurs de vin et de bière de Bavière quand même, nous les laissons faire avec indifférences, et, quand la vigne nous fait défaut, comme cette année, et que l’orge et le houblon sont excessivement chers, nous nous ingénions à façonner d’insipides piquettes de prunelles, de baies de genévrier ou de sureau que nous baptisons orgueilleusement du nom de vin, comme nous appelons avec autant d’audace bière de Bavière certaine bière indigène, dans laquelle le buis joue le rôle de houblon et la glucose celui d’orge ; comme nous appelons cidre de Normandie certains cidres de Paris dans lesquels n’entrent pas même des pommes sèches.

 

bullethand.gif (967 octets)   Causes qui ont restreint l'usage de l'Hydromel

Avant de faire connaître les moyens de produire l’hydromel, cette boisson essentiellement saine et bienfaisante, dont usaient si copieusement nos aïeux, j’examinerai les causes qui ont restreint l’usage en France.

La plus grande cause qui ait restreint en France l’usage de l’hydromel, cette boisson si fort goûtée par les Gaulois, c’est sans contredit l’introduction de la vigne. A la mesure que cette plante envahit le pays, l’hydromel dut lui céder le terrain.

En effet, avec la culture de plus en plus développée de la vigne et celle des céréales qui s’étend aussi, la plupart des grandes forêts dépérissaient, et, avec elles, une immense quantité de plantes sauvages qui couvraient nos collines et nos montagnes non dénudées comme aujourd’hui, et dont les fleurs assuraient un abondant pâturage aux abeilles. Plus de forêts et de fleurs sauvages, mais au contraire une culture spéciale de céréales et de vignes, c’était plus qu’il n’en fallait pour restreindre le nombre des essaims, portant le produit en miel, je veux dire l’hydromel.

Une autre cause de l’abandon de l’hydromel fut aussi, plus tard, l’introduction du tabac à fumer qui modifia quelque peu le goût des boissons dans notre pays. Je dis dans notre pays, parce que l’usage du tabac ne changea rien dans les habitudes des Flamands et d’autres peuples du nord qui continuèrent tout en fumant beaucoup, de boire de l’hydromel concurremment avec la bière. Mais, chez nous, ce n’était plus cette boisson douce et moelleuse quoique spiritueuse qu’il fallut, lorsque la nicotine eut labouré nos palais délicats et endormi nos cerveaux parfois très légers, c’était une boisson froide, amère et âcre qui sût, pour un moment, cautériser les parties affectées. Cependant cette boisson froide convenait moins à notre constitution qu’au caprice de notre palais endolori, car notre tempérament et notre climat demandent des boissons chaudes et spiritueuses, tels que le vin et l’hydromel ; je le répète, sacrifiant moins au caprice que nous, les Flamands surent très bien allier l’hydromel au tabac.

Pour se plier à nos fantaisies, l’hydromel aurait bien pu, ainsi que nous savons le faire aujourd’hui, employer des miels qui lui donnent de la raideur ; elle aurait bien pu aussi prendre le goût d’amertune de la bière en faisant entrer dans sa composition le sirop de fécule et le houblon, voire même le buis, ainsi que le font certaines bières de Paris (lisez de Bavière, c’est plus comme il faut). Mais préférant rester honnête, c’est-à-dire saine, la boisson nationale de nos pères, la boisson indigène, fut sacrifiée. Que ne venait-elle aussi de la froide Albion ou des pays d’outre-Rhin, et ne comprenait-elle nos manies !

Une troisième cause qui a encore concouru à diminuer l’usage de l’hydromel chez nous, c’est l’impôt. Cette liqueur bienfaisante n’était déjà plus, depuis la venue de la vigne et l’introduction du tabac, la boisson préférée des gens comme il faut, qu’elle l’était encore des gens de la campagne, de la plupart des cultivateurs, qui l’échangeaient comme les autres denrées agricoles, après, bien entendu, qu’en vertu du droit d’abeillage, le seigneur et maître, ce partageux du temps passé, eût retiré sa part. Mais le jour où l’impôt indirect, plus léger il est vrai, mais parfois plus sévère que l’impôt seigneurial, vint demander compte au paysan de sa denrée liquide, qu’il avait toujours cédée, vendue ou échangée sans entrave, le dernier coup fut porté à l’usage de l’hydromel, et j’ajouterai à l’apiculture française, qui est à peine à notre époque ce qu’elle était chez les Grecs il y a deux mille ans : je ne parle que de la pratique de cet art.

