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Landerneau : essai de socialisme.

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Essai de socialisme : loi du maximum, réquisitions ; résultat : disette. — Embuscade des bons sans culottes ; lutte entre les salpêtriers, les savonniers et les chandelliers pour l'obtention du salpêtre. Hiver rigoureux de 1793-1794.

La vie économique allait être révolutionnée à son tour par le choix de nouvelles unités de mesure, par la loi du maximum et les réquisitions militaires.

L'unification des poids et mesures était une chose depuis longtemps désirée, et elle était à l'étude quand éclata la Révolution. Dès 1750, Callet, le fameux auteur des Tables de Logarithmes à 7 décimales, avait demandé que l'unité de longueur fût empruntée à une partie de l'axe de rotation de la terre ; le 8 mai 1790, la Constituante, décidant le changement de mesures, confia à une commission de savants le choix de l'unité de longueur. Delambre et Méchain empruntèrent le mètre à une partie du méridien terrestre ; ils furent moins heureux dans le choix de l'unité de poids, trop entachée de particularisme (le poids du litre d'eau à Paris !). Néanmoins, quoi qu'en disent les Manuels d'Histoire et d'Arithmétique, la nomenclature de ces mesures a varié depuis la Convention qui la décrèta le 1er août 1793.

Voici ces unités d'après le décret :

Mesures linéaires : le mètre avec comme multiples le millaire (1.000 m.), et le grade (100.000 m.), et comme sous-multiples le décimètre, le centimètre et le millimètre.

Mesures de superficie : l'are avec des sous-multiples seulement, le déciaire et le centiaire.

Mesures de capacité : la pinte (litre ou décimètre cube) avec comme multiples le cade (mètre cube), le décicade et le centicade.

Mesures de poids : le grave (poids du litre d'eau) avec comme multiples le bar (poids ,du mètre cube d'eau), le décibar et le centibar, et comme sous-multiples le décigrave et le centigrave. Pour les petites mesures : le gravet (gramme actuel) avec comme sous-multiples le décigravet et le centigravet.

Unité monétaire : le franc d'argent (pièce d'argent qui pèse la centième partie du grave).

Sans doute, le décret ne rend ces dispositions obligatoires qu'à partir du 1er juillet 1794, mais « les citoyens sont invités d'en faire usage avant cette époque » et le mépris ou l'ignorance de cette nomenclature suffiront pour faire taxer bien des gens d'incivisme et les faire enfermer dans les geôles de la République.

Puis c'est la terrible loi du maximum, introduction brutale du socialisme dans une société qui ne connaissait que la propriété privée. « Les récoltes, dit une proclamation des Représentants du Peuple à Brest, sont une propriété nationale, les propriétaires et les cultivateurs n'en sont que les dépositaires ». La loi du 17 août 1793, ordonne le recensement des récoltes : la loi du 29 septembre fixe un tarif maximum des denrées et salaires. Enfin les réquisitions nécessitées pour l'approvisionnement des armées vont tout enlever. Or les récoltes de 1793 ont été mauvaises ; depuis la levée en masse des hommes de 18 à 25 ans, les bras manquent dans les campagnes, les chevaux vont être réquisitionnés pour l'armée, les charrettes vont l'être pour les convois destinés à approvisionner les troupes, l'inflation fiduciaire va fausser la valeur des assignats ; c'est dans ces conditions que va jouer la loi du maximum.

Le 10 octobre 1793, le Conseil général de la commune de Landerneau fixait le taux des salaires en ajoutant la moitié du prix aux salaires de 1790.

Le piqueur de pierre 2 livres en 1790 taxé à 3 livres.

Le maçon 30 sols taxé 2 livres 5 sols.

Le menuisier 30 sols taxé 2 livres 5 sols.

Le charpentier 30 sols taxé 2 livres 5 sols.

Le charpentier de mer 38 sols taxé 2 livres 2 sols 6 deniers.

La journée du calfat 40 sols taxé 3 livres.

La journée de jardinier 1 livre 10 sols.

Le cordonnier par façon de paire de souliers 1 livre 10 sols.

