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LIGNÉ DURANT LA RÉVOLUTION

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Besoin de réformes — Parties avancées prennent la tête du mouvement — M. Massonnet est chassé de sa cure — M. Cheminard, prêtre assermenté, ne peut rester à Ligné : son successeur, pareillement — M. Thoret, vicaire, l'âme de la résistance — Soulèvement à Ligné, mars 1793 — Guerre civile jusqu'en 1800 — Pierre Palierne, de la Théardière, général divisionnaire — Capitaine Deshaies, de la Gasnerie — Les chouans — M. Massonnet, curé de Ligné — M. Jousset, massacré dans la forêt du Cellier — M. Mathurin Livenic.

I.

Qu'il y eut besoin de réformes en 1789, nul ne le contestait, et de toutes parts, s'élevaient des voix pour l'abolition de certains droits, et la réalisation de certaines réformes [Note : Dans la Préface de sa remarquable Histoire Religieuse de la Révolution Française, P. de la GORCE reconnaît (p. IV) que si l'on voulait « juger dans son ensemble l'œuvre des Constituants ou de leurs successeurs », il faudrait « mettre en relief, entre toutes les réformes accomplies par eux, celles qui ont réalisé, en matière administrative et surtout dans la législation civile, financière ou criminelle, de mémorables progrès ». Il ajoute : « Parmi les œuvres révolutionnaires, j'ai dû étudier la pire de toutes, c'est-à-dire l'œuvre religieuse ». Tous les historiens impartiaux le rejoignent sur ce point]. Le clergé et la noblesse étaient prêts, comme ils le montrèrent, à renoncer à leurs privilèges. Mais l'atmosphère d'alors était imprégnée de miasmes mauvais. Bien des esprits étaient aveuglés par les doctrines de ceux qu'on appelait les philosophes. Rousseau, Voltaire et leurs amis, s'élevant contre toute autorité, avaient sapé la base de la société ; s'attaquant à Dieu, à la religion, à la morale, ils avaient diminué la foi dans les âmes, et soulevé les passions mauvaises. Certaines parties de la noblesse et de la bourgeoisie n'avaient pas su se garder des idées de ces hommes néfastes : on les avait vues s'affilier à la franc-maçonnerie et abandonner les principes chrétiens. Parmi le peuple, et suivant l'exemple des grands, beaucoup dans les villes vivaient en dehors de toute religion.

Les éléments mauvais, comme, hélas ! cela arrive presque toujours, prirent la tête du mouvement et se laissèrent bientôt entraîner à tous les excès, à tous les crimes. La partie saine de la nation n'eut pas le courage de réagir, sauf dans l'Ouest et en quelques contrées du Midi.

Ce sera l'éternel honneur de la Bretagne de s'être soulevée contre les tyrans, les ennemis de la religion. Les habitants de chez nous certes, aimaient la royauté. S'il y avait des abus — et quel est le régime qui n'en a pas ? — si les réformes tardaient à paraître, ils se rendaient compte que cela provenait de l'entourage du roi plutôt que du roi lui-même, et ils aimaient leur roi. Pourtant le vrai motif, la raison profonde de leur soulèvement, ne fut pas tant la défense de la royauté, que la défense de la religion : ils ne voulaient pas qu'on fermât leurs églises, qu'on chassât leurs prêtres, qu'on les mît à mort ; ils ne voulaient pas qu'on s'attaquât à leur religion, à leur Dieu.

Stofflet le 23 février 1796 était fusillé au Champ de Mars à Angers. Il commanda lui-même le feu d'une voix ferme en criant « Vive la religion, vive le roi ! ». Ces deux mots résument l'état d'esprit de la majorité de ceux qui se soulevèrent. Ils prirent les armes pour défendre la religion d'abord.

Mais suivons la Révolution pas à pas, et voyons ses méfaits dans notre pays.

Par décret du 4 mars 1790, l'Assemblée Nationale divisa la France en 83 départements, la Bretagne en 5 départements.

Dans le département de la Loire-Inférieure, elle établit 9 districts. Le district d'Ancenis fut divisé en 28 communes partagées en divers cantons. Dès les premiers jours Ligné fut canton : ce canton comprenait Mouzeil, Teillé, Couffé, Mésanger, le Cellier.

Le commissaire qui présida aux destinées du canton pendant la période révolutionnaire se nommait Lorette. Il remplissait auparavant les fonctions de sénéchal des Régaires de l'évêché de Nantes [Note : Les Regaires étaient une juridiction temporelle relevant de l'Évêque. Chargé, comme beaucoup de ses semblables, d'une fonction temporelle dans l'administration de l'Église, il n'avait remarqué que certaines petitesses du Clergé et était resté étranger à la mission spirituelle de celui-ci. Il avait une mentalité de légiste, bien décrite par P. de la GORCE (Hist. Rel. de la Rév. Fr. t I, p. 202). Ce qui explique, sans le justifier, son comportement hostile]. Ayant acclamé la révolution dès les premiers jours, il avait été nommé juge au tribunal d'Ancenis. Il se signala bientôt par son zèle intempestif, excitant les tièdes, dénonçant les suspects, toujours ennemi acharné des prêtres, et particulièrement des prêtres de Ligné.

Il trouva en certains hommes de Ligné, des auxiliaires précieux pour défendre et propager la doctrine révolutionnaire. Quels furent ces hommes ? Inutile de signaler leurs noms, dont quelques-uns du reste sont bien connus. Ici, comme ailleurs, les premiers à soutenir l'agent de la Révolution furent les moins bons, gens aux principes flottants qui dans ce mouvement voyaient plutôt leurs propres intérêts. On les vit s'enrichir en volant les biens des nobles, les biens du clergé. N'est-ce pas singulier de voir ces individus qui se levaient sous prétexte de combattre les abus, commettre eux-mêmes les plus criantes injustices ? A ceux-ci s'en joignirent d'autres, des hommes qui, dans un siècle moins tourmenté, auraient suivi le droit chemin, dans le sillage des honnêtes gens mais qui, sans énergie, tremblants devant les menaces, se laissèrent influencer, et suivirent docilement les meneurs. Les révolutions sont faites de ces gens qui bêlent avec les moutons, et hurlent avec les loups.

Les mauvais furent-ils nombreux à Ligné ? Non ; la grande majorité resta fidèle à la religion.

Dès les premiers jours, la Révolution se montra l'ennemi déclaré de la Religion : « les patauds » [Note : « Pataud » : nom que les Vendéens donnaient aux Républicains par altération du mot « patriote », ou peut-être par dérision] qui se mirent de son côté furent donc sans excuse. Le 13 février 1790, elle supprima les ordres religieux. En juillet, elle vota la Constitution civile du Clergé [Note : Un historien qui se révèle anticlérical, A. MATHIEZ écrit : « L'Assemblée Constituante n'imaginait pas que le Pape (Pie VI) prendrait la responsabilité de déchaîner un schisme ». C'est parler bien légèrement, bien que Mathiez lui-même reconnaisse à la page précédente, au sujet du vote de la Constitution civile du clergé : « Ainsi l'Église de France deviendra une Église nationale ». Qui donc a pris la responsabilité de déchaîner le schisme ? (dans La Révolution Française t. I, p. 147 et 146)], la plus grande faute qu'elle put commettre, et la première cause des soulèvements dans les campagnes. Par cette loi, elle voulut elle-même nommer les prêtres dans les paroisses, et leur imposer le serment civique : c'était introduire le pouvoir civil dans le domaine spirituel et porter la plus grave atteinte aux droits incontestables de l'Église. Le 2 novembre 1789, elle lança un décret qui mettait tous les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation. Enfin, le 27 novembre 1790, l'Assemblée Constituante ordonna de poursuivre comme rebelles tous les prêtres en fonction qui refuseraient de prêter le serment. Un an plus tard (29 novembre 1791), nouveau décret, obligeant tous les ecclésiastiques à prêter ce serment, sous huit jours, sous peine d'être réputés « suspects de révolte contre la loi ». Bientôt après, on commença à les interner !

Le Directoire d'Ancenis s'empressa d'appliquer ces lois sectaires dans son ressort. Le 27 et le 28 mars 1791, l'assemblée électorale du district se réunit dans l'église paroissiale d'Ancenis pour nommer des prêtres constitutionnels dans nos paroisses où presque tous les prêtres avaient refusé de prêter le serment.

Elle choisit pour curé de Ligné, Cheminard, vicaire assermenté et officier municipal d'Ancenis, élection qui allait inaugurer l'ère des troubles dans la commune.

