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LA FORÊT DE LOUDÉAC ET SES ALENTOURS. |
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LA FORÊT DE LOUDÉAC ET SES ABORDS
depuis le milieu du XVIIème siècle.
La forêt semble avoir occupé jadis des étendues considérables dans l'intérieur de la Bretagne. Une grande sylve aurait, dit-on [Note : DE LA BORDERIE — Histoire de Bretagne, t. II (Carte II. T. du Poutrocoët), et Essai sur la géographie féodale de la Bretagne — a surtout insisté sur cette notion], couvert la majeure partie du centre de la péninsule armoricaine, de Montfort-sur-Meu aux environs de Carhaix. Les forêts actuelles de Paimpont, de la Hardouinais, de Loudéac, de Lanouée, de Lorges, de Quénécan en seraient les vestiges. Elle aurait, donné son nom à l'ancienne vicomté de Porhoët, par transformation du vieux terme de Poutrocoët, qui désignait le « pays sous bois » ou le « pays des bois ». Or, la Bretagne est aujourd'hui une des régions les moins boisées de France [Note : Taux du boisement : Finistère, 4,38 % ; C.-du-N., 4,66 ; Morbihan, 6,85 ; I.-et-V., 6,72 ; L.-I. 4,58 ; moyenne des 5 départements : 5,438 (Statistique de 1923)], et l'on ne s'expliquerait pas les noms de Porhoët et d'Arcoat si l'on n'imaginait un recul considérable de la forêt. Au début du XVIIème siècle, le domaine forestier de l'Armorique intérieure avait déjà bien diminué. Par contre, l'étendue des landes frappa longtemps encore le voyageur.
La plupart d'entre elles occupaient vraisemblablement l'emplacement d'anciennes forêts [Note : H. SÉE, Les forêts et la question du déboisement en Bretagne à la fin de l'Ancien Régime (Annales de Bretagne, t. XXXVI, 1924, p. 1 à 30 et 355 à 379), p. 23 à 25]. Aujourd'hui, dans la région de Loudéac, elles ont à peu près disparu ; bois et landes ont reculé sous l'action des défrichements. Les documents qui permettent d'étudier ces derniers sont plus nombreux à partir du XVIIème siècle que pour les périodes antérieures. Nous voudrions donc essayer ici de marquer les dernières étapes de la conquête du sol dans la forêt de Loudéac et à ses abords. La forêt dont il s'agit n'est pas une forêt domaniale ; elle est partagée entre deux propriétaires et cette circonstance a été favorable aux défrichements les plus récents.
I. — Déboisement et défrichement au XVIIème et au XVIIIème siècles.
Si les cultures n'ont, semble-t-il, cessé de gagner depuis le Moyen-Age sur les forêts et les landes [Note : C'est du moins ce qui ressort de la constitution de « novales » dans les forêts de Branguily, Poulancre, Quénécan, non loin de Loudéac, aux XVème et XVIème siècles], les défrichements ont surtout été nombreux à partir du XVIIème siècle. Les « prises nouvelles » se multiplient en effet à cette époque [Note : Il y a là un phénomène général en Bretagne. Cf. H. SÉE, Les classes rurales en Bretagne du XVIème siècle à la Révolution (Revue d'Histoire Moderne el Contemporaine, t. VI, 1904-05, pp. 309-324), p. 317 ; et Les classes rurales en Bretagne du XVIème siècle à la Révolution, Paris, 1906] dans les paroisses voisines de la forêt de Loudéac, à l'ouest particulièrement, là où les landes s'étendaient davantage [Note : A l'est, les noms de lieux d'origine ancienne sont plus nombreux au voisinage immédiat de la forêt. La grande étendue de la paroisse de Loudéac avant 1790 (plus de 12.000 ha.) est une preuve de la faible densité de sa population et de l'étendue des terres vaines]. La déclaration du Porhoët de 1682 signale des afféagements dans les paroisses de La Chèze, de Loudéac, de Trévé, ainsi que dans les trêves de La Motte, de Notre-Dame-de-Grâce (Grâce-Uzel) et de Saint-Hervé. Cette dernière comptait 38 prises nouvelles sur 211 tenues, Trévé 17 sur 125. Toutes portaient sur des terres vaines et ragues. Mais, malgré