Le compagnon tanneur avec sa nourriture 15 sols.

La journée du compagnon couvreur 1 l. 17 s. 6 deniers.

La journée du compagnon taillandier 1 l. 10 sols.

Le compagnon maréchal nourri par mois 9 livres.

La façon d'un habit complet 9 livres taxée 13 l. 10 s.

La façon d'une culotte 2 livres taxée 3 livres.

La façon d'un gilet ou d'une veste 2 livres taxée 3 livre.

La façon de l'habit seul 5 livres taxée 7 l. 10 sols.

Les scieurs de long (3 hommes par scie) 6 livres 15 sols.

Le compagnon serrurier 1 livre 10 sols taxé 2 l. 15 s.

Le bûcheron 1 livre taxé 1 l. 10 sols.

Le manoeuvrier et l'homme de peine 1 l. 2 s. 6 deniers.

Les cloutiers payés suivant la façon et au mille (clous de cheval, grand six, petit six, clous d'ardoises, clous à lattes, clous de penzac'h..., etc...).

1 cheval de selle à la journée 22 sols en 1790 taxé 2 l. 6 s.

Les chevaux quitte pour Brest et Le Faou 4 l. 10 sols.

Les chevaux pour Landivisiau et Lesneven 3 l. 15 sols.

De Landerneau à La Feuillée 9 livres, etc..

On fixe ensuite le prix du pain :

Le pain de fine farine, 4 sols la livre.

Le pain dit bon et mauvais, 3 sols 6 deniers la livre.

Le pain gris, 2 sols 6 deniers la livre.

Puis celui des grains :

Le boisseau de froment (128 à 130 livres) 18 livres.

Le boisseau de méteil (110 livres) 13 l. 4 sols.

Le boisseau de seigle (92 livres) 9 l. 4 sols.

Le boisseau d'orge (88 livres) 7 l. 18 sols.

Le boisseau d'orge fromenté 9 livres.

Le boisseau d'avoine (84 livres) 12 livres 10 sols.

Le boisseau de blé noir (100 livres) 7 livres.

En novembre on porte la défense de faire du pain de froment pur : dans aucun pain on ne devra mettre plus d'un tiers de froment ; on proscrit l'usage des bluteaux qui réduiraient les 100 livres de farine à 85 ; de plus les locataires de biens nationaux (terres cultivées) devront s'acquitter de leurs loyers en nature (grains, foins, légumes à gousse).

Et pendant des semaines on continue à taxer ; en novembre, on taxe les cuirs dont la livre est portée à 1 livre 8 sols ; en décembre, le beurre est taxé 10 sols la livre ; en février, on taxe les bestiaux, et la Commission chargée de ce travail est présidée par le curé intrus Pillet.

Résultat : tous les détenteurs de marchandises se mettent à dissimuler leurs approvisionnements et les consommateurs, à exagérer leurs besoins, surtout quand la multiplicité des réquisitions vient faire craindre à ceux-ci de manquer du nécessaire et donner à ceux-là l'espoir de bonnes spéculations. De là des perquisitions chez les marchands. C'est ainsi que le 9 février, une perquisition chez les marchands de vins a permis de « trouver chez le citoyen Léyer 1 barrique de vin supérieur qui a dû coûter 600 livres, chez le citoyen Drault 1 barrique de vin ayant coûté 400 livres, chez le citoyen Bazin 1 barrique ayant coûté 400 livres, chez le citoyen Kerros 3 barriques de 600 livres chacune, chez le citoyen Cruzel 3 barriques de 700 livres chacune ».

Le 15 mai 1793, il n'y a plus de vin à Landerneau :

« Et n'y a plus de vin en cette commune, lit-on dans le cahier des délibérations, cependant il y a un passage continuel de militaires, marins et autres voyageurs que le voisinage attire pour le service de la République. Ces voyageurs, fatigués souvent d'une longue route, viennent sans cesse se plaindre à la municipalité de ne pouvoir se procurer de vin. Considérant combien est précieuse la vie de nos frères les défenseurs de la Patrie qui vont combattre les ennemis de la République. Considérant encore que cette boisson leur est absolument nécessaire pour les aider à soutenir les fatigues du voyage, et que les marchands de cette commune ne peuvent s'en procurer malgré les démarches qu'ils ont faites attendu que tous les bâtiments sont en réquisition. Demande le Conseil d'inviter les représentants du Peuple à accorder 7 à 8 navires du port de 40 à 50 tonneaux ».