Le 19 juillet, le Directoire faisait connaître à M. Massonnet curé de Ligné, qu'il avait à quitter sa cure sous trois jours ; il ordonnait à la municipalité de recevoir les clefs de la cure des mains de ce prêtre, et si celui-ci refusait, il ordonnait qu'on lui fit connaître son refus. La garde nationale de la commune devait prêter son concours pour le maintien de l'ordre, et il lui serait adjoint quarante hommes de la garde d'Ancenis.

M. Massonnet ne se laissa pas intimider, et le lendemain 20 juillet, il déclara faire opposition à l'injonction qui lui avait été adressée.

Le Directoire lui envoya alors une seconde sommation, et, en cas d'un nouveau refus de sa part, il chargeait l'huissier de pénétrer dans la cure, et de prendre tous les objets lui appartenant et de les déposer dans une auberge du bourg.

Dans une paroisse aussi chrétienne que Ligné, une attaque si directe à la religion ne pouvait rester sans réponse : les habitants se soulevèrent pour maintenir leur curé parmi eux et le défendre.

A la nouvelle de cette agitation, le Directoire décida d'envoyer des dragons prêter main-forte aux autres troupes déjà sur les lieux. Protégé par tous ces soldats, et trouvant des défenseurs dans les membres d'une municipalité lâche et servile, Cheminard put prendre possession de son poste après que le curé légitime en eut été chassé. Mais son triomphe dura peu. Les Lignéens n'avaient pu empêcher son installation ; par tous les moyens ils l'empêchèrent d'exercer ses fonctions. Ils lui rendirent la vie impossible, à ce point que, quelques semaines plus tard, il quittait le pays sans idée de retour [Note : A. MATHIEZ (o. p., p. 157) prétend que « la lutte religieuse (déclenchée par le Clergé réfractaire à la Constitution civile du Clergé)... entraîna la formation d'un parti anticlérical qui n'existait pas auparavant ». Mais alors pourquoi ajoute-t-il quelques lignes plus bas : « De plus en plus, les écrivains anticléricaux s'enhardissent et renoncent à garder à l'égard du catholicisme ou même du christianisme, des ménagements hypocrites ». C'est donc qu'ils existaient ! Et quel aveu : ils renoncent à garder des ménagements hypocrites ! D'après A. LALLIÉ : Charles Cheminard né à Ancenis en 1750, prêta serment à la Constitution civile du Clergé et fut élu curé de Ligné le 28 mars 1791. Il devait être installé le 24 juillet 1791. Mais il n'est pas sûr qu'il y soit venu... Il se réconcilia avec l'Église en 1807 et mourut en 1824].

L'âme de la résistance à l'intrus était M. Thoret, vicaire de la paroisse. Chassé du presbytère en même temps que son curé, il n'en demeurait pas moins dans le pays où il continuait à exercer le saint ministère. L'intrus parti, les habitants firent une pétition pour qu'il continuât l'exercice public du culte : « Nous soussignés, citoyens de Ligné, certifions et assurons que M. Thoret, prêtre vicaire de cette paroisse depuis 12 ans, est l'homme le plus doux, le plus pacifique, le plus prudent qui soit..., nous certifions qu'il n'y a que 3 ou 4 personnes qui puissent calomnier le dit sieur Thoret, et le traiter de factieux et d'incendiaire. En conséquence nous déclarons avoir le désir de conserver parmi nous le dit sieur Thoret. ». Suivent les signatures de toutes les familles de Ligné, sauf celles ennemies déjà déclarées des prêtres.

De son côté, M. Thoret écrivit le 29 août 1791 : « Je soussigné déclare et promets de prêcher en particulier et en public, la paix, l'union, la soumission aux lois de la constitution, et de m'y soumettre moi-même en tout ce qui ne sera pas contraire à mes principes religieux, dont la liberté m'est assurée par les décrets ».

Le Directoire d'Ancenis était perplexe. Résister aux vœux de la population tout entière, la priver de tout culte, n'était-ce pas aggraver la situation, n'était-ce pas accroître les troubles ? Mais d'autre part, céder aux intimidations, n'était-ce pas montrer la peur que l'on ressentait et faire acte de faiblesse ? Il envoya une lettre à la municipalité où il fit passer tout son dépit et sa rancœur. Il importe de présenter cette lettre en son entier ; elle nous montrera l'état d'esprit de la population et la crainte que celle-ci inspirait aux révolutionnaires.

« Vu la déclaration du sieur Thoret, vicaire de la paroisse de Ligné, en date du 29 août, vu la requête d'une partie de la population ; considérant que la paroisse de Ligné ne peut pas rester sans prêtre ; d'un autre côté qu'on ne peut se dissimuler que cette paroisse a été une des plus agitées de ce district, que les troubles qu'elle a essuyés ne proviennent que des prêtres du lieu ; que l'opposition qu'éprouvèrent les huissiers escortés de dragons et de gendarmes, chargés de l'exécution d'un jugement du tribunal ; que l'acharnement que l'on a mis à persécuter les anciens officiers municipaux (ce qui les a portés à démissionner) ; que le désagrément qu'on a fait essuyer au sieur Cheminard nommé au remplacement du sieur Massonnet ; que tous ces faits ne peuvent provenir que des prêtres dont l'intention et la conduite sont tellement connues que lors de la nomination des curés constitutionnels de ce district, les électeurs convinrent unanimement de commencer les remplacements par la paroisse de Ligné, parce que c'était celle dont les prêtres étaient les plus séditieux ; que si on laisse le sieur Thoret jusqu'à l'installation d'un curé constitutionnel, on ne peut espérer que les habitants de Ligné reçoivent bien un nouveau curé. Pour ces considérants est d'avis que l'arrêt du gouvernement du 20 août devait avoir son exécution, et qu'en conséquence monsieur l'Évêque soit invité à envoyer un prêtre à cette paroisse le plus promptement possible, et que néanmoins le sieur Thoret soit autorisé à faire les fonctions de curé jusqu'au jour de son remplacement » (3 septembre 1791).

M. Thoret exerça alors publiquement le saint ministère ; mais la municipalité révolutionnaire de Ligné, poussée par le commissaire Lorette, lui créa toutes sortes de difficultés. Voyant ses partisans diminuer de jour en jour et les idées nouvelles perdre du terrain, elle supplia le Directoire d'Ancenis d'envoyer un prêtre assermenté. Ce fut avec une joie extrême que, dans les premiers jours de décembre, elle reçut d'Ancenis l'annonce de l'arrivée prochaine de l'intrus. « Dimanche prochain, lui disait-on, monsieur Reux [Note : Mathurin REUX, né en août 1761, en religion Mathurin de Saint-Brieuc, capucin du Couvent de la Fosse, fit profession en juin 1786. Mais en mars 1791, il déclara à la Municipalité de Nantes, son intention de rentrer dans le monde et il prêta le serment schismatique. Il fut élu curé de Ligné par 22 voix sur 26 et y fut installé le 18 décembre 1791, avec le secours de la force armée], curé constitutionnel de votre paroisse, doit s'installer. Vous voudrez bien vous assembler pour recevoir son serment et l'installer dans la forme du droit. Veillez à ce qu'il jouisse de la sécurité qui lui est due ; et si vous rencontrez des obstacles au-dessus de vos forces, ayez recours à nous. Votre curé est doué de bonnes moeurs, d'une sage modération : c'est le témoignage que s'accordent à lui rendre les citoyens les plus dignes de foi de la paroisse de Nort ».

Des troubles étaient à craindre à l'arrivée de ce curé assermenté. Des troupes vinrent d'Ancenis pour le protéger. En même temps, le Directoire envoya l'ordre à monsieur Thoret de cesser les fonctions publiques du culte ; de vouloir bien quitter la paroisse et de s'en éloigner de trois lieues au moins. Monsieur Thoret ne crut pas devoir s'incliner ; pour toute réponse, il fit entendre que « seule la mort serait capable de le faire fléchir ». Furieux, le Directoire décrète, le 23 décembre, son arrestation, ordonne au commandant de gendarmerie de prêter ses gendarmes, et au chef d'escadron 10 chevaux pour le saisir et le conduire à Nantes. Son désir est qu'il soit dénoncé à l'accusateur public et condamné pour servir d'exemple. Prévenu à temps, monsieur Thoret put échapper au danger et se réfugier en lieu sûr. Pendant quelque temps il continua secrètement son ministère, se cachant en divers endroits pour dépister ses ennemis. Il venait souvent au château de la Bouvetière où il recevait l'hospitalité de monsieur Deloyne ce fut là que les troupes révolutionnaires le saisirent au commencement de l'année suivante, 1792.