le grand nombre des afféagements et les encouragements royaux, les landes couvraient encore une étendue considérable. En effet, le défrichement n'était pas toujours une conséquence nécessaire de l'afféagement [Note : H. DU HALGOUET, Le Duché de Rohan et ses seigneurs, in-8°, 308 p., Saint-Brieuc, 1925, p. 57]. Les pratiques d'une économie agricole que le chaulage a transformé plus tard, la routine également s'y opposaient trop souvent. Il parut longtemps indispensable qu'une exploitation agricole ait à sa disposition des landes pour y faire pâturer ses bestiaux. Ajoncs et bruyères servaient en outre à la litière. Il faut ajouter que le défrichement était une opération coûteuse. De sorte que, fréquemment, des terres avaient été afféagées « sans aucun avantage pour l'agriculture, aucun possesseur n'ayant défriché » [Note : Arch. dép. des C.-du-N., E. 858. Rapport sur les lieux à planter dans le duché de Penthièvre : observation concernant l'ancienne forêt de Moncontour]. A plusieurs reprises, depuis le début du XVIIème siècle, des tentatives de défrichement avaient été entreprises ; elles n'avaient duré que peu de temps et la lande avait reconquis le terrain perdu [Note : Arch. dép. des C.-d.-N., E. 858. Il faut signaler cependant les efforts du sieur Correc, dans une partie de l'ancienne forêt de Moncontour. Ils portèrent, sur plus de 35 hectares. Son exemple ne fut pas suivi (Arch. d'I.-et-V.), C. 1629)]. On a dit qu'en Bretagne le XVIIIème siècle avait été un grand siècle de défrichement de landes [Note : H. SÉE, Les classes rurales..., p. 322]. Dans la région de Loudéac, si les afféagements ont été nombreux, la surface cultivée ne s'est pas accrue dans les proportions qu'ils pourraient laisser supposer.
Aussi ne doit-on pas s'étonner que Louis-Marie Bretagne de Rohan, put, en 1755, exprimer ses regrets d'avoir « près de la moitié de terres stériles » dans le Duché et le Porhoët [Note : DU HALGOUET, op. cit., p. 51] ; et l'on déplorait aussi que « la forêt de Moncontour — non loin de celle de Loudéac — qui fui autrefois une belle forêt, fût tout en landes ». Dès 1698, d'ailleurs, on parlait déjà des landes et des lieux où était autrefois cette forêt. « Des souches, des racines, de vieux arbres » témoignaient seuls de son ancienne existence [Note : Arch, des C.-du-N., E. 858. On lit aussi dans un rapport du 25 mai 1754 : « L'ancienne forêt de Moncontour qui n'est qu'une lande nommée cependant la forêt..., etc... » (Arch. C. 1629)]. Des landes, coupées çà et là de quelques taillis, entre Plessala et Langast [Note : Arch. des C.-du-N., E. 858], le bois du Colisant au nord de cette dernière commune, c'est tout ce qui pouvait laisser deviner l'ancienne continuité des forêts de Loudéac et de Moncontour. Un peu plus à l'ouest, le bois des Débats avait résisté aux efforts séculaires des défricheurs et il restait, au milieu des landes, comme un vestige d'une ancienne zone boisée qui reliait les forêts de Lorges et de Loudéac. Vers le sud, les grandes landes de La Ferrière et de Plumieux s'étendaient jusqu'aux abords de la forêt de Lanouée ; enfin, les landes immenses du Mené, où le peuplement est encore aujourd'hui des plus clairsemés, fermaient l'horizon à l'est [Note : D'excellents auteurs ont écrit qu'au début du XVIIIème siècle les landes du Mené s'appelaient encore forêt de Moncontour. Il faut, semble-t-il, revenir sur cette opinion, fondée sur une pièce conservée aux archives des Côtes-du-Nord (E. 858). En effet, la pièce en question porte pour titre : « Etat des afféagements faits dans la partie de la Lande du Mené, dite forêt de Moncontour et aux environs. — Extrait du livre des recettes des rentes de la Seigneurie de Moncontour ». En fait, l'appellation de « forêt de Moncontour » ne parait s'être appliquée qu'à la région