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ABBAYE NOTRE-DAME DE LANTENAC aux XVII-XVIIIème siècles

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Histoire de l'abbaye Notre-Dame de LANTENAC aux XIIème et XVIIIème siècles.

Le Lié, ou Lier, est une aimable rivière dont les eaux toujours limpides et murmurantes arrosent un large coin de la Bretagne centrale formé de territoires appartenant aux cantons de Ploeuc, Plouguenast, Loudéac, La Chèze, Rohan et la Trinité. Il prend sa source dans la belle forêt de Lorges, coule à peu près constamment du nord au sud et porte ses eaux à l'Oust, l'un des plus gros affluents de la Vilaine.

En quittant la forêt de Lorges, le Lié serpente longuement dans le voisinage de Ploeuc, la patrie de Donatienne, l'héroïne bien connue du touchant récit dû à la plume de René Bazin. Peut-être est-ce dans l'étendue des plateaux ondulés dont il fertilise la base qu'il faut chercher parmi « les vallons et les côtes fuyant en houles mêlées, le petit raidillon pierreux, semé de genêts, qui portait la closerie de Ros-Grignon ».

A Ploeuc, le Lié n'est encore qu'un ruisseau ; mais, de prairie en prairie, il ne tarde pas à rouler des eaux de plus en plus profondes. De toutes parts lui viennent des tributaires : ruisselets bavards qui descendent des landiers et des bois, canaux minuscules et discrets qui coulent entre les cépées de saules, emportant l'onde cristalline de fontaines innombrables que l'on voit sourdre un peu partout dans cette fraîche et pittoresque région.

Voici notre rivière sur les confins de Gausson. Elle laisse un peu d'écume aux roches de Caupé et se hôte en chantant vers les grasses prairies du Pontgamp et de Plessala. Quand il y parvient, le ruisseau de Lorges est devenu un petit fleuve. Sa voix s'enfle même par instants lorsque les écluses des moulins opposent leurs étais verdis de mousses et leur vannes disjointes à la course des eaux qu'elles ont l'incroyable prétention de retenir. Bientôt la Grand'-Rivière, pour parler comme les gens du pays, baigne la forêt de Loudéac. Elle en côtoie la lisière sur une longueur de plusieurs kilomètres et vient former au bord des communes de Plémet et de la Prénessaye un bel étang dont la surface tranquille reflète des coteaux toujours verts, des toits bleus piqués de lichens dorés, les ouvertures en plein cintre et le clocher pyramidal d'une chapelle. C'est le Vaublanc, l'un des plus agréables coins du pays de Loudéac.

La rivière, après avoir perdu beaucoup de sa limpidité au lavage des kaolins de Plémet, se hâte vers Saint-Sauveur-le-Haut, ancien « bourg paroissial » tombé au rang de modeste village. On y voit quelques maisons anciennes et un intéressant ossuaire de 1725 que tout le monde, malheureusement s'entend à laisser tomber en ruines... Le Lié continue de fuir et s'élance bientôt dans la gorge d'Hélouvry qu'il emplit de sa voix devenue puissante. Un peu plus bas, le moulin du Vicomte le retient un instant, et le voici baignant au Pont Kerra les terres voisines du bourg de la Prénessaye.

Un peu en aval des ponts très rapprochés sur lesquels la voie ferrée de la Brohinière à Carhaix et la route nationale de Rennes à Brest franchissent le Lié, la vallée s'élargit et forme une jolie plaine que divise le damier des prairies. Suivons cette vallée qu'encadrent à gauche le plateau de la Ferrière et à droite la falaise grisâtre de Blanlin. Après environ vingt minutes de marche, on s'aperçoit que la plaine s'est insensiblement rétrécie. Elle se termine bientôt par un étranglement inattendu. Les coteaux qui la bordent se sont brusquement rapprochés et inclinent vers le fond du val des pentes chargées de sapins, de châtaigniers et de chênes. La rivière après avoir écumé un instant sous la grande roue à aubes d'un vieux moulin retrouve la tranquillité et ne fait plus entendre que le murmure berceur qui convient au calme de la solitude. Tout dans ce coin paisible invite l'âme au recueillement et à l'oraison. Nul ne s'en approche sans le ressentir. C'est sans doute l'impression qu'éprouvèrent aussi les hommes de foi qui, au XIIème siècle, voulurent faire de ce val un lieu de retraite et de prière, car nous touchons au sol sur lequel Eudon II, comte de Porhoët, fonda sur la rive gauche du Lié, en la paroisse de La Ferrière, évêché de Saint-Brieuc, l'an de l'Incarnation 1149, l'abbaye de Notre-Dame de Lantenac.