Il fut conduit à Nantes où il séjourna peu de temps. Monsieur Lallié, dans son livre, Nantes pendant la Révolution, nous dit qu'il résida à Nantes jusqu'à son embarquement sur le Notre Dame de Pitié (passeport du 11 septembre 1792) et que plus tard, en 1799, il fit parvenir un certificat de résidence en Espagne. Monsieur Lallié s'appuie sur des documents. Ce qui est non moins certain, c'est que monsieur Thoret demeura longtemps en Angleterre, il le dit lui-même. Là, il trouva son vénérable évêque, un grand nombre de prêtres de la Loire-Inférieure et des membres de la noblesse de ce même département. Il fut tout heureux de rencontrer parmi ceux-ci Charles Pierre Nicolas René Henri de K'Martin, originaire de Ligné. Quelques années plus tard, il mariait à Londres son compatriote et ami avec Mlle Marie Anne Victoire de la Boulay, native de la paroisse de Saint-Malo de Dinan. Ce ne fut pas le seul mariage qu'il célébra pendant son exil en Angleterre. En 1796, il reçut les pouvoirs de M. de Grand-Clos, vicaire général de Mgr Duglass, pour procéder à la bénédiction nuptiale de J.-B. de Brettes et Marie Bertille de Bovis. Il signait : « Jean-Baptiste Thoret de la Caudelaye, prêtre français non assermenté, prieur de la Guillauminerie ». Il jouissait en effet du bénéfice de la Guillauminerie.

Lui parti de la paroisse, les troubles n'en continuèrent pas moins. Le curé jureur Reux ne fut point à la fête en ce pays de Ligné, il n'y fut même jamais. A la vérité, ayant la force pour lui, il sut d'abord en imposer aux peureux, aux hommes sans convictions bien arrêtées, comme nous l'indique le registre des baptêmes [Note : Registre des baptêmes ? Il y a bien un registre portant sur la couverture : Registre des Baptêmes 1793. Mais c'est un registre d'état-civil pour les naissances, délivré et paraphé par le District d'Ancenis. Le premier acte porte en marge : Baptême de Jean Deshayes et tous les autres (62) indiquent : B. de N., avec le numéro d'ordre. L'acte lui-même certifie que telle femme a mis au monde tel enfant à telle date. Il est rédigé et signé par Mathurin Reux (sic), officier public. Des témoins y sont nommés. Mais il n'est question ni de baptême, ni de parrain et marraine... Les actes sont datés entre le 3 janvier 1793 et le 14 ventôse an 2 (= 4 mars 1794). Ce regitre, Reux le dédigea en qualité d'officier public. Peut-être, étant prêtre, donna-t-il aussi le sacrement de baptême et le certifia-t-il sur un autre registre, dont je n'ai pas trouvé trace...] trop nombreux faits par lui ; mais il fut méprisé et regardé comme un traître par la plus grande partie de la population. Les avanies lui vinrent de tous les côtés. On lui prit la pierre sacrée de sa chapelle paroissiale ; un jour, le 27 février 1792, à la sacristie, devant témoins, il eut une discussion orageuse avec un abbé du pays qui lui montra qu'il n'était qu'un mauvais pasteur et un transfuge ; il dénonça ce contradicteur à l'autorité pour le faire arrêter.

Reux eut d'autres ennuis. Les derniers mois de l'année 1792, il eut plusieurs fois à subir la visite inopinée de bandes royalistes. Le 10 mars 1793, il faillit être tué lors d'une révolte à Ligné. Il ne fut pas plus épargné par ses amis, les révolutionnaires. « Je suis réduit à la mendicité, écrivait-il au mois de juin 1793, pour avoir été pillé à quatre fois différentes, tant par les troupes brigantes que patriotes ». Le Directoire même, soit mauvaise volonté, soit manque d'argent, fut longtemps sans lui payer son traitement. Excédé et craignant continuellement pour sa vie, il quitta la cure, fuyant un pays pour lui si inhospitalier. Ce ne fut que devant des ordres réitérés, et escorte de cinquante hommes, qu'il consentit à rejoindre son poste que d'ailleurs il abandonna peu après définitivement. Son dernier acte inscrit au registre des baptêmes est du 12 février 1794 [Note : Comme nous l'avons indiqué à la note précédente, l'acte n° 63 est daté du 14 ventôse (4 mars 1794). Bien que le registre comporte encore plusieurs feuillets, il n'a plus aucun acte...]. Il se fit alors élire curé constitutionnel d'Oudon, mais il ne resta que quelques mois à cette cure : en septembre 1794, il se retira à Ancenis où il eut la honte de renouveler devant le Directoire la renonciation à son ancien état (ce qu'il avait déjà fait devant la municipalité de Ligné dans le mois de juin précédent).

Ce départ fut un soulagement pour les consciences catholiques de Ligné. La paroisse ne revit plus de curés constitutionnels. Au reste, la Révolution ne tenait pas à leur présence dans le pays. Elle s'était servi d'eux au début comme d'un moyen de propagande, mais quand elle crut n'en avoir plus besoin, elle les supprima pour établir le culte de la Raison.

Il faut avouer que la présence du constitutionnel, agent de la Révolution, porta ici quelques mauvais fruits. Les poltrons s'en prévalurent pour ne point résister aux ennemis de la religion, même quelques-uns pour accepter les idées nouvelles ; les mauvais s'en réjouirent, regardant Reux comme une approbation à leur conduite ; et l'on vit la municipalité s'appuyer sur lui dans son œuvre persécutrice.

Cette municipalité avait montré de bonne heure son anticléricalisme. Le 16 août 1792, elle écrivait au Directoire : « Quatre abbés de la paroisse, de K'Martin du bourg, Pierre Athimon de la Massepierre, Pierre Palierne de la Théardière, François Nicolas Bonamy de la Rochefordière, troublent la paroisse. Ils ont tenu de mauvais propos et en ont fait tenir par les enfants de la Vve Héas, aubergiste au bourg. Nous vous supplions de nous faire rendre justice le plus tôt possible ». Au bas de cette dénonciation il y avait quatre signatures : celle du maire et de trois conseillers municipaux.

La bande s'en prit tout particulièrement à René Maurille Henri de K'Martin, clerc tonsuré âgé de 24 ans, titulaire du bénéfice de Sainte-Catherine d'Omblepied. Ils parvinrent à le faire saisir et enfermer à la maison de Saint-Clément de Nantes. De son lieu de détention, celui-ci ayant demandé son élargissement, ils répondirent : « Ce n'est point comme clerc tonsuré ni comme bénéficier qu'il a été enfermé, mais comme ennemi de la patrie et du repos public ». Inutile de dire que l'abbé fut maintenu en prison ; quelques semaines plus tard, il était déporté en Espagne, par Paimbœuf, sur le Marie-Catherine.

Nos municipaux ne perdirent aucune occasion de montrer leur civisme et leur irréligion. Quelques mois plus tard, novembre 1793, ils laissèrent dévaster l'église, prendre les vases sacrés, jeter dehors la chaire et les confessionnaux. Quand la Convention eut prononcé l'abolition du culte catholique et proclamé le culte de la Raison, avec empressement ils organisèrent les fêtes laïques, donnant le plus d'éclat possible à ces mascarades. Ligné connut la fête de la Jeunesse, la fête des Époux, la fête de l'Agriculture, la fête de la Liberté, la fête des Vieillards ; il vit passer dans ses rues des cortèges de carnaval composés de gens du canton ornés de bonnets phrygiens, de rubans tricolores, chantant le « Ça ira » et les plus ignobles chansons ; il vit se dresser sur la place l'autel devant lequel venaient se faire couronner ou applaudir des hommes, des femmes qui avaient abdiqué toute pudeur.

 

II.

Grâce au concours de ces âmes serviles ou foncièrement mauvaises (déchets que l'on rencontrait partout, même dans les meilleures paroisses), dès le début de 1793, les agents de la Révolution avaient accompli, en partie du moins, le programme qu'ils s'étaient tracé : les églises étaient fermées, les prêtres avaient été emprisonnés ou mis à mort, le culte catholique n'existait plus... Oui, mais voici que, pour répondre à tant de haine et d'impiété, pour défendre la religion, les campagnes allaient se soulever. Déjà les colères éclataient au grand jour, on s'armait, on comptait ses amis ; on n'attendait plus qu'une occasion pour se lever et s'attaquer aux ennemis de la liberté religieuse. Deux faits arrivés à quelques jours d'intervalle précipitèrent les événements. Le 21 janvier, la Convention avait conduit le roi à l'échafaud, crime odieux à toute conscience honnête : quelques semaines plus tard, le 24 février, elle avait ordonné la levée en masse ; et pour mettre le comble à toutes les fureurs, le soir de ce jour, elle avait ordonné la vente des ornements d'église, de tous les objets du culte, et la conversion de la plupart des cloches en canons.