Le vin ne parut guère, mais le 1er juillet la veuve Bernard, débitante, reçut des pièces d'eau-de-vie. Son débit fut envahi par une foule tumultueuse, il ne fallut pas moins que l'intervention de la force armée pour empêcher le débit d'être mis à sac.

« Le Conseil, dit le cahier des délibérations le 13 messidor an 2, instruit que les citoyens de cette commune se portent avec affluence et en désordre à la distribution que fait la citoyenne Veuve Bernard, des eaux-de-vie qu'elle a à sa disposition et voulant que chaque citoyen puisse s'en procurer à raison de ses besoins. Arrête comme mesures de sûreté et de tranquillité publiques :

1°) Sur les 5 pièces d'eau-de-vie restant à distribuer chez la citoyenne Bernard, il en sera mis 2 pièces en réquisition ; lesquelles resteront en sa possession pour être distribuées aux cultivateurs qui fourniront des blés à la commune de Landerneau dans les proportions suivantes : 2 bouteilles par quintal de froment pur, apporté volontairement ; 1 bouteille par quintal pour toute autre espèce de grains ; 1 bouteille par charretée de grains qui seront apportés de Lesneven ;

2°) Les 3 autres pièces seront distribuées aux citoyens de la commune en présence des commisssaires nommés ; il ne sera accordé qu'une bouteille par chaque ménage et un pot par chaque habitant qui a des lits pour recevoir les voyageurs ;

3°) Pour éviter toute confusion dans la distribution, il sera fait appel des citoyens par ordre des rôles de population ;

4°) Il n'en sera donné à aucun enfant ».

On le voit, d'après cet arrêté, il n'y a pas que le vin et l'eau-de-vie à faire défaut ; les blés se font rares. Rien d'étonnant ; la Marine et la Guerre dans les réquisitions paient les cultivateurs en monnaie sonnante, la Ville ne peut donner que du papier monnaie ; le besoin d'instruments de labour et le besoin d'eau-de-vie seuls peuvent amener les paysans à conduire sur les marchés du blé ou des bestiaux. Pour comble d'infortune, sur les instances de la Société des Sans-culottes, le Conseil a arrêté le 10 octobre 1793, « qu'aucun acheteur ne pourra demander, aucun vendeur ne pourra délivrer de denrées que sur un bon délivré par le Comité de Surveillance de la dite Société » ; c'est l'inauguration de la « République des camarades » ; aussi les violences se multiplient ; le 17 décembre (25 frimaire), on lit dans le cahier :

« Il y a des abus dans l'enlèvement des grains sur les marchés ; des particuliers y exercent des violences ; beaucoup les prennent sans payer malgré la vigilance des officiers municipaux, qui surveillent les marchés ; les plus indigents qui précédemment ne mangeaient que du seigle fromenté prennent actuellement du froment pur. On décide que la ville seule achètera les grains au marché, le mélange en sera fait à la maison commune et on les distribuera le lundi suivant aux citoyens qui se seront faits inscrire sur un registre ouvert à cet effet ».

Voilà pour les blés et voici pour les boulangers :

Le 1er mars 1794, la Ville prend l'arrêté suivant :

1°) Ordre à tous les boulangers de venir à la Municipalité donner leurs noms et adresses, de designer chacun la marque qu'il leur est enjoint d'apposer sur leurs pains ; il faut que cette marque y soit bien imprimée et bien distincte.

2°) Les boulangers sont tenus d'afficher la taxe du pain dans le lieu le plus apparent de leurs boutiques.

3°) Qu'il y ait toujours un pain sur l'extérieur des boutiques pour servir de montre.

4°) Il leur est défendu de cacher leurs pains dans des armoires ou autres lieux pour les dérober à la vue.