Il existait déjà une église à Lantenac antérieurement à la fondation du Comte. Nous le savons par une charte de 1128 aux termes de laquelle Jean, évêque de Saint-Brieuc, confirme toutes les donations faites pendant son épiscopat au prieuré de Saint-Martin de Josselin. L'évêque s'exprime ainsi : « Nous Jean, par la grâce de Dieu évêque de Saint-Brieuc, avec l'assentiment général de notre Chapitre, nous concédons aux moines du Bienheureux Martin de Marmoutier sous réserve cependant de notre autorité et des droits de notre église dans le Porhoët, l'église de la Ferrière et l'église de Lantignac de telle sorte que la nomination et la révocation des prêtres de ces églises soient entre les mains des moines de Marmoutier qui habitent près du château de Josselin ; quant aux revenus de ces églises, que les moines et les prêtres se les partagent paisiblement suivant les dispositions des moines » [Note :  ... ego Johannes, Dei gracia Sancti Briocii episcopus, communi consensu nostri capituli, concedimus monachis Beati Martini Majoris Monasterii, salva tamen obedientia et redditibus nostre ecclesie in Pornihocensi Paga ecclesiam de Ferraria et ecclesiam de Lantignac, ita ut per manum monachorum Majoris Monasterii qui manent in monasterio Beati Martini juxta castrum Guoscelini sit introitus vel exitus sacerdotum istarum ecclesiarum ; beneficia vero earum inter monachos et sacerdotes juxta voluntatem monachorum in pace dividantur... (Arch. dép. du Morbihan : Fonds du prieuré de Saint-Martin de Josselin. — Cartulaire du Morbihan I-168. — Anc. Ev. IV-337)].

Les savants auteurs des Anciens Evêchés de Bretagne ont manifestement erré en prétendant que l'église de Lantignac mentionnée ci-dessus ne doit pas être située au lieu de Lantenac (Anciens Evêchés de Bretagne, IV, 230, note 1). Voici les objections qu'ils opposent à l'opinion contraire : « 1° Si Lantenac avait été paroisse à cette époque, elle ne serait pas désignée dans l'acte de fondation de l'abbaye sous le simple titre de villa ; 2° rien n'indique que ce lieu ait dépendu de Marmoutier ». La réponse n'est nullement embarrassante. Voyons d'abord le passage de l'acte de fondation sur lequel on s'appuie. Eudon de Porhouët s'exprime ainsi : Dedi eciam postea sedem abbacie in Lanthenac dimidium ville, ce que nous traduisons par : J'ai donné ensuite une moitié de ferme à Lantenac pour y établir le siège de l'abbaye. Ainsi qu'on le voit, ce n'est pas Lantenac qui est une villa, une ferme ; mais le fondateur possède à Lantenac une ou plusieurs villae et donne la moitié de cette propriété ou d'une de ces propriétés pour y fonder le monastère. La seconde objection se résout plus facilement encore. La charte de l'évêque Jean ne dit pas que les deux églises sont concédées à l'abbaye de Marmoutier, mais aux moines de Marmoutier établis à Josselin, c'est-à-dire au Prieuré de Saint-Martin de Josselin. Enfin, le fait que la donation de 1128 comprend les deux églises de La Ferrière et de Lantenac est assez significatif. A cette époque, comme actuellement, Lantenac était une dépendance de La Ferrière, et il était naturel que la donation du bénéfice le plus important entraînât celle du bénéfice inférieur. Quant à la proposition que font les mêmes auteurs de substituer au Lantignac de la charte le nom de la paroisse de Lantillac, elle est absolument inacceptable. Au XIIème siècle, les limites des diocèses bretons n'étaient plus à établir et, depuis longtemps, Lantillac faisait partie de l'évêché de Vannes.