On peut dire que dans cette contrée, ce fut Ligné qui donna le signe de la révolte générale. Le 10 mars 1793 était le jour choisi pour l'exécution de la loi sur le recrutement. L'assemblée cantonale se trouvait réunie ici à cet effet. Vers 11 heures, un attroupement considérable évalué à plus de 500 hommes, se fait autour de la commission ; cette foule réclame la lecture des décrets et arrêtés concernant le recrutement. Dans l'espoir de la calmer, on obtempère à sa demande ; mais la lecture n'était pas achevée que des cris s'élèvent de toutes parts : « Nous voulons bien être enrôlés, mais pas par vous, ni par le district, ni par le département ; nous ne marcherons que par ordre de l'autorité légitime ». Et pendant que les uns culbutent les membres de la commission et obligent les citoyens à enlever leur cocarde tricolore, les autres s'emparent d'un dépôt d'armes, saisissent les munitions, se font remettre les registres de déclaration des armes de la commune et se portent chez les révolutionnaires connus et le juge de paix, qui parviennent à s'enfuir.

Les chefs de ce mouvement étaient bien connus : il y avait Nicolas Ouary de la Corbinière, Clément du Challonge, Athimon de la Massepierre, Rigaud de la Chauvelière, Jean Deshaies de la Gagnerie (Arch. Dép.). La municipalité, tremblante de peur, dépêche en toute hâte à Ancenis l'ancien maire et un conseiller municipal pour avertir le Directoire de l'événement. Le lendemain, de bonne heure, Ancenis envoie 60 hommes de la Garde nationale sur les lieux. Les hommes de Ligné étaient partis, les uns jusqu'à Joué dont ils désarmèrent la Garde nationale, les autres dans la direction de Nort dont ils parvinrent à s'emparer, aidés des gars de Petit-Mars, Saint-Mars et Carquefou. Les troupes révolutionnaires, guidées par la municipalité, parcoururent aisément le pays et s'emparèrent de treize personnes qu'elles conduisirent à Ancenis et livrèrent à la commission militaire ; parmi celles-ci, plusieurs furent condamnées à mort : René Jaillier, tisserand ; Mathurin Héas, menuisier ; Pierre Hardy, de la Noue ; Douillard, de la Riallenière ; Sébastien Bouet, fermier au moulin de la Hamonière.

L'élan était donné, les campagnes allaient de toutes parts s'attaquer aux troupes révolutionnaires.

Le 13 mars, un grand nombre d'hommes de Ligné et des communes environnantes se jettent sur Ancenis. Ancenis était le centre révolutionnaire, et là, dans les prisons, étaient enfermés plusieurs de leurs compatriotes. Ils attaquent la ville d'un côté, pendant que des contingents de Varades font diversion de l'autre côté ; mais les uns et les autres ont devant eux non seulement la garde nationale, mais aussi des soldats de métier ; l'attaque échoue. Parmi ceux de Ligné qui prenaient part au combat, quelques-uns reviennent chez eux, d'autres passent la Loire à Oudon, pour se joindre à l'armée vendéenne qui déjà, en maintes batailles, avait vaincu les troupes de la Révolution. De ce nombre étaient Jean Ménoret et Pierre Fouchard, de la Briantière ; François Ménoret, de la Hamonière, Jean Palierne, de la Théardière, qui fut tué à la bataille du Mans ; son frère Pierre Palierne.

Pierre était né à la Théardière en 1767. A la Toussaint de l'année 1787, après avoir fait des études préliminaires, il entre au Grand séminaire de Nantes. Il y demeure vingt mois, jusqu'en avril 1789 ; à ce moment, vu les événements, le séminaire est licencié, et Pierre Palierne revient à la Théardière dans sa famille, où il reste jusqu'en 1792. Le 10 avril, Baudouin, maire de Ligné, l'accuse, lui et les autres abbés de la paroisse, d'avoir tenu des mauvais propos capables de bouleverser l'ordre public ; il le fait incarcérer à Nantes. Après six semaines de détention, Pierre Palierne revient à la Théardière. Il est là, au Bourg, le 11 mars, lors de l'émeute. Deux jours après, il est à Ancenis où il assiste à l'insuccès de l'attaque. Il traverse la Loire et prend part aux victoires comme aux défaites des Vendéens. Après le désastre du Mans, lorsque les débris de l'armée sont à Ancenis au mois de décembre 1793, il essaye de passer le fleuve, mais en vain. Il se réfugie alors, avec un certain nombre de fuyards, en la forêt du Cellier. Quelques mois plus tard, ayant dû se signaler dans l'armée vendéenne, il est nommé chef divisionnaire. Il commande en second la division Denis, de l'autre côté de l'Erdre, appelée division de Blain, la plus importante de l'armée Scépeaux (Mémoires de Mme Turpin). Mais voici qu'une chose imprévue se produit : Palierne fait sa soumission. Dans quel esprit ? Pour quels motifs ? Pour obéir à un ordre reçu, pour mieux servir la cause à laquelle il s'était dévoué ; certains assurent, pour mieux servir ses concitoyens. M. le docteur Rouxeau nous le dit expressément. Consacrant quelques mots à Palierne, il s'exprime ainsi : « Chef militaire, Palierne, de Ligné, dont le rôle militaire après la défaite du Mans, fut soigneusement caché par ses compatriotes désireux en 1796-1798 de le conserver parmi eux ». Les révolutionnaires eux-mêmes mettent ce motif en évidence. Palierne avait osé prendre du service dans le camp adverse : il était devenu agent, secrétaire même de l'Administration, mais il était épié, soupçonné par les « purs » qui n'avaient aucune confiance en lui. Ils le dénoncent au pouvoir central de Nantes qui porte sur lui ce jugement : « Commandant divisionnaire de chouans, royaliste dangereux, il a de l'esprit, s'énonce bien ; depuis l'an IV il a été agent, secrétaire de l'administration, il n'a accepté cette place que par ordre exprès des rebelles, et à la sollicitation des réfugiés eux-mêmes ». Il est obligé de donner sa démission. Saisi par la force armée, il est incarcéré au Bouffay ; mais il présente une si habile défense qu'après quelques semaines de détention, il est remis en liberté. Après la Révolution, marié à Marie Deshaies de la Gagnerie, il habita le Bourg. Il fut longtemps conseiller de fabrique. Il mourut sans enfant.

Les hommes de Ligné avaient un chef spécial sous lequel ils se groupèrent pendant la période révolutionnaire : le capitaine Deshaies de la Gagnerie. Chef et soldats ne se signalèrent par aucun fait extraordinaire ; ils ne remportèrent aucune victoire digne de ce nom. Ils s'affichèrent crânement ennemis de ceux qui attaquaient la religion ; ils affrontèrent courageusement toutes sortes de périls pour leur foi ; ils agirent pour obéir à la voix de leur conscience : cela suffit à leur gloire et à notre admiration. Au reste, le genre de guerre employé par eux et par les révoltés de ce côté-ci de la Loire était peu propice aux actions d'éclat. Tandis que les Vendéens tenaient campagne en armées nombreuses, eux, divisés en petits groupes, se tenaient retranchés dans des endroits secrets : de là, ils se jetaient à l'improviste sur les troupes révolutionnaires, s'emparaient des convois ou les harcelaient jusqu'au moment où ils jugeaient bon de disparaître. Le cantonnement des hommes de Ligné et de Saint-Mars était aux abords de la forêt du Cellier, près du village du Mesnil ; le chef, en 1795, en était un Vendéen nommé Rousseau ; il avait dû suivre Palierne en forêt lorsque celui-ci s'y était réfugié. Quand le capitaine voulait tenter une plus grosse affaire, il faisait appel aux amis paysans des environs qui cultivaient leurs terres, mais sans cesse aux aguets et le fusil toujours prêt. Ceux-ci accouraient sous des noms d'emprunt : le Carabinier, la Fourchette, Volontaire, Carnaval, Billot, Framboise [Note : Framboise, ce surnom est passé à ses descendants jusqu'à M. Pierre Rousseau, décédé sans postérité à la Briantière, le 22 avril 1958], et bien d'autres ; et, le coup terminé, ils retournaient chez eux. Il arrivait même que, dans certaines circonstances extraordinaires, les hommes de Ligné s'unissaient, pour attaquer les Bleus, à ceux du Cellier, de Carquefou, de Petit-Mars. Ainsi organisés, ils étaient redoutés des troupes d'Ancenis qui parfois n'osaient pas s'aventurer dans le pays.

En juillet 1793, ils sont tellement maîtres de la commune que le Directoire transfère à Teillé la commission cantonale.

Le 13 septembre, ils engagent un combat dans la forêt du Cellier contre les Volontaires d'Ancenis.

