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DESCENTE DES ANGLAIS EN BRETAGNE ET SIÈGE DE LORIENT EN 1746

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Des recherches, qui n'avaient point de but précis, dans les cartons du fonds Bizeul, à la Bibliothèque publique de Nantes, nous firent découvrir, il y a quelque temps, une Relation manuscrite et inédite de la descente des Anglais en Bretagne et du siège de Lorient en 1746 [Note : Bibliothèque publique de Nantes. Fonds Bizeul. Carton Projets. Moyen âge]. L'auteur de ce mémoire est M. Pontvallon-Hervoët, recteur de Pleucadec [Note : Pleucadec, département du Morbihan, arrondissement de Vannes, canton de Questembert].

Nous avons également sous les yeux une copie du manuscrit de M. Barbarin, lieutenant-Maire. Nous devons cette bienveillante communication à notre ami M. Gaston Fornier. Un extrait du troisième et dernier écrit sur ce siége, dû à la plume de M. Lemoué, dit Durand, ex-lieutenant d'infanterie, lieutenant de la garde-côtes, se trouve reproduit dans la Chronique lorientaise de M. Mancel, ancien préfet. Cet ouvrage, auquel nous ferons quelques emprunts, est assez peu répandu et n'existe pas à Nantes ; il a été mis à notre disposition par M. le Commissaire général de la Marine, vicomte de Beaufond [Note : Les Archives municipales de Lorient ne possèdent aucun document sur le siège de 1746. Le Journal historique sur les matières du temps, par C. J., tome LX, novembre 1746, p. 395, et le Mercure historique et politique, relatent purement et simplement la descente et le siècle. Ogée consacre trois lignes à cette expédition dans son Dictionnaire de Bretagne].

Ayant eu le bonheur de rencontrer ces manuscrits, épaves intéressantes recueillies du naufrage, nous voulons aujourd'hui livrer à la publicité les Mails inédits qu'ils renferment. Nous prendrons ce qu'il y a de plus saillant dans chacun d'eux et nous réunirons dans ce travail, que nous rendrons aussi complet que possible, tout ce qui se rapporte à cet épisode peu connu de notre histoire nationale [Note : Quand nous écrivions ces lignes, nous ignorions complétement l'impression des manuscrits Pontvallon-Hervoët et Barbarin. Nous avons été déçu dans l'espérance d'en donner la primeur. Ces deux écrits furent publiés, mais sans commentaires : le premier, par M. l'abbé Marot, curé de Rochefort-en-Terre, dans le Bulletin de la Société polymathique du Morbihan (1860, pp. 6-11 ) ; — le second, par notre cher et regretté collègue, M. Charles du Chalard, dans la Revue de Bretagne et de Vendée (2ème série, tome IV, 1863, p. 169). Notre communication n'étant plus inédite en aura moins d'intérêt, mais elle aura le mérite de grouper dans quelques pages tout ce qui a été dit sur la descente des Anglais en Bretagne].

Avant de commencer notre récit, donnons quelques renseignements sur la ville de Lorient.

Le territoire où Lorient devait s'élever à la fin du XVIIème siècle, faisait partie au moyen âge d'un domaine de la paroisse de Plœmeur, évêché de Vannes. Ce domaine, nommé primitivement Faouët, et plus tard Faouët-Lisivy ou Faouëdic-Lisivy, était compris dans la juridiction féodale de l'importante seigneurie de Tréfaven.

Quelques écrivains ont prétendu que le mot Lorient venait de Loc-Roch-Yan (le lieu de la Roche Jean), château bâti sur un rocher baigné par la rivière du Scorf. Au premier abord, cette supposition paraît assez plausible ; mais ce nom ressort évidemment de la Compagnie des Indes, autrement dite Compagnie d'Orient ou de l'Orient.

La Compagnie des Indes, constituée par lettres patentes de Louis XIV, en date du 26 mai 1664, obtint la permission de créer des entrepôts en Bretagne, par ordonnance du même roi, en date, au palais de Fontainebleau, du mois de juin 1666. Elle s'établit d'une manière définitive en 1719, au fond de la baie de Saint-Louis, sur la rivière du Scorf et près du Blavet [Note : Voir l'Histoire de la Compagnie des Indes, par M. du Fresne de Francheville].

D'immenses magasins, des hangars, des maisons, des casernes, une église, un hôpital, des murailles fortifiées et une tour d'observation furent rapidement élevés ; un chantier de constructions navales fut fondé ; ingénieurs, officiers, marins et ouvriers arrivèrent en foule et se mirent promptement à l'œuvre. Aussi, en moins de trente ans, grâce à sa situation, grâce à l'une des plus belles rades de la France, la lande stérile devint une ville active et florissante, petite, il est vrai, par le nombre de ses habitants, mais grande déjà par son commerce, son industrie et ses relations étendues. L'édit de Versailles de juin 1738 l'érigea en corps de communauté et lui conféra le droit de représentation aux Etats. Elle avait pour devise : « Ab oriente refulget ».

La Compagnie des Indes, qui, pendant de longues années, fit la puissance de Lorient, était. elle-même une puissance formidable, qui portait cette fière devise : « Florebo quocumque ferar, avec des armes au globe d'azur chargé d'une fleur de lis d'or ».

L'Angleterre avait vu d'un œil jaloux la transformation subite de la lande bretonne et elle avait suivi avec une profonde inquiétude les progrès rapides de la jeune cité. L'établissement d'un port militaire mit le comble à ses craintes. C'en était assez pour que cette nation envieuse, ennemie éternelle de notre pays, entreprit de détruire la ville naissante.

C'était pendant la guerre de la succession d'Autriche (1741-1748). Le maréchal de Maillebois se voyait enlever, après les avoir conquises les possessions autrichiennes (d'Italie (1745-1746). Le maréchal de Saxe triomphait du duc de Cumberland à la mémorable journée de Fontenoy (mai 1745), s'emparait de la Flandre et gagnait la bataille de

Rocoux. Le prétendant Chartes-Édouard, fils de Jacques III, qui était déjà aux portes de Londres, rentrait en France, après la défaite que le fils de Georges III lui avait fait essuyer au fameux combat de Culloden. Le traité d'Aix-la-Chapelle devait terminer la guerre.

L'automne de l'année 1746 venait de commencer. La saison n'effraya pas notre voisine d'outre-Manche, qui pensait, non sans raison, que l'expédition devait être de courte durée. Le moment était d'ailleurs bien choisi, car les remparts de Lorient n'étaient pas encore terminés et les armées françaises guerroyaient en Europe.