Il nous reste à parler d'un autre acte épiscopal qui enlève toute incertitude au sujet de l'identification de Lantignac avec Lantenac. Entre la mort de l'évêque Jean Ier et l'arrivée à l'épiscopat de Josselin que l'acte en question concerne particulièrement, il s'écoula à peu près soixante années, et cinq prélats se succédèrent sur le siège de Saint-Brieuc. Les concessions faites en 1128 aux moines de Josselin étaient-elles peu à peu devenues à charge à la curie épiscopale et pensait-on qu'il y avait lieu de les abroger ? Toujours est-il que le sixième successeur du bienfaiteur de Saint-Martin de Josselin tenta l'opération, et pour parvenir au but qu'il se proposait engagea une lutte violente contre le prieur. Les hostilités qui durèrent assez longtemps, dit la charte sans autrement préciser, ne prirent fin que sur l'entremise d'un légat pontifical. L'arbitre choisi par le Pape pour amener les deux adversaires à composition était Guéthénoc, évêque de Vannes, que nous trouvons mêlé à plusieurs affaires politiques et ecclésiastiques du temps (Cf. Gallia Christiana, XIV, col. 925). L'évêque de Saint-Brieuc et le prieur de Saint-Martin parurent devant lui dans le cours de 1199, et après une longue discussion finirent par adopter l'arrangement ci-après : Le droit de présentation concédé à Saint-Martin de Josselin par Jean Ier lui était enlevé au profit du Scholastique de Saint-Brieuc et, en retour, l'évêque accordait au prieur une redevance annuelle de huit sous et six deniers que le chapelain de La Ferrière et de Lantenac s'engagerait, par un serment prêté sur l'autel des dites chapelles, à payer fidèlement [Note : Universis... Jus donacionis predictarum capellarum concessum est ad presentationem magistri scolarum pacifice et sine calumpnia et cedi de cetero episcopo Briocensi ; in eisdem autem capellis, prior Sancti Martini VIIIe olidos et VI denarios accipiet annuatim ; capellanus autem cuicumque episcopo Briocensi predictas capellas assignabit, jurabit bona fide in altare dictarum capellarum coram dictis episcopis et priore vel eorum procuratoribus et priori Sancti Martini dictam pensionem annuatim fideliter redditurum... (Arch. dép. du Morbihan. Fonds du Prieuré de Saint-Martin de Josselin. Cartulaire du Morbihan, I, 194)]. Les dispositions de cet accord étaient loin de favoriser la cause des moines. Aussi le prieur profita-t-il de la leçon pour prévenir d'autres litiges de même nature en demandant une confirmation expresse de toutes les possessions et dîmes dont jouissait son monastère dans l'évêché de Saint-Brieuc, générosité que Jocelin s'empressa de lui accorder [Note : Ibid. Cette charte permet d'avancer de trois ans la date donnée jusqu'ici au commencement de l'épiscopat de Jocelin. Gall. Chr XIV, col. 1089. Elle permet aussi d'ajouter à la liste des archidiacres de Vannes le nom de Pierre, en présence duquel eut lieu le règlement de l'affaire en litige. Liste des archid. de Vannes, Gall. Christ. XIV, col. 937].

Il est à remarquer que cette charte ne mentionne plus qu'un seul chapelain pour les deux bénéfices de Lantenac et de La Ferrière. Depuis 1129, ils avaient donc perdu de leur importance. Même, ils sont désignés par les termes de chapelles, non plus d'églises. Cependant, La Ferrière n'a pas cessé d'être et restera une église paroissiale ; mais Lantenac est définitivement tombé à un rang inférieur. L'édifice religieux dont il s'agit ici ne doit pas être confondu avec l'église abbatiale. Cette chapelle est tout à fait étrangère à la fondation du comte Eudon. C'est donc en dehors des possessions de l'abbaye qu'il faut la chercher bien qu'elle doive se trouver dans leur voisinage immédiat, car le nom de Lantenac ne peut embrasser un périmètre bien étendu. Ceci nous amène à croire que l'église de Lantenac mentionnée en 1128 occupait l'emplacement sur lequel s'est élevée la curieuse chapelle de Sainte-Blanche que l'on trouve à quelques centaines de mètres au sud de l'enclos du monastère. Quoi qu'il en soit, il existait en 1128 dans le vallon de Lantenac une petite agglomération comprenant une église desservie, quelques fermes habitées et sans doute un cimetière. Elle avait peut-être déjà une origine lointaine. Si l'on veut bien tenir compte de la forme de l'appellation, il ne paraîtra nullement hasardeux de voir dans ce modeste village un de ces lan que les émigrants bretons établirent en si grand nombre sur le sol de l'Armorique entre le Vème et le VIIIème siècle.