Ce fut en ces temps, fin de l'année 1793, commencement de l'année 1794, que plusieurs hommes de Ligné furent saisis soit à domicile, soit dans des escarmouches, les armes à la main, et condamnés à mort : Pierre Guérin, 25 ans ; Jean Jugeur ; Louis Bretagne, 36 ans ; François Boissier, 29 ans ; Laurent Lefèvre, 36 ans, et Girardin.

Le 14 novembre, ils empêchent des convois de blé de pénétrer dans la ville d'Ancenis. Ancenis prend un arrêté contre la commune, en pure perte d'ailleurs.

Le 4 avril 1794 (date douteuse), ils s'attaquent aux hommes de la tournée Savariau. Ce jacobin, avec plusieurs de ses amis, s'était donné pour mission d'inspecter les communes du district d'Ancenis, et de ranimer leurs convictions révolutionnaires. Accompagnés de gardes nationaux, ils parcourent le pays. Partout où ils passent, ils se signalent par leur vandalisme : ils brisent les croix, les statues des églises, jusqu'aux pierres tombales ; ils brûlent, lisons-nous dans leur journal, « tous les hochets qui ne peuvent être utiles à la République ». Ils viennent à Mésanger, à Saint-Géréon, à Couffé. Là, ils dansent dans la « ci-devant église ». Au bois de la Villejégu, ils font fusiller un prêtre et deux autres personnes : un homme nommé Guillet, et sa femme, accusés tous les deux d'avoir fourni des aliments au prêtre. Ils font comparaître devant eux Jean Rousseau, natif de Couffé et domicilié à Mésanger, et une jeune fille de 22 ans « qu'ils fusillent, écrivent-ils, avant leur départ pour Ligné ». Le lendemain, relatant leurs exploits, ils s'expriment ainsi : « Nous sommes restés à Ancenis pour nous reposer, d'autant mieux que plusieurs d'entre nous sont blessés ». Voilà tout ce qu'ils nous racontent de leur réception plutôt fraîche à Ligné. Nos gars avaient dû les attendre quelque part sur le chemin de Couffé à Ligné et les saluer à coups de fusil.

Le 24 décembre, ils s'attaquent à un fort contingent de troupes venu d'Ancenis. Ancenis manquait de pain ; la ville avait envoyé des émissaires réquisitionner du blé dans la commune de Ligné. Ceux-ci, escortés de plus de 100 hommes, s'acquittent de leur besogne. Ils s'en retournaient contents de leur succès, lorsque soudain une forte compagnie de Ligné leur barre la route ; un combat s'engage ; les troupes d'Ancenis, après une courte mais violente résistance, sont mises en déroute, perdant des hommes, des chevaux, des voitures, des sacs de blé.

Cinq jours après, le 29 décembre, le Directoire, ne voulant pas s'avouer vaincu, demande au général commandant la garnison d'Ancenis une escorte de 600 hommes pour accompagner les commissaires dans une nouvelle expédition. Le général répond qu'il ne peut disposer que de 150 soldats, et la garde nationale fournir 100 hommes seulement. Ce nombre est jugé insuffisant pour pénétrer dans une commune qui, dit le Directoire, est tout entière révoltée.

L'année suivante, le 22 août 1795, les hommes de Ligné étaient rassemblés pour prendre part à une action plus considérable. Le 21 juillet 1794 un événement s'était passé à Auray qui avait irrité les royalistes et tous les honnêtes gens. Trois bataillons révolutionnaires avaient égorgé froidement un grand nombre d'émigrés à qui on avait promis la vie sauve s'ils mettaient bas les armes [Note : Selon E. GABORY, (L'Angleterre et la Vendée I, p. 279 sq.) après examen attentif des documents, on doit conclure : A Quiberon, il n'y eut ni capitulation proprement dite, ni promesse de vie sauve de la part de Hoche ou des Représentants de Paris, ce qui aurait été opposé à la loi du 28 mars 1793... Par contre, la plupart des émigrés tombés aux mains des « bleus » étaient persuadés que la promesse avait été faite... La Convention — un an après la chute de Robespierre — ne pardonnera pas. Environ 720 émigrés furent fusillés au champ des Martyrs. Leurs corps furent jetés, à la Chartreuse d'Auray, au fond d'un puits, au-dessus duquel on a élevé à leur mémoire un mausolée en marbre blanc]. Les royalistes avaient juré de se venger de cette félonie. Un de ces bataillons, nommé le bataillon d'Arras, était venu en garnison à Nantes ; on épiait ses mouvements. Le 22 août, il reçoit l'ordre de se diriger vers Châteaubriant, escortant un convoi riche de 50 000 francs en numéraire et de 1 100 000 francs en assignats. Il est aussitôt signalé, et l'ordre est donné aux chouans de Carquefou, Saint-Mars, Petit-Mars et Ligné, de s'armer. Les hommes de Carquefou, sous le commandement de Blandin, harcèlent l'ennemi. Accrus des compagnies de Petit-Mars et Saint-Mars, ils deviennent plus agressifs et démolissent un grand nombre de chevaux à la butte de la Seilleraye. Mais plus loin, au hameau de la Banque, les révolutionnaires, exaspérés, s'arrêtent et font face à leurs ennemis. Les chouans, avec une impétuosité sans égale, se jettent sur le bataillon. La lutte dure deux heures, et les soldats d'Arras tombent toujours. De 1800 sortis de Nantes, il n'en reste qu'un petit nombre qui demande grâce ; mais des voix vengeresses s'élèvent de toutes parts : « Vous les avez tous fusillés à Auray, vous serez tous fusillés ici ». Pas un seul n'échappa [Note : Des faits de ce genre suscitent la réflexion de Daniel ROPS (L'Église des Révolutions, p. 50) : « La morale chrétienne, assurément, la grande loi de charité, fut bien souvent outragée dans cette guerre affreuse, et quelquefois par ceux-là mêmes qui se réclamaient d'elle. La cruauté ne fut pas du seul côté des « bleus »... Il faut noter équitablement que les violences des Vendéens furent des exceptions, cependant que celles des « bleus » étaient systématiques, selon les ordres de la Convention. »]. La compagnie de Ligné ne put arriver sur les lieux que pour la fin de la bataille.

En cette année 1795, les gens de Ligné se signalèrent dans de nombreuses escarmouches avec les gardes nationaux d'ici et d'Ancenis. Le Directoire d'Ancenis ne cessait d'envoyer sur Ligné des émissaires escortés de soldats pour réquisitionner les blés, nos gars les reconduisaient à coups de fusil jusqu'aux limites de la commune, en les forçant le plus souvent à abandonner les prises qu'ils avaient pu faire. S'ils apprenaient que les convoyeurs paysans de Ligné, réquisitionnés de force, n'avaient pas assez résisté aux injonctions de l'ennemi, ils brisaient les roues de leurs voitures.

Ils prêtèrent aussi main-forte aux hommes de Petit-Mars, en plusieurs circonstances, contre les troupes de Nort qui parcouraient le pays, pillant les maisons des suspects et emmenant ceux-ci prisonniers. Le chef de l'administration de Nort écrivait à Nantes, fin de l'année 1795 : « Trois cents hommes furent envoyés sur Petit-Mars ; nos troupes furent battues et rejetées jusqu'à nos portes. Il n'y a rien à espérer des communes de Petit-Mars, Saint-Mars et Ligné. Il faudrait qu'elles fussent réduites par la force. Elles sont soutenues et encouragées par les chouans de Nantes ».

S'ils luttaient contre les ennemis du dehors, ils avaient aussi à lutter contre ceux du dedans. Les époques troublées montrent les grandes âmes, les grands caractères ; elles les séparent des âmes perverses comme aussi des âmes sans courage et sans convictions : il y avait de celles-là à Ligné, quoiqu'en petit nombre comme nous l'avons dit. On en vit dénoncer lâchement de pauvres Vendéens qui, dans leur fuite éperdue vers Savenay, pour échapper aux troupes de Kléber, s'étaient réfugiés ici. Une famille, par crainte de se compromettre en donnant asile aux réfugiés, alla enterrer vivante une femme qui avait été abandonnée par les insurgés parce que gravement malade. Sa tombe, dans le chemin de la Madeleine fut longtemps un lieu de pélerinage ; on y venait prier et piquer des petites croix pour la guérison de la fiévre. (Plus tard , M. Michon transporta ses restes au cimetière de la paroisse).

Certains allèrent jusqu'à prêter leur concours à la force armée : ils dénoncèrent leurs concitoyens ; ils les firent saisir et massacrer. Dans les années 1795-1796, nombreux furent les habitants de Ligné qui tombèrent ainsi victimes de la lâcheté et de la haine de quelques misérables : c'est Étienne Lepage, de la Chauvelière, tué dans un buisson, 27 septembre 1794 ; Gabriel Fleury, de la Moynie, avril 1795 ; Pierre Deshayes et Joseph Duhil, de la Barre, tués dans l'avenue du Ponceau par la Garde nationale, avec la complicité d'un agent communal. L'un et l'autre furent enterrés au lieu même de leur exécution. C'est aussi Jean Gergaud tué à la Théardière, février 1795 ; Francis Palierne, tué en faisant une haie, l'année 1796 ; ce sont cinq Vendéens réfugiés sur le territoire de Ligné, tués à la Chapeaudière, à la Théardière, au Plessis, aux Rablais.

