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LE PAYS DE LANNION DURANT LA LIGUE |
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Les garnisons étaient très faibles dans certaines villes ; dautres places en étaient complètement dépourvues. Pour remédier à un si grave embarras, les gouverneurs de ces villes, afin den rendre un jour les habitants capables de se défendre eux-mêmes contre lennemi, les attirèrent à une espèce de tir, par lappât dune récompense promise au plus adroit. |
Ce jeu consistait à tirer sur un oiseau de bois ou sur un joyau quelconque placé au haut dun mât, à laide de larbalète ou de larquebuse, et plus tard du fusil. On donnait à ce jeu le nom de papegault ou joyau, mots dont voici létymologie. Le mot papegault est composé de lancien verbe paper qui signifie manger gloutonnement et du mot gault, traduction du latin saltus dont on a fait saule ; Pape-gault signifie donc mange-saule. Cétait la dénomination sous laquelle on désignait alors le perroquet, parce quil pape, parce quil déchire le saule, dénomination quon étendit au jeu où il fallait abattre un papegault pour être vainqueur. Quant à son synonyme joyau, on donnait ce nom au jeu où, il fallait, pour vaincre, abattre un objet de valeur quelconque, un joyau, placé au haut d'un mât.
Celui qui abattait le papegault ou le joyau le gardait. Il le conservait et le transmettait même à ses enfants comme une sorte de titre de noblesse.
Outre certains privilèges, consistant ordinairement en exemption de droits doctroi, le gagnant était honoré du titre de roi de papegault, quil conservait jusquà ce quun autre fût vainqueur.
Ce jeu, à Lannion, sexerça dabord dans le berceau même de la ville, nous voulons dire dans la vallée de Brélévenez.
Le parlement de Bretagne trouvant que cétait une chose utile que cet exercice, et voulant propager cette institution, donna permission, par lettres patentes (1554), aux nobles, bourgeois et manants de Lannion de tirer tant de larbalète que de larquebuse.
Ce jeu prenant alors une extension plus grande, fut transporté, par la confrérie de saint Nicolas, de la vallée de Brélévenez sur la plate-forme du Baly, dont on commençait à construire la tour ; là, les mariniers et les marchands « inscrits au rôle » venaient exercer leur adresse ; celui qui abattait le papegault, le gardait à la charge de payer à lassociation deux livres, somme dont une partie passait à la fabrique du Baly pour hâter la construction de la tour. Cest donc en partie à la charité de ces hommes du moyen-âge que nous devons le monument le plus remarquable de notre cité.
Cependant voici venir la Ligue. Avant de poursuivre notre récit, examinons dabord ce quétait la Ligue ou Sainte-Union, et comment elle pénétra en Bretagne.
Henri III ayant nommé le duc de Mercoeur au gouvernement de cette province, celui-ci, après avoir dissimulé pendant quelques temps les desseins quil nourrissait (ce nétait rien moins que de se faire proclamer duc de Bretagne), se déclare bientôt ouvertement en faveur des Guise, princes de la Lorraine, dont le pouvoir et linfluence balançaient alors lautorité royale. Ce secours enhardit les ligueurs, au point de les porter à faire la guerre au roi ; mais ce fut surtout à lavènement de Henri IV, alors protestant et par conséquent peu sympathique à la France, que la Ligue devint vraiment forte et puissante.
Cest à cette époque même que nous ouvrons notre récit.
Du rapprochement de ce qui va suivre, il résulte clairement que de 1589 à 1597, tout le pays qui se trouve entre la rivière de Lannion et la rivière de Morlaix na cessé dêtre « rançonné, pillé, brûlé et ensanglanté par les Royaux et les Ligueurs, le décimant tous les deux à la fois par la guerre civile ».
Dans notre contrée, les deux parties belligérantes avaient chacune des places fortes ; dun côté, le Roi avait Tonquédec, Coatfrec ; de lautre, la Ligue avait Guingamp et Morlaix.