située à l'extrémité nord des Landes du Mené, Tous les noms de lieux cités dans la liasse cotée E. 858 — le Colombier, les Clouets, Malitourne, la Bréhaudière, les Meurtiaux, le Vaubiart, le Chauchix, la Villéon, qui se retrouvent en particulier sur la carte d'E-M. ; les Bosses, près de Kerjéan, qu'on peut lire sur le plan cadastral de Plessala ; le Moulin de la Forêt, aujourd'hui disparu, porté sur la carte de Cassini (les autres noms ne sont pas portés sur les cartes courantes : ils désignent des ponceaux ou des parcelles) — tous ces noms sont dans le quadrilatère compris entre Bel-Air, la Tantouille le bois du Colisant et la Haute-Ville en Plessala (Cartes d'E.-M. : Pontivy N.-E. et Saint-Brieuc S.-E.). Aucun ne se rapporte à la vaste région qui porte aujourd'hui le nom de Landes du Mené sur la carte au 1/80.000 et qui s'étend entre Laurenan, Saint-Véran, Saint-Jacut, Collinée, Saint-Gilles-du-Mené. Enfin, la section A du plan cadastral de Plessala, correspondant à la partie nord de cette commune, est dite « Forêts de Moncontour ». Cette dénomination n'a donc disparu qu'au XIXème siècle. La « forêt » n'aurait d'ailleurs eu qu'une contenance de 1.540 journaux — le journal, lit-on dans une note, équivalant à peu près à l'arpent, soit environ 0 ha. 51 — et elle ne s'étendait que sur une « lieue de France » en longueur, sur une demi-lieue en largeur. Nous sommes loin de l'étendue considérable couverte par les Landes du Mené. — Voir en outre plus haut, quel était alors l'état de cette « forêt ». (Arch. départ. des C.-du-N., E. 858. Une liasse : Forêt de Moncontour, pièces diverses, 1538-1769. La pièce citée plus haut est contenue dans une chemise portant cette inscription récente et fâcheusement incomplète : Etat des afféagements faits dans la Lande du Mené dite Forêt de Moncontour de 1598 à 1759, dressé en 1769)
Quant aux afféagements de bois, ils paraissent beaucoup plus rares dans la région qui nous occupe. L'exemple le plus marquant est celui du bois de Cefaux [Note : Bois de Sepfaut de la carte d'E.-M., Pontivy N.-E. Bord sud de la carte], qui ne forme plus, à l'heure actuelle, qu'une étroite frange en bordure de la route nationale 778, à moins de 8 kilomètres au sud-est de Loudéac. Les habitants de La Chèze en firent en 1671 l'acquisition à leur seigneur. Dix ans plus tard, les prises nouvelles devaient fournir une dîme à la gerbe et l'on peut en conclure que les arbres avaient dû rapidement tomber sous la hache du défricheur [Note : Déclaration de 1682, citée par H. du Halgouet, p. 51].
La région de Loudéac conservait pourtant des bois assez nombreux et les aveux des seigneurs mentionnaient tous des « pacages et glandées » [Note : Arch. dép. du Morbihan. Fonds Rohan-Chabot, E, liasse 1. Aveu du 4 juillet 1744]. Les états des bois situés dans le district de Loudéac, établis de 1791 à 1795 pour les besoins des forges du Vaublanc et de La Hardouinais citent un grand nombre de boqueteaux situés bien souvent auprès de maisons nobles et de chineaux. Leur contenance, très variable, est en moyenne de 70 à 80 arpents. Seul, le bois de Coëtlogon, en Plumieux, en couvrait environ 1.500 [Note : Arch. dép. des C.-du-N., Q. 8. Actes concernant les forêts pendant la Révolution]. Si active que fut, l'exploitation, elle ne fit sans doute guère reculer les limites des superficies boisées [Note : La disparition des bois que déplorent les subdélégués (Arch. d'I.-et-V., 1634) est souvent, semble-t-il, une disparition des futaies qui se transformaient en taillis et en brousses. Des clairières se sont ouvertes dans les massifs forestiers, mais les limites extérieures des forêts ne paraissent pas avoir été bien modifiées]. Presque tous les bois cités dans ces états figurent encore sur la carte d’E.-M. Trois ou quatre seulement ont disparu.