« Les nouvelles publiques annoncoient qu'on faisoit en Angleterre un armement considérable pour une expédition secrette, mais l'idée générale le destinoit pour tout autre endroit que pour les côtes de Bretagne, à cause de la saison avancée, qui les rend ordinairement dangereuses » [Note : Manuscrit Pontvallon-Hervoët].

La Bretagne jouissait de la plus parfaite tranquillité et ne songeait nullement à voir le pavillon anglais flotter sur ses rivages. L'apparition de bâtiments de guerre n'aurait même causé aucune frayeur, on les eût pris pour la flotte du lieutenant-général des armées navales, comte de Macnemara [Note : Grand'croix de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, chef d'escadre le 1er avril 1748, mort vice-amiral, à Rochefort, le 18 octobre 1756, remplacé par le marquis de Conflans-Brienne, lieutenant-général des armées navales], qu'on attendait d’un jour à l'autre dans ces parages.

« Cependant le mercredi 28 septembre on eut des avis que quelques vaisseaux paroissoient dans les dehors des isles de Groix et de Belle-Isle ; mais comme on étoit dans l'attente de quelques vaisseaux de l'escadre de M. Macmemara, on crut que c'étoit ces vaisseaux. Le lendemain on découvrit à la pointe de l'ouest de l'isle de Groix 22 navires. On ne s'en étonna pas davantage et on crut toujours que les vaisseaux qu'on attendoit pouvoient avoir des bâtiments sous leur convoi.

Le 30, dès le matin, le nombre des vaisseaux avoit augmenté jusqu'à 54, et, sur le midi, on eut des avis qu'ils étoient anglois et qu'ils avoient mouillé vis-à-vis de l'anse du Loc, entre la rivière de Quimper-Lé, autrement dit le Pont-du (Pouldu) et le Talud (Talut) et qu'ils faisoient des dispositions pour mettre à terre » [Note : Manuscrit Pontvallon-Hervoët].

M. Barbarin signale seulement la présence de 52 voiles et M. Mancel de 50.

C'était bien en effet l'escadre anglaise, commandée par le contre-amiral Lestock. Elle était partie le 26 septembre du port de Plymouth. Le corps expéditionnaire qui se trouvait à bord, était placé sous les ordres du lieutenant-général Jacques de Sainte-Clair [Note : Nommé à tort Synclair ou Sinclair].

« On vit même 3 à 4 frégates qui sondoient le long de la côte ; cette manœuvre ne laissa plus lieu de douter que l'ennemi ne voulût tenter une descente et on commença à donner des ordres nécessaires pour se précautionner contre cette entreprise aussi peu attendue » [Note : Manuscrit Barbarin].

Cette reconnaissance démontra qu'il serait à la fois imprudent et difficile d'engager une attaque de front, à cause de la disposition de la place et des batteries qui protégeaient la côte. C'était s'exposer à un échec presque inévitable. Aussi Lestock, après voir pris conseil de ses officiers, se dirigea-t-il vers la baie du Pouldu, située à trois lieues de Lorient.

A la vue de la flotte anglaise, le 30 septembre au matin, dans les eaux de Quimperlé, les populations du littoral courent aux armes.

Vous surtout, belliqueuse race
Des fiers enfans du Morbihan,
Montrez-nous encor cette audace
Qui brava César triomphant !
Vos ancêtres, dans les alarmes,
Sentaient s'accroître leur valeur,
Braves comme eux, volez aux armes,
Pour sauver la France et l'honneur !
[Note : Appel aux Bretons. Chant patriotique]

Le tocsin sonne de toutes parts ; les courriers sillonnent le pays ; les officiers de la garde-côtes [Note : L'origine des gardes-côtes remonte à 1688. Ce corps fut créé pour la défense des pays maritimes et recruté parmi les habitants non classés du littoral dans une zône de deux lieues. Avant, ces milices étaient connues sous le nom d'habitants des paroisses sujets aux guets de la mer (mémoire historique sur les milices gardes-côtes, par David. 1763. Manuscrit, du dépôt de la guerre). En 1746, chaque généralité comprenait, plusieurs capitaineries, commandées par un capitaine-général, un major et un aide-major. Elles relevaient de l'amirauté. Les canonniers gardes-côtes étaient chargés des batteries et des signaux. Ils étaient au nombre de 21,620 hommes, formant 102 divisions et 418 compagnies. — L'uniforme était : habit blanc, parements et collet bleus, boutons plats de cuivre jaune, chapeau bordé de laine blanche, pour les gardes-côtes ; — parements et bordure en laine jaune pour les canonniers] rassemblent leurs soldats ; les milices [Note : Les milices furent établies dans chaque province par ordonnance du 25 février 1726. Les régiments portaient le nom du colonel, les bataillons celui du commandant] des environs se réunissent (celle d'Hennebont arriva pendant la nuit). Les grenadiers de M. de Bessan, troupe entretenue pour le service de la Compagnie des Indes et forte de 400 hommes, n'attendent que l'ordre du départ. « Le bataillon, formé des ouvriers du port, composé de 7 compagnies, sçavoir : une de volontaires qui étoit de 60 hommes, 6 de 50 hommes chacune et 4 détachements de 25 hommes, faisoient un corps d'environ 450 hommes commandés par des employés » [Note : Manuscrit Pontvallon-Hervoët]. (Ce bataillon était de 600 hommes, selon M. Barbarin.). Le colonel de l'hôpital [Note : Jacques-Raymond Galluccio, marquis de l'Hôpital, comte de Saint-Mesme, noble napolitain, colonel de dragons, premier écuyer de Mme Adélaïde, ambassadeur extraordinaire de S. M. auprès du roi des Deux-Siciles, chevalier des ordres du Saint-Esprit, de Saint-Michel, de Saint-Lazare, de Saint-Janvier de Naples, devenu lieutenant-général et inspecteur général de la cavalerie et des dragons] marcha au secours des gardes-côtes avec 400 dragons de son régiment. Soldats, paysans et bourgeois veillèrent sous les armes, campés dans les magasins de la Compagnie et prêts à marcher au premier signal. Mais, dit M. Barbarin « il n'y eut point d'événement plus considérable cette nuit-là et l'alarme ne parut pas aussi grande qu'elle dût être ».