La Ligue avait donc les seules villes fortes du pays : Guingamp et Morlaix, car Lannion et Tréguier qui étaient du parti du roi avaient, depuis plusieurs années, leurs murs denceinte en ruine ; mais les royaux possédaient aussi dinexpugnables forteresses, les châteaux de Tonquédec et de Coatfrec (Coetfrec).
Cest ce partage des places-fortes du pays, qui rendit la lutte si longue et si terrible.
Mais commençons notre récit.
En suivant lordre des temps, la première bande de brigands que lon trouve dans ce pays est celle qui avait son repaire au bois de Coat-an-Drezen, en Ploumilliau, et qui avait à sa tête une femme, Jeanne Charlès (La Charlezen), qui enfouissait dans un chêne séculaire le fruit de ses rapines.
A peine les troupes que le roi dEspagne avait promises au duc de Bretagne furent-elles débarquées quelles envoyèrent un détachement pour enlever les postes quoccupaient ces brigands ; mais, dans cette tentative, les Espagnols furent repoussés avec perte.
Cest un curé de Plestin, au temps de la Ligue, qui a laissé sur cette malheureuse époque les quelques détails qui vont suivre.
« Entre la lande et le bourg de Trédrez furent tués et massacrés par les soldats de Coatfrec, et de Tonquédec, le mardy, troisième jour de juillet, lan 1590 , les dénommés ci-après . ».
Suivent les noms des seize victimes, dont lune portait le nom de Kerninon ; cest ainsi quon appelle encore une terre située en Ploulech, lieu qui a donné son nom à lancienne et noble famille Le Roux de Kerninon.
La charte continue de cette manière :
« Et pour les âmes des cy-dessus dénommés, supplye N.-S. Dieu, par sa sainte miséricorde, quil lui playsse donner pardon aux pères, mères, enfants, parents, amis et bienveillants desdits décédés ; à cette fin quils puissent librement et dévotement prier Dieu pour lesdits décédés, et pardonner à ceux qui ont fait la faute, pour quils puissent vérifier la parole de Dieu. »
Le septième jour de même mois, il y eut encore au bourg de Trédrez un engagement où périrent six Ligueurs, parmi lesquels sen trouvait un du nom de Person. Ainsi sappelle encore un riche cultivateur habitant le manoir de Coatrédrez, en Trédrez : cest le maire de cette commune. Ceci démontre combien, dans notre pays, les familles sont attachées au sol qui les a vues naître.
Une autre charte nous transporte à Plestin.
« Ledit tierce jour et an que dessus (3 juillet 1590), furent brûlées et ravagées plusieurs maisons en paroisse de Plestin et ailleurs par ceulx du Roy, tellement que les gens de bien (nous dirons aujourdhui les gens possédant quelque avoir), sont obligés daller quester laumône et ne savent où y aller par la pauvreté dicelles guerres, dont supplye Dieu lui donner une payx générale ;
Et au réciproque (cest-à-dire par représailles), le 21 dudit mois 1590 furent pareillement bruslées et ravagées les paroisses de Plouaret, Ploubezre et la ville de Lannion, par ceux qui tenaient le party du duc de Mercoeur et de la Sainte-Union. »
Non contents denlever les objets de valeur qui pouvaient tenter leur avarice, ces dévastateurs prirent un féroce plaisir à détruire une foule de choses quils dédaignaient ou quils ne pouvaient emporter ; cest ainsi que furent anéanties les archives de la communauté de la ville. Par suite, lhistoire du pays à cette époque est remplie de lacunes quil est impossible de combler.
En 1593, La Fontenelle, à la tête dune troupe de brigands sempara de Lannion, ensuite de Paimpol. Il porta dans ces deux villes le fer et la flamme, et massacra tout ce qui était sans défense.
Quétait-ce donc que cet homme qui ne respectait ni le sexe ni lâge, et qui sacharnait sur ceux-là mêmes que la guerre doit épargner ?
Nous navons que peu de choses à dire sur ce personnage si tristement célèbre qui, au milieu des horreurs dune guerre civile, étonna par sa férocité une époque habituée au sang et à la dévastation.