Le paysan comprenait bien qu’on imposât le vin, parce que la vigne est une plante de seconde nécessité qui tend à empiéter sur une de première ; il comprenait également que la bière fut imposée, parce que l’orge employée à sa fabrication est distraite de celle employée à la fabrication du pain, et qu’il est de bonne prévoyance d’empêcher que l’homme manque de pain dont il saurait moins se passer que de vin ou de bière ; mais il ne comprenait pas qu’on dût imposer les produits de l’abeille, parce que ces produits sont butinés sur des terrains incultes, parce que l’abeille rend un service immense aux hommes en aidant la fécondation des plantes alimentaires, parce que, en un mot, l’abeille a défriché et peuplé de vastes terrains jusque-là improductifs et inhabités.

Ne pouvant donc plus échanger, sans embarras et dépense, sa pièce d’hydromel supplémentaire contre une mesure de blé ou la toison d’un mouton, le paysan négligea son rucher. Dès ce moment, le coup de grâce était porté à l’hydromel, qui ne fut plus consommé que dans les localités où la vigne manquait entièrement, et encore on ne la trouva plus comme liqueur chez les débitants de boissons.

 

bullethand.gif (967 octets)   Fabrication de l'Hydromel

Les auteurs qui ont écrit sur l’hydromel en font plusieurs sortes qu’ils désignent sous la dénomination de vineux, très-vineux, etc. Nous ne nous occuperons ici que de l’hydromel boisson de table que l’on peut fabriquer dans toutes les fermes et ménages. Quant à l’hydromel du commerce, ordinairement plus liquoreux , nous n’en parlerons seulement que pour dire que c’est, à notre goût, une excellente boisson fabriquée par des industriels ayant la plupart une recette particulière qu’ils se gardent bien de communiquer. Voici comment se fait l’hydromel de ménage. Prenez, pour un kilo de miel, cinq, six, sept ou huit litres d’eau, selon la qualité du miel et la force que vous voulez donner à votre boisson : faites bouillir dans un vase de cuivre, pendant deux heures, sur un feu modéré ; enlevez l’écume à mesure qu’elle se forme à la surface du liquide. Otez du feu, laissez refroidir et transvasez dans un tonneau bien propre que vous emplissez entièrement et que vous placez, ouvert, dans un endroit sec et sain, dont la température s’élève de 16 à 20 degrés centigrades. Au bout de deux ou trois jours la fermentation vineuse s’établit et dure de dix à quinze jours ; après quoi vous descendez la boisson à la cave et la collez comme le vin : quelques jours après vous pouvez mettre en perce, boire à la pièce si elle n’est pas grande, ou autrement mettre en bouteilles. – Experto crede roberto, cette boisson, après trois semaines de bouteille, vaudra mieux que les bières de Bavière dont je vous ai dit un mot, et les sombrico dont je n’ai pas cru devoir vous parler, que toutes ces piquettes détestables qui ne sauront jamais remplacer le vin, et auxquelles on en donne pourtant le nom, et qui, comme je l’ai dit, ne sont faites qu’avec des baies de sureau, ressources des sansonnets en temps de disette, ou des baies de genévrier et d’épine-vinette, qui ne sauraient convenir qu’aux grives quand la terre est couverte de neige.

Mais, pour qu’on s’alimente ainsi de l’hydromel, il faut qu’on élève des abeille, il faut que chaque ferme ait son rucher. Achetons donc des ruches, voici la saison : le mois de mars est un des plus favorables, à moins qu’on ne préfère attendre deux mois plus tard pour empléter à de meilleurs conditions des essaims nouveaux. Les abeilles réussiront toujours avec un peu de soins dans les localités où l’on cultive le colza, le sainfoin, le trèfle blanc, le sarrasin, dans les zones boisées ou couvertes de bruyères.