Le lendemain matin une compagnie du régiment de M. le colonel de cavalerie marquis d'Heudicourt [Note : Le régiment de cavalerie d’Heudicourt (et non Dudricourt ou D'Haudricourt) se nommait de Montauban à sa création, de Beringhen en 1672, de Livry en 1676, de Clermont-d'Amboise en 1689, de Bartilhac en 1702, de Lenoncourt en 1706 et d’Heudicourt en 1735. Il se composait de 2 escadrons, 20 officiers et 320 hommes. L'uniforme était : habit blanc, revers et parements rouges. Le colonel marquis d'Hendicourt donna sa démission en 1748. Il fut remplacé par le comte de Lenoncourt, capitaine de son régiment. (Journal historique sur les matières du temps, par C. J., t. LXIII, mars 1748, art. VI, § III)], arriva à Lorient et fut immédiatement envoyée vers la côte.

Le 1er octobre, à la pointe du jour, des chaloupes sondèrent dans toutes les directions. Il n'était plus alors possible de se faire illusion sur les intentions de l'ennemi.

« Enfin, à midi, à la mer haute, les Anglais firent avancer 6 frégates proche un endroit nommé le Loch, entre le Pontdu (Pouldu) et le Talut, et à la faveur du feu continuel de leurs canons, ils mirent à la mer plusieurs chaloupes et bateaux, 2 rats dans lesquels ils mirent toutes leurs troupes. Il y avait aussi des bateaux armés de petits canons montés en forme de pierriers, qui joints aux frégates, tirèrent, en moins d'une heure, 200 coups de canons. Ce feu continuel força nos troupes de reculer et les mirent hors d'état de pouvoir se servir de leur mousqueterie, de sorte que les Anglais débarquèrent au Loch, sans perdre un seul homme et se rangèrent en bâtail à mesure, qu'ils mettaient pied à terre » [Note : Manuscrit Barbarin].

« La 1ère descente que firent les Anglais pouvait être, suivant le rapport des déserteurs, d'environ 5,000 hommes,
Scavoir :
Le régiment de Rocheven, de : 1,000
Les montagnards de l'Ecosse : 1,000
Le Brech : 700
Le Leviston : 700
Le Frass-Tune : 700
Le Haut-Favet : 700
Total : 4,800
et quelques volontaires »
[Note : Manuscrit Pontvallon-Hervoët].

L'opération était achevée sur les deux heures de l'après-midi. Le lendemain, il y eut une seconde descente d'environ 2,400 hommes de troupes de marine avec leur artillerie.

Le lieutenant-général de Saint-Clair lança alors la proclamation suivante, en date, au camp de la rivière de Quimperlé, du 29 septembre :

« Nous, Jacques de Saint-Clair, lieutenant-général des armées du roy de la grande Bretagne, commandant en chef les troupes britanniques,

A tous les gouverneurs, intendants de province et autres officiers de quel qualité qu'ils puissent être, à tous magistrats et autres habitans de cette ville, bourgs et villages ;

Faisons savoir que le roy nôtre maître, dans la poursuite de cette guerre si juste et si nécessaire de sa part, nous ayant ordonné de faire une descente en France, nous jugeons à propos, à notre premier abord ici, de déclarer que notre ferme intention est de faire sentir en particulier le moins qu'il nous sera possible les malheurs de la guerre que vous pouvez sentir. A cet effet, nous ferons rigoureusement observer à nos troupes la plus exacte discipline, de sorte que la marode ny le pillage ne leur sera aucunement permis, que nonobstant que nous sommes inévitablement obligé de nous servir pour le présent des cheveaux et bestiaux et charieaux du pays pour la commodité de l'armée, les habitants doivent se rassurer dans la confiance entière que les vivres et les provisions de toute espèce que l'on apportera au camp, leur seront régulièrement payés par les troupes, à l'exception cependant de ce qui se fournira en conséquence des conventions qui se peuvent faire si-après entre nous et les magistrats et autres par les provinces par les quelles l'armée prendra sa route ; mais si aucun des habitants néglige la présente déclaration de nos bonnes intentions à leur égard, ou prendre les armes dans la vaine espérance de nous faire opposition ou si en secret on nous assassinait quelques soldats de S. M. Britannique, s'ils abandonnaient leurs maisons ou manqueraient d'apporter journellement des vivres pour vendre au camp, que l'on sache qu'alors nous ne manquerons pas de les châtier de la manière convenable en les passant au fil de l'épée et faisant désoler leurs pays, réduire leurs villes, bourgs et villages et maisons de campagne en cendres. En foi de quoi nous avons signé le présent de notre main et j'y ai posé le cachet de nos armes. Donné au camp de l'embouchure de Quimperlé, le 29 septembre 1746. (Signé :) Jacques DE SAINT-CLAIR. Par ordre de son Excellence, DAVID. Autour du cachet : Fightand Failh » [Note : Ce document est inédit. Communiqué par M. Fornier].

Les Anglais étaient 5 ou 6,000. Nos forces, sur le lieu du débarquement, se composaient de 1,400 hommes tout au plus : quatre compagnies de cavalerie, 900 gardes-côtes et quelques paysans. Les dragons, commandés par leur colonel, le marquis de l'Hôpital, étaient rangés en bataille dans un repli de terrain, derrière une petite éminence, à un quart de lieue du rivage. Les officiers de la garde-côtes, dont le courage est au-dessus de tout éloge, se présentère pour « disputer la descente ». Mais la falaise n'étant en cet endroit protégée par aucune fortification et le feu de l'artillerie ennemie labourant le sable à chaque instant, « presque tous nos paysans se débandèrent et tournèrent le dos » [Note : Manuscrit Barbarin] — « Etant abandonnés et les dragons ne voulant pas mettre pied à terre pour les soutenir, on fut obligé de se replier sur les dragons, dont le colonel était commandant en chef, ayant reçu l'ordre de M. Deschamps, lieutenant de roi au gouvernement du Port-Louis ........ Le parti qui restoit donc à prendre étoit de disputer l'entrée à l'ennemi et tout le favorisoit : les fossés extrêmement hauts et fourrés, les défilés faciles à garder. Quelques officiers des gardes-côtes se proposèrent, à plusieurs reprises, à M. de l'Hospital, qui répondit que Lorient étant son objet, il alloit s'y retirer et entraîna ainsi les milices qui en effet y arrivèrent environ les 6 à 7 heures du soir » [Note : Manuscrit Pontvallon-Hervoët].