Revenons maintenant à l'abbaye. Eudon de Porhoët ne se contenta pas de consacrer à sa fondation la moitié d'une ferme, il ajouta d'autres terres, un moulin, des îles (prés longeant un cours d'eau), pourvut les moines de plusieurs dîmes et leur accorda le droit de faire paître des bestiaux dans la forêt de Loudéac. Le prieuré de Josselin fournit probablement la colonie monastique appelée à peupler la nouvelle abbaye, et c'est ainsi que les enfants de saint Benoît s'établirent dans ce repli tranquille et gracieux de la vallée du Lié.

Nous n'avons pas à raconter l'histoire de l'abbaye de Lantenac. D'autres l'ont fait et ont livré au public les rares pièces d'archives de cette maison, échappées à la destruction des guerres religieuses du XVIème siècle. Nous ne nous occuperons donc dans cette courte étude que de l'état du monastère aux XVIIème et XVIIIème siècles, époque sur laquelle nous avons pu rassembler un certain nombre de renseignements inédits [Note : Ces renseignements ont été puisés uniquement aux archives départementales des Côtes-d'Armor, fonds de l'abbaye de Lantenac] ; faits modestes il est vrai et sans grande portée, mais qui permettent de pénétrer au sein de la communauté, d'en reconstituer la vie dans ses grandes lignes et de s'édifier au spectacle de la ferveur des religieux.

Le XVIème siècle avait été funeste à l'abbaye. En 1534, la Commende s'y était installée et, par la suppression du véritable supérieur, l'abaissement du chiffre des revenus et la réduction du nombre des religieux, avait rapidement attenté à l'observance de la règle. Puis étaient venues les luttes entre catholiques et protestants qui, par suite de l'apostasie des Rohan, troublèrent la Bretagne pendant plusieurs années et précipitèrent la ruine de Lantenac. Hervé de Kerguézangor, « de la religion », s'empara du monastère et en fit le chef-lieu de ses brigandages. Il ne lui fut arraché que pour passer entre les mains d'un ancien soldat, royaliste d'abord et ligueur ensuite, Aune de Sanzay, comte de la Magnane, qui le traita sans plus de respect. Sous ce nouveau maître, l'abbaye devint une caserne de routiers et de pillards, l'église, le réfectoire et le chapitre furent même transformés en écurie. Lorsqu'en 1599, le prieur de Saint-Nicolas de Redon, vicaire général de l'Ordre, vint après le départ de la Magnane pour en reprendre possession, il ne trouva que des édifices en ruine, des terres en friches et des bois dévastés. Cette même année, le sergent chargé de notifier aux cures et aux maisons religieuses du diocèse de Saint-Brieuc la contribution due pour la taxe du clergé se présenta aussi devant les portes de Lantenac. « Il n'y avoit céans ny moynes ny abbé, nota plus tard le greffier qui reçut la déclaration du brave homme, le sergeand eut beau heurter et appeller, il nen vint mie ».

Il semblait que le vieux monastère fût définitivement condamné à l'abandon et à la ruine. Cependant la Providence avait décrété qu'il revivrait et que durant deux siècles encore l'office divin serait célébré sur son sol sanctifié par les ossements de tant de pieux ascètes. Celui que Dieu avait désigné pour assurer indirectement la résurrection de Lantenac était un saint moine, dom Noël Mars, né à Orléans en 1576 et profès de Marmoutier depuis 1594. En 1603, don Noël Mars, suivi de cinq religieux qui partageaient sa ferveur, résolut de tenter à l'abbaye de Marmoutier une réforme de la vie monastique qui s'y était relâchée par suite du malheur des temps. Le succès même de l'entreprise obligea bientôt les réformés à s'éloigner de Marmoutier. On leur accorda le prieuré de Léhon, près de Dinan, où ils s'établirent en 1604. L'année suivante, la congrégation naissante se donna des constitutions, prit le nom de Société de Bretagne, et confia à dom Noël Mars la charge de Vicaire général.