5°) Défense expresse de vendre ou de débiter du pain à des étrangers sans un permis du Bureau municipal signé de 3 membres, lequel exprimera la quantité à fournir.

6°) Les fourniers seront tenus de produire chaque jour au Bureau municipal la carte des cuissons qu'ils auront faites pour les boulangers avec leurs noms.

Et malgré la loi du maximum, la livre d'un grossier mélange d'orge, de seigle et de son se vendait jusqu'à quarante sols en cette année 1794.

Avec le pain, la viande. faisait défaut ; on lit au Cahier des Délibérations le 2 février 1794 :

« Les municipalités rurales requises de fournir des boeufs pour l'approvisionnement des marchés de la ville ne fournissent que de très modiques et même des taurillons qui ne produisent qu'une très petite quantité de viande, même insuffisante à raison de la population de manière qu'une grande quantité de citoyens sont forcés de se contenter de la moitié de leurs besoins et qu'il y en a qui ne peuvent s'en procurer ».

On n'entend de tous côtés que crier famine, et parmi ces cris, il en est un singulièrement impressionnant, celui de 81 prêtres âgés de plus de 70 ans, détenus aux Ursulines. Le 3 Mars 1794, ils envoient à la Ville une pétition « exposant la disette de vivres où ils se trouvent, étant même sans pain ». Cette pétition a été présentée par la concierge de la prison, la veuve Collomby ; avec les 10 sols par jour accordés à chaque prisonnier, il lui est impossible, dit-elle, de nourrir ces ecclésiastiques et elle offre sa démission ne voulant pas les voir mourir de faim. Le maire répond : « Le 8 de ce mois (28 février) j'ai envoyé au District une liste nominative des chefs de ménage qui n'ont pu se procurer des grains et se sont faits inscrire pour en demander. Cette liste contenait 283 ménages comportant 1.645 individus ; le District n'a pas répondu. Les besoins n'ont fait qu'accroître et depuis il s'est formé une nouvelle liste plus considérable ; toute ce que je puis, c'est d'ajouter à ces listes les noms de ces ecclésiastiques ».

Mais si le vin, le pain et la viande font défaut ou sont chers, la propriété terrienne est à bon compte : les biens des émigrés et des prêtres détenus ou exilés ont été déclarés biens nationaux. Le 20 Mai 1794, la Municipalité fait publier au temple décadaire que « les citoyens qui n'ont point de propriétés peuvent se rendre adjudicataires d'un bien d'émigré de la valeur de 500 livres ; on leur accorde 20 ans pour faire le paiement sans les assujettir à aucun intérêt ». Mais la contribution foncière augmente terriblement ; la part contributive du Finistère est fixée à 1 million 742.000 livres, et celle du District de Landerneau à 223.705 livres 2 sols 8 deniers ; et dans la commission de répartition de cet impôt, qui retrouve-t-on encore ? Pillet, il est bon à tout taxer.

D'ailleurs Pillet est nécessaire. Sans doute, il ne peut être instituteur officiel, car la loi du 26 frimaire an 2 (17 décembre 1793) a institué l'instruction obligatoire mais laïque ; les instituteurs sont nommés par la municipalité ; ils doivent toucher, un instituteur, 20 livres par élève, une institutrice 15 livres ; les parents sont obligés d'envoyer leurs enfants à l'école pendant 3 ans, sous peine d'une amende égale au quart de leurs contributions, amende doublée en cas de récidive, avec privation des droits de citoyen pendant 10 ans. Mais Landerneau n'a pu se procurer qu'un instituteur et une institutrice pour tout le District ; la Ville demande de ne pas appliquer les rigueurs de la loi contre ceux qui ne leur enverraient pas les élèves ; et pour permettre à ces deux instituteurs de recevoir plus d'élèves, les fonctionnaires les plus importants confient l'instruction de leurs enfants à Pillet et à ses deux vicaires ; ceux-ci d'ailleurs professent en dehors des heures officielles, c'est-à-dire, donnent seulement des leçons particulières. O égalité !