Le colonel de l'Hôpital n'avait ni artillerie, ni munitions, pas une bombarde, pas un seul caisson ; son infanterie n'était point nombreuse ; les paysans formaient un corps sur la solidité duquel il était inutile de compter ; — nous venons d'en avoir à l'instant même une preuve suffisante ; — les difficultés du terrain rendaient impossible l'action de la cavalerie ; nos forces étaient bien inférieures en nombre à celles de l'ennemi ; on peut dire qu'ils étaient 900 contre 6,000, près de 7 contre 1. Engager la lutte dans de semblables conditions eût été folie et danger. D'ailleurs, la mission du colonel de l'Hôpital n'était point de combattre, mais de faire une reconnaissance pure et simple, de surveiller et d'examiner les mouvements du général de Saint-Clair, enfin de l'attirer sous les murs de la ville de Lorient, où la défense s'organisait et où tout semblait assuré pour déjouer cette tentative audacieuse. C'est ce que fit notre commandant en chef, en opérant sa retraite d'après les ordres formels qu'il avait reçus.

Les chemins étant libres, l'armée anglaise s'ébranla aussitôt et s'avança en bataillons serrés sur les traces des nôtres.

« Cette armée marcha sur deux colonnes, l'une sur une maison de campagne nommée le Coëdor, où il y a un bois assez épais ; l'autre, sur le bourg de Guidel distant de Lorient d'environ deux lieues, et ne commirent aucun désordre. Dans la marche de la colonne qui marchoit sur Guidel, un détachement d'environ 300 hommes de la garde-côtes de Conc-ar-neau fit quelques décharges en se retirant de fossés en fossés, assez près sur cette colonne ; mais comme elle ne pouvait pas résister à la supériorité des forces de l'ennemi, il se retira sans avoir perdu un seul homme » (Manuscrit Pontvallon-Hervoët).

Les Anglais s'étant emparé, de Guidel, y établirent un poste d'une centaine d'hommes seulement. « Leur confiance était si grande, dit M. Mancel, que le général Synclair, le colonel-major, deux autres colonels et vingt-cinq à trente officiers y prirent leur logement avec cette faible garde : ils faillirent, le payer cher.

Cinq à six cents paysans des environs s'étaient armés à la hâte de fusils et de fourches : conduits par un sergent de milice, ils vinrent résolûment attaquer ce détachement, l'obligèrent à se retrancher dans le cimetière, et, l'y ayant cerné, le forcèrent à se réfugier dans l'église, emmenant avec eux le curé. Le sergent voulait qu'on y mît le feu, et déjà les plus déterminés amoncelaient les fagots pris au presbytère ; mais la masse s'y opposa : il fallait brûler leur église et peut-être leur curé que les Anglais y avaient renfermé comme otage ; à leurs yeux, c'eût été un sacrilége ; ils se retirèrent sur Quéven, contents de leur victoire, et le reste des troupes survenant le matin, délivra le général dont la prise ou la mort eût pu terminer de suite cette tentative.

Le dimanche (2 octobre), les Anglais s'avancèrent jusqu'à Plœmeur ; les habitants, retranchés dans le cimetière, voulurent se défendre ; ils furent débusqués, et l'ennemi pour se venger, n'épargna pas même l'église, où tout fut brisé » [Note : Chronique lorientaise, par M. Mancel].

Le manuscrit Barbarin passe ces faits sous silence. D'après M. Pontvallon-Hervoët, les Anglais « ne commirent aucun désordre ». M. Lemoué ne nous semble pas de cet avis ; il nous les montre au contraire sous un jour bien différent, au pillage du sanctuaire de Plœmeur.

Dans l'après-midi du même jour, 2 octobre, les ennemis arrivèrent dans la plaine de Lanveur et campèrent sur la hauteur du Moulin des Montagnes, « d'où ils découvroient la partie du sud de la ville et les magasins de la Compagnie » [Note : Manuscrit Pontvallon-Hervoët].

« Après midi , on fit sortir cent paysans , soutenus d'un détachement de dragons et de la cavalerie pour aller reconnaître l'ennemi. Les nôtres rencontrèrent un pareil détachement anglais, et il se fit entre les deux parties plusieurs décharges de mousqueterie, mais de si loin qu'on pense qu'elles furent sans effet de part et d'autre, et nos troupes revinrent tranquillement à la Ville sans être inquiétées dans leur retraite » [Note : Manuscrit Barbarin].

Depuis l'arrivée de la flotte britannique, Lorient se préparait à la défense. Habitants et soldats étaient animés du meilleur esprit et résolus à combattre ; tous rivalisaient de zèle, tous étaient prêts aux plus grands sacrifices de sang et d'argent.

Une activité fébrile régnait dans la ville. On fortifia à la hâte et aussi bien qu'il fut possible les parties encore inachevées des murailles. 4,000 hommes exécutaient ces travaux sous l'habile direction de MM. Vignon et Guillois, architectes, et de M. Saint-Pierre, ingénieur de la ville et de la Compagnie des Indes.

80 pièces de canons et 3 mortiers, renfermés à l'arsenal, furent amenés sur les remparts et braqués sur les collines de Lanveur. Les batteries avaient d'excellents servants et pointeurs ; les soldats étaient bien armés ; de nombreux dépôts de munitions étaient établis sur les courtines. « On plaça des échafauds le long des murs pour doubler la mousqueterie et plusieurs pièces de canons, surtout 2 couleuvrines sur la terrasse du jardin du sieur Pierre (M. de Saint-Pierre) de 20 livres de balles » [Note : Manuscrit Pontvallon-Hervoët]. — « On mit le feu à toutes les maisons de la ville où l'ennemi pouvait se retrancher » [Note : Manuscrit Barbarin].

Le recteur de Pleucadec donne sur la position des troupes les intéressants renseignements qui suivent et que les autres relations ne contiennent pas :

« La compagnie Bessan sortit de l'enclos (terrain renfermant les établissements de la Compagnie des Indes) et fut se placer derrière les murs de la ville, avec les bourgeois et les gardes-côtes. Le bataillon des ouvriers du port sortit également. La compagnie des volontaires eut ordre de se porter avec 50 hommes de détachement sur le bord du marais nommé, de la Mâture, qui se trouvoit à sec dans presque toutes ses parties à cause d'une digue qu'on y fait pour faire pour un dépost des bois de construction, et que les marées ne rapportant point, l'eau ne pouvoit y entrer. Vis-à-vis, dans le Nord, est un bois assez fourré nommé le Favouedic ; à la droite de la ville est le grand chemin ou levée qui conduit du passage de Saint-Christophe à la ville par la grande porte, et, sur la gauche la rivière qui descend de Pontscorf (Pont-Scorff). A une portée de carabine derrière, sur la même rivière, est le château de Tré-faven qui sert de poudrière à la Compagnie, et un bois de haute futaye joignant ledit château.