Quoi d'étonnant qu'il y eut des représailles...

Ils étaient braves, ils étaient redoutables tous ces hommes levés particulièrement pour la défense de leur religion. On voulut les amoindrir, on les traita de brigands. N'est-ce pas une infamie d'accuser les autres de crimes pour couvrir les siens, et dans le but de brouiller les responsabilités. Les brigands, les assassins, ce sont ces révolutionnaires comme Carrier qui, à Nantes, fit périr des milliers de femmes, d'enfants, de vieillards, par la fusillade, l'échafaud, les noyades ; ou bien comme ce général Turreau qui parcourut la Vendée avec ses colonnes infernales, et commit tant d'horreurs que la Convention elle-même fut obligée de le désavouer [Note : Carrier et Turreau ont laissé dans l'Ouest un renom sinistre. Quel fut leur sort ? Bien différent ! Carrier, appelé à Paris, ne parvint pas à se justifier et le 16 décembre 1794, âgé de 38 ans, il expia ses forfaits en montant à l'échafaud. — Turreau, au contraire, non seulement fut innocenté par le Directoire, mais il resta dans l'armée de Napoléon, fut créé baron d'Empire... Mieux ! sous la Restauration, Louis XVIII le fit chevalier de St-Louis, « chose pire, invraisemblable, il le chargera d'accompagner le duc d'Angoulème dans les provinces de l'Ouest... La Vendée sentit l'outrage du procédé » (E. GABORY, La Révol. et la Vendée, III, p. 64). Cela montre combien la justice humaine est défaillante... et invite à croire à la Justice divine !]. Ce sont encore ces chefs révolutionnaires qui, à Auray, firent égorger des bataillons entiers à qui on avait promis la vie sauve s'ils déposaient les armes.

Dans ces années 1795-1796, jusqu'à la fin de la guerre civile, ceux qui se levèrent contre la tyrannie révolutionnaire furent appelés des chouans. Ils imitaient — avait-on remarqué — le cri de ces oiseaux nocturnes (chats-huants, chouettes), pour en faire des signes spéciaux. Ces hommes avaient le même esprit, la même vaillance que leurs devanciers. On essaya de même de jeter le discrédit sur eux, sur leur nom, parfois par des moyens odieux. N'ordonna-t-on pas au général Rossignol [Note : Les historiens donnent des appréciations contradictoires sur le courage de ce Rossignol : « homme brave », écrit P. de la GORCE (Hist. Rel. de la Rév. Fr., t III, p. 139) ; « un pleutre », selon E. GABORY (La Révol. et la Vendée, t. I, p. 313). Par contre, ils s'accordent pour qualifier son incapacité : « ancien ouvrier horloger, vainqueur de la Bastille et septembriseur (ayant participé aux massacres de septembre 1792), ce dont il tirait son principal titre de gloire, improvisé général, sans instruction, sans sagesse, sans expérience, n'ayant qu'un seul mérite, celui de connaître son ignorance ». Son inertie égalait son ineptie. On disait de lui : « Tant que le rossignol chantera, L'armée républicaine désarmera ». Impliqué dans l'affaire de la machine infernale contre Bonaparte, premier Consul en décembre 1800, il fut déporté aux Iles Comores où il mourut en 1802] d'organiser des troupes de faux chouans ? Il forma avec la liste des régiments et de la population des bataillons habillés et armés comme les chouans, et il les lâcha dans les campagnes avec la consigne de tout mettre à feu et à sang. Dans certaines régions, on demeura et on demeure encore persuadé que c'étaient les vrais chouans qui commettaient tous ces crimes.

Ces centaines de mille hommes — qu'on les appelle comme l'on voudra — qui, dans nos campagnes, se sont soulevés contre la tyrannie révolutionnaire pour défendre leur religion, sont dignes de notre respect et de notre admiration. Leur cause était juste, et ils la défendirent avec un courage surhumain ; ce qui faisait dire à Bonaparte : « Ces gens-là sont d'une race de géants ».

En l'année 1796, la guerre civile continuait à Ligné avec toutes ses horreurs. Ce qui exaspérait les consciences honnêtes, maintenait les plus vaillants au poste de combat, c'était la vue de leur église fermée, des prêtres toujours traqués ; c'était la haine des révolutionnaires pour la religion.

Cette haine se reflète dans une lettre adressée à ses chefs par le fameux commissaire de Ligné, Lorette. A la nouvelle que des prêtres avaient fait leur apparition sur le territoire de la commune, un accès de « prêtrophobie » le saisit : il supplie de lui envoyer du renfort pour qu'il puisse les pourchasser (février 1796).

Ce dut être cette même année qu'eut lieu la vente des biens ecclésiastiques. Dès 1791, l'acte de vente avait été dressé par le district d'Ancenis, mais sans résultat. A son tour, en 1794 le Département s'occupe de cette affaire. Pendant des mois ses efforts n'ont pas plus de succès : les acquéreurs font défaut, les uns par crainte de représailles, les autres par sentiments de la plus élémentaire justice. Il fallait pourtant en finir. Au mois de juillet, le Département informe le District de sa résolution ; le 15, Ancenis répond que personne n'ose se présenter, que « les massacres continuels que l'on faisait des patriotes refroidissaient les acquéreurs ».

Ces biens furent alors achetés pour une poignée d'assignats, par certains membres de la commission, tant communale que cantonale, et par des étrangers. Le maire de l'époque prit la meilleure part : la chapellenie de la Trinité, consistant en deux fermes situées au lieu appelé aujourd'hui le Bénéfice. Tardiveau, de Mouzeil et Pierre Rabienne, des Touches, jetèrent leur dévolu sur le bénéfice de la Guillauminerie. Un nommé Fougera, de Mouzeil, devint possesseur du bénéfice des Cosnier-Aubry du Fayau, qui consistait en une maison et une petite ferme au Puits-Salé. Lorette acquit le bénéfice de la Bouvetière dont les terres étaient situées au village de Lozier. Les biens de la cure : presbytère, bois, prairie et quelques terres labourables furent achetés par Tardiveau, Lorette [Note : Lorette acquit « la maison, cour, écurie, granges, boulangerie, jardins, vergers et pièce d'eau de la cy-devant Cure... par adjudication du 6 thermidor an IV » (25 juillet 1796)], Collard d'Ancenis, et X... de la Gasnerie.

L'année 1797 n'apporta guère de changement au pays. Un peu de lassitude pourtant se manifesta de part et d'autre.

En 1798, la lutte sembla reprendre ; il y eut en maintes circonstances prise de contact entre les chouans et les révolutionnaires... Dans les premiers jours de cette année, l'administration cantonale ayant eu à se défendre et voyant les habitants de Ligné se lever plus nombreux que jamais pour la défense de leurs idées, quitta le pays, saisie de peur, et se réfugia à Ancenis avec toutes les archives. De là, elle écrivait à l'administration départementale : « Sans doute vous n'ignorez pas que les malheurs des temps qui sont arrivés dans notre canton, ont forcé l'administration à le quitter. Nous sommes décidés à rester ici jusqu'à ce que l'on nous donne des forces ».

En 1799, la chouannerie était encore bien vivante. A Ligné, il y eut de violentes escarmouches avec les gardes nationaux. Aux premiers jours d'octobre, certains membres de la municipalité furent sérieusement blessés.

Mais le consulat, ayant été proclamé, et la liberté religieuse étant revenue en partie, l'an 1800 voit les esprits se calmer peu à peu. Le 18 janvier, la paix est signée avec la rive gauche de la Loire. Quelques jours après, les insurgés de la rive droite déposent les armes ; le 5 mars, une amnistie est accordée à tous.

La Révolution était terminée, mais elle laissait après elle des monceaux de cadavres et de ruines ; elle laissait dans les âmes un souvenir d'horreur et de dégoût... Honneur aux familles qui ne voulurent pas courber la tête devant elle, luttèrent les armes à la main pour défendre leur foi.

 

III.

Si, pendant la période révolutionnaire, la paroisse de Ligné, dans sa grande majorité, conserva intacte sa foi, si elle eut le courage de la défendre, elle le dut plus particulièrement à la présence parmi elle de plusieurs prêtres dévoués.

Monsieur Clair Massonnet, curé de Ligné, comme tant d'autres prêtres, n'était point l'ennemi de certaines réformes justes, raisonnables. Renoncer à ses privilèges ne lui coûtait nullement.