Guy Eder de Beaumanoir, de lune des plus illustres familles de Bretagne, sévada en 1580, dun collège de Paris, pour aller trouver larmée du duc de Mayenne ; mais dévalisé en route, il dut revenir au collège ; il sen échappa une seconde fois, et prenant le surnom de Fontenelle, il rassembla tous les mauvais garnements de la contrée, avec lesquels il se mit à piller indifféremment et Ligueurs et Royaux. Enumérer toutes les cruautés quil eut le triste courage daccomplir serait à la fois trop long et trop révoltant. Entre autres barbaries de ce monstre, on rapporte quil fit couler un navire chargé dAnglais désarmés et quil massacra trois cents paysans dans un seul jour. Sa fin devait être aussi ignominieuse que sa vie avait été coupable : il fut roué à Paris, en place de Grève, lan 1602.
Le lecteur sait maintenant à quoi sen tenir sur le compte de cet étrange personnage qui reparaîtra plusieurs fois dans notre récit ; continuons lhistoire de la Ligue, au pays lannionnais.
« Le 24 avril 1596, vers les Vespres, logea une compagnie de gens de guerre au Vieil-Marché (Vieux-Marché), Plouaret, Poefur (Plufur), qui firent un très grand dommage et ruines dans lesdites paroisses ; de là ils allèrent à Léon où lon disait quils étaient quatre à cinq mille réunis sous lautorité de M. de Saint-Luc, lieutenant général du Roy, en Bretagne. »
Ce nétait pas assez de la guerre civile : létranger, introduit au cur du pays par une fausse combinaison, va entasser de nouvelles ruines sur celles quont déjà faites les Ligueurs et les Royaux.
« Le jour de lAscension 1596, les Espagnols retournant de Lanmeur au château de Primel, situé en Plougasnou, estant venus de Blavez (où ils sétaient retranchés dès leur arrivée en Bretagne) pour faire le siège dudit Primel assiégé par les Royaulx, couraient les paroisses circonvoisines, Lanvellec, Plouaret, Plouzélambre, Tréduder, Loguivy-Ploecroix (dont nous avons fait Loguivy-Plougras) et ravagèrent les richesses desdites paroisses et prenaient tous les bestiaux, tant bêtes cavalines que bêtes à cornes, quils pouvaient trouver. »
Quelques jours après « ceulx de la garnison de Tonquédec vinrent courir la paroisse de Ploefur (Plufur), parce que les habitants de ce bourg ne voulaient pas leur fournir une taille quils avaient demandée ».
Mais à leur retour de Saint-Drien (localité voisine, oubliée aujourdhui), les paysans rassemblés sous les armes, par peur de lEspagnol qui était à Primel, dévalisèrent lesdits souldats de Tonquédec et tuèrent deux diceulx. Aussi furent tués sur le lieu trois hommes de Tréduder. »
Ce succès de paysans sur des gens darmes est dautant plus à remarquer qualors les premiers navaient pour toutes armes que leurs instruments aratoires : fourches, pioches, socs de charrue, etc., ce qui leur donnait un grand désavantage.
Lendroit où ce combat eut lieu a gardé le nom de Pont-ar-Saozon, pont des Saxons, des Anglais ; car les Bretons appelaient tous leurs ennemis du nom de leur ennemi éternel, ar Saozon, les Saxons, les Anglais.
Reprenons le récit des événements qui se passaient à Lannion à la même époque.
« Le Jeudy 16 de May, auquel jour était la foire de May audit Lannion, arriva en ladite ville soixante-dix chevaux armés de la garnison du sieur Fontenelle, tenant alors le gros de son armée de Douarnenez, qui firent grand dommage et ruines tant en ville que partout où ils passaient, bien que la trêve générale était en toute la France durant ce temps-là. »
Si lon a bonne mémoire, on se rappellera que cest la deuxième fois que Lannion est pillée pendant la Ligue, sans quelle fût le moins du monde défendue. Les Lannionnais crurent que cétait assez, et firent bien ; ils voulurent se donner un gouverneur militaire non pour les commander, mais pour les protéger.