C'est à cette même date que le Provincial de Touraine, de la Congrégation des Exempts de France, entreprit de restaurer le culte à Lantenac où il avait fait commencer des réparations, notamment aux vitres et à la toiture de l'église. Une colonie de moines n'eût pu vivre au milieu des ruines de l'abbaye. Dom Jean Verdeau, le Provincial, décida de commencer modestement. Il avait sous la main un bon prêtre séculier du pays de Redon, Jean Guyen ou Guyon, homme d'une piété solide et très dévoué à l'Ordre de Saint-Benoît, auquel il devait beaucoup puisque, suivant dom Martène, il avait été élevé à l'abbaye de Redon. Dom Verdeau lui proposa de desservir l'abbaye de Lantenac à titre de chapelain. Jean Guyen accepta et prit aussitôt le chemin du bénéfice qui lui était donné. L'abbaye était alors en économat, et son administrateur, le sieur de la Carrière, ne voulut point recevoir dom Jean Guyen quoique celui-ci eût démontré qu'il venait comme « obédiencier de l'abbaye par mandat du Vicaire Général et Provincial de l'Ordre de Saint-Benoît ». Il fallut se pourvoir devant les tribunaux. Le 14 janvier 1606, le sénéchal de Ploërmel condamna le sieur de la Carrière à payer à dom Jean Guyen cent cinquante livres de pension pour son vestiaire et entretien, à lui donner un logement dans l'abbaye et à lui faire ouvrir les portes de l'église. Deux ans après, dom Jean Guyen s'adjoignit son neveu, Julien Le Ray, qui sans doute était jeune clerc. Dom Isaïe Jaunay, supérieur général de la Congrégation gallicane, vint visiter les deux solitaires en 1608 et leur laissa un exemplaire de la Règle de saint Benoît. Les murs délabrés de la vieille abbaye furent alors témoins d'un spectacle d'une touchante beauté. Sous ce pauvre toit qui les abritait à peine, réduits à l'isolement et aux privations de toute nature, sans maître pour les guider et les encourager, Jean Guyen et Julien Le Ray s'exerçaient à la pratique de la règle bénédictine avec une ferveur qui n'avait d'égale que leur admirable simplicité. Une vertu si héroïque ne pouvait rester sans récompense. Les deux hommes reçurent la grâce de la vocation monastique et résolurent de se joindre à la petite phalange de dom Noël Mars, le saint prieur de Léhon. Ce fut en 1610 que les deux postulants allèrent frapper à la porte de cette maison. Ils furent admis au noviciat, et des Pères de la Société de Bretagne vinrent les remplacer à Lantenac sous la conduite de dom Elie Truchon [Note : C'est par dom Marlène que nous connaissons le nom du restaurateur de la vie monastique à Lantenac] à qui la charge de prieur avait été confiée. Après une interruption d'un demi-siècle, l'abbaye se repeuplait de bénédictins. Une note de 1612 nous apprend que la petite communauté se composait de trois religieux de choeur et d'un frère convers. L'abbé commendataire, Guillaume Dupont, s'engagea à payer annuellement cent quarante livres de pension à chaque moine, soixante livres au frère convers, et à pourvoir la sacristie d'une barrique de vin de messe.

En 1615, dom Julien Le Ray est de retour à Lantenac et y exerce même la charge de prieur ; mais il ne fait que passer et dom Claude Aubert lui succède l'année suivante. Les réparations aux bâtiments ne s'effectuaient qu'avec une extrême lenteur, car un procès-verbal de 1622 montre que les lieux réguliers, le colombier et autres dépendances étaient toujours en ruine. Un nouveau prieur, dom Romuald Nicolas apparaît en 1624. Cette même année, le 17 octobre, eut lieu au village de Lantenac, c'est-à-dire aux portes mêmes de l'abbaye une enquête civile conduite par la cour de Ploërmel. Elle établit que toutes les pièces de terre de la métairie de Quiaudu, relevant de la seigneurie de la Tronchaye (paroisse de la Prénessaye), avaient toujours été dimées à la 12ème gerbe et qu'un tiers de cette dîme appartenait au recteur de la Chèze et les deux autres tiers à l'abbaye de Lantenac. Onze témoins vinrent déposer devant le sénéchal. Nous en donnons la liste car elle montre par la profession indiquée à la suite de chaque nom quelle place importante tenait la petite industrie de la toile et du drap dans ce hameau éloigné de tout centre et à l'écart de toute grande voie de communication.

Jacques Martin, chapelier, demeurant au village de Lantenac.