Si les réquisitions créent un déplorable état économique, il en est une cependant qui est bien accueillie, la réquisition des ouvriers pour les besoins de l'armée ; elle dispense de la conscription et l'on sent alors que le Breton est comme le lierre attaché à son sol. Tous veulent être cordonniers, tailleurs, ouvriers des salpêtres, tous veulent contribuer à chausser, à habiller, à armer les « défenseurs de la Patrie », plutôt que d'être soldats.

Le 1er janvier 1794, on a réquisitionné des cordonniers : il faut que chaque cordonnier fournisse 5 paires de souliers par décade. Le Conseil municipal fait mander Kerlogot, le bedeau de Pillet, qui cumule avec les fonctions de bedeau le métier de cordonnier ; on le prie de préparer une liste de tous les maîtres et compagnons cordonniers de la commune. Tout fier de son importance, Kerlogot parcourt la ville et revient bientôt à la mairie avec une liste de 40 noms, mais ces 40 individus sont-ils vraiment cordonniers ? On peut en douter, car trois jours après, 2 de ces cordonniers. réquisitionnés, Y-M. Bertho et Pierre Hébert viennent à la Mairie déclarer que sur 40 ouvriers, il n'y en a que 3 en état de faire des souliers quarrés (sic) à la troupe de la République; ils demandent de travailler en un atelier commun pour mettre les autres à même d'être utiles. Le Conseil acquiesce à cette demande et accorde comme atelier la Chapelle Saint-Cadou (ossuaire de Saint-Thomas).

Le 11 janvier, les cordonniers se plaignent près de la Société populaire que le local soit exigu. Qu'à cela ne tienne, il y a sur le quai de la Liberté (quai de Léon) une fort belle maison habitée par la famille Goury ; la plupart des membres de cette famille sont en prison ; le salon qui a abrité ces aristocrates ne sera-t-il pas honoré de recevoir sous ses lambris de braves sans-culottes « embusqués » pour travailler à chausser les défenseurs de la Patrie ? Et le 21 nivôse (11 janvier) le Conseil décide :

« Attendu que le local du citoyen Goury est désigné par la Société populaire, comme le plus propre à réunir tous les cordonniers de la commune pour la fabrication des souliers quarrés à la troupe de la République, le Conseil enjoint au dit Goury de vider dans le jour ce local ».

Le vieux Goury réclamant, on l'enferme aux Ursulines et les sans-culottes savetiers tirent l'alène là où jouait la future femme du fameux Saint-Simon [Note : Une Sophie Goury épousa le fondateur du Saint-Simonisme].

Heureux d'être maintenus au pays, les cordonniers donc travaillent ; 200 paires de souliers sont fournis par décade ; la façon leur est payée aux prix du maximum, c'est le pain assuré, le danger de la mobilisation écarté. Oui ! mais avec cette ardeur au travail, dès le 18 février, il n'y a plus de cuir à Landerneau. Les cordonniers en demandent à la Ville ; celle-ci les renvoie au District, le District fait la sourde oreille ; il s'agit bien de cuirs quand le Tribunal révolutionnaire s'installe à Brest, n'a-t-on pas des dossiers à collationner pour purger le Finistère du fédéralisme ? Les cordonniers, craignant qu'on ne les envoie à l'armée, s'adressent au Comité de surveillance et voici la lettre que ce Comité adresse au District :