Lorsque, le 2 avril 1789, en vue des élections aux États Généraux, l'assemblée diocésaine du clergé de Nantes se réunit au couvent des Jacobins pour procéder aux premières opérations électorales, il fut choisi parmi les quarante électeurs qui devaient nommer les députés du clergé.

Mais les événements se précipitèrent : le roi, mal conseillé et mal secondé, ne put résister aux éléments malsains, et la Révolution éclata animée d'une haine satanique contre la religion. Nul prêtre ne se leva contre elle avec plus de fierté et de courage que monsieur Massonnet. Il protesta avec énergie contre les premières lois sectaires ; il refusa le serment constitutionnel ; il s'empressa de mettre son troupeau en garde contre les quelques égarés qui soutenaient les agents révolutionnaires.

Sommé de quitter la cure, cette cure qu'il avait fait bâtir de ses deniers, il dut l'abandonner, le cœur brisé.

Dès lors commença pour lui une vie toute nouvelle, la vie des apôtres persécutés par les ennemis du Christ. Il s'en allait à travers la paroisse, distribuant secrètement les secours de la religion. Il se tenait de préférence vers le Challonge, la Briantière, le Mesnil où se trouvaient des familles en qui il avait pleine confiance.

C'est tout proche de ce dernier village, à l'orée de la forêt, qu'il groupait parfois ses chers fidèles.

Avec une belle audace, se croyant en son église de Ligné, il leur faisait le prône, publiait les bans, faisait les mariages, comme en témoigne cet acte inséré au registre paroissial : « Le 17 novembre 1795, après trois bans faits publiquement au prône de notre messe paroissiale, ont, de nous soussigné, reçu la bénédiction nuptiale François Renaudeau et Mathurine Rousseau. ».

Quand il arrivait que ces lieux étaient sillonnés par les troupes révolutionnaires, il se réfugiait dans la forêt même, et là il donnait rendez-vous à ceux qui avaient besoin de son ministère. Un hêtre qui étendait sa large ramure au centre de la forêt fut souvent le témoin de sa piété dans la célébration des divins mystères et de son zèle pour les âmes. Lorsqu'en 1854, des sabotiers du Cellier abattirent cet arbre, ils aperçurent, cachée sous une épaisse écorce, la figure d'un calice, d'un ciboire, d'un ostensoir et d'une croix, qu'un pieux et habile chrétien y avait gravée.

Mais soit parce que Lorette, le commissaire, le pourchassait avec plus de haine, soit parce qu'ailleurs on avait encore un plus pressant besoin du secours religieux, monsieur Massonnet, à partir de 1794, passa la plus grande partie de sa vie en dehors de sa paroisse. Sucé le posséda souvent. M. Grégoire nous dit qu'il résida longtemps dans cette paroisse et que ce fut le prêtre qui y travailla le plus. Il séjournait à Launay, à la Barbinière et à Longlette.

La Chapelle-sur-Erdre connut son dévouement, comme nous le fait connaître M. Briand. Son souvenir dans certaines familles de ces deux paroisses y est encore vivant.

Il étendait son action encore plus loin, jusqu'à La Chapelle-Basse-Mer. Là, une pieuse famille lui donnait l'hospitalité. M. le docteur Bécigneul possède le livre de prières dont se servait son aïeule lorsqu'elle répondait la messe au fugitif ; il possède aussi la commode qui servait d'autel pour le Saint Sacrifice. Contigu à la maison, se trouvait un puits dont l'ouverture était par moitié à l'intérieur et par moitié à l'extérieur de la maison ; il fut parfois pour monsieur Massonnet la voie du salut : dans le danger, il descendait dans ce puits par un moyen connu de lui, pour en ressortir à l'extérieur.

La paroisse du Loroux fut également le témoin de son zèle. Traqué par les patauds du pays, il sut leur échapper. Un fait, arrivé dans les derniers jours de 1793, montre quel cas les autorités révolutionnaires faisaient de lui. Une religieuse Ursuline, sœur Berthelot, s'était réfugiée au Loroux, chez une de ses parentes ; mais dénoncée, elle passa bientôt la Loire, en même temps que l'armée vendéenne et vint se réfugier à Oudon. D'Oudon, elle se rendit à Ligné, chez un laboureur nommé Lévesque, que monsieur Massonnet avait dû lui faire connaître. Un misérable du pays la fit arrêter au village du Challonge par la garde nationale. Conduite à Ancenis le 17 janvier 1794, ses juges lui demandèrent si, pendant son séjour au Loroux, elle n'avait pas vu monsieur Massonnet, curé de Ligné. Transportée à Nantes et traduite devant le tribunal révolutionnaire, elle fut condamnée à mort pour avoir conservé son costume religieux, « avoir vécu en ennemi de la république, et avoir fait partie d'un conciliabule au Loroux où se trouvaient M. Massonnet, ainsi que Désigny, et Lyrot, chefs de brigands ».

A cette époque, la tête de M. Massonnet fut plusieurs fois mise à prix ; mais il sut déjouer les embûches et échapper aux mains criminelles qui voulaient sa perte ; la contrée qu'il traversait était profondément religieuse, et les maisons à qui il pouvaient confier sa vie n'étaient pas rares.

Au milieu de ses pérégrinations, il avait la nostalgie du pays : il songeait à ses chers paroissiens ; il éprouvait le besoin de les revoir et de leur être utile. Il sut de temps en temps réaliser son désir. Mais son séjour à Ligné était de courte durée. Lorette, son ennemi, veillait, et lorsqu'il le savait sur le territoire de la commune, à l'instant il le signalait à ses chefs. « J'ai un grand ennemi à combattre, écrivait-il le 24 février 1796, qui est Massonnet ci-devant recteur de Ligné ; quoique n'y résidant pas, il vient dans la commune. Quel moyen prendre pour l'en chasser ? ». Et le pasteur continuait sa vie errante.

Vers ce temps, il habita la paroisse de Mauves, et là aussi, bravant tous les périls, il se dépensa au service des âmes. Mais quelque temps après son arrivée, la municipalité prenait une délibération qu'elle faisait imprimer, pour dénoncer sa présence aux patauds du pays.

Rien ne pouvait l'abattre : chassé d'un endroit, il s'en allait dans un autre pour y continuer sa vie d'apôtre. En 1799, il se trouvait à Doulon où, au milieu d'une plus grosse agglomération, il pensait pouvoir mieux se cacher. Menant une vie très active, il fut découvert par les révolutionnaires. Le 24 septembre de cette année, le commissaire central de Nantes le signalait, lui et deux autres prêtres, M. Mitrecy et M. Rousseau, ancien vicaire des Touches. « Ils remplissent, disait-il, leurs fonctions sacerdotales à Doulon, au Petit-Blottereau, à la Papotière, à l'Herbergement. ». Il insistait pour qu'on en finisse avec monsieur Massonnet.

Il eut semblé manquer quelque chose à ce prêtre, s'il n'eût connu les souffrances de la prison... Aux derniers jours de la Révolution, en 1801, il fut saisi et conduit au Bouffay pour avoir refusé d'accepter pour marraine à un baptême une jeune fille qui avait fait sa communion des mains d'un prêtre assermenté. Sa détention dura peu.

Tel fut monsieur Massonnet, recteur de Ligné, aux mauvais jours de la Révolution. Le travail qu'il accomplit au milieu de tant de périls dans divers cantons du diocèse dénote une âme vaillante et profondément sacerdotale... Prêtre, il voulut l'être dans tous les détails de sa vie, même en ces temps troublés. Monsieur Leroux, ancien prieur de Bonnœuvre, fait connaître de lui cette particularité : « Il ne voulut jamais cesser de porter la soutane, disant qu'un déguisement serait tout à fait inutile, parce que, quand bien même il porterait d'autres habits, on le reconnaîtrait toujours à ses cheveux blancs ; et que, d'ailleurs, s'il était pris, il aimait mieux mourir en prêtre que déguisé ».

Lorsque la paix fut signé, et le culte rétabli, ce pasteur qui pourtant aimait ses paroissiens, ne voulut pas revenir à Ligné. La raison qu'il donna, dit monsieur Leroux, pour motiver sa conduite, était qu'il craignait d'éprouver involontairement des sentiments d'aversion contre ses ennemis. « Le bon Dieu, disait-il avec un accent de foi profonde, m'a donné la grâce de pardonner de grand cœur tout le mal qu'ils voulaient me faire ; mais serais-je toujours assez maître de moi-même pour ne pas être quelque fois ému et un peu troublé par quelques sentiments d'aversion involontaire lorsqu'il me sera donné de les voir dans le lieu-saint en célébrant le Saint Sacrifice ? ».