Le détachement des ouvriers et autres compagnies furent placés à la grande porte de la ville, nouvellement bâtie et qui n'en avoit point, mais que j'ai vu placer depuis. A côté, dans la partie droite, le mur n'étoit point encore fini ; on travailla à se retrancher du mieux qu'il fut possible.........

Les milices bourgeoises d'Hennebont s'étoient rendues à Lorient dès le 2 au matin. Les hommes de celles de Rennes furent détachés du Port-Louis et entrèrent par le port sur les 9 heures du soir. Il étoit aussi arrivé quelques autres compagnies de dragons et de cavaliers du régiment d'Haudricourt des quartiers les plus prochains. Comme la porte du marais entre la boulangerie et le bois du Favoedic étoit le plus sans défense, dès le matin du 2, celui qui en avoit la garde, fit des représentations à ce sujet. On y envoya 100 paysans pour se retrancher sur le bord du quai de ladite boulangerie et on abandonna le bord du marais, où est le dépost des bois de la Compagnie pour le chauffage des fours. Il y fit placer 7 pièces de canons, tant pour battre en plein ledit marais qu'enfiler les 2 côtés de la digue, et le soir du même jour on y envoya une compagnie de milice de 100 hommes.

A mesure que les milices arrivoient, on visitoit leurs armes et on en fournissoit des magasins de la Compagnie et des munitions. Le 2 au soir on pouvoit compter à Lorient environ 5 à 6,000 hommes. Le même jour on fit quelques sorties sans effet » [Note : Manuscrit Pontvallon-Hervoët].

Le lundi 3 octobre « vers les 10 heures du matin (sur les 2 heures 1/2 de l’après-midi selon M. Pontvallon-Hervoët) un officier anglais portant un drapeau et accompagné d'un tambour, se présenta à la petite porte de la ville et demanda à parler au commandant de la place de la part de milord Saint-Clair, général de l'armée anglaise. On lui banda les yeux et l'ayant fait entrer dans la ville par la grande porte, on le conduisit chez M. de l'Hôpital qui commandait alors. Cet officier demanda que l'on eut à remettre la ville de Lorient au roi d'Angleterre, son maître, attendu qu'il savait qu'elle était sans défense et hors d'état de soutenir un siége et demanda que l'on la lui rendit à discression ; faute de quoi il proteste de la prendre de force et lui faire subire tous les malheurs de la guerre, menaçant par là de faire passer au fil de l'épée toutes les garnisons qui s'y seraient trouvées » [Note : Manuscrit Barbarin].

M. de l'Hôpital, ne voulant pas prendre sur lui la responsabilité d'une réponse aussi importante, fit aussitôt. assembler le conseil de guerre, dont, les membres, pour la plupart, ne partageaient pas l'enthousiasme guerrier et l'ardeur de la population. Quelques-uns osèrent émettre l'avis d'une capitulation. Mais heureusement les paroles énergiques, les reproches justement mérités de MM. Duvalaër et de Godeheu, le patriotisme dont firent preuve ces deux honorables directeurs de la Compagnie des Indes, empêchèrent ou plutôt ajournèrent l'exécution de ce projet et relevèrent les courages abattus.

On envoya sans retard une députation au camp du Moulin des Montagnes. Les ambassadeurs étaient :
1° M. Pérault, maire de Lorient ;
2° M. Philippe de Godeheu, directeur de la Compagnie des Indes, député au conseil de commerce pour la province de Normandie ;
3° M. de Montigny, procureur du roi près la communauté ;
4° Un officier de cavalerie ;
5° M. le major du régiment de l'Hôpital-Dragons.
« Le général Synclair étant absent, dit M. Mancel, on convint d'une suspension d'armes et on remit l'entrevue an lendemain, sept heures du matin ».

Les deux autres manuscrits, qui sont beaucoup plus complets que la relation de M. Lemoué, constatent au contraire la présence du commandant anglais lors de l'arrivée de nos députés et rendent compte des négociations.

« Ces messieurs répondirent à millord Saint-Clair que la ville n'était pas dépourvue de défenses ; ils le pensaient et ne pouvaient, sans manquer à leur roi, à leur prince et à leur honneur, lui remettre la ville ; que cependant on lui offrait 300,000 #, s'il voulait se retirer. Ce discours fut reçu avec beaucoup de hauteur de la part du général. Il fit à ces messieurs les mêmes propositions que son officier avait fait ; mais après plusieurs discours, on convint d'une suspension d'armes jusqu'au lendemain matin, sept heures, le général ayant donné ce temps à la ville pour faire ses réflexions » [Note : Manuscrit Barbarin].

Les députés prirent alors congé de M. de Saint-Clair et revinrent à Lorient.

Cette courte trève fut mise à profit par les assiégés. Les travaux furent poursuivis activement ; le marquis de Tinténiac [Note : Un de ses ancêtres était, au combat des Trente], aide-de-camp du comte de Volvire, le chevalier de Kermain et une foule d'autres déployaient le zèle le plus admirable ; le comte de Kersalarun amenait les paysans du bourg de Quéven ; tous demandaient à combattre et se préparaient à une résistance opiniâtre.

« Pendant la suspension d'armes, M. de l'Hospital fit publier une défense de tirer sur l'ennemi, quand il viendroit au bout du fusil, sous peine de la vie.

Dans cet intervalle, M. de Villeneuve, major du gouvernement du Port-Louis, se rendit à Lorient et prétendit que le commandement devait lui appartenir. Il fit la disposition pour » une sortie générale, mais son sentiment trouva de l'opposition, de même que pour le commandement. Ainsi il se retira au Port-Louis » [Note : Manuscrit Pontvallon-Hervoët].

« A midi arriva M. Dudricourt (d’Heudicourt), qui était le plus ancien brigadier. Il prit le commandement. Il arriva aussi deux compagnies de son régiment et une de l'Hospital. A la faveur de cette trève, le reste du jour et la nuit furent tranquilles.

Le 4, à sept heures du matin (à l'expiration de l'armistice) les mêmes députés retounnèrent au camp du général anglais, et sans faire mention de la proposition qu'ils avaient rejetée la veille, on lui déclara que la ville était dans la résolution de se défendre jusqu'à la dernière extrémité et de lui disputer le terrain pieds à pieds. Le général répliqua à ces messieurs qu'il aurait le plaisir de leur donner à souper le lendemain à Lorient » [Note : Manuscrit Barbarin].