Thébaut Roullois, laboureur, demeurant au village de Lantenac.

Claude Clainchart, tailleur d'habits, demeurant au village de Lantenac.

Alain Gicquel, laboureur, demeurant à Lantenac.

Yves Tavel, teixier en linge, demeurant à Lantenac.

Alain P..., teixier en linge, demeurant à Lantenac.

Geffroy Donnion, teixier en linge, demeurant à Lantenac.

Jean Audren, teixier en linge, demeurant à Lantenac.

Jullien Raulet, marchand de toile et laboureur, demeurant à Lantenac.

Jullien le Bigot, laboureur, demeurant à Lantenac.

Jullien Clainchart, laboureur, demeurant à Lantenac.

Ajoutons à cette liste deux autres noms que nous livre un acte de 1628 : Jean Conan, tailleur de draps et Julien Gicquel, texier en toile, nous aurons ainsi un total de huit familles au moins vivant à Lantenac de la fabrication, du commerce ou de l'utilisation des toiles et tissus. M. Geslin affirme que dès le XIIIème siècle, les moines de Lantenac introduisirent la culture du lin dans la vallée du Lié ; et M. du Halgouët, en reproduisant ce qui précède, ajoute que les bénédictins furent les promoteurs de cette industrie des toiles qui resta la fortune de Loudéac jusqu'à la fin du XVIIIème siècle. Sans aller jusqu'à cette conclusion, nous sommes heureux d'apporter un témoignage qui corrobore la thèse de l'impulsion puissante que l'industrie textile reçut des moines, par l'exemple qu'ils donnèrent, leurs conseils et l'établissement de « moulins à fouler les draps el filasses » dont un fonctionnait encore au commencement du XVIIème siècle, malgré la ruine du monastère.

En 1628, la Société de Bretagne renonça à sa vie propre pour se joindre, sur les conseils du Saint-Siège, à la jeune et florissante Congrégation de Saint-Maur au sein de laquelle la réforme de dom Noël Mars faisait entrer six monastères rendus à l'observance de la règle et animés d'une généreuse ferveur. Cette union ne fut toutefois immédiatement effective que pour la moitié de ces maisons. Plusieurs religieux ayant, en effet, émis le désir de continuer la pratique de leurs règlements particuliers, on le leur accorda, et la Congrégtion de Saint-Maur leur laissa trois monastères où ils purent vivre sous des supérieurs de leur observance. L'abbaye de Lantenac fut de ce nombre. Elle reçut alors pour prieur dom Aubin de Saint-Père qui resta près de vingt-cinq ans en charge et tenta de restaurer les bâtiments de l'abbaye dont l'état misérable nous est dépeint dans un aveu rendu au roi le 12 mars 1638 par l'abbé commendataire Guillaume Dupont (Du Pont). Nous donnerons de larges extraits de cette pièce qui contient par ailleurs des renseignements utiles à connaître.

« Consiste la dicte abbaye en une église, grand corps de logis, clouaistre, vieilles mazières ou estoit autrefois le parsus de ses clouestres ou dortoir a présent tombé en ruine a cause des guerres scivil, qui ont esté dans la dicte province de Bretagne, avec un verger, trois jardins, une prée et bois tailly mesme un columbier partie presque ruiné et  a présent couvert de pail, et autres vieilles manières ou autrefois estoient les écuries de la dicte abbaye, mesme un moulin [Note :  Plus tard on en construisit ou restaura deux autres. En 1747, ces trois moulins avec leurs dépendances, c'est-à-dire un pré, une maison, un jardin et les ponts à péage étaient affermés trois cent soixante dix livres] auprès du dict columbier, couvert dardoize, le tout s'entre tenant et joignant et contenant par fons environ 15 journaux de terre ».

Le déclarant affirme ensuite le droict de moyenne et basse justice qu'il exerce sur deux rôles s'étendant en les paroisses de la Chèze, Loudéac et la Prénessaye. L'un de ces rôles se paye en deniers et rapporte 41 livres. L'autre consiste en chapons, poulets, gants blancs, céréales, etc.

L'énumération des dimes vient en troisième lieu :

« Ménéac, 40 quartiers, moitié seigle et avoine.

Saint-Eloi, cent boisseaux d'avoine.

Sur le prieuré du Clos, paroisse de Saint-Samson, 24 b. froment rouge ».