Quant à la forêt de Loudéac, elle avait un peu reculé, mais ce recul s'était effectué lentement. La déclaration de 1682 lui donnait 2 lieues de longueur sur 1 lieue 1/2 de largeur. Elle n'exagérait sans doute pas puisque les dimensions actuelles de la forêt, du moins prises dans sa plus grande étendue, sont sensiblement les mêmes [Note : Elle a un peu reculé au sud, mais elle atteint encore, en certains endroits, près de 8 km. d'est en ouest]. En 1769, selon M. des Hayes le Baron, lieutenant de la Maîtrise, elle avait une superficie de 5.000 arpents (environ 2.500 ha.) [Note : Cité par H. du Halgouet, p. 65, note 1. — Un mémoire de 1479 donnait par contre 5 lieues de long et 2 de travers. Ces dimensions devaient être prises dans un tout autre sens qu'en 1682, la largeur correspondant ici à la longueur donnée plus haut. En effet, il semble bien qu'au XVème siècle et jusqu'à la moitié du XVIème, les landes dont on reconnaît encore l'emplacement sur la carte d'E.-M. à la faible densité des habitations, étaient partiellement en forêts. Ceci ressort de la description que donne M. H. du Halgouet de la seigneurie de la Motte-d'Ouon (p. 71). La toponymie des environs de la forêt ne permet d'ailleurs pas de supposer qu'elle se fût étendue, à cette époque, ailleurs que dans cette région. Il y avait donc là tout simplement une traînée de bois plus ou moins continue, prolongeant la corne N.-W. de la forêt. Cette dernière n'occupait pas une surface large de 10 km, sur 25 km. de long. (La lieue de Bretagne valait 5 km.)]. Un état du 27 vendémiaire an VII lui donne 5.700 arpents (environ 2.850 h.) y compris le bois des Débats [Note : Arch. dép. des C.-du-N., Q 8]. Enfin, selon un acte du 7 fructidor an X (23 août 1802), elle couvrait encore 2.690 ha. et le bois des Débats 16 ha. [Note : Vente générale des biens du duc de Rohan, citée par H. du Halgouet, pp. 301 et 302 ; document tiré des archives personnelles de l'auteur]. Si l'on tient compte du fait que certaines de ces appréciations ont pu être approximatives, on peut conclure que la forêt avait à peu près conservé, au début du XIXème siècle, les limites qu'elle avait à la fin du XVIIème siècle.
Toutefois, au XVIIIème siècle, les forêts avaient subi des attaques très violentes. H. Sée a montré l'acuité qu'a revêtue à cette époque la question du déboisement, particulièrement en Bretagne, et il a mis en lumière les efforts du pouvoir central pour enrayer la destruction des futaies. Si la forêt de Loudéac souffrait, comme les autres, des vices d'une exploitation déplorable, les ravages causés par les forges et qu'elle avait connus au XVIème siècle lui étaient alors épargnés. Les fourneaux du Vaublanc, sur sa lisière est, s'approvisionnaient en effet dans les forêts de La Hardouinais et de Bosquen [Note : Le blanchiement des fils et des toiles absorbait aussi de grandes quantités de bois de futaie dans la région de Loudéac (Arch. dép. d'I.-et-V., C. 1634)]. Il semble bien, d'ailleurs, que les bois perdirent, en général, plus en qualité qu'en surface. Selon une enquête de 1612, la forêt de Loudéac se composait presque uniquement de hautes futaies de chênes et de hêtres, dont les breils et buissons étaient de 100, 80, 60, 50 et. 40 ans. A la fin du XVIIIème siècle, le bois d'œuvre était devenu très rare ; on l'exploitait pied par pied, par éclaircissement [Note : Arch. des C.-du-N., B. 1246. Commission d'Inspecteur général des eaux, bois et forêts dans le duché de Rohan et le comté de Porhoët, 28 septembre 1772]. A la veille de la Révolution, et malgré les efforts malheureusement un peu tardifs des ducs de Rohan, les taillis remplaçaient presque partout les futaies. Pendant plus de cent ans, la forêt de Loudéac avait été exploitée en taillis, avec des révolutions de plus en plus courtes, sans qu'on lui ait laissé d'autres réserves que quelques maigres bouquets de chênes fort espacés et quelques hêtres isolés [Note : Enquête de 1772].
Le XVIIIème siècle a été pour les forêts bretonnes, une époque d'abus incessants et d'exploitation inconsidérée. Il n'a pas été pour elles, du moins autour de Loudéac, un siècle de grands défrichements.
II. — Les défrichements de landes depuis la fin du XVIIIème siècle.
L'arrondissement de Loudéac était, au milieu du XIXème siècle, celui qui, dans les Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), avait conservé le plus de landes [Note : Statistique générale agricole de 1842. Départ. des C.-du-N., Paris, 1844, p. 64. — La statistique donne, pour les autres arrondissements, les chiffres suivants : Guingamp, 36.328 ha. ; Saint-Brieuc, 17.832 ha. ; Dinan, 15.470 ha. ; Lannion, 13.066 ha.]. Elles couvraient encore 42.561 ha. Aux environs immédiats de la forêt, avaient-elles bien diminué depuis une centaine d'années ? Faute de statistiques, il est difficile de l'affirmer. On ne peut que comparer les renseignements donnés par Ogée, malheureusement assez vagues, avec ceux plus précis de ses continuateurs. C'est ainsi que l'on trouve aux articles concernant les communes voisines de la forêt les indications ci-dessous [Note : OGÉE, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne. La 1ère édition (4 vol. in-8°) est de 1778-1780 ; la 2ème édition (Continuateurs) est de 1843, Paris, 2 vol. in-4°] :
Note 30 : « Il n'y a qu'une petite portion de ce territoire en rapport » écrit Ogée. « La commune de Plessala a bien amélioré sa culture. Si, comme le dit notre auteur, la plus grande partie du territoire était jadis encore en landes, les parties incultes ne sont plus maintenant que dans la proportion de 33,8 pour 100 » (Continuateurs d'Ogée).