Cette fière réponse, qui, Dieu merci, ne devait pas se réaliser, mit fin aux négociations et ne produisit pas sur nos envoyés l’effet que Saint-Clair en attendait. Il croyait les intimider par ce langage et les amener facilement à lui livrer à discrétion la place de Lorient. Mais il oubliait qu'il s'adressait à de vrais Bretons, qui ne courbèrent pas le front devant ses insolentes paroles. Car sur ce noble sol d'Armorique, l'homme, solide comme le granit de ses rochers, reçoit, en recevant la vie, une âme courageuse, et fortement trempée. Nos annales sont riches d'héroïsme et de gloire, et n'ont, rien à envier aux plus belles pages des autres nations.

La trève étant rompue, « l'après-midi on fit une sortie d'environ cent cinquante paysans, soutenus de la compagnie, des grenadiers de Bessan et d'une compagnie de dragons pieds. Il y eut une légère escarmouche entre les Anglais et les nôtres ; nous y perdîmes trois hommes, et les Anglais environ vingt. L'action eût, été plus vive, si les paysans, qui tournaient le dos, n'eurent pas poussé les dragons et les grenadiers de rentrer en bon ordre dans la ville » [Note : Manuscrit Barbarin].

Le 4, sur les six heures du soir, arrivèrent le comte de Volvire, maréchal des camps et armées du roi, commandant en Bretagne ; — il était au Port-Louis depuis la veille ; — M. de la Berraye, capitaine-général de la garde-côtes de Lorient ; et à neuf heures, soixante gentilshommes de Vannes, sous la conduite du comte de Rochefort., suivis, quelques heures plus tard, de cinquante volontaires de la même ville, « qui eurent ordre de venir renforcer la porte de la Boulangerie » [Note : Manuscrit Pontvallon-Hervoët].

Le comte de Volvire visita immédiatement les remparts, parcourut les fortifications, passa en revue les troupes, dont il enflamma le courage par d'énergiques paroles. Il demanda un compte exact de l'état de la place, des forces et des faiblesses de la dérense. M. Mancel dit que « non-seulement il repoussa les offres de sortie, mais quarante gentilshommes et autant de volontaires étant arrivés le 4 au soir, il les renvoya à Vannes pour rejoindre l'arrière-ban » [Note : Chronique lorientaise, par M. Mancel]. Ce fait nous semble inexact, et nous devons le rétablir dans toute sa vérité. Les gentilshommes de Vannes furent renvoyés, il est vrai ; mais ils ne le furent que le lendemain et pour un motif autrement noble que celui indiqué par l'auteur de la Chronique lorientaise. Arrivés dans la soirée du 4, ces braves jeunes gens passèrent la nuit sous les armes, et le 5, sur l'invitation du comte de Volvire, ils partirent pour la « défense de leur propre pays ».

Voici, en effet, ce que nous lisons dans le manuscrit de M. Barbarin, d'accord avec celui de M. le recteur de Pleucadec.

« Le 5 au matin, il courut ici un bruit que 6 vaisseaux cherchaient à faire une descente à Locmariaquer, qui est du côté de Vannes et d'Auray. Cette nouvelle détermina notre commandant à renvoyer la noblesse de ces cantons, étant naturel qu'ils allassent à la défense de leur propre pays, et après avoir donné tous les ordres nécessaires contre tout événement, il partit pour aller au Port-Louis prendre des mesures avec le gouverneur, tant pour la sûreté de cette place que pour ce qui regardait celle-cy » [Note : Manuscrit Barbarin].

M. Pontvallon-Hervoët, raconte ce fait dans les termes suivants : « Le lendemain 5, environ les 6 heures du matin, M. de Volvire se rendit au Port-Louis et une heure après la noblesse et les volontaires de Vannes eurent ordre de le suivre sur l'avis que 4 vaisseaux de guerre anglois et 2 frégates venoient de mouiller à Quiberon » [Note : Manuscrit Pontvallon-Hervoët].

Nous ne voyons pas qu'il y ait lieu de blâmer le comte de Volvir e; nous ne pouvons au contraire que le louer de cette détermination.

« L'après-midi on s'apperçut que l'ennemi faisait lever une batterie de canons à l'entrée de la lande de Keroman [Note : Ce lieu a longtemps conservé le nom de batterie des Anglais, dit M. Mancel], qui n'est éloignée de la ville que de 2 portées de fusils. L'élévation du lieu les mettait en état de battre toute la ville, ce qui fit que l'on fit servir toutes les batteries de la ville qui se trouvaient de ce côté là. Le canon fut servi à merveille. On fit cette même journée une sortie, mais avec si peu d'effets que la précédente et quelque chose que l'on put faire, ils parvinrent à mettre 4 pièces de canon de 12 en état de tirer ; ils avaient aussi un mortier à bombes.

La nuit étant venue, notre canon cessa ; il ne se passa rien de plus extraordinaire. M. le comte de Volevilie (Volvire) arriva du Port-Louis... » [Note : Manuscrit Barbarin].

D'après M. Pontvallon–Hervoët, l'inutilité de cette sortie doit être attribuée à l'inaction de la cavalerie et à l'impéritie du chef qui la commandait. « On fit, dit-il, une sortie des troupes réglées et milices, mais mal conduite. Les cavaliers et dragons ne voulurent pas s'exposer ».

Le 1er octobre, on se le rappelle, les paysans bretons avaient attaqué l'avant-garde anglaise au bourg de Guidel. Le 5, une seconde rencontre eut lieu au même endroit, entre les nôtres et l'arrière-garde ennemie : « Il y eut une attaque faite par une partie des milices gardes-côtes, au bourg de Guidel, où les ennemis avoient laissé un corps de 500 hommes. Sur les 5 heures les gardes-côtes attaquèrent le presbytère, où il y avoit nombre d'officiers et les forcèrent à se retirer dans l'église où ils avoient eu la précaution de se retrancher. On auroit bien pu mettre le feu à l'église, mais la religion les en empêcha....

Le 6, sur les 8 à 9 heures du matin, les ennemis qui avoient descendu dans la lande de Ker-roman, placèrent une batterie de 4 canons de 12 livres de balles et un mortier de 9 pouces 4 de diamètre, commencèrent à tirer sur la ville quelques bombes et boulets ardents sans beaucoup d'effet. Nos batteries furent servies avec une activité étonnante et les désoloient entièrement » [Note : Manuscrit Pontvallon-Hervoët].