« Les sans-culottes cordonniers assemblés par réquisition, conformément à la loi, viennent de déposer dans notre sein leur douleur amère de voir leur zèle pour la chose publique paralysé par défaut de cuirs propres à la fabrication de souliers pour les Défenseurs de la Patrie. Nous partageons cette douleur si naturelle à des Républicains qui voient leurs frères d'armes voler pieds nus à la Défense de la Liberté commune. Notre sollicitude à leur égard est telle que nous ne pouvons nous dispenser de vous en transmettre l'expression. Par quelle fatalité vos yeux paternels ont-ils été détournés de cet objet intéressant, comment avez-vous pu voir indifféremment la pétition qui vous a été présentée ce matin par les sans-culottes Vincent Penès, Yves-Marie Bertho et René Kerlan, au nom de leurs ateliers, tendant à vous demander des cuirs ? Ah ! sans doute votre sollicitude était toute tendue en cet instant vers quelques points très importants à la République, pour vous avoir forcés à détourner vos regards de cet objet. En effet, on ne supposera jamais que les Amis de la liberté, les Pères du peuple aient pu voir avec indifférence un atelier chômer pour nos braves défenseurs, exposés à rester dans l'inaction faute de cuirs, des pères de famille, n'ayant d'autre moyen de subsister et de faire subsister des familles nombreuses que leur travail journalier, rester sans travail et sans salaire... C'est donc à vous seuls citoyens, à pourvoir aux besoins de cet atelier, puisque vous vous êtes réservé expressément le droit... Les sans-culottes cordonniers manquent de cuirs, ils ne peuvent travailler, nos braves frères d'armes ne seront donc pas chaussés, ni les sans-culottes salariés. Nous vous en témoignons fraternellement notre douleur et nous vous invitons à faire de suite droit à la pétition que nous vous envoyons et dans le jour même, sinon nous en référerons aux Représentants du Peuple à Brest ».

Le District ne peut que répondre : à l'impossible nul n'est tenu, il n'y a pas de cuirs. Pour prouver sa bonne volonté, il ordonne de réquisitionner tous les chênes de l'âge de 20 ans et au-dessous, pour en tirer du tan et de réquisitionner chez les bouchers toutes les peaux. En attendant, l'atelier de chez Goury n'est plus qu'une parlotte, un club et le Comité de surveillance lui-même supprime cet atelier mais garde le salon comme dépôt pour les cuirs à venir.

Une autre industrie de guerre qui va permettre « l'embuscade » de bons sans-culottes, c'est la fabrication du salpêtre. L'ancien chirurgien Dumaige est nommé le 13 mai agent du District de Landerneau pour l'extraction du salpêtre. Comme tous ses collègues, il commence par essayer d'en obtenir en faisant dépaver les dalles des églises, en faisant retourner les pierres qui couvrent les sépultures des gens enterrés dans ces églises. Cette opération n'a pas rendu ; on se rabat sur les cendres. Mais les cendres sont nécessaires aussi aux fabricants de savon ; de là une lutte épique entre les salpêtriers et les savonniers. Le salpêtre est nécessaire, dit la Guerre ; le savon ne l'est pas moins, dit le District. Mais l'alcali dont les savonniers ont besoin, les algues peuvent le fournir, tandis que les cendres seules peuvent nous donner notre alcali de Potasse, disent les salpêtriers. Cet argument scientifique calme la conscience du Bureau municipal, flottant, indécise entre le salpêtre et le savon et Dumaige obtient que « les fourniers de la commune et ceux employés aux vivres de la marine et de la terre, seront tenus d'apporter à l'atelier du citoyen Dumaige toutes les cendres provenant des cuissons et il est fait défense aux fabricants de savons de se servir d'autre alcali que l'alcali marin ; de plus on lui accorde le pouvoir de réquisitionner tous les grands bassins de l'arrondissement; enfin tout le monde est invité à la recherche du salpêtre. Pour cela, fouillez vos caves, creusez, « chaque coup de pioche, dit la proclamation, agrandit le gouffre où s'abîmeront les tyrans ». Mais le salpêtre ne se trouve pas comme des truffes, surtout dans un pays aussi humide que le nôtre, l'azotate de Potasse étant si soluble dans l'eau. Et nos patriotes « embusqués » devront chercher un autre « filon ».