Mgr Duvoisin, accédant à ses désirs, décida de le nommer à une autre cure, et lui proposa Machecoul, poste difficile au sortir de la Révolution. Monsieur Massonnet hésita, supplia de ne pas mettre un si lourd fardeau sur ses épaules ; mais il dut courber la tête et obéir lorsqu'il entendit son évêque lui dire que, ne trouvant aucun autre prêtre, il serait contraint lui-même d'aller occuper ce poste. Monsieur Massonnet demeura curé de Machecoul jusqu'à sa mort, 13 janvier 1813.

— D'autres prêtres exercèrent également le saint ministère à Ligné pendant la Révolution. M. Michel Benoît se tenait surtout à la Rochefordière ; il y fit plusieurs baptêmes, M. Jousset, revenu dans sa paroisse natale du Cellier et réfugié dans la forêt, traversa souvent les villages de Ligné voisins de sa retraite, pour y distribuer les secours religieux. Il venait parfois au Ponceau, où il baptisait les enfants des alentours. Surpris disant la Sainte Messe sous le hêtre dont il a été parlé, il fut massacré par la troupe révolutionnaire. L'endroit où était ce hêtre était presque au centre de la forêt, à 1 200 mètres du château actuel, à droite de la route qui va du Cellier à Saint-Mars.

De Ligné, de Saint-Mars, de Couffé, d'Oudon, comme du Cellier, on y pouvait aboutir par des sentiers à peine tracés. C'était un endroit tout désigné pour réunir les fidèles des bonnes paroisses voisines qui n'avaient point oublié Dieu.

Or, la nuit du 7 décembre 1795, tous les fidèles du Cellier, de Saint-Mars, de Ligné, d'Oudon, de Couffé, avaient été prévenus qu'il y aurait une messe au grand hêtre de la forêt. De bonne heure, M. Louis Jousset s'y rendit pour confesser jusqu'à minuit. Il avait avec lui un jeune homme de 19 ans, Jean Gauffriau, du village de la Simonière, son répondant de messe et son élève, car malgré ou plutôt à cause de la persécution, il pensait à en faire un prêtre et l'instruisait pour cela, comme autrefois les Apôtres et leurs successeurs, dans les catacombes, devaient former de jeunes lévites, au milieu des persécutions, pour en faire des prêtres dignes du martyre et capables de conduire les fidèles exposés eux aussi, sans cesse, à donner leur sang et leur vie pour la foi de N.-S. Jésus-Christ.

Minuit sonne ; la Sainte Messe commence. Les fidèles sont nombreux. Tout va bien. Quelques hommes ont été détachés en sentinelles. D'ailleurs, il n'y a guère à craindre, tant de fois déjà la Messe a été dite en ce lieu caché, en pleine forêt. On récite doucement, à mi-voix, le Credo, puis le Sanctus ; puis vient le solennel moment de la consécration ; tous les fronts s'inclinent, des larmes coulent des yeux ; on va pouvoir enfin communier. Le prêtre élève le calice avec l'hostie, il va commencer le Pater... Un sifflement retentit ; puis un cri : « Sauve qui peut, ce sont les bleus ! ». Tous les fidèles s'enfuient en toutes directions. Seul le prêtre reste. Il lui faut finir le Sacrifice. Il s'empresse de communier. Malgré son ordre, le répondant de messe est resté près de lui. Comme autrefois saint Laurent voulait accompagner saint Sixte au martyre, il veut accompagner son maître, son prêtre, son pontife à lui. Il veut l'aider à le sauver. Déjà ils sont prêts. Ils vont fuir, eux aussi, à travers les halliers. Mais de tous côtés, dans la clairière, pénètrent des soldats républicains. Ils se jettent sur le prêtre et sur le jeune homme. Ils ont tôt fait de les massacrer. Sont-ils contents enfin ? Mais non ! Ils ont vu les fidèles leur échapper et, dans leur rage, ils veulent se venger.

Un traître avait vendu le secret de la messe dite à minuit, au hêtre de la forêt. Mais les soldats n'étaient pas du pays et ne connaissaient pas les chemins. Pour se guider — car le traître n'avait pas voulu les conduire, de peur d'être reconnu — ils avaient pris des chiens dans les fermes voisinant la forêt et dont les maîtres étaient à la messe ; ils s'en étaient servis de limiers. C'est à ces chiens excités par leurs clameurs et leurs agacements qu'ils donnèrent les corps du prêtre et du jeune à dévorer. Et pendant l'horrible repas, ils chantaient la « Marseillaise ».

Quand tout fut fini, un long cri de « Vive la République » retentit. Dans les buissons, une voix répondit : « Vive Dieu et vive le Roi ! ». Le lendemain, au matin, les habitants des fermes d'Oudon, les plus proches, vinrent recueillir les ossements du prêtre. Ils les portèrent près de leurs habitations et les ensevelirent dans un lieu aujourd'hui proche de la route de Nantes à Paris, où on a élevé une croix.

Les habitants du Cellier enterrèrent les restes du jeune homme au pied du hêtre, là où est la croix actuelle.

C'est pourquoi elle s'appelle : La croix du petit saint de la forêt (extrait du Télégramme). [Note : Depuis 1975, M. Le Curé du Cellier a institué un pèlerinage annuel, en cet endroit, le lundi de la Pentecôte].

Pendant longtemps les habitants de Ligné vinrent prier le petit saint de la forêt, piquant de petites croix sur sa tombe.

— Il est encore un nom qui doit être gravé dans toutes les mémoires : celui de M. Mathurin Livenic. Il était né en l'île de Bouin, le 14 janvier 1746. Lors de la promulgation de la Constitution civile du Clergé. Il était vicaire à Chantenay. Il refusa le serment et fut jeté en prison. Étant parvenu à en sortir, il se cacha chez une pieuse dame, rue Saint-Clément ; mais une misérable servante fit connaître sa retraite. Pour échapper à la mort, il sortit de Nantes, déguisé en gendarme, et se dirigea sur Chantenay. Reconnu sous son travestissement, il quitta cette paroisse et s'en alla sur le territoire de Sucé. Il demeura peu de temps en cette localité ; il traversa l'Erdre et vint habiter en Saint-Mars : le marais était pour lui une sûre retraite dont il sut se servir en maintes circonstances.

Lorsque les chouans de Ligné, de Saint-Mars et des paroisses environnantes, formèrent un corps d'armée, il se joignit à eux pour leur servir d'aumônier.

Mais la plus grande partie de la vie de M. Livenic se passa à exercer le saint ministère au milieu des populations qui l'entouraient. Montant le meilleur cheval de l'armée royale, cavalier émérite, il pouvait se transporter rapidement dans toutes les paroisses environnantes. Dans ses voyages, il se faisait accompagner d'un jeune homme nommé Jean Leray, qui habitait le village du Fresne, et que M. Clouet, mort directeur au Grand Séminaire, lui avait fait connaître. Pendant toute la période révolutionnaire, Jean Leray, bravant tous les dangers, fut le compagnon fidèle et l'ami du prêtre qui l'appelait son ange gardien visible. Les mauvais jours passés, cet homme vint s'établir à Ligné. Dieu le bénit du dévouement à sa cause : un de ses fils devint prêtre et, plus tard, curé de Saint-Mars-la-Jaille.

Avec ce guide dévoué, Livenic parcourut la plupart des villages de Ligné visitant les malades, baptisant les petits enfants. Perrine Janin, de la Contrie ; Jean Pageaud, de Lozier ; Pierre Ménoret, de la Gagnerie ; François Ferré, de la Chauvelière ; Pierre Athimon, de la Massepierre, lui durent comme tant d'autres, de devenir enfants de Dieu.

Il se tenait souvent du côté de la Rochefordière. Là, au château, il trouvait la plus généreuse hospitalité ; il trouvait des chrétiens à l'âme forte, ignorant la peur, toujours disposés à s'exposer pour la religion. Voici le bel éloge que le chef révolutionnaire de Nort faisait de cette maison : « elle a été le refuge des chefs des chouans et des prêtres insoumis. Les deux fils de la veuve ont constamment fait la guerre chouannique sous les ordres de leur domestique, qui était adjudant général. Cette maison est encore (1797) le refuge des émigrés et des prêtres. Je ne me tromperais pas en vous assurant que c'est la maison la plus suspecte qu'il y ait aux environs ». Monsieur Livenic fit de nombreux baptêmes dans la chapelle du château ; les habitants du lieu en étaient souvent les parrains et marraines.

Chose extraordinaire, ce prêtre si actif, sut échapper à tous les dangers... La paix revenue, il devint curé de Saint-Julien-de Concelles où il mourut en 1823, âgé de 75 ans.

(abbé Eugène Durand).

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