Elles tendraient à prouver un certain recul de la lande. Ce recul a surtout été marqué dans les paroisses où dominent les bonnes terres [Note : On pourrait être tenté de comparer la carte des défrichements avec celle des régimes de propriété afin de voir si les premiers ne sont pas en relation avec telle ou telle forme de faire valoir. Or, la petite propriété domine depuis longtemps. Les fermiers sont un peu plus nombreux sur les bonnes terres de la vallée de l'Oust, à Saint-Thélo, par exemple. Mais le régime de la propriété est sensiblement le même partout. Seule, la qualité des terroirs paraît avoir joué un rôle] telles que celles de Saint-Thélo et de Saint-Caradec [Note : Ogée écrivait déjà (2ème édition, t. II, p. 731) : « C'est sur les bords des ruisseaux qu'on voit — à Saint-Caradec — des terres en labour et quelques prairies. Le reste du terroir n'est point cultivé : ce sont des landes d'une étendue considérable. Quelques particuliers en ont défriché une partie qui leur procure d'abondantes récoltes. Il est à croire que l'intérêt engagera leurs compatriotes à les imiter »], de Plessala même. Il n'en a pas été ainsi sur les sols maigres de Laurenan, de La Ferrière, et même de Plumieux, malgré la remarque d'Ogée qui paraîtrait mieux autorisée ailleurs. Dans ces landes poussaient de chétives bruyères, quelques touffes d'ajoncs rabougris et, dans les endroits les moins humides, souvent donc les plus élevés, quelques fougères. La plupart d'entre elles avaient dû faire l'objet de tentatives de défrichement, sans doute malheureuses. Elles portaient en effet presque toutes des traces d'anciens billons plus ou moins larges et bombés. On y remarquait aussi parfois des traces d'anciens écobuages [Note : Statistique de 1842, p. 250. Il est difficile de savoir à quelle époque eurent lieu ces tentatives de défrichement. Certaines d'entre elles pouvaient avoir été entreprises au début du XXème siècle, d'autres au cours des siècles précédents]. Mais les défrichements de landes constituaient toujours des entreprises difficiles pour les pauvres cultivateurs des environs de la forêt, du moins pour ceux dont elles formaient la majeure partie de l'exploitation. Il aurait fallu, en effet, pouvoir attendre assez longtemps pour aérer le sol arable, apporter des amendements calcaires et des engrais abondants. La situation n'était plus la même lorsque le faire-valoir comprenait, à côté des landes, des terres depuis longtemps en production et que l'exploitation, déjà florissante, pouvait sans s'appauvrir déverser sur le terrain nouvellement défriché une bonne part de ses engrais [Note : Statistique de 1842].
Des landes communales subsistaient encore autour de la forêt. Le tableau ci-dessous, dressé d'après un relevé fait par la préfecture des Côtes-du-Nord en 1831, donne leur étendue par commune et distingue celles qui paraissaient cultivables de celles qui semblaient propres au boisement [Note : Statistique de 1842. D'après le tableau imprimé dans le cadre de la carte culturale H. T.].
Certaines d'entre elles paraissaient donc inutilisables.
La superficie de ces landes n'atteignait pas un chiffre considérable pour les communes voisines de la forêt, surtout si l'on tient compte de l'étendue de ces dernières. Il n'en allait pas de même sur les terres caillouteuses qui couvrent de grands espaces entre les forêts de Loudéac et de Lanouée, dans les communes de La Ferrière et de Plumieux notamment et également à Laurenan, au sud du Mené.
Les landes qui appartenaient à des particuliers formaient en général des parcelles plus petites que les landes communales. Sur le territoire de La Motte, elles s'étendaient au nord-ouest de la forêt, en direction de Saint-Thélo, couvrant les croupes jadis boisées qui séparent la vallée du Lié de celles des petits affluents de gauche de l'Oust. Le simple examen de la carte d'état-major permet encore de reconnaître les emplacements que les landes occupaient : les noms de lieux y sont rares ; les uns sont récents comme Bellevue en Gausson d'autres évoquent l'humidité du sol comme les Fontenelles au sud de la forêt, près de Malabry, et au nord en La Motte.