Autres revenus : Maison et jardin dans la ville de la Chèze [Note : La « maison et refuge » des sieurs Abbé et religieux de Lantenac, en la ville de La Chèze, était une petite propriété comprenant une maison d'habitation assez confortable (cuisine, salon, chambre, grenier, écurie), un jardin et quatre pièces de terre. Le tout était affermé à noble homme Gabriel Mahé, en 1776, moyennant 20 livres tournois] ; droit de chauffage et pâturage dans la forêt de Loudéac ; droit de 45 boisseaux de froment rouge sur les moulins de la Chèze, appartenant au seigneur de Rohan.

Tous ces revenus passaient, cela va sans dire, entre les mains de l'abbé commendataire qui devait en retour faire face aux charges ci-après :

« Doit le dict Abbé nourrir et entretenir en lad. abbaye cinq religieux prêtres, pension de chacun, 100 l. tournois par an ; deux novices, pension de chacun, 60 l. tournois par an ; un frère lai, pension, 60 l. tournois par an. Doit les réparations aux bâtiments de l'abbaye ».

Cette dernière déclaration se passe de commentaires.

Pour terminer sur une note pittoresque, mentionnons une de ces redevances curieuses que l'on rencontre dans les aveux de toutes les époques.

« Le dict sieur Abbé est de tout temps immemorial en possession davoir et jouir du devoir et coustume des e marchands qui vendent et achettent le jour et feste de lascension de Nostre-Seigneur la foire tenant a lad. ville de la Chaise, mesme du devoir de bouteille a raison de deux pots du breuvage qui est led. jour débité par detail, les autres taverniers et cabaretiers en la dite ville de la Chaise sont tenus aporter chacun a leur porte une table avec une nappe et vers raincés a cette fin, et le lendemain dud. jour a droit de tenue de plaids generaux ou sont les sujets de lad. Abbaye tenus de comparoistre a peine de 20 deniers damande ».

La commende de Lantenac passa à Etienne Dupont (Du Pont), neveu de Guillaume, en 1641. Ce fut probablement cette même année, à l'occasion de sa prise de possession, que le nouvel abbé fit dresser un procès-verbal des armoiries peintes ou sculptées sur les murs du monastère.

« Au hault du principal portail de la maison abbatiale qui paroit denviron huit toises de front et environ cinquante pieds de hauteur, il y a un ecusson avec la crosse dun abbé, soutenu de deux tigres, portant une bande chargée de trois testes de daims ».

Le rédacteur de la pièce ne put sans doute lire exactement cet écusson qui devait porter, croyons-nous : de sable à la bande d'argent chargée de trois rencontres de taureaux du même, armes de Geffroy Guitton, abbé de 1464 à 1496. Les armes de Rohan se voyaient en plusieurs endroits. [Note : Le 27 août 1641, Guillaume du Pont résigna la charge d'abbé de Lantenac, qu'il occupait depuis 1612, en faveur de son neveu Etienne du Pont, protonotaire apostolique, aumônier du roi, chapelain de la chapelle royale de la Paix du Louvre, bénéfice auquel il fit réunir la crosse de Lantenac en 1653. Son abbatiat lui valut des démêlés avec Marguerite de Rohan. Il assista aux Etats de 1677 à Saint-Brieuc et mourut en 1685].

A l'entrée de l'église, un bénitier de pierre « bien taillé » portait les armes du dernier abbé régulier de Lantenac, Alain de Lescouët, qui tint la crosse de 1506 à 1540 : de sable à la fasce d'argent chargée de trois quintefeuilles du même. Cet écusson se retrouvait aux vitraux de l'abside en compagnie de celui de la maison des Chemins : d'azur à une croix d'or. Dans l'abside également, s'élevait un tombeau avec « une figure de fille en bois », sans doute l'effigie d'Eléonore de Rohan qui fut inhumée dans l'église de l'abbaye vers le milieu du XVIème siècle.