L'après-midi on fit une sortie composée de 300 hommes, tant des milices de la campagne que des grenadiers de Bessan et des dragons. Les ennemis en pareil nombre s'avancèrent dans la lande de Keroman, à 10 de front, et firent une décharge sur les nôtres qui répondirent également. Mais la batterie de Saint-Pierre el du quai (des quais Orry et Bonet) tirèrent si à-propos et si juste que l'ennemi fut obligé de se replier et de se retrancher derrière leurs canons. Nos troupes avancèrent en faisant des décharges ; mais n'étant pas en assez grand nombre pour foncer, ils furent contraint de rentrer dans la ville ; nous perdîmes un seul homme dans cette affaire et on a lieu de penser que l'ennemi n'en fut pas quitte à si bon marché. Il y eut un major anglais [Note : Cet officier était le neveu du contre-amiral Lestock] tué dans cette affaire. Le feu du canon dura de part et d'autre jusqu'il la nuit... » [Note : Manuscrit Barbarin].

Le comte de Volvire, selon M. Mancel, « repoussa les offres de sortie ». L'activité déployée par cet officier dans l’organisation de la défense empêche qu'on attribue cette manière d'agir, à supposer qu'elle soit exacte, à tout motif honteux ; les textes que nous venons de citer complètent la justification du comte de Volvire eu cette circonstance et réduisent à néant l'assertion qui précède.

« Le 7, à deux heures du matin, les gardes de Concarneau, sous les ordres de M. de Kersalarun, entrèrent à Lorient au nombre de 2,000 hommes. Alors il y avoit dans la ville 14 à 15,000 hommes, compris 600 cavaliers et dragons » [Note : Manuscrit Pontvallon-Hervoët].

« Le 7, dès le grand matin, le canon de la ville commença avec la même force, les ennemis en firent de même et continuèrent de tirer à boulets rouges ; mais, malgré tous leurs efforts, ils n'ont pas beaucoup endommagé la ville n'y ayant eu que 3 à 4 maisons ou leurs bombes ou pots à feu ayant fait quelque effet ; le feu ne prit en nul endroit et leurs canons ne nous ont tué que 3 hommes. On ne croit pas en avoir perdu plus de 12 pendant tout le siège. Ou jeta sur l'ennemi quantité de bombes et on peut dire que Lorient doit en partie sa conservation à l'adresse et vigilance des canonniers bombardiers de cette ville. On compte qu'il a été tiré de cette ville jusqu'à 4,000 coups de canons. Ce feu dura jusqu'à la nuit » [Note : Manuscrit Barbarin].

« Il y eut une quinzaine d'hommes et de femmes et enfants tués ou blessés, une vingtaine de maisons, à la réserve de 2, peu endonmagées, ainsi que je l'ai vu par moi-même, de manière que tout le dommage fait à la ville par les ennemis ne peut être estimé plus de 3,000 # » [Note : Manuscrit Pontvallon-Hervoët].

M. Mancel ajoute que « la porte de l'église fut enlevée ».

Nous sommes arrivé au point le plus important de notre récit et, l'abordant, nous ne pouvons nous défendre d'un sentiment de tristesse, celui que tout homme de cœur éprouve à rencontrer l'abaissement du caractère chez les mandataires de son pays.

Une bataille sous les murs de Lorient dans la journée du 7 octobre aurait été, sans aucun doute, couronnée de succès, et l'ennemi vaincu et mis en déroute aurait pu être fait prisonnier avant d'avoir rejoint ses vaisseaux. Nous avions alors 15,000 hommes, nos canons étaient nombreux et nos bombardiers excellents ; nos munitions étaient loin d'être épuisées. L'enthousiasme était à son comble. Encouragés par le combat du 6 et la supériorité de l'artillerie de la place, les soldats et la population demandaient à faire une sortie générale. Ils étaient résolus à verser jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour la défense du sol de la patrie. Ils portaient haut et ferme la devise de leur chère Bretagne : Potius mori quam fœdari. Malheureusement le conseil de guerre avait une manière de voir toute différente, et, obéissant à d'autres inspirations que les troupes, il repoussa leur généreuse proposition.

Le bruit courut alors que les autorités voulaient livrer la ville. A cette nouvelle, des murmures se firent entendre et l'indignation fut grande. On accusa tout haut le conseil de lâcheté, on parla même de trahison. Sans doute exagérés, les soupçons du peuple n'étaient pourtant pas sans fondement.

Laissons parler le recteur de Pleucadec sur les faits douloureux qui terminèrent cette expédition :

« Sur les 3 heures de l'agrès-midi (le 7 octobre) on assembla un conseil de guerre où il fut proposé de capituler et de rendre la ville et le port aux ennemis, pourvu que les troupes réglées eussent eu les honneurs de la guerre. On signa donc après bien des débats la capitulation qui portoit que la ville seroit livrée à la discrétion des Anglois ; qu'on prioit seulement le général d'épargner la ville du pillage ; mais qu'on ne partiroit point du port ni de la Compagnie.

La députation pour porter la capitulation étoit composée de M. l'Hospital, son principal auteur ; de M. d'Aigremont, capitaine dans le régiment d'Haudicourt, et du marquis de Tinténiac, qui jusque là s'étoit distingué par le zèle qu'il avoit fait paroître pour engager à faire de vigoureuses sorties. Il servoit d'aide-de camp à M. de Volvire et on lui rend la justice de croire que l'obéissance avoit la plus grande part dans la triste démarche qu'on lui faisoit faire.

Les officiers qui étoient d'avis contraire et ceux qui avoient parlé hautement, se retirèrent et plusieurs prirent des résolution de se soustraire à une indigne capitulation et à d'autres extrémités violentes.

Telle étoit la situation de cette malheureuse ville et de ses habitants, qui se voyoient sacrifiés à l'ennemi, n'y ayant aucun dommage à ses murs....

Les députés arrivèrent donc sur les lieux sur les 9 heures du soir. Le drapeau fut arboré, la chamade battue, personne des ennemis ne se présenta. M. de l'Hospital sortit environ 100 pas hors de la portée du moulin. En vain un tambour rappella, aucun Anglois ne parut. Il s'imagina que c’étroit une ruse des Anglois. La frayeur le prit. On battit la générale et toutes les troupes restèrent toute la nuit sous les armes jusqu'à la pointe du jour, qu'il fut vérifié que les ennemis avoient abandonné leurs 4 canons et leur mortier, le tout encloué, et que ce grand feu qui avoit paru dans leur batterie sur les 9 heures du soir, étoit celui qu'ils avoient mis dans leurs magasins à poudre, situé au village de Ker-roman. J'ai vu la maison renversée et tous les fossés du camp criblés de coups de canons. A côté de la batterie de canon des Anglois, sur la droite, il y a un fossé où il paroît qu'il y en a eu beaucoup d'enterrés » [Note : Manuscrit Pontvallon-Hervoët].