A l'heure actuelle, elles ont à peu près disparu. Déjà, l’enquête de 1842 signalait que, si les trois quarts au moins des landes communales figurant sur le relevé de 1831 appartenaient encore aux communes, quelques-unes avaient été vendues depuis cette date. Ce mouvement se poursuivit dans les décades qui suivirent [Note : GAULTIER DU MOTTAY, VIVIER et ROUSSELOT, Géographie départementale des C.-du-N., Saint-Brieuc-Paris, 1662, in-16, p. 844 — A Saint-Jacut-du-Mené « on a vendu des terrains vagues à des mendiants, à charge pour eux : 1° de les enclore dans l'année de l'achat ; 2° de les mettre en culture et de les payer dans un délai de cinq ans ; en 30 ans, les terres défrichées se sont montées à 600 ha. », p. 738. — « Il existe, en Plémet, de vastes landes qui ne tarderont pas à être mises en cultures, l'administration municipale venant de les aliéner », p. 773]. Les défrichements portèrent d'abord sur les terres les moins mauvaises. Puis la ruine du commerce des toiles dans toute la région de Loudéac accéléra le défrichement. Le tisserand, vaincu par l'insécurité des mers pendant les guerres de la Révolution et de l'Empire, la fabrication mécanique, et par l'usage de plus en plus répandu des tissus de coton, dut quitter son métier pour saisir les mancherons de la charrue. Des terres jusque là dédaignées, considérées comme stériles, furent défoncées [Note : G. DU MOTTAY, VIVIER et ROUSSELOT, pp. 708 et 709, 711, 722, 725, etc...]. Des fermes neuves se construisirent, non plus à la tête des vallons comme la plupart des exploitations anciennes, mais le plus souvent sur les plateaux [Note : Ogée écrivait à propos de Saint-Caradec (2ème édition, t. II, p. 731) : « C'est sur les bords des ruisseaux qu'on trouve des terres en labours et quelques prairies ». Les fonds marécageux mis à part, les parties basses de la topographie, les vallons surtout, sont depuis longtemps cultivées. Les terres alluviales, entraînées par le ruissellement, s'y accumulent. Au contraire, les plateaux portent souvent une couverture pliocène caillouteuse ou des terrains argileux compacts et froids provenant de la décomposition des schistes sous-jacents. En outre les habitations recherchent les endroits abrités. Les hameaux sont donc fréquemment sur les pentes ou à la tête des vallons. De là les nombreux lieux dits la « Noé » (prairie bourbeuse) ou le « Cas » (vallon). Les habitations construites sur les plateaux sont en général récentes. Ceci se remarque bien dans la commune de Loudéac]. La physionomie du pays allait se transformer et la culture gagner sur la lande [Note : Les premiers comices agricoles eurent lieu, dans la région, entre 1830 et 1840].
Les statistiques cantonales sont malheureusement trop imprécises pour permettre de suivre pas à pas les étapes de cette conquête. Le plus souvent, on n'y distingue pas les jachères mortes des véritables landes, on englobe dans celles-ci des pacages ou des pâtis susceptibles d'être défrichées. Toutefois, les débuts des défrichements avaient été lents : l'artisan ne se résignait pas sans peine à devenir cultivateur. En 1859, par exemple, 160 hectares furent défrichés dans les cantons de Loudéac, La Chèze et Plouguenast qui comprennent 29 communes. Il y en eut 75 seulement dans ceux de Merdrignac et de Collinée, sur lesquels s'étend — sur le dernier surtout — la majeure partie des landes du Mené [Note : Arch. dép. des C.-du-N., Statistique agricole de 1859. — Aucun défrichement de bois, si ce n'est 25 ha, dans le canton d'Uzel, au N.-W. de la forêt de Loudéac]. C'était encore peu. Mais l'élan était donné. Bientôt les nouveaux moyens de transport faciliteront l'apport d'éléments calcaires, la construction du chemin de fer de Pontivy et des voies d'intérêt local allaient contribuer à la disparition des landes [Note : Pendant longtemps, les récompenses accordées par les comices agricoles ont consisté en « bons de chaux », afin d'encourager une pratique à laquelle trop de cultivateurs semblaient rebelles].
Aujourd'hui, on nomme landes des pâtures humides ou de maigres terres récemment défrichées sur l'emplacement des véritables landes d'autrefois. On y cultive parfois l'ajonc, parfois elles restent en friches ; mais il faut alors que les terres soient bien mauvaises, particulièrement acides, mal drainées, riches seulement en cailloux roulés et en ces conglomérats que les paysans appellent des « renards ». A peine en voit-on lorsqu'on approche de la forêt, non loin de Saint-Pôtan en La Motte, autour de la cote 277 de la carte d'état-major ; on on rencontre aussi plus au sud, autour de La Ferrière. Mais il faut aller plus loin vers l'est, dans le Mené, ou surtout vers le nord, jusqu'en Plémy, pour en trouver d'assez vastes comme les landes de Phanton, non loin de Moncontour. Encore est-il juste d'ajouter que ces dernières, après bien des tentatives restées infructueuses dans le passé, pourraient peut être reculer prochainement devant les efforts d'un courageux défricheur.