La lutte entre les salpêtriers et les savonniers pour la réquisition de l'acali n'est pas terminée qu'éclate une querelle entre les savonniers et les chandelliers. Le salpêtre est nécessaire pour armer les défenseurs de la Patrie, le savon est nécessaire pour décrasser les sans-culottes, mais la lumière n'est-elle pas nécessaire elle aussi, car si on a pu dissiper les ténèbres du fanatisme, on ne peut réquisitionner le Soleil pour dissiper les ténèbres de la nuit. Sans doute, dès 8 heures du soir, toute circulation est interdite à Landerneau, et, par économie, les rues la nuit ne sont plus éclairées. Mais les corps de garde réclament de la lumière, et le citoyen Simon, fournisseur de chandelles pour le corps de garde, dépose sur le bureau municipal le 2 février 1794 une lettre dans laquelle il dit : « Je ne puis me procurer le suif suffisant dans les marchés attendu que des particuliers y viennent et obtiennent la préférence sur les suifs non pas du marché seulement mais même des boeufs et vaches abattus dans notre Commune tant par les bouchers de la dite Commune que par celui qui fournit la viande aux troupes ; par suite des réquisitions de bateaux, il n'y a plus d'huile non plus ».

Le Conseil arrête « que les suifs provenant des bétails tués sur son territoire seront mis en réquisition et délivrés à chacun des faiseurs de chandelles ».

Vain arrêté, car le citoyen Simon réclame à tout instant, et l'on doit s'éclairer à la chandelle de résine.

Le Conseil municipal, débordé par les réclamations qui lui viennent et de la commune et des armées, accepte l'idée qui lui est proposée par la Société populaire de former un Comité de subsistances.

Le premier acte de ce nouveau Comité est d'obtenir l'exemption de la levée militaire pour les ouvriers boulangers.

Puis il se met à légiférer, comme tout bon Comité, et ses arrêtés, toujours approuvés par le Conseil, ont leur exécution assurée par les soins du Comité de surveillance. Ainsi, le 17 mars, sur la proposition du Comité de subsistances, le Conseil municipal arrête :

1°) D'ordonner à tous les marchands d'avoir en exécution de la loi contre les accaparements (art 10 de la loi du 26 juillet dernier) un tableau dans leurs magasins ou boutiques qui indique la nature et la quantité des marchandises qu'ils y ont ; duquel tableau un double sera donné à la Municipalité ;

2°) Que tous les marchands qui recevront des marchandises seront tenus d'en faire la déclaration à la Municipalité sur un registre qui sera ouvert à cet effet.

3°) De faire publier de rechef et maintenir l'exécution de l'arrêté du Conseil général du 17 octobre dernier qui fixe la taxe du pain et enjoint aux boulangers d'avoir des balances dans leurs boutiques et des poids et aussi de marquer les pains qu'ils font.

4°) De prévenir les citoyens que, conformément à l'article 7 de la loi du 29 septembre dernier, ceux qui achètent des marchandises au-delà du maximum doivent payer par forme de police municipale une amende solidaire avec le vendeur et que l'acheteur n'est point soumis à cette peine s'il dénonce la contravention.

5°) De plus le Comité de subsistances obtient la permission de faire toutes visites domicilaires qui sembleront utiles.

A défaut de viande de boucherie, on se rabat sur la viande de saumon. Ce poisson, peu estimé jusque là, est maintenant recherché ; l'Elorn, rivière très poissonneuse, en fournit abondamment, et cependant, dit le Comité de subsistances, les marchés en sont dépourvus.

Il se pêche en cette commune une grande quantité de saumons, dit-il, sans que le marché en soit muni. Le Comité propose de mettre en réquisition pour l'approvisionnement des marchés et la consommation de la commune pendant le reste de ce mois ventôse et les mois de germinal et floréal (c'est-à-dire, mars, avril et mai) la quantité de 25 saumons par décade, savoir :

21 seront fournis par le citoyen Le Lann meunier du Pont. 4 par le citoyen Bodros ou son épouse.

Lesquels seront tenus de les apporter à la place ordinaire du marché et de les y vendre au détail au prix de 15 sols la livre en observant toutefois de ne livrer à chaque ménage qu'à raison de la consommation présumée.

C'est grande pitié au pays de Landerneau, car à tous les maux venant de la persécution religieuse, de la guerre et des bouleversements économiques viennent s'ajouter les rigueurs exceptionnelles d'un hiver ordinairement plus doux ; trente jours de neige, nous dit le Journal de Mademoiselle du Plessis ! Et comme si la coupe des maux n'était pas pleine à déborder voici que la politique ajoute encore à tout cela. (L. Saluden).

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