On comprend que leur choix se porta sur le plus influent, le plus riche, le plus populaire.
A cette époque (1596), le seigneur de Lannion guerroyait sous la bannière de Mercoeur, abandonnant ainsi à elle-même la ville dont il eût dû prendre soin, et dont il ne voulait pas soccuper.
Un autre membre de cette famille, François de Lannion, nétait plus quun petit gentilhomme habitant le manoir du Cruguil, payant des rentes féodales au seigneur de la Roche-Jacut, et ayant simplement un modeste enfeu dans une petite chapelle de léglise de Brélévenez.
Ce dernier ne pouvait pas, vu sa modeste fortune et par conséquent son peu dinfluence, prétendre à protéger Lannion.
Depuis que la maison de Lannion avait, comme nous venons de le voir, abdiqué pour ainsi dire son droit de protection sur Lannion, une autre famille avait sans bruit pris sa place, et en assumant les charges du patronage avait recueilli influence et considération.
Cétait la maison de Kergomar, dont le nom est resté au château quelle habitait aux portes de Lannion, château quà remplacé une délicieuse habitation que tout le monde connaît.
Plusieurs années avant la Ligue, le seigneur de Kergomar avait la capitainerie de Lannion, et en cette qualité faisait encadrer ses armes et intersignes au-dessus du grand-autel de léglise du Baly, dont la maîtresse vitre, un peu au-dessus des armes du roi (1582), ce qui était linsigne de la puissance du seigneur du lieu.
La communauté de ville aidant, le nouveau chef reçut des volontaires.
Mais avant de donner plus de détails sur ces volontaires, disons ce quétait à cette époque la communauté de ville. Elle se composait de la noblesse, des bourgeois et en général de tous les habitants qui nétaient pas classés dans la catégorie des vilains ; on entendait par vilains ceux qui ne vivaient que du produit de leurs bras. A en juger par ces apparences on est tenté de croire que les libertés étaient étendues dans ce temps ; il nen est rien, car tout ce qui émanait de la communauté de ville était réglé et contrôlé par le Roi ou par le parlement, en un mot elle némettait que des avis dont lautorité supérieure pouvait à loisir tenir compte, ou quelle pouvait considérer comme non-avenus.
Tout à lheure nous avons parlé de volontaires ; on sen est peut-être étonné : cest qualors, comme dans toutes les guerres civiles, chacun combattait pour qui il voulait. Les forces militaires dont disposait le seigneur de Kergomar nétaient pas déterminées, comme celles des autres seigneurs, par les limites territoriales assignées à létendue de son pouvoir. La puissance de cette maison, née avec sa popularité, navait pas de limites fixes. Aussi ses troupes étaient-elles formées des éléments les plus divers. Parmi les recrues, les plus puissantes furent celles des Texiers (tisserands) de Brélévenez, qui formaient une confrérie sur laquelle nous allons donner quelques détails.
La puissance militaire et lopulence de cette corporation qui donna souvent de lombrage à plus dun capitaine breveté par le Roy, provenaient dune part de sa riche industrie, dautre part dun privilège plus riche encore que lui avait octroyé « la bonne duchesse Anne de Bretagne». En vertu de ce privilège, la confrérie prélevait un droit fixe sur toutes les toiles qui se vendaient à Lannion « pour le produit en être affecté aux ressources de la corporation ».
Entre autres monuments de la générosité des Texiers, nous avons la chapelle de la sainte Trinité, dans léglise de Brélévenez ; et des chartes de cette époque prouvent que les chapelles des maisons nobles des environs, dans la même église, étaient bien nues et bien pauvres, auprès de celle dont les fondateurs portaient la navette en écusson.
Cette confrérie, comme toutes les autres, était administrée par un abbé laïque, revêtu dune puissance redoutable. Lorsque la Ligue arriva, cétait un certain Laville-Chapin qui était investi de cette fonction.
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