Il est difficile de déterminer à quelle date précise la Congrégation de Saint-Maur prit possession de Lantenac. Dom Denis [Note :  Dom Paul Denis : Le Cardinal de Richelieu et la réforme des monastères bénédictins, p. 111, note 1] assigne à cet événement la date de 1642 ce qui nous semble prématuré car, suivant dom Martène, quelques religieux de la Société de Bretagne y vivaient encore en 1647. Les deux autres maisons concédées aux disciples de dom Noël Mars s'étant éteintes peu après 1639, il ne restait plus que Lantenac qui vit agoniser et mourir la petite société. Le nom de dom Aubin de Saint-Père, dernier prieur breton, disparaît en 1652 et celui de son successeur, dom François Hardy, se rencontre en 1654. Ce fut très probablement cette même année que l'on commença à observer à Lantenac les constitutions des Mauristes [Note : Située dans la commune de La Ferrière, ancienne trève de La Chèze, l'abbaye bénédictine de Lantenac, fut fondée en 1149 par Eudes, comte de Porhoët. Elle tomba en commande vers 1534, et il n'y restait plus qu'un seul moine en 1615 lorsque la réforme y fut introduite, par la " Société de Bretagne " d'abord, par la Congrégation de Saint-Maur ensuite en 1638. Le prieur Aubin de Saint-Père put entreprendre la reconstruction du monastère grâce à l'accord intervenu en 1649 sur le partage des revenus de l'abbaye : le tiers pour l'abbé, le tiers pour les moines, le tiers pour l'entretien du monastère et les aumônes].

Avant de clore cette phase de l'histoire de l'abbaye, nous pensons qu'il ne sera pas sans intérêt de retracer brièvement la vie des Pères de la Société de Bretagne qui, au témoignage des historiens de Saint-Maur, ne s'éloignèrent jamais de leur première ferveur.

Suivant leurs Constitutions, dit dom Martène, « ils devaient tous les jours se lever à minuit. Leurs matines duraient trois heures les jours ordinaires et quatre les jours de fêtes. Ils disaient tous les jours l'office de la Sainte Vierge avec le Canonique. Ils chantaient tous les jours deux grand'messes et faisaient le service divin avec beaucoup de solennité et de gravité. Après Matines, ils faisaient une demi-heure d'oraison mentale et autant après Complies. L'intervalle entre les deux grand'messes et celui entre le dîner et les vêpres était employé à des lectures de piété et au travail manuel. Ils gardaient une abstinence rigoureuse et observaient exactement les jeûnes prescrits par la règle. Leur pauvreté était entière ».

Nota : Une visite à Lantenac au début du XXème siècle (vers 1927). " Accéder au village est chose facile puisqu'il est situé à quelques pas de la station de la Chèze et qu'une route carossable le relie à la petite ville du même nom, distante de deux kilomètres au plus. Nous n'oserions cependant conseiller le voyage à ceux qu'allécherait l'espoir de trouver des ruines importantes de l'abbaye. Il ne reste rien, absolument rien de l'église et du monastère dont la démolition a été achevée au commencement du siècle. Seuls, une partie des murs de clôture, les pilastres de deux et une écurie portant la date de 1642 mettent la note grise de leurs vieilles pierres sur la verdure des prairies qu'arrose le Lié. Au bord de la rivière s'élèvent cinq magnifique tilleuls qui furent peut-être plantés de la main des moines. Du côté opposé, au bord de la route qui conduit à la Chèze, à l'orée du joli bois de sapins et de hêtres qui couvre la pente abrupte du coteau, le propriétaire actuel de l'abbaye a fait élever un modeste oratoire où sont conservés trois statues et un crucifie anciens, le tout de bois, derniers débris du mobilier de l'église abbatiale. Deux de ces statues sont placées sur de vieilles consoles de pierre portant les armoiries d'Alain de Lescouët que nous avons déjà décrites. Un moulin et quelques maisons d'humble apparence abritant deux ou trois familles de cultivateurs se dressent à quelques pas du portail de l'abbaye. Nous ne pouvons dire si le souvenir des moines s'est conservé sous ces toits rustiques et dans les hameaux voisins. Du moins nous pouvons assurer que la dévotion instaurée par les religieux dans la dernière partie du XVIIème siècle fleurit encore au milieu de la population véritablement chrétienne de la région. Souvent, le petit oratoire s'ouvre à la piété de quelque laboureur du voisinage venu demander à saint Firmin tantôt la bénédiction de ses travaux, tantôt l'assistance dans le malheur. Ainsi cette terre de Lantenac, malgré sa déchéance, a gardé quelque chose de sa consécration primitive, privilège que pourraient lui envier un trop grand nombre d'anciens monastères totalement livrés aux tristesses de la profanation ". (J. Du Chauchix).

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