Le camp du Moulin-des-Montagnes était en effet dèsert, l'ennemi l'avait abandonné et s'était replié sur la flotte. Ce fait de l'assiégeant prenant la fuite à l'instant où l'assiégé vient offrir la capitulation, est peut-être unique dans les annales de la guerre.

Ayant déjà 900 hommes blessés et beaucoup de malades, manquant d'une artillerie suffisante pour entreprendre un siège, séparé de ses vaisseaux par une distance de trois lieues, inquiété par la direction et la violence du vent qui pouvait empêcher ou rendre dangereux le rembarquement de ses troupes, connaissant le nombre et l'enthousiasme des assiégés et croyant à des renforts arrivés dans la place, le lieutenant-général Jacques de Saint-Clair avait pris la résolution de battre immédiatement en retraite, et c'est ce qu'il fit avec précipitation le vendredi 7 octobre, sur les huit heures du soir, en entendant les bruits de la ville et le son de la charge battue par les tambours des grenadiers de Bessan, sur l'ordre, dit-on, du marquis de Tinténiac.

La nouvelle de ce brusque départ produisit à Lorient la joie la plus vive. La certitude de la délivrance succédait à l'attente de l'occupation.

Le 8, deux cents hommes, sous la conduite du chevalier de Kermain, se mirent à la poursuite de l'ennemi, qu'ils trouvèrent rangé en bataille sur les hauteurs du Coïdo, où il bivouaqua jusqu'au 9. Nos troupes n'osèrent l'attaquer.

L'armée anglaise se rembarqua tranquillement le lundi et resta une portée de fusil de la côte jusqu'au lendemain, sans être inquiétée par les nôtres. Le comte de Volvire, dans la crainte d'une nouvelle descente, s'était formellement opposé à toute démonstration belliqueuse.

« Le mercredi, 12 octobre, dit M. Mancel, la flotte se porta à Quiberon. Les Anglais y débarquèrent, s'emparèrent de Locmaria brûlèrent, deux ou trois hameaux, descendirent à Houat et Hœdic puis, après une simple sommation à Belle-Ile, courageusement repoussée par le gouverneur, ils s'éloignèrent de nos côtes ».

Les vaisseaux ennemis mirent à la voile le 23 octobre pour l'Angleterre.

La levée du siège ayant paru « l'effet de la protection singulière de Dieu et de la sainte Vierge » la ville décida qu'il y aurait messe solennelle et procession le 7 octobre de chaque année. Cette fête, dite Fête de la victoire, se célèbre toujours à Lorient.

Tandis que le roi de France, par son ordonnance du 14 novembre 1746, nommait le comte de Volvire, lieutenant-général de ses armées, le conseil de l'amirauté anglaise citait à sa barre les officiers commandant l'escadre et le corps expéditionnaire.

Voici, en effet , ce que nous lisons dans les journaux de l'époque :

« Le 5 novembre 1746, l'amiral Lestock, de l'escadre duquel on n'avoit point eu de nouvelles depuis qu’il avoit abandoné les côtes de Bretagne, rentra dans le port de Spithead avec sept vaisseaux de guerre. Le reste des vaisseaux de son escadre et la plupart des bâtiments de transport qu'il escortoit, ont été dispersés par la tempête ; plusieurs ont relâché dans divers ports d'Irlande, mais on est encore inquiet de quelques-uns. Selon le rapport fait aux commissaires de l'Amirauté par cet amiral, l'expédition dont le général Sinclair avoit été chargé n'a pu réussir, parce que la maladie s'étant mise parmi les troupes de débarquement, on n'en avoit pu faire descendre à terre que la moitié et que ce nombre n'avoit point suffi pour attaquer, dans les formes, la ville de l'Orient. On parle d'établir un conseil de guerre pour examiner la conduite de ces deux officiers, et il paroit qu'en particulier on est fort mécontent de ce que le premier n'ayant point assigné une certaine hauteur pour point de réunion aux bâtiments de la flotte plusieurs, qui en ont été séparés par des coups de vents, ont été obligés de revenir en Angleterre. Les détachemens des régimens des gardes à pied et le régiment de fusilliers de Galles, qu'on avoit fait embarquer sur cette flotte, arrivèrent à Londres le 12. On croit que les autres troupes de débarquement, qui étaient à bord des navires de cette flotte arrivés en Irlande, prendront des quartiers d'hyver dans les environs de Cork et de Bengfale » [Note : Journal historique sur les matières du temps, par C. J., tome LXI, janvier 1747, p. 58, 59, art. V, § VI].

« Il seroit à souhaiter qu'on tirât le rideau sur cette expédition. Les amiraux se plaignent du général ; celui-ci se plaint de ses officiers ; les soldats et les matelots se plaignent les uns des autres. Il en résultera des procès, etc... Il est pouvant vrai qu'ils ont fait autant de ravage qu'ils ont pu sur les côtes où ils ont descendu ; mais, par malheur, ils n'ont pas pû beaucoup » [Note : Le Mercure historique et politique, tome CXXI, novembre 1746, p. 586].

Le contre-amiral Lestock et le général Jacques de Saint-Clair, accusés d'avoir mal conduit l'expédition confiée à leurs soins, furent traduits devant les tribunaux militaires de Sa Majesté britannique. Ils furent probablement condamnés ou disgraciés, car depuis cette époque ils ne reparaissent plus dans l'histoire d'Angleterre.

Ainsi se terminèrent la descente des Anglais en Bretagne et le siège de Lorient en 1746.

Si l'issue de l'entreprise fut heureuse pour la France, l'honneur du colonel de l'Hôpital et du comte de Volvire n'en sortit pas intact. La conduite de ces deux officiers n'a pas été ce qu'elle aurait dû être. La seule excuse qui puisse leur être accordée et venir atténuer en partie la gravité de leurs fautes, c'est qu'ils ne fondaient aucune confiance sur les paysans et qu'ils avaient seulement 1,000 hommes de l'année régulière. Quoi qu'il en soit, le système de temporisation et de prudence excessive qu'ils montrèrent pendant toute la durée du siége et le fatal projet de capitulation, dont la responsabilité doit être attribuée à eux seuls, n'étaient point de nature à leur attirer la sympathie des habitants et s'accordaient mal avec le nom et l'épée qu'ils portaient. L'historien impartial doit à sa conscience et à la vérité de porter sur eux ce jugement sévère, malgré les faveurs dont le roi les combla.
Nantes, 15 décembre 1869. désirs.

(Charles Bougouin fils, 1869).

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