On reconnaît aisément ces anciennes landes lorsqu'on se promène aux environs de la forêt. Les champs aux terres noires ou grises, aux talus dépourvus de haies, sont significatifs. Sur ces talus, quelques pins aux fûts grêles, des saules, des bouleaux ou des hêtres noueux et rares s'efforcent parfois de remplacer les chênes dont la présence suffit à prouver l'ancienneté de la mise en culture du sol. Ce paysage se rencontre plutôt sur les petits plateaux balayés par les vents [Note : Le sol, pauvre en éléments fertilisants et sans profondeur ne convient pus au chêne. D'autre part, celui-ci n'entre en rapport que longtemps après sa plantation. On a donc planté des saules et des bouleaux sur les talus entourant les champs qui ont remplacé des landes humides ; les sapins se dressent au contraire là où le sol est maigre et sec. On ne trouve pas, sur ces talus récents, les ronces que l'on a dû conserver sur les vieux talus. Ceux-ci portent d'ailleurs beaucoup plus d'arbres que les talus récents et ces derniers n'ont aucune végétation arbustive].
III. — La forêt et les bois voisins depuis le début du XIXème siècle.
Si les défrichements de landes ont été nombreux depuis un siècle, les bois ont sensiblement, moins reculé. La forêt de Loudéac avait, en 1812, une superficie, de 2.573 ha. Non loin d'elle, le bois de Coëtlogon en couvrait 700. Les surfaces boisées atteignaient, tout autour de la forêt, et celle-ci comprise, les chiffres suivants [Note : D'après le cadastre] :
Si l'on rapproche ces chiffres de ceux qu'on relève dans les pièces d'archives de l'époque révolutionnaire, on note une certaine diminution des surfaces boisées. Les communes de Loudéac et de La Motte, sur lesquelles s'étend la forêt, ne comptent plus que 2.762 ha de bois contre 5.700 arpents — soit environ 2.850 ha. — à la fin du XVIIIème siècle. Certains bois exploités pendaint les guerres de la Révolution ont disparu [Note : Il faut y ajouter en particulier le bois de Kerbussot en Plémet, celui de la Ville-Thébaud en Saint-Barnabé]. Les autres ne paraissent guère avoir changé. Ce n'étaient déjà que des bosquets à la fin du XVIIIème siècle.
Depuis 1842, la forêt a continué à reculer, lentement et d'une manière irrégulière. L'atlas de Daubrée lui donne, en 1911, une superficie de 2.665 ha. [Note : L. DAUBRÉE, Statistique et atlas des forêts de France, Paris, 1912, 2 vol. in-f° (Ministère de l'Agriculture, Direction des Eaux et Forêts)] ; son étendue se serait donc accrue de 92 ha. en 70 ans. Mais aujourd'hui cette même forêt ne couvre plus que 2.287 ha [Note : Renseignement communiqué par M. l'Inspecteur des Eaux et Forêts, à Rennes] dont 1.586 sur la commune de La Motte [Note : Statistiques agricoles de 1900 à 1930], son recul a donc été relativement marqué depuis la fin du XVIIIème siècle et surtout depuis 25 ans. Les parties défrichées s'étendent sur les lisières sud et sud-est surtout, dans les communes de Loudéac et de La Prénessaye. Sur celles de La Motte, des parcelles ont également été vendues et défrichées. Deux porcheries s'installèrent durant quelques années sur les défrichements récents. Mais ces derniers, qui paraissaient devoir se poursuivre, sont désormais arrêtés. L'administration des Eaux et Forêts, soucieuse de protéger les forêts qui subsistent encore, ne délivre plus les autorisations nécessaires pour entreprendre les défrichements. En ce qui concerne la forêt de Loudéac, les dernières ont été accordées en 1925.
Si l'étendue boisée a un peu diminué, l'aspect de la forêt et des bois qui l'entourent s'est-il bien modifié depuis 150 ans ? Les taillis, nous l'avons vu, dominaient à la fin du XVIIIème siècle [Note : Arch. dép. des C.-du-N., Q. 8 ; Arch. dép. d’I-et-V., C. 1634.]. Au XIXème, le domaine forestier s'est reconstitué en qualité [Note : Il existe, non loin de la forêt de Loudéac, de beaux massifs forestiers tels que ceux de La Hardouinais et de Lorges. Ce sont eux aussi des propriétés privées. Il n'y a aucune forêt domaniale dans le département des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor)]. En ce qui concerne la forêt de Loudéac, il faut distinguer à cet égard la partie sud-est de celle-ci qui s'étend surtout au N. -W., sur la commune de La Motte [Note : Les renseignements qui suivent m'ont été communiqués par M. l'Inspecteur des Eaux et Forêts, à Rennes]. Si dans celle-ci les taillis l'emportent toujours de beaucoup sur les futaies, celle-là est aujourd'hui un taillis sous futaie où se remarquent, à côté des chênes, des hêtres isolés, à ramures puissantes et à fûts très courts, caractéristiques de ce massif. Depuis 1905, cette dernière partie de la forêt est exploitée régulièrement, avec une révolution de 19 ans. Le balivage est fait rationnellement et, dans les mauvaises tailles comme après les coupes à blanc de résineux, on sème des pins sylvestres, dont les graines proviennent du Puy ; « ils semblent devoir donner des peuplements clairs, avec survivances de vestiges de taillis » [Note : Rapport de M. l'Inspecteur des Eaux et Forêts, à Rennes]. Des graines de la même essence ont été semées également dans la commune de La Motte, mais dans l'ensemble, la partie N. W. de la forêt n'a reçu aucun aménagement régulier [Note : Des pins ont également été plantés dans d'anciennes landes, entre les forêts de Lorges et de Loudéac, non loin de la route nationale 778, de Loudéac à Saint-Brieuc. Par contre, les tentatives de reboisement de landes entreprises à différentes époques entre la fin du XVIIème siècle et celle du XVIIIème, notamment sur l'emplacement de l'ancienne forêt de Moncontour, semblent avoir été le plus souvent infructueuses (Arch. dép. des C.-du-N., E. 858)]. Les petites industries forestières, par contre, y prospèrent. La préparation du tan est maintenant abandonnée ; la principale industrie est celle du charbon de bois et celui de la forêt de Loudéac est renommé dans toute la Bretagne [Note : Rapport de M. l'Inspecteur des Eaux et Forêts, à Rennes]. Quelques charbonniers habitent encore les cabanes qu'ils ont construites au coeur des taillis. Les sabotiers que l'on rencontre autour de la forêt ont, eux, modernisé leur outillage. Enfin, les habitants des villages voisins de la lisière se livrent à la fabrication des ruches en bourdaine, des balais de bouleaux, des râteaux en bois. Et ces menus objets donnent lieu à un commerce assez important. Ajoutons que les fougères, les bruyères du sous-bois sont exploitées activement comme litière. Menues industries, on le voit, qui ne modifient guère l'aspect de la forêt et ne diminuent en rien son étendue.
CONCLUSION.
Il est maintenant possible de marquer les étapes du défrichement, dans la région de Loudéac, depuis le XVIIème siècle.
Le XVIIIème siècle a vu se faire de nombreux afféagements ; mais, dans la région étudiée, l'importance des défrichements a été moindre. En outre, si les forêts ont été l'objet de déprédations, d'une exploitation irrationnelle et abusive, elles n'ont guère diminué d'étendue, autour de Loudéac. Des excès devait d'ailleurs sortir le remède : le pouvoir central et les ducs de Rohan se préoccupèrent déjà de l'état des forêts à la fin de l'Ancien Régime. La Révolution ébaucha une législation forestière. Mais, c'est au XIXème siècle que le domaine forestier se reconstitua dans la Bretagne intérieure, surtout en qualité ; et ceci est sensible même dans la forêt de Loudéac qui n'est pourtant pas une forêt domaniale.
C'est aussi le XIXème siècle qui a été, pour les landes, le grand siècle des défrichements. Ceux-ci, dans toute la contrée qui nous occupe, ont été avant tout une conséquence de la disparition du commerce des toiles et du progrès des transports qui permit le chaulage. Le mouvement ne se déclencha que lentement et il ne prit toute son ampleur que dans la deuxième moitié du siècle. La région de Loudéac n'est plus un pays aux landes immenses. Elle se livre à l'agriculture et à l'élevage. Champs et prairies, montant jusqu'au sommet des croupes qu'on appelle encore les Landes du Mené, ont même conquis des terres où le genêt, l'ajonc et la bruyère semblent encore vouloir parfois reparaître dans les intervalles des façons culturales. Mais la véritable lande, rare, ne couve jamais une grande étendue.
(Marcel